CHAPITRE II
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RAPPORT RUELLAN : UN STATU QUO PARTAGÉ

Premier des trois rapports à avoir été remis au ministre, le rapport du « groupe sur la gouvernance de l'assurance maladie » 22 ( * ) , embrassait un sujet particulièrement vaste dans un temps record.

Ce groupe, animé par Mme Rolande Ruellan, conseiller maître à la Cour des comptes, avait pour mission d'établir « un état des lieux partagé des relations entre l'Etat et l'assurance maladie » et d'étudier « la nature des missions des différents acteurs de notre système de santé et d'assurance maladie » 23 ( * ) .

A. LES LIMITES DE L'EXERCICE

D'une tonalité peu conclusive, le rapport « sur les relations entre l'Etat et l'assurance maladie » reflète la mission que lui assignait le ministre, celle d'établir « un état des lieux » . Il reste que la possibilité évoquée par la lettre de mission « d'obtenir un certain consensus sur les maux dont souffre notre système » s'est vérifiée sur la base du plus petit dénominateur commun, celui d'une critique en règle du comportement de l'Etat.

1. Une ambition limitée

Le rapport remis le 8 décembre 2002 par Mme Rolande Ruellan est, à bien des égards, atypique.

Il se présente comme le compte rendu de trois séances de travail tenues les 29 octobre, 5 et 13 novembre 2002 dans la perspective d'un achèvement de la mission le 15 novembre 2002. Un délai supplémentaire lui ayant été octroyé, le groupe s'est réuni une quatrième fois, le 26 novembre 2002.

La brièveté des délais qui était impartie au groupe de travail, comme la nature même de sa mission d'établir un « état des lieux », expliquent probablement que le souci du rapport, sinon son « ambition », a été de « restituer fidèlement les positions énoncées par les membres du groupe » 24 ( * ) .

a) L'étape d'un processus

Car le rapport ne constitue, selon les termes mêmes de la lettre de mission, qu'une étape d'un processus. Le ministre souhaitait en effet « s'appuyer sur un tel état des lieux pour appeler l'ensemble des partenaires à présenter au Gouvernement ses propositions de réforme » .

C'est à partir des contributions des acteurs du système de santé et d'assurance maladie, au nombre de 36, que le Gouvernement entendait « mettre en débat les axes d'une nouvelle gouvernance de l'assurance maladie » .

Devant la commission des comptes de la sécurité sociale du 15 mai 2003, le ministre, exhortant les « retardataires » à répondre dans les plus brefs délais à cet « appel à contribution », annonçait son « intention de livrer à la réflexion et à l'examen des acteurs, dès le mois de juillet, donc avant la trêve du mois d'août, de grandes orientations arrêtées au vu des propositions reçues. Ouvertes à la concertation dès la rentrée de septembre, elles formeront la base d'un projet de loi sur la gouvernance qui sera déposé au Parlement avant le mois de décembre 2003 » 25 ( * ) .

b) Les aléas de la démarche

Au regard du contexte et de la méthode retenue, la « synthèse des réflexions du groupe » 26 ( * ) que constitue le rapport ne peut relater que la position « des membres du groupe qui se sont exprimés » 27 ( * ) .

Il semble à cet égard que les partenaires sociaux aient été parmi les intervenants les plus diserts.

A contrario , le rapport qualifie, au détour d'un paragraphe, MG-France de « seul syndicat de médecins actif dans le groupe » et note au demeurant la « totale superposition » des positions exprimées par ce syndicat et celles de la CNAMTS, s'agissant des relations conventionnelles.

Mme Rolande Ruellan confirmait devant votre commission que le groupe avait « pâti de l'absentéisme des professions de santé » 28 ( * ) , tout en considérant que des délais de travail extrêmement courts n'avaient pas permis à certains membres de se rendre disponibles.

En outre, si l'on comprend la difficulté que peut rencontrer l'« Administration » à s'exprimer es qualité, il reste que l'analyse des « relations entre l'Etat et l'assurance maladie » peut apparaître déséquilibrée en l'absence de toute intervention, ne serait-ce qu'historique, technique ou factuelle, de représentants de l'Etat, c'est-à-dire dans le silence de l'une des deux parties.

Devant votre commission, Mme Rolande Ruellan constatait ainsi : « L'Etat a participé à nos réunions, mais est resté muet face aux attaques assez vives formulées à son égard » 29 ( * ) .

Composition du groupe de travail animé par Mme Rolande Ruellan (1)

1 - Caisses nationales

-  CNAMTS

M. SPAETH, président

- CANAM

M. QUEVILLON, président

- CCMSA

Mme GROS, présidente

- CAT-MP

M. BOGUET, président

- CANSSM (Caisse nationale des mines)

M. AUROUSSEAU, président

M. ROLLET, directeur

2 - Organisations patronales

- MEDEF

M. CARON

Mme CHIFFOLEAU

- CGPME

M. TISSIE

- UPA

M. BELLET

3 - Organisations syndicales

- CFDT

M. VEROLLER

- CFE-CGC

Mme MORGENSTERN

Mme VIGNIER

- CGT

M. CHANU

- CGT-FO

M. LEBRUMENT

- CFTC

M. HOGUET

4 - Professions de santé

MG France

M. COSTES, président

Alliance

M. BRUN

M. ALEXANDRE

CNPS

M. MAGNIES

5- Autres organisations

FNMF

Mme PIERONI-GARCIA

6 - Personnalités qualifiées

M. LEMOINE (LEEM)

M. ANDRÉ

M. BONGÉ

M. ROUCHÉ (FFSA)

M. ROUCHÉ

M. CAPDEVILLE (FSPF, pharmaciens)

M. CAPDEVILLE

M. LEFORTIN

7 - Administrations

- Direction de la sécurité sociale

M. LIBAULT

Mme TAILLEUR

- Direction du budget

M. VALLEMAND

(1) Il s'agit des membres ayant participé au moins à une des quatre réunions.

Source : annexe du rapport sur les relations entre l'Etat et l'assurance maladie.

2. Le plus petit dénominateur commun

Il en résulte dès lors une « synthèse des réflexions » qui est moins un « état des lieux », a fortiori un « état des lieux partagé », qu'une critique de la situation actuelle qui « laisse entrevoir les pistes de solution souhaitées par les uns ou les autres ou du moins celles dont ils ne veulent pas » 30 ( * ) .

a) La critique de la situation actuelle : un état d'esprit plus qu'un état des lieux

Plus qu'un état des lieux, c'est donc un état des réflexions que présente le rapport qui, parfois, sous l'impulsion de l'animateur du groupe de travail prend la forme d'une maïeutique parfois problématique.

Le groupe a ainsi travaillé « à partir des termes figurant dans la lettre de mission soit : système de santé, assurance maladie, acteurs, missions... » ; il lui a été demandé « de dire ce qu'il entend par « étatiser » l'assurance maladie » ; le rapport constate encore que « le débat a été largement escamoté sur la définition des termes « assurance maladie » » , ce qui semble a priori fâcheux.

De fait, au terme d'une véritable analyse psychologique, le rapport constate que « les membres du groupe ne semblaient pas pouvoir imaginer des organismes dont le conseil ne serait pas essentiellement, sinon exclusivement, composé de partenaires sociaux car ils s'identifient aux caisses : quand on évoque les pouvoirs des caisses, ils entendent « pouvoirs des partenaires sociaux », d'où l'impossibilité de discuter de ce qu'il faut entendre par assurance maladie » .

Au total, le groupe se retrouve sur une critique sévère de la situation actuelle :

« Le groupe a majoritairement considéré qu'actuellement le système de soins n'est pas organisé et pas géré, car l'offre de soins n'est pas pensée en fonction des besoins, lesquels sont mal définis ».

« Enfin, pour résumer l'opinion générale (sur le panier de soins) , ce qui prévaut actuellement c'est le « laisser faire » car l'admission au remboursement et la réévaluation de ce qui est admis ne sont pas pilotées en fonction des finalités prédéfinies ».

Ces critiques s'adressent en réalité à l'Etat.

Votre rapporteur note avec satisfaction que le rapport, dans sa démarche de réflexion sur des « concepts » , s'attache à distinguer le Parlement, le Gouvernement et l'administration, cette dernière incarnant bien souvent « l'Etat » dans l'esprit des différents acteurs. Il considère, en effet, qu'à travers l'instrument nouveau que sont les lois de financement de la sécurité sociale, il appartient au Parlement, dans le cadre notamment de sa mission de suivi de ces lois et de ses prérogatives de contrôle, d'être, en quelque sorte, le garant du respect des « règles du jeu » .

b) L'assurance maladie « malade de l'Etat » : un diagnostic contesté

Ainsi « il est reproché à l'Etat à la fois de ne pas faire ce qui relève de sa responsabilité et d'interférer dans les compétences déléguées aux caisses par la loi. Ainsi, il manque de courage pour décider et arbitrer, mais il est trop interventionniste à l'égard des caisses, souvent pour les empêcher d'appliquer les textes. L'Etat, en charge de défendre l'intérêt général, est jugé trop sensible aux groupes de pression, lent à se déterminer et ses décisions ou absences de décisions sont mal explicitées. Il n'est pas un partenaire respectueux des règles du jeu ».

Cette charge ne semble pas, à votre rapporteur, dépourvue de fondement au regard de ses propres analyses sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale examinés au cours de la précédente législature.

Il reste qu'elle ne saurait permettre aux autres « acteurs des systèmes de santé et d'assurance maladie » de faire l'économie de tout examen de leurs propres responsabilités.

Devant votre commission, Mme Rolande Ruellan observait ainsi : « la mise en cause de l'Etat tient du rituel (...) la plainte que les partenaires sociaux expriment de façon permanente vis à vis de l'Etat les dispense de traiter les questions de fond » 31 ( * ) .

De fait, cette analyse a été fortement contestée par le ministre.

Ainsi, le 11 mars 2003, à l'occasion des journées nationales de l'assurance maladie à Nice, déclarait-il ne pas pouvoir « accepter le constat du rapport établi par Mme Rolande Ruellan - son auteur n'est évidemment pas en cause - selon lequel notre système d'assurance maladie n'est malade que de l'Etat ».

Le 15 mai 2003, devant la commission des comptes de la sécurité sociale, il estimait encore que le groupe « a sous-estimé les dysfonctionnements actuels de notre système de gouvernance, notamment les difficultés intrinsèques de répartition des compétences entre l'Etat et les partenaires sociaux. Ces difficultés ne dépendent pas uniquement d'une pratique particulière de gestion par quelques gouvernements, mais bien d'un conflit d'objectifs liés à des légitimités différentes » .

* 22 Selon le titre que lui donne le rapport dans son introduction.

* 23 Lettre de mission, en date du 25 septembre 2002, adressée par M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à Mme Rolande Ruellan.

* 24 Avant-propos du rapport.

* 25 Discours de M. Jean-François Mattei devant la commission des comptes de la sécurité sociale, le 15 mai 2003.

* 26 Cf. introduction du rapport.

* 27 Selon la formule employée à plusieurs occasions dans le rapport.

* 28 Cf. compte rendu des auditions, annexé au présent rapport.

* 29 Cf. compte rendu des auditions, en annexe du présent rapport.

* 30 Selon les termes mêmes de l'introduction du rapport.

* 31 Cf. compte rendu des auditions en annexe du présent rapport.

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