2. Les défis à relever

Même si elles ont déjà fait la preuve de leur aptitude à concilier équité et efficacité , les collectivités décentralisées sont aujourd'hui confrontées aux défis de l'exclusion et de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

a) Des besoins élevés en matière de renforcement de la cohésion sociale et de prévention pour la jeunesse

Au cours des prochaines années, les collectivités locales -et particulièrement les départements- seront confrontées à une demande élevée pour participer au renforcement de la cohésion sociale.

Celle-ci passera tout d'abord par le renforcement des mécanismes classiques de lutte contre les exclusions d'où qu'elles proviennent. Comme le montre les résultats plutôt décevants de la reprise économique sur la diminution du nombre de titulaires du RMI qui se maintient juste au-dessus de la barre du " million ", le " noyau dur " de l'exclusion représentée par les bénéficiaires de minima sociaux demeure très difficile à résorber.

La société moderne, caractérisée par un fort déploiement des dispositifs de couverture des risques sociaux, se révèle implacable pour ceux qui se retrouvent à sa marge après avoir quitté les mécanismes de protection sociale traditionnels adossés au monde du travail.

La fonction " insertion " des budgets départementaux n'est pas appelée à disparaître d'elle-même sous l'influence de la croissance retrouvée. L'avenir est plutôt au développement d'une approche personnalisée des personnes en situation d'exclusion illustrée par l'article premier de la loi du 29 juillet 1998 qui dispose que les collectivités publiques ou chargées d'un service public " prennent les dispositions nécessaires pour informer chacun de la nature et de l'étendue de ses droits et pour l'aider, éventuellement par un accompagnement personnalisé, à accomplir les démarches administratives ou sociales nécessaires à leur mise en oeuvre dans les délais les plus rapides ".

L'aide à la gestion d'un budget, les actions socio-éducatives, le tutorat à l'intégration en entreprise, le suivi des contrats d'insertion sont tout autant de missions que les collectivités locales devront assumer de manière plus vigoureuse. En ce domaine, il devient de plus en plus essentiel que l'Etat transfère aux collectivités locales des leviers d'action pour leur permettre une intervention plus efficace.

L'autre aspect de la cohésion sociale réside dans l'ensemble des mesures de prévention ou de soutien à la jeunesse .

D'ores et déjà, de nombreux aspects de la politique de la ville et de la solidarité urbaine, dans laquelle les grandes communes sont fortement intervenues, comprennent divers dispositifs en faveur des jeunes dans les quartiers (opérations Ville Vie Vacances notamment).

L'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (UNASEA) a évoqué, lors de son audition, les tendances sociologiques de fond qui expliqueront le maintien d'un niveau élevé de prestation dans le secteur de l'aide à l'enfance : développement des familles monoparentales, difficultés économiques entraînant des difficultés de transmission des valeurs et se traduisant par une aggravation des échecs scolaires et des incivilités commises par les jeunes, affaiblissement des liens de solidarité " naturels " au sein de la famille élargie ou à travers les relations de voisinage, perception fataliste du recours à un " minimum social ".

A cela, on peut ajouter que les départements sont de plus en plus souvent conduits à prendre en charge des jeunes dont la moyenne d'âge est plus élevée et qui sont parfois fortement " désocialisée ", se situant aux franges de la compétence de la protection judiciaire de la jeunesse.

Il serait regrettable que l'Etat n'assume pas plus clairement les responsabilités institutionnelles et financières qui sont les siennes pour adapter et moderniser les organismes relevant de la protection judiciaire de la jeunesse. Si tel n'était pas le cas, le dispositif de l'aide sociale à l'enfance départementale à l'enfance pourrait subir une certaine déstabilisation sauf à trouver les solutions innovantes d'accompagnement de mineurs difficiles.

b) La question lourde de la dépendance

•  Les données démographiques montrent que l'allongement de la durée de la vie et le vieillissement des générations d'après guerre conduiront à des chocs inéluctables.

La France sera confrontée, d'ici à 2006, au départ en retraite des générations nombreuses du " baby boom " de l'après-guerre. Ce phénomène se conjugue avec l'allongement de la durée de la vie et se traduit par un fort vieillissement de la population.

Le nombre de personnes de plus de 60 ans augmenterait de 10 millions à l'horizon 2040 pour représenter 22 millions de personnes, soit le tiers de la population totale contre un cinquième en 1995.

Le nombre de personnes âgées dépendantes est appelé naturellement à fortement augmenter.

Le vieillissement de la population est à l'origine de la multiplication des phénomènes de dépendance. En 1995, sur 8 millions de personnes âgées de 65 ans, plus de 290.000 personnes étaient confinés au lit ou au fauteuil et 3.700.000 personnes, sans être immobilisées, avaient besoin de l'aide d'un tiers pour les actes de la vie courante : s'habiller, se laver, etc. Dans son récent rapport 275( * ) , M. Jean-Pierre Sueur évalue, pour sa part, à 900.000 le nombre de personnes âgées dépendantes vivant à domicile.

•  Jusqu'à l'intervention de la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 instituant la prestation spécifique dépendance (PSD), les personnes âgées dépendantes étaient considérées comme des personnes handicapées et percevaient à ce titre l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP). En 1998, 198.000 personnes de 60 ans et plus bénéficiaient de l'ACTP en France métropolitaine contre 116.000 en 1988. Progressivement, l'ACTP est devenue la principale prestation en espèces versée aux personnes âgées dépendantes. Pourtant, si l'ACTP avait été conçue pour apporter une réponse adéquate aux besoins des personnes handicapées adultes, son adaptation au problème de la dépendance était plus contestable.

L'ACTP était versée aux personnes âgées présentant un taux de handicap de 80 % au moins et justifiant de ressources inférieures au plafond d'attribution de l'AAH, majorée par le montant de l'ACTP : elle ne pouvait pas être modulée en fonction de la gravité de la perte d'autonomie de la personne.

Par ailleurs, l'ACTP, attribuée par les COTOREP sans contrôle des conditions du recours effectif à une tierce personne, avait été détournée de sa vocation originelle pour devenir une simple prestation en espèces. Il en résultait un problème d'équité, la prestation étant versée aussi bien à des personnes isolées, pour qui l'aide à domicile était une nécessité vitale, qu'à des personnes âgées bénéficiant de soins de leur famille sans aucun contrôle de qualité.

Enfin, se posait la question d'une homogénéisation des règles de l'aide sociale : l'ACTP conçue pour des personnes handicapées à la naissance ou atteintes précocement dans leur vie active était assortie de mesures favorables en termes d'obligation alimentaire et de récupération sur succession dont on pouvait se demander si elles étaient légitimement applicables à des personnes frappées par la dépendance à un âge avancé. Il convient de rappeler que l'aide sociale financée par la solidarité nationale vise à apporter une aide à des personnes dans le besoin qui ne peuvent être soutenues par leur famille ou dont les moyens sont insuffisants.

La prise de conscience des dysfonctionnements de l'ACTP avait conduit le législateur, dans la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994, à demander la conduite d'une expérimentation relative à la prise en charge des personnes dépendantes.

•  Avec la loi du 24 janvier 1997 a été instituée une nouvelle prestation d'action sociale en faveur des personnes âgées de 60 ans et plus, qui remplissent des conditions de dépendance et qui disposent de ressources inférieures à un plafond, variable selon l'importance du besoin, et donc selon le montant de la prestation attribuée. Le demandeur peut cumuler la prestation et ses ressources dans la limite des plafonds de ressources -fixés par décret à 6.249 francs pour une personne seule et 10.415 francs pour un couple- majorés de la prestation accordée prise en compte dans la limite de 80 % de la majoration pour tierce personne (soit 4.603 francs au 1 er juin 2000).

Le plafond de cumul ne peut donc, en tout état de cause, dépasser 10.852 francs par mois pour une personne seule (15.018 francs pour un couple). Le montant maximum de la PSD est donc supérieur à celui de l'ACTP.

•  A la différence de l'ACTP, la PSD est une prestation en nature , c'est-à-dire affectée au paiement de dépenses préalablement déterminées par l'équipe médico-sociale : elle est destinée à couvrir l'aide, dont la personne âgée a effectivement besoin, à son domicile ou dans un établissement, pour l'accomplissement des actes essentiels de sa vie, " nonobstant les soins qu'elle est susceptible de recevoir ".

La PSD se décline à partir des mêmes conditions de ressources qu'elle soit versée à domicile ou en établissement.

S'agissant de la PSD à domicile, l'aide peut être apportée directement, soit par un ou plusieurs salariés, recrutés en tant qu'aide à domicile, soit par un service d'aide à domicile agréé. Un membre de la famille peut être recruté comme aide à domicile, à l'exclusion du conjoint ou du concubin. 10 % du montant de l'aide peuvent être utilisés pour des prestations (port de repas à domicile, protections, téléalarmes, ...) autres que la rémunération de l'aide à domicile.

Dans le cas de personnes âgées dépendantes en établissement, la PSD est versée directement à l'établissement pour financer les surcoûts liés à l'état de dépendance. La mise en oeuvre de ce principe supposait toutefois la mise en place d'une réforme de la tarification des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes afin de distinguer les dépenses résultant de la perte d'autonomie de la personne accueillie (intervention d'une tierce personne) des autres dépenses de soins ou d'hébergement. Dans l'attente de la tarification, la loi prévoit que la PSD est versée à taux réduit aux établissements pour contribuer au paiement des frais d'hébergement.

Comme on le sait, la PSD fait l'objet d'un débat important qu'il n'appartient pas à votre mission d'information d'éluder, ni de trancher définitivement .

Dans son intervention du 21 mars 2000 sur l'avenir des retraites, le Premier ministre a porté un jugement sévère sur la PSD qui lui est apparue " à l'expérience, comme un échec " : il a ajouté que la prestation ne bénéficiait qu'à une faible partie des personnes concernées puisqu'elle n'était attribuée qu'à 120.000 d'entre elles. Il a estimé qu'elle était très souvent d'un montant insuffisant et qu'elle était enfin très inégalitaire, car sa mise en oeuvre par les conseils généraux était particulièrement disparate et parce que son montant variait considérablement d'un département à l'autre pour des situations pourtant identiques.

Dans ce contexte, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité a demandé à M. Jean-Pierre Sueur de préparer un rapport qui lui a été transmis en mai dernier.

Votre mission tient d'abord à souligner que les résultats de la PSD, comme il est de règle pour toute nouvelle prestation, doivent être appréciés dans la durée , les données disponibles confirmant le caractère toujours évolutif du nombre de bénéficiaires.

C'est ainsi que le nombre de bénéficiaires a crû constamment depuis la mise en place du dispositif passant de 23.000 à la fin de 1997 à 86.000 en décembre 1998, puis à 117.000 en décembre 1999. En un an, le nombre de bénéficiaires s'est accru de 36 %, ce qui montre bien que le dispositif n'est pas figé. Au total, depuis la création de la PSD, plus de 270.000 dossiers ont été soumis à l'examen des conseils généraux, dont près de 200.000 ont bénéficié d'une décision favorable.

Le taux d'acceptation est de 75 % pour les demandes émanant de personnes qui vivent à leur domicile et de 84 % pour celles qui résident en établissement.

Le montant moyen de la prestation est d'environ 3.400 francs pour les personnes qui résident à domicile et de 1.800 francs pour les personnes résidant en établissement. Il existe néanmoins des disparités entre les départements, le montant moyen de la PSD varie de 3.800 francs par mois dans le quart des départements où il est le plus élevé contre 2.900 francs dans le quart des départements dans lesquels il est le plus faible.

La loi relative à la prestation spécifique dépendance est sans doute perfectible ; pour autant il convient de ne pas lui faire des reproches qu'elle ne mérite pas.

Tout d'abord, la loi de 1997 a toujours été conçue comme une loi provisoire qui peut donc être amendée . Les conseils généraux, lorsqu'ils ont été consultés, ont été favorables à des propositions d'amélioration permettant d'ajuster le dispositif en fonction des besoins constatés sur le terrain : le plafond de ressources peut être modifié par décret ; le taux des dépenses autres que de personnel pouvant être réglées par la PSD, actuellement fixé à 10 %, peut être augmenté ; enfin, le seuil du recours sur succession actuellement prévu à 300.000 francs pourrait être élevé comme certains départements ont déjà choisi de le faire.

Ensuite la loi de 1997 a incontestablement permis une coordination des multiples intervenants impliqués dans la prise en charge des personnes âgées à travers les conventions obligatoires passées avec les organismes de sécurité sociale selon un cahier des charges national et la mise en place du Comité national de la coordination gérontologique .

Sur le terrain, se constituent des équipes médico-sociales comprenant au moins un médecin et un travailleur social qui ont pour mission d'assurer une prise en charge de proximité au plus près des besoins des usagers.

Par ailleurs, il est important de rappeler que la faiblesse du montant moyen de la PSD versée en établissement est inhérente à la phase préalable à l'instauration de la réforme de la tarification par le Gouvernement qui a pris près de deux ans de retard .

Il est certain que l'insuffisance des moyens de médicalisation des établissements en raison de l'insuffisance de financement par l'assurance maladie, fait supporter aux usagers des charges indues au titre des soins.

A l'opposé de la recherche d'une amélioration raisonnée et progressive du texte de 1997, la démarche proposée dans le rapport de M. Jean-Pierre Sueur apparaît une fois encore éloignée de l'esprit de la décentralisation : prestation d'un montant unique et uniforme sur tout le territoire, suppression de tout recours sur succession, fixation rigide des conditions d'attribution de la prestation.

Ce dispositif, comme le RMI, est un dispositif national que les départements seraient invités à cofinancer et où ils interviendraient comme " prestataires de services contraints ".

La réflexion devrait plutôt se porter sur l'amélioration du dispositif actuel dans le respect des contraintes financières qui s'impose au département ou dans une réforme plus globale qui distinguerait mieux ce qui relève d'une prestation uniforme financée par la solidarité nationale et la coordination d'une offre de services au niveau des collectivités décentralisées.

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