2. Même s'ils contribuent à l'attractivité du territoire, les droits sociaux reconnus aux étrangers en situation irrégulière doivent être préservés

Les mesures de contrôle aux frontières ne pouvant suffire, à elles seules, à stopper l'immigration clandestine, il est légitime de s'interroger sur les moyens de réduire « l'attractivité » du territoire, afin d'inciter les candidats au départ à rester dans leur pays.

a) Une attractivité qui ne doit pas être surestimée

Lors de son audition, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, M. Nicolas Sarkozy, a déclaré : « il ne faut pas se cacher la réalité : les droits sociaux accordés aux clandestins sont de nature à favoriser l'attractivité de la France. Ces droits sociaux ne doivent pas être supérieurs en France à ce qui est prévu ailleurs en Europe. Ces droits sociaux ne doivent se concevoir que de manière provisoire, liés à une situation d'urgence et en attendant le retour dans le pays d'origine ».

Les règles aujourd'hui en vigueur correspondent aux critères indiqués par le ministre d'Etat et méritent d'être préservées.

En premier lieu, l'examen des conditions d'ouverture des droits montre clairement qu'ils visent à répondre à des situations d'urgence, de grande précarité ou à des impératifs de protection des mineurs. Le bénéfice des prestations ne fait en outre pas obstacle à la mise en oeuvre des procédures de reconduite à la frontière.

En second lieu, les droits reconnus aux étrangers en situation irrégulière n'excèdent pas ce qui est couramment admis dans les Etats membres de l'Union européenne .

L'étude des législations en vigueur dans huit Etats de l'Union européenne montre que le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne et le Portugal ont organisé des modalités d'accès aux soins pour les immigrés irréguliers analogues à ce qui est observé en France. Ces six pays garantissent également le droit à la scolarisation pour tous les étrangers, indépendamment de leur situation au regard du droit au séjour.

Deux Etats ont en revanche une pratique plus restrictive :

- l'Allemagne accorde, en théorie, aux étrangers en situation irrégulière les mêmes droits aux prestations de santé que ceux reconnus aux demandeurs d'asile, à savoir le bénéfice des soins urgents, des vaccinations réglementaires et de la médecine préventive. La loi fondamentale reconnaît implicitement le droit à l'éducation pour les jeunes étrangers en situation irrégulière. La mise en oeuvre de ces droits se heurte cependant aux dispositions de la loi du 30 juillet 2004 sur le séjour, l'activité professionnelle et l'intégration des étrangers sur le territoire fédéral, qui impose aux agents des organismes publics de prévenir, sans délai, les autorités chargées de l'immigration s'ils apprennent, dans l'exercice de leurs fonctions, la présence d'un étranger en situation irrégulière ;

- le Danemark limite aux seuls traitements urgents les prestations dont les étrangers en situation irrégulière peuvent bénéficier dans le cadre du système national de santé et subordonne la scolarisation des enfants à la régularité de leur séjour.

Les règles en vigueur ne font donc pas de la France un pays particulièrement « généreux » vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière.

b) La remise en cause des droits sociaux reconnus aux étrangers en situation irrégulière présenterait de sérieux inconvénients

Les droits reconnus aux étrangers en situation irrégulière bénéficient, indirectement, à l'ensemble de la population, de sorte que leur remise en cause ne serait pas sans dangers.

En premier lieu, on comprend aisément que l'exclusion du système de soins d'une population, estimée entre 200.000 et 400.000 personnes, présente des risques au regard des maladies contagieuses que ces personnes sont susceptibles de véhiculer.

Les avantages qu'il y a à scolariser les enfants, plutôt qu'à les laisser livrés à eux-mêmes, apparaissent également assez évidents. Leur non scolarisation conduirait à les marginaliser et engendrerait vraisemblablement de réels problèmes de délinquance.

Plus généralement, l'exclusion des étrangers en situation irrégulière des dispositifs d'urgence risquerait de conduire à des réactions de violence désespérée, préjudiciables au maintien de la sécurité publique.

Il est douteux, de surcroît, que la remise en cause des droits reconnus aux étrangers en situation irrégulière les dissuade en grand nombre de gagner notre territoire. Les écarts de niveau de vie entre la France et les pays d'origine sont tels que les bénéfices retirés du travail illégal suffisent à justifier les risques du voyage.

Enfin, la remise en cause de leurs droits serait peu conforme aux valeurs de notre République et irait à l'encontre d'engagements internationaux ratifiés par le France.

Recommandation n° 40 : Maintenir les droits sociaux reconnus aux étrangers en situation irrégulière (aide médicale d'Etat, hébergement d'urgence, scolarisation des enfants).

c) La situation particulière de l'outre-mer

La situation propre à la Guyane, à Mayotte et, dans une moindre mesure, à Saint-Martin, justifie-t-elle l'adoption de mesures d'exception en matière sociale ?

Les témoignages recueillis par les délégations de la commission d'enquête ont montré que les habitants reprochaient souvent à leur hôpital d'être un facteur d'attraction de l'immigration clandestine. Comme cela a été indiqué, un grand nombre de femmes enceintes franchissent la frontière, souvent dans des conditions périlleuses, pour accoucher à Saint Laurent du Maroni ou à Mamoudzou. La commission d'enquête ne considère cependant pas que l'exclusion des étrangers du système de soins puisse représenter, même dans ces territoires, une solution acceptable .

Elle note que la mise en place prochaine d'un « ticket modérateur », à la charge des bénéficiaires de l'AME, devrait permettre de limiter les abus en Guyane et aux Antilles.

La situation est différente à Mayotte, puisque l'AME ne s'y applique pas. L'offre de soins était gratuite jusqu'en 2005, tant pour les ressortissants français que pour les clandestins.

L'ordonnance n° 2004-688 du 12 juillet 2004 relative à l'adaptation du droit de la santé publique et de la sécurité sociale à Mayotte, a introduit un nouvel article L. 6416-5 dans le code de la santé publique, prévoyant que « les frais d'hospitalisation, de consultation et d'actes externes sont acquittés (...) directement par les personnes qui ne sont pas affiliées au régime d'assurance maladie-maternité de Mayotte ». Un arrêté du directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de La Réunion et de Mayotte, en date du 9 août 2005, a fixé les tarifs appliqués, à Mayotte, aux étrangers non affiliés au régime de sécurité sociale :

- 10 euros par semaine pour une consultation (médicaments prescrits compris) ;

- 50 euros par jour d'hospitalisation ;

- 100 euros pour un acte de chirurgie ambulatoire ;

- 120 euros par jour pour un séjour en chirurgie hospitalière ;

- 300 euros pour une hospitalisation en gynécologie obstétrique.

D'après les informations recueillies par la délégation qui s'est rendue à Mayotte, les étrangers, Comoriens pour la plupart, parviennent en règle générale, à s'acquitter des sommes les plus faibles, telles que les dix euros de consultation. Ils éprouvent, en revanche, plus de difficultés à s'acquitter du forfait de 300 euros demandé pour le suivi des femmes enceintes.

Or, les médecins, à Mayotte comme en métropole, ne peuvent refuser de dispenser des soins aux patients dont la vie est menacée ou en cas d'urgence, par exemple en cas d'accouchement imminent. Les femmes enceintes qui se présentent à la maternité sont donc accueillies, même si elles n'ont pas réglé le forfait.

Il semble, par ailleurs, que les médecins aient tendance à privilégier une interprétation extensive des notions de soins vitaux ou urgents qui peut, dans certains cas, rendre inopérante la nouvelle politique de tarification. La commission d'enquête comprend que les médecins aient besoin d'un temps d'adaptation pour s'approprier les nouvelles règles, mais souhaite néanmoins rappeler la nécessité d'appliquer avec rigueur la nouvelle réglementation .

Ces mesures à caractère financier doivent être complétées par un renforcement de la coopération sanitaire avec les Etats voisins de Mayotte et de la Guyane, les Comores, d'une part, le Guyana et le Surinam, d'autre part, ainsi qu'avec les Etats des Antilles. Offrir des conditions sanitaires satisfaisantes, à un tarif abordable, aux populations locales est certainement le meilleur moyen de réduire la pression migratoire à nos frontières.

La délégation de la commission d'enquête qui s'est rendue à Saint-Laurent du Maroni a cependant pu constater que la construction d'un hôpital sur l'autre rive du fleuve, à Albina, n'avait pas dissuadé les Surinamiens de continuer à affluer vers la maternité située en Guyane. Ce qui conduit à s'interroger sur l'existence d'autres éléments d'attractivité, notamment l'espoir que peuvent avoir certains migrants de voir leurs enfants acquérir la nationalité française.

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