2. Le financement de ces mesures positives s'effectue par des économies réalisées au détriment des familles

a) Une revalorisation modeste des prestations familiales, inférieure à celle prévue pour les pensions de retraite

Les prestations familiales, à l'exception des aides au logement, de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) et de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA) hors majoration, sont calculées en fonction d'un pourcentage de la base mensuelle des allocations familiales (BMAF).

L'article 36 de la loi du 25 juillet 1994 prévoit, pour une période allant du 1 er janvier 1995 au 31 décembre 1999, que la BMAF est revalorisée " une ou plusieurs fois par an conformément à l'évolution des prix à la consommation hors tabac prévue dans le rapport économique et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année civile à venir ". Le second alinéa de cet article précise cependant que " si l'évolution constatée des prix à la consommation hors tabac est différente de celle qui avait été initialement prévue, il est procédé à un ajustement destiné à assurer pour l'année civile suivante une évolution des bases mensuelles conforme à l'évolution des prix à la consommation hors tabac ".

Pour 1998, compte tenu d'une hypothèse prévisionnelle d'évolution des prix hors tabac de 1,3 % pour cette année au 1 er janvier et de la révision à la baisse de la prévision pour 1997 (1,1 % au lieu de 1,3 % initialement prévu), la revalorisation s'est élevée à 1,1 % au 1 er janvier 1998.

Pour 1999, compte tenu d'une évolution prévisionnelle des prix hors tabac de 1,2 % et de la révision à la baisse de la prévision pour 1998 (0,8 % au lieu de 1,3 %), le Gouvernement a indiqué que la revalorisation s'élèvera à 0,71 % au 1 er janvier 1999.

Le Gouvernement a donc fait le choix, pour la deuxième année consécutive, d'opérer un rattrapage négatif sur l'évolution de la BMAF qui conditionne la progression de la plupart des prestations familiales. Le rattrapage prévu en 1999 est particulièrement sévère puisqu'il atteindra 0,5 %.

Il convient en outre de noter que si les prestations familiales ne sont revalorisées que de 0,71 %, les pensions de retraite le seront, quant à elles, de 1,2 %.

Le Gouvernement a choisi, en effet, de ne pas proroger le mécanisme de revalorisation des retraites institué par la loi de 1993 pour éviter d'appliquer aux pensions de retraites le rattrapage négatif de 0,5 % qu'il impose pourtant aux prestations familiales. Les retraités conserveront le gain de pouvoir d'achat acquis au titre de 1998, pas les familles. Le Gouvernement a manifestement choisi de privilégier les retraités et non les familles .

EVOLUTION DE LA BMAF

(francs et pourcentages d'évolution)

Année

1 er janvier

1 er juillet

Moyenne annuelle

Prix*

 

Montant

Evolution

Montant

Evolution

Evolution

Evolution

1990

1.848,40

2,24

1.873,35

1,35

3,32

3,4

1991

1.905,20

1,70

1.920,44

0,80

2,88

3,2

1992

1.939,64

1,00

1.974,55

1,80

2,29

2,3

1993

2.014,04

2,00

2.014,06

0,00

2,98

1,8

1994

2.054,32

2,00

2.054,32

0,00

2,00

1,4

1995

2.078,97

1,20

2.096,64 **

0,00

1,70

1,7

1996

2.078,97

0,00

2.078,97

0,00

0,00

1,9

1997

2.108,49

1,42

2.108,49

0,00

1,30

1,1

1998

2.131,68

1,10

2.131,68

0,00

1,13

0,8***

1999

2.146,81

0,71

2.146,81

0,00

0,74

1,2***

source : direction de la sécurité sociale (DEEF)

* prix à la consommation de l'ensemble des ménages en moyenne annuelle, hors tabac depuis 1992, base 100 en 1990

** suite au contentieux 1995, revalorisation au 1 er juin 1995 de 0,85 %

*** évolution prévisionnelle 1998 et 1999 estimée en septembre 1998


Cette décision paraît d'autant plus surprenante que la branche vieillesse sera déficitaire de 4 milliards de francs en 1999 tandis que la branche famille sera, elle, excédentaire. Le Gouvernement donne un petit coup de pouce aux retraités et accroît encore les dépenses d'une branche déficitaire ; parallèlement, il refuse tout effort supplémentaire en faveur des familles alors que la branche famille enregistre un excédent important.

Il s'agit là d'un choix politique inquiétant et très révélateur du peu d'intérêt accordé par le Gouvernement au renouvellement des générations, pourtant si nécessaire à l'équilibre futur de nos régimes de retraite par répartition.

En vérité, il n'est pas sans danger de privilégier toujours ainsi les générations les plus anciennes au détriment des plus jeunes...

b) Le recul des majorations pour âge des allocations familiales

En application de l'article L. 521-3 du code de la sécurité sociale, les allocations familiales sont majorées de 191,04 francs par mois au titre des enfants âgés entre 10 et 15 ans et de 339,30 francs pour les enfants à compter de 15 ans et jusqu'à la fin du droit.

Les majorations pour âge ne sont pas dues au titre de l'aîné d'une famille de deux enfants ; elles sont uniquement dues au titre de chaque enfant pour les familles de trois enfants et plus.

Le Gouvernement a annoncé, lors de la Conférence de la famille du 12 juin 1998, que ces majorations pour âge seront reportées de 10 à 11 ans et de 15 à 16 ans pour les enfants atteignant leur dixième et leur quinzième anniversaires après le 1 er janvier 1999.

Cette mesure, qui concernera un nombre très important de familles, apparaît très contestable.

Sa seule justification semble financière : le recul de l'âge de majorations permettra d'économiser 870 millions de francs en 1999 (526 millions de francs pour le report de 10 à 11 ans et 344 millions de francs pour celui de 15 à 16 ans) et 1,8 milliard de francs en année pleine, à partir de 2000.


Comme le précise le dossier de presse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, " cette mesure permettra d'assurer une partie du financement des nouvelles aides aux familles modestes ". Elle trouve d'ailleurs son origine dans un rapport intitulé " Politique familiale - bilan et perspectives " rédigé par MM. Thélot et Villac, dans un sous-chapitre intitulé de manière très explicite " Economiser pour financer de nouvelles priorités " 15( * ) . !

Après avoir rappelé " qu'il n'est guère contestable que les enfants coûtent davantage à mesure qu'ils grandissent ", les auteurs estiment que le surcoût est sans doute particulièrement marqué à partir de 18 ans, plutôt qu'à partir de 10 ou 15 ans. Ils suggèrent que " développer l'aide au jeune adulte pourrait être en partie " gagé " par une diminution des avantages actuels accordés à partir de 10 ou 15 ans ".

La seule justification de cette mesure paraît donc bien le besoin de redéployer les sommes en jeu pour d'autres utilisations.

Le recul des majorations pour âge est une mesure indéniablement défavorable aux familles, qui aurait mérité, pour le moins, un minimum d'analyse préalable et de débat . L'âge de 15 ans, notamment, coïncide souvent avec le passage du collège au lycée, qui se traduit par une charge supplémentaire pour les familles.

Par cette mesure discrète et peu médiatique, le Gouvernement s'apprête à économiser 1,8 milliard de francs en année pleine au titre des allocations familiales, soit presque la moitié de l'économie réalisée en 1998 par la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Une fois encore, le Gouvernement joue aux illusionnistes et reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre.

Le total des dépenses nouvelles, au titre des prestations, que représentent les mesures positives évoquées plus haut s'élève en 1999 à 930 millions de francs, un chiffre à peine supérieur aux 870 millions de francs d'économie réalisée sur les majorations pour âge des prestations familiales...

Votre rapporteur juge paradoxal que le Gouvernement choisisse de limiter le bénéfice de certaines prestations familiales dans un seul souci d'économie financière, au moment même où la branche famille s'avère excédentaire. La politique familiale du Gouvernement semble n'avoir pour seule finalité que de maintenir la branche famille en excédent.

En conclusion du présent rapport, votre rapporteur souhaite évoquer deux réformes particulièrement nécessaires à ses yeux.

Il convient tout d'abord de réfléchir dès à présent aux moyens de simplifier le système des prestations familiales dont chacun s'accorde à reconnaître la complexité.

Comme le constatent MM. Thélot et Villac dans leur rapport sur la politique familiale, " au fil du temps, les mesures, prestations, transferts financiers exprimant la politique familiale se sont multipliés et diversifiés, à un point tel que, dans certains de ses aspects, le système devient difficile, voire impossible, à lire et à comprendre ".

Cette complexité résulte du souci d'être équitable, de s'adapter à l'évolution de différentes situations. L'empilement des législations, l'accumulation des nouvelles mesures aboutissent aujourd'hui à un total de 28 prestations versées par les caisses d'allocations familiales.

Il est par conséquent nécessaire de redonner une cohérence et une lisibilité au système de prestations familiales en fusionnant certaines prestations afin d'en réduire le nombre et en simplifiant leurs modalités d'octroi. Une telle réforme est naturellement délicate à mettre en oeuvre : elle doit être menée avec précaution.

Un deuxième axe de réforme est celui des aides aux différents modes de garde de l'enfant.

Les niveaux de prise en charge des coûts de garde d'un enfant sont très variables suivant le mode de garde. Les taux d'effort sont en outre très hétérogènes suivant les familles.

Ce sont ces raisons qui ont conduit le Gouvernement à réduire, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, les taux et les plafonds de prise en charge par l'AGED des cotisations sociales patronales et salariales.

Le Sénat s'était alors élevé contre cette mesure qui constituait une régression pour les femmes qui travaillent et un risque certain pour l'emploi à domicile. Il avait fait valoir que ce mode de garde à domicile pouvait apporter une réponse mieux adaptée aux besoins de certains parents, notamment dans les familles bi-actives, que l'accueil collectif. Ce mode de garde à domicile offrait plus de souplesse horaire, une aide précieuse en cas de naissances multiples, et était quelquefois la seule solution possible dans certaines zones géographiques où les structures d'accueil collectif sont parfois insuffisantes.

Les aides apportées à la garde de l'enfant

Les aides varient actuellement avec les modes de garde et font intervenir des financements de diverses origines : caisses d'allocations familiales, collectivités locales et Etat.

la garde à domicile : les familles bénéficient de l'AGED qui prend en charge dans la limite d'un plafond 50 % à 75 % des cotisations sociales patronale et salariale et d'une réduction d'impôt plafonnée à 22.500 francs ;

La garde par assistante maternelle : les familles bénéficient de l'AFEAMA constituée d'une prise en charge à 100 % des cotisations sociales patronale et salariale et d'une aide forfaitaire de 820 francs par mois (ou 410 francs par mois si l'enfant a plus de trois ans), et d'une réduction d'impôt plafonnée à 3.750 francs par enfant.

La garde en crèche : les familles bénéficient d'une réduction d'impôt plafonnée à 3.750 francs par enfant et indirectement d'une aide de la CNAF et des collectivités locales visant à limiter l'importance de leurs frais de garde par rapport à leur revenu (10 % par exemple dans une crèche collective pour une famille de deux enfants, plafonnée à 26.000 francs).

Le Gouvernement avait à l'époque présenté la réduction de l'AGED comme une mesure provisoire devant s'inscrire dans le cadre plus général d'une réforme des aides pour l'emploi à domicile.

Souhaitant poursuivre la révision des aides aux modes de garde, le Gouvernement a confié à l'Inspection générale des finances et à l'Inspection générale des affaires sociales une mission qui porte plus globalement sur l'ensemble des services d'aide aux personnes (garde des enfants, personnes âgées, handicapés) dont l'objectif était de rendre les dispositifs existants plus simples et lisibles, plus équitables et mieux adaptés aux besoins des familles.

Le rapport de Mme Hespel et de M. Thierry, remis à la Ministre de l'Emploi et de la Solidarité et au Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en août dernier 16( * ) , devait servir de base à une réforme d'ensemble que le Gouvernement s'était engagée à présenter à l'occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. La réforme des aides apportées à la garde de l'enfant ne figure pas dans le projet de loi et votre rapporteur ne peut que le regretter.

*

* *

Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle propose dans le tome IV du présent rapport, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 pour ses dispositions relatives à la famille.

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