II. LA RUSSIE FACE À L'UNION EUROPÉENNE ET À L'OTAN ÉLARGIES

Le printemps 2004 marquait une étape historiquement importante pour la Russie puisqu'elle devenait frontalière de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique, les deux organisations incorporant non seulement d'anciens pays du bloc de l'est, mais également trois anciennes républiques soviétiques.

La délégation a recueilli les réactions, souvent mêlées d'inquiétude, voire de reproches, des responsables russes face à ce double élargissement. Il lui a semblé toutefois qu'il fallait faire la part entre certaines préoccupations réelles et l'impact psychologique assez fort d'un évènement qui modifie la perception, par la Russie, de son environnement immédiat. Elle a également constaté que prévalait, à l'échelon gouvernemental, une approche réaliste consistant à intégrer la nouvelle donne en recherchant les moyens, pour la Russie, de préserver au mieux ses intérêts.

Il est cependant apparu à la délégation que les élargissements ne rendent que plus nécessaire l'établissement entre l'Union européenne et l'OTAN d'une part, et la Russie d'autre part, d'un véritable partenariat utile pour la stabilité et la prospérité du continent.

A. UN DISCOURS CRITIQUE VIS À VIS DES ÉLARGISSEMENTS

Lors de ses contacts à la Douma et au Conseil de la Fédération, la délégation a pu constater l'extrême sensibilité du thème de l'élargissement, plusieurs parlementaires ayant manifesté, parfois de manière très abrupte, leur réprobation face aux conditions dans lesquelles il s'effectuait tant pour l'OTAN et que pour l'Union européenne. Ces critiques ont été reprises, quoique de manière atténuée, par certains responsables du ministère des affaires étrangères. Les membres de l'administration présidentielle ont pour leur part reconnu la légitimité des élargissements tout en souhaitant la prise en compte de certaines préoccupations russes, les unes tenant à des difficultés précises, les autres étant surtout liées aux réactions négatives de l'opinion publique, sensible à la thématique des formations ultra-nationalistes.

1. Une focalisation sur l'adhésion des pays baltes

L'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne des trois pays baltes cristallise tous les états d'âme et ressentiments russes à l'égard de cette recomposition majeure du continent européen. Il s'agit en effet, du point de vue russe, de l'aspect le plus douloureux puisque ces pays étaient incorporés à l'URSS il y a quinze ans encore. Les griefs exprimés à leur encontre sont multiples, mais le plus important d'entre eux concerne le sort réservé aux minorités russophones en Estonie et en Lettonie 6 ( * ) , sur le plan de l'accès à la citoyenneté et du statut de la langue russe et de l'enseignement russe. Le processus de naturalisation se déroule lentement dans ces deux pays, laissant subsister, surtout en Lettonie, une forte minorité de « non-citoyens », dépourvus de droits politiques. L'un des obstacles majeurs pour les candidats à la naturalisation est celui de la langue, que beaucoup ne maîtrisent pas, mais inversement, la généralisation du letton ou de l'estonien comme langue d'enseignement ou langue officielle pour les démarches administratives est ressentie comme une « dé-russification » de la population.

La question des minorités russophones dans les pays baltes constitue un contentieux russo-balte qui ne concerne pas, a priori, l'Union européenne. Mais les autorités russes considèrent pour leur part qu'il appartient à l'Union européenne de faire respecter, dans ses Etats-membres, le principe de protection des minorités. De fait, le statut des minorités constitue l'un des éléments des « critères de Copenhague » établis en vue de l'admission de nouveaux membres dans l'Union. Cette dernière a jugé que l'adoption par les pays baltes de textes législatifs appropriés, ainsi que leur mise en oeuvre, étaient satisfaisantes. Bien qu'elles reconnaissent la persistance de certaines difficultés, tout comme d'ailleurs dans d'autres nouveaux pays membres, les autorités européennes portent une appréciation positive sur la stratégie adoptée par les pays baltes en vue d'intégrer les minorités russophones. Un même constat est effectué par d'autres organisations en charge des droits de l'homme, comme le Conseil de l'Europe et l'OSCE.

S'agissant des questions sécuritaires , les interlocuteurs de la délégation ont mis l'accent sur le fait que les trois pays baltes n'avaient toujours pas ratifié le traité sur les forces conventionnelles en Europe, lequel les ferait entrer dans le mécanisme de limitation des forces stationnées à proximité des frontières russes. Par ailleurs, la mise en oeuvre par l'OTAN, dès l'intégration des trois Etats, de patrouilles de surveillance de l'espace aérien balte à la frontière de la Russie a été présentée, avec plus ou moins de conviction, comme un geste inamical révélateur de « l'agressivité » de l'Alliance atlantique. Il faut rappeler que les trois pays baltes ne disposent pas de forces aériennes et ont donc demandé que la surveillance de leur espace aérien soit assurée par d'autres pays de l'OTAN.

Après cinq décennies d'annexion forcée à l'Union soviétique, les pays baltes paraissent légitimement soucieux d'affirmer leur indépendance, l'Alliance atlantique en constituant, à leurs, yeux, la meilleure garantie. Aussi n'ont-ils pas toujours pour première préoccupation de ménager la susceptibilité de leur voisin russe.

À l'examen, l'intégration des pays baltes ne paraît pas devoir constituer une difficulté réelle dans les relations entre la Russie d'une part, l'Union européenne et l'OTAN élargies d'autre part. Ce thème semble utilisé dans le débat public en Russie très au delà de son incidence concrète pour les responsables politiques et la société.

* 6 Les russophones représentent 40% de la population en Lettonie, 28% en Estonie et 6% en Lituanie.

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