B. LES RISQUES D'EFFETS DE SUBSTITUTION

Une des critiques fréquemment adressées aux crédits spécifiques d'intervention de la politique de la ville est qu'ils pourraient se substituer aux crédits de droit commun des politiques de l'Etat et qu'ils seraient trop souvent un palliatif à leur intervention insuffisante en direction des quartiers sensibles. Cette appréciation a été fréquemment relayée par les acteurs de terrain rencontrés lors de l'enquête, en particulier à l'égard du programme de réussite éducative (PRE), en principe destiné aux élèves les plus en difficulté, mais en pratique parfois utilisé pour mener des actions de soutien scolaire de premier niveau. Toutefois, l'Acsé a indiqué en réponse aux observations de la Cour qu'à la suite de la mise en place de l'accompagnement éducatif par l'éducation nationale, la part des financements affectés au soutien de nature scolaire avait baissé de 28 % en 2008 à 24 % en 2009. De même, les financements des actions CLAS, dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale, sont passés de 7,2 M€ à 6 M€.

Pour autant, le dynamisme des crédits éducatifs spécifiques de la politique de la ville sur la période récente et la méconnaissance des moyens de droit commun mobilisés par l'éducation nationale peuvent amplifier ce risque d'effets de substitution. Toutefois, ces appréciations ne peuvent, en l'état, être étayées par une évaluation fiable des crédits de droit commun mobilisés en direction des zones d'intervention de la politique de la ville ( 39 ( * ) ). Il apparaît, en effet, très difficile de mesurer les évolutions comparées, dans les zones d'intervention de la politique de la ville, des crédits de droit commun et des crédits spécifiques. La définition d'une méthodologie spécifique serait nécessaire pour apprécier la réalité éventuelle de ces effets de substitution.

C. UNE COORDINATION LOCALE LIMITÉE DES INTERVENTIONS FINANCIERES

1. L'absence d'articulation des modalités d'attribution des moyens financiers

Les procédures locales d'attribution des moyens complémentaires alloués au titre de l'éducation prioritaire et les modalités de répartition des crédits spécifiques de la politique de la ville sont largement disjointes. Dans aucun des trois départements analysés par la Cour, la coordination entre les acteurs de la politique de la ville et de l'éducation nationale n'est allée jusqu'à une réflexion sur les modalités souhaitables de complémentarité des interventions financières. Les CUCS n'ont, en particulier, pas intégré dans la contractualisation les moyens de droit commun de l'éducation nationale en direction des quartiers sensibles : la préparation de la prochaine génération des CUCS devrait intégrer prioritairement cet objectif.

2. Le caractère peu lisible des moyens attribués localement à l'éducation prioritaire

Le niveau des moyens supplémentaires dont bénéficient les établissements classés en éducation prioritaire dépend des modalités de répartition, par l'administration centrale et par les échelons déconcentrés, des crédits attribués à l'ensemble des établissements, qu'ils relèvent ou non de l'éducation prioritaire. Le ministère répartit en effet les crédits du budget de l'Etat entre les académies à partir de calculs intégrant divers critères, dont l'évolution démographique. L'enquête menée sur le terrain par la Cour n'a en revanche pas permis de confirmer la prise en compte, dans cette répartition, de critères fondés sur des données académiques relatives à l'éducation prioritaire. Par ailleurs, au niveau académique, les méthodes de répartition des moyens entre les établissements tiennent inégalement compte de leur appartenance à l'éducation prioritaire : tel est le notamment le cas pour les personnels administratifs et techniques du second degré et pour les fonds sociaux.

Certes, la plupart des inspecteurs d'académie allouent davantage de moyens aux écoles classées en éducation prioritaire. La taille des classes primaires relevant de l'éducation prioritaire est ainsi en moyenne inférieure de un à deux élèves à celles des classes n'en relevant pas. Toutefois, l'absence de prise en compte de l'éducation prioritaire dans la répartition des crédits entre les académies peut aboutir à des paradoxes : les élèves sont ainsi plus nombreux par classe (24 en moyenne) dans les écoles primaires classées en éducation prioritaire dans l'académie de Créteil qu'ils ne le sont dans la moyenne nationale des écoles primaires classées hors éducation prioritaire (23,5). De même, dans le second degré, où les moyens sont alloués sous forme de dotation globale horaire (DGH), l'avantage comparatif accordé aux établissements relevant de l'éducation prioritaire peut être inégal : si, au sein de chaque académie, la DGH moyenne par élève est supérieure en éducation prioritaire à celle qui est accordée hors éducation prioritaire, l'examen des dotations par établissement peut révéler des situations contraires.

En outre, les académies, qui ne disposent que depuis peu et à titre expérimental d'une comptabilité analytique, ne peuvent déterminer que très approximativement le coût de la politique d'éducation prioritaire. La dernière estimation produite par le Haut conseil d'évaluation de l'école en avril 2004 ( 40 ( * ) ) évaluait ainsi le surcoût en moyens de l'éducation prioritaire « entre 10 et 20 % », tout en précisant qu'une partie de ce surcoût était compensée par le fait que les personnels affectés en éducation prioritaire étaient un peu plus jeunes (41,4 ans en moyenne contre 43,5 ans).

Ce constat est insatisfaisant : il serait nécessaire de mieux appréhender le surcoût global de cette politique, ainsi que celui de ses déclinaisons locales, par rapport aux dispositifs ordinaires.

* 39 Il n'existe pas, en l'état, de système d'information transversal permettant de disposer de données sur l'utilisation des crédits de « droit commun » dans les quartiers d'intervention de la politique de la ville. Il n'est pas possible d'obtenir des données financières spatialisées relatives aux politiques de l'Etat pour les zones d'intervention de la politique de la ville. La DIV a indiqué à la Cour que la mise en service, en 2008, du portail « subvention en ligne » , généralisé à toutes les préfectures, devrait permettre d'obtenir des restitutions plus précises pour les quartiers d'intervention de la politique de la ville.

* 40 Problèmes économiques, n° 2850 « L'éducation face aux défis économiques » ; étude du Haut conseil d'évaluation de l'Ecole (Hcée) : « Les coûts du système éducatif ».

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