B. DES VIOLENCES MASSIVES QUI DEMEURENT TOUTEFOIS MAL APPRÉHENDÉES

1. Les résultats statistiques disponibles : la « banalité » des violences au sein du couple

a) L'enquête ENVEFF : 10 % de femmes victimes de violences conjugales

Le principe de l'enquête ENVEFF a été arrêté à l'occasion de la 4 ème conférence mondiale sur les femmes, réunie à Pékin en 1995. Le rapport Les femmes en France , établi par notre pays en vue de cette conférence mondiale, demandait en effet la réalisation de statistiques précises concernant les violences faites aux femmes.

De ce point de vue, l'enquête ENVEFF a constitué un indéniable progrès en termes d'informations statistiques 10 ( * ) . Paradoxalement, l'un de ses principaux enseignements a été de mettre en évidence l'ampleur du silence et l'occultation des violences subies par les femmes.

En effet, jusqu'alors, la France ne disposait que de statistiques portant sur les violences déclarées du fait de démarches de femmes auprès des institutions.

L'information statistique était parcellaire, chaque administration ne connaissant que celle liée à son activité. On peut citer, en particulier, les statistiques publiées par le ministère de l'intérieur, réalisées à partir des dépôts de plaintes et portant principalement sur les auteurs des violences. Le ministère de la défense possède aussi son propre état statistique, à partir des constats d'infractions relevées par la gendarmerie. Celui du ministère de la justice porte sur les condamnations de crimes et délits mais pas sur les victimes. En outre, les associations d'aide aux personnes victimes de violences comptabilisaient les données concernant les personnes qui s'adressaient à elles et publiaient des statistiques sur leurs activités. Mais la situation des femmes qui se taisaient et qui restaient cachées n'était absolument pas connue.

Si des enquêtes de « victimation » avaient été réalisées en France, en 1986, par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, et, depuis 1996, par l'INSEE, la définition de l'agression qu'elles proposaient ne permettaient pas une véritable analyse des phénomènes de violence envers les femmes.

La mesure du phénomène rendait nécessaire la conduite d'une enquête à la fois spécifique, portant sur ce sujet précis, et générale, consacrée à la situation d'ensemble des femmes.

Commandée en 1997 par le service des droits des femmes, l'enquête ENVEFF constitue une réponse de la France aux recommandations de la conférence de Pékin 11 ( * ) .

« Première opération statistique d'envergure réalisée en France sur ce thème » comme l'a rappelé Mme Nicole Ameline 12 ( * ) , l'enquête ENVEFF « a permis de cerner le phénomène dans ses aspects multiformes - dans l'espace public, au travail, dans la famille - en prenant en compte l'ensemble des violences exercées envers les femmes d'âge adulte, quel qu'en soit l'auteur ».

Le champ de l'enquête était donc beaucoup plus large que celui des violences au sein du couple.

Les principaux résultats de l'enquête ENVEFF

- 9,5 % des femmes interrogées ont subi des actes de violence conjugale (physique, sexuelle, verbale, psychologique) au cours des douze derniers mois.

- 4 % des femmes interrogées ont subi au moins un acte de violence physique au cours des douze derniers mois dans une des sphères (espaces publics ou sphère professionnelle ou sphère privée). Sont définies comme agressions physiques, les coups et brutalités physiques, menaces avec arme et tentatives de meurtre.

- 1,2 % des femmes interrogées ont été victimes d'agressions sexuelles au cours des douze derniers mois dans une des sphères (espaces publics ou sphère professionnelle ou sphère privée). Sont définies comme agressions sexuelles, les attouchements, les tentatives de viol et les viols.

- 0,5 % des femmes interrogées ont subi au moins une tentative de viol ou un viol au cours des douze derniers mois dans une des sphères (espaces publics ou sphère professionnelle ou sphère privée).

- 1,1 % des femmes interrogées, âgées de 20 à 24 ans, ont subi au moins une tentative de viol ou un viol au cours des douze derniers mois dans une des sphères (espaces publics ou sphère professionnelle ou sphère privée).

- 0,3 % des femmes interrogées ont subi au moins un viol au cours des douze derniers mois dans une des sphères (espaces publics ou sphère professionnelle ou sphère privée).

- 13,7 % des femmes interrogées en situation de chômage ou allocataires du RMI ont subi des actes de violence conjugale au cours des douze derniers mois.

- 1,9 % des femmes interrogées ont subi des actes de harcèlement d'ordre sexuel au cours des douze derniers mois dans la sphère professionnelle.

- 18 % des femmes interrogées ont été victimes d'agressions physiques au cours de leur vie adulte (depuis l'âge de 18 ans).

Source : site Internet du ministère de la parité et de l'égalité professionnelle.

Au regard de l'objet des propositions de loi dont votre délégation est saisie, la principale conclusion de l'enquête ENVEFF est que près d'une femme sur dix a déclaré avoir subi des violences, verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, de la part de son conjoint ou ex-conjoint .

Une analyse plus fine de ces résultats illustre l'ampleur et les formes de ces violences.

• 9 % des femmes en couple vivent dans un climat de violence conjugale

Parmi les femmes dans une situation de couple au moment de l'enquête, 9 % vivent dans un climat de violence conjugale, comme le montre le tableau ci-après :

Proportion de femmes en situations de violence conjugale
selon l'âge au moment de l'enquête et le type et la durée du couple
(en %)

Age

Situation

20-24 ans
n = 435

25-34 ans
n = 1672

35-44 ans
n = 1844

45 ans et +
n = 1842

Ensemble
n = 5793

Couple marié cohabitant (n = 4245)

« Grave »

« Très grave »

Taux global

6,1

1,3

7,4

7,9

1,9

9,8

5,3

2,0

7,3

5,0

2,6

7,6

5,8

2,2

8,0

Couple non marié cohabitant (n = 1108)

« Grave »

« Très grave »

Taux global

6,7

3,6

10,3

8,4

1,3

9,7

10,6

3,6

14,2

4,0

1,2

5,2

8,2

2,2

10,4

Couple non cohabitant (n = 440)

« Grave »

« Très grave »

Taux global

10,6

3,1

13,7

9,4

3,4

12,8

13,3

5,6

18,9

7,6

1,3

8,9

10,1

3,2

13,3

Tous types de couples

« Grave »

« Très grave »

Taux global

9,0

3,1

12,1

8,2

1,9

10,1

6,5

2,5

9,0

5,2

2,4

7,6

6,7

2,3

9,0

Durée du couple courte (1)

« Grave »

« Très grave »

Taux global

12,3

0,6

12,9

9,3

1,5

10,8

9,1

3,6

12,7

6,1

2,5

8,6

8,3

2,4

10,7

Durée du couple longue

« Grave »

« Très grave »

Taux global

8,0

3,9

11,9

7,8

2,0

9,8

5,7

1,9

7,6

4,9

2,4

7,3

6,2

2,3

8,5

Champ : femmes vivant en couple au moment de l'enquête (5793).

(1) Pour chaque groupe d'âges au moment de l'enquête, la durée de l'union est dite courte lorsqu'elle se situe dans le premier quartile de la distribution des durées, longue sinon.

Source : ENVEFF

La diminution du taux global des violences conjugales avec l'avancée en âge apparaît liée au recul du harcèlement psychologique. Cette observation peut s'expliquer par un phénomène d'accoutumance des femmes vivant en couple depuis longtemps à des faits qu'elles ne considèrent plus comme violents, tandis que certains couples vivant dans un climat violent se sont séparés.

• Les violences physiques : les lieux publics plus sûrs que le couple pour les femmes

En matière de violences physiques envers les femmes, le principal agresseur est leur conjoint actuel, leur conjoint ou ex-conjoint lors des faits, dans près de 56 % des cas d'agressions physiques, dont 61 % pour les brutalités physiques et 42 % pour les tentatives de meurtre. L'importance de la part des « conjoints lors des faits » prouve toutefois que beaucoup de femmes quittent leur conjoint violent.

Distribution des auteurs de violences physiques
(en %)

Auteurs

Brutalités
physiques
n = 1018

Tentatives de
meurtre
n = 370

Agressions
physiques
n = 1188

Conjoint actuel

18,1

7,5

16,0

Conjoint lors des faits

35,2

28,0

32,7

Ex-conjoint lors des faits

7,4

6,4

7,2

Père ou beau-père

10,2

1,4

9,0

Mère ou belle-mère

8,5

1,0

7,4

Homme parent ou proche

6,0

3,7

6,2

Femme parent ou proche

3,7

1,4

3,4

Homme collègue ou supérieur

1,5

1,5

1,7

Femme collègue ou supérieur

0,8

0,3

0,8

Autre homme connu

7,0

11,7

9,3

Autre femme connue

1,5

2,0

1,9

Homme inconnu

14,7

42,8

23,3

Femme inconnue

2,0

2,2

2,3

Champ : ensemble des femmes ayant subi des violences physiques après 18 ans.

Le total par colonne est supérieur à 100 % car les femmes peuvent avoir été agressées à plusieurs reprises, par plusieurs personnes à la fois, et par des personnes différentes.

Source : ENVEFF

Le tableau ci-dessous montre que les relations de couple constituent le contexte de la majorité des brutalités physiques commises sur les femmes et environ 41 % des tentatives de meurtre dont elles sont l'objet .

Distribution des auteurs des agressions physiques
regroupés par contexte
(en %)

Brutalités
physiques
n = 1018

Tentatives de
meurtre
n = 370

Agressions
physiques
n = 1188

Relations conjugales

58,2

40,7

53,0

Famille

22,4

5,7

24,2

Proches (amis)

4,2

3,0

4,3

Travail

6,4

16,2

9,7

Espaces publics

18,0

39,9

25,6

Consultations et visites à domicile

0,7

2,2

1,3

Champ : ensemble des femmes ayant subi des violences physiques après 18 ans.

Le total dépasse 100 % car les mêmes actes ont pu avoir lieu dans différents contextes.

Source : ENVEFF

En comparaison, les espaces publics sont beaucoup plus sûrs que le couple pour les femmes , puisque 25,6 % des agressions physiques ayant une femme pour victime y ont lieu, contre 53 % pour les relations conjugales. Cette observation vaut également pour les tentatives de meurtres , moins nombreuses dans les espaces publics (39,9 %) qu'au sein du couple (40,7 %).

Les relations conjugales sont également le cadre des agressions physiques répétées , comme le montre le tableau ci-dessous :

Proportion des brutalités physiques répétées
selon le cadre dans lequel elles s'exercent
(en %)

Répétition des
brutalités physiques

Plus d'une fois

Plus de 10 fois

Relations conjugales

n = 594

70,7

24,4

Famille

n = 213

52,6

12,0

Proches (amis)

n = 42

53,1

8,9

Travail

n = 70

30,4

2,1

Espaces publics

n = 180

35,6

3,4

Champ : ensemble des femmes qui ont subi des brutalités physiques après 18 ans.

Source : ENVEFF

Ainsi, 71 % des femmes brutalisées par leur conjoint l'ont été à plusieurs reprises, soit une proportion double de celle des brutalités physiques répétées dans les espaces publics. Le caractère régulier de ces brutalités - c'est-à-dire répétées plus de dix fois - est bien plus marqué dans les relations conjugales que dans les espaces publics, respectivement 24,4 % et 3,4 %.

• Les relations de couple, « lieu privilégié » des agressions sexuelles

Sous réserve de la sincérité des propos rapportés par les femmes interrogées, il apparaît que les auteurs d'agressions sexuelles ne sont pas majoritairement, comme on aurait pu le penser, des hommes inconnus de ces femmes . Le conjoint ou ex-conjoint occupe une place non négligeable parmi les auteurs d'agressions sexuelles : plus de 7 % pour les attouchements, près du quart pour les tentatives de rapport forcé, près de la moitié (46,9 %) pour les rapports forcés. Toutefois, ces violences sexuelles sont commises, essentiellement, par des conjoints au moment des faits, avec lesquels ces femmes ne vivent plus : elles auraient donc tendance à se séparer de ces conjoints violents.

Proportion des auteurs d'agressions sexuelles
selon le type d'agression
(en %)

Attouchements
n = 386

Tentatives de
rapport forcé
n = 409

Rapports
forcés
n = 200

Conjoint actuel

0,6

2,2

7,8

Conjoint lors des faits

5,5

14,3

30,4

Ex-conjoint lors des faits

1,3

8,2

8,7

Père, beau-père

9,7

1,8

5,2

Homme de la parenté

17,0

5,1

6,7

Frère

4,7

0,6

0,5

Homme proche

10,0

10,9

4,5

Collègue ou supérieur

3,2

8,1

4,5

Homme ayant autorité (médecin, policier...)

3,1

1,0

1,0

Autre homme connu

24,6

26,6

18,2

Autre homme inconnu

20,7

22,1

12,5

Champ : ensemble des femmes ayant subi des agressions sexuelles.

Le total par colonne peut être légèrement supérieur à 100 %, car certaines femmes peuvent avoir été agressées par plusieurs hommes à la fois, et par des hommes différents la première et la dernière fois.

Source : ENVEFF

De même, les agressions sexuelles sont fréquemment commises dans un contexte de relations de couple, plus de 47 % des viols ayant été perpétrés par le conjoint ou l'ex-conjoint, contre 30 % dans les espaces publics. Ceux-ci constituent en revanche le contexte principal des attouchements et tentatives de viol, comme le montre le tableau ci-après :

Proportion des contextes des agressions sexuelles
selon le type d'agression

(en %)

Attouchements
n = 386

Tentatives de
rapport forcé
n = 409

Rapports
forcés
n = 200

Relations conjugales

7,1

24,0

47,4

Famille

31,0

7,7

12,9

Proches

18,2

15,3

7,8

Travail

5,3

10,4

5,6

Espaces publics

39,5

45,8

30,6

Consultations et visites à domicile

5,6

1,9

1,3

Champ : ensemble des femmes ayant subi des agressions sexuelles.

Le total en colonne dépasse légèrement 100 % car les mêmes actes ont pu avoir lieu dans différents espaces (cas rares).

Source ENVEFF

Ajoutons que le mariage comme institution légale ne protège pas des violences sexuelles.

En effet, en examinant la proportion des agressions sexuelles par un conjoint selon le statut d'état civil, on note que, si près de 8 % de ce type d'agressions sont commises sur une femme divorcée ou séparée au moment de l'enquête, contre « seulement » 1,4 % sur une femmes mariée, c'est parce que les violences exercées par un mari ont conduit à une rupture du mariage.

Proportion des agressions sexuelles par un conjoint
selon le statut d'état civil au moment de l'enquête

(en %)

Etat civil

Attouche-ments

Tentatives de rapport forcé

Rapports forcés

Toutes agressions sexuelles

Célibataire

n = 1982

0,3

2,1

1,0

2,9

Mariée

n = 4319

0,3

0,5

0,8

1,4

Divorcée, séparée

n = 519

1,3

3,9

5,2

7,9

Veuve

n = 146

0,0

2,1

1,9

3,4

Champ : ensemble des 6970 femmes interrogées.

Source ENVEFF

• La place non négligeable des « ex » parmi les agresseurs

Au cours des douze derniers mois précédant l'enquête, 12,1 % des femmes ayant été en contact avec leur ex-conjoint, pour la garde des enfants par exemple, ont été insultées ou injuriées par lui, 5,4 % ont été harcelées, certaines ont même vu leurs enfants menacés (6,2 %), ont subi une tentative de viol (3,7 %), voire ont été violées (1,3 %).

L'interrogation sur les violences dans le module « ex-conjoint »
(en %)

« Au cours des douze derniers mois, est-ce que votre (un de vos) ex-conjoint, ami(e), vous a ... :

... insultée, injuriée

12,1

... suivie dans la rue, harcelée à votre domicile ou à votre travail

5,4

... menacée de s'en prendre à vos enfants ou de vous séparer d'eux

6,2

... s'en est pris physiquement à vos enfants ou vous a empêchée de les voir

2,3

... menacée de mort en paroles, par lettre ou téléphone

2,7

... giflée, frappée ou a exercé des brutalités physiques contre vous

3,0

... menacée avec une arme ou a tenté de vous étrangler ou de vous tuer

1,9

... a tenté d'avoir des rapports sexuels avec vous, contre votre gré

3,7

... a utilisé la force pour avoir des rapports sexuels avec vous

1,3

Source : ENVEFF

S'agissant des types de violences exercées par un ex-conjoint, 12,8 % des femmes sont touchées par des violences verbales, 8,3 % par des violences physiques et 3,7 % par des violences sexuelles.

b) Le Conseil de l'Europe s'inquiète de « la gravité de la situation »

Dans son rapport du 16 septembre 2004 précité, la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'émeut de « la gravité de la situation » reflétée par les dernières statistiques relatives à la violence domestique. En Europe, plus d'un quart des incidents violents signalés seraient des coups et blessures infligés par un homme à sa femme ou compagne, tandis qu'une femme mariée sur sept aurait eu des rapports sexuels sous la contrainte ou aurait été violée, une proportion qui atteindrait un sur trois chez les femmes séparées ou divorcées.

L'ampleur et la progression de la violence domestique en Europe

Concernant les Etats membres de l'Union européenne (avant l'élargissement à vingt-cinq), une femme sur cinq a été victime de la violence de son compagnon et dans 95 % des cas, ces actes ont été commis au sein du domicile conjugal. Plus de 600 femmes meurent ainsi chaque année, sous les brutalités commises par le conjoint dans le cercle familial.

En France, six femmes meurent chaque mois des suites de la violence domestique.

En Espagne, une femme meurt assassinée tous les quatre jours. En 2003, plus de 73 femmes ont été assassinées par leur conjoint (aucune plainte n'avait été déposée pour les trois quarts d'entre elles), soit une hausse de 34 % par rapport à 2002. Plus de 11 % des femmes de plus de 18 ans ont été victimes de violence domestique, soit 2 millions de personnes au total.

Au Royaume-Uni, les dernières statistiques montrent que 26 % des femmes ont été victimes de violence conjugale, et que deux femmes meurent chaque semaine, tuées par leur partenaire ou ex-partenaire.

En Irlande, plus de la moitié des femmes assassinées le sont par leur compagnon ou mari.

En Finlande, 27 femmes par an en moyenne décèdent à la suite de violence infligée par leur partenaire.

En Autriche, la violence envers les femmes constitue le motif de la moitié des demandes de divorce.

Aux Pays-Bas, une femme sur cinq a été en butte à la violence physique d'un compagnon ou ex-compagnon.

Au Portugal, 52,8 % des femmes déclarent avoir été l'objet de violences de la part de leur mari ou de leur concubin.

En Allemagne, trois femmes sont assassinées tous les quatre jours par les hommes avec lesquels elles vivaient, soit près de 300 par an.

En Hongrie, 10 % des femmes déclarent avoir été violées dans un contexte domestique violent.

En République tchèque, 38 % des femmes déclarent avoir subi des violences conjugales.

Les autres pays européens sont également confrontés à ce phénomène et les statistiques reflètent la gravité de la situation.

En Fédération de Russie, chaque jour 36.000 femmes sont battues par leur mari ou compagnon et la violence domestique entraîne le meurtre d'une femme toutes les 40 minutes. C'est dans leur domicile et avec les hommes qu'elles connaissent que les femmes courent le plus de risques de subir leur violence.

En Lituanie, 42,4 % des femmes indiquent avoir subi la violence physique ou sexuelle de la part de leur partenaire. Seules 10 % des victimes ont rapporté l'incident le plus grave à la police.

En Turquie, une récente enquête a révélé que 32 % des femmes ont subi des violences domestiques.

La Roumanie apparaît comme un des pays européens où la violence domestique à l'encontre des femmes est la plus grave : chaque année en moyenne, pour chaque million de Roumaines, 12,62 sont tuées par leurs partenaires masculins. Mais d'autres pays connaissent des situations également préoccupantes. Ainsi, pour chaque million de Norvégiennes, 6,58 sont tuées dans le huis clos domestique ; 5,56 pour le Luxembourg ; 5,42 pour le Danemark ; 4,59 pour la Suède, l'Italie et l'Irlande occupant les dernières places. Ces chiffres terribles font comprendre à quel point il est urgent d'intervenir.

Source : rapport de M. Jean-Guy Branger, établi au nom de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, 16 septembre 2004

2. Un phénomène qui reste difficile à mesurer

Si les violences conjugales sont très fréquentes, parfois même hélas ! quotidiennes, l'ampleur du phénomène demeure difficile à évaluer . Certes, l'augmentation du nombre d'appels reçus par les « numéros verts » et des plaintes enregistrées par l'administration témoigne d'une prise de conscience et d'une meilleure communication sur cette question, mais elle ne donne aucun renseignement précis sur son évolution quantitative.

a) Des informations statistiques éparses

Sur ce point, les auteurs de l'enquête ENVEFF notent que, « en totalisant les statistiques publiées par les ministères de l'intérieur, de la défense, de la justice, pour les deux sexes, on compte en milliers pour les cas les plus graves (viols, homicides) et en dizaines de milliers pour les cas un peu moins graves (agressions sexuelles, coups et blessures) ; le total ne dépasse jamais la centaine de milliers. Les services cernant leur activité, il va de soi que l'agrégation de ces statistiques éparses ne peut en aucune façon constituer la mesure d'un phénomène dont la caractéristique essentielle est d'être occulté, et la somme de tous ces chiffres donne un résultat forcément très faible au regard de nos estimations ».

Ainsi, les statistiques de la police et de la justice ne présentent qu'une infime proportion des violences au sein des couples. Encore leur fiabilité est-elle, de surcroît, perfectible.

• Le ministère de l'intérieur

A titre liminaire, il convient de rappeler que, d'une manière générale, les violences contre les femmes donnent rarement lieu à une démarche auprès de la police : 11 % des femmes victimes d'agressions sexuelles s'adressent à la police et 26 % des femmes victimes d'agressions physiques.

Par ailleurs, un décalage important peut être observé selon la sphère de vie concernée. Pour les violences subies dans l'espace public, 43 % des femmes font une démarche à la police, cette proportion chutant à 13 % pour les violences subies dans le couple. Ce décalage est encore plus net s'agissant de dépôt de plainte : 35 % pour les violences dans l'espace public et 8 % pour les violences au sein du couple.

L'outil statistique du ministère de l'intérieur - l'état 4001 - permet de comptabiliser les crimes et délits portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie et ayant donné lieu à l'établissement d'une procédure judiciaire au titre de l'une ou plusieurs des 107 rubriques de l'état 4001.

Si les statistiques de l'état 4001 ne sont pas sexuées , des interrogations spécifiques de la base de données informatiques permettent de répartir, pour les différents agrégats d'infractions, les victimes par sexe.

Lors de son audition devant votre délégation, le directeur général de la police nationale, M. Michel Gaudin, a fourni les chiffres suivants au titre de l'année 2004 :

Femmes victimes de violences au titre des rubriques

des atteintes aux personnes de l'état 4001 en 2004

Rubriques

TOTAL
des faits commis par rubrique

Nombre de faits commis au préjudice des femmes

%

Homicides et tentatives d'homicide

1 928

672

34,9

Coups et blessures volontaires suivis de mort

185

90

48,6

Autres coups et blessures volontaires criminels ou correctionnels

137 679

75 366

54,7

Menaces ou chantages pour extorsion de fonds

25 532

9 334

36,6

Atteintes à la dignité et à la personnalité

22 249

10 460

47,0

Vols violents sans arme contre les femmes sur la voie publique ou lieu public

(progression de 5,4 % depuis 2000)

46 363

Vols violents sans arme

54 728

34 461

63,0

Viols (sur majeures et mineures)

7 974

Harcèlement sexuels et autres agressions et atteintes sexuelles

10 930

Proxénétisme

548

502

91,6

Source : Direction générale de la police nationale
Ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Ces chiffres mettent en évidence l'importance de la délinquance violente dont les femmes sont victimes, en particulier de la part des hommes puisque la délinquance globale, en 2004, a été commise à 84,5 % par les hommes. Ils ne permettent pas, en revanche, d'isoler les violences conjugales .

Le directeur général de la police nationale a également indiqué que, « de l'avis des services opérationnels, ces violences [...] progressent et se banalisent ».

Il a cité un état statistique annexé à l'état 4001, établi par la direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police de Paris depuis 2000, qui montre que, dans la capitale, les violences physiques constitutives de violences conjugales sont de l'ordre de 30 % du total des faits de violence constatés, « avec une tendance permanente à la hausse ».

Enfin, il a indiqué que les interventions de police-secours étaient largement liées aux violences conjugales, également « en progression constante ».

• Le ministère de la justice

Lors de son audition, M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, a indiqué que les violences au sein du couple donnaient lieu à « un contentieux de masse ».

Ainsi, selon les statistiques du ministère de la justice, 6.961 condamnations pénales pour infraction volontaire sur le conjoint avaient été prononcées en 2003, soit environ 20 % des condamnations pour violences prononcées par les juridictions correctionnelles.

Ce chiffre a d'ailleurs augmenté après une baisse constante au cours des dernières années : 7.284 condamnations pénales en 2000, 6.700 en 2001 et 4.700 en 2002.

M. Jean-Marie Huet a considéré qu'une meilleure prise de conscience du phénomène et une implication plus grande de la police et de la justice dans son traitement pouvaient expliquer la meilleure faculté de révélation des violences au sein du couple que traduisent ces statistiques récentes.

b) Les causes

• Le nombre limité des dépôts de plainte

L'une des principales explications du caractère fragmentaire de ces statistiques tient à ce que, par définition, celles-ci ne peuvent prendre en compte que les faits portés à la connaissance de la police, de la gendarmerie et de la justice.

Or, les violences au sein du couple donnent lieu à un nombre limité de plaintes, non seulement pour les raisons exposées plus haut, qui tiennent à la fois aux conséquences familiales et sociales d'un dépôt de plainte et à la peur des représailles, ainsi que, lorsque les femmes franchissent cet obstacle, à un phénomène de retrait de plaintes important. Les faits signalés sont donc très inférieurs à la réalité des violences.

Dans sa résolution de 1997 sur la lutte contre la violence envers les femmes, citée plus haut, le Parlement européen considère que, « dans la majeure partie des cas, les sévices ne sont pas signalés à la police, essentiellement en raison de l'absence d'instruments juridiques, sociaux et économiques appropriés pour protéger les victimes, et qu'en conséquence la violence contre les femmes demeure un délit largement toléré ».

Le Parlement européen reconnaissait, lui aussi, que les statistiques « ne pourront jamais rendre compte de l'ampleur véritable de la violence, sachant que nombre d'actes, notamment les sévices psychologiques, les menaces et les intimidations, n'y sont absolument pas pris en compte ».

Néanmoins, Mme Nicole Ameline a fait part de son optimisme à votre délégation, estimant que, grâce aux mesures initiées par le gouvernement, un flux important de demandes de la part de victimes qui ne s'étaient pas encore manifestées pouvait d'ores et déjà être anticipé au cours des deux ou trois années à venir. Elle a aussi noté que les dépôts de plaintes avaient déjà commencé à augmenter.

• Un nombre très restreint d'études

Comme il a été expliqué plus haut, l'enquête ENVEFF a été la première étude d'ensemble sur les violences faites aux femmes. Elle paraît toutefois être restée la seule.

La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des solidarités, de la santé et de la famille ne paraît pas avoir consacré d'études à ce thème au cours des dernières années. Rien en tout cas n'a été diffusée sur son site Internet, pourtant particulièrement riche en informations statistiques sur des sujets très variés.

Mme Véronique Mallet, chef du projet « violences et santé » au ministère des solidarités, de la santé et de la famille, a indiqué au cours de son audition que les groupes d'experts réunis à l'occasion de l'élaboration du plan « violences et santé » s'étaient efforcés de dresser un état des lieux au début de leurs travaux et avaient rencontré des difficultés de recensement, notamment en raison du caractère éparpillé des données disponibles.

En outre, le nombre réduit d'études sur les violences au sein du couple effectuées par les pouvoirs publics conduit à des commandes réalisées par des instituts de sondage, à l'exemple du sondage d'IPSOS pour le magazine Marie-Claire du mois de mars 2005.

Les principaux résultats du sondage sur les violences conjugales réalisé par IPSOS

pour le magazine Marie-Claire de mars 2005 13 ( * )

10 % des femmes affirment avoir été battues par leur conjoint ou avoir subi des relations sexuelles contre leur gré au moins une fois.

6 % affirment avoir été giflées ou frappées plusieurs fois par l'un de leurs conjoints ou partenaires, et 4 %, au moins une fois.

Les coups ont laissé des traces physiques pendant un certain temps pour 30 % des femmes violentées.

L'alcool (39 %), la jalousie (34 %), une banale dispute conjugale (33 %), un conflit concernant les enfants (12 %) et le refus de faire l'amour (8 %) déclenchent la violence masculine, selon les réponses.

Pourquoi rester avec un homme violent ? La peur de ne plus voir les enfants (34 %) et le fait que ce n'est arrivé qu'une fois (16 %), répondent toutes les femmes (battues ou non), mais 19 % estiment que « rien ne pourrait me faire rester ».

Par ailleurs, 38 % des femmes affirment connaître des femmes qui ont déjà subi ou subissent des violences conjugales.

Source : dépêche de l'AFP du 17 février 2005

• Des études qui gagneraient à être actualisées...

Enfin, il convient de rappeler que les résultats de l'enquête ENVEFF elle-même commencent maintenant à dater : sa réalisation a été décidée il y a huit ans, les réponses obtenues et ses résultats publiés il y a bientôt cinq ans.

Votre délégation considère que les enseignements de l'enquête ENVEFF gagneraient à être actualisés grâce à la réalisation d'une nouvelle étude d'ensemble et que, compte tenu des délais nécessaires à la conduite d'une aussi vaste et complexe opération, cette nouvelle enquête devrait être entreprise très rapidement.

Du reste, des progrès pourraient être accomplis en matière de recensement des violences. Ainsi, comme l'a souligné Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité femmes, lors de son audition devant votre délégation, les formulaires administratifs existants pourraient traduire la spécificité des faits de violences conjugales.

Il est vrai que des études devraient être engagées dans un avenir proche par les pouvoirs publics.

Ainsi, M. Bernard Basset, sous-directeur de la santé et de la société à la direction générale de la santé du ministère des solidarités, de la santé et de la famille, a évoqué les travaux de réflexion entrepris sur le thème « alcool et violence ». Selon lui en effet, au-delà de l'idée reçue selon laquelle l'alcool est un facteur aggravant, il n'existe pas de consensus, certains chercheurs mettant en avant l'effet sédatif de l'alcool sur la violence. Une étude permettant de tirer des conclusions opérationnelles devrait ainsi être financée.

En outre, Mme Véronique Mallet, chef du projet « violences et santé », a mentionné la préparation au sein de la DREES, et avec l'aide de l'INSEE, d'une enquête intitulée « Evénements de vie et santé (18-75 ans) », dont l'exploitation devrait être riche d'enseignements sur les interactions entre violences et santé.

Par ailleurs, la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique prévoit la mise en place d'un plan « violences et santé » , dont l'élaboration a demandé la mise en place de six commissions spécialisées 14 ( * ) , rassemblant des chercheurs, des professionnels de santé publique et des acteurs impliqués dans l'action, dont les conclusions devraient être prêtes à la fin du mois de février 2005 et faire l'objet d'un rapport qui pourra servir de base au plan « violences et santé ».

Mme Véronique Mallet a indiqué que la préparation de ce plan était conduite sous l'autorité de Mme Anne Tursz, qui préside le comité d'orientation interministériel en charge du dossier, et qui a demandé d'accorder une attention particulière à ce que les mesures préconisées concernent spécifiquement les professionnels de la santé.

Enfin, votre délégation juge indispensable que ces études soient complétées par un volet relatif à l'évaluation du coût économique et social des violences dont les femmes sont victimes . Actuellement, en effet, il n'existe aucune information, ni même estimation, sur ce point. La ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, au cours de son audition, a d'ailleurs reconnu qu' « elle ne disposait pas d'une évaluation du coût économique des violences, mais que celui-ci était assurément considérable ».

• ... et à être affinées

Les résultats de l'enquête ENVEFF étaient commentés avec prudence : « les données chiffrées, aussi rigoureuses soient-elles, n'évaluent pas des faits constatés, mais des faits évalués par la personne qui les vit. [...] Cette enquête avance des chiffres minimaux quant à la réalité de la violence, puisque des faits considérés comme violents par notre société, pourtant pour le moins tolérante en ce domaine, ont beaucoup de mal à être considérés comme tels par les femmes elles-mêmes ».

Ainsi est-il souvent nécessaire que la violence conjugale devienne physique pour que les brimades psychologiques soient perçues comme de véritables violences par les femmes qui en sont les victimes. Les violences verbales et psychologiques sont en effet souvent minimisées.

Les auteurs de l'enquête ENVEFF, commentant ses résultats, notent que « le chiffrage des violences fait plus que jamais l'objet de nombreuses polémiques. L'enjeu autour d'un « chiffre noir » de la violence se focalise sur l'écart, plutôt le fossé observé entre les statistiques des différentes sources administratives et les évaluations avancées par des acteurs sociaux de terrain, associations de lutte contre les violences, militantes féministes... S'agissant des violences contre les femmes, la polémique est d'autant plus aisée que les statistiques publiées par les ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice indiquent rarement le sexe des victimes. Ainsi le chiffrage des violences faites aux femmes enregistrées par ces institutions est quasiment impossible ». C'est le cas, notamment du casier judiciaire national, qui ne comporte pas d'indications sexuées sur les violences, comme l'a rappelé le directeur des affaires criminelles et des grâces, au cours de son audition.

Ils poursuivent : « l'enquête ENVEFF a montré combien la réalité du phénomène échappait au système statistique français et était méconnue ».

Sur ce point, lors de son audition, le directeur général de la police nationale, M. Michel Gaudin, a expliqué que l'état 4001 ne permettait pas d'isoler les violences conjugales, qui sont incluses dans la rubrique des coups et blessures volontaires. Ce n'est qu'en 2007 qu'une nouvelle version du logiciel « système de traitement des informations constatées », dit « STIC Ardoise », devrait offrir la possibilité de disposer de ce type de statistiques. Toutefois, d'ici là, une démarche technique d'enrichissement de la base « STIC Ardoise » devrait permettre à brève échéance de chiffrer les infractions liées aux violences conjugales.

De surcroît, les statistiques ne prennent pas non plus en compte les suicides de certaines femmes 15 ( * ) qui, privées de toute perspective d'échapper à leur conjoint violent et de tout espoir, préfèrent mettre fin à leurs jours 16 ( * ) .

* 10 L'enquête ENVEFF a été réalisée par téléphone de mars à juillet 2000, auprès d'un échantillon représentatif de 6.970 femmes âgées de 20 à 59 ans, résidant en métropole et ne vivant pas en institutions.

* 11 Par ailleurs, dans sa résolution du 16 septembre 1997 sur la nécessité d'une campagne européenne de tolérance zéro à l'égard de la violence contre les femmes, le Parlement européen « prie instamment les Etats membres de se mettre d'accord sur une base commune pour la collecte de statistiques sur la violence contre les femmes englobant, à la fois, l'information sur la femme, l'agresseur de celle-ci, le type d'agression et le lieu du délit, l'attitude de la femme après l'agression et les mesures prises par les autorités, de même que le résultat obtenu ».

* 12 Préface du rapport de présentation des résultats de l'enquête ENVEFF, La documentation française, juin 2002.

* 13 Sondage réalisé en décembre 2004 par téléphone auprès de 992 femmes représentatives de la population féminine de plus de 18 ans.

* 14 Ces commissions travaillent sur les thèmes suivants : violence et santé mentale ; violence, travail et emploi ; personnes âgées et handicapées ; enfance et adolescence ; institutions, organisations et violence ; genre et violence.

* 15 Le rapport Henrion notait, en 2001, que « la fréquence et l'intensité des scènes de violence augmentent avec le temps, pouvant aboutir au suicide de la femme ». Il cite également une étude américaine de 1991 selon laquelle les femmes victimes de violences conjugales feraient cinq fois plus de tentatives de suicide que dans la population générale.

* 16 A l'occasion de son déplacement au commissariat central de Tours (cf. II.), votre rapporteur a été informé d'un cas de suicide d'une femme victime de violences verbales, mais dont la mort n'a pas été prise en compte par les statistiques, puisqu'il s'agissait... d'un suicide !

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