2. En métropole : des entrées régulières suivies d'un séjour irrégulier

La plupart des personnes entendues par la commission d'enquête s'accordent pour considérer que les étrangers en situation irrégulière, en métropole, sont généralement entrés régulièrement sur le territoire national et s'y sont maintenus irrégulièrement .

Les frontières extérieures de l'espace Schengen situées en France sont en effet peu nombreuses -frontière avec la Suisse, aéroports, ports, gares- et, dans l'ensemble, bien surveillées . Les chiffres publiés dans le deuxième rapport sur les orientations de la politique de l'immigration, remis par le Gouvernement au Parlement au mois de février 2006, témoignent à la fois de l'activité des services de la police aux frontières et de l'ampleur de la pression migratoire : en 2005, 23.542 personnes ont fait l'objet d'un refus d'admission, contre 20.893 en 2004, et 16.157 ont été placées en zone d'attente, contre 17.098 en 2004. La plateforme aéroportuaire de Roissy concentre à elle seule la moitié des mesures de réadmission et 80 % des placements en zone d'attente.

Les contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen ayant été supprimés , les étrangers désireux de se rendre en France peuvent tenter de franchir irrégulièrement les frontières extérieures d'autres Etats membres, jugées plus perméables . Il a ainsi été rapporté aux membres de la commission d'enquête qui se sont rendus dans les Bouches-du-Rhône qu'un grand nombre d'étrangers accédaient irrégulièrement au territoire français en passant par l'Italie ou l'Espagne.

Lors de son audition, M. Eric Le Douaron, directeur central de la police aux frontières, a confirmé que la frontière terrestre la plus sensible était celle avec l'Italie. Il a par ailleurs estimé que la pression migratoire en métropole se répartissait quasiment à parts égales entre les frontières aériennes extérieures de l'espace Schengen et les frontières terrestres intérieures.

La solidarité entre les Etats membres de cet espace doit donc être sans faille . A cet égard, la délégation de la commission d'enquête qui s'est rendue en Roumanie au mois de mars 2006 a pu constater, dans la perspective de l'adhésion de cet Etat à l'Union européenne en 2007, que les futures frontières extérieures de l'Union faisaient l'objet d'une surveillance rigoureuse au moyen de technologies sophistiquées.

La rigueur des contrôles, si elle n'est pas totalement dissuasive, conduit un grand nombre d'étrangers à essayer de se maintenir en France après y être entrés régulièrement .

Lors de son audition, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a ainsi déclaré : « Nous avons tous à l'esprit l'image des migrants africains à l'assaut par milliers des barrières de Ceuta et Mellila, celle des Kurdes de « l'East Sea » débarquant en février 2001 sur une plage du Midi ou celle des milliers de personnes qui tentent de franchir le détroit de Gibraltar sur de frêles embarcations, les pateras, bien souvent en y laissant leur vie .

« Nul ne peut être insensible à ces images de détresse absolue et de désespoir total qui bouleversent à juste titre les consciences européennes, mais l'émigration à tout prix est-elle la seule solution au drame du continent africain ? Je suis persuadé que non .

« Ces images très médiatisées ne représentent pourtant qu'une partie de l'immigration clandestine car les migrants clandestins, dans leur grande majorité, entrent dans l'Union européenne de manière légale. C'est la première idée que je veux faire passer : on entre légalement dans l'Union européenne, on s'y maintient illégalement au-delà de la durée légale du court séjour et on bascule ainsi dans l'illégalité . »

Cette analyse est partagée par de nombreuses personnes entendues par la commission d'enquête, notamment MM. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, et Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS.

Elle conduit à inviter nos postes consulaires à faire preuve d'une grande vigilance dans la délivrance des visas de court séjour, sans pour autant laisser accréditer l'idée selon laquelle la présence en France d'une majorité d'étrangers en situation irrégulière leur serait imputable . Comme l'a souligné M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, devant la commission d'enquête : « Tout d'abord, la France ne délivre que 20 % des visas Schengen et il est donc possible, pour les 80 % d'étrangers obtenant un visa d'un autre Etat Schengen, d'avoir accès à notre territoire, l'espace Schengen étant par nature ouvert. Ensuite, les statistiques de l'OFPRA montrent que moins de 15 % des demandeurs d'asile sont entrés sur notre territoire munis d'un visa. Enfin, 43 nationalités ne sont pas soumises à l'obligation de visa pour venir en France, mais plusieurs d'entre elles occasionnent de réelles difficultés en matière d'asile et d'immigration . » M. François Barry Delongchamps, directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères, a ajouté que, selon une enquête parcellaire réalisée auprès des postes situés dans les Etats dont sont originaires nombre de personnes éloignées, 21 % d'entre elles en moyenne (avec des écarts allant de 0 % à plus de 38 %) avaient bénéficié d'un visa délivré par un consulat français.

Dans une réponse écrite à une question qui lui était posée sur les moyens d'améliorer la connaissance de l'immigration irrégulière, M. Patrick Stefanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, indique qu'« au-delà du cas général des étrangers non demandeurs d'asile qui entrent en France de façon irrégulière ou qui, entrés en France régulièrement, s'y maintiennent irrégulièrement, une part très importante du nombre des personnes en situation irrégulière correspond, depuis la fin des années 1990, à des demandeurs d'asile dont la demande a été définitivement rejetée par l'OFPRA ou par la Commission des recours des réfugiés . » Cette présence d'un grand nombre de déboutés du droit d'asile parmi les étrangers en situation irrégulière mérite une mention spécifique.

Le droit d'asile est garanti à la fois par la Constitution française et la convention de Genève du 28 juillet 1951. Ceux qui demandent à en bénéficier ne peuvent se voir refuser l'accès au territoire au motif qu'ils sont dépourvus des documents exigés -2.278 demandes d'asile à la frontière ont été enregistrées en 2005, contre 2.513 en 2004 et 5.912 en 2003. Toutefois, si leur demande de reconnaissance du statut de réfugié est finalement rejetée, ils seront considérés comme étant entrés irrégulièrement en France, ce qui fera le plus souvent obstacle à la régularisation de leur situation à un autre titre.

Le tableau ci-après, communiqué par le secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, est censé illustrer la contribution annuelle de la demande d'asile à l'immigration irrégulière entre 1999 et 2005.

Tableau indicateur la contribution annuelle de la demande d'asile
à l'immigration irrégulière entre 1999 et 2005

Nombre de primo demandeurs d'asile (dont asile territorial
de 1999 à 2003)

(1)

Nombre de reconnaissances

(dont asile territorial)

(2)

Différence

(estimation
du nombre
des déboutés)

(1) - (2) = (3)

Nombre
de mesures d'éloignement exécutées
(hors réadmissions)

(4)

Différence

(3) - (4)

1999

37.891 (6.984)

4.879 (383)

33.012

7.821

25.191

2000

50.562 (11.815)

4.958 (286)

45.604

9.230

36.374

2001

64.563 (17.272)

6.300 (181)

58.263

8.604

49.659

2002

73.875 (22.788)

7.443 (89)

66.432

10.067

56.365

2003

79.945 (27.741)

8.285 (111)

71.660

11.692

59.968

2004

50.547

10.088

40.459

15.560

24.799

2005

42.541

11.531

31.010

19.849

11.161

Total

399.924

53.484

364.440

89.923

263.517

Source : CICI.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), a estimé que le taux extrêmement élevé de rejet des demandes d'asile (85 %) attestait l'existence de tentatives de détournement de la procédure.

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