III. L'AVIS DE VOTRE COMMISSION

La proposition de loi s'inscrit légitimement dans le droit fil du dispositif qui était prévu dans le projet de loi de MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli, pour donner un nouveau souffle au dispositif d'insertion et de lutte contre l'exclusion sur le plan local.

Néanmoins le dispositif proposé en 1997 reposait sur une architecture institutionnelle globalement cohérente qui tendait à transformer le plan départemental d'insertion et de lutte contre l'exclusion en un instrument de programmation exhaustif de l'ensemble des moyens au service de l'exclusion dans un département, y compris les fonds de solidarité logement et les fonds d'aide aux jeunes.

A cet égard, il convient de rappeler que le projet de loi précité :

- créait un conseil départemental de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion (CODILE) dont la composition était élargie et renforcée et qui se voyait reconnaître une fonction de réflexion, de coordination et de proposition ;

- faisait du plan départemental d'insertion et de lutte contre l'exclusion (PDILE) un instrument de planification pluriannuel sur trois ans alors que l'actuel programme départemental d'insertion est préparé pour une année seulement,

- instaurait une structure légère et opérationnelle, appelée conférence des programmes, et rassemblant uniquement les organismes payeurs, afin d'assurer le rôle d'instance de décision dans l'application du PDILE.

Bien entendu, la présente proposition de loi limitée par son objet ne peut reprendre l'ensemble de cette architecture institutionnelle, d'autant plus que le Parlement va prochainement examiner le projet de loi de lutte contre les exclusions que le Gouvernement souhaite adopter en conseil des ministres à la fin du mois de mars prochain.

Dans le cadre institutionnel actuel, il existe un risque que les conditions d'un dialogue constructif entre le préfet et le président du conseil général ne soient pas réunies pour déterminer clairement quelles sont les missions qui relèvent respectivement de l'Etat et du département en matière de lutte contre l'exclusion .

Au demeurant, si le plan départemental d'insertion devait récapituler non seulement les actions d'insertion au profit des bénéficiaires du RMI mais également les actions d'insertion et de lutte contre l'exclusion financées respectivement par l'Etat et le département, l'Etat serait, en quelque sorte, autorisé à " avoir un oeil " sur la gestion du budget des départements ; la mutualisation des moyens risquerait de déboucher sur une confusion des responsabilités.

En revanche, il apparaît compréhensible d'assouplir, dans certaines limites, les conditions dans lesquelles le département pourrait financer les mesures prises en matière de lutte contre l'exclusion dans le cadre du programme départemental d'insertion.

Le second volet de la proposition de loi vise à permettre aux départements d'apporter leur concours à l'action des Fonds d'urgence sociale en utilisant une partie des crédits " gelés " et reportés d'année en année au titre de l'insertion des allocataires du RMI.

Par circulaire du 12 janvier 1998, les préfets se sont vu rappeler que la dotation de l'Etat au Fonds d'urgence sociale devait être complétée ou accompagnée par d'autres sources de financement, dans le cadre de conventions passées entre le représentant de l'Etat avec chaque institution ou collectivité ayant vocation à aider les personnes en difficulté, et notamment les conseils généraux.

Il reste que l'affichage de la disposition de la proposition de loi présente un risque : les situations d'exclusion ne pourront être résolues en une seule année. La mobilisation des crédits reportés et non consommés, soit plus d'un milliard de francs en métropole, ne pourrait être maintenue à ce même niveau sur plusieurs exercices budgétaires..

Mais surtout, il apparaît que les départements, de manière volontaire, interviennent d'ores et déjà à un niveau significatif pour aider les personnes en grande difficulté.

Selon les données fournies par l'APCG, à partir d'une enquête réalisée auprès de 45 départements, 640 millions de francs ont été inscrits sur les budgets primitifs pour 1998 au titre de l'aide aux personnes en difficulté.

Il est raisonnable de penser que la dépense prévue à ce titre s'élèvera au total entre 1 et 1,2 milliard de francs pour l'ensemble des 100 départements.

Les aides se répartissent comme suit :

- Secours d'urgence : 144 millions (22,54 %)

- Logement d'urgence : 26 millions (4,07 %)

- Fonds d'urgence : 60 millions (9,39 %)

- Plans d'impayés d'énergie : 43 millions (6,73 %)

- Interventions pour les jeunes : 66 millions (10,33 %)

- Aides facultatives : 300 millions (46,95 %).

Votre commission vous propose donc de mettre en place une disposition moins ambitieuse que le texte initial de cette proposition de loi afin de tenir compte de l'annonce réitérée du Gouvernement du dépôt du futur projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions.

Elle a déjà eu l'occasion de regretter que le dépôt de ce projet de loi n'ait pas été effectué plus rapidement, compte tenu de l'urgence et de la gravité des situations d'exclusion sociale dans notre pays.

Elle vous propose de ne pas bouleverser pour l'instant le dispositif d'ensemble de la loi du 1 er décembre 1988 qui fonctionne sur le terrain et qui a déjà permis à 66 % des conseils départementaux de l'insertion de proposer des mesures en matière de lutte contre l'exclusion.

Votre commission a donc adopté une disposition exceptionnelle, à caractère temporaire, qui permettra sur cinq ans aux départements d'affecter à l'ensemble de la lutte contre l'exclusion, 10 % au plus du montant des crédits dont l'inscription est obligatoire.

En 1997, les départements ont dû inscrire au mimimum 4 milliards de francs au titre des crédits d'insertion départementaux. L'application d'un taux de 10 % sur ces crédits conduit à un montant de 400 millions de francs à rapporter au montant des crédits reportés à la fin de 1996, soit environ 2,2 milliard de francs en métropole et dans les DOM. Les reports de crédit peuvent donc être résorbé en cinq ans environ dans un tel dispositif

Sachant que les départements consomment aujourd'hui à 97 % en moyenne les crédits départementaux d'insertion, trois cas de figure sont possibles :

- soit les départements consomment l'ensemble de leurs crédits d'insertion et ne disposent pas de crédits reportés : ces départements ne sont pas a priori concernés par le dispositif temporaire et continueront à financer l'insertion comme ils le faisaient auparavant ;

- soit les départements consomment leurs crédits d'insertion annuels et font apparaître un montant cumulé de reports important sur les exercices précédents : grâce au dispositif proposé, ces départements pourront, dans la limite de 10% des crédits annuels d'insertion, résorber en cinq ans leurs reports sans porter atteinte aux moyens qu'il consacre à l'insertion ;

- soit enfin, indépendamment de l'existence ou non de crédits reportés, les départements pourront éventuellement affecter temporairement à la lutte contre l'exclusion une fraction des crédits non consommés au titre de l'insertion tout en veillant sur une période de cinq ans à assurer une consommation complète de ces crédits au profit des bénéficiaires du RMI.

Au demeurant, dans un contexte où les interprétations de la réglementation peuvent présenter une certaine diversité, le mécanisme proposé met les départements dans une situation plus claire vis-à-vis des services préfectoraux.

Au total le dispositif retenu par votre Commission ne remet donc pas en cause le niveau des crédits destinés aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion.

Il ne crée pas de dépenses supplémentaires : il permet seulement, dans l'esprit du texte de M. Jean Delaneau, de " dépenser mieux " des crédits qui sont aujourd'hui inutilisés et qui pourraient utilement être mis au service de la lutte contre l'exclusion au cours des cinq prochaines années.

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