2. Des exigences contradictoires à concilier

Le contrôle des frontières doit encore se perfectionner et s'adapter mais cette préoccupation constante et légitime doit être conciliée avec d'autres objectifs, notamment le respect du droit d'asile et la prise en compte des mineurs étrangers isolés. Le point d'équilibre est difficile à trouver.

a) Le droit d'asile

De nombreuses associations entendues par la commission d'enquête ont souligné le risque, d'une part, que les demandeurs d'asile ne soient plus en mesure d'atteindre nos frontières pour déposer leur demande, et d'autre part, que l'examen à la frontière du caractère non manifestement infondé de leur demande soit bâclé.

Sur le premier point, maître Hélène Gacon, présidente de l'ANAFÉ (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers) a ainsi signalé le cas des réfugiés Tamouls « qui, par l'intermédiaire de certaines filières, venaient auparavant par l'Afrique du sud ou par Dubaï. Maintenant, on ne voit pratiquement plus de Sri Lankais d'origine tamoule en zone d'attente, mais cela ne signifie pas que l'OFPRA enregistre moins de demandeurs d'asile puisqu'on sait tout simplement qu'ils viennent par Moscou et, ensuite, par la voie terrestre ».

Sur le second point, de nombreuses inquiétudes ont été exprimées sur les conditions dans lesquelles les demandes d'asile à la frontière sont examinées.

Les étrangers qui se présentent aux frontières ferroviaires, maritimes ou aériennes font l'objet de mesures spécifiques. Leur demande d'asile est soumise à un examen préalable distinct de l'examen de l'OFPRA, seul organisme habilité à attribuer la qualité de réfugié. En effet, ces personnes peuvent être maintenues en zone d'attente le temps strictement nécessaire à un examen tendant à déterminer si leur demande n'est pas manifestement infondée.

La décision de refus d'entrée qui, dans le droit commun, est prise par le chef du poste de contrôle à la frontière relève ici, par dérogation, du ministre de l'intérieur, après consultation du ministre des affaires étrangères.

En pratique, le plus souvent, un procès verbal des déclarations du demandeur est adressé par le service chargé du contrôle aux frontières à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur qui saisit alors le service des étrangers à la frontière rattaché à la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France du ministère des affaires étrangères, composé d'officiers de protection détachés de l'OFPRA. Ces derniers procèdent à l'examen de la demande en recourant le cas échéant à un entretien avec l'intéressé et transmettent un avis au vu duquel le ministre de l'intérieur se prononce.

Lorsque l'entrée en France a été refusée, l'étranger est renvoyé soit dans son pays d'origine, s'il résulte de l'examen de sa demande qu'il n'y court pas de risque, soit, dans le cas contraire, vers un pays d'accueil dans lequel il pourra être légalement admis et bénéficier d'une protection, soit, enfin, vers l'Etat de l'Union européenne qui, en application de la réglementation communautaire, est responsable de l'examen de la demande d'asile.

Si, en revanche, la demande n'apparaît pas « manifestement infondée », l'intéressé reçoit un sauf-conduit lui permettant de se présenter à la préfecture dans le ressort de laquelle il souhaite fixer sa résidence pour y demander son admission au séjour, condition nécessaire au dépôt de sa demande d'asile auprès de l'OFPRA.

Pour que cette procédure garantisse de manière effective le droit d'asile, il faut que le demandeur ait eu le temps d'être informé de ses droits et de déposer sa demande d'asile. Or, plusieurs associations de protection des droits des étrangers sont inquiètes de la rapidité avec laquelle les étrangers déclarés non admis sont parfois éloignés du fait de la nouvelle organisation de la police aux frontières (contrôle en porte d'avion, effectifs supplémentaires) et de la suppression de l'automaticité du bénéfice du jour franc.

Des critiques portent également sur l'appréciation par le ministère de l'intérieur du caractère manifestement infondé de la demande d'asile ; il ne se limiterait pas à une évaluation superficielle visant à écarter uniquement les demandes ne relevant manifestement pas du droit d'asile.

La commission d'enquête est sensible à ces observations. Il est nécessaire que la loi soit pleinement respectée et que chaque étranger soit informé de l'ensemble de ses droits et notamment du droit à bénéficier du jour franc s'il le souhaite. La loi du 26 novembre 2003 est d'ailleurs particulièrement claire : « la décision (de refus d'admission) et la notification des droits qui l'accompagne doivent lui être communiquées dans une langue qu'il comprend » 49 ( * ) .

Toutefois, il est difficile de tirer des conclusions générales à partir de cas particuliers. Certes depuis 2001, le nombre de demandes d'asile à la frontière a régulièrement baissé passant de 10.364 à 2.278 en 2005. Mais il faut rappeler que l'année 2001 a été marqué par un pic exceptionnel de demandes d'asile à la frontière et ne reflète donc pas une moyenne. En 1996, seules 526 demandes avaient été enregistrées par exemple.

Si l'on regarde le pourcentage des demandes reconnues comme n'étant pas manifestement infondées, là encore les interprétations sont délicates. En 2003, sur un total de 5.912 demandes, 224 étaient reconnues comme non manifestement infondées soit 3,8 %. En 2004, sur 2.513 demandes, 197 étaient acceptées soit 7,7 %. En 2005, ce taux remonte encore à 22 % 50 ( * ) .

Ces données issues du rapport au Parlement de février 2006 sur les orientations de la politique de l'immigration témoignent de l'extrême variabilité des demandes d'asile. Elles sont notamment sensibles à la ventilation par nationalité qui évolue très rapidement d'une année sur l'autre.

b) Les mineurs étrangers isolés en zone d'attente

Les mineurs étrangers isolés interceptés à la frontière et maintenus en zone d'attente peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine ou de provenance, à la différence des mineurs se trouvant sur le territoire national qui ne peuvent pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement (expulsion, reconduite à la frontière ou interdiction du territoire) 51 ( * ) .

En 2005, à l'aéroport de Roissy, 601 personnes non admises se sont déclarées mineures, dont 124 ont été déclarées majeures à l'issue de l'examen médical. On observe une décrue du phénomène depuis le pic de 2001 (1.416 mineurs).

M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny, a très bien résumé le dilemme relatif au régime juridique applicable aux mineurs en zone d'attente : « La problématique en ce qui concerne les mineurs est la suivante : les étrangers mineurs [...] sont actuellement inclus dans le droit commun de cette législation. De ce fait, ce qui s'est trouvé modifié dans l'attitude de la police aux frontières en ce qui concerne les ressortissants majeurs leur est aussi appliqué. Or il est vrai que l'on peut avoir des hésitations plus grandes en ce qui concerne les mineurs car nous sommes pris entre deux soucis. Le premier est qu'évidemment, il y a danger à accueillir n'importe comment des mineurs qui deviendraient des clandestins sur le territoire français [...]. En effet, nous avons vu il fut un temps au tribunal de Bobigny, à l'époque où il y avait ce mouvement de masse d'étrangers venant de l'aéroport de Roissy, des décisions qui, en droit, pouvaient paraître tout à fait fondées, mais qui pouvaient déboucher sur la remise de jeunes gens à des filières clandestines mêlées au travail clandestin et à la prostitution [...]. D'un autre côté, lorsqu'on est face à un mineur, outre les difficultés à établir formellement sa minorité lorsqu'il est démuni de tout titre et document, il est à mon avis nécessaire de vérifier suffisamment son origine pour voir s'il n'a pas cherché à fuir une réelle situation de danger au-delà de nos frontières et, parfois, s'il ne vient pas à travers une filière dans le cadre de ce que nous appelons trop souvent le regroupement familial occulte. En réalité, il y a, derrière ces opérations, des personnes majeures qui peuvent être parfois les représentants légaux du mineur et qui sont déjà eux-mêmes sur le territoire mais qui, ne pouvant remplir les conditions du regroupement familial, ont recours à des filières pour faire venir des mineurs . »

La création par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 sur l'autorité parentale des administrateurs ad hoc pour assister et représenter les mineurs dans les zones d'attente devait être une réponse à cette prise en considération insuffisante de leurs spécificités : le procureur de la République désigne un administrateur ad hoc qui représente le mineur dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles, notamment en cas de dépôt d'une demande d'asile ainsi que devant le juge de libertés et de la détention en cas de demande de prolongation du maintien en zone d'attente.

Toutefois, le bilan des administrateurs ad hoc semble très mitigé selon les associations entendues, bien qu'une nette amélioration ait été relevée depuis que la Croix Rouge assume cette mission.

Les mineurs étant parfois très vite renvoyés dans leur pays, les administrateurs ad hoc disposent de très peu de temps pour comprendre la situation particulière d'un mineur et engager les démarches utiles. Selon M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny, « sur l'année 2004, sur 650 cas qui ont pu se présenter, il semble qu'environ 220 à 250 aient pu faire pleinement l'objet d'une prise en charge par l'administrateur ad hoc. Cela veut dire que, dans certains cas, l'intervention de l'administrateur ad hoc va être extrêmement légère : il aura à peine le temps d'avoir un contact avec le mineur pour prendre le pouls de sa situation ».

La situation actuelle n'apparaît pas satisfaisante.

D'un point de vue matériel, il est impératif que les mineurs ne soient pas mêlés aux autres étrangers dans la zone d'attente. M. Philippe Jeannin a suggéré que soit constitué un pôle regroupant des représentants de différentes administrations pour déterminer l'origine du mineur, s'il a un représentant légal dans son pays ou dans le pays qu'il a cherché à rejoindre et s'il s'expose à un risque particulier dans son pays.

Une prise en charge efficace suppose que l'administrateur ad hoc ou un pôle du type précédemment décrit dispose de temps suffisant. A cet égard, la suppression du bénéfice automatique du jour franc par la loi du 26 novembre 2003 n'est sans doute pas adaptée au cas des mineurs. Certains policiers de la PAF auraient d'ailleurs pour habitude de faire bénéficier automatiquement les mineurs du jour franc.

Recommandation n° 7 : Faire bénéficier automatiquement les mineurs étrangers isolés du « jour franc ».

Il conviendrait également de lever les incertitudes sur la compétence respective du juge des libertés et de la détention et du juge des enfants à l'égard des mineurs isolés en zone d'attente. Ce débat reflète la contradiction potentielle entre le droit des étrangers et le droit de la protection de l'enfance.

Il arrive de plus en plus fréquemment que les administrateurs ad hoc saisissent le tribunal pour enfants de Bobigny pour statuer sur la situation de danger éventuelle d'un mineur en zone d'attente et sur les mesures d'assistance éducative envisageable.

Dans un rapport de janvier 2005, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) note, « quant à la possibilité de saisine du juge des enfants par un mineur retenu en zone d'attente ou par son administrateur ad hoc, qu'un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 7 décembre 2004 conclut à l'applicabilité du droit de l'assistance éducative à un mineur qui bien qu'il ait fait l'objet d'une décision de refus d'admission sur le territoire français et de placement en zone d'attente, se trouvait de fait sur le territoire français ». La cour a toutefois écarté l'hypothèse d'un danger inhérent au maintien en zone d'attente et, en l'espèce, le danger lié au rapatriement dans le pays d'origine.

Le rapport de l'IGAS conclut en suggérant que la Cour de cassation soit saisie pour avis afin de déterminer :

- si le statut juridique de la zone d'attente peut fonder la compétence territoriale du juge des enfants ;

- quelle acception du danger encouru par le mineur peut fonder la compétence du juge des enfants.

Une clarification est indispensable. La commission d'enquête s'inquiète néanmoins des possibles effets pervers d'une compétence pleine et entière du juge des enfants. Cela pourrait envoyer un signal contre-productif aux filières d'immigration clandestine qui repèreraient immédiatement une faille dans le dispositif de contrôle des entrées.

Pour éviter d'en arriver à une telle solution, il convient d'apporter un plus grand soin à la prise en charge des mineurs dans la zone d'attente de sorte qu'elle soit irréprochable.

Recommandation n° 8 : Améliorer la prise en charge matérielle et juridique des mineurs étrangers isolés pendant leur maintien en zone d'attente.

Recommandation n° 9 : Renforcer la compétence du juge des libertés et de la détention à l'égard des mineurs étrangers isolés maintenus en zone d'attente.

* 49 Art. L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 50 Ces données sont issues du dernier rapport au Parlement de février 2006 sur les orientations de la politique de l'immigration. Toutefois, pour l'année 2005, la commission d'enquête a eu connaissance d'autres informations selon lesquelles le nombre de demandes d'asile à la frontière en métropole s'élèverait à 3.281. 1.042 auraient été reconnues fondées soit près d'un tiers. Ceci illustre encore, s'il en était besoin, la difficulté pour obtenir des données exactes et stables.

* 51 Il faut noter une exception à ce principe. Les mineurs peuvent faire l'objet d'une mesure de réadmission vers un autre Etat membre de l'Union européenne.

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