B. LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE L'ASILE ET LE RETOUR DES DÉBOUTÉS DU DROIT D'ASILE

L'asile, il convient de le rappeler, ne relève pas de la politique de l'immigration.

Si les Etats souverains ont le droit de contrôler les conditions d'accès et de séjour des étrangers sur leur territoire, ils ont en revanche le devoir, s'ils sont parties aux conventions internationales relatives au statut des réfugiés, d'accueillir les demandeurs d'asile et de leur offrir leur protection.

Pour la France, ce devoir résulte, outre son adhésion à la Convention de Genève et au Protocole de New York, de la Constitution et, au-delà même des textes, d'une coutume immémoriale qui, depuis la Révolution, s'est progressivement imposée comme un principe fondamental du droit national et de la tradition républicaine.

Cependant, en France comme en Europe -et d'ailleurs dans l'ensemble des pays d'accueil du monde industrialisé- l'augmentation, les fluctuations et le changement de nature de la « demande » d'asile ont largement désorganisé les procédures mises en place pour l'accueil des réfugiés.

Cette désorganisation, en particulier l'allongement des délais qui en est résulté, a ainsi favorisé, dans un contexte de contrôle de l'immigration de travail, la multiplication des demandes d'asile « opportunistes » ou « dilatoires ».

L'encombrement des procédures d'asile pouvait en effet offrir aux candidats à l'immigration économique une chance d'entrer sur le territoire national et de s'y maintenir pendant une durée assez longue pour rendre quasiment impossible leur éloignement.

Deux indications peuvent être retenues pour illustrer, dans le cas de la France, cette dérive du droit d'asile :

- au début des années 1980, la France accueillait chaque année quelque 20.000 demandeurs d'asile et le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié était proche de 80 % ; dans les années 1999 à 2003, la moyenne annuelle des demandes d'asile avoisinait 60.000 et 85 % environ des demandeurs étaient finalement déboutés ;

- les déboutés du droit d'asile ne représentaient que 0,6 % des bénéficiaires de la régularisation de 1981-1983, antérieure à la première période de progression de la demande d'asile dirigée vers l'Europe, qui a culminé en 1992 106 ( * ) . Ils représentaient en revanche 23 % des « régularisés » de 1997-1998.

En dépit des efforts consentis entre 1991 et 1993 pour restaurer l'efficacité de la procédure d'asile, la nouvelle montée de la demande qui s'est manifestée à partir de 1996 l'a de nouveau fragilisée et a imposé, avec l'intervention de la loi du 10 décembre 2003, une réforme dont il convient de souligner qu'elle s'est inscrite dans le souci du respect de la tradition nationale et du renforcement des droits des « vrais » demandeurs d'asile.

Les deux premières années d'application de cette réforme ont permis d'enregistrer une réduction rapide et bienvenue des délais de traitement des dossiers et une baisse notable du nombre des demandes d'asile, baisse qui a toutefois bénéficié du renfort d'une conjoncture favorable et ne saurait de toute façon à elle seule suffire à résoudre le problème du détournement de la procédure d'asile.

Il reste cependant à évaluer ses effets sur la demande « opportuniste », sur le taux et les délais d'éloignement des déboutés et aussi à s'assurer que, conformément aux intentions du législateur, elle n'a pas porté atteinte à la garantie du droit d'asile.

1. 1999-2003 : la nouvelle crise du droit d'asile

Après une relative accalmie au milieu des années 1990, la demande d'asile dirigée vers l'Union européenne a connu une nouvelle progression à la fin de la décennie et s'est maintenue entre 1999 et 2003 à un niveau annuel moyen proche de 400.000 demandes.

On constate, pendant cette période, que cette nouvelle augmentation de la demande d'asile s'est très inégalement répartie entre les Etats membres, le cas de la France se différenciant nettement de celui des principaux autres pays d'accueil européens.

En France, en effet, la progression des demandes a été constante, aussi bien en ce qui concerne l'asile conventionnel que la procédure d'asile territorial créée par la loi dite RESEDA de 1998 : entre 1999 et 2003, le nombre des demandes d'asile conventionnel a doublé, passant de 31.000 à 62.000, celui des demandes d'asile territorial est quant à lui passé de 7.500 environ à 30.000.

Sur la même période, en revanche, nombre de nos partenaires européens ont connu, malgré parfois des fluctuations importantes d'une année sur l'autre, des évolutions s'inscrivant dans une tendance contraire. Selon les données du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le nombre annuel des demandes d'asile a, par exemple, baissé :

- en Allemagne, de plus de 95.000 à 50.500 ;

- au Royaume-Uni, de 91.200 à 73.780 ;

- aux Pays-Bas, de 42.700 à 13.400 ;

- en Belgique, de 35.700 à 16.900 ;

- en Italie, de 33.360 à 13.500.

Sous toutes les réserves qu'appellent les comparaisons statistiques européennes en la matière, la France, qui était en 1999 au sixième rang des pays d'accueil des demandeurs d'asile conventionnel, était ainsi passée en 2003 au deuxième rang -et au premier si l'on tient compte de la demande d'asile territorial.

Certes, des raisons historiques, culturelles, linguistiques ou géographiques peuvent expliquer que la demande d'asile se répartisse inégalement entre les pays européens. Mais l'évolution enregistrée entre 1999 et 2003 tient essentiellement aux « mouvements secondaires » entre les Etats membres : en effet, nos partenaires, anticipant sur l'harmonisation du droit communautaire prévue en 1997 par le traité d'Amsterdam et « programmée » par le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 ont, plus tôt que nous, révisé leurs dispositifs nationaux concernant aussi bien les conditions d'accueil des demandeurs d'asile que les procédures de traitement des demandes.

* 106 Selon le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (« State of the World's refugees 2000 », Oxford University Press, 2000) le total des demandes d'asile dirigées vers l'ensemble des pays d'Europe occidentale aurait été proche de 700.000 en 1992, les conséquences de la chute du mur de Berlin s'ajoutant à la « nouvelle demande d'asile » suscitée par les conflits ethniques, l'instabilité étatique ou les atteintes aux droits de l'homme en Afrique, en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient. Les « pics » de demande ont cependant pu se situer à des dates différentes dans les Etats membres de l'Union européenne : en ce qui concerne la France, le nombre maximal de demandes (61.500) a ainsi été atteint en 1989 et est revenu en 1992 au niveau de 40.000.

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