5. Des dispositions réglementaires internes aux assemblées

Les Assemblées se sont également dotées, plus récemment, de normes visant à réguler l'activité des lobbies au sein du Parlement.

a) La prohibition des groupes parlementaires de défense d'intérêts particuliers

Le sixième alinéa de l'article 5 du Règlement du Sénat, qui concerne la constitution des groupes politiques, interdit la constitution de « groupes tendant à défendre des intérêts particuliers, locaux ou professionnels », tandis que le premier alinéa de l'article 23 du Règlement de l'Assemblée nationale interdit la constitution, sous quelque forme que ce soit, de « groupes de défense d'intérêts particuliers, locaux ou professionnels (...) entraînant pour leurs membres l'acceptation d'un mandat impératif ». Ces dispositions, qui résultent de la tradition parlementaire française de prohibition du mandat impératif et découlent du premier alinéa de l'article 27 de la Constitution, traduisent clairement l'idée classique selon laquelle la représentation nationale incarne l'intérêt général 35 ( * ) .

b) La récente réglementation des activités de « lobbying » au sein des assemblées

Les groupes de pression sont souvent perçus comme suscitant des conflits d'intérêts, par les sollicitations qu'ils peuvent adresser aux membres des Assemblées en vue de défendre les intérêts particuliers dont ils ont la charge. Dès lors qu'elles s'exercent dans un cadre déontologique clair et ne consistent pas à procurer des avantages matériels indus, ces activités de « lobbying » ne sont bien sûr pas répréhensibles et sont tout à fait légales. À la suite de divers incidents ou controverses, l'Assemblée nationale puis le Sénat ont cependant jugé que ces activités, dans l'enceinte des Assemblées et dans les rapports avec leurs membres, méritaient d'être mieux encadrées pour assurer leur plus grande transparence et lever les soupçons qui pourraient peser sur les relations entre parlementaires et groupes d'intérêts.

Chargés de l'intérêt général, les membres du Parlement doivent être protégés de l'influence intrusive ou occulte de tout groupe de pression, afin de ne pas être eux-mêmes soupçonnés de négliger l'intérêt général au profit de certains intérêts particuliers dont les représentants cherchent à être les plus convaincants. Ceci suppose en particulier de limiter les moyens susceptibles d'être employés par les groupes de pression pour tenter de convaincre les parlementaires du bien-fondé de leur position (déjeuners, cadeaux, voyages d'études...).

Ainsi, le 7 octobre 2009, le Bureau du Sénat a adopté une série de mesures en vue de mieux encadrer l'activité des groupes d'intérêts .

En premier lieu, il a introduit un chapitre XXII bis dans l'Instruction générale du Bureau, selon lequel « Le droit d'accès au Sénat est accordé, dans les conditions déterminées par les Questeurs, aux représentants des groupes d'intérêts inscrits sur un registre public et qui s'engagent à respecter un code de conduite défini par le Bureau. »

En second lieu, il a élaboré le code de conduite applicable aux représentants des groupes d'intérêts dans leurs relations avec les sénateurs. Outre les modalités de tenue du registre 36 ( * ) , ce code prévoit diverses obligations et interdictions à caractère déontologique ; il interdit notamment l'utilisation de « moyens frauduleux ou déloyaux » ou la présentation aux sénateurs d'informations « volontairement incomplètes ou inexactes destinées à les induire en erreur ». Le code de conduite prévoit également la publication sur le site Internet du Sénat des invitations pour des déplacements à l'étranger adressées aux sénateurs, à leurs collaborateurs et aux fonctionnaires du Sénat 37 ( * ) .

Code de conduite applicable aux groupes d'intérêts au Sénat

Article 1 er

Le registre des représentants des groupes d'intérêts comprend les informations suivantes :

- leur nom et leurs coordonnées,

- le nom et les coordonnées de leur employeur,

- leur domaine d'intervention,

- ainsi que, le cas échéant, le nom des clients pour le compte desquels ils exercent leur activité.

Ce registre est rendu public sur le site Internet du Sénat.

Article 2

Dans leurs contacts avec les sénateurs, les représentants des groupes d'intérêt doivent indiquer leur identité, l'organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts qu'ils représentent. Ils doivent s'abstenir de chercher à rencontrer ou contacter les sénateurs de façon importune.

Article 3

Les représentants des groupes d'intérêt se conforment à la réglementation du Sénat applicable aux personnes admises dans ses locaux.

Article 4

Les représentants des groupes d'intérêt se conforment aux règles applicables aux colloques, manifestations et autres réunions organisées au Sénat. Ils s'interdisent notamment d'organiser des colloques, manifestations ou réunions dans lesquels les modalités de prise de parole sont liées au versement d'une participation financière sous quelque forme que ce soit.

Article 5

Toute démarche publicitaire ou commerciale est interdite aux représentants des groupes d'intérêt dans les locaux du Sénat.

Article 6

Il leur est interdit d'utiliser le logo du Sénat, sauf autorisation expresse délivrée par le service de la Communication.

Article 7

Il leur est interdit d'engager toute démarche en vue d'obtenir des informations ou documents par des moyens frauduleux ou déloyaux.

Article 8

Il leur est interdit de céder à titre onéreux, ou contre toute forme de contrepartie, des documents parlementaires ainsi que tout autre document du Sénat.

Article 9

Les représentants des groupes d'intérêt doivent s'abstenir de fournir aux sénateurs des informations volontairement incomplètes ou inexactes destinées à les induire en erreur.

Les informations qu'ils communiquent doivent être accessibles à tous les sénateurs qui le demandent.

Article 10

Les représentants des groupes d'intérêt s'engagent à communiquer par voie électronique aux services compétents, en vue de leur publicité sur le site Internet du Sénat, toute information sur les invitations à des déplacements à l'étranger qu'ils adressent aux sénateurs, à leurs collaborateurs, aux fonctionnaires du Sénat et aux instances du Sénat.

Par ailleurs, les Questeurs du Sénat ont réglementé 38 ( * ) l'accès au Palais du Luxembourg des représentants des groupes d'intérêt, à l'aide d'une carte d'accès annuelle spécifique, qui doit être portée de façon apparente. Cette carte doit faire l'objet d'une demande motivée par l'organisme concerné, après signature du code de conduite, et peut être retirée en cas de manquement grave. Elle donne libre accès aux tribunes de l'hémicycle, aux réunions de commission lorsqu'elles sont ouvertes au public ainsi qu'à la Salle des Conférences. La délivrance de cette carte entraîne inscription sur le registre public. En d'autres termes, le registre est alimenté par les demandes de carte d'accès : on peut donc considérer que les groupes d'intérêt n'ont pas nécessairement besoin qu'un de leurs représentants soit titulaire d'une carte d'accès au Sénat pour exercer leur activité, car il leur est loisible de rencontrer des sénateurs à l'extérieur du Palais du Luxembourg ou d'être invités par les sénateurs au sein de l'enceinte parlementaire. Ainsi, il est vraisemblable qu'une partie seulement des groupes d'intérêt agissant auprès des sénateurs est enregistrée.

Applicable depuis le 1 er janvier 2010, cette réglementation répond à un objectif d'encadrement et de moralisation des pratiques ainsi qu'à un souci de transparence. Elle doit faire l'objet d'une évaluation qui pourra le cas échéant conduire à la renforcer. Certains représentants de groupes d'intérêt, entendus par vos co-rapporteurs, ont d'ailleurs estimé que cette réglementation n'était pas assez rigoureuse pour assurer le respect par tous des obligations déontologiques de la profession, malgré l'existence d'une sanction de retrait de la carte d'accès.

Le Bureau de l'Assemblée nationale avait adopté des règles analogues le 2 juillet 2009 pour encadrer et rendre plus transparentes les activités des représentants d'intérêts publics ou privés (modification de l'Instruction générale du Bureau et élaboration d'un code de conduite) 39 ( * ) : badges d'accès quotidiens à certaines salles du Palais-Bourbon pour les personnes figurant sur une liste arrêtée par le Bureau ou sa délégation chargée des représentants d'intérêts, souscription à un code de conduite pour bénéficier de cette facilité, publication sur Internet de la liste des représentants d'intérêts.

c) Les initiatives déontologiques des professionnels du « lobbying »

Les professionnels du lobbying cherchent eux-mêmes à mieux s'organiser d'un point de vue déontologique, au travers notamment de l'Association française des conseils en lobbying, qui a établi une charte de déontologie à l'intention de ses membres. Cette charte évoque la question des rapports avec les élus et les parlementaires et prohibe le versement de toute rémunération à des collaborateurs politiques. Elle repose sur le principe selon lequel le lobbying répond à une obligation de moyens et non de résultat à l'égard des clients, de sorte que ne sauraient être employés tous les moyens possibles de persuasion ou de pression.

De son côté, l'Association professionnelle des responsables des relations avec les pouvoirs publics, qui regroupe des personnes chargées, au sein d'entreprises publiques et privées et de divers organismes professionnels, d'entretenir un dialogue entre la structure qui les emploie et les pouvoirs publics, également entendue par vos rapporteurs, a aussi établi une charte de déontologie à destination de ses adhérents.

On peut néanmoins observer que ces initiatives relèvent de la bonne conduite et de l'autorégulation de la profession , et ne comportent donc pas de réelles sanctions de nature à dissuader les comportements déviants.


* 35 Ces dispositions ne font bien sûr pas obstacle à la création au sein des commissions de groupes d'études permanents, chargés de suivre un sujet ou un secteur économique particulier, en vue d'informer l'une des deux Chambres.

* 36 A ce jour, 75 personnes sont inscrites sur cette liste, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/role/groupes_interet.html

* 37 A ce jour, deux invitations ont été publiées. Cette liste est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/groupes_interet/Liste_des_declarations_d_invitation_au_18_mars_2011.pdf

* 38 Arrêté des Questeurs n° 2010-1258 du 1 er décembre 2010 définissant les droits d'accès au Palais du Luxembourg des représentants des groupes d'intérêt, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/role/groupes_interets_aq.html

* 39 Ces éléments sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/representants-interets/index.asp

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