3. Le Gouvernement semble décidé à profiter du débat sur les 35 heures pour " redessiner " la carte syndicale autour de la CGT

Comme le remarque très justement un quotidien du soir : " en proposant de conditionner l'accès aux aides sur les 35 heures à la signature des syndicats majoritaires ou, à défaut, à la consultation des salariés, la ministre de l'emploi, Martine Aubry, engage une petite révolution " 84( * ) .

Le projet de loi remet en effet en cause la règle de l'unicité de signature, qui est la clé, depuis près de cinquante ans, du système de négociation collective en France. Introduite par une loi de 1950, elle permet à une organisation syndicale jugée représentative d'engager à elle seule l'ensemble des salariés d'une branche ou d'une entreprise.

Ce faisant, Mme Martine Aubry apporte une solution au problème de la légitimité des accords signés mais sans toucher au principe de la présomption de représentativité.

Ce choix, très politique, revient à " coincer les nouveaux syndicats et à faire le tri entre les anciens " comme le note M. René Mouriaux, chercheur au CEVIPOF 85( * ) .

Les nouveaux syndicats comme SUD ou l'UNSA ne bénéficieront pas du nouveau système puisque l'arrêté du 31 mars 1966 n'est pas remis en question et, dans le même temps, des organisations comme FO, la CGC ou la CFTC voient leur position affaiblie puisque le déroulement de la négociation collective les place souvent en position minoritaire.

Le nouveau dispositif semble avantager sensiblement la CFDT et la CGT.

Comme le souligne Alain Bergounioux, secrétaire national du Parti socialiste : " du côté du ministère, il y a une considération stratégique. C'est un moyen de provoquer un regroupement du syndicalisme français, d'accélérer sa recomposition, en consolidant le bloc de négociation, donc d'encourager l'évolution plus réformiste du syndicalisme, et en particulier de la CGT " 86( * ) .

Dans un long entretien au journal Le Monde, M. Bernard Thibault a récemment exposé sa vision de l'action syndicale et de la représentativité.

Il considère que " Personne ne devrait avoir à redouter qu'avant toute conclusion d'un accord susceptible de sanctionner une négociation importante, actant le constat d'un rapport de forces à un moment donné, la mise en débat permette à chacun des intéressés de se forger une opinion et de la faire connaître et que ce soient les organisations syndicales et elles seules qui en aient la responsabilité et les moyens. Bien au contraire, cela fonde sans ambiguïté la place que doit tenir chaque organisation syndicale, cela fournit une base claire à la légitimité de son rôle et à la valeur de l'engagement syndical ; c'est un critère moderne pour apprécier son indépendance vis-à-vis du patronat, de la direction de l'entreprise et du Gouvernement 87( * ) ".

Dans cette perspective, il estime nécessaire " d'injecter de nouveaux processus démocratiques dans la représentation syndicale, afin de permettre à la fois que l'opinion des salariés se forme dans l'écoute et la confrontation des points de vue et que tous les responsables syndicaux rendent compte de leur activité à des moments cruciaux de l'exercice de leur mandat, ce qui ne sera pas moins exigeant pour la CGT que pour tout autre organisation "

" Qui peut croire qu'une négociation conduite au nom des salariés est crédible si elle est conclue par un représentant syndical ou une organisation qui n'a pas obtenu ou ne peut se prévaloir d'un large accord parmi les salariés qu'il ou elle représente, comme cela est possible aujourd'hui ? "


Il conclut son propos en estimant que " d'une manière ou d'une autre, les négociations sur un sujet aussi essentiel que l'organisation de la vie des salariés dans et hors de l'entreprise ne sauraient s'accommoder du constat que les questions sociales sont le seul domaine où une minorité a le droit de décider pour la majorité ".

De ce qui précède, on peut retenir à l'évidence que la CGT partage le même souci que le Gouvernement de redéfinir les contours de la représentativité et d'exclure du jeu les syndicats les plus faibles qui ont pourtant porté le dialogue social en France depuis cinquante ans pendant la Guerre froide.

M. Jean-Emmanuel Ray résume bien la situation lorsqu'il déclare que " le principe de l'accord majoritaire signifie que la CGT revient dans le jeu et marque en quelque sorte " la fin de la lutte des classes " dans le fonctionnement de la négociation collective ". 88( * )

On peut s'interroger sur ce qui ressemble bien à une dérive du projet de loi à l'origine consacré à la réduction négociée du temps de travail et qui apparaît de plus en plus comme une loi réformant la carte syndicale autour de la CGT.

Il est à noter que l'ensemble des syndicats (à l'exception de la CGT) dénonce l'ouverture de ce chantier à l'occasion du débat sur les 35 heures. Ils s'inquiètent notamment des conséquences du recours à la règle majoritaire ou au référendum qui ne semble pas favorable aux " accords innovants ".

Mme Nicole Notat considère que : " c'est en fait le dossier de la représentativité qu'a ouvert le Gouvernement. Il le fait complètement ou pas du tout. S'il le fait, c'est de la cohérence des relations professionnelles et de l'efficacité de la négociation collective pour les vingt ans à venir qu'il faut traiter. Cela ne peut se faire à la va-vite 89( * ) " .

M. Alain Deleu, président de la CFTC adopte une position identique lorsqu'il déclare que : " La solution trouvée par Martine Aubry n'est pas bonne. Il est clair en réalité que le Gouvernement poursuit d'autres objectifs. Sinon pourquoi a-t-elle refusé d'étendre un accord de branche, celui de l'UIMM, signé par trois syndicats et a-t-elle accepté d'étendre celui de la chimie signé par la seule CFDT ? "

" Le Gouvernement veut donner des gages au PS et à la CGT, ainsi qu'à la CFDT, même si celle-ci proteste sur la méthode retenue. Il a franchi le Rubicon d'une nouvelle forme d'ingérence du politique sur le syndical. Il commence à réorganiser progressivement le paysage syndical français. C'est une atteinte à la liberté syndicale . Cela ne suffira pas à mettre la CFTC en difficulté. Ceux qui pensent que ce coup nous sera fatal se trompent. Mais c'est la première étape d'une réorganisation du paysage syndical tel que le voient les pouvoirs publics et qui pourrait déboucher sur une remise en cause des critères de représentativité au plan national 90( * ) ".

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