II. LA CLARIFICATION DES RÈGLES D'ORGANISATION DE LA CHASSE
Sur le problème des structures de la chasse, le débat porte, d'une part, sur l'avenir des associations communales et intercommunales de chasse agréées et d'autre part, sur la clarification des rapports entre les différents organismes et instances qui structurent le monde de la chasse en France.
A. LA REMISE EN CAUSE DU DISPOSITIF DE LA LOI DU 10 JUILLET 1964 DITE " LOI VERDEILLE " PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
1. Rappel de l'objet de la loi Verdeille9( * )
Cette
loi a permis, avec succès, de mettre fin au développement de la
chasse banale sur une partie du territoire français, qui
s'exerçait en méconnaissance totale du droit de
propriété et sans aucun objectif de gestion de la faune ni
d'aménagement cynégétique des territoires. Il s'en
était suivi, surtout au sud de la Loire, où la
propriété est très morcelée, une quasi-disparition
du gibier.
Pour y remédier, la loi du 10 juillet 1964 a mis en place une
structure communale (ACCA) ou intercommunale qui reçoit le droit de
chasse sur des parcelles et ensembles de parcelles qui, par leur taille, ne
constituent pas un ensemble d'un seul tenant suffisamment pertinent pour
être soumis à des règles de gestion
cynégétique efficaces. La liste des départements
concernés est fixée par le ministre sur proposition du
préfet et après avis conforme des conseils généraux
et la consultation des chambres d'agriculture et des fédérations
départementales de chasseurs.
L'apport des terrains est obligatoire pour les propriétaires des
parcelles inférieures à une certaine superficie, et volontaire
pour les autres.
En outre, il peut être également constitué des ACCA dans
les départements autres que ceux figurant sur la liste
élaborée par le ministre chargé de la chasse, sur la
demande de plus de 60 % des propriétaires représentant
60 % de la superficie du territoire de la commune.
2. Rappel du contentieux juridique national puis européen à propos de l'application de la loi Verdeille
Comme
l'a rappelé votre rapporteur dans le rapport de la Commission des
Affaires économiques (n° 408/1998-1999) sur la proposition de
loi portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse,
l'application de la loi Verdeille a donné lieu dans les années
soixante-dix à un contentieux relativement abondant entre les ACCA et
certains propriétaires récalcitrants. Si la plupart d'entre eux
ont été résolus, aucune solution n'a pu être
trouvée s'agissant des opposants à la chasse qui n'admettaient
pas que, malgré leurs convictions, ils soient tenus de laisser leur
propriété ouverte à la pratique de la chasse.
Ainsi, en 1985, des propriétaires de terrains inférieurs
à 20 hectares adhérents au ROC (Rassemblement des opposants
à la chasse), puis de l'ASPA (Association pour la protection des animaux
sauvages), apposèrent sur les limites de leurs terrains des panneaux
comportant les indications " Chasse interdite " et
" Refuge ". Les ACCA concernées obtinrent par une ordonnance
de référé, confirmée par la Cour d'appel de
Bordeaux en juin 1987, une décision ordonnant l'enlèvement
des panneaux.
De ce litige devait découler une longue série de
procédures par lesquelles les requérants tentèrent en vain
d'obtenir le retrait de leurs terrains du périmètre des ACCA et
cherchèrent à faire déclarer la " loi
Verdeille " incompatible avec les dispositions de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Parallèlement à ce contentieux, d'autres procédures
s'engageaient sur le même fondement juridique et les décisions
rendues ont fait apparaître des divergences de position entre les
juridictions administratives et judiciaires du premier degré. Plusieurs
tribunaux de grande instance saisis constatèrent la violation des droits
fondamentaux par la " loi Verdeille " (TGI Périgueux,
13 décembre 1988, TGI Valence, 28 juin 1989, TGI
Guéret, 18 juin 1990, TGI Carcassonne, 16 juillet 1990), mais
les juridictions administratives ont toujours considéré que
l'exercice rationnel de la chasse constituait un motif d'intérêt
général, justifiant l'atteinte au droit de
propriété et à la liberté d'association (TA
Bordeaux, 16 novembre 1989, TA Limoges, 28 juin 1990).
- Les décisions judiciaires furent, pour la plupart,
réformées en appel. Certaines cours (Bordeaux, Limoges) ont fait
prévaloir un intérêt général s'attachant
à l'exercice de la chasse, tandis que d'autres se
déclarèrent incompétentes au profit de l'ordre
administratif (Grenoble), d'autres enfin retenant des violations partielles
(Montpellier) ou totales de normes internationales supérieures
(Poitiers, 10 janvier 1992).
- La Cour de cassation refléta ces hésitations en rendant
deux arrêts de rejet : l'un constatant l'incompétence du juge
judiciaire en la matière (Cassation. 1ère civile, 15 juillet
1993) et l'autre la compatibilité de la " loi Verdeille " au
droit supérieur (Cassation 3ème civile, 16 mars 1994),
précisant que le droit de chasse n'était pas un de ceux
protégés par la Convention européenne des Droits de
l'Homme.
- Le Conseil d'Etat, quant à lui, confirma la position unanime des
juridictions administratives en justifiant la légitimité d'une
réglementation restrictive du droit de propriété au nom de
l'intérêt général et il considéra qu'il n'y
avait atteinte ni au droit de propriété ni à la
liberté d'association (CE 30 mars 1995, M. Montion et
Société nationale de protection de la nature).
Une fois les voies de recours internes épuisées, des
requêtes furent introduites devant la Commission européenne des
Droits de l'Homme en avril 1994 et avril 1995.
L'arrêt de la Cour européenne, rendu le
29 avril 1999, reprend les trois arguments retenus par la Commission
en juin 1997, à savoir une atteinte au droit de propriété
en violation de l'article 1 du Protocole n° 1, une atteinte à la
liberté d'association prévue à l'article 11 de la
Convention, ainsi que l'existence d'une discrimination contraire à
l'article 14 de la Convention.
S'agissant de l'atteinte au droit de propriété des
requérants
, la Cour a considéré que l'objectif de la
loi du 10 juillet 1964 était certes d'intérêt
général puisqu'il visait à éviter une pratique
anarchique de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du
patrimoine cynégétique ; mais elle a jugé qu'aucune mesure
de compensation n'était prévue en faveur des propriétaires
opposés à la chasse. En conséquence, elle a estimé
que le système de l'apport forcé aboutissait à placer les
requérants dans une situation ne respectant pas un juste
équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les
exigences de l'intérêt général ; elle a donc
considéré qu'obliger les petits propriétaires hostiles
à la chasse à faire apport de leur droit de chasse sur leurs
terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à
leurs convictions constituait une mesure " disproportionnée " eu
égard à l'intérêt général poursuivi.
De plus, elle a considéré que la différence de traitement
entre les petits et les grands propriétaires ne pouvait se justifier au
nom de l'intérêt général, et que cette
discrimination fondée sur la fortune foncière s'inscrivait en
violation de l'article 14 de la Convention.
S'agissant du principe de liberté d'association
, la Cour a tout
d'abord relevé que les associations communales de chasse
agréées, quelles que soient les prérogatives exorbitantes
du droit commun dont elles jouissent, constituent bien des " associations " au
sens de l'article 11 de la Convention.
La Cour a estimé qu'astreindre les requérants à devenir
membre d'une ACCA en dépit de leurs convictions personnelles ne pouvait
se justifier au nom de la sauvegarde d'un exercice démocratique de la
chasse, et que cette obligation constituait une atteinte à la
liberté d'association disproportionnée au but poursuivi.
De plus, la Cour a considéré qu'il n'y avait aucune justification
à obliger les petits propriétaires à être membres
des ACCA et à permettre aux grands propriétaires
d'échapper à cette affiliation obligatoire, " qu'ils exercent
leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu'ils
préfèrent, en raison de leurs convictions, affecter celle-ci
à l'instauration d'un refuge ou d'une réserve naturelle. "
Certains arguments soulevés par la Cour semblent cependant manquer de
fondement. Il en est ainsi de la discrimination considérée comme
injustifiée parce que reposant sur un critère de fortune
foncière, et plaçant les propriétaires dans une situation
différente selon qu'ils entrent ou non dans le champ d'application de la
loi.
En effet, cette différence de situation se justifie par l'objet
même de la loi, qui consiste à mettre en place des structures
favorisant une bonne gestion cynégétique des territoires,
uniquement là où l'organisation existante ne le permet pas.
D'autre part, le critère de discrimination ne se fonde pas sur la
fortune foncière des propriétaires, mais sur l'existence de
superficies foncières d'un seul tenant suffisamment importantes pour
mettre en oeuvre cette bonne gestion cynégétique.
Ainsi, un propriétaire de cinq ensembles séparés de
parcelles dont aucune n'atteint vingt hectares sera obligé de faire
apport de son droit de chasse, bien qu'il possède près de cent
hectares, alors même que le propriétaire d'une parcelle de vingt
hectares d'un seul tenant pourra s'y opposer.
Néanmoins, compte tenu du risque de nouveaux contentieux suscités
par les conclusions de l'arrêt du 29 avril 1999, et pour
éviter l'éclatement du dispositif des ACCA qui a fait ses preuves
en matière de gestion cynégétique, le projet de loi
relatif à la chasse propose un certain nombre d'aménagements
à la loi n° 64-696 du 10 juillet 1964.