EXAMEN DU RAPPORT

La commission des affaires européennes et la délégation aux entreprises se sont réunies le jeudi 28 juin 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. René Danesi, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Je vous remercie pour la précision chirurgicale de votre présentation, non exempte de la note d'humour à laquelle vous nous avez habitués. J'aurais, pour ma part, quatre remarques à vous soumettre.

D'abord, il est exact que la France se trouve à Bruxelles dans une situation regrettable de carence en matière d'anticipation et de prospective, qui la conduit, en quelque sorte pour se rattraper, à surtransposer la réglementation européenne. Ensuite, les règlements européens, comme les ordonnances au niveau national, nous échappent trop souvent, bien que nous réussissions parfois - ce fut le cas hier lors du débat en séance publique sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable - à en supprimer. De même, la Commission européenne use trop fréquemment des actes délégués ou d'exécution pour s'affranchir des parlements ; j'en ai fait état lors de la réunion de la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires (Cosac) à Sofia s'agissant de la task force subsidiarité et proportionnalité. Par ailleurs, le principe de précaution, équilibré à première vue, a créé un climat délétère de suspicion permanente. En 2014, à mon initiative, le Sénat l'avait complété, à une large majorité, par un principe d'innovation, que n'a, hélas, jamais repris l'Assemblée nationale. Soyons réalistes : jamais le principe de précaution ne sera supprimé de la Constitution ! Pourtant, il a contribué à crisper la société française en matière d'innovation. Enfin, je souhaite qu'à l'occasion de l'examen prochain du projet de loi pour un plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit Pacte, nous nous attachions à mettre en oeuvre la recommandation de notre rapporteur s'agissant des surtranspositions.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Je salue à mon tour le grand intérêt du rapport pragmatique présenté par notre collègue René Danesi, dont les exemples concrets illustrent à la perfection le défaut français de surtransposition, signe de la trop faible influence de la France à Bruxelles et conséquence de l'absence d'étude d'impact sur les effets de ces dispositions sur les entreprises. Gouvernement et Parlement sont également coupables de cette dérive ! Si le stock de surtranspositions sera effectivement difficile à apurer, nous devons, à l'avenir, veiller à ne plus sur-transposer inutilement la réglementation européenne.

M. Michel Forissier . - Rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales, du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, j'ai, avec mes collègues, déposé près de 160 amendements, dont nombre de suppression. À titre d'illustration, le dispositif de bonus-malus envisagé pour les entreprises ayant recours à des contrats courts apparaît trop complexe pour être réaliste ! Pour les entreprises, le carnet de commande détermine bien souvent la durée des contrats... Nos travaux parlementaires doivent être améliorés : en désirant à tout prix simplifier, nous créons des normes supplémentaires alors qu'il conviendrait davantage de fixer des obligations de résultat. Nous devons travailler en confiance plutôt qu'en défiance avec les entreprises, dans l'esprit du projet de la loi renforçant l'efficacité de l'administration pour une relation de confiance avec le public. La libéralisation n'est pas synonyme d'anarchie ! Veillons, par ailleurs, à éviter les surtranspositions : la partie du code du travail relative à l'apprentissage en a donné une illustration...

M. Olivier Cadic . - Dans le cadre du rapport d'information commis avec Élisabeth Lamure en février 2017 relatif aux moyens d'alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité, j'expliquais que le Parlement était une usine à fabriquer des lois. Dès lors, pourquoi ne disposerait-il pas, comme toute entité de production, d'un service qualité ? Certes, le ministre détermine l'objectif de la loi, mais quelle agence indépendante en étudie l'impact ? Chez plusieurs de nos voisins européens, la simplification obéit à une méthode efficace, qui s'appuie sur une instance indépendante. Le Parlement européen s'est lui-même récemment doté des moyens de réaliser ses propres évaluations. La France doit suivre la même voie ! Nous ne devrions jamais surtransposer, sauf à voter un texte ad hoc ayant préalablement fait l'objet d'une étude d'impact. Ne nous méprenons pas : la surtransposition ressort bien souvent d'une mesure protectionniste ! Prenez, par exemple, le monopole des journaux papier pour la publicité légale, que l'Europe n'exige pas et dont le coût annuel s'établit à 250 millions d'euros, ou le contrôle des comptes que le projet de loi Pacte propose d'assouplir au grand dam des commissaires aux comptes. Que certains bénéficient des surtranspositions ne doit pas nous empêcher de les éliminer ! Les Français doivent par ailleurs s'investir dans la normalisation européenne, comme je l'appelais de mes voeux en avril dernier dans mon rapport d'information pour une France libre d'entreprendre. Il est temps de développer de nouveaux réflexes culturels !

M. René Danesi , rapporteur . - Nous sommes tous d'accord s'agissant de l'analyse des causes et des conséquences des surtranspositions. Il convient désormais d'éviter que le phénomène ne se perpétue. Vous estimez, monsieur Forissier, que nous devrions fixer des obligations de résultat plutôt que d'imposer des moyens : cette logique n'est pas, me semble-t-il, exempte d'inconvénients. En effet, lorsque la réglementation est trop souple, elle laisse un large pouvoir d'appréciation au juge et à l'administration. Je puis vous parler d'un exemple très concret dans mon département, où l'inspection du travail a appliqué à l'excès le principe de précaution s'agissant de la réglementation applicable à la sécurité des machines-outils. Cela peut également valoir pour le code de la route... La libre interprétation peut donc s'avérer plus contraignante que les normes elles-mêmes, notamment lorsque qu'une application démesurée du principe de précaution conduit à leur dévoiement. L'encadrement normatif me semble donc nécessaire.

Monsieur Cadic, j'approuve votre proposition de créer une agence indépendante d'évaluation de la réglementation, mais crains qu'elle ne voie pas le jour avant longtemps. Dans cette attente, le Sénat devra se débrouiller avec les moyens d'investigation à sa disposition, afin d'identifier en amont les surtranspositions. À l'Assemblée nationale, près de 1 300 amendements ont été déposés sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Le Sénat pourrait à son tour proposer quelques modifications dans le sens des recommandations du présent rapport.

M. Olivier Cadic . - Dans sa grande sagesse !

M. René Danesi , rapporteur . - Le Parlement français ne doit pas être le dernier, en Europe, à disposer d'une expertise en matière de surtransposition. Je partage, monsieur Cadic, votre analyse s'agissant des deux exemples que vous avez cités, mais ils montrent combien il peut être difficile de revenir sur une surtransposition lorsqu'elle bénéficie à certains secteurs d'activité. D'aucuns trouvent leur compte dans l'application tatillonne des règles européennes et nationales, j'ai pu en faire l'expérience en matière de pesticides dans mon département... On peut même dire que nous avons relancé l'économie par les normes depuis des années. Ne nous étonnons pas, dès lors, d'avoir accumulé depuis trente ans des surtranspositions dans l'ensemble des secteurs d'activité ! Les journaux papier, par exemple, doivent-ils continuer à être soutenus à bout de bras par les publications légales ou doivent-ils s'adapter à leur nouvel environnement économique ? Quant aux commissaires aux comptes, où doit se situer la priorité ? Voulons-nous préserver leur pré carré ou aider les petites entreprises ? Pour autant, chaque modification de la réglementation doit être étudiée avec attention. Ainsi, la diminution, souhaitable, du coût des actes notariés instaurée par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite Macron, rend difficile l'acceptation du traitement des plus petits dossiers, à l'instar d'une vente de quelques hectares de forêt, par les études notariales. Les changements doivent donc être examinés avec prudence et faire l'objet d'une évaluation attentive de leurs conséquences, afin d'établir un équilibre satisfaisant.

Je souhaite, quoi qu'il en soit, que mon rapport conduise le Sénat à se pencher avec attention sur les cas de surtransposition existants - il faudra du courage pour s'y attaquer - et à venir.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Merci à tous pour la qualité de notre débat. Faisons maintenant vivre les recommandations de ce rapport !

M. Jean Bizet , président . - Absolument ! Nous en aurons prochainement l'occasion lors de l'examen du projet de loi Pacte.

*

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes et la délégation aux entreprises ont autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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