2. Des avantages incertains

La commission d'enquête ne peut qu'exprimer son scepticisme sur les améliorations escomptées.

a) En termes de sécurité : la disparition du crime, une utopie

Outre certaines études évoquant un lien entre l'administration régulière de cocaïne et d'amphétamines et des comportements paranoïdes, en conséquence directe de l'action des drogues sur le cerveau, la disparition de la délinquance du fait d'une légalisation des drogues apparaît utopique.

Tout d'abord, la légalisation ne priverait pas les sociétés criminelles des profits déjà accumulés.

De plus, il est illusoire d'imaginer que les trafiquants cesseraient du jour au lendemain leur activité pour devenir des citoyens respectueux de l'ordre et de la loi. Il est certain qu'ils chercheraient une reconversion dans d'autres activités tout aussi lucratives (pédo-pornographie, contrefaçon, trafic d'organes...), voire des braquages. M. Xavier Raufer, criminologue entendu par la commission d'enquête, explique l'augmentation des braquages observée en Espagne dans les années 1980 à la suite de la dépénalisation de l'usage de drogues par la concurrence acharnée entre trafiquants et la nécessité pour ceux évincés de trouver d'autres sources de revenus. L'augmentation des braquages en Ile-de-France ces dernières années résulterait également de la dépénalisation de fait de l'usage de drogues en France.

En effet, l'articulation entre toxicomanie et drogue est loin d'être claire. Bien souvent une carrière criminelle est déjà bien entamée avant que l'individu ne commence à user de stupéfiants. De plus, les gros trafiquants ne sont souvent pas usagers de drogues, comme le soulignait lors de son audition M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS.

En outre, même si les drogues étaient légalisées, il resterait vraisemblablement de quoi constituer un marché noir, notamment si certaines classes d'âge étaient interdites de consommation ou si certaines drogues (comme le crack et les drogues de synthèse) n'étaient pas légalisées.

M. Serge Lebigot, président de l'association France sans drogue, a ainsi souligné lors de son audition que « le cannabis qui avait cours il y a trente ans n'est plus le même aujourd'hui. A l'heure actuelle, on trouve différente sortes de cannabis, en particulier le skunk ou même l'aya, qui tournent à 35 % de THC. C'est pratiquement de la drogue dure. Il serait temps que tous ces gens qui font la promotion de ces drogues en disant que c'est une question de liberté nous disent exactement quel genre de drogue ils vendraient, qui la vendrait et qui la contrôlerait. Cela veut dire que l'Etat serait obligé de contrôler une drogue beaucoup plus forte, ce qui n'arrangerait absolument pas la situation, contrairement à ce qu'ils disent. »

M. Xavier Raufer, criminologue, a par ailleurs indiqué à la commission d'enquête que « Dans les pays souches (les calculs sont encore de l'ONU), c'est-à-dire dans ceux où on cultive la coca et le pavot, il reste 1 % du prix de détail. Cela veut dire qu'en gros, c'est ce que cela coûte et que le reste est du pur bénéfice (...). Ils sont donc capables de diminuer les prix et de mettre sur le marché des produits plus attractifs que ceux du gouvernement. Si vous mettez du cannabis sur le marché, les gens vont se dire qu'ils vont pouvoir acheter du cannabis à la SEITA et des joints officiels ou semi-officiels. A partir de ce moment-là, les trafiquants peuvent mettre sur le marché, et même donner, dans un premier temps (ils l'ont fait quand il a fallu passer de la cocaïne à l'héroïne) du black bombay, par exemple, qui est de la résine de cannabis mélangée avec de l'opium. (...). Si on le mélange avec du tabac, cela produit un effet mille fois plus fort. Je pense donc que si l'on se lance dans cette voie, on risque d'entrer dans une partie de bras de fer et une compétition avec des gens qui sont naturellement dépourvus de tout scrupule. C'est le danger. » Or elle ne pourrait être que biaisée, l'Etat étant tenu par les lois et règlements.

Ainsi que l'a souligné M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, lors de son audition par la commission d'enquête : « dans le domaine des marchés parallèles, je ne vois pas comment on peut réguler un marché illicite ; soit on le légalise, soit on ne le légalise pas. Le danger que je vois dans des situations en demi-teintes, c'est que justement ces situations cachent ensuite des trafics plus graves ».

Enfin, la consommation valide le trafic international.

S'agissant de l'importance du trafic mondial, qui se chiffre en milliards de dollars, M. Xavier Raufer a indiqué que la problématique « dépasse de très loin le fait de laisser en paix des gens qui veulent faire la fête ».

M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, a estimé lors de son audition que « les pays qui ne choisissent pas une politique de réduction de la demande ne peuvent choisir une politique cohérente sur le trafic. En effet, si vous avez le droit de consommer, c'est que vous avez le droit d'acheter quelque part, et c'est donc que quelqu'un a le droit de vendre. C'est la contradiction dans laquelle se trouvent les Pays-Bas. C'est ainsi que de proche en proche, par la consommation, on valide le trafic international » .

Comme l'ont souligné tant M. Yves Bot, procureur de Paris, que M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, l'usage du cannabis comme infraction pénale permet des investigations en matière de trafic et de commercialisation du cannabis. En cas de légalisation, tout ce champ serait en dehors de l'investigation policière et judiciaire.

b) En termes de santé publique

S'agissant du cannabis, une mesure de libéralisation n'a aucune incidence favorable sur la politique de réduction des risques qui vise essentiellement les drogues injectables.

Il n'est pas certain que la prise en charge des toxicomanes dépendants, notamment par voie intraveineuse, soit meilleure. Pour 60 % des personnes s'étant vu prononcer une injonction thérapeutique, il s'agissait d'un premier contact avec les structures de soins. Or une légalisation ferait disparaître cette contrainte de caractère thérapeutique sur les intéressés.

Si l'injonction thérapeutique était contestée par certains médecins qui récusent l'idée de soins sans volontariat du patient, il n'en reste pas moins que sa conception a évolué et qu'elle n'implique plus automatiquement une cure de sevrage. La circulaire du garde des Sceaux du 17 juin 1999 a d'ailleurs souligné que la rupture d'un lien de dépendance était un processus long et chaotique et qu'une réitération de la consommation ne devait pas immédiatement conduire à parler d'échec.

De même, tant la circulaire du garde des Sceaux que celle du ministre de l'intérieur du 11 octobre 1999 ont souligné que les interpellations pour usage ne devaient pas intervenir à proximité de structures de bas seuil ou des lieux d'échanges de seringues, la politique répressive ne devant contrevenir à la politique de réduction des risques. Elle invitait donc les services répressifs à se rapprocher de ces structures afin de trouver des modalités de fonctionnement. De plus, le simple port d'une seringue ne doit plus constituer à lui seul un motif valable d'interpellation. La situation sur le terrain a donc bien évolué, ainsi que l'a confirmé M. Alain Quéant, sous-directeur à la direction de la police de proximité à la préfecture de police de Paris lors de son audition.

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