CONCLUSION

En définitive, l'enquête menée par la Cour a permis d'observer que l'articulation entre le volet éducatif de la politique de la ville et les dispositifs de l'éducation nationale mis en oeuvre dans les quartiers sensibles était perfectible, mais également que les problèmes de coordination observés sur le terrain restaient dans l'ensemble relativement circonscrits et étaient généralement traités de façon pragmatique, en raison du dialogue quotidien entre les intervenants locaux et de leur bonne volonté : aucun exemple majeur n'a ainsi été relevé, dans les trois sites analysés par la Cour, où une action à caractère éducatif relevant de la politique de la ville aurait été bloquée par un dispositif mis en oeuvre par l'éducation nationale, et vice-versa.

En revanche, l'enquête a également montré que l'efficacité de ces différents dispositifs, qu'ils relèvent de l'une ou de l'autre politique, n'était pas suffisamment analysée, et que leur efficience était menacée par un empilement continu d'actions non évaluées.

Dans la mesure où les objectifs des deux politiques sont différents - la difficulté scolaire dans un cas, la réduction des inégalités territoriales dans l'autre - et où la démarche de l'éducation nationale en matière de lutte contre la difficulté scolaire ne repose plus sur une approche territoriale, mais sur une approche individualisée des établissements et des élèves, il serait vain d'imaginer que les territoires d'application de ces deux politiques puissent se recouvrir dans des approches zonales qui se superposeraient exactement. Le principe de subsidiarité doit pleinement s'appliquer, et chaque acteur doit intervenir dans le domaine qu'il maîtrise le mieux. Ainsi, la politique de la ville occupe une place privilégiée pour créer les conditions d'environnement permettant de favoriser le succès de la politique scolaire, dont en particulier un soutien efficace de la fonction parentale, dont l'importance a été soulignée au cours de l'enquête par tous les interlocuteurs de la Cour. Mais, en sens inverse, la politique de la ville ne saurait être une alternative permettant à l'éducation nationale de se décharger des responsabilités qui sont les siennes en ce qui concerne l'acquisition par tous les élèves, grâce à un soutien scolaire personnalisé, du socle commun de compétences et de connaissances. Les missions du système éducatif ont en effet profondément évolué pendant la période récente, en passant d'une conception traditionnelle de la fonction enseignante, avec un maître isolé face à un groupe d'élèves, à une approche désormais à la fois collective et personnalisée, où l'élève en difficulté est pris en charge par une équipe d'enseignants.

La politique de la ville a eu le grand mérite de développer des formes spécifiques et parfois inédites d'aide personnalisée et elle a su générer un remarquable foisonnement d'initiatives des collectivités territoriales, s'appuyant sur le tissu associatif et sur le volontariat des intervenants, qui comptaient parfois dans leurs rangs de nombreux enseignants. Pour autant, tous les principaux de collège auditionnés par la Cour se sont accordés pour affirmer que la mise en oeuvre de l'aide aux devoirs, qui est désormais prévue dans le cadre de la mise en place de l'accompagnement éducatif, était une mission complémentaire du travail de la classe, et devait à ce titre être pleinement intégrée dans les obligations de l'éducation nationale : les enseignants doivent en effet garantir une cohérence pédagogique particulièrement nécessaire pour les élèves en difficulté qu'ils ont quotidiennement en charge, même si des dispositifs à visée éducative plus large peuvent par ailleurs renforcer cette action pédagogique dans le cadre de la politique de la ville.

Dans ce contexte de responsabilités partagées, une bonne information réciproque est évidemment la première condition nécessaire pour parvenir à une coordination satisfaisante. Mais d'autres conditions sont également nécessaires : la simplification des dispositifs, une clarification des conditions de leur mise en oeuvre, une définition des obligations de service des enseignants intégrant plus explicitement le soutien des élèves en difficulté, et enfin une évaluation systématique des actions mises en oeuvre.

L'enquête de la Cour a en effet fait ressortir les lacunes considérables de l'évaluation des interventions scolaires et éducatives en direction des quartiers sensibles. En effet, les dispositifs mis en oeuvre tant par la politique de la ville que par l'éducation nationale ne font pas l'objet d'une évaluation systématique et régulière de leur efficacité et de leur efficience. En ce qui concerne la politique de la ville, le secrétariat général du comité interministériel des villes a indiqué, en réponse aux observations de la Cour, qu'il élaborait actuellement avec l'observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) et avec l'Acsé une étude d'impact sur une quinzaine de sites ayant bénéficié de programmes de réussite éducative (PRE). De même, l'Acsé a indiqué qu'elle mettait en place un référentiel commun d'évaluation, utilisable à l'échelle nationale, régionale, départementale et locale, dans le cadre d'un travail en cours avec des réseaux associatifs concernés et certains acteurs locaux (préfectures, inspecteurs d'académie). De telles initiatives restent cependant encore trop limitées. En outre, on peut regretter que, compte tenu de la diversité des pratiques, les résultats de l'ensemble des évaluations ne soient pas regroupés, le moment venu, dans le cadre d'un rapport annuel au Parlement qui porterait sur toutes les interventions scolaires et éducatives en direction des quartiers sensibles, et non plus, comme aujourd'hui, sur le seul programme de réussite éducative relevant de la politique de la ville.

En effet, seules la généralisation de l'évaluation et la diffusion de ses résultats peuvent permettre de rendre régulièrement des arbitrages clairs et justifiés sur le choix des dispositifs les plus efficaces, parmi ceux qui sont mis en oeuvre sur le plan scolaire et éducatif dans les quartiers sensibles.

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