II. LE CADRE D'INTERVENTION : LE TERRITOIRE, LE CONTRAT, L'ÉLÈVE

A. LE DÉCOUPLAGE PARTIEL DES TERRITOIRES D'INTERVENTION DE LA POLITIQUE DE LA VILLE ET DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE

1. Le zonage de la politique de la ville

Les interventions mises en oeuvre par l'Etat au titre de la politique de la ville se déploient dans 751 zones urbaines sensibles (ZUS), qui constituent l'unité de base de cette politique, dans 416 zones de redynamisation urbaine (ZRU), et dans 100 zones franches urbaines (ZFU). Le classement d'un quartier dans l'une de ces zones prioritaires emporte des conséquences importantes pour la mise en oeuvre et le suivi de la politique de la ville : il rend éligible à un régime d'exonérations fiscales et sociales ; il exerce un impact significatif, depuis 2005, sur les modalités de répartition de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale ; enfin, depuis la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, les ZUS constituent l'unité de définition des objectifs et de suivi des indicateurs de résultats au niveau national de la politique de la ville. Le schéma suivant présente les critères de définition de ces zones et leurs modalités d'articulation : ces zones s'emboîtent entre elles, à l'exception des extensions récentes de périmètre des zones franches urbaines.

Tableau n° 2 :  L'emboîtement des zones d'intervention de la politique de la ville

a) Les modalités de classement d'un territoire en zone d'intervention prioritaire de la politique de la ville

Deux décrets de décembre 1996 sont intervenus pour définir les critères de rattachement aux différentes zones et fixer la liste des quartiers concernés :

- Le périmètre initial des ZUS résulte d'une sélection, réalisée par les élus locaux et les services de l'Etat, de territoires caractérisés par la présence de « grands ensembles ou de quartiers d'habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l'habitat et l'emploi » . Ce choix ne s'est pas appuyé sur des indicateurs socio-économiques quantitatifs, et cette liste des ZUS n'a été révisée ponctuellement que deux fois depuis 1996 ( 12 ( * ) ).

- L'identification des ZRU s'appuie, en revanche, sur un indice synthétique représentatif de leurs difficultés économiques et sociales. Cet indice constitue « un critère exclusif de sélection, sans toutefois exclure, à la marge, une appréciation qualitative » ( 13 ( * ) ). Cet indice, défini par un décret du 26 décembre 1996, a été le critère prépondérant de choix pour 90 % des ZRU.

Le calcul de l'indice synthétique utilisé pour la définition des ZRU

Indice synthétique = (Population de la zone considérée * Taux de chômage * Proportion de jeunes de moins de vingt-cinq ans dans la population totale * Proportion de personnes sans diplôme déclaré) / Potentiel fiscal utilisé pour la répartition de la dotation globale de fonctionnement ( 14 ( * ) )

Source : décret n° 96-1159 du 26 décembre 1996

- Les ZFU sont enfin choisies parmi les ZRU de plus de 10 000 habitants - ou de plus de 8 500 habitants pour les ZFU créées en 2006 - qui présentent les plus fortes valeurs de l'indice synthétique. La liste de ces zones est annexée à la loi du 14 novembre 1996 qui précise que d'autres éléments peuvent être pris en compte, au-delà du seul indice synthétique : « la délimitation [des ZFU] est opérée par décret en Conseil d'État, en tenant compte des éléments de nature à faciliter l'implantation d'entreprises ou le développement d'activités économiques ».

b) Une couverture large de la population

Les ZUS représentaient, en 1999, 8 % de la population totale et 7 % de la population active. Le tableau suivant recense la population des différentes zones d'intervention de la politique de la ville.

Tableau n° 3 :   La population des zones d'intervention de la politique de la ville

Population en ZUS hors ZRU

1 475 726

Population en ZRU

3 196 363

Population totale en ZUS

4 672 089

Population en ZFU

1 587 096

Source : données DIV d'après recensement général de la population 1999. La population en ZFU ne peut être incluse dans le calcul de la population en ZUS totale. Les données du recensement rénové de la population ne seront disponibles qu'en 2010.

L'« effet de fixation » du classement dans une zone d'intervention de la politique de la ville - qui risque sans doute d'être amplifié par les nouveaux critères de répartition de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS) - pourrait être limité par la mise en oeuvre d'une procédure de réexamen périodique. Celui-ci serait l'occasion de dresser un bilan de l'évolution des différents indicateurs économiques et sociaux au niveau de la zone d'intervention concernée. La sortie d'un territoire du zonage de la politique de la ville pourrait, le cas échéant, être accompagnée d'un mécanisme dégressif d'accompagnement.

Ainsi que l'a relevé la Cour dans une insertion au rapport public annuel 2008, l'article 140 de la loi de finances pour 2008 a modifié le premier alinéa du 3 de l'article 42 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire pour prévoir désormais l' « actualisation tous les cinq ans » de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Ce texte dispose également que la première actualisation des zones urbaines sensibles devra être effectuée en 2009. Si cette disposition répond à la critique que la Cour avait émise sur le caractère figé de la géographie prioritaire, elle appelle pour autant également, comme le précisait le rapport public annuel 2008, un suivi attentif. En effet, ainsi que l'indique l'analyse du programme 147 « Equité sociale et territoriale et soutien » figurant dans le rapport de la Cour sur les résultats et la gestion budgétaire de 2007, la redéfinition de la géographie prioritaire implique la construction de critères pertinents pour opérer cette révision périodique dans une logique de concentration des moyens sur les territoires les plus en difficulté.

Le travail de réflexion préalable à la révision de la carte des zones urbaines sensibles est désormais engagé. Le comité interministériel des villes du 20 janvier 2009 a décidé que cette révision serait précédée d'une large concertation sur les principes qu'il conviendrait de retenir pour y procéder. Un livre vert définissant les bases de cette concertation a été élaboré par la DIV : il présente un état des lieux de la situation existante et propose différentes approches pouvant être retenues pour procéder à l'adaptation de la géographie prioritaire. Ce livre vert montre la complexité des zonages de la politique de la ville et le caractère quelque peu aléatoire, pour un territoire donné, de la possibilité de bénéficier ou non de tel ou tel programme d'intervention. Les questions-clés qui sont soulevées dans ce document répondent à la recommandation par la Cour de la définition d'une méthodologie de sortie progressive du zonage prioritaire.

En outre, par un courrier en date du 13 mars 2009, la secrétaire d'Etat à la ville a invité les préfets de région et les préfets de département à engager une concertation locale sur la révision du zonage de la politique de la ville. Ce courrier précise qu' « il ne s'agit en aucun cas d'engager à ce stade des négociations sur le zonage dans [le] département [concerné], mais de recueillir des avis sur les principes et la méthode ». La secrétaire d'Etat à la ville a également procédé à la nomination de deux parlementaires en mission pour poursuivre cet exercice de concertation préalable à la révision de la géographie prioritaire de la politique de la ville.

Toutefois, ce processus n'est pas encore, en l'état, articulé avec une réflexion sur l'implantation des établissements relevant de l'éducation prioritaire. Cette absence d'articulation est dommageable. En effet, le zonage ZUS-ZRU-ZFU a une incidence sur l'ouverture de l'éligibilité à des dispositifs qui ont un impact sur d'éventuelles interventions éducatives :

- La population en ZUS et ZFU est prise en compte, pour les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS), dans les coefficients spécifiques « politique de la ville » majorant cette dotation. Or, la DSU-CS - composante de la dotation globale de fonctionnement - est libre d'emploi et peut donc financer des actions éducatives dans les communes bénéficiaires ;

- En ZUS et en ZRU, les associations bénéficient, pendant cinq ans, d'exonérations de cotisations sociales patronales. Des exonérations spécifiques aux associations existent en plus de ces exonérations générales ( 15 ( * ) ). Les associations intervenant en ZUS peuvent, en outre, bénéficier du programme « adultes-relais », en application des dispositions de l'article D 5134-151 du code du travail. Ces avantages peuvent donc bénéficier à des associations intervenant en matière éducative.

- La notion de ZUS intervient, par ailleurs, dans les conditions d'engagement des projets de rénovation urbaine ( 16 ( * ) ). En l'espèce, le découplage partiel des aires d'attraction des établissements relevant de l'éducation prioritaire et du programme national de rénovation urbaine peut produire des effets de distorsion.

La Cour a observé par ailleurs lors de la présente enquête que les règles d'éligibilité géographique au programme de réussite éducative (PRE), qui sont en partie liées au zonage des ZUS, peuvent soulever des difficultés pour certains acteurs spécialisés dans les interventions éducatives.

Règles d'accès au programme de réussite éducative et risques de discontinuité des interventions éducatives : l'exemple marseillais

L'article 128 de la loi de programmation du 18 janvier 2005 pour la cohésion sociale prévoit que « le dispositif de réussite éducative s'adresse prioritairement aux enfants de 2 à 16 ans ( 17 ( * ) ) situés en zones urbaines sensibles ou scolarisés dans un établissement de l'éducation prioritaire ». Cette délimitation précise du périmètre d'éligibilité au PRE, qui introduit inévitablement une discontinuité selon la classification des zones urbaines, est l'un des facteurs avancés par l'association PACQUAM, qui est un acteur important de l'accompagnement scolaire à Marseille, pour ne pas s'inscrire dans le cadre du PRE. Ce réseau, fondé en 1982 par des enseignants souhaitant proposer un accompagnement hors temps scolaire, fédère 32 associations collège-quartier et apporte une aide aux devoirs à plus d'un millier d'enfants à Marseille. PACQUAM est financé par l'Etat, la ville de Marseille et le département des Bouches-du-Rhône. L'aide aux devoirs est apportée par l'association avec un intervenant pour douze collégiens sous la forme d'un accompagnement scolaire de 17 h à 19 h deux fois par semaine.

Dans une réponse à la Cour, la DIV a fait valoir que « l'harmonisation des zonages de la politique de la ville avec ceux de l'éducation nationale serait une source de clarification et permettrait une meilleure lisibilité de l'intervention de l'Etat ». La DGESCO a également observé, en ce qui concerne le processus de révision de la géographie prioritaire de la politique de la ville, que « lors de la concertation, la question de la cohérence de la carte se posera très certainement ». Dans une contribution à la concertation sur la révision de la géographie prioritaire, présentée à son conseil d'administration du 28 avril 2009, l'Acsé a enfin proposé que la réforme de la géographie prioritaire conduise à l'identification de « sites d'intervention prioritaires » , définis à l'échelle d'une agglomération ou d'un département. Ces sites détermineraient le périmètre des futurs contrats qui, à la différence des précédentes générations de contrats, pourraient donner lieu à une prise en charge variable de l'Etat. Cette approche permettrait de donner une lisibilité plus forte aux interventions menées en direction des quartiers sensibles : en effet, cette notion de « site », bien que territoriale, pourrait s'appliquer aux réseaux de l'éducation prioritaire, dont la logique est différente de celle de la détermination des quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville.

2. Le lien insuffisant entre les projets de rénovation urbaine et les actions éducatives en direction des quartiers sensibles

Les objectifs et les moyens du programme national de rénovation urbaine (PNRU) sont définis aux articles 6 et 7 de la loi du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Cette loi a été notamment modifiée par les lois du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (LPCS), du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (loi ENL), et du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (loi DALO).

Les objectifs du PNRU et les crédits d'Etat prévus pour son financement

Le PNRU devait être initialement mis en oeuvre pour la période 2004-2008. La LPCS a repoussé une première fois le terme à 2011. La loi ENL l'a repoussé ensuite à 2013.

Les financements initialement prévus dans la loi de 2003 s'élevaient à 2,5 Md€ pour la période 2004-2008 ( 18 ( * ) ). La LPCS a porté à 4 Md€ les crédits prévus sur la période 2004-2011. Puis la loi ENL a porté à 5 Md€ les crédits prévus sur 2004-2013. La loi DALO a, pour la première fois, élevé le montant de crédits prévus, en les portant de 5 à 6 Md€, sans pour autant modifier l'horizon temporel de réalisation du PNRU.

A l'horizon 2013, l'objectif affiché par l'ANRU est une intervention sur 530 quartiers dans lesquels habitent près de 4 millions d'habitants. Il ressort du document diffusé par l'ANRU et intitulé « Etat du PNRU au 1 er avril 2009 » qu'à cette date 318 conventions de rénovation urbaine avaient été signées au niveau national pour un montant de financements mobilisés de 34,9 Mds€ (tous financeurs confondus).

A l'occasion d'une enquête menée en 2008 sur les projets de rénovation urbaine conduits en Essonne, la Cour et la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France ont fait le constat d'un découplage entre le volet social et le volet rénovation urbaine de la politique de la ville, ce découplage se retrouvant également dans la dimension éducative qui paraît très peu présente dans les conventions de rénovation urbaine. Au niveau national, et malgré la présence du ministère de l'éducation nationale au sein du comité d'administration de l'ANRU, l'articulation entre les projets de rénovation urbaine et les actions éducatives en direction des quartiers sensibles n'est pas prise en compte. Cette situation se retrouve également au niveau local : l'éducation nationale n'est guère associée à cette politique, ce que montrent les réponses des académies de Lille et d'Aix-Marseille ( 19 ( * ) ) obtenues au cours de la présente enquête. Ce constat a également été vérifié dans deux des trois territoires analysés lors de l'enquête : à Marseille et à Roubaix, la dimension éducative des projets de rénovation urbaine (PRU) se limite, pour l'essentiel, à la présentation d'opérations de démolition-reconstruction ou de réhabilitation d'établissements d'enseignement ou biens d'équipements à portée éducative ( 20 ( * ) ). Une étude commandée par la DIV en décembre 2006 sur « la prise en compte des établissements scolaires dans les opérations de rénovation urbaine » a confirmé que la place de la rénovation des établissements scolaires est limitée dans les projets de rénovation urbaine, alors que, sur le terrain, les acteurs en mesurent l'importance ( 21 ( * ) ).

Deux conventions de rénovation urbaine analysées lors de la présente enquête se distinguent, cependant, par rapport à ce constat global. La convention « Marseille Les Flamants, Les Iris » conclue le 22 septembre 2005 prévoit en effet que « les actions en matière de soutien scolaire seront poursuivies et celles en matière d'accompagnement à la fonction parentale développées dans de nouveaux locaux dédiés à cette fonction dans l'école des Flamants » . De même, la convention de rénovation urbaine de Chanteloup-les-Vignes, conclue le 7 juillet 2005, précise que « la démarche du PRU de la commune intègre la dimension éducative comme un des éléments essentiels à la réussite du projet. Au-delà des dispositifs éducatifs mis en place par la commune, une action déterminante et volontariste vise la requalification des écoles, lieux de socialisation par excellence qui constituent également des équipements structurant de première importance » .

Un groupe de travail a été constitué par l'Acsé et l'ANRU à la fin de l'année 2007 en vue de réaliser une étude sur sept sites expérimentaux (Roubaix, Orly, Nantes, Avion, Lormont, Montpellier, Angers) sur l'articulation entre la conduite du programme national de rénovation urbaine et les dispositifs éducatifs conduits en direction des quartiers sensibles : l'Acsé et l'ANRU n'ont cependant pas produit d'évaluation à la suite de cette étude. Le comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU a, par ailleurs, lancé un appel à projets pour la réalisation d'une étude sur la place de l'école dans le cadre des projets de rénovation urbaine : ses conclusions sont attendues pour octobre 2009.

La construction d'une articulation forte entre projets de rénovation urbaine et interventions éducatives devrait constituer un enjeu prioritaire pour la préparation de la deuxième génération des CUCS et pour les points d'étape qui seront établis pour chaque PRU. L'engagement en février 2009 par le comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU d'une évaluation sur la thématique « L'école dans le cadre des projets de rénovation urbaine » constitue une première réponse en ce sens. Le directeur général de l'ANRU a, par ailleurs, indiqué à la Cour que l'agence demandait désormais que l'articulation entre le projet de rénovation urbaine et les actions de réussite éducative soit vérifiée lors des points d'étape qui interviennent sur les gros projets deux ou trois ans après la signature des conventions.

3. L'approche de l'éducation nationale

a) La réforme de l'éducation prioritaire

Depuis la « relance » en 2006 de la politique de l'éducation prioritaire, deux types de réseaux constituent désormais ses éléments de base : d'une part, les réseaux « ambition réussite » (RAR) qui sont pilotés nationalement, en lien avec les académies ; et, d'autre part, les réseaux de réussite scolaire (RRS) qui relèvent de la compétence académique : la DGESCO précise que « c'est dans les RRS, moins marqués par les difficultés de tous ordres, que les recteurs peuvent décider de faire évoluer la carte de l'éducation prioritaire ».

En application d'une circulaire du 30 mars 2006, les établissements « ambition réussite » ont été choisis à partir de critères sociaux et scolaires, sans que soit établi un lien direct et explicite avec des normes nationales. La DGESCO a, en fait, déterminé, en collaboration avec les académies, une liste de collèges éligibles à partir d'indicateurs disponibles dans les bases de données statistiques ( 22 ( * ) ). Les recteurs ont, par la suite, arrêté la liste des écoles rattachées à ces collèges, en définissant ainsi le contenu des réseaux d'éducation prioritaire. La réforme du cadre de l'éducation prioritaire n'a donc pas permis de mettre un terme à l'absence de références nationales communes, que la Cour avait précédemment relevée.

Les caractéristiques des élèves relevant de l'éducation prioritaire

- 71,9 % des élèves de sixième scolarisés en RAR sont issus de catégories socio-professionnelles défavorisées, contre 53,4 % en RRS, et 34,6 % en dehors de l'éducation prioritaire.

-En fin de CM2, 71,4 % des élèves relevant de l'éducation prioritaire maîtrisent les compétences de base en français, contre 89,9 % hors éducation prioritaire. Les taux correspondants pour les mathématiques sont de 75,1 % et 92,4 %.

- En fin de collège, 50,9 % des élèves relevant de l'éducation prioritaire maîtrisent les compétences de base en français, contre 81,7 % hors éducation prioritaire. Les taux correspondants pour les mathématiques sont de 68,9 % et 90,5 %.

- La proportion des élèves entrant en 6 ème avec au moins un an de retard est 2,1 fois plus importante pour les RAR et 1,7 plus importante pour les RRS que pour les élèves hors éducation prioritaire.

Source : DGESCO, réponse à l'enquête, année 2007-2008

b) Une approche qui n'est plus fondée sur la délimitation de zones

Lors de cette relance de l'éducation prioritaire, le ministère de l'éducation nationale a explicitement renoncé à une définition zonale des actions relevant de l'éducation prioritaire, alors que cette approche reste au coeur de la politique de la ville. Cette différenciation très marquée des deux approches a été confirmée lors de la présente enquête par une réponse de la DGESCO, qui a souligné que, « historiquement, les deux démarches ont toujours été disjointes » , car, selon cette direction, « l'éducation prioritaire [n'est] pas qu'une réalité urbaine ». Les responsables des échelons déconcentrés du ministère observent, en effet, qu'une logique d'intervention uniquement fondée sur la notion de territoire méconnaîtrait le fait que l'aire d'attraction d'un établissement scolaire, souvent dès le collège et presque toujours au niveau du lycée, dépasse le cadre de la proximité géographique immédiate, compte tenu des multiples paramètres qui déterminent le rattachement des élèves (réseau de transports, nature de l'offre scolaire, effets de réputation, concurrence entre établissements...).

L'« aire d'attraction » des établissements scolaires est donc contingente et évolutive : elle se distingue objectivement d'une conception du territoire fondée sur des critères fixes de résidence ou d'activité. En conséquence, la DGESCO a insisté lors de l'enquête sur le fait que « les géographies de la politique de la ville et de l'éducation prioritaire ne sont pas de même nature » . La géographie des ZUS correspond en effet à « un territoire identifié par des listes d'adresses qu'il est possible de délimiter sur une carte. Les habitants des ZUS sont toutes les personnes résidant dans les périmètres ainsi dessinés » . En revanche, le périmètre de l'éducation prioritaire « correspond à une liste d'écoles et de collèges en RAR et en RRS » et « les élèves de l'éducation prioritaire sont les enfants scolarisés dans ces écoles et ces collèges » , quel que soit leur lieu de résidence. Dans ces conditions, « il est fréquent qu'un collège de l'éducation prioritaire situé dans une ZUS accueille des élèves qui ne résident pas dans la ZUS et que des enfants résidant dans la ZUS ne soient pas scolarisés dans ce collège » . L'académie de Lille indique de même que l' « on peut se poser la question de l'opportunité d'une superposition parfaite entre les différents zonages, d'autant que la détermination des zones ou l'appartenance aux zones ne sont pas définies à partir des mêmes critères (critères sociaux et de revenus pour les CUCS, critères sociaux et scolaires pour les RAR ou RRS) » . Cette académie conclut que, « contrairement aux ZUS qui sont des zones géographiques, les zones de l'éducation prioritaire sont un regroupement d'écoles ou d'établissements. Il est donc possible d'en chiffrer la population scolarisée, mais pas de comptabiliser les élèves par résidence ou domicile » .

L'enquête a, en effet, permis de vérifier, dans les collèges des trois académies analysées - en particulier au collège Jules Vernes des Mureaux et au collège Jean Moulin de Marseille Nord, ainsi que dans plusieurs établissements de Roubaix - le poids déterminant de certains facteurs d'attraction sur la dynamique des établissements (zones d'insécurité, disponibilité des transports, proximité de cités sensibles, offre périscolaire organisée par les collectivités, cohésion et engagement de la communauté éducative....). Tous ces facteurs d'attraction sont, par définition, évolutifs, et leur incidence modifie en permanence la provenance et les caractéristiques du recrutement scolaire. L'« aire d'attraction » des établissements scolaires est donc le critère essentiel à partir duquel il est nécessaire de mesurer l'impact de la politique de l'éducation prioritaire : elle doit être définie précisément dans ses paramètres principaux, afin de déterminer ses liens éventuels avec les zonages de la politique de la ville.

Le poids des facteurs d'attraction : le collège Jean Moulin à Marseille-Nord

Ce collège accueille des élèves en difficulté, dont les résultats au diplôme national du brevet plafonnent à un niveau très bas. Ce collège dessert en particulier les publics scolaires de la Cité du Parc Kallisté, jugés particulièrement difficiles par les acteurs locaux.

Or ce collège est pourtant situé à bonne distance de cette cité, alors que d'autres collèges sont en revanche plus proches. Dans ce cas particulier, il apparaît donc que les collèges de cette zone géographique ne se sont pas concertés pour aboutir à une répartition plus équilibrée des publics accueillis, si bien qu'un seul collège porte la charge principale de la concentration de publics en forte difficulté scolaire. Une approche plus coordonnée des offres de formation de chacun des établissements ou de l'affectation des élèves, afin de faire évoluer les « aires d'attraction » de ces différents collèges sous l'autorité des responsables académiques, aurait permis de mieux lutter contre ce phénomène d'intensification anormale des difficultés les plus lourdes sur un seul établissement.

Par delà la définition des secteurs scolaires, le code de l'éducation devrait donc mieux prendre en compte cette notion d' « aire d'attraction » des établissements scolaires, et définir les modalités de sa détermination par le conseil d'école ou par le conseil d'administration dans le second degré, en coordination avec les autres établissements et sous l'autorité des échelons déconcentrés de l'éducation nationale. L'assouplissement récent de la sectorisation donne en effet un caractère d'urgence à une définition plus précise et plus maîtrisée par les établissements scolaires des conditions de recrutement de leurs effectifs, notamment afin d'éviter le développement de « ghettos scolaires ». Le rapport 2008 de l'ONZUS montre ainsi que la baisse générale des effectifs du secondaire récemment constatée au plan national a été plus nettement marquée dans les établissements situés en ZUS. Entre 2002 et 2006, ces derniers ont perdu 6,5 % de leurs effectifs, contre 3,4 % au niveau de la France entière : cette diminution a affecté principalement les collèges, où a été observée depuis 2002 une baisse de 10 % des effectifs.

En outre, un rapport des inspections générales du ministère de l'éducation nationale sur  « les nouvelles dispositions de la carte scolaire ( 23 ( * ) ) », remis en octobre 2007 ( 24 ( * ) ), a rappelé que « les familles renseignées et intéressées par l'assouplissement de la carte scolaire agissent aussi pour échapper à la mixité sociale ». Or ce rapport a souligné que « ce sont moins les performances du collège et son offre d'enseignement qui sont dissuasives, que son implantation ». Ces risques de dérive ont alerté le conseil national des villes, qui, dans son avis du 10 février 2009 relatif à « la mise en oeuvre des mesures de la dynamique Espoir Banlieues relatives à l'éducation » , a exprimé des réserves sur les récentes mesures d'assouplissement de la carte scolaire ( 25 ( * ) ).

Les réponses fournies aux questions du Parlement, à l'occasion de la préparation de la loi de finances pour 2009 ( 26 ( * ) ), montrent en effet l'impact déterminant de ces mesures. Compte tenu d'une augmentation des demandes de dérogation de 29 % en 2008, les effectifs des collèges ont évolué de façon fortement différenciée selon les établissements : certains ont pu enregistrer des pertes d'effectifs pouvant aller jusqu'à 10 %, alors que d'autres connaissaient des progressions allant jusqu'à 23 %. Plus particulièrement, sur les 254 collèges « ambition réussite », 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui s'est traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs d'inégalités contre lesquels doit lutter la politique d'éducation prioritaire.

Cette observation, qui gagnerait à être étayée d'études complémentaires permettant d'apprécier le caractère durable et généralisé de ce phénomène, mais qui a été confirmée par tous les responsables d'établissements interrogés lors de l'enquête, renforce la nécessité d'une coordination plus précise entre les établissements relevant d'un même bassin de formation pour déterminer en commun les éléments qui peuvent influer de façon optimale sur leur « aire d'attraction », qu'il s'agisse de la différenciation de l'offre de formation ou des modalités d'affectation des élèves. Cette approche doit notamment viser à lutter contre l'existence ou la constitution de « ghettos scolaires », en corrigeant les effets éventuellement négatifs des modalités de sectorisation scolaire. A défaut, en effet, les effets de concurrence aboutiraient à un écart excessif entre les établissements, ce qui, comme l'enquête PISA de l'OCDE le montre clairement, constitue une des caractéristiques du système éducatif français les plus défavorables à sa performance.

4. Le découplage global des politiques de la ville et de l'éducation prioritaire

Aucune étude générale n'a été entreprise sur les correspondances entre géographie de l'éducation prioritaire et géographie de la politique de la ville : il n'existe à ce jour que des approches partielles. Ainsi, un rapport interministériel relatif au volet éducatif des grands projets de ville (GPV) a conclu en 2002 que « les territoires GPV concentrent 79 % des ZEP implantées dans les communes concernées. Dans 65 % des communes en GPV, la correspondance est totale entre les deux géographies. Quant aux établissements « sensibles », c'est-à-dire ceux qui, en raison de difficultés particulières, ont été repérés dans les années 1993-1995 pour bénéficier d'un soutien plus important, ils sont concentrés à 72 % sur ces mêmes territoires. Enfin, 53 % des établissements concernés par les deux plans gouvernementaux de lutte contre la violence se trouvent dans les territoires en GPV. » Aucune réactualisation de ce type d'analyse n'est disponible à ce jour : il serait souhaitable que cette approche fasse l'objet d'un suivi à intervalles réguliers.

La Cour a cependant pu recueillir au cours de cette enquête certains éléments sur le découplage géographique entre politique de la ville et éducation prioritaire. Ainsi, au niveau national, on constate que, sur les 254 collèges classés en RAR, 112 sont en ZUS, alors que 142 n'y sont pas : cette donnée ne fait que confirmer le fait que le concept d'éducation prioritaire, qui est désormais déconnecté de toute approche zonale et qui se fonde sur le constat de la concentration de la difficulté scolaire dans certains établissements, ne saurait se confondre avec une notion territoriale.

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Tableau n° 4 :   Education prioritaire - politique de la ville (source DIV)

La DGESCO a également produit des tableaux indiquant la répartition à la fin de 2008 des établissements et des élèves pour les classements en ZUS et en éducation prioritaire (EP).

Tableau n° 5 :  Le recoupement des ZUS et de l'éducation prioritaire (2008-2009) : données pour les établissements et les élèves

Source : DGESCO, avril 2009

Ces tableaux montrent, au niveau des collèges, une certaine cohérence des géographies des ZUS et de l'éducation prioritaire : le désajustement des deux classements est résiduel, puisque seulement 1,9 % de l'ensemble des élèves sont hors éducation prioritaire tout en étant en ZUS, et que, d'autre part, environ trois élèves sur quatre situés en ZUS relèvent de l'éducation prioritaire.

Par ailleurs, 20 % environ des élèves relèvent, à un titre ou à l'autre, d'une intégration dans l'éducation prioritaire : cet effectif est très majoritairement concentré dans les quartiers défavorisés, mais, en sens inverse, l'éducation prioritaire excède largement le cadre des ZUS, puisque près des trois-quarts des élèves relevant de l'éducation prioritaire sont inscrits dans des établissements qui sont situés hors ZUS ( 27 ( * ) ). La logique de l'éducation prioritaire excède donc de loin le domaine de la politique de la ville. La DGESCO en conclut que « force est de constater que les cibles prioritaires de l'éducation prioritaire et celles de la politique de la ville ne se recouvrent pas totalement ».

* 12 Les décrets n° 96-1155 et n° 96-1156 du 26 décembre 1996 fixent la liste définitive des 750 ZUS (dont 34 dans les DOM). Cette liste a été modifiée une première fois par le décret n° 2000-796 du 24 août 2000 intégrant le quartier « Nouveau Mons » de Mons-en-Baroeul, et une seconde fois par le décret n° 2001-707 du 31 juillet 2001 modifiant le périmètre de la ZUS de Grigny (91).

* 13 Source : délégation interministérielle à la ville, observatoire national des zones urbaines sensibles, Rapport 2004.

* 14 Des coefficients de minoration sont prévus lorsqu'une commune comprend plusieurs ZUS : « Quand une commune dispose sur son territoire de plusieurs zones urbaines sensibles, [le résultat du calcul de l'indice] est multiplié par un coefficient égal à 0,75 lorsque la zone urbaine sensible est classée par ordre décroissant de l'indice synthétique aux rangs 3 et 4 pour cette commune et par un coefficient égal à 0,50 lorsque la zone urbaine sensible est classée aux rangs 5 et suivants » (article 2 du décret n° 96-1159 du 26 décembre 1996).

* 15 Les associations de cinq salariés et plus bénéficient d'une exonération pendant trois années supplémentaires à taux dégressif (60 %, 40 %, 20 %). Les associations de moins de cinq salariés bénéficient pendant neuf années supplémentaires à taux dégressif (60 % pendant les cinq années suivantes, 40 % les 6 e et 7 e années, 20 % les deux dernières années).

* 16 Aux termes de l'article 6 de la loi du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, « le programme national de rénovation urbaine vise à restructurer, dans un objectif de mixité sociale et de développement durable, les quartiers classés en zone urbaine sensible et, à titre exceptionnel, après un avis conforme du maire de la commune ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent et accord du ministre chargé de la ville et du ministre chargé du logement, ceux présentant des caractéristiques économiques et sociales analogues. »

* 17 Certains PRE ont élargi les publics et s'adressent aux jeunes jusqu'à l'âge de 18 ans, par exemple à Chanteloup-les-Vignes.

* 18 Cette disposition a été modifiée par l'article 18 de la loi DALO.

* 19 Réponse de l'académie d'Aix-Marseille : « L'inspection académique des Bouches-du-Rhône n'est pas associée au montage des dossiers ANRU. On ne relève pas d'articulation entre le volet éducatif de la politique de la ville et les projets de rénovation urbaine, l'Education nationale n'est pas associée à ce titre » .

* 20 L'ANRU a indiqué en réponse aux observations de la Cour que, sur le plan national, 184 projets de requalification ou déconstruction-reconstruction sur des établissements scolaires étaient programmés au 1 er juillet 2009 pour un coût total de travaux de 946 M€ et un montant de subvention ANRU de 415 M€, soit un taux de subvention de 44 %. Par ailleurs, l'ANRU a été sollicitée pour mettre en oeuvre la décision confirmée par une lettre conjointe du 5 mai 2009 des ministres chargés de l'éducation nationale et de la politique de la ville de consacrer 40 M€ pour fermer ou restructurer les collèges les plus dégradés : ce programme sera exécuté par le comité d'engagement de l'ANRU, auquel se joindra un représentant du ministre de l'éducation nationale tout en s'appuyant sur l'expertise préalable de l'Acsé.

* 21 L'étude s'appuie sur l'analyse des 84 conventions signées fin 2006.

* 22 Professions et catégories sociales, résultats aux évaluations nationales de sixième, proportion d'élèves ayant plus de deux ans de retard à l'entrée au collège.

* 23 Les mesures de la note ministérielles du 4 juin 2007 relatives aux secteurs des collèges doivent être confirmées par une mesure générale de suppression des secteurs, prévue pour exécution en 2010.

* 24 Rapport IGAENR-IEN n° 2007-094, Octobre 2007 : « Les nouvelles dispositions de la carte scolaire ».

* 25 « Le Conseil exprime ses réserves sur des mesures d'assouplissement de la carte scolaire qui ne seraient pas fortement encadrées par des dispositions volontaristes permettant d'accroître la mixité sociale. Il considère que ces dispositions devraient être plus largement connues et faire l'objet d'une information des collectivités locales intéressées, afin que soit élaboré avec elles un véritable projet éducatif d'ensemble permettant de faire bénéficier ces établissements des ressources des uns et des autres. (...) Il souhaite en outre qu'un premier bilan des nouvelles mesures soit dressé à la fin de la présente année scolaire, notamment dans les quartiers relevant de la politique de la ville, afin de mieux connaître les caractéristiques des établissements qui ont perdu des élèves et de ceux qui ont été les plus demandés, les motivations des familles, l'effet des nouvelles dispositions sur la mixité sociale dans les établissements, les mesures qui ont été prises pour aider les établissements les plus en difficulté ».

* 26 Questionnaire sur le projet de loi de finances pour 2009 - Sénat - Commission des Affaires culturelles, pp.180-181. Rapporteur pour avis : M. P. Richert.

* 27 Ce phénomène s'observe également, mais moins nettement, pour les écoles : sur les 7037 écoles relevant de l'éducation prioritaire, le tiers (soit 2 257 écoles) n'est pas intégré à des ZUS.

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