B. DES CONSÉQUENCES ANTI-ÉCONOMIQUES

L'accroissement de la fiscalité pesant sur les entreprises risque non seulement de conforter l'attentisme des entreprises en matière d'investissements, mais aussi de renforcer la tendance à la délocalisation des activités, de pénaliser les épargnants et de poser aux entreprises des problèmes de trésorerie.

1. Un risque de report des investissements

De nombreux économistes s'accordent pour faire de l'investissement industriel la variable clé de la reprise de l'activité. Deux causes leur semblent à l'origine de la paralysie des investissements en France, malgré la situation financière plutôt favorable des entreprises : la faible rentabilité des fonds propres qui reste trop éloignée des normes américaines et internationales (2 à 3 % contre 6 à 8 %) en raison du niveau élevé des charges des entreprises, d'une part ; l'atonie de la demande d'autre part.

Une autre cause est fréquemment évoquée par les économistes : il s'agit du facteur confiance. Ce serait l'incertitude des chefs d'entreprise sur les prélèvements que l'Etat peut effectuer sur les firmes et sur certains ménages dans le futur qui peut les dissuader d'investir malgré des conditions plutôt favorable. Avec un tel manque de visibilité, les firmes n'investissent que si elles sont assurées d'un rendement supérieur aux 4,5 % de taux d'intérêt réel à long terme des placements financiers.

Or, en portant le taux nominal de taxation des bénéfices à 41,66 % en 1997 et en 1998, le présent projet de loi induit ce que la théorie économique appelle un " choc externe " tendant à réduire le taux de rendement interne des investissements et conduisant les chefs d'entreprise à contracter ces derniers.

Selon une enquête à paraître réalisée par le cabinet Ernst & Young, les entreprises jugent moins prometteuses qu'au début de l'été les perspectives de croissance de l'économie française. En effet, l'augmentation de l'impôt sur les sociétés dégrade leurs perspectives de profit et contrarie leurs projets d'investissements.

C'est également ce que conclut une étude intitulée " Retrouver le chemin de l'investissement industriel ", réalisée pour la Commission permanente de concertation de l'Industrie par le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et de développement des entreprises (Rexecode). Selon cette étude, si la profitabilité de l'industrie française s'est améliorée en 1996, ce redressement reste menacé par d'éventuelles " fausses manoeuvres " alourdissant ses coûts et risquant de reporter à plus de six mois le redémarrage de l'investissement.

2. Un risque de délocalisation des activités

Par ailleurs, le poids des prélèvements obligatoires devient un élément déterminant du choix de l'implantation des entreprises . Il est à craindre que non seulement l'accroissement de la pression fiscale pesant sur les entreprises rende les groupes étrangers encore plus frileux lorsqu'il s'agit d'implanter des activités en France, mais également que des entreprises françaises, notamment parmi les plus innovantes, délocalisent certains services commerciaux, leurs directions de la trésorerie ou des unités de recherche, voire de production.

3. Un dispositif pénalisant pour les épargnants

La fixation du taux de l'impôt sur les sociétés à 33,1/3 % n'est pas anodine. Elle résulte mécaniquement du mode de calcul de l'avoir fiscal qui permet de supprimer la double imposition des bénéfices distribués par les sociétés relevant de l'impôt sur les sociétés. L'avoir fiscal constitue à la fois un revenu imposable (il est à rajouter aux dividendes) et un instrument de paiement (il vient en déduction de l'impôt exigible).

Suivant les dispositions de l'article 158 bis du code général des impôts, cette créance sur le Trésor est égale à la moitié du dividende net. En fixant à 33,1/3 % le taux de l'impôt sur les sociétés, l'avoir fiscal correspondait donc strictement au montant de l'impôt acquitté par la société sur le bénéfice mis en distribution.

L'exemple ci-après illustre le phénomène :

Soit une société ayant réalisé un bénéfice de 15.000 francs et souhaitant distribuer l'intégralité de ce bénéfice à son seul actionnaire. Ce dernier disposera du dividende suivant :

Bénéfice imposable 15.000

Impôt sur les sociétés à 33,1/3 % - 5.000

Dividende distribué à l'actionnaire 10.000

Avoir fiscal correspondant + 5.000

Dividende imposable 15.000

Impôt sur le revenu au taux de 50 % 7.500

Imputation de l'avoir fiscal - 5.000

Impôt à payer 2.500

Revenu net de l'actionnaire (10.000 - 2.500) 7.500

En portant le taux de l'impôt sur les sociétés à 41,66 % le présent article ne permet plus à l'avoir fiscal de compenser le poids de l'impôt sur les sociétés. Dans l'exemple précédent, l'actionnaire voit ainsi son revenu net diminuer de près de 1.000 Francs :

Bénéfice imposable 15.000

Impôt sur les sociétés à 41,66 % 6.250

Dividende distribué à l'actionnaire 8.750

Avoir fiscal correspondant + 4.375

Dividende imposable 13.125

Impôt sur le revenu au taux de 50 % 6.562

Imputation de l'avoir fiscal - 4.375

Impôt à payer 2.187

Revenu net de l'actionnaire (8.750 - 2.187) 6.562

Ainsi, en taxant davantage les entreprises, on pénalise également les épargnants et les actionnaires, ce qui nuit au bon fonctionnement du marché des capitaux.

Les relations entre les sociétés étrangères et leurs filiales françaises pourraient également connaître des difficultés pour la même raison. En effet, un relèvement trop important du taux de l'impôt sur les sociétés rend le mécanisme de l'avoir fiscal insuffisant pour permettre à une maison-mère d'éviter d'être doublement taxée sur les dividendes qu'elle reçoit de ses filiales. Cela peut avoir des répercussions sur la stratégie à long terme du groupe.

4. Un dispositif pénalisant pour la trésorerie des entreprises

Enfin, la facture supplémentaire qu'auront à payer les moyennes et grandes entreprises pourrait poser des problèmes de trésorerie . En effet, les entreprises pourraient se voir notifier à l'automne une sorte de " rappel " d'impôt sur les sociétés assis sur leurs résultats de 1996, présentés au cours du premier semestre de cette année, ou encore, un acompte au 15 novembre prochain, sur leur contribution due au titre de 1997 et payable au printemps 1998. Dans les deux cas de figure, la base de référence reste la même, c'est-à-dire le résultat fiscal de 1996. Mais pour amortir l'échéance, les entreprises ont des choix limités : les dividendes 1996 ont déjà été distribués, et ne peuvent servir de variable d'ajustement.

Un problème de même nature se pose pour le versement à la réserve de participation des salariés et à la réserve spéciale des plus-values à long terme. En effet, dans le premier cas, le calcul de la participation est assis sur le bénéfice après imputation de l'impôt sur les sociétés au taux de base de 33,33 % et ne tient donc pas compte de l'accroissement du taux effectif de l'impôt sur les sociétés. Il en est de même pour la réserve spéciale des plus-values à long terme. En conséquence, les entreprises devront concéder un effort de trésorerie supplémentaire.

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