B. LES FORCES DE POLICE AFFECTÉES À LA LUTTE CONTRE LES STUPÉFIANTS

Au sein de la police nationale, la lutte contre le trafic et l'usage de stupéfiants est assurée par plusieurs services spécialisés.

1. Les dispositifs de lutte contre le trafic organisé et le trafic international

a) La direction centrale de la police judiciaire et l'OCRTIS

La direction centrale de la police judiciaire , dont la vocation est la lutte contre les trafics d'assez haut niveau, dispose de services et de sections dédiés à cette lutte : 80 fonctionnaires au sein de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants ( OCRTIS ) et 220 policiers dans les sections stupéfiants des 19 services régionaux de police judiciaire ( SRPJ ). Ces groupes ont vocation à traiter les affaires de réseaux organisés qui vont s'approvisionner hors du ressort géographique régional, voire à l'étranger. Leur rôle est de lutter contre le trafic dans le ressort de leur compétence territoriale. Dès lors qu'il s'agit d'affaires de trafic national ou international, celles-ci sont traitées par l'OCRTIS.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Bernard Petit, chef de l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), a précisé « qu'outre le recueil des informations opérationnelles, la centralisation de ces informations et la coordination des actions opérationnelles en matière de lutte, [l'OCRTIS] a également en charge la gestion du fichier national des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, à partir duquel, tous les ans, nous disposons d'un rapport annuel sur l'état de l'usage et du trafic des stupéfiants en France ».

L'OCRTIS, créé par le décret n° 53-726 du 3 mars 1953 au sein de la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l'intérieur, a pour mission de coordonner l'action répressive au plan national, d'assurer la coopération internationale opérationnelle avec nos principaux partenaires étrangers et de centraliser tous les renseignements et informations utiles en matière de stupéfiants, du point de vue statistique mais aussi du point de vue de la connaissance des réseaux et des produits disponibles sur le marché.

A cette fin, l'OCRTIS dispose de groupes d'enquête qui travaillent d'initiative ou en co-saisine avec d'autres services. Organe à vocation interministérielle, il comprend des représentants des douanes et de la gendarmerie nationale qui assurent l'interface avec leur administration respective.

Le pôle documentation gère le Fichier national des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants (FNAILS). D'après les informations fournies par les services du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, cette base de données devrait être prochainement refondue dans une nouvelle application qui permettra une gamme de recherche plus étendue et plus fine pour mieux décrire les phénomènes.

En outre, dans le but de pouvoir surveiller les filières de production au niveau international implantées sur le territoire national, l'OCRTIS détache deux enquêteurs auprès de la Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques (MNCPC), rattachée au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. La connaissance des filières mondiales approvisionnant le marché français nécessite également l'implantation d'officiers de liaison de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) à l'étranger : l'OCRTIS dispose ainsi de douze antennes et dix-sept officiers situés dans des pays tels que les Etats-Unis, la Colombie et Chypre.

S'agissant de l'articulation entre les différents services de la police nationale , s'il existe depuis de nombreuses années une étroite coopération entre l'OCRTIS et les SRPJ, le contexte national et international de lutte contre le trafic de drogues illicites a conduit à resserrer les liens opérationnels entre la direction centrale de la police judiciaire et les autres directions de la police nationale, pour permettre une assistance mutuelle lors d'actions sensibles d'interception de produits stupéfiants et de démantèlement de réseaux.

La réunion semestrielle du « Bureau de liaison stupéfiants », à l'initiative du chef de l'OCRTIS, est un des éléments moteurs de ce rapprochement des acteurs.

La place qui est accordée à la police judiciaire au sein des GIR permet également de contribuer à la connaissance de l'économie souterraine issue du trafic de stupéfiants, tout en rapprochant les objectifs des différentes directions répressives.

En outre, l'ensemble du trafic transitaire sur le territoire national induit une coordination accrue entre l'OCRTIS et les SRPJ, d'une part, la direction centrale de la police aux frontières, d'autre part, notamment dans le cadre des livraisons surveillées, des observations Schengen et de la circulation des trafiquants.

Enfin, l'action de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants est déterminante du point du vue du nombre d'affaires traitées. L'action répressive est cependant géographiquement morcelée en raison des règles de compétence territoriale qui régissent les circonscriptions de sécurité publique, bien que la plus grande part des affaires diligentées revient aux 26 sûretés départementales, largement impliquées dans la lutte contre les trafics de cités. A ce titre, la participation de la DCSP, mais également de la gendarmerie nationale aux bureaux de liaison stupéfiants organisés en 2003, est envisagée.

Par ailleurs, dans leurs missions habituelles, la direction centrale des renseignements généraux, la police aux frontières, les compagnies républicaines de sécurité, la direction de la surveillance du territoire peuvent être ponctuellement conduites, soit à procéder à des interpellations, soit surtout à fournir des renseignements sur un trafic de stupéfiants.

Ainsi, la police aux frontières , dont la mission première est la lutte contre l'immigration et le trafic de clandestins, est conduite, dans certains cas dans le cadre de son activité et du fait de son implication géographique aux frontières, à traiter des affaires liées aux infractions à la législation sur les stupéfiants, soit d'initiative (découvertes incidentes) à l'issue d'un contrôle documentaire aux points de passage aériens, maritimes ou terrestres autorisés, soit sur remise des services douaniers.

Dans l'exercice de ses missions, la police aux frontières s'appuie également sur ses brigades mobiles de recherche et met en oeuvre des dispositifs particuliers à l'occasion d'opérations ponctuelles, telles celles conduites en janvier 2003 sur des camions en provenance de Belgique.

b) Le réseau des laboratoires de police scientifique

Les laboratoires de police scientifique de Lille, Lyon, Marseille, Paris et Toulouse disposent d'unités spécialisées dans l'analyse des stupéfiants. L'ensemble des analyses est collecté par réseau et centralisé au laboratoire de Lyon. Il s'agit d'une aide à l'enquête mais aussi d'une indispensable connaissance des produits mis en circulation.

c) La mission de lutte anti-drogue

Ainsi que l'a indiqué lors de son audition M. Michel Bouchet, chef de cette structure, « la Mission de lutte anti-drogue est, au cabinet du directeur général de la police nationale, chargée de coordonner les directions et services du ministère de l'intérieur et de proposer, avec ceux-ci, une stratégie dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants, qu'il s'agisse de trafic, de blanchiment, de consommation ou de prévention. La Mission de lutte anti-drogue soutient également la position du ministère de l'intérieur dans les instances nationales et internationales ».

Il s'agit d'une cellule légère et stratégique d'orientation et de coordination . Elle n'a donc pas de vocation opérationnelle .

Ainsi que l'a souligné M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, lors de son audition, « la MILAD a un champ qui touche la prévention jusqu'à la répression, alors que l'Office central des stupéfiants, heureusement, ne s'intéresse qu'à la répression du trafic. Nous avons donc des caractéristiques très différentes. Cependant, la symbiose entre la MILAD et l'OCRTIS est très forte. Quand la MILAD a besoin de chiffres et de descriptions et de forger son idée sur l'état du trafic, c'est l'Office central des stupéfiants qui fournit les chiffres, les tendances, les écrits, et tous les documents. Il n'y a pas de jour où je n'ai pas M. Michel Bouchet, le chef de la MILAD, une ou deux fois au téléphone pour demander des chiffres, une appréciation, une évaluation ou une participation à une réunion qu'il organise. Nous n'avons pas le même champ et les mêmes activités, mais les liens sont très forts. »

d) La brigade des stupéfiants de la préfecture de police

Au sein de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de la Préfecture de police de Paris qui comprend 205 policiers spécialisés dans la lutte contre les stupéfiants, la brigade des stupéfiants , composée de 95 fonctionnaires de police 79 ( * ) , administratifs compris, intervient sur Paris et dans les trois départements limitrophes de la proche banlieue (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) dans le domaine de la lutte contre le trafic illicite, la vente et l'usage des stupéfiants.

M. Gérard Peuch, chef de la brigade des stupéfiants à la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, a déclaré, lors de son audition par la commission d'enquête, que cette brigade était « globalement séparée en deux activités ».

La première activité relève de ce qu'il est convenu d'appeler les affaires de ramassage : « Nous sommes ainsi appelés à faire des interpellations dans le domaine des douanes ou dans celui de la police de l'air et des frontières, pour toute personne qui a une autorité et qui, n'étant pas fonctionnaire de police, est susceptible d'interpeller des personnes qui, à divers titres, ont affaire au domaine de la drogue ou du trafic de stupéfiants ».

La seconde activité concerne principalement les affaires dites d'initiative : le travail de la brigade est alors, d'après M. Gérard Peuch, « celui du chien de chasse ou du chien d'arrêt : comme on le dit en termes de métier, son but est de « lever l'affaire ». Pour ce faire nous sommes assistés de quelques fonctionnaires, lesquels s'occupent maintenant -cela devient prépondérant et fondamental- de tout ce qui concerne l'informatique ».

La brigade des stupéfiants a également recours à un ensemble de fonctionnaires de police ayant le statut d'interprètes et de traducteurs.

Enfin, outre son activité propre, la brigade des stupéfiants est chargée d'assurer la coordination de l'action de l'ensemble des service de police à Paris et dans les trois départements de la proche banlieue, c'est-à-dire notamment la police urbaine de proximité et les autres services territoriaux de police judiciaire, dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants.

2. Le dispositif de lutte contre l'usage et le petit deal

a) La direction centrale de la sécurité publique

Compétente en matière de trafic local et d'usage, elle dispose de 754 fonctionnaires plus spécialement affectés à cette mission.

Cette mission est assurée par l'intermédiaire des services des brigades de stupéfiants créées au niveau local. Lorsque le tissu urbain justifie une concentration de moyens, des services plus étoffés ont été mis en place : les sûretés départementales. Au nombre de quatorze, elles existent dans les sept départements de la couronne parisienne, la Corse, le Nord, le Rhône, les Alpes maritimes, les Bouches-du-Rhône et la Réunion. Elles constituent le réel fer de lance de la lutte contre les trafics établis au sein des quartiers difficiles notamment.

b) La direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police de Paris

La direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police a été mise en place le 18 avril 1999 dans le cadre de la réforme des services actifs de la préfecture de police de Paris. Elle compte 12.000 policiers et, comme l'a indiqué lors de son audition le sous-directeur de la police territoriale au sein de cette direction, M. Alain Quéant, elle « s'est vu assigner, lors de sa création, la mission de mieux prendre en compte l'insécurité quotidienne dans la capitale par une lutte contre la petite et moyenne délinquance, une présence policière sur la voie publique plus importante et, surtout, adaptée aux besoins des habitants, et un travail de sensibilisation en direction des publics vulnérables et des professions à risques. L'objectif était donc de mettre en place, dans Paris, une véritable police de proximité comprise non comme un appendice d'un service central, comme cela a pu se faire ailleurs, mais comme un dispositif qui intégrait la totalité des missions que la police combat au niveau local. »

Le dispositif est axé sur une organisation territoriale simple basée sur l'arrondissement parisien, et dont la cellule de base est le commissariat central d'arrondissement.

Il comporte trois axes principaux :

- un service de voie publique, qui est une police d'intervention, active tous les jours 24 heures sur 24 (police secours) ;

- un service de la police de quartier, autrefois appelé îlotage, et qui assure la réponse policière sur la voie publique et les contacts avec les administrés, et auquel on peut rattacher une unité chargée de la prévention et de la communication ;

- le service de l'accueil, de la recherche et de l'investigation judiciaire. Il s'agit d'un service de police judiciaire local qui fonctionne et assure un traitement judiciaire tous les jours, 24 heures sur 24, dans chaque arrondissement.

Avant 1999, la brigade des stupéfiants de la préfecture de police de Paris disposait d'un monopole absolu du traitement judiciaire dans le domaine des stupéfiants. Ainsi que l'a souligné M. Alain Quéant, « c'était et c'est toujours un service central chargé de lutter contre le trafic de stupéfiants à grand échelle (...) mais avant 1999, il prenait en compte le dernier usager arrêté sur la voie publique de manière centrale. Il s'ensuivait que ce n'était peut-être pas la meilleure façon de traiter ce phénomène. De même, les aspects de prévention étaient traités par la direction de la police judiciaire ou de la sécurité publique de manière peu cohérente. Il y a donc eu dès le départ un protocole entre l'ensemble des directions de la préfecture de police pour assigner à chacun le rôle qui lui appartient. »

En effet, « avant 1999, autant le trafic de stupéfiants organisé et structuré obtenait de bons résultats, autant le petit usage et le petit deal étaient tombés en déshérence en matière de répression. (...) En 1999, les policiers de la direction de la sécurité publique chassaient les dealers comme ils le pouvaient. Dès qu'ils en avaient, comme ce n'étaient pas des affaires fondamentales, ils allaient à la brigade des stupéfiants qui leur disait : « nous traitons les grands réseaux et vos affaires ne nous intéressent pas. (...) C'est ainsi que les fonctionnaires se démotivaient. Comme leur chef n'avait pas le suivi de l'affaire, cela croissait et perdurait. (...) Nous avons donc repris la main, puisque notre service a pris en compte la lutte contre l'usage simple, ce qu'on appelle dans notre jargon le deal de rue ou d'appartement et le petit trafic local, à l'exception, de manière absolue, de la lutte contre les réseaux organisés que nous laissons à nos collègues de la police judiciaire . »

La direction traite donc 87 % des faits constatés à Paris.

Ce service doit prendre en compte les phénomènes de toxicomanie et, surtout, le traitement des nuisances qu'ils engendrent.

Ainsi que l'a indiqué M. Alain Quéant à la commission d'enquête, cette action doit être adaptée aux particularités de chaque quartier : « Nous sommes confrontés au quotidien aux rassemblements de drogués et de toxicomanes dans certains sites, à la présence de véritables abcès de fixation (immeubles squattés, lieux publics, etc...) ou, de manière moins grave, à la présence dans des halls d'immeubles ou dans d'autres lieux, voire dans les jardins du Luxembourg, de jeunes usagers qui fument du cannabis, ce qui nécessite une véritable prise en compte (...) Ces phénomènes, qui sont bien sûr très divers (on ne va pas comparer les trois fumeurs de joints du Luxembourg aux rassemblements de toxicomanes de la porte de la Chapelle), nécessitent une véritable prise en compte locale très fine d'importance et de sensibilité variables, et les habitants, bien entendu, y sont très sensibles et sollicitent très fréquemment notre concours.

Il a souligné la gravité de la situation dans certains secteurs : « On estime, pour en revenir au XVIII e , qu'une centaine de polytoxicomanes en déshérence erre en permanence sur l'arrondissement. Il y a quelques mois, nous avions eu des phénomènes lourds dans le secteur de la place de Stalingrad (...), ce qui a abouti à la mise en place d'un dispositif important qui a permis de résorber de façon notable les nuisances par une présence massive de police. Nous avons eu également la chance d'évacuer un certain nombre d'immeubles squattés parallèlement, ce qui a assaini le système. »

Néanmoins, la lutte doit toujours être renouvelée : « Je peux vous citer l'exemple de Stalingrad, où il se posait un problème très lourd et où nous avons vraiment, comme on le dit vulgairement, « mis le paquet ». Cela a fonctionné, mais il se produit, comme nous le disons dans notre jargon, un effet « splash », c'est-à-dire que nous traitons un endroit et que cela s'éparpille. »

BILAN DE NOTRE EXPÉRIENCE D'HABITANTS
DU QUARTIER STALINGRAD À PARIS,
OU LES MÉFAITS DE LA POLITIQUE DE RÉDUCTION DES RISQUES

(mai 2003)

François NICOLAS,

responsable de

l'ex-COLLECTIF ANTI-CRACK

UN AN DE MOBILISATION...


• L'été 2001, la situation de notre quartier, à la charnière de trois arrondissements parisiens (10°, 19° et 18°), était devenue proprement hallucinante : un périmètre entier était occupé jour et nuit par les trafiquants de crack sans que la police n'intervienne pour les disperser. Les municipalités s'étaient mises aux abonnés absents.

Les femmes se trouvaient agressées par les toxicomanes, les enfants traumatisés par le spectacle des brutalités et dégradations, les jeunes constamment sollicités et provoqués, et les autres habitants étaient contrôlés dans les rues... par les dealers !


• Après avoir alerté en vain les pouvoirs publics (police, municipalités) pendant des mois, les habitants et commerçants ont décidé de réagir et de réoccuper l'espace public accaparé par les bandes criminelles. Quatre semaines de suite, des manifestations (la première d'une centaine de personnes, la dernière d'un millier) ont sillonné les rues du quartier déclarant : « la police doit faire son travail ! », « les rues sont aux habitants, pas aux dealers ».

À la suite de ces manifestations, la police a enfin patrouillé dans les rues et ainsi dispersé la « scène ouverte » du crack qui s'était installée depuis des mois au vu et au su de tous.


• Suite à cette dispersion, le trafic de crack a sensiblement baissé dans le quartier mais la situation restait pour tous préoccupante : si la police arrêtait les patrouilles qu'elle avait mises en place sous notre pression, qu'est-ce qui empêcherait que la scène ouverte ne se reconstitue ?

Comment avait-il été possible que la police ne fasse plus son travail ordinaire de répression du crime organisé et tolère une telle occupation de l'espace public pendant si longtemps ? Pourquoi les municipalités n'avaient-elles rien fait pour témoigner de leur solidarité avec les habitants, avec les enfants de la bibliothèque Hergé abandonnés au coeur du trafic ? Et pourquoi les pouvoirs publics semblaient prendre si facilement leur parti d'une telle situation alors même que le crack est la pire des drogues, qui a décomposé aux États-Unis des quartiers entiers ? Si l'on pouvait comprendre la difficulté pour les pouvoirs publics de lutter contre la délinquance afférente au trafic de haschich, il s'agissait ici d'un trafic de nature criminelle, localisé et concentré, se pratiquant ouvertement et donc facile à prendre pour cible avec des moyens policiers ordinaires. Or, rien de rien, et si nous n'avions pas réagi, les dealers de crack tiendraient encore le haut du pavé en plein Paris ! Comment cela avait-il été possible ? Pouvait-on espérer que cela ne recommence plus ?

Nous avons alors étudié la question, et rencontré quantité de responsables (les maires, les commissaires, etc.) et d'experts (en toxicomanie). La clef du problème nous est alors apparue : il y avait, au principe de ce laisser-faire, une politique explicite, déclarée, organisée : la « politique de réduction des risques ». C'est elle qui orientait la politique publique en matière de toxicomanie depuis de nombreuses années, c'est elle qui rendait compte de l'inertie générale contre le crack car elle prônait un pur et simple « faire avec la drogue », une acceptation gestionnaire de la situation en soutenant qu'il n'était plus possible de faire autrement... en raison de l'épidémie du sida !

Nous avons alors réfléchi pour élaborer les grandes orientations de ce qu'une véritable politique contre la drogue pourrait et devrait être -- nous l'avons appelée « politique de soins » : voir la deuxième partie de ce texte. En effet nous ne nous considérions pas seulement comme des habitants d'un quartier, soucieux des conditions de vie locale mais aussi comme habitants d'un pays, soucieux du présent et de l'avenir de la France.


• Ainsi convaincus qu'en matière de drogue une autre politique était nécessaire et possible, nous avons repris notre bâton de pèlerin quand ce qui était prévisible s'est produit : la reprise du trafic à l'occasion des beaux jours du printemps 2002.

Nous avons alors formé un groupe de pères de famille qui a décidé de se promener tranquillement, un soir par semaine, dans les rues du quartier pour discuter avec les habitants, les jeunes mais également les toxicomanes. Nous voulions ainsi nous réapproprier l'espace public la nuit et montrer qu'il ne saurait y avoir pour les habitants de couvre-feu imposé par les dealers.

Nous avons poursuivi ces « tournées-rue » pendant trois mois (mars-mai 2002) puis nous avons appelé à des rassemblements hebdomadaires (juin 2002) devant les trois repaires du crack ( crackhouses qui concentraient désormais le trafic dans des espaces privés) en exigeant des pouvoirs publics qu'ils les ferment et relogent les familles qui y subissaient la loi des dealers.

À la suite de tout cela, les pouvoirs publics ont procédé, fin juin 2002, à la fermeture de ces repaires ce qui a ramené le trafic de crack dans le quartier à son étiage. Prenant acte de ce retour à la normale, le Collectif anti-crack a alors décidé en septembre 2002 de se dissoudre.

NOS PROPOSITIONS

Avant de reprendre nos activités ordinaires « de pères de famille », nous avons souhaité exposer, lors d'une conférence de presse (25 juin 2002), nos propositions concrètes pour réengager en France une lutte contre la drogue visiblement laissée en jachère depuis des années : nous ne nous satisfaisions pas de l'amélioration temporaire de la situation dans notre seul quartier et savions bien qu'il fallait, en complément des nécessaires actions locales, envisager dans tout le pays, tant au niveau des pouvoirs publics que de la société civile, des actions de grande ampleur pour remonter la pente, pour inverser un cours désastreux des choses : la France ne comptait en 1970 que 2 000 héroïnomanes mais près de 200 000 en 2000. À ce rythme, il y aurait en France 500 000 héroïnomanes en 2007 ! On ne pouvait accepter la perspective que la jeunesse de notre pays se rallie en masse à une conception droguée de l'existence.

Quelles sont les grandes orientations de la politique de soins que nous avons avancée face à la politique de réduction des risques, stratégiquement responsable de la dégradation de notre quartier ?

Contre une désastreuse politique de réduction des risques...

La politique de réduction des risques refuse de traiter sur le fond la question de la toxicomanie pour plaider un accommodement général avec les drogues, y compris avec la cocaïne et l'héroïne :

-- elle ne fait que déplacer les problèmes, en substituant deux drogues (la méthadone et le Subutex) à une autre (l'héroïne) ;

-- elle argumente qu'il ne serait plus nécessaire de soigner les toxicomanes de leur dépendance et qu'il suffirait de les soigner des maladies infectieuses opportunistes (sida...) ;

-- elle ne traite plus que des conséquences (les dégâts latéraux de la drogue : infections, etc.) en déclarant qu'il ne servirait plus à rien de combattre la drogue (car il n'y a « pas de société sans drogue » 80 ( * ) ) et qu'il suffirait de gérer ses méfaits ;

-- elle veut nettoyer les seringues mais se refuse à nettoyer leur contenu ;

-- elle planifie la diminution des places de post-cure et tente de s'imposer comme seule politique « raisonnable » en arguant qu'elle ne coûte pas cher ;

-- elle en appelle à la constitution de salles de shoot (sûr moyen, pourtant, d'enfermer les héroïnomanes dans leur servitude volontaire au lieu de les aider à s'en libérer), à la création de droguatoriums comme un Le Pen a souhaité des sidatoriums ... ;

-- elle en vient à prôner la légalisation du crack et de l'héroïne ;

-- elle excuse les dealers en en faisant des gens au service des toxicomanes ;

-- elle prêche la résignation et un arrangement avec une vision droguée de l'existence.

Une politique de soins, appuyée sur un Samu-toxicomanie

Contre ces orientations, les tâches d'un véritable combat public contre la drogue seraient à notre sens les suivantes.

Il faudrait d'abord affirmer « Pas de société sans lutte contre la drogue » et poser que notre pays peut lutter sur deux fronts à la fois : contre le sida et contre la drogue.

Il faudrait ensuite :


• Réprimer le trafic et les dealers.


• Prévenir la jeunesse de se droguer.


• Aider les toxicomanes à se soigner pour sortir de leur servitude volontaire.

En effet, une politique de soins, tout en réprimant l'offre, viserait surtout à réduire la demande, en aidant en particulier les toxicomanes à sortir de leur esclavage et non pas seulement à éviter d'attraper le sida et l'hépatite... D'où l'intérêt en amont de créer un Samu-toxicomanie qui irait à la rencontre des toxicomanes pour les aider à prendre du recul et la nécessité en aval de multiplier les places de post-cure plutôt que de les réduire.

Une politique de soins n'utiliserait les produits de substitution (méthadone et Subutex) qu'au cas par cas, comme moyen provisoire, non comme fin en soi, comme tactique éventuelle, non comme stratégie. Et si une politique de soins doit continuer d'encourager le nettoyage des seringues, elle ne dissimulerait pas pour autant que leur principal danger reste dans leur contenu !

Une politique de soins pousserait la jeunesse de ce pays à ne pas entrer dans la drogue (prévention primaire) plutôt qu'à en gérer les méfaits une fois dedans...

Au total, une politique de soins fixerait aux pouvoirs publics les tâches qui sont les siennes (répression, soins, instruction) mais encouragerait également la société civile à prendre en charge la part indispensable qui lui revient dans la lutte contre la drogue : une telle lutte ne saurait être simplement l'affaire des pouvoirs publics mais nécessite une mobilisation générale, en particulier pour l'éducation et la prévention des jeunes (il faut savoir leur proposer des activités, des perspectives, des buts dans l'existence pour contrecarrer efficacement le nihilisme de la drogue).

S'agissant des relations avec les associations d'aide et de suivi des toxicomanes, M. Alain Quéant a insisté sur la nécessité d'instaurer un réel partenariat, sachant que « ces structures, avec lesquelles nous entretenons généralement des rapports de partenariats très constructifs, constituent, surtout dans certains quartiers, un pôle de fixation des drogués et génèrent des nuisances, que ce soit des pôles fixes, comme des boutiques ou des centres d'accueil, ou des structures mobiles comme le bus de Médecins du Monde. »

En outre, elle mène également une mission de prévention dans les établissements scolaires.

Au total, en termes de moyens, le nombre de fonctionnaires de police consacrant la totalité de leur activité à la lutte contre les infractions à la législation sur les stupéfiants était estimé à 2.000 personnes en 1995 . D'autres policiers y consacrent une part non négligeable de leur temps mais celle-ci est plus difficile à apprécier. Le nombre total de fonctionnaires de police en équivalent temps plein est de près de 6.500 personnes.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a indiqué lors de son audition vouloir renforcer les effectifs de lutte contre les stupéfiants. La préfecture de police se verra ainsi adjoindre 30 enquêteurs supplémentaires sur un effectif de 95 personnes, et sur les trois départements de la petite couronne, 20 de plus sur un effectif de 110. Des postes d'officiers de liaison en poste à l'étranger supplémentaires devraient également être créés à l'OCRTIS.

* 79 Les 110 autres fonctionnaires de police spécialisés dans la lutte contre les stupéfiants appartiennent aux sections spécialisées des trois divisions de police judiciaire et des trois services départementaux de police judiciaire.

* 80 Mais le fait que l'humanité n'ait jamais connu de société sans crime et sans viol (la Bible raconte que la genèse de l'humanité a commencé avec le meurtre de Caïn...) a-t-il jamais récusé la légitimité d'une lutte contre ces pratiques ?

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