Audition de Me Hélène GACON, présidente de l'ANAFÉ
(Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers)
(6 décembre 2005)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Madame la présidente, nous vous remercions d'avoir accepté d'être entendue par notre commission d'enquête.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Me Hélène Gacon prête serment.

M. Georges Othily, président .- Madame la présidente, vous avez la parole.

Me Hélène Gacon .- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'attention que vous prêtez à des questions auxquelles j'attache beaucoup d'intérêt. Vous me pardonnerez d'être très rapide sur tout, compte tenu du délai que l'on m'a indiqué pour la durée de mon exposé. Je suis disposée, bien sûr, à revenir sur tel ou tel point de détail selon vos questions ou vos interrogations.

L'ANAFÉ est une association et est par conséquent dotée de la personnalité juridique. Mais cette association est elle-même composée d'une vingtaine d'organisations, toutes associatives ou syndicales, et je crois d'ailleurs que toutes les associations que vous entendez successivement sont membres de l'ANAFÉ, ce qui est une manière de vous familiariser avec ses activités.

Toutes ces organisations ont décidé de déléguer leurs activités à l'ANAFÉ pour toutes les préoccupations qui concernent l'admission des étrangers sur le territoire français.

Notre association a été constituée en 1989 et j'ai eu le plaisir de succéder à sa présidence au professeur Julien-Laferrière, en 1999.

Le deuxième élément que je souhaite vous indiquer concerne un aspect essentiel de notre activité : la convention que nous avons signée il y a un an et demi avec le ministère de l'intérieur et qui nous permet d'avoir un accès permanent à la zone d'attente de Roissy Charles de Gaulle. Je vous remets des documents qui comportent cette convention en annexe. Je pense que cet élément est tout à fait essentiel pour donner une certaine crédibilité ou, en tout cas, une légitimité à notre action, par rapport à tout ce qu'on a pu dire jusqu'en 2004, mais aussi à tout ce qui est dit maintenant. Là aussi, ce sont des points sur lesquels je répondrai volontiers à toutes vos questions.

Je vous indique enfin que nous avons un site Internet « Anafé.org » sur lequel vous trouverez toutes informations concernant l'association et son action.

Après ces éléments d'introduction, je dirai que, même si l'objet des travaux de votre commission est très vaste, a priori, pour nous, tout étranger qui est maintenu en zone d'attente n'est pas un immigré clandestin, et ce pour une raison bien simple : dès lors qu'il est maintenu en zone d'attente, il fait l'objet d'une procédure qui est destinée à déterminer s'il peut être admis ou non sur le territoire français, puisque vous savez que la zone d'attente, juridiquement, n'est pas le territoire français. Physiquement, les étrangers sont en France, mais, juridiquement, ils n'y sont pas encore.

Cette procédure, destinée à déterminer si telle ou telle personne peut être admise sur le territoire en fonction de critères déterminés par le législateur, est appliqués par l'administration, et en particulier par la police aux frontières, sous le contrôle, d'une part, du juge judiciaire, puisqu'il s'agit d'un espace où il y a une restriction à la liberté d'aller et venir, et, d'autre part, du juge administratif, compétent pour connaître des décisions qui sont prises par l'administration au sujet de cette personne.

Un étranger qui est maintenu en zone d'attente n'est donc pas, a priori, un immigré en situation irrégulière. Ce qui est en question, c'est de savoir si on lui permettra ou non d'entrer sur le territoire.

On assiste à une diminution très significative des étrangers qui sont maintenus en zone d'attente. Entre 2003 et 2004, la baisse a été de 25 %. Nous avons, selon les chiffres qui sont communiqués, environ 16.500 personnes qui sont maintenues en zone d'attente et j'ai joint au dossier que je vous remets des statistiques beaucoup plus précises. Cette diminution semble se confirmer en 2005, même si nous n'avons pas encore de chiffres définitifs, à travers, en particulier, les éléments que nous avons recueillis lors des réunions que nous avons mensuellement avec la police aux frontières intervenant dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle.

Cette diminution suscite des inquiétudes à l'ANAFÉ parce que, selon nous, elle ne traduit pas un mouvement spontané ni une diminution naturelle. En effet, je ne pense pas que moins d'étrangers cherchent à entrer sur le territoire français ou, plus globalement, en Europe. Elle traduit plutôt, selon nous, une concrétisation du discours qui prévaut et qui privilégie le contrôle des flux migratoires au détriment de la protection et de l'accueil des étrangers, en particulier des demandeurs d'asile.

Entre 2001 et 2004, nous constatons en effet une diminution très importante du nombre des demandeurs d'asile à la frontière alors que, dans le cas de l'asile, nous sommes dans une logique de protection individuelle exigeant que tous les demandeurs d'asile puissent accéder au territoire national.

On assiste en effet, dans le cadre de cette priorité du contrôle des flux migratoires, à la multiplication de moyens mis en oeuvre pour faire obstacle à l'accès au territoire.

Il y a par exemple les « contrôles en porte d'avion », qui ont une conséquence pratique très importante, puisqu'ils permettent de refouler immédaitement les étrangers en les renvoyant vers la ville de provenance de l'avion par lequel ils sont arrivés, et non dans leur pays d'origine, ce qui peut exiger des investigations beaucoup plus lourdes et retarder par conséquent leur éloignement. Ce contrôle se développe beaucoup : les effectfs chargés de l'assurer ont été multipliés par quatre en deux ans.

Un autre moyen a été mis en oeuvre : l'élargissement de la liste des pays dont les ressortissants doivent être en possession d'un visa de transit aéroportuaire, ce qui permet de multiplier les contrôles.

Autre moyen encore, « à la source », avant même que les étrangers puissent embarquer : la mise en place d'officiers de liaison dans les aéroports d'embarquement, ce qui dissuade les étrangers, voire leur retire toute possibilité, de quitter telle ou telle ville pour se rendre en France, et cela quelles que soient leurs intentions.

Nous avons des préoccupations toutes particulières à l'égard des mineurs isolés, qui sont très nombreux. Nous avons diffusé le 30 juin 2005 une résolution qui ne fait que reprendre toutes les opinions que nous n'avons jamais cessé d'exprimer et qui condamne tout placement de mineurs en zone d'attente. Il nous semble en effet que dès lors qu'un mineur étranger isolé se présente à la frontière, on peut présumer qu'il est nécessairement en situation de danger, et souvent de danger durable.

C'est le cas notamment de ceux qui se présentent pour demander l'asile parce qu'ils sont en danger dans leurs pays. Mais cela peut aussi tenir au fait que ces mineurs sont entre les mains d'un réseau de passeurs, ce qui présente aussi pour eux un danger qui peut être ponctuel ou durable.

Pour nous, il y a donc systématiquement une situation de danger. Et, dès lors que le maintien en zone d'attente fait courir un risque de refoulement qui peut intervenir à tout moment, il nous semble donc que ce maintien en zone d'attente n'offre pas de garanties suffisantes pour les intérêts du mineur qui doit être protégé contre un danger ponctuel ou durable.

Pourtant, il existe, en France, un système qui permettrait d'offrir une protection suffisante aux mineurs : le dispositif de la protection judiciaire de la jeunesse qui, avec des juges, des structures d'investigation et des mesures d'assistance éducative, peut être utilisé, quelles que soient la situation du mineur et la durée de son séjour en France. Il nous semble donc que tout étranger mineur isolé devrait pouvoir être admis sur le territoire immédiatement, et être confié au service de la protection judiciaire de la jeunesse, ce qui est incompatible avec le maintien en zone d'attente.

Le législateur a prévu, comme vous le savez, une autre solution qui, pour nous, n'est pas satisfaisante : la désignation d'un administrateur ad hoc, dont la seule compétence est de représenter légalement le mineur pendant son maintien en zone d'attente, dans le cadre de toutes les procédures administratives et juridictionnelles. Là aussi, je pourrais évoquer de nombreuses difficultés, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre du dispositif. C'est la Croix Rouge qui est l'administrateur ad hoc pour les mineurs en zone d'attente et qui sera la première à vous dire que, ne serait-ce que matériellement, il lui est impossible d'être présente au moment de la notification du maintien en zone d'attente. On constate ainsi qu'aucune mesure de maintien en zone d'attente n'est notifiée en présence de l'administrateur ad hoc, c'est-à-dire du représentant légal, et il s'agit bien là, à mon avis, d'un exemple de dysfonctionnement grave.

Toujours concernant les mineurs, notre inquiétude tient aussi au fait que, selon les statistiques qui nous sont fournies par le ministère de l'intérieur, plus de la moitié des mineurs isolés sont finalement refoulés. On nous dit qu'ils le sont à destination du pays d'origine parce qu'on est obligé de reconnaître que la ville de provenance ne présente pas de garanties suffisantes, mais nous craignons évidemment, même si tout n'est pas dit, que ces mineurs soient entre les mains de réseaux de prostitution ou de divers trafiquants et que, s'ils sont refoulés vers leur pays d'origine, ils retombent sous le pouvoir des organisateurs de ces réseaux.

A partir du moment où le parquet est avisé systématiquement du maintien en zone d'attente de tout mineur ou de tout majeur, il nous semble que sa responsabilité serait plutôt de faire en sorte que les réseaux soient démantelés, en engageant des procédures judiciaires sur le territoire français, celles-ci pouvant être diligentées de la manière la plus efficace si les mineurs victimes de ces réseaux étaient admis sur le territoire, avec un encadrement judiciaire, évidemment, et pouvaient apporter leur témoignage.

Voilà, en quelques minutes, les observations que je souhaitais faire devant votre commission.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Vous avez indiqué, madame, que la procédure de l'administrateur ad hoc ne vous paraissait pas pertinente. Pourriez-vous préciser votre pensée sur ce point ? C'est ma première question.

J'ai une seconde question. Les textes prévoient que le procureur de la République ou le juge des libertés peut se rendre dans les zones d'attente pour consulter les registres et contrôler la manière dont l'aménagement matériel a été fait et dont l'accueil est organisé. Avez-vous des exemples qui montrent que ces personnes se déplacent et font effectivement cette démarche ?

Me Hélène Gacon .- En ce qui concerne l'administrateur ad hoc, il n'y avait, jusqu'en février 2005, que deux personnes qui assumaient cette mission. Elles avaient été désignées dans une certaine précipitation -c'étaient d'anciens policiers retraités qui travaillaient pour le compte de l'association SOS Victimes 93- et elles avaient été choisies parce que cette association avait déjà l'habitude de travailler avec le service éducatif qui est rattaché au tribunal pour enfants de Bobigny.

Pour différentes raisons, ces deux personnes ont cessé d'occuper cette fonction. L'association SOS Victimes 93 ayant décidé de mettre fin à ses activités, la Croix Rouge s'est portée candidate pendant l'été 2004 et cette candidature a été avalisée et concrétisée à partir de février 2005.

Comme je vous l'ai dit, la simple représentation légale ne nous semble pas satisfaisante ni suffisante parce que nous estimons que ces mineurs doivent être encadrés par une véritable assistance judiciaire, que c'est en conséquence le dispositif de protection judiciaire de la jeunesse qui doit être compétent.

En outre, il nous semble que, quelle que soit la bonne volonté dont puisse témoigner tel ou tel administrateur ad hoc qui a été désigné par la Croix Rouge, le caractère expéditif des procédures s'oppose à ce qu'ils puissent remplir pleinement leur fonction, déjà trop limitée.

Très concrètement, pour les demandeurs d'asile, la procédure particulière d'admission sur le territoire au titre de l'asile a pour objet de déterminer si la demande d'asile est manifestement infondée ou non et c'est une décision qui est prise par le ministère de l'intérieur après un avis rendu, depuis juillet 2004, par l'OFPRA : il était rendu auparavant par le ministère des affaires étrangères. Il y a donc un entretien avec l'OFPRA. Théoriquement, l'administrateur ad hoc doit assister le mineur au cours de cet entretien et il doit être également présent, bien sûr, au moment de la notification de la décision prise par le ministère de l'intérieur.

Cet entretien avec l'OFPRA est donc tout à fait déterminant et le mineur doit y être préparé et savoir à l'avance sur quelles questions il sera interrogé, d'autant plus que le maintien en zone d'attente est un moment crucial : c'est la première fois que la personne va pouvoir s'exprimer avec une certaine confiance, du moins on peut l'espérer, devant les autorités de cette terre sur laquelle il espère trouver asile. Ce moment où le mineur va pouvoir s'exprimer est donc un moment charnière et pourtant, tout se fait dans la précipitation.

L'OFPRA le dit lui-même et il a diffusé sur ce point des statistiques qui se recoupent avec celles du ministère de l'intérieur. Jusqu'en 2003, la durée moyenne du séjour en zone d'attente était de 5 jours et elle est maintenant passée à 1,82 jours. Cela veut dire, très concrètement, que quand un étranger arrive le matin, la demande d'asile est enregistrée dès son arrivée, qu'il est entendu l'après-midi par l'OFPRA qui rend ensuite son avis, que la décision est prise par le ministère de l'intérieur le soir -et qu'en cas de refus, la police aux frontières va procéder à un refoulement soit le soir même, soit le lendemain matin.

A partir du moment où, compte tenu de l'accélération des procédures, l'administrateur ad hoc n'a même pas le temps nécessaire pour exercer efficacement même une simple représentation légale, il me semble que la protection n'est pas suffisante à l'égard de ces mineurs, qui sont dans une situation de vulnérabilité encore plus grande que celle des étrangers adultes qui sont maintenus en zone d'attente.

Voilà, en quelques mots, les éléments de réponse que je peux fournir à votre première question.

Votre seconde question recoupe beaucoup de choses, mais je vais essayer d'être synthétique. En ce qui concerne les transports sur les lieux, il faut savoir qu'auparavant, la loi sur la présomption d'innocence obligeait le parquet à effectuer un transport sur les lieux une fois par semestre et que, en application de la loi Sarkozy du 26 novembre 2003, cette obligation est devenue simplement annuelle. J'espère que le parquet applique la loi, mais, dans la mesure où la loi ne prévoit aucune obligation de rapport -peut-être est-il fait de manière non publique, mais nous n'en avons pas l'écho- et où aucune publicité n'est faite sur l'exécution de cette obligation, nous ne savons absolument rien des transports sur les lieux effectués par le parquet.

En ce qui concerne le juge des libertés et de la détention, nous avons en revanche eu connaissance de plusieurs transports sur les lieux, ne serait-ce que parce que certains d'entre eux ont été à l'origine de décisions de justice. Cela a été le cas lorsque la situation dans les aérogares était absolument dramatique. J'ai notamment le souvenir de deux juges des libertés et de la détention qui se sont rendus dans la salle de correspondance du terminal 2 A.

Nous avons aussi d'autres exemples de transports qui ont été effectués et qui nous ont été relatés par des magistrats qui, par ailleurs, sont membres du Syndicat de la magistrature, qui fait partie des organisations membres de l'ANAFÉ.

Récemment, je n'ai pas eu d'exemple, mais cela ne signifie pas qu'il n'y ait rien eu.

En ce qui concerne le registre, il n'y a plus maintenant de difficultés particulières, puisque vous savez que, depuis le décret du 17 novembre 2004, on a obligation, lors de la saisine du juge des libertés et de la détention, de produire en annexe l'extrait du registre pour la période concernant l'étranger.

D'après l'expérience que j'en ai, en tant que présidente de l'ANAFÉ, dans ma pratique d'avocat et à travers les échos que je suis amenée à recueillir à droite et à gauche, il n'y a pas eu de difficultés particulières. Après une courte période d'adaptation, on peut dire que, depuis décembre 2004, la copie du registre est toujours annexée au dossier.

Enfin, pour ce qui concerne les conditions matérielles, je dirai que, globalement, pour ZAPI 3, ces conditions n'appellent plus de critiques particulières : les éléments de confort sont aujourd'hui relativement satisfaisants, d'autant plus qu'il y a maintenant en général moins d'une centaine de personnes alors que la capacité est de 170 personnes. Ces jours derniers, tout le monde s'est plaint du chauffage, y compris les bénévoles de l'ANAFÉ, puisque nous y avons un bureau, car la température des locaux n'était que de 15 degrés, mais c'est conjoncturel.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Lorsqu'il n'y a pas de transport sur les lieux du parquet ni de déplacement du juge des libertés, les décisions sont-elles prises en dehors du système judiciaire ? Comment sont-elles notifiées ? Je voudrais savoir comment cela se passe si le parquet ne se déplace pas et si le juge des libertés n'est pas présent.

J'ai deux autres questions à vous poser.

Tout d'abord, j'aimerais savoir si, dans les zones d'attente, vous rencontrez les mêmes problèmes d'interprètes que ceux que l'on constate aujourd'hui dans les centres de rétention, où on peut difficilement avoir recours à un interprète pour pouvoir déposer sa demande d'asile en français.

Ensuite, vous avez parlé des méthodes utilisées par l'officier de liaison qui, à l'aéroport de départ, empêche l'embarquement, ainsi que du contrôle à la descente de l'avion, qui aboutit à un refoulement. En l'occurrence, ces méthodes ne violent-elles pas certains principes ou traités internationaux comme le principe de non-refoulement ou le droit à la demande ou à la recherche d'asile ?

M. Bernard Frimat .- Je sais que vous êtes attachée à juste titre au jour franc, pendant lequel un étranger ne peut pas être refoulé. Or vous évoquez une durée moyenne de séjour en zone d'attente de 1,82 jour. J'imagine mal que l'on puisse arriver à cette moyenne de 1,82 jour sans que, dans la série, on ait des « zéro virgule quelque chose », ce qui signifierait que l'on est en dessous du jour franc.

Cela rejoint la question que posait Mme Boumediene-Thiery. Le caractère expéditif de la procédure permet-il d'assurer cette protection minimale ? Je me pose la question après tout ce que nous avons entendu avant de vous voir sur la nécessité d'avoir du temps. Pouvez-vous nous donner une précision sur ce point ?

Me Hélène Gacon .- Cela fait beaucoup de questions, mais je vais essayer de donner des réponses aussi précises que vous l'espérez.

Sur la première question, qui a été posée de manière un peu incidente à celle de M. le rapporteur, je répondrai rapidement sur le fait que trois juges peuvent être amenés à intervenir.

Le premier est le juge des libertés et de la détention. Si, à l'expiration des 96 heures après son arrivée, ce qui est de moins en moins fréquent -vous imaginez en effet que, par voie de conséquence, le tribunal de Bobigny se vide de manière substantielle- l'étranger est toujours là et si l'administration souhaite prolonger son maintien en zone d'attente, le juge des libertés et de la détention est amené à se prononcer, mais il s'agit d'une simple faculté qui a été soulignée par le législateur et qui a été rappelée à plusieurs reprises par la Cour de cassation.

Deuxièmement, puisque, comme je l'ai dit, le maintien en zone d'attente est une restriction à la liberté d'aller et venir, le juge judiciaire est également amené à se prononcer sur toutes les éventuelles nullités de la procédure qui a précédé sa saisine, notamment sur la manière dont l'interpellation a été faite et sur le respect des droits attachés au maintien en zone d'attente. Il intervient aussi s'il y a un transport sur les lieux et si la question qui se pose concerne directement les conditions dans lesquelles l'étranger est maintenu en zone d'attente, mais, de toute façon, dans le dossier, de nombreux éléments justifient que le juge judiciaire soit amené à intervenir.

Le juge administratif peut aussi être saisi notamment dans le cadre du référé liberté et même du référé suspension. Nous agissons beaucoup en ce sens dans le cadre de l'ANAFÉ.

Enfin, le parquet peut être amené à se prononcer. Il peut être saisi à tout moment et nous effectuons d'ailleurs de très nombreux signalements. Malheureusement, nous constatons souvent des classements ou une absence de réponse mais, selon nous, le parquet devrait pouvoir jouer un rôle tout à fait essentiel.

Quant à la question de l'interprète, que vous évoquerez sans doute demain avec la CIMADE, je tiens à vous rassurer : nous n'avons pas ce problème car la demande d'asile à la frontière ne se situe pas dans le cadre de l'examen de la demande d'asile. C'est une procédure distincte d'admission sur le territoire en vue de la présentation d'une demande d'asile. L'OFPRA intervient pour émettre simplement un avis sur le caractère manifestement infondé ou non de cette demande et c'est le ministère de l'intérieur qui rend une décision.

Lorsque nous avons eu connaissance par le ministère de l'intérieur du projet du décret du 30 mai 2005 qui institue cette restriction, c'est un point que nous avons clarifié avec lui, sachant que, pour lui, il n'y a pas de doute. La DLPAJ nous a suggéré que l'on ait une réponse explicite du ministre de l'intérieur et nous l'attendons toujours, mais cette absence de réponse ne crée pas d'ambiguïté particulière.

J'en arrive à votre question sur les moyens qui sont mis en oeuvre pour limiter l'accès au territoire. Vous avez parfaitement compris que c'est tout à fait notre inquiétude, surtout pour les demandeurs d'asile. A partir du moment où on doit appliquer le principe de non-refoulement de la convention de Genève, qui concerne normalement uniquement les réfugiés statutaires mais qui, selon le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, concerne très clairement l'ensemble des demandeurs d'asile, ceux-ci doivent pouvoir être admis sur le territoire en vue de présenter une demande d'asile. Il est donc évident que, pour nous, ces méthodes sont, sinon une violation des principes -mais c'est une inquiétude que nous avons- du moins, matériellement et très concrètement, le moyen d'empêcher les demandeurs d'asile d'accéder au territoire.

Par voie d'extension, on sait bien que, comme le montrent les statistiques, en dépit d'une diminution du nombre des étrangers qui sont maintenus en zone d'attente, il y a presque autant de demandeurs d'asile. Je sais que les statistiques de l'OFPRA traduisent aussi une diminution, mais si les personnes veulent venir, elles utilisent d'autres moyens et si ce n'est pas celui de la zone d'attente, qui implique la voie aérienne, elles utilisent la voie terrestre.

Je citerai à cet égard l'exemple des Tamouls qui, par l'intermédiaire de certaines filières, venaient auparavant par l'Afrique du sud ou par Dubaï. Maintenant, on ne voit pratiquement plus de Sri-Lankais d'origine tamoule en zone d'attente, mais cela ne signifie pas que l'OFPRA enregistre moins de demandeurs d'asile puisqu'on sait tout simplement qu'ils viennent par Moscou et, ensuite, par la voie terrestre. Vous avez là une illustration très claire du fait que les demandeurs d'asile sont obligés de contourner ces moyens qui font obstacle à leur accès au territoire.

J'en viens à la question sur le jour franc et le rapprochement avec cette statistique de 1,82 jour que je vous ai donnée. Au moment où nous étions impatients de signer formellement la convention avec le ministère de l'intérieur, nous nous sommes adressés par courrier au ministre, au début du mois de septembre, et nous avons donné une certaine publicité à cette lettre qui faisait état de toutes les inquiétudes que suscitait la situation que nous constations en zone d'attente. Bien sûr, le respect du jour franc est une revendication que nous exprimons depuis que la zone d'attente a été créée, et comme il fait toujours l'objet de restrictions, nous sommes véritablement inquiets.

C'est un droit qui était accordé systématiquement et auquel il était possible de renoncer, mais, depuis la loi du 26 novembre 2003, le dispositif est inversé. Désormais, ce n'est plus un droit mais simplement une faculté, c'est-à-dire que les étrangers n'en bénéficient que s'ils le demandent. Dans la pratique que nous enregistrons du fait de nos contacts directs avec les étrangers que nous recevons à notre bureau en ZAPI 3, nous avons la tristesse de constater que, dans la quasi-totalité des cas, cette faculté n'est pas utilisée.

Nous craignons que le véritable enjeu de ce jour franc ne soit pas correctement expliqué, ou qu'il ne le soit pas avec suffisamment de précision, par les agents de la police aux frontières au moment de la notification du maintien en zone d'attente.

Je donnerai deux exemples qui mettent en évidence toute l'importance du jour franc.

Le premier exemple nous est donné par la police aux frontières qui, dans le cadre des réunions mensuelles que nous avons avec elle, nous explique que, pour les mineurs, le jour franc est accordé de manière systématique. On voit donc qu'en l'occurrence, la faculté de disposer du délai du jour franc est « imposée » par la police aux frontières, qui explique cette situation par le seul fait que la mise en place de l'administrateur ad hoc est longue et difficile, ne serait-ce que du point de vue matériel, et que le jour franc est indispensable, sinon on ne dispose pas du temps nécessaire pour le respect des procédures.

Cet exemple révèle que le jour franc est une disposition tout à fait essentielle, qui est le corollaire de tous les droits attachés au maintien en zone d'attente, puisqu'il devient presque une nécessité revendiquée par la police aux frontières dans le cas des mineurs.

Le deuxième exemple est inverse : nous constatons que de nombreuses personnes ne sont jamais vues en ZAPI. Elles arrivent dans les aérogares, on leur notifie une procédure de maintien en zone d'attente -du moins je l'espère- et elles sont refoulées dans les quelques heures qui suivent. Cela veut dire que, pour elle, il n'y a certainement pas eu d'option d'user de cette faculté du jour franc.

Comme nous avons quand même des échos de ce qui se passe, nous nous apercevons, d'après ce que dit souvent la police aux frontières, que des catégories entières de personnes sont dans ce genre de situations. C'est le cas, notamment, des mineurs chinois que l'administrateur ad hoc ne voit strictement jamais car il n'a pas le temps d'être désigné. Quand le mineur chinois arrive, on lui notifie une procédure de maintien en zone d'attente, manifestement sans respecter son droit à demander de disposer du jour franc, l'administrateur ad hoc n'a même pas le temps d'être désigné et le mineur est refoulé. La Croix Rouge est la première à le savoir et à le dire.

Nous avons également eu connaissance d'autres cas de personnes qui sont refoulées très vite, en quelques heures. C'est notamment le cas lorsque, parallèlement, la police aux frontières nous fait état du démantèlement de filières, en particulier en provenance d'Amérique du Sud, pour l'essentiel de Bolivie, mais aussi parfois du Pérou.

Autrement dit, pour ces catégories de personnes, le jour franc n'est jamais respecté, ce qui permet un refoulement tellement expéditif qu'elles ne sont même pas transférées dans ce la zone d'attente pour les personnes en instance, où nous avons la possibilité de nous entretenir avec elles. Il y a vraiment plusieurs catégories de personnes qui n'ont pas cette faculté de disposer du délai d'un jour franc et que nous ne voyons jamais.

M. Bernard Frimat .- Ces gens sont vraiment des clandestins : on n'arrive pas à les connaître.

Me Hélène Gacon .- Ce sont des clandestins pour nous parce que nous ne les voyons pas, mais je pense qu'ils ne sont pas clandestins dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une procédure de maintien en zone d'attente qui leur a été régulièrement notifiée.

M. Bernard Frimat .- Avez-vous une idée du nombre de personnes concernées ?

Me Hélène Gacon .- Non, absolument pas.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Ils ne sont même pas clandestins puisqu'ils sont refoulés immédiatement, sans entrer sur le territoire.

M. Bernard Frimat .- Je voulais dire par là qu'ils sont inconnus.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Ils sont inconnus des systèmes.

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie beaucoup de ces informations, madame la présidente, et si nous avons besoin de précisions, nous ne manquerons pas de vous les demander.

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