D. LES CARENCES DES ACTEURS NATURELS DE LA PRÉVENTION

De manière générale, et malgré la multiplicité précédemment évoquée des dispositifs existants, l'ensemble des intervenants a, chacun dans son domaine privilégié, très largement insisté devant la commission sur la faiblesse des moyens et des actions mis en oeuvre en matière de prévention contre la drogue . Le système français de lutte contre la drogue s'est en effet essentiellement construit autour de la loi du 31 décembre 1970 dont le seul intitulé indique quelles ont été les orientations privilégiées : répression de l'usage et du trafic et prise en charge sanitaire et sociale des usagers.

Cette double démarche, à laquelle s'ajoute l'absence d'une véritable culture de la prévention en France (que l'on constate dans les principaux autres champs de la santé publique), a eu pour conséquence de reléguer à la portion congrue l'approche préventive du problème des drogues . L'ancienne présidente de la MILDT, Mme Nicole Maestracci, a également reconnu lors de son audition par la commission qu'il était « évident que nous sommes dans un pays qui n'a pas de culture de la prévention, qui n'a donc pas de cadre adapté, qui n'a pas d'espace-temps dans les établissements scolaires consacré à la prévention et qui n'a pas non plus de professionnels de la prévention ».

La réalité révèle que certaines institutions administratives, qui a priori n'étaient pas naturellement les mieux placées pour mener des actions préventives s'y sont largement investies, tandis que celles dont on attendait légitimement le plus en la matière sont restées quasiment inertes.

1. La police et la gendarmerie, acteurs inattendus mais désormais essentiels de la prévention

Si policiers et gendarmes restent les symboles de l'application de l'interdit, leur intervention dans le champ de la prévention de la consommation des produits stupéfiants, et de l'information sur les risques qui y sont liés n'a cessé de croître depuis une quinzaine d'années, notamment auprès des populations les plus jeunes : la police et la gendarmerie sont sans doute aujourd'hui les structures administratives les plus impliquées dans les actions préventives contre les drogues.

a) La MILAD, coordinatrice et actrice de la prévention

La Mission de lutte anti-drogue, au cabinet du directeur général de la police nationale, est chargée de coordonner et d'orienter la politique du ministère de l'intérieur en matière d'usage de stupéfiants, de trafic et de blanchiment, mais aussi de prévention. C'est dans ce cadre qu'elle anime le dispositif de la police nationale, structuré autour des policiers formateurs anti-drogues intervenant dans l'ensemble des domaines de la formation et de la prévention. La MILAD assure notamment l'actualisation de leurs connaissances par l'envoi d'ouvrages pédagogiques et met à leur disposition sa documentation par l'intermédiaire de son site intranet.

La MILAD dispose à cet effet d'un camion podium pouvant recevoir une quarantaine de personnes, à bord duquel le public est informé sur les risques liés à l'usage de drogues et sur les facteurs de protection. Les interventions sont assurées par des officiers de police originaires de services de lutte contre les stupéfiants, qui ont reçu une formation complète incluant une spécialisation propre à l'intervention en milieu scolaire.

Durant la période estivale, ce dispositif embarqué sillonne les routes de France à la rencontre des vacanciers, en partenariat avec différentes structures (ministère de la jeunesse et des sports, Agence nationale de prévention de l'alcoolisme ...). Pendant l'été 2002, il s'est déplacé dans 21 villes de France pour un public de 13 735 personnes.

Au total, ce sont environ 250 000 personnes qui sont ainsi rencontrées chaque année par les policiers. La proportion de jeunes s'élève à plus de 75 %. Quant aux adultes, il s'agit surtout de membres de la communauté scolaire, d'acteurs socio-sanitaires et de parents d'élèves.

b) Les policiers formateurs anti-drogues et les formateurs relais antidrogues de la gendarmerie nationale, spécialistes de la prévention de terrain

• Les PFAD

Au nombre de 266, issus généralement de commissariats de sécurité publique, recrutés sur la base du volontariat et bénéficiant d'une formation spécifique, ils interviennent dans tous les domaines, de la formation continue de leurs collègues à la prévention en milieu scolaire en passant par l'information de publics très variés (parents, enseignants, travailleurs médicaux et sociaux ...). En 2002, ils ont ainsi réalisé 212 actions de formation auprès de 3 413 fonctionnaires de police et ont participé à 4 677 séances d'information touchant un public de 157 352 personnes.

Depuis une circulaire ministérielle du 13 septembre 1999 97 ( * ) , leur action a été réorientée pour l'essentiel vers les établissements scolaires, où ils interviennent à travers les Comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC). Dans ce cadre, ils informent sur les produits licites et illicites, les comportements de consommation qui y sont liés, leurs conséquences individuelles et sociales, les dispositions de la loi dans le domaine du trafic et de l'usage ainsi que sur les divers dispositifs de prise en charge. En 2002, ils ont ainsi consacré 3 355 séances d'information à 82 608 élèves et 540 séances de ce type à 15 169 enseignants et parents.

• Les FRAD

Au nombre de 530 au niveau national, soit environ un par arrondissement, ces sous-officiers reçoivent une formation spécifique dispensée par le Centre national de formation de la police judiciaire (CNFPJ) fondée sur l'apprentissage des techniques de communication orale, de la législation sur les stupéfiants et de la psychologie du toxicomane. Comme pour les policiers formateurs antidrogue, leur action vise essentiellement les jeunes élèves (à plus de 70 %) et leurs parents, mais aussi des responsables sociosanitaires ainsi que des militaires.

Ces militaires sont affectés au sein des 41 brigades de prévention de la délinquance juvénile, à raison de trois ou quatre par structure. Ces brigades agissent en partenariat avec les élus, les administrations concernées et les services du Procureur de la République. Le ministère de l'éducation nationale et les milieux associatifs engagés dans la lutte contre la toxicomanie font un appel croissant à leurs services.

En 2002, ils ont assuré environ 9 000 interventions au cours desquelles ils ont rencontré quelques 408 000 personnes. Un enfant sur deux bénéficie de ce fait d'une information complète sur les drogues illicites. Au total, ce sont près de quatre millions de personnes qui ont bénéficié d'actions d'informations provenant de la gendarmerie nationale.

2. Des actions globalement satisfaisantes dans le milieu sportif

La prévention contre l'usage de stupéfiants et de produits dopants à des fins sportives occupe une part importante du dispositif mis en oeuvre par le ministère des sports (les trois autres volets étant le contrôle antidopage, les sanctions et la répression des trafics). La loi du 23 mars 1999 contre le dopage 98 ( * ) et les décrets qui ont été ou seront pris pour son application en fixent le cadre.

L'action menée passe d'abord par le suivi médical des sportifs : des laboratoires situés sur l'ensemble du territoire permettent de vérifier qu'il n'y a pas de contre-indication à la pratique du sport de compétition et que les charges d'entraînement sont bien tolérées par le sportif. Ce suivi biologique basé sur des prises de sang régulières ne constitue pas un contrôle antidopage et se fait avec le consentement expresse du sportif.

Par ailleurs, le Conseil national de lutte contre le dopage , outre ses attributions disciplinaires et scientifique, exerce une importante mission de prévention en favorisant les initiatives et en coordonnant les nombreux acteurs intervenant en ce domaine (pouvoirs publics, collectivités locales, établissements d'enseignement, professions de santé, médias...). Le conseil a également lancé en 2002 un important programme de sensibilisation destiné aux 50 000 à 60 000 jeunes des sections scolaires, futurs sportifs de haut niveau, entraîneurs, professeurs de sport, dirigeants de club, gestionnaires d'équipements sportifs... Enfin, le conseil a initié un important programme étalé sur quatre ans reposant sur des conférences interactives sur les drogues et le dopage conduites dans les classes pendant les heures de cours par des intervenants extérieurs à la demande des professeurs.

Un important volet de la prévention a consisté dans la mise en place d'un réseau d'information et de soins, avec la création d'un numéro vert national et d'antennes médicales de lutte contre le dopage (AMLD) dans chaque région. Le numéro vert permet d'offrir au sportif un premier contact informel et anonyme avec des psychologues et des médecins, les antennes médicales assurant ensuite un suivi plus adapté.

Par ailleurs, des conventions d'objectifs sont signées par le ministère et les fédérations sportives nationales afin de définir les actions de prévention devant être menées dans les clubs et les modalités de leur évaluation. Le lien entre le ministère et les fédérations est assuré par la présence auprès de ces dernières, tant au niveau national qu'aux échelons régionaux, d'environ 1 600 cadres techniques sportifs (CTS) généralement recrutés parmi des professeurs de sport et chargés de coordonner l'action des bénévoles et éducateurs intervenant dans les clubs.

Si ce dispositif de prévention contre le dopage et la toxicomanie en milieu sportif est relativement complet et touche un public très large, certaines limites méritent toutefois d'être mentionnées. Tout d'abord, cela a déjà été évoqué, la consommation par des sportifs particulièrement renommés de produits dopants ou stupéfiants contredit l'exigence d'exemplarité qu'ils devraient respecter. D'autre part, le fait qu'un nombre très important de sportifs ne soit licencié dans aucun club rend leur approche difficile.

En outre, la formation des différents acteurs est parfois déficitaire, soit le plus souvent qu'elle n'existe pas pour l'importante proportion de bénévoles encadrant des jeunes dans des clubs, soit qu'elle demeure encore insuffisante ou rapidement inadaptée à l'évolution des produits pour de nombreux éducateurs. M. Jean-François Lamour, ministre des sports, a reconnu lors de son audition par la commission que l'évolution de plus en plus rapide des produits et procédés dopants, ainsi que des procédures liées à leur dépistage, constituait « la grande difficulté » , l'information et la formation destinées aux dirigeants, bénévoles et éducateurs de clubs devant sans cesse être réinitialisée.

M. Michel Boyon, président du CNLD, a de son côté souligné devant la commission la difficulté qu'il y avait à garantir l'impact des messages de prévention à l'égard des jeunes, mais aussi des sportifs de haut niveau : « Le message sur le risque pour la santé, le risque immédiat et le risque à terme passe mal. En effet, quand on a 18 ans, les risques que l'on court vingt ans plus tard paraissent bien éloignés et bien aléatoires. De même, le message sur la tricherie passe chez ceux qui ont envie de l'entendre et non pas chez les autres ».

M. Jean-François Lamour, a déclaré à la commission vouloir amplifier les actions de prévention menées dans le cadre de son ministère. Sera ainsi lancée une campagne de communication destinée à inciter les sportifs à utiliser davantage les structures mises en place, dont les activités seront évaluées. Des actions de sensibilisation au sein du ministère des sports (centres régionaux d'éducation populaire et de sport -CREPS- et Institut national du sport -INSEP-) devraient être menées en partenariat avec la MILDT. Un plan quinquennal de formation initiale et continue des cadres techniques sportifs sera initié et concernera tout particulièrement les conduites à risque.

3. La faiblesse du dispositif Santé et affaires sociales

Au niveau national, ce dispositif repose sur la coopération entre différents acteurs : les deux ministères concernés, la MILDT, l'INPES et l'OFDT, qui élaborent en concertation les stratégies de communication et de soutien aux acteurs de la prévention.

Au niveau déconcentré, les structures susceptibles d'intervenir sont multiples :

- les comités régionaux et départementaux d'éducation à la santé (CRES et CODES), démembrements sur le terrain de l'INPES, mènent des actions de proximité en matière de prévention et d'information ;

- les centres d'information sur les drogues et les dépendances (CIRDD), d'envergure régionale ou interdépartementale et s'appuyant à ce titre sur les CRES et les CODES, destinés essentiellement à soutenir techniquement les acteurs institutionnels et les professionnels mettant en oeuvre des actions locales de prévention ;

- les centres spécialisés de soins pour la toxicomanie (CSST) peuvent participer à des actions de prévention primaire et secondaire dans le champ des addictions ;

- les points d'accueil écoute jeunes (PAEJ), dispositif phare du ministère en matière de prévention de terrain, qui a pour objectif de capter des publics jeunes, éloignés des institutions plus classiques et particulièrement démunis sur le plan social, en fondant leur action sur un principe de prévention globale de la toxicomanie et de la marginalisation ;

- les services de prévention des organismes d'assurance maladie ainsi que ceux des mutuelles ;

- des associations locales souvent rattachées à des organisations « têtes de réseau » (Association nationale des intervenants en toxicomanie -ANIT-, Association nationale pour la prévention de l'alcoolisme -ANPA-, associations intervenant en milieu festif, telle que Médecins du monde...).

Outre le fait, déjà évoqué, que cette multiplicité d'acteurs ne s'inscrit dans aucune stratégie globale de prévention en matière de santé et que les interventions se font donc la plupart du temps sans coordination, il apparaît surtout que les différents dispositifs mis en oeuvre, notamment au niveau local, souffrent d'une insuffisante envergure et d'un manque de moyens matériels, humains et financiers.

Interrogé à ce sujet par la commission, le professeur Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé, a déclaré que « très clairement, notre pays souffre d'un manque de moyens de prévention de santé publique au niveau local » , indiquant que « les actions sur le terrain sont très faibles, quelques millions d'euros chaque année, pour l'ensemble du pays ». Les données financières du dispositif santé en matière de prévention de la toxicomanie sont d'ailleurs difficilement identifiables en raison de l'empilement des structures et du nombre importants de financements croisés.

Par ailleurs, il n'existe pas de réel suivi des différents dispositifs mis en place ni d'instruments permettant d'évaluer l'impact de leurs actions en matière de prévention. Le docteur Abenhaïm a particulièrement insisté sur ce point en soulignant que « notre pays souffre très clairement d'un manque de moyens important dans le domaine de l'évaluation ». En effet, la France ne possède pas ou presque de formation dans ce domaine (existe une seule école de santé publique, certes de haut niveau, mais de très petite taille), contrairement aux pays anglo-saxons. Très fréquemment, les institutions publiques souhaitant lancer des programmes d'évaluation sont contraintes de faire appel à des structures privées qui sont toujours les mêmes et le plus souvent débordées.

4. Le dispositif Sécurité routière : des carences en partie provisoires ?

Les dangers de la drogue au volant n'ont pas donné lieu jusqu'à présent à des actions spécifiques de communication au titre de la sécurité routière, ce que le ministère explique par la difficulté encore récente à obtenir des experts une position unanime et claire sur le sujet. Cette attitude pourrait toutefois se trouver modifiée lorsque sera achevée et rendue publique l'étude épidémiologique initiée concomitamment à l'adoption de la loi Gayssot du 18 juin 1999 et menée par l'OFDT 99 ( * ) , qui recense et analyse tous les cas de dépistage de stupéfiants effectués chez des conducteurs de véhicules automobiles impliqués dans des accidents mortels de la circulation, et dont les premiers résultats seront disponibles à la fin de cette années.

Le Conseil national de la sécurité routière, qui ne s'est réuni il est vrai qu'à trois reprises depuis sa création en octobre 2001, et le Comité interministériel à la sécurité routière n'ont pas ajouté de mesures ou d'observations particulières en ce qui concerne la conduite sous l'influence de stupéfiants, compte tenu des dispositions récentes de la loi dite Dell'Agnola du 3 février 2003 100 ( * ) en la matière.

La Délégation interministérielle à la sécurité routière a néanmoins suscité diverses initiatives ayant pour thème la drogue au volant. On peut ainsi citer le livre blanc de 1996 sur la sécurité routière, les drogues licites ou illicites et les médicaments, ainsi que le rapport de l'Institut national de recherche et d'étude sur les transports et la sécurité (INRETS) de juillet 2002 sur la conduite automobile, les drogues et le risque routier.

Si la faiblesse des actions de prévention concernant la conduite sous l'influence de stupéfiants devrait se résorber lorsque le dispositif normatif et scientifique l'encadrant aura été totalement finalisé, reste le problème important du thème des stupéfiants dans la formation aux permis de conduire. Le programme national de formation à la conduite stipule que les élèves conducteurs doivent avoir des « notions sur d'autres intoxications que l'alcool telles que : tabac, drogues, médicaments ». Cette mention ne semble toutefois déboucher que sur peu de résultats pratiques, les notions relatives aux produits psychoactifs n'étant que très accessoirement abordées dans la formation des apprentis conducteurs.

Enfin, constitue un sujet de préoccupation l'usage par les conducteurs automobiles de médicaments ayant des effets psychoactifs , qui n'entre pas dans le champ du dispositif législatif, alors que ses effets peuvent être redoutables en termes de sécurité routière, et dont la réglementation semble inadaptée. Cette dernière prescrit en effet aux fabricants de médicaments d'indiquer clairement sur ceux de leurs produits ayant des effets psychoactifs avérés les dangers qui y sont liés en termes de conduite d'un véhicule. Or, l'un des intervenants auditionnés par la commission a remarqué que cette mesure était inefficace en pratique dans la mesure où les fabricants de médicaments ont, par précaution, porté systématiquement une telle indication sur l'étiquette de leurs produits.

5. L'éducation nationale : la grande absente de la prévention

Si chacun des grands acteurs institutionnels de prévention en matière de drogues connaît des insuffisances, c'est sans doute l'éducation nationale qui en présente le plus, au regard notamment des attentes importantes pesant légitimement sur elle en ce domaine. Une grande unanimité s'est dégagée chez l'ensemble des personnalités auditionnées pour constater les lourdes carences du ministère en matière de prévention de la toxicomanie, face au développement préoccupant du problème des drogues en milieu scolaire.

D'une façon générale, l'OFDT indique dans son rapport d'évaluation sur le plan triennal 1999-2002 de la MILDT que « selon des informations parcellaires mais concordantes, l'éducation pour la santé dans les établissements scolaires n'a pas particulièrement pris son envol au cours du plan triennal et les actions de prévention globalisantes sur les substances psychoactives y sont restées minoritaires, liées à des initiatives quasi individuelles ».

Cette carence apparaît particulièrement inacceptable dans la mesure où l'école est devenue aujourd'hui incontournable dans la thématique des dépendances aux drogues , d'une part en ce qu'elle constitue l'un des lieux les plus concernés par l'usage et le trafic de produits stupéfiants, et d'autre part en ce que les populations qui la fréquentent devraient constituer un public prioritaire pour des actions de prévention.

a) Une présence très importante des drogues dans les établissements scolaires ayant des effets nocifs sur les élèves
(1) La consommation et le trafic de drogues à l'école : un secret de polichinelle

La drogue, ce n'est un secret pour personne, circule et est consommée dans les établissements scolaires, que ce soit dans les collèges ou les lycées, et même parfois dans les écoles primaires. Ainsi, a indiqué devant la commission Mme Lucile Rabiller, membre conseiller de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, « la consommation est importante, même à l'intérieur des établissements scolaires. Elle concerne les enfants de plus en plus jeune et l'achat de ces produits est extrêmement facile (...). Quand on interroge les enfants et les copains ou les jeunes que l'on connaît sur la présence de drogues dans les lycées, ils répondent généralement que c'est une réalité et une banalité étonnantes et que, dans les cours des lycées, on roule des pétards à la récréation ».

Mme Marie-Christine d'Welles, fondatrice de l'association Enfance sans drogue et présidente de l'Observatoire de la psychiatrie, a également, dans une forme il est vrai excessive, attiré l'attention de la commission sur l'importance du problème des drogues à l'école, déclarant que « la drogue est partout, dans les collèges et les lycées, et les enfants en sont envahis », ajoutant qu'« il suffit de tendre la main pour s'en procurer ». Elle a expliqué que le commissaire de police de Meudon lui avait indiqué estimer « à 70 % ceux qui touchent à la drogue dans les établissements scolaires ».

On rappellera à cet égard les chiffres déjà évoqués sur la prévalence des drogues auprès des jeunes. Tous produits (licites et illicites) confondus, il apparaît selon l'enquête Espad que la quasi totalité (92 %) des jeunes a consommé une substance durant sa vie. En ce qui concerne les drogues licites, la majorité des élèves âgés de 14 à 19 ans a pris de l'alcool (86 %) ou du tabac (78 %). Par ailleurs, un nombre important d'élèves (35 %) a déjà expérimenté à la fois le tabac, l'alcool et le cannabis.

En ce qui concerne les drogues illicites, c'est évidemment le cannabis qui arrive en tête : un lycéen sur trois avoue en avoir essayé et 15 % en consomme régulièrement, une majorité le considérant comme moins dangereux que le tabac ou l'alcool. Quant aux autres substances illicites, certaines sont essayées par plus de 10 % des élèves (tranquillisants ou somnifères hors prescription médicale et produits à inhaler), d'autres par moins de 5 % (par ordre d'importance : champignons hallucinogènes, ecstasy, amphétamines, cocaïne, crack, LSD, héroïne, stéroïdes anabolisants).

Quant au trafic, 741 dealers ont été arrêtés en 2002 dans les établissements scolaires, chiffre ne représentant en réalité qu'une infime partie de ceux pratiquant de telles activités en milieu scolaire . « Les dealers sont dans les cours elles-mêmes », a indiqué à cet égard Mme Edwige Antier, pédiatre, lors de son audition. « Tous les jeunes avec lesquels je parle », a t-elle ajouté, « me disent que le cannabis se vend à l'intérieur de l'établissement scolaire, dans la cour, et qu'on leur en propose ».

L'usage et le trafic se répandent dans tous les types d'établissements, « qu'ils soient classés en zone sensible, que ce soient des établissements chics de centre-ville ou des établissements ordinaires », et se développe « dans tous les milieux », a indiqué Mme Rabiller, ce qu'a confirmé M. Faride Hamana, secrétaire général de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) en soulignant qu'« aucun collège et aucun lycée ne sont épargnés » et que « tous les milieux sociaux sont concernés ».

(2) Les élèves : des cibles particulièrement vulnérables

La fragilité physique et psychique des jeunes adolescents rend souvent désastreuse la consommation de produits stupéfiants, tant sur leur santé, problème déjà évoqué, que sur leurs résultats scolaires. M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, a ainsi rapporté devant la commission que « ce sont parfois près de 10 % des élèves ou plus, appartenant aux dernières classes du secondaire, qui ont une consommation intensive pouvant aller jusqu'à de nombreuses prises journalières et entraînant chez eux des pertes mnésiques et de motivation, susceptibles de les conduire à un échec scolaire qui (...) sera l'antichambre de l'exclusion ».

M. Bouchet a indiqué que les policiers spécialisés dans la prévention en milieu scolaire se voyaient souvent expliquer par les enseignants qu'ils reconnaissent les élèves « qui prennent du cannabis parce qu'ils se fichent de tout » et ceux « qui ont pris de l'ecstasy pendant le week-end parce qu'ils ne commencent à émerger qu'à partir du mercredi ou du jeudi ». Il a ajouté que le coût qu'implique une forte consommation (dépenses mensuelles souvent supérieures à 400 euros) « constitue, à lui seul, une des explications de la violence que connaît la vie scolaire (racket, recels et trafics divers) ».

Le lien entre consommation de drogues, notamment de cannabis, et échec scolaire, semble bien établi aujourd'hui . Le ministère de l'éducation nationale rapporte en ce sens que les élèves ayant de mauvais résultats scolaires sont nettement plus nombreux que les « bons » ou les « moyens » à consommer régulièrement du tabac, de l'alcool ou du cannabis. Il indique par ailleurs que les jeunes qui n'aiment pas l'école sont nettement plus nombreux que les autres à consommer régulièrement, quel que soit le produit envisagé. Quant à l'absentéisme scolaire, les élèves concernés sont nettement plus nombreux que les autres à consommer régulièrement des produits stupéfiants, la relation étant surtout marquée avec le tabagisme régulier et la consommation régulière de cannabis.

Mme Edwige Antier a insisté devant la commission sur cette relation entre consommation de cannabis et échec scolaire, qui selon elle « saute aux yeux », en l'expliquant de la façon suivante : « À partir du moment où l'enfant entre au collège et se sent en difficulté, il aura plus tendance à être en révolte, à transgresser et donc à fumer des joints ; de plus, quand il fume, (...) il se lève tard, il n'a plus ses facultés de concentration et ses résultats baissent. Dans les deux sens, c'est donc absolument évident ».

b) Des instruments de prévention rares, sous-utilisés et inefficaces
(1) Les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) : des structures de papier

Initiés en 1990 en tant que comités d'environnement social, les CESC 101 ( * ) devaient constituer la structure centrale initiant et fédérant l'ensemble des actions de prévention menées dans les écoles et établissements scolaires publics, primaires comme secondaires, d'enseignement général comme d'enseignement professionnel. A cet effet, ils regroupent l'ensemble des intervenants concernés, qu'ils ressortissent de l'établissement scolaire (équipe de direction, enseignants, élèves, surveillants, médecins et infirmières scolaires ...) ou qu'ils lui soient extérieurs (parents d'élèves, policiers, gendarmes, magistrats, responsables d'associations ...). Cofinancés par la MILDT et l'éducation nationale depuis 1995, les CESC s'inscrivent dans le cadre des projets d'établissement et fonctionnent souvent en réseaux.

Ils ont pour objectif d'adopter une approche globale des difficultés rencontrées par les jeunes. Si la prévention de la violence constitue à ce titre leur premier axe d'orientation, la prévention des dépendances et des conduites à risques constitue le second axe prioritaire défini par les académies, les autres axes présentant chacun des aspects rattachables au problème des drogues (assurer le suivi des jeunes dans et hors l'école, aider les élèves souffrant de mal-être, renforcer les liens avec les familles, soutenir les acteurs de la lutte contre l'exclusion).

Si leur mise en place par le chef d'établissement n'est pas formellement obligatoire, la très grande majorité des établissements s'en est aujourd'hui dotée (selon les chiffres du ministère de l'éducation nationale, presque les trois-quarts des établissements du second degré en posséderaient en 2002), même si subsistent de grandes disparités entre les académies (le nombre d'établissements dotés d'un CESC se situant dans une fourchette allant de 43 % à 100 %).

Si les CESC réunissaient donc « sur le papier » tous les critères pour devenir les « fers de lance » de la prévention des risques addictifs en milieu scolaire, force est de constater qu'il en a été fort différemment dans la pratique . Mme Lucile Rabiller a ainsi déclaré à la commission que ces comités « n'existent trop souvent que sur le papier » et que « même quand ils ont été mis en place, ils ont très peu fonctionné ». Le docteur Léon Hovnanian a fait un constat similaire en déplorant que « la majorité d'entre eux n'existe que sur les statistiques ministérielles ».

De nombreuses raisons, répertoriées et développées dans un récent rapport parlementaire de mission 102 ( * ) , expliquent cette stérilité des CESC, quel que soit d'ailleurs le domaine d'action considéré. La plus importante est sans doute la faible, voire inexistante implication des acteurs a priori les plus concernés : enseignants, élèves et parents. Si le rapport se félicite de la forte implication des non enseignants (chefs d'établissements, conseillers principaux d'éducation, médecins, infirmières et assistantes sociales), il déplore en revanche le peu d'implication des enseignants, tout en reconnaissant qu'elle provient en grande partie de leur lassitude de s'être souvent fortement engagé de façon bénévole (la présence dans les CESC n'est ni obligatoire, ni rémunérée, ni intégrée dans le temps de travail) lors de la constitution des comités sans avoir perçu de résultats ni de reconnaissance en retour.

Plus encore que les enseignants, élèves et parents désertent les CESC : les premiers percevraient cette structure comme excessivement technocratique et éloignée de leurs préoccupations concrètes ; quant aux seconds, leur évitement des CESC ne serait qu'un révélateur supplémentaire de leur défiance à l'encontre de l'institution scolaire.

Si cette absence de participation de trois de leurs acteurs clefs décrédibilise dès l'origine leur action, les CESC souffrent également d'autres limites. Les premières sont liées aux rapports entre la MILDT et l'éducation nationale à travers eux : la seconde s'est déchargée de sa mission de prévention des dépendances en la déléguant à une structure externe à son administration qui risquerait de la « satelliser » ; les messages des deux structures ne se recoupent pas totalement (préventif pour l'une, éducatif pour l'autre) et provoquent des tensions dans la définition des approches à retenir ; existe une autocensure des projets élaborés dans les CESC pour obtenir la validation et surtout le financement de la MILDT ; l'articulation entre le niveau départemental des chefs de projet et le niveau académique des coordonnateurs de CESC se fait très difficilement ...

Les secondes limites des CESC les concernent plus spécifiquement : ils sont très rapidement dépassés et ne peuvent faire face lorsque les problèmes de dépendance ou de violence deviennent trop intenses ; ils n'ont aucun moyen de contact avec les jeunes en marge du système scolaire ou ayant quitté l'école ; ils ne possèdent que très rarement des indicateurs permettant d'évaluer l'impact des actions qu'ils mènent ; leur création est souvent interprétée comme révélatrice de problèmes sociaux et peut donc stigmatiser les établissements les accueillant...

(2) La diffusion de publications sur les conduites addictives au contenu discutable

Depuis 1999, la direction de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale a diffusé, en partenariat avec la MILDT, une nouvelle collection de guides destinés à la communauté indicative intitulée « Repères pour la prévention des conduites à risques dans les établissements scolaires » et « Repères pour la prévention des conduites à risques à l'école élémentaire ».

Par ailleurs, et toujours en partenariat avec la MILDT, l'éducation nationale a publié en novembre 1999 deux Bulletins officiels hors-série intitulés « Repères pour la prévention des conduites à risques », l'un constituant un guide pratique et l'autre un guide théorique.

Or, ces différentes publications, outre le fait qu'elles sont d'un abord formel parfois peu accessibles, se réfèrent exclusivement à la « philosophie » développée par la MILDT et déjà largement évoquée. « Bien plus que les caractéristiques intrinsèques de chaque produit » , indique l'ancienne présidente de la MILDT, Mme Nicole Maestracci, dans l'un des guides, « c'est le mode d'usage, le comportement de chaque individu, sa vulnérabilité propre, ses motivations à consommer, les conduites à risque associées, qui vont déterminer le risque et le danger ». Mme Maestracci préconise de ce fait « des programmes fondés sur les motivations à consommer qui distinguent l'usage, l'usage nocif et la dépendance ».

Allant plus loin dans cette direction, l'un des B.O. invite à conduire une réflexion avec les adolescents « sur ce qui relève d'une prise de risque acceptable » et insiste sur la nécessité d'intervenir en cas de conduite addictive « tout en permettant les expérimentations nouvelles à cet âge en en valorisant les qualités, et en y reconnaissant les signes de la fin de l'enfance », ce qu'il qualifie de « paradoxe à mille lieues des stigmatisations uniquement négatives ou des surdités et aveuglements reflétant nos incapacités à les reconnaître ».

« En ne proposant pas de prises de risques aux adolescents » poursuit le bulletin, en ne leur octroyant pas de valeur ajoutée en terme de reconnaissance (...), nous risquerions d'être des incitateurs à la prise de risques et de conduire les mineurs à des dangers plus grands ».

Autrement dit, et traduit du jargon inimitable de la rue de Grenelle, si beaucoup de risque rapproche du danger, un peu en éloigne !...

Après avoir précisé que le cannabis n'est pas neurotoxique et représente moins de risques que l'héroïne, l'alcool ou le tabac, et recensé les divers produits psychoactifs en passant sans autre précision de la cocaïne et de l'héroïne aux infusions et médicaments à base de plantes, le Bulletin officiel indique par ailleurs avec quelque provocation que « ce qui est interdit correspond à ce qu'à une époque donnée, une société juge dangereux, quoi que certains en pensent. La loi est le reflet de ce que les représentants des citoyens estiment nécessaire d'interdire. Si on l'estime inadéquate, il est possible, en démocratie, de saisir son député, de voter, et pourquoi pas de chercher à la changer en se faisant élire député ».

De là à inciter à la dépénalisation des drogues, il n'y a qu'un (petit) pas...

(3) Une formation inexistante des personnels

A quelques nuances près selon la nature des fonctions (les personnels de santé scolaire, les professeurs de sciences de la vie et de la terre), la plupart des personnels intervenant en milieu scolaire souffre d'un déficit chronique de connaissances sur les problèmes de drogues et les conduites à risques.

« Pour être intervenue personnellement dans un établissement où la drogue existait », a rapporté devant la commission Mme Rabiller, « je peux vous dire que les conseillers principaux d'éducation, les proviseurs et autres ne connaissent pas bien le sujet. De ce fait, ils évitent d'en parler ou, quand on leur en parle, ils ne répondent pas ou ils disent que cela n'existe pas. Il faut donc prendre en compte cette méconnaissance ».

Afin d'améliorer le niveau de connaissance des intervenants concernés, la MILDT et l'éducation nationale ont organisé plusieurs séminaires destinés aux personnels de service social, médical et infirmier ainsi qu'aux personnels d'inspection, de direction, d'éducation et d'enseignement. Ont ainsi eu lieu plusieurs stages inter académiques en 1998 et en 2000 ainsi que des Rencontres éducatives sur la santé en 2001. Cependant, ces cessions de formation semblent avoir posé plus de problèmes qu'elles n'en ont résolus.

Le bilan des stages inter académiques traduit le regret des stagiaires de ne pas avoir approfondi certains points pourtant cruciaux, tels que l'acquisition d'une culture commune par des personnels appartenant à toutes les catégories de l'éducation nationale (ce qui constituait tout de même l'axe prioritaire du programme triennal en matière de communication), la lisibilité de la politique de prévention, l'appropriation d'outils adaptés ou l'enrichissement des connaissances à travers des contributions d'experts.

Quant aux Rencontres éducatives pour la santé , elles ont fait apparaître la fréquente méconnaissance de la circulaire de 1998 les instituant 103 ( * ) et le fait que la notion même de rencontres éducatives semble peu, voire pas du tout intégrée par les personnels de l'éducation nationale dans leur ensemble.

Ont par ailleurs été mis en place des séminaires nationaux de formation interministérielle en 2000, 2001 et 2003, qui apparaissent également d'une ampleur limitée : rares (une à deux fois par an), courts (deux ou trois jours chacun), ouverts à un public restreint (100 à 200 personnes pour tout le territoire national) et surtout destinés uniquement aux responsables interministériels aux niveaux national et local.

Enfin, et c'est sûrement le point le plus préoccupant, le ministère reconnaît lui-même que « peu de formations ont été assurées dans les académies dans le cadre du plan d'aide à la formation en direction des enseignants », aucun exemple n'étant par ailleurs cité. Si des efforts ont été fournis au niveau interministériel, avec toutefois les limites importantes précédemment évoquées, il semble donc qu'il n'y ait rien de fait, ou presque, en termes de formation à l'attention du corps enseignant . Carence d'autant plus préoccupante que c'est à certains de ses membres que revient, ou plutôt que devrait revenir la responsabilité d'assurer sur le terrain l'éducation des élèves aux risques d'addiction.

Cette quasi inexistence de programmes de formation continue consacrés aux problèmes des drogues et de la prévention des conduites à risques dans leur ensemble n'est nullement compensée par l'introduction de modules y faisant référence dans les écoles de formation des enseignants. « En ce qui concerne les IUFM », a reconnu devant la commission le ministre délégué à l'enseignement scolaire M. Xavier Darcos, « il est vrai qu'il n'y a pas de formation systématique à toutes ces questions pour la bonne raison que les IUFM sont généralistes et qu'il n'est pas certain que nos futurs professeurs se retrouveront dans des situations d'avoir à en connaître finalement ». Bien que le pire ne soit jamais certain, il n'est pas excessif de voir dans ces propos un certain excès d'optimisme.

(4) Un dispositif de prévention sanitaire et social inadapté en raison de la faiblesse de ses moyens

Si le personnel soignant des établissements scolaires aurait, par la nature même de ses activités et de sa formation, naturellement compétence pour intervenir dans le domaine des conduites à risque, tant en ce qui concerne la prise en charge sanitaire que la prévention de ce type de conduites, son investissement en ce domaine semble loin d'être celui que l'on pourrait légitimement escompter.

Cette carence est plus généralement liée au manque de moyens dont souffre la médecine scolaire dans son ensemble. La réduction des postes de médecins scolaires et le nombre notoirement insuffisant d'infirmières scolaires par établissement rendent en effet nécessaire un appel croissant à des vacations extérieures, les personnels soignants n'ayant plus assez de temps ni de moyens à consacrer à la prévention et à la prise en charge des conduites à risque.

C'est ainsi qu'un élève n'aura au mieux que trois contacts avec la médecine scolaire, au cours de la période de scolarité obligatoire, dans le cadre des examens de santé en principe obligatoires (sauf s'il est amené à consulter à d'autres reprises pour des motifs de santé personnels). Ces rencontres aussi brèves qu'épisodiques ne peuvent naturellement pas constituer le support d'actions d'information sur les dangers encourus en cas d'usage de drogues.

c) Des enseignants peu concernés

Sans aller jusqu'à considérer comme révélateurs les cas, certes rares mais néanmoins existants, d'enseignants convaincus d'usage de substances illicites au vu, voire en compagnie de leurs élèves, il est légitime de se demander si, pour des raisons liées à l'histoire contemporaine (mai 68 notamment), une certaine partie de la communauté éducative ne ferait pas preuve d'une complaisance implicite, ou d'une indifférence rapidement interprétée dans le même sens par les élèves, à l'égard de la consommation des drogues dites « douces », et notamment du cannabis.

C'est ce que semble sous-entendre le Bulletin officiel de l'éducation nationale consacré à la prévention des conduites à risques. Exposant le cas d'un lycée « de bonne réputation » où la consommation et le trafic de drogues se sont multipliés, il explique que la réaction des personnels enseignants les divise en trois groupes : le premier réclame avec véhémence une réponse policière immédiate et musclée, le deuxième ne s'estime pas concerné par un problème qu'il considère comme relevant des parents et de la société et le troisième refuse toute attitude répressive au motif que « la faute n'est pas si grave que cela » et que « le haschisch est un élément de la culture des jeunes d'aujourd'hui, le tabac ou l'alcool (étant) bien plus nuisibles ».

Interrogé sur ce point par la commission, le ministre de l'éducation nationale, M. Luc Ferry, ne s'est pas prononcé de façon catégorique. Il a néanmoins reconnu que « pour dire les choses très franchement », il n'avait « jamais entendu parler de cannabis ou d'herbe (dans les établissements scolaires) avant 1968 », analysant cette époque comme ayant paradoxalement « livré les individus à l'univers de la consommation et à l'univers marchand » dont la forme paroxystique résiderait dans l'usage de drogues, « quintessence de la logique de la consommation (...) puisque c'est la consommation à l'état pur ».

De la même façon, tout en précisant qu'il ne fallait pas généraliser « pour ce qui est des mentalités profondes de nos enseignants face à la consommation de cannabis en particulier », le ministre délégué à l'enseignement scolaire, M. Xavier Darcos, a reconnu devant la commission que « toute une génération d'enseignants est arrivée (...) dans les années 1970 » et que « de ce point de vue (...), il y a eu une imprégnation mentale un peu de cette époque ». Indiquant que cette génération d'enseignants partirait à la retraite dans les prochaines années, M. Darcos a précisé que ce « renouvellement qui se dessine (...) permettra de faire évoluer les mentalités » en recrutant « des jeunes gens, de futurs professeurs qui auront une mentalité (...) beaucoup plus consciente de l'évolution récente des évènements ».

Au total, la commission d'enquête estime que l'attitude de l'éducation nationale à l'égard des drogues résulte plus du système que des personnels enseignants eux-mêmes.

d) Des actions de prévention « sous-traitées » aux acteurs extra scolaires

En l'absence de modèle de dispositif de prévention s'imposant à l'ensemble des établissements, les actions préventives sont laissées aux initiatives locales des équipes administratives et pédagogiques . Or, celles-ci se sentant globalement peu concernées par le problème de la prévention des conduites à risques, elles ont très fortement tendance à en sous-traiter la gestion à des intervenants extérieurs au milieu scolaire, qu'ils soient institutionnels ou associatifs.

Dans le guide « Repères » consacré à la lutte contre la drogue et à la prévention des dépendances en milieu scolaire, l'ancienne présidente de la MILDT, Mme Nicole Maestracci, indique très clairement, après avoir souligné que la prévention dans les établissements scolaires ne devait pas se faire « au petit bonheur la chance », qu'aujourd'hui « la majorité des intervenants est issue de la police ou de la gendarmerie », ces deux administrations ayant « occupé un terrain laissé vacant par les autres intervenants, qui n'étaient pas forcément disponibles pour cela ».

Ce constat voilé de démission des personnels enseignants dans la conduite d'actions de prévention pose naturellement « la question de la création de professionnels spécifiquement dédiés à la prévention » reconnaît Mme Maestracci, qui ajoute que « la politique reste très largement fondée sur le volontariat des acteurs, qu'ils soient internes ou externes à l'éducation nationale ». Aussi compétents et méritoires soient les personnels de police et de gendarmerie ou les responsables associatifs amenés à intervenir en milieu scolaire, ils ne constituent pas en effet des professionnels de la prévention dans le domaine des drogues et des conduites à risques, capables d'envisager l'ensemble des problématiques et des enjeux qui y sont liés et de transmettre un message de prévention adapté aux publics adolescents en milieu scolaire.

6. Les parents : des partenaires prioritaires largement oubliés

Trop longtemps l'importance des parents et, plus largement, de la famille a été ignorée dans la démarche de soins envers les jeunes toxicomanes ou même les « simples » usagers. M. Pierre Cardo, député-maire de Chanteloup-les-Vignes, a très longuement insisté sur la démission des structures publiques locales à leur égard. « Nous n'allons plus dans les familles. La présence sociale dans les familles des quartiers difficiles est un voeu pieux et cela fait des années qu'on n'y met plus les pieds » a t-il regretté devant la commission, ajoutant que « vu la distance qui est mise par rapport aux familles, celles-ci n'auront de l'aide que lorsqu'elles connaîtront un gros problème ».

Ce constat n'est pas valable uniquement pour les familles des quartiers difficiles. Interrogée par la commission sur le degré de connaissance général des parents d'élèves en matière de drogues, Mme Lucile Rabiller, membre conseiller de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, a reconnu qu'il était « très faible, d'autant plus que les opinions sont très variables et que ce qu'on entend à droite et à gauche est très contradictoire ». Elle a expliqué que les parents d'enfants utilisant des drogues n'osent pas le plus souvent aborder le sujet avec eux et ne savent pas vers quelles structures se tourner.

Le docteur Edwige Antier, pédiatre, a porté un regard similaire sur l'attitude des parents, indiquant qu'il y avait de leur part « un déni pendant des mois et des mois, voire pendant des années ». Elle a expliqué que le jeune adolescent commence souvent par fumer des cigarettes, « auquel cas les parents considèrent qu'ils n'y peuvent rien (...) et ils passent des compromis », avant d'expérimenter le cannabis dont il camoufle la fumée en mettant des baguettes d'encens dans sa chambre, les parents faisant semblant de ne pas s'en apercevoir de peur de ne savoir quoi faire ou bien banalisant l'acte.

Mme Nadine Poinsot, présidente de l'association Marilou, a renchéri en ce sens en regrettant devant la commission « la démission de certains parents qui ne savent plus quelle position éducative il faut avoir ». Mme Poinsot l'a expliqué par des facteurs socio-historiques, indiquant qu'« il est possible que ce soient des parents de 1968 qui, eux, ont été éduqués « à la dure », qui n'osent plus reproduire ce schéma certes un peu rigide et qui sont devenus, pour le coup, un peu trop laxistes ».

Le ministre de l'intérieur, M. Nicolas Sarkozy, a reconnu lors de son intervention devant la commission que les parents, « malgré l'importance de leur mission éducative, ont été les grands oubliés des politiques passées », précisant que « le premier acteur de la prévention n'est pas un fonctionnaire, mais un père ou une mère de famille informé, responsable, concerné et qui doit être soutenu par la collectivité si besoin est ».

Il est d'autant plus regrettable que les parents aient été si insuffisamment sensibilisés aux problèmes des drogues que les relations qu'ils entretiennent avec leurs enfants sont souvent, malgré eux, à l'origine des problèmes de dépendance  : en effet, si l'on cherche à connaître les raisons de conduites à risques des usagers, dans la plupart des cas, « on tombe sur un problème éducationnel, directement lié à l'ambiance familiale qu'ils ont connue et donc aux parents », a expliqué le docteur Francis Curtet devant la commission, avant d'ajouter qu'« il faut centrer toute la prévention sur les parents, chose que l'on a oublié de faire depuis des années ».

M. Serge Lebigot, président de l'association France sans drogue, a confirmé l'origine souvent familiale des problèmes d'addiction chez les adolescents. Il a ainsi indiqué à la commission avoir constaté « en leur posant la question, que de nombreux jeunes sont souvent sous l'emprise du cannabis du fait de problèmes relationnels. Soit la famille est déstructurée, soit ils n'ont plus aucun contact avec elle, soit l'enfant ne parle plus à son père ou la fille à sa mère ».

Insuffisamment informés, parfois responsables malgré eux des conduites « déviantes » de leurs enfants, les parents sont pourtant les premiers concernés et les plus sensibles aux problèmes de dépendance. « Les parents sont très préoccupés par ces questions », a ainsi déclaré Mme Rabiller à la commission, ajoutant qu'un sondage effectué en août 2001 par l'Observatoire des parents, instrument de mesure de l'opinion mis en place par sa fédération de parents d'élèves, indiquait que sept parents sur dix plaçaient l'usage de la drogue par leur enfant en tête de leurs soucis.

« Pour les parents », a abondé en ce sens M. Farid Hamana, secrétaire général de la FCPE, « la consommation d'alcool, de tabac, de médicaments psychotropes, de cannabis ou d'autres drogues est toujours une source d'inquiétude, car ces produits ont des effets sur la santé à court terme et à long terme de leurs enfants, leur capacité d'attention scolaire, donc de réussite et surtout l'expression d'un malaise qu'il est parfois très difficile des cerner ».

Les parents et, plus largement, la famille constituent donc un terrain de prévention particulièrement réceptif qu'il serait enfin temps de réinvestir.

* 97 Circulaire du Premier ministre n° 4.692/SG du 13 septembre 1999 relative à la lutte contre la drogue et à la prévention des dépendances.

* 98 Loi n° 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage.

* 99 Loi n° 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs.

* 100 Loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants.

* 101 Constitués en tant que tels par la circulaire n° 98-108 du 1 er juillet 1998 relative à la prévention des conduites à risques et aux comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté.

* 102 L'école citoyenne : le rôle du comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, rapport présenté à Monsieur le Premier ministre par M. Jean-pierre Baeumler, député du Haut-Rhin, janvier 2002.

* 103 Circulaire n° 98-237 du 24 novembre 1998 instituant les Rencontres éducatives sur la santé.

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