GLOSSAIRE

CAREP : Centre Académique de Ressources pour l'Education Prioritaire

CEL : contrat éducatif local

CLAS : contrat local d'accompagnement à la scolarité

CUCS : contrats urbains de cohésion sociale

DGESCO : direction générale de l'enseignement scolaire

DIV : délégation interministérielle à la ville

EP : éducation prioritaire

ICOTEP : Indicateurs Communs pour un Tableau de bord de l'Education Prioritaire (base de données)

IE : internat d'excellence

ONZUS : observatoire national des zones urbaines sensibles

PPRE : programmes personnalisés de réussite éducative

PRE : programmes de réussite éducative

RAR : réseaux ambition réussite

RRS : réseaux de réussite scolaire

RSL : réussite scolaire au lycée

VVV : Ville Vie Vacances

ZFU : zones franches urbaines

ZRU : zones de redynamisation urbaine

ZUS : zone urbaine sensible

TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION POUR SUITE À DONNER

Présidence de Monsieur Jean Arthuis, président

Séance du mardi 3 novembre 2009

M. le président - Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour une audition pour « suite à donner » à une enquête réalisée par la Cour des comptes en application de l'article 58-2 de la LOLF.

Celle qui nous occupe ce matin concerne l'articulation entre les dispositifs de la politique de la ville et de l'éducation nationale dans les quartiers sensibles.

Nous devons cette enquête à la demande de nos deux collègues, MM. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Ville et logement » et Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ».

Il s'agit de ce point de vue d'une nouveauté puisque cette demande conjointe s'est adressée de la même manière à deux chambres de la Cour des comptes.

Cette enquête nous offre ainsi l'opportunité de faire travailler la Cour des comptes sur la combinaison des politiques publiques et, plus particulièrement, sur l'articulation des interventions d'une administration de type classique et d'une administration de mission.

Je précise que notre audition est ouverte à nos collègues membres de la commission de la culture ainsi qu'à la presse et qu'elle fait l'objet d'une captation télévisée.

Nous recevons, pour la Cour des comptes, M. Jean Picq, Président de la troisième chambre.

Je remercie de sa présence M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale.

Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, est représentée par M. Thierry Tesson, directeur de cabinet.

L'administration de l'éducation nationale est représentée par M. Jean-Louis Nembrini directeur général de l'enseignement scolaire.

Pour les institutions de la politique de la ville, nous entendrons M. Hervé Masurel, secrétaire général du comité interministériel des villes, M. Pierre Sallenave, directeur général de l'ANRU et Mme Sylvie Durand-Trombetta représentant l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances.

Nous avons également souhaité la présence des préfets des Bouches-du-Rhône, du Nord et des Yvelines ainsi que des recteurs des académies d'Aix Marseille, de Lille, et de Versailles.

Je salue la présence de Mme Anne Boquet, préfète des Yvelines, de Mme Yvette Mathieu, préfète déléguée pour l'égalité des chances pour le département du Nord et de MM. les recteurs Jean-Paul de Gaudemar, Alain Boissinot et de M. Gilles Grosdemange représentant M. Bernard Dubreuil.

Afin de préserver une possibilité effective de dialogue et de débat, je demande que les interventions liminaires se limitent aux observations principales.

Ensuite, chaque commissaire qui le souhaitera pourra librement poser ses questions.

Pour commencer, je donne la parole à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial - Permettez-moi tout d'abord d'adresser mes remerciements à la Cour pour le travail exhaustif et éclairant qui a été rendu et qui balaie bien l'ensemble des dispositifs existants, fort nombreux, portés tant par l'éducation nationale que par les collectivités locales mais aussi le monde associatif, sans oublier les parents d'élèves qui concourent bien évidemment, en bout de chaîne, à l'éducation.

J'ai souhaité, en tant que rapporteur spécial de la mission « Ville et logement », avec Gérard Longuet pour ce qui le concerne au titre de la mission « Enseignement scolaire » que l'articulation des dispositifs de la politique de la ville et de l'éducation prioritaire dans les quartiers soit de nouveau examinée afin de faire en sorte de trancher définitivement -je ne pense pas que ce soit possible- le fameux débat qui oppose les crédits spécifiques aux crédits de droit commun dans le domaine si particulier de l'éducation.

Cette question revient souvent et empoisonne le débat ; il nous a donc semblé intéressant de la revisiter.

La Cour a déjà précédemment, sur le thème de la politique de la ville, pointé un certain nombre de dysfonctionnements.

Par ailleurs, l'égalité républicaine est-elle assurée ? Qui en a la charge ?

A partir du moment où les académies ont une marge de manouvre relativement importante dans la mise en oeuvre des dispositifs et où les collectivités locales interviennent en fonction de leurs moyens et de l'intérêt que les élus portent au sujet, on pourrait penser que l'égalité républicaine n'est pas assurée.

M. le président - La parole est au Président de la troisième chambre.

M. Jean Picq - C'est un sujet important et difficile qui nous a été confié par le Sénat.

Ce travail a obligé -ce qui n'est pas si fréquent- la chambre compétente pour la politique de la ville et celle compétente en matière éducative, que j'ai l'honneur de présider, à travailler ensemble.

La difficulté scolaire est si répandue qu'elle est un problème politique de première importance mais qui exige de la part de ceux qui l'abordent beaucoup d'humilité.

En effet, beaucoup de choses ont été tentées et il faut prendre en compte ce foisonnement d'initiatives afin d'en mesurer l'esprit et l'efficacité avant de se lancer dans de nouvelles propositions.

Nous avons eu le souci de les aborder dans le respect de ceux qui, confrontés à ces questions graves d'échec scolaire, font ce qu'ils peuvent.

Nous avons été très frappés par l'exceptionnelle implication des acteurs de terrain -je pense aux trois recteurs d'académie mais aussi aux chefs d'établissement que nous avons rencontrés lors de l'enquête.

Le parti que nous avons pris a été de ne pas s'en tenir à une simple réflexion sur ce qui se passe à Paris.

Nous sommes devant une juxtaposition de politiques qui n'interdit pas le dialogue mais qui rend la réponse à la question de l'articulation pour le moins délicate.

En revanche, il nous est apparu nécessaire d'aller voir ce qui se passait dans les quartiers Nord de Marseille, dans les Yvelines -à Chanteloup-les-Vignes et aux Mureaux- et dans les quartiers difficiles de Roubaix et de Tourcoing.

Il s'agit de six établissements, peu de choses au regard des 254 établissements du réseau « Ambition réussite », mais il nous est apparu que ce qui ressortait du constat opéré sur ce terrain n'infirmait pas l'impression que nous avions que ces constats étaient généralisables.

D'entrée de jeu, je veux souligner que notre échantillon n'a pas la prétention d'être représentatif. C'est un échantillon que je crois judicieusement choisi, et fort intéressant mais un échantillon.

Seconde remarque avant d'entrer dans le vif du rapport : la Cour a bien conscience que l'effort engagé dans la lutte contre l'échec scolaire l'est depuis déjà un bon moment.

L'urgence d'un changement radical est régulièrement confirmée. La prise de conscience s'est opérée et la loi sur l'école en est, nous semble-t-il, l'illustration. Toutefois, la mise en oeuvre d'une approche personnalisée de la difficulté scolaire est longue à se réaliser.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : ainsi, en 2007 et 2008, 10,7 % des collégiens relevant de l'éducation prioritaire étaient concernés par ces programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE).

Dans la mesure où l'échec solaire touche environ un élève sur 5, on est bien là devant un processus encore à ses débuts.

De même, s'agissant de l'accompagnement éducatif, le pourcentage de participation observé révèle que, sur 27 % d'écoliers relevant d'un réseau « Ambition réussite », seuls 62 % d'entre eux ont fait le choix de l'aide aux devoirs, les autres choisissant sport, culture ou langue. Moins de 20 % des élèves relevant de l'éducation prioritaire bénéficient donc d'une aide aux devoirs.

En réalité, nous sommes devant un changement radical dans les conditions d'exercice de la fonction enseignante puisqu'il s'agit de passer d'un maître isolé dans sa discipline et devant sa classe à une approche désormais collective et personnalisée où l'élève en difficulté est pris en charge par une équipe d'enseignants.

Il est frappant que ce changement ne débouche pas sur des obligations pour les enseignants ou pour les élèves mais repose sur le principe du volontariat.

Ce rapport montre donc que l'accompagnement éducatif, dans sa forme personnalisée -malgré la volonté qui s'est fortement exprimée dans la loi sur l'école- est encore à la marge ou parfois même en dehors de l'école.

Le sujet mérite que les meilleurs esprits s'en préoccupent.

En fin de collège, un élève sur deux issu de l'éducation prioritaire ne maîtrise pas les compétences de base en français alors qu'il n'en existe que moins de un sur cinq en dehors de celle-ci.

S'agissant des compétences en mathématiques, on en dénombre un sur trois, alors que ce n'est qu'un élève sur dix hors éducation prioritaire. C'est donc un enjeu capital.

Le rapport aborde dans une première partie l'articulation de la politique de la ville et de l'action de l'éducation nationale dans les quartiers sensibles sous l'angle de leur cohérence globale, tant du point de vue territorial qu'en ce qui concerne les instances, les outils de pilotage et les moyens financiers.

La seconde partie analyse tous les dispositifs mis en oeuvre tant du côté de la politique de la ville que du côté de l'éducation nationale.

Si l'on croit que la sagesse commence avec l'emploi des mots, il faut être attentif à la sémantique. Nous avons mis du temps à mieux situer par exemple les responsabilités respectives de chacun, quand du côté de la politique de la ville existent des projets de réussite éducative, et du côté de l'éducation nationale, des programmes personnalisés de réussite éducative.

J'en viens aux principales constatations et suggestions de la Cour.

Je les ordonnerai autour de trois idées principales : simplifier les dispositifs, concentrer les interventions sur les territoires, les établissements et les élèves les plus en difficulté et améliorer l'efficacité des dispositifs.

S'agissant de la simplification, il n'y a pas confusion entre éducation prioritaire et quartiers sensibles.

Trois élèves sur quatre situés dans des zones urbaines sensibles relèvent de l'éducation prioritaire mais trois élèves sur quatre de l'éducation prioritaire sont en dehors des zones urbaines sensibles.

Il nous a semblé que, dans ce domaine, une doctrine d'emploi plus lisible viendrait utilement accompagner l'effort engagé, notamment pour que l'acceptation des familles soit plus grande.

Il nous est également apparu que l'éducation nationale, dans la mesure où elle est la mieux à même d'identifier les élèves ayant besoin d'actions éducatives plus larges, doit systématiquement participer aux instances locales de pilotage des dispositifs de la politique de la ville. Nous le suggérons notamment pour les nouveaux contrats urbains de cohésion sociale (CUCS).

Nous ne prétendons pas qu'il n'y a pas, de fait, une coordination pragmatique sur le terrain mais il nous semble que, dans la mise en oeuvre de la démarche contractuelle, cette implication de l'éducation nationale devrait être davantage précisée.

Le second point, plus important, est de connaître, à propos des obligations de service des enseignants, l'effort à engager dans une définition plus claire de leur contenu de manière que le soutien aux élèves en difficulté soit intégré dans le volume total du service d'enseignement.

Ce n'est pas le cas aujourd'hui -sauf dans le primaire. Ceci pose aussi la question de la revalorisation du métier et de la formation des enseignants à ces nouveaux publics qu'il faut prendre en charge et qui implique de leur part un effort tout particulier en soutien et en accompagnement personnalisé.

Il nous semble qu'il serait judicieux que soit intégré systématiquement dans la dotation globale horaire des établissements -sans recours à des heures supplémentaires- ce travail d'accueil et d'accompagnement personnalisé des élèves en difficulté. Ceci doit être d'autant plus le cas que beaucoup d'acteurs soulignent que les horaires des élèves ne sont pas extensibles sans limite. Au-delà d'un certain nombre d'heures, les enfants sont épuisés...

Nous suggérons enfin de s'en tenir aux seuls dispositifs qui auraient résisté à l'examen critique de l'évaluation.

Nous pensons que cela pourrait être mis en oeuvre à l'occasion des prochains contrats urbains de cohésion sociale. Nous pensons aussi qu'il faudrait s'engager dans un processus d'expérimentation préalable avant de créer et de généraliser un dispositif.

Nous n'avons pas estimé souhaitable, s'agissant de la coordination sur le terrain, de proposer la création d'un coordinateur. En revanche, il nous est apparu que l'on pouvait progresser en matière d'outils pour mieux suivre ce qui est proposé aux élèves dans l'école et en dehors, dans le domaine scolaire, parascolaire et péri scolaire.

Ceci devrait être de nature à mettre en évidence les écarts parfois excessifs entre les offres para et périscolaires locales, qui peuvent remettre en cause l'égalité des chances entre élèves.

La répartition des crédits peut en effet aboutir à des paradoxes. Ainsi, les élèves sont plus nombreux par classes dans les écoles primaires classées en ZEP dans l'académie de Créteil qu'ils ne le sont dans la moyenne nationale des écoles primaires classées hors ZEP, à 0,5 près.

S'agissant de la politique de la ville, la Cour avait déjà recommandé de concentrer les interventions sur les territoires les plus en difficulté. Cette recommandation s'appliquait en particulier aux interventions éducatives.

Il nous semble que la refonte en cours de la géographie prioritaire de cette politique doit être l'occasion de cette évolution, en espérant que cette réforme ne débouche pas sur la création d'un zonage supplémentaire qui viendrait ajouter à l'illisibilité parfois ressentie par les acteurs de terrain.

Un nombre plafond de territoires susceptibles de relever de la géographie prioritaire devrait être ainsi défini. En outre, des territoires prioritaires devraient être hiérarchisés par priorité et un mécanisme de sortie prévu avec des objectifs nationaux. Afin d'éviter un effet couperet, un mécanisme d'accompagnement financier pourrait être prévu.

S'agissant des territoires, nous avons été frappés par le fait que la question des quartiers sensibles posait la question bien connue des phénomènes de constitution de ghettos scolaires. Les phénomènes d'évitement des établissements les plus difficiles ont été évidemment accentués par l'assouplissement récent de la carte scolaire.

Les principaux de collège que nous avons auditionnés nous ont indiqué que si cette réforme avait permis un meilleur accès des boursiers aux établissements plus réputés et une meilleure lisibilité dans les conditions de dérogation, elle avait entraîné dans les établissements confrontés aux difficultés les plus grandes une déperdition des effectifs et une concentration des élèves touchés par la difficulté scolaire.

Certains ont pu enregistrer des pertes d'effectifs pouvant aller jusqu'à 10 % alors que d'autres connaissaient des progressions allant jusqu'à 23 %. Sur les 254 collèges « Ambition réussite », 186 ont perdu des élèves.

Les principaux des collèges ont également souligné que, parmi les multiples facteurs influant sur l'attraction des établissements -résultats aux examens, accès aux transports, dispositifs éducatifs complémentaires- il ne fallait pas oublier le point de vue déterminant de la sécurité des élèves et que toute réflexion sur l'école devait considérer cet aspect en amont car il détermine les choix des établissements par les parents.

A l'évidence, les résultats de cette enquête doivent conduire l'éducation et les établissements à une plus grande coordination qui permettrait, en différenciant l'offre de formation, de limiter ces effets de ghettoïsation.

Il nous est également apparu que les collèges dits « très défavorisés », qui représentent 6,5 % des collèges français dans lesquels on compte, à la fin de la troisième, une moyenne de 67 % d'élèves issus de catégories défavorisés, de 50 % d'élèves boursiers et de 17 % d'élèves en retard de 2 ans ou plus, méritaient l'attention.

Il ne s'agit pas de dire ici que ce sont les seuls établissements sur lesquels il faut se concentrer, le risque étant de négliger tous ceux qui sont soucieux d'accompagner la lutte contre la difficulté scolaire mais de proposer qu'un rééquilibrage soit envisagé à cet égard.

Enfin, s'agissant de l'amélioration de l'efficacité de la personnalisation des aides, on ne peut mettre sur le même plan une politique qui approche les territoires par zones et une politique éducative qui s'intéresse par priorité moins aux zones qu'aux élèves eux-mêmes.

Il nous est apparu qu'il fallait être extrêmement attentif au fait que les outils d'accompagnement soient adaptés à la diversité des initiatives liées aux politiques mises en oeuvre depuis de nombreuses années, tant dans le cadre de la politique de la ville que dans celui de la politique de l'éducation nationale.

Un responsable de terrain que nous avons auditionné a ainsi pu faire état du cas d'un enfant qui avait été inscrit dans six programmes différents relevant de la politique de la ville ! Pour éviter ce risque, un référentiel précis des conditions d'emploi de chaque intervention devrait être, selon nous, élaboré.

De même -et nous avons noté un désaccord sur ce point avec les services du ministre de l'éducation nationale - il nous paraît important que le ministère puisse s'engager dans une meilleure identification des niveaux de la difficulté scolaire afin d'éviter une disparité excessive des interventions selon les établissements.

Il serait anormal que des élèves qui sont caractérisés par un niveau de difficulté scolaire identique ne bénéficient pas sur l'ensemble du territoire des mêmes actions, que celles-ci relèvent du programme personnalisé de réussite éducative, de l'aide personnalisée ou de l'aide aux devoirs.

Nous avons été frappés de voir que, dans un collège de Chanteloup-les-Vignes, les équipes pédagogiques qui avaient dans un premier temps décidé de mettre en oeuvre le programme personnalisé de réussite éducative pour une vingtaine d'élèves, considérant que ce programme réussissait pour près des deux-tiers mais ne convenait par à ceux qui étaient face à des difficultés chroniques ont alors décidé d'affecter une partie de ces élèves dans les tutorats renforcés organisés par la commune en dehors du temps scolaire.

Les résultats de ce tutorat renforcé exercé en dehors de l'école et par d'autres que par des professeurs n'ont pas été sans résultats mais cette situation a conduit à ce que, dans ce même collège, le programme personnalisé de réussite éducative ne touche plus qu'une dizaine d'élèves, tandis que les élèves en difficulté se sont retrouvés soit en tutorat renforcé, soit en accompagnement éducatif pour des activités culturelles et sportives !

Sans doctrine d'emploi, il est inévitable qu'en fonction des situations et de l'offre locale, on se trouve face à des comportements différents. La responsabilité de l'Etat en ce domaine ne peut être écartée ; il convient de faire en sorte qu'à l'inégalité des chances, ne s'ajoute pas une inégalité dans l'accès aux dispositifs.

Enfin, le rapport de la Cour termine par le rappel qu'une évaluation systématique et régulière de l'efficacité et de l'efficience de ces dispositifs est souhaitable. Nous savons que le Secrétariat général du comité interministériel de la ville élabore avec l'Observatoire national des zones urbaines sensibles une étude d'impact sur une quinzaine de sites ; nous pensons qu'il faut que cet effort soit prolongé, y compris par le ministère de l'éducation nationale.

M. le président - Merci.

Nous avons compris que nous sommes là dans une des missions les plus délicates qui soient et que le pilotage n'est guère commode ni écrit d'avance. C'est l'implication de chaque acteur, localement, qui fait la réussite et permet de constater des résultats encourageants.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre - Je vous remercie de l'organisation de cette audition car cela correspond à l'idée que je me suis faite d'un Parlement moderne qui utilise les moyens indépendants et compétents qui sont mis à sa disposition pour évaluer une politique publique.

Nous avons, en tant que membres de l'exécutif, besoin d'outils d'évaluation de la politique publique pour les améliorer et avoir de meilleurs résultats, surtout dans un sujet complexe qui voit se mêler des politiques verticales, ministère par ministère, et des politiques transversales, partagées entre plusieurs ministères et qui sont liées à des activités davantage sectorielles sur le plan local.

Je voudrais évoquer trois sujets. Le premier concerne la personnalisation de notre accompagnement et me permettra d'expliquer notre objectif de lutte contre l'échec scolaire.

En second lieu, je voudrais vous faire part des mutations importantes de notre politique d'éducation prioritaire depuis deux ans.

Enfin, je voudrais répondre aux observations de la Cour et engager le débat.

Le principat objectif de l'éducation nationale est de lutter contre l'échec scolaire. Dans les ZEP, lutter contre l'échec scolaire, c'est faire plus pour ceux qui ont moins, c'est faire davantage pour les élèves qui ont plus de difficultés. C'est le contraire de l'égalitarisme. Je revendique donc une politique qui, à un moment, doit faire davantage dans les établissements qui ont plus de difficultés et, au sein de chaque établissement, pour les élèves qui ont le plus de difficultés.

Progresser dans nos résultats et dans l'efficacité de notre système éducatif passe par cette adaptation à chaque établissement et à chaque élève.

Depuis 2007, nous avons développé la politique de personnalisation dans le milieu scolaire. En primaire, nous avons mis en place deux heures d'accompagnement d'aide personnalisée pour les élèves qui rencontrent des difficultés, pour leur éviter de décrocher et éviter que 15 % d'élèves n'arrivent en sixième en ne maîtrisant ni la lecture, ni l'écriture -comme c'était le cas auparavant.

Des stages de remise à niveau ont été mis en place à l'école primaire. Nous avons résidentialisé des enseignants RASED de manière qu'ils se concentrent sur les élèves rencontrant le plus de difficultés.

Je voudrais également évoquer la politique mise en place au collège. L'accompagnement éducatif a été créé au collège et dans les ZEP -qui n'existent d'ailleurs plus. Cette politique est aujourd'hui généralisée et 40 % des collégiens bénéficient de ce système au niveau national. Il répond à la problématique des fameux « orphelins de 16 heures ». 60 % sont accompagnés dans leurs devoirs, les autres effectuant des activités culturelles où sportives. Dans certains départements ruraux, nous sommes à plus de 50 %.

Un quart est concerné par l'aide aux devoirs. C'est ce quart qui justifie des moyens supplémentaires et un engagement de notre part. Il s'agit que les élèves ayant des difficultés aient accès à l'accompagnement éducatif.

Autre illustration : dans la réforme du lycée, nous avons prévu de généraliser deux heures par semaine d'accompagnement personnalisé pour bénéficier d'un soutien scolaire actif ou pousser ceux qui le peuvent vers les concours ou l'enseignement supérieur.

Je rappelle que, dans la réforme des lycées professionnels en oeuvre depuis septembre, il est également prévu deux heures et demi par semaine d'accompagnement personnalisé pour l'ensemble des élèves.

Je voudrais à présent évoquer la mutation de notre politique d'égalité des chances à destination des quartiers.

L'éducation prioritaire représente dans notre budget des moyens considérables Au total, l'effort consenti est de 1,204 milliard d'euros pour 2010.

Depuis 2006, une inflexion importante et une évolution de cette politique ont eu lieu avec la création des réseaux « Ambition réussite ». 281.000 élèves du premier degré et 118.000 du premier cycle du second degré sont aujourd'hui concernés.

Un second échelon, le réseau de réussite scolaire, regroupe environ 706.500 élèves du premier degré et 395.000 élèves du second degré. L'objectif initial était de concentrer les moyens là où les besoins étaient les plus criants. Nous avions déjà, en 2006, commencé à simplifier le pilotage et à renforcer l'articulation entre le premier et le second degré et je suis du même avis que la Cour sur ce point : il nous faudra aller plus loin.

Le premier bilan des réseaux « Ambition réussite » est encourageant, même s'il est à améliorer : en trois ans, l'écart entre le taux de réussite au brevet « ambition réussite » et hors éducation prioritaire s'est réduit de près de trois points.

Par ailleurs, 41 établissements, soit 20 %, sont identifiés comme attractifs.

Une nouvelle évaluation de ces réseaux est prévue en 2010 en fonction des éléments de performance retenus sur les critères de la LOLF.

C'est de bon augure dans le cadre de la révision des CUCS et je souhaite une meilleure harmonisation entre ces dispositifs dans le futur. Comme la Cour, je désire que l'éducation nationale soit plus présente dans l'élaboration et le suivi des ces CUCS. Je propose que les recteurs en soient cosignataires.

Nous avons également mis en place un outil qui me semble constituer une réponse à la situation de ces quartiers, les « Cordées de la réussite », l'objectif étant de repérer et d'aiguiller les élèves prometteurs vers les filières d'excellence.

Ce dispositif est destiné à augmenter l'accès des élèves issus de ces quartiers vers les filières d'excellence. Aujourd'hui plus de 125 « cordées » représentent près de 800 établissements.

Le second dispositif est celui des internats d'excellence. Nous avons labellisé 3.000 places nouvelles et ouvert l'internat de Sourdun à la rentrée. L'objectif est de parvenir à l'ouverture de dix établissements de ce type à la rentrée 2011.

En ce qui concerne les réseaux « Ambition réussite », je crois qu'il convient que l'éducation nationale élabore une politique de ressources humaines innovantes pour ces réseaux.

Nous devons d'abord y maintenir l'affectation d'enseignants supplémentaires.

Par ailleurs, il me paraît essentiel de créer des postes à profil pour les personnels de direction, les inspecteurs de l'éducation nationale du premier degré et les directeurs d'écoles, les conseillers principaux d'éducation et les enseignants.

Il nous faut également aller plus loin dans l'accompagnement financier des enseignants et des personnels d'encadrement dans ces établissements, en doublant par exemple les primes - voire en faisant un geste significatif- afin de favoriser la stabilité des équipes, sur la base d'un projet pédagogique partagé.

Il faut également mieux prendre en compte l'engagement et les acquis des personnels dans les modalités de recrutement aux concours d'encadrement.

D'autre part, il convient de mettre en oeuvre une politique de personnalisation des établissements qui ont le plus de difficultés puis, au sein de ceux-ci, une politique en faveur des élèves ayant le plus de difficultés.

Afin d'aller plus loin, il me semble qu'il faudra accroître l'autonomie pédagogique des établissements relevant des réseaux « Ambition réussite » en engageant les académies à conduire une politique d'expérimentation audacieuse et de recherche au sein de ces réseaux. Tout cela doit bien entendu être encadré par l'Inspection générale de l'éducation nationale.

Il faudra pour ce faire formaliser un contrat qui utilise toutes les marges d'autonomie possibles pour atteindre des résultats quantifiés, chiffrables, issus du diagnostic.

Enfin, il nous faut donner un tour plus scientifique à l'évaluation des réseaux « Ambition réussite » en prévoyant une évaluation associant d'autres acteurs que ceux de l'éducation nationale-universités, écoles spécialisées, école d'économie de Paris, etc.

M. le président - Comment la relation entre le ministère de l'éducation nationale et le secrétariat d'Etat à la ville se déroule-t-elle ?

M. Thierry Tesson - Je tiens tout d'abord à excuser l'absence de Mme la ministre, qui m'a chargé de la représenter dans cette instance.

Ce rapport extrêmement intéressant permet d'avoir une vision générale et fort complète de ce sujet essentiel que le ministère de l'éducation nationale comme celui de la politique de la ville regardent de très près.

Le couple que forment sur ce sujet les deux ministères est naturel ; sur le terrain, le fonctionnement est très souvent commun.

Lorsque Mme la ministre a lancé, en février 2008, le plan « dynamique espoir banlieue », le volet éducation a été particulièrement riche et nous tenons ici à saluer l'engagement de l'éducation nationale.

Le secrétariat d'Etat partage majoritairement les conclusions de la Cour, en particulier concernant l'amélioration de la coordination entre la politique de la ville et celle de l'éducation nationale. Dès l'instant que l'action publique est plus lisible, les familles et les élèves peuvent mieux identifier la nature du soutien et de l'intervention des pouvoirs publics sur les territoires prioritaires.

Cette relation entre scolaire et périscolaire s'est énormément renforcée ces dernières années.

M. le président - Est-ce vous qui avez en charge le périscolaire ?

M. Thierry Tesson - En effet.

L'éducation nationale a connu ces deux dernières années un certain nombre de réformes qui ont considérablement modifié la prise en compte de la difficulté scolaire au sein des écoles, collèges et lycées.

Certaines équipes se sont emparées des difficultés liées au défaut d'articulation des dispositifs et y ont parfois répondu. Certains programmes ont été réorientés vers d'autres voies que celles de l'accompagnement éducatif.

Le rôle de l'Etat est de fixer des orientations, de définir des stratégies, répartir des crédits, fixer des cahiers des charges mais on peut s'interroger sur les résultats d'une excessive spécification. Lorsqu'on donne au terrain une certaine liberté, il s'en empare avec beaucoup d'intelligence. S'il existe un moyen de mieux maîtriser cet aspect, c'est probablement par la voie de la contractualisation locale que peuvent mener les professionnels.

La Cour a posé la question centrale de l'évaluation. Dans les territoires de la politique de la ville, les populations sont extrêmement mobiles. Un suivi de cohorte paraît donc tout à fait adapté pour répondre à ces questions.

De ce point de vue, l'ONZUS et l'Acsé ont mis en place des évaluations d'impact sur plusieurs sites. Je pense que des enseignements pourront être tirés de ces travaux.

Enfin, nous allons entrer dans une phase particulièrement importante liée à la future réforme de la géographie prioritaire. On aurait du mal à imaginer qu'elle ne puisse prendre en compte l'évolution de l'éducation prioritaire.

Le premier objectif de la politique de la ville est la réduction des écarts entre les territoires concernés et le reste du pays. Ces écarts peuvent se réduire dans certains cas et augmenter dans d'autres.

Le second principe consiste à observer les conditions de la réussite scolaire et à l'appréhender de manière globale. C'est tout l'objet des programmes de réussite éducative qui concernent aujourd'hui de nombreux élèves. Les équipes considèrent qu'il s'agit là d'une très bonne innovation.

Pour finir, quelques éléments pour aller dans le sens des préconisations formulées par la Cour.

En premier lieu, il faut renforcer la contractualisation en faisant des CUCS le document unique de tous les dispositifs existants.

En second lieu, il faut toujours conserver une approche globale.

Il faut également poursuivre l'idée de la concentration des aides de l'Etat sur les populations les plus en difficulté et construire une évaluation plus rigoureuse de l'impact de ces dispositifs éducatifs.

Cette contractualisation doit renvoyer à une meilleure connaissance des dispositifs de droit commun, notamment en direction des quartiers sensibles. L'objectif de ce document unique sera probablement de décrire tous les moyens au bénéfice des jeunes dans les quartiers sensibles.

Le ministre a indiqué que les recteurs pourraient être signataires des contrats ; il s'agit là d'une avancée extrêmement intéressante qui permettra de renforcer la vision globale, l'harmonisation et la mutualisation des aides à apporter aux enfants.

Il convient également, autant que faire se peut, de défendre la réduction du nombre de dispositifs existants.

Enfin, ces contrats devront évidemment renforcer la gouvernance. Un groupe de pilotage dédié pourrait permettre de mieux répondre aux besoins des jeunes dans ces différents quartiers.

M. le président - La parole est à M. Hervé Masurel, secrétaire général du comité interministériel des villes

M. Hervé Masurel - Le secrétariat général du Comité interministériel des villes a en charge le secrétariat permanent de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles. Nous veillons à en renforcer quantitativement et qualitativement les moyens afin de renforcer l'évaluation de la politique de la ville en lançant notamment des études nouvelles portant sur des cohortes.

Il s'agit de suivre des élèves ayant bénéficié par exemple des programmes de réussite éducative et des élèves qui, dans des conditions géographiques et sociales analogues, n'en ont pas bénéficié. Cela nous permettra ensuite de voir comment ces élèves ont évolué et quel a été l'apport spécifique du dispositif.

Nous engageons des études analogues concernant les écoles de la deuxième chance et l'établissement public d'insertion « Défense deuxième chance ».

Je pense que tout cela pourrait s'insérer dans la politique d'évaluation que M. le ministre de l'éducation nationale a défendu pour les réseaux « Ambition réussite », pour disposer d'une évaluation globale de l'ensemble de ces dispositifs.

M. le président - La parole est à Serge Dassault.

M. Serge Dassault - Merci. C'est une excellente opportunité pour nous, qui sommes dans l'arène politique locale, de vous exprimer des sentiments différents de ce que vous semblez dire les uns et les autres ! A Corbeil, ville où il existe trois quartiers sensibles, on a l'habitude de voir un certain nombre de jeunes qui sortent du collège, du lycée ou de l'université sans avoir rien appris !

Il est dit dans le rapport que l'éducation nationale ne veut pas se décharger des responsabilités qui sont les siennes en ce qui concerne l'acquisition par tous les élèves d'un socle commun de compétences et de connaissances. C'est là que le bât blesse ! Il n'est pas question de donner un socle commun de connaissances et de compétences à tous les élèves aujourd'hui car ils sont incapables des les acquérir.

On n'est plus dans les années 50, 60 ou 70 : la population scolaire est extrêmement difficile et provient d'un certain nombre de pays qui n'ont pas la même culture que la nôtre. Mais ils sont là et il faut bien s'en occuper.

Or, si on les force à acquérir des connaissances qu'ils ne comprennent pas ou qui ne les intéressent pas, on aboutit à des échecs. C'est cela, l'échec scolaire et cela commence très tôt !

140.000 jeunes par an sortent du système éducatif sans savoir rien faire. Ce sont eux qui constituent la délinquance : s'ils travaillaient, ils ne tourneraient pas en rond dans les quartiers à jeter des pierres et à vendre de la drogue !

C'est à ce sujet qu'il faut agir. La première chose à faire -mais vous n'en parlez malheureusement pas, Monsieur le Ministre- est de réformer le collège. La mise en place du collège unique est une erreur fondamentale. Il faut aujourd'hui deux collèges, une formation professionnelle et une formation diplômante.

M. le président - Peut-on recentrer le propos sur l'objet de l'enquête ?

M. Serge Dassault - Il faut que l'éducation nationale fasse en sorte de former les enfants soit à un métier manuel à partir de 14 ans, soit à un diplôme ! On doit revenir à ce qui existait avant que MM. Giscard d'Estaing et Haby, en 1975, n'en changent l'organisation. Je vous demande donc de bien vouloir étudier cette question.

M. le président - La parole est à Gérard Longuet, rapporteur spécial.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial - Je voudrais tout d'abord adresser mes remerciements et mes félicitations au Président Picq et à son équipe pour le travail de très grande qualité qu'ils ont réalisé. Je n'ai qu'un regret, c'est de ne pas avoir consacré suffisamment de temps à maîtriser la totalité de leur rapport mais j'y mettrai toute mon énergie et ma bonne volonté d'ici l'examen budgétaire pour que nous puissions avoir un échange fructueux en séance !

Monsieur le Ministre, vous avez évoqué l'idée d'augmenter de façon substantielle la prime annuelle versée aux enseignants des réseaux « Ambition réussite ». Qu'est-ce qu'un « geste significatif » en la matière et est-il budgété ?

En second lieu, les communes, les départements et les régions ont des compétences en matière d'éducation en apparence liées à la logistique mais en réalité liées à la vie locale.

Vous avez évoqué, Monsieur le Directeur, ces nouveaux contrats. Les élus y sont déjà associés. Qu'attendez-vous des élus locaux pour le suivi des cohortes de jeunes ?

Les élus ont un défaut qui est en même temps une qualité : ils souhaitent se succéder à eux-mêmes ! Ils ont donc en général une certaine vision de la durée. Tel n'est pas toujours le cas des fonctionnaires de l'Etat qui, eux, servent la République sur l'ensemble du territoire avec une certaine mobilité -je ne parle pas des recteurs mais des préfets.

Nous souhaiterions donc connaître la façon dont vous imaginez une coopération plus impliquée dans cette démarche de réussite personnalisée, au coeur de l'action de votre ministère, Monsieur le Ministre, depuis la loi de 2005.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial - 2009 devait être l'année de la réforme de la géographie prioritaire de la ville. Un rapport parlementaire a été établi par nos collègues Hamel et André ; il semble que la secrétaire d'Etat ait un point de vue différent de celui exprimé par nos collègues. Les décisions ont été repoussées d'une année. Comment travaillez-vous avec les autres ministères et en particulier avec le ministère de l'éducation nationale dans le cadre de ce chantier ? Comment faire en sorte que l'articulation entre les dispositifs de la politique de la ville et de l'éducation prioritaire soit meilleure ?

En second lieu, s'agissant de la notion d'égalité républicaine, beaucoup de ces dispositifs reposent sur des notions de volontariat des collectivités locales et des enseignants mais aussi sur le principe d'autonomie de décision, que ce soit dans les rectorats ou dans les établissements. Ces notions peuvent être antinomiques. Quel est votre sentiment sur cette problématique ? De quels outils disposons-nous aujourd'hui pour mesurer l'égalité républicaine sur le terrain ? Je reste persuadé qu'on n'a pas forcément accès à tous les dispositifs en fonction de l'endroit où l'on se situe et que l'on n'est donc pas forcément traité de la même manière !

M. Jean-Pierre Fourcade - Je trouve le rapport de la Cour intéressant et je me félicite que la ville dont j'ai eu la gestion ne soit classée ni parmi les exemples réussis, ni parmi les exemples ratés !

J'ai relevé, au cours de mes différents mandats de maire, une aggravation de l'absentéisme scolaire. Ce problème, notamment au collège, est devenu me semble-t-il un élément assez important de la discrimination entre les élèves qui suivent et ceux qui se trouvent, à la fin du collège, comme l'a dit mon ami Serge Dassault, dans des conditions différentes. L'éducation nationale dispose-t-elle d'un décompte précis pour mesurer ce facteur ?

M. François Rebsamen - Mes remarques concerneront essentiellement le premier degré car tout se joue avant 10 ou 11 ans et c'est là que les acquisitions fondamentales doivent se faire.

Or, nous savons fort bien que l'environnement social et culturel de chacun provoque des écarts importants.

Je souhaiterais donc connaître le taux d'encadrement des élèves dans le premier degré et notamment dans les quartiers de la politique de la ville. On sait à l'avance -et vous l'avez d'ailleurs reconnu- que dans certaines écoles, 99,99 % des élèves iront jusqu'au baccalauréat avec succès alors que dans les quartiers difficiles, ce taux sera inférieur à 10 %.

Si nous voulons véritablement offrir à tous la même égalité des chances, il faut -c'est mon sentiment- diminuer le nombre d'élèves par classe dans les quartiers de la politique de la ville. A moyens constants, connaissant les difficultés budgétaires que vous rencontrez, je ne crains pas de dire que si l'on veut faire plus pour ceux qui ont moins, il faudra accepter qu'il y ait davantage d'élèves dans d'autres classes !

La Cour, dans son rapport, relève que le passage de 22 élèves à 23,5 en moyenne représente un surcoût d'environ 8.000 ETP, soit 390 millions d'euros. Cette évaluation a-t-elle été réalisée de manière précise ? Certains pays qui réussissent mieux que nous en matière d'égalité des chances appliquent, dans les quartiers de la politique de la ville, un taux d'encadrement d'environ 12 à 14 élèves par classe. Disposez-vous d'éléments à ce sujet, Monsieur le Ministre ?

M. le président - Vous avez évoqué la priorité que vous allez donner, Monsieur le Ministre, à la gestion des ressources humaines. Pouvez-vous nous en dire plus ? Il m'est arrivé de penser que la gestion des ressources humaines relevait trop souvent de comités paritaires et ne donnait peut-être pas la juste place à l'affectation des compétences dans les postes. C'est sûrement une vraie réforme que celle là !

Par ailleurs, peut-on imaginer qu'un jour les conseils d'administration des collèges et des lycées puissent délibérer sur des budgets qui ressemblent à des budgets et qui intègrent l'ensemble des dépenses mobilisées pour assurer le bon fonctionnement de l'établissement et la réussite du projet éducatif ?

Or, les rémunérations n'y figurent pas ! Peut-être s'apercevrait-on que, dans les zones d'enseignement prioritaire, on trouve souvent des enseignants en début de carrière et que la masse salariale n'est peut-être pas à un niveau très élevé par rapport à d'autres collèges plus conventionnels. Avancer dans cette voie contribuerait à la lucidité des décideurs et de l'ensemble des partenaires de la communauté éducative !

M. le ministre - M. Dassault souhaiterait que l'on revienne sur le socle commun. Un grand débat a eu lieu en 2005 au Parlement. Il s'est traduit par l'adoption de la loi Fillon et portait sur la mise en place d'un socle regroupant sept compétences essentielles. L'objectif est bien que tous les élèves de France quittent le système éducatif en ayant acquis l'ensemble de ces compétences.

Cette réforme entre en vigueur progressivement ; elle va monter en puissance et sera évaluée au brevet à partir de l'année prochaine. Je suis très attaché à la défense de ce socle commun de connaissances et de compétences.

Certes, cela n'interdit pas le travail préprofessionnel que l'on doit réaliser pour les élèves. Je considère que l'éducation nationale va remplir trois missions, instruire, éduquer et insérer professionnellement. Nous devons être capables, à tous les niveaux, de nous préparer à ces trois missions.

S'agissant des ressources humaines, j'ai considéré que ce ministère manquait d'une véritable gestion d'accompagnement. Je pense que l'éducation nationale laisse ses enseignants trop seuls face à leurs responsabilités. L'Etat forme des enseignants mais les accompagne peu ou pas du tout au long de leur parcours professionnel.

C'est pourquoi j'ai proposé aux partenaires sociaux un chantier intitulé « nouveau pacte de carrière » qui comporte deux volets, dont le premier est une revalorisation financière des rémunérations. En contrepartie du non renouvellement d'un départ en retraite sur deux, la moitié de cet effort sera affecté à une amélioration de la rémunération des enseignants. Dans le budget 2010, 197 millions d'euros sont prévus pour la revalorisation des enseignants des réseaux « Ambition réussite ».

Nos enseignants ne sont pas assez payés : un pays qui forme des enseignants à Bac + 4 et demain à Bac + 5, qui seront payés 1.400 euros nets par mois les trois premiers mois, n'est pas un pays qui considère ses enseignants à leur juste valeur !

Nous avons engagé des discussions ; j'ai fait un certain nombre de propositions significatives. Nous allons travailler sur le début de carrière, le rattrapage, la fin de carrière et sur des missions nouvelles, sur la base du volontariat. Les enseignants seront rémunérés de façon qu'il y ait une concentration en début ou en fin de carrière sur les missions nouvelles.

Le second volet de cette politique est un accompagnement individualisé pour les enseignants en matière de gestion des ressources humaines. Je viens de recruter une nouvelle directrice générale, issue de la RATP, qui a montré qu'elle était capable d'une politique audacieuse dans une grande entreprise publique en la matière.

J'ai proposé aux enseignants le droit individuel à la formation, qui n'existait pas à l'éducation nationale. Nous allons travailler sur les deuxièmes carrières, les réorientations, la possibilité de donner des perspectives à nos enseignants qui sont aujourd'hui mal considérés et à qui on ne propose pas suffisamment de perspectives.

La deuxième question de Gérard Longuet concernait le rôle des élus dans les établissements scolaires. S'agissant de la partie scolaire, les élus sont membres du conseil d'administration ; à ce titre, ils votent ou ne votent pas les projets pédagogiques des établissements pluriannuels et qui se déclinent en projets annuels.

Je pense que l'on devrait aller plus loin. Je trouve l'idée que l'on puisse, dans le cadre d'un partenariat, associer davantage les élus et les collectivités territoriales sur les projets des établissements scolaires, intéressante.

Aujourd'hui, les élus sont également associés à tout ce qui, au sein de l'école, constitue des missions nouvelles ou supplémentaires. L'accompagnement éducatif, au collège, ne peut se faire sans le travail de concertation avec la ville et avec le conseil général, pour des questions d'organisation mais également de contenu. Ce sont souvent les villes qui proposent l'accompagnement dans les domaines culturel ou sportif.

Je pense d'ailleurs que, dans l'accompagnement éducatif, il ne peut y avoir une réponse unique de soutien scolaire. Dans les quartiers difficiles, l'accès et l'éveil à la culture sont aussi un élément de réponse et de lutte contre les inégalités.

Je suis prêt à monter un groupe de travail sur ce sujet avec les élus que cela intéresse et à associer davantage, au sein des établissements, les représentants des collectivités locales directement concernés.

Cela répond d'ailleurs aussi à la question de Jean Arthuis : vous avez raison, Monsieur le Président ! J'ai été membre de conseils d'administration de lycée et je sais que le vote du budget est purement formel. Vos propositions en matière de comptabilité analytique constituent une bonne idée. Je me tourne vers mes services : je pense que l'on pourrait travailler sur la possibilité, au sein des établissements, que les conseils d'administration soient plus au fait du coût réel du service proposé aux élèves à travers les enseignants et les différentes activités. C'est la moindre des choses que les représentants des collectivités territoriales soient mieux informés en ce domaine.

M. Dallier m'a interrogé sur la question de l'articulation de nos dispositifs. Il a raison. Je pense que, là-encore, on doit aller beaucoup plus loin. Aujourd'hui, cela manque sans doute de formalisme mais cela existe. Quand on est présent sur le terrain et que l'on travaille très bien avec son préfet, on est au courant de la préparation des CUCS, des actions menées localement. Si elle a une vraie proximité avec les élus locaux, l'éducation nationale articule ses moyens avec les autres mais les choses sont trop laissées selon moi à la libre appréciation des personnes et à certains aléas que l'on connaît.

Nous devons donc améliorer le système. J'ai proposé que nous profitions du calendrier. Je ne suis pas opposé à ce qu'un coordonateur local puisse tenir ce rôle et j'ai indiqué que j'étais favorable à ce que les recteurs soient cosignataires de ces contrats.

Je voudrais dire un mot de l'égalité républicaine. Je partage vos convictions, Monsieur le Sénateur mais je considère que l'égalité n'est pas l'égalitarisme. L'égalité républicaine, c'est aussi être capable de faire davantage pour les élèves, les parents d'élèves, les établissements qui ont le plus de difficultés et de besoins.

Ce que vous percevez comme une contradiction est selon moi au coeur de notre système éducatif. Je dois être, en tant que ministre de l'éducation nationale, garant d'un certain nombre de principes républicains, des programmes nationaux, des diplômes nationaux mais aussi faire davantage, adapter, personnaliser pour passer d'un système quantitatif à un système qualitatif où l'on propose à chacun une solution correspondant à ses difficultés, à ses qualités ou à son ambition personnelle.

M. Fourcade a évoqué l'absentéisme. Selon une étude interne à l'éducation nationale, réalisée en janvier 2009 portant sur 2007-2008, 70 % des quartiers que nous avons évoqué ont un absentéisme inférieur à 5 % ; un quart de ces établissements ont un absentéisme compris entre 5 et 10 %.

Par ailleurs, 83 % des quartiers concernés subissent un décrochage strict, c'est-à-dire des élèves déscolarisés ou démissionnaires. Ce taux est inférieur à 5 %.

Que pouvons-nous faire pour lutter contre ce décrochage scolaire ? Nous devons agir dans trois directions.

La première est à mon sens une direction structurelle, un choix stratégique de notre éducation nationale. Il s'agit d'améliorer en profondeur notre système d'orientation. Faire en sorte qu'un élève trouve sa voie est pour lui un gage de motivation.

Nous proposons, dans le cadre de la réforme du lycée, des modifications en profondeur du système d'orientation avec la possibilité de changer de série ou de filière. La réforme de la voie professionnelle propose depuis la rentrée des passerelles entre filières de lycées professionnels et entre lycées professionnels et lycées technologiques. C'est en aidant l'élève à trouver progressivement sa voie que l'on peut lui apporter une première réponse au décrochage.

La seconde réponse réside dans l'accompagnement personnalisé. Plus on fera pour l'élève qui a des difficultés, plus on évitera qu'il se mette en situation d'échec.

Enfin, nous devons multiplier les expérimentations car il n'y a pas de réponse unique à la lutte contre le décrochage. C'est ce que nous avons décidé avec Martin Hirsch. Je sais que certaines pistes ont fait l'objet de critiques ici ou là mais nous devons multiplier les expérimentations, les évaluer au bout d'un an. Cette année, nous en avons lancé plusieurs dizaines, notamment dans l'académie de Créteil. Nous les évaluerons car je pense que l'on doit multiplier nos chances de répondre au décrochage scolaire.

M. Rebsamen m'a interrogé sur le premier degré. L'accompagnement éducatif y existe bien dans les zones dont nous parlons aujourd'hui. Non seulement nous avons décidé de revoir les programmes en les simplifiant et en les construisant autour du socle commun de connaissances et de compétences mais nous avons également mis en place deux heures d'aide personnalisée et le système d'accompagnement éducatif de 16 à 18 heures.

En ce qui concerne le taux d'encadrement sur l'ensemble du territoire, il est en primaire de 25,8 dans les maternelles et de 22,6 dans les écoles élémentaires. Pour ce qui est des réseaux « Ambition réussite », ce chiffre moyen est diminué de 2, soit 23,8 et 20,6. Quant au collège, on a un taux d'encadrement national de 24,1. Dans le réseau « Ambition réussite », on est à - 4 points par rapport à ce taux. Nous avons donc aujourd'hui un taux d'encadrement nettement meilleur dans les zones difficiles.

A cela s'ajoutent également 3.000 postes d'assistants d'éducation supplémentaires dans les zones « RAR », 1.000 professeurs coordonnateurs supplémentaires, qui ne sont pas comptés dans les taux d'encadrement que je viens d'évoquer.

Permettez-moi de répondre à une question que vous ne m'avez pas posée mais qu'a évoquée M. Picq dans son rapport, qui est à mon sens très importante et qui concerne la carte scolaire.

Cela a des conséquences sur l'organisation de la politique éducative dans les quartiers. Nous l'avons fait pour lutter contre la ghettoïsation. Ceux qui savaient, qui avaient les moyens ou qui étaient les mieux informés et les plus favorisés contournaient le système ; les autres y restaient et l'on avait donc un système à deux vitesses.

Nous avons assoupli la carte scolaire avec un certain nombre de dérogations nouvelles, en prenant en priorité les élèves handicapés, boursiers et malades. J'ai demandé une évaluation en profondeur à mes services, que j'attends rapidement. Nous avons déjà fait remonter de nos rectorats un certain nombre d'éléments qui peuvent intéresser le Parlement.

Nous avons, depuis deux ans, connu une augmentation de 11 % des demandes de dérogation ; 69 % d'entre elles ont été satisfaites. Celles formulées par les boursiers au titre du handicap ont été traitées prioritairement. 82 % des élèves qui ont des difficultés liées à un handicap ont obtenu satisfaction à leur demande.

41 % des établissements du réseau « ambition réussite » sont aujourd'hui attractifs. 180 établissements perdent des élèves -7 % en moyenne- mais 41 en gagnent.

M. le président - Existe-t-il un carnet de bord pour permettre au conseil d'administration et à ceux qui font vivre le projet éducatif de piloter l'établissement ?

M. le ministre - C'est le chef d'établissement qui assure ce suivi.

M. le président - Assure-t-il une diffusion auprès de son conseil d'administration ?

M. le ministre - Oui.

Que pouvons-nous faire pour aller plus loin ? Tout d'abord, on peut imaginer d'aller vers des dérogations plus importantes dans les écoles primaires. On pourrait également imaginer que les élèves issus des RAR figurent en tête dans le choix des établissements.

Enfin, je suis favorable à ce que les académies puissent travailler sur les établissements des zones qui perdent des élèves pour qu'ils deviennent sortes de laboratoires. Un engagement ferme avait été pris par mon prédécesseur que j'ai repris à mon compte qui est de maintenir les dotations et les moyens dans les établissements qui perdent des élèves de manière à en faire des établissements expérimentaux, où l'on revoie le projet pédagogique et où l'on puisse avoir un contrat avec le rectorat. Je souhaite que l'on puisse imaginer une autonomie plus grande et que l'on choisisse en priorité ceux qui ont des difficultés.

La question de la sécurité a été évoquée par la Cour ; elle est très importante. Nous avons décidé de traiter en priorité les établissements des quartiers difficiles en matière de sécurité.

M. le président - On sort un peu de l'éducation prioritaire mais il est important de constater l'état des effectifs. Lorsque les effectifs plongent, c'est qu'il se passe quelque chose. Les rectorats ont-ils les moyens de déclencher une sorte d'audit et de gérer les ressources humaines de telle sorte que l'on fasse le nécessaire ? Il m'est arrivé de constater que certaines situations perduraient parce qu'on n'avait pas toujours les moyens d'affecter les leaders là où le besoin s'en faisait sentir.

M. le ministre - Nos expériences d'élus nous permettent de témoigner de l'importance du chef d'établissement. J'ai été frappé par leur impact sur les résultats d'un collège ou d'un lycée. A Dreux, on dénombre 55 % d'élèves défavorisés ; au brevet, ils obtiennent un taux de réussite supérieur à la moyenne de l'académie ! Cela démontre bien qu'un établissement qui porte un vrai projet pédagogique, partagé par la communauté éducative, peut obtenir des résultats.

Pour répondre à votre question, oui, les recteurs ont des moyens de déléguer des inspections pour évaluer les résultats des établissements. On peut également, en préparant mieux les chefs d'établissement à ce type de mission, en créant des fiches de poste, répondre à cette problématique.

M. le président - Monsieur le Ministre, je vous remercie.

Comment les préfètes vivent-elles ces actions originales d'engagement personnel et de pragmatisme ?

Mme Anne Boquet - Le département des Yvelines est très représentatif de la disparité territoriale que vous évoquez et de cette préoccupation très légitime d'y maintenir l'égalité républicaine.

Dans ce département, le second le plus riche après les Hauts-de-Seine, 20 % de la population est classée en zone urbaine sensible, soit plus de 170.000 personnes. Nous travaillons avec une batterie d'indicateurs significatifs et qui nous permettent de suivre sur plusieurs années l'évolution de ces territoires.

Ce matin, nous tenions un comité de pilotage sur la zone urbaine sensible de Mantes-la-Jolie où nous disposons, à propos de la réussite solaire, d'un indicateur particulièrement intéressant qui est le pourcentage de retard à l'entrée en sixième. La moyenne départementale est de 13 % ; dans certains collèges de Mantes-la-Jolie, on est à 44 %.

Ces quartiers concentrent des populations très défavorisées ; à Mantes, 87 % des familles sont considérées comme défavorisées. Sur l'ensemble du département, les familles défavorisées représentent 27 % de la population.

La disparité existe donc ; les dispositifs sont certes complexes et nombreux mais il faut faire confiance au pilotage territorial au plus près du terrain et à la dynamique partenariale avec les différents acteurs pour améliorer les choses.

Il y a une cohérence réelle dans le département entre la politique de la ville et l'éducation prioritaire. Une seule ZEP ne se trouve pas aujourd'hui en ZUS pour des raisons liées à des choix communaux.

La coordination et l'arbitrage des différents dispositifs entre la sous-préfète à la ville et l'inspection d'académie se fait dans de bonnes conditions. Des réunions périodiques ont lieu. L'inspection d'académie participe aux différents comités de pilotage.

Nous avons procédé, dans le cadre des différents dispositifs de réussite éducative et de réussite scolaire, à un toilettage afin d'éviter les doublons et permettre une certaine complémentarité.

La réussite éducative est plus large que la réussite scolaire, la seconde étant à mon sens d'ailleurs un des piliers de la première. Nous veillons donc à faire en sorte que les différents dispositifs s'imbriquent.

Je me trouve confrontée à des quartiers très fortement discriminés, qui cumulent les difficultés. Le rôle de l'Etat, selon moi, est de veiller au respect de cette égalité républicaine en organisant la solidarité, notamment par le maintien de politiques discriminées sur ces territoires.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial - Disposez-vous d'indicateurs permettant de vérifier, pour une population donnée, le taux de réponse apporté par l'Etat ? En fonction de leur richesse, les collectivités locales financent tel ou tel dispositif. Or, je crains que nous manquions de tels indicateurs. Nous sommes sur la même longueur d'ondes concernant le besoin d'égalité républicaine mais ma question est de savoir si nous sommes capables de le mesurer. Les collectivités locales de votre département sont censées vous rendre un rapport annuel sur l'utilisation des crédits de la politique de la ville. Tout cela est-il fait de manière relativement homogène ?

Mme Anne Boquet - On ne dispose pas d'un système quantitatif et qualitatif complet mais on arrive, pour certains quartiers, comme à Chanteloup-les-Vignes, par exemple, à avoir un suivi qualitatif très précis. Dans cette commune, le maire a mis en place un observatoire des parcours scolaires qui permet de suivre les élèves un par un. Ce type d'outil pourrait être généralisé.

Mme Sylvie Durand-Trombetta - Depuis 2005, date de mise en place du programme de réussite éducative, nous sortons d'une phase expérimentale au cours de laquelle nous avons mis en place un certain nombre d'outils de suivi. Nous sommes en train de travailler avec des associations, des préfectures, des inspecteurs d'académie pour mettre en place un référentiel commun d'évaluation utilisable à l'échelle nationale, régionale, départementale et locale.

Il fallait aussi que les choses s'installent. Je pense que la loi de programmation de 2005 a permis cette installation d'un partenariat concret dans la durée. Il nous autorise à aller au-delà de l'ensemble des tableaux de suivi que nous avons pu mettre en place au sein de l'agence.

Il est vrai que c'est très modeste par rapport à l'ensemble des crédits que l'éducation nationale consacre à l'éducation prioritaire.

En outre, nous ne sommes pas sur un programme qui ne traite que de réussite scolaire. Le travail mené par l'éducation nationale depuis quelques années nous a permis de réduire la part des crédits consacrés au soutien scolaire pour en consacrer davantage à l'ensemble de l'environnement éducatif de l'enfant, notamment en ce qui concerne la santé, le soutien parental, etc.

On est ainsi passé de 33 % de crédits du programme de réussite éducative en 2007, qui étaient consacrés au soutien scolaire, à 23 % aujourd'hui. Cet effort permet un équilibre et une articulation. Même s'ils ne font pas encore système, on sait les préfectures extrêmement attachées à réorganiser la réussite éducative et le soutien scolaire.

Mme Yvette Mathieu - Le poids du budget consacré au volet éducatif de la politique de la ville est de 30 %. C'est donc un budget conséquent. Le modèle idéal est bien sûr celui de la réussite éducative en cela qu'il repère bien un individu et suit bien l'élève de manière individuelle en permettant de le remettre sur rail que ce soit en matière de sport, de culture ou de soutien scolaire.

Ce modèle est encore imparfait puisqu'il nous manque un référentiel labellisé de tous les différents outils existants. Il faut également de véritables critères d'évaluation de la sortie du dispositif pour en mesurer l'efficacité et l'améliorer.

En tout état de cause, c'est le modèle de gouvernance pluridisciplinaire le plus fiable aujourd'hui. Cela permet de décloisonner l'ensemble des services de l'Etat, des CAF et des conseils généraux.

Ce modèle a permis de créer une référence dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire des processus du Haut commissariat à la jeunesse. Le recteur de l'Académie, le conseil régional et l'Etat ont cosigné un nouveau protocole d'engagement de lutte contre le décrochage scolaire dont la plate-forme technique se rapproche de celle mise en oeuvre dans le dispositif de « Réussite scolaire ».

Cependant, le rôle des élus est extrêmement important dans les collectivités car ils sont porteurs d'une politique sociale sur leur territoire ; certains, dans le département du Nord, en font un levier politique important.

Il est également important de souligner que le monde associatif transite, par le biais des contrats de cohésion sociale, par ces modes de gestion des collectivités territoriales ; c'est peut-être là que tout le monde se perd, les différents partenaires qui interviennent le faisant chaque fois avec des enjeux différents.

Chaque acteur adhère au départ et collectivement à un projet mais, pour ce qui est de la réalisation, chacun revient à son pré-carré, ce qui provoque une perte de lisibilité et de visibilité ainsi qu'une pulvérisation des finances.

M. le président - Ne pourrait-on faire masse commune des contributions, participer entre partenaires à la définition d'un projet et en confier la gestion à un seul opérateur ?

Mme Yvette Mathieu - Ce sont là les préconisations du rapport de la Cour.

M. le président - Il faut essayer de privilégier cette approche pour les prochaines générations de CUCS.

Comment les recteurs vivent-ils ces expériences originales ?

M. Jean-Paul de Gaudemar - Mme Perdereau, la préfète déléguée, n'est pas là aujourd'hui mais je puis témoigner de ce que nous réalisons un travail coopératif d'excellente facture avec elle-même et ses services et au-delà avec les intervenants des collectivités, qu'il s'agisse des communes ou du département pour ce qui est en particulier des RAR, qui associent des écoles et des collèges.

Pour faire suite à la discussion qui vient d'avoir lieu, le souci principal que nous avons et ce qui doit présider à l'esprit de cette coopération est de bien s'assurer que les différents dispositifs -ceux dont nous avons la maîtrise mais aussi ceux qui peuvent être initiés, coordonnés, animés par d'autres partenaires-convergent vers un même objectif.

Je veux parler de ce que je crois être une distinction factice, parfois même dangereuse, entre scolaire et périscolaire. A mes yeux, le périscolaire n'a de sens que s'il est au service du scolaire et de la réussite scolaire. Les exemples de dysfonctionnement que je puis connaître se rencontrent lorsque le périscolaire et le scolaire ne se sont pas entendus au préalable sur les objectifs à donner.

A Marseille, nous avons face à nous des partenaires qui acceptent que l'on bâtisse des projets à partir des besoins des élèves concernés. Chacun devine en effet que si les orientations données à l'élève par une équipe pédagogique sont différentes de celles qu'il retrouve à l'extérieur du collège, il y a là un risque de confusion et de déstabilisation. Quelles que soient les bonnes volontés, on perd du terrain plus qu'on en gagne.

J'ai, en ce domaine, une doctrine assez simple qui consiste à laisser le pilotage à ceux qui ont la responsabilité de la réussite scolaire de l'élève. Dès lors que tout le monde respecte cet ordre des priorités, les choses se passent bien.

On voit bien, même une fois un projet commun défini, que des logiques de pré-carré peuvent prendre le dessus, notamment dans le monde associatif. Cela peut toutefois se prévenir et les services de la préfecture et les communes peuvent nous y aider. A Marseille, dans l'ensemble, on a atteint cet état d'esprit.

En second lieu, il existe des milliers de façons de réaliser l'évaluation d'une politique publique. On peut la centrer sur l'identification des sources de financement ou l'aborder de multiples manières. Pour nous, il est important de réaliser une évaluation qui corresponde à des objectifs que l'on s'est donnés.

J'ai élaboré en 2007 avec les RAR un dispositif destiné à préparer un contrat de réussite scolaire pour lequel nous avons défini ensemble des objectifs en petit nombre mais à caractère très stratégique, visant la réussite scolaire, les modes d'accompagnement, la lutte contre l'absentéisme en fonction de l'analyse préalable de chaque réseau.

Cela constitue désormais le guide de fonctionnement de ces réseaux. Une évaluation à mi-parcours a été réalisée il y a quelques mois. Nous regardons en particulier ce qu'a pu apporter le partenariat. C'est un travail difficile à faire, les gens n'étant pas habitués à cette démarche. La grande vertu de ce système est de faire partage des objectifs communs aux écoles primaires et les collèges.

Je crois beaucoup à ce type de démarche. Cela donne une base très claire à une évaluation. L'échec tient rarement à des questions de moyens mais plutôt aux dysfonctionnements dans la prise en charge des missions pédagogiques éducatives ou péri-éducatives. J'ai tendance à penser qu'on ne fera jamais d'évaluation sérieuse si l'on ne part pas de la réussite scolaire des élèves.

M. Gilles Grosdemange - Je veux tout d'abord excuser l'absence de M. Bernard Dubreuil, qui n'a pu se rendre disponible aujourd'hui. Je suis inspecteur d'académie adjoint dans le département du Nord en charge du dossier de la politique de la ville.

La réussite éducative, dans des départements et des secteurs comme on peut en trouver dans le département du Nord, repose sur trois types de dispositifs : les dispositifs de droit commun, les dispositifs mis en place dans le cadre de la politique de la ville et les dispositifs ou projets éducatifs développés par les villes.

Ces dispositifs interagissent et évoluent, ainsi, l'accompagnement éducatif existait dans le cadre du développement de la politique des villes (exemple les projets éducatifs locaux) et il a intégré le droit commun. Deux points restent importants dans la place de ces dispositifs et la transversalité qu'ils permettent.

Le premier concerne les parcours de scolarité des élèves. Ce suivi doit s'exercer de l'école maternelle jusqu'à la fin du collège et permettre ainsi d'anticiper des comportements d'absentéisme et de décrochage sous toutes ses formes. Dans ce contexte, une des réussites de la politique de la ville réside dans la mise en place des conseils consultatifs, qui permettent à différents partenaires de travailler ensemble sur des projets individuels de scolarisation d'élèves en grandes difficultés.

Le second point doit permettre d'envisager la notion de complémentarité et le principe de subsidiarité. Les compétences des uns commencent où s'arrêtent celles des autres. L'éducation nationale a parfois du mal à identifier ou à hiérarchiser les besoins réels de ces élèves et à répondre par des dispositifs les plus adaptés et les plus personnalisés ; or, la réussite de la politique de l'égalité des chances repose sur l'adaptation des dispositifs aux besoins réels de l'enfant à un moment de son évolution. Pourquoi la subsidiarité ? Les enseignants arrivent en effet dans certaines situations à la limite de leurs compétences éducatives. Ils sont confrontés à des publics scolaires en complète rupture sociale, d'où l'intérêt de partenaires ayant une meilleure lisibilité des problématiques des jeunes et ayant des compétences professionnelles pour engager un travail avec eux. C'est bien en mutualisant des compétences sur un objectif précis que l'on va pouvoir faire évoluer des représentations.

La réussite éducative est complexe, l'école n'est qu'un paramètre de cette construction, mais c'est à travers la réussite éducative que l'on va permettre d'entrer dans une dynamique de réussite scolaire, qui elle-même va permettre d'améliorer la connaissance, l'écoute, le dialogue donc le débat dans la reconnaissance de l'autre et favoriser ainsi l'insertion sociale.

M. le président - La réussite scolaire passe aussi par l'engagement des familles, qui dépend beaucoup de la qualité de leur logement. Si l'ANRU fait bien son travail, cela facilite grandement l'oeuvre éducative et scolaire.

De quel oeil l'ANRU voit-elle donc ces projets ?

M. Pierre Sallenave - L'ANRU a en charge une partie en un sens plus simple de la politique de la ville puisque c'est celle qui, d'un point de vue opérationnel, se concentre sur l'investissement, l'infrastructure ou la superstructure mais non directement la matière humaine, de loin la plus complexe.

Pourtant, le programme de l'ANRU poursuit le double objectif de redonner une place dans la ville à des quartiers en difficulté et de redonner aux habitants de ces quartiers, par cette remise à niveau de l'environnement incluant les équipements publics et la mobilité, plus de chances de succès et de promotion dans notre société.

Il est évident que nous avons à cet égard une forte interaction avec les questions de réussite éducative. Redonner une place normale à un quartier dans la ville se mesure notamment à la modification de l'image du quartier, par exemple lorsque des habitants se mettent à accepter l'idée, voire à souhaiter y habiter.

Ce phénomène dépend bien sûr de la qualité de l'habitat et de l'environnement mais aussi de l'école. Cette image de l'école est un facteur essentiel de réussite de la politique que nous menons, bien que ce ne soit pas dans nos compétences qui se limitent à intervenir sur le bâti.

M. le président - Peut-être pouvez-vous intervenir auprès des élus territoriaux pour les convaincre qu'il ne suffit pas de reconstruire des résidences agréables et confortables. Encore faut-il que l'école soit attractive !

M. Pierre Sallenave - En général, nous accompagnons nos programmes par une amélioration des établissements scolaires Nous n'intervenons pas encore sur des établissements secondaires mais c'est une mesure qui a été envisagée en comité interministériel des villes il y a quelque temps.

Nous nous soucions surtout, dans la contractualisation avec les collectivités, de la cohérence du programme éducatif. Il ne nous appartient pas bien entendu de l'établir nous-mêmes mais nous veillons à ce que la question ait été appréhendée dans l'élaboration du programme de politique de la ville en liaison avec l'Acsé et les services du ministère de l'éducation nationale.

M. Philippe Dallier - Le Comité d'évaluation de suivi de l'ANRU avait suggéré une absorption de l'Acsé par l'ANRU en envisageant une vision globale de la rénovation urbaine et du dispositif de la politique de la ville pilotée par une même structure. Quel est votre sentiment sur cette proposition ?

M. Pierre Sallenave - Ce sont des choix sur lesquels il ne m'appartient pas de me prononcer mais la politique de la ville est forcément un tout avec un mélange d'intervention sur le « hard » et sur le « soft ». Les deux modalités d'intervention relèvent de métiers différents. Or, aujourd'hui, le métier de l'ANRU lui suffit largement !

M. Thierry Tesson - Je ne puis qu'abonder dans le sens de ce que vient de dire Pierre Sallenave. Bien entendu, ce sont deux objets différents ; sur le terrain, de plus en plus, une interaction existe entre les deux.

On peut imaginer que ce contrat unique succédera aux CUCS très bientôt. L'idée d'une instance de pilotage locale me paraît fort utile ainsi que la désignation d'un coordinateur à l'échelle de la ville.

Quant au lien entre l'éducation nationale et la géographie prioritaire, MM. Hamel et André ont produit un rapport dont certains aspects sont extrêmement intéressants. Des annonces seront faites au prochain comité interministériel des villes fin novembre. Nous le souhaitons tous.

Il est impensable que cette réforme de la géographie prioritaire n'envisage pas d'implications dans l'éducation nationale. On peut à ce sujet retenir trois exemples. Un premier est la bonification indiciaire dont profitent les enseignants en ZUS ; il s'agit d'une bonification interministérielle qui ne peut qu'évoluer avec l'évolution des zonages de la politique de la ville.

Le second exemple est la description dans le contrat de tout ce qu'apporte l'éducation nationale aux territoires en question.

Enfin, il serait utile qu'il y ait correspondance entre les réseaux tels qu'ils ont été décrits et les territoires, sachant que s'il existe une certitude sur l'évolution de la géographie prioritaire, c'est bien celui de la concentration. Il est souhaitable que la géographie prioritaire intègre une évolution de l'éducation prioritaire de ce point de vue.

Mme Yvette Mathieu - Le pilotage de l'ANRU se fait conjointement avec la politique de la ville et les préfets de l'égalité des chances ou les sous-préfets « ville » en ce sens que lorsqu'un morceau de ville se construit et qu'un nouveau centre social est projeté, on se doit d'imaginer cette transformation avec les élus et les acteurs associatifs pour mettre en place de nouvelles actions pertinentes et en adéquation avec la nouvelle configuration des quartiers.

M. le président - Cette audition, fort intéressante et très riche, n'a été rendue possible que grâce à la qualité de l'enquête conduite par la Cour. La Cour n'a pu faire ce très beau travail que parce que les uns et les autres, sur le terrain, ont mené les expériences avec un engagement exemplaire.

M. Jean Picq - La Cour est heureuse lorsqu'elle se rend utile. Nous avons fait ce travail à votre demande et il m'a semblé que la réponse du ministre a montré qu'il s'agissait aussi d'une forme d'assistance au Gouvernement puisqu'il a bien voulu acter un certain nombre de propositions inspirées par les constats que nous avons faits. Je me réjouis de ce constat.

En second lieu, nous sommes dans un temps long et il n'est pas sûr que la redondance que nous soulignions soit si néfaste. En réalité, les points de redondance touchent « école ouverte » et « ville-vie-vacances » mais il n'y a pas de raison qu'il y ait concurrence.

Les choses sont plus difficiles concernant le PRE et le PPRE ; les chiffres montrent bien qu'il n'existe pas de risques de concurrence. Il me semble qu'il y a là une sorte de fécondation mutuelle, la concurrence étant en outre quelquefois stimulante !

D'autre part, nous avons constaté que la priorité de la lutte contre l'échec scolaire reste fondée sur la base du volontariat, pour les élèves comme pour les enseignants.

La question manifestement posée est de savoir si l'on peut maintenir ces programmes dans une dimension de volontariat. Il est frappant de voir qu'à Marseille s'est développée, à côté de l'école, avec des enseignants bénévoles, à la retraite ou actifs, une association qui a créé 32 associations « collège-quartier » qui scolarisent un millier d'élèves avec l'aide de l'Etat ! Peut-on donc rester sur l'idée que priorité se combine avec volontariat ?

M. le président - Cela peut susciter une émulation entre les volontaires et ceux qui ne le sont pas encore. Soyons humbles et faisons confiance à celles et ceux qui ont envie de porter au plus haut niveau la mission qu'ils exercent au sein de l'Etat ou en périscolaire mais l'objectif premier est la réussite scolaire. Tout doit donc converger vers cet objectif.

Je me tourne vers mes collègues : êtes-vous favorables à la publication du rapport, assorti du contenu de l'échange que nous venons d'avoir ? Il en est ainsi décidé.

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