C. LES BANQUES ET LES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT

1. Les prêteurs et la création du registre positif en 2009

En 2009, au cours des travaux préparatoires de la loi dite « Lagarde » du 1 er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, la commission spéciale 70 ( * ) chargée au Sénat d'examiner ce texte avait constaté :

- d'une part, l'opposition de la Fédération bancaire française (FBF) à l'institution d'un tel fichier ;

- et, d'autre part, que l'Association française des sociétés financières (ASF) n'avait, compte tenu des positions divergentes de ses membres, formulé aucune position officielle sur la question.

2. Le maintien en 2012 de l'hostilité de la Fédération bancaire française et des acteurs traditionnels du crédit

A titre liminaire, vos rapporteurs relèvent que l'ASF, qui regroupe les sociétés spécialisées de crédit, demeurait à ce jour sans position officielle, compte tenu de la pérennité des divergences entre ses membres.

a) Les objections et les propositions alternatives de la Fédération bancaire française

La FBF a d'abord, le 4 décembre 2012 71 ( * ) , publiquement regretté que l'enquête publiée par la Banque de France en 2011 n'intègre plus, comme les précédentes, une analyse précise des causes du surendettement. En 2007, il avait été estimé que dans les trois quart des cas, le surendettement était lié à un accident de la vie (chômage, divorce, maladie, décès du conjoint), entraînant une baisse de ressources.

Elle propose ensuite trois principaux axes d'amélioration pour lutter contre le surendettement :

- accompagner socialement les ménages en difficulté en développant des partenariats avec les acteurs sociaux locaux ;

- favoriser l'éducation budgétaire et financière dès le plus jeune âge ;

- améliorer le fonctionnement du FICP en prenant en compte les impayés (impôts, loyers, électricité...), qui sont très souvent les premiers signes de fragilité d'un ménage bien avant l'incident de crédit.

La FBF conteste enfin la pertinence de la création d'un registre positif en soulignant qu'il s'agit d'une réponse inefficace pour prévenir les accidents de la vie générant une baisse de ressources chez les ménages.

En résumé, on peut noter que l'opposition de la FBF à l'égard du registre positif est essentiellement fondée sur l'affirmation d'un lien entre le surendettement et les accidents de la vie . Toutefois l'existence de cette relation repose sur une étude faite par la Banque de France en 2007, contestée par la Cour des comptes, et dont le suivi a été abandonné par la suite.

b) Les indications complémentaires apportées par BNP Paribas Personal Finance

Selon les indications spécifiques apportées à votre groupe de travail par cet établissement, un registre des crédits ne serait que peu efficace pour réduire le surendettement :

- il permettrait certes de diminuer la fraude (falsifications d'identité, fausses déclarations) ainsi que d'améliorer la détection des endettés compulsifs (vérification des déclarations d'engagements de crédit, mise à jour accrue des informations du registre), diminuant ainsi le nombre et l'exposition médiatique de dossiers dramatiques ;

- toutefois, aucun registre ne pourra jamais présumer de la dégradation future d'un emprunteur liée au contexte économique (baisse de revenus, hausse des charges) et des aléas de la vie d'un emprunteur (chômage, décès, maladie, accident dans le foyer, divorce, séparation, addictions...).

De façon plus technique, cet établissement de crédit conteste l'argument selon lequel, dans les pays ou a été mis en place un registre positif, on constate de plus faibles encours de surendettement qu'en France. En effet, en prenant l'exemple de la Belgique, il fait valoir que les statistiques d'endettement moyen dans ce pays concernent tous les dossiers en cours :

- ceux qui, en fin de traitement, ne comportent plus que de faibles dettes non apurées ;

- et ceux qui viennent d'être déclarés avec une dette globale très importante.

En revanche, les enquêtes françaises recensent le niveau d'endettement au moment de la recevabilité du dossier où ce niveau est le plus élevé. Il conclut que si la même définition devait s'appliquer en France, les niveaux d'endettement seraient sans doute très proches.

3. L'évolution du point de vue de certains établissements de crédit depuis deux ans

Plusieurs établissements de crédit ont évolué dans leur approche du registre positif . Telle est une des principales observations qui se dégage de l'audition par votre groupe de travail d'une vingtaine de représentants d'établissements financiers ainsi que des principales organisations professionnelles du secteur bancaire. Ces auditions effectuées sous forme de table ronde ont, en même temps, permis de confronter directement certains arguments importants comme la possession et l'utilisation de fichier positifs privés par certains prêteurs, dans la pratique actuelle.

a) Le Crédit Mutuel

Comme l'ont indiqué ses représentants, qui ont regretté que le comité de préfiguration du registre positif n'ait pas suffisamment consulté certains acteurs majeurs du crédit à la consommation, le Crédit Mutuel a évolué depuis deux ans dans sa réflexion sur le fichier positif .

Son analyse pragmatique et actualisée l'amène à constater la baisse du revenu des ménages en phase de crise, ce qui conduit cet établissement à préconiser le maintien de la possibilité de proposer un crédit sur le lieu de vente pour préserver le moteur essentiel de la demande dans une phase d'atonie de la consommation.

En même temps, il estime que, désormais, le surendettement n'est ni actif ni passif mais « contraint », ce qui rend plus nécessaire que jamais la mise en place d'un dispositif d'alerte ; dans ce contexte, les craintes formulées antérieurement sur la complexité d'un registre positif passent au second plan et le Crédit Mutuel estime qu'il convient d' accorder la priorité au repérage du « mal endettement » .

Les représentants de la Confédération nationale du Crédit Mutuel ont souligné qu'en pratique, au moment de l'octroi du crédit, 85% des dossiers omettent l'existence de prêts et que 50% des demandes auraient étés refusées si les clients avaient déclaré leurs encours réel : le dispositif actuel a donc un rôle préventif insuffisant.

Ils ont également exprimé des réserves à propos de la suggestion qui consiste à exiger la fourniture des trois derniers relevés bancaires : en effet, un Français sur deux a au moins deux comptes bancaires et l'ouverture d'un compte est un moyen utilisé par les ménages en difficulté pour « finir les fins de mois difficiles » avec une ligne de crédit supplémentaire.

Enfin, le Crédit Mutuel a estimé que l'identifiant retenu par le comité de préfiguration était une solution techniquement pertinente mais qui implique un important travail de mise en oeuvre. Compte tenu des enjeux, il estime qu'un identifiant dérivé du NIR est le seul identifiant fiable permettant d'éviter les homonymies. A l'inverse, le FICOBA est avant tout un fichier d'ordre fiscal, qui repose sur des données d'état civil insuffisamment contrôlées. Par ailleurs, à ce stade, il n'est pas dimensionné pour recevoir un nombre aussi important de transactions et, surtout, il ne permet pas une restitution en temps réel, fonctionnalité capitale pour l'exercice des activités de crédit, notamment sur le lieu de vente.

b) La Banque postale

Nouvel entrant, depuis deux ans, dans le crédit à la consommation, la Banque Postale, d'après les indications de sa représentante :

- refuse environ 60 % des demandes de rachat de crédit après avoir analyse la solvabilité des emprunteurs et constate à cette occasion que bien des crédits ont été accordés à tort ;

- souligne l'importance d'un mal endettement latent qui ne se confond pas avec le surendettement et se traduit par une fragilité financière accrue des classes moyennes ; or l'ampleur de ce phénomène ne se manifeste pas dans le FICP ;

- rappelle que les deux principaux opérateurs du crédit à la consommation utilisent leurs propres fichiers positifs autorisés par la CNIL.

Résumant son propos, la représentante de la Banque Postale a estimé paradoxal de contester l'usage généralisé des outils de recensement aujourd'hui à la disposition des prêteurs qui dominent le marché du crédit à la consommation : « Ceux qui le refusent l'ont fait ».

Il convient de noter que le représentant de BNP Personal Finance a répondu à cet argument en indiquant : « C'est bien parce que nous utilisons les fichiers positifs que nous constatons que leur efficacité est insuffisante ».

Pour sa part, le représentant de Crédit agricole SA a affirmé que les 39 caisses de Crédit agricole de plein exercice, qui représentent au total dix millions de clients, sont des concurrents et ne procèdent pas au partage de leurs fichiers clients. Opposé au principe même du registre positif, il a cependant préconisé, si ce dernier doit être mis en place, d'appliquer les recommandations techniques du comité Constans pour éviter les « doublons ».

c) La Banque Accord

Le représentant de la Banque Accord, filiale du groupe Auchan, a présenté des statistiques récentes sur la base de 165 derniers dossiers de surendettement reçus par cet établissement en indiquant :

- d'abord qu' un seul emprunteur sur les 165 avait déclaré la totalité de ses emprunts au moment de la souscription de crédit ;

- et que si la banque avait disposé d'un fichier positif, elle aurait été conduite à refuser d'octroyer le crédit dans 154 cas sur les 165 .

Il a également estimé que le fichier positif avait une influence sur le montant de l'endettement qui avoisine, en France, 41 700 euros après avoir doublé au cours des dernières années.

Les grands acteurs du crédit renouvelable

Afin de mieux situer les enjeux sous-jacents aux interventions des établissements entendus par le groupe de travail, on peut se référer au rapport Athling sur le crédit renouvelable qui présentait, fin 2008, les deux grandes familles d'acteurs sur le marché du crédit renouvelable en distinguant les établissements de crédit (banques, établissements de crédit spécialisés) et les entreprises du commerce et de la distribution ayant une activité significative en matière de crédit. Ces dernières ont créé une société commune avec un établissement de crédit spécialisé (voir le tableau ci-dessous), les autres ont passé des accords commerciaux de distribution avec ces mêmes acteurs.

Le tableau suivant, tiré du même rapport de décembre 2008, précise les relations entre les banques et les établissements de crédit spécialisés.


* 70 Rapport n° 447 (2008-2009) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission spéciale.

* 71 La position de la Fédération bancaire française est consultable à l'adresse suivante :

http://www.fbf.fr/fr/espace-presse/fiches-reperes/surendettement/lutter-contre-le-surendettement

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