D. UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA DÉCONCENTRATION

1. Dénoncer les ambiguïtés de la déconcentration

a)  L'inertie des administrations centrales

Deux formes de déconcentration peuvent être distinguées 323( * ) ; qu'elle soit territoriale ou fonctionnelle, la déconcentration se heurte à l'inertie des administrations centrales .

Comme le rappelle le " rapport Picq " 324( * ) , les administrations centrales, elles-mêmes largement dépossédées par les cabinets ministériels de leur rôle de conception des politiques, ont beaucoup de mal à se dépouiller de la seule responsabilité importante qu'elles peuvent encore exercer : la gestion.

Or, dès lors que les administrations centrales s'occupent systématiquement d'exécution et de gestion, elles perdent de vue ce qui devrait être au coeur de leur vocation : l'élaboration des politiques publiques.

De plus, si un véritable transfert des tâches de gestion des administrations centrales vers les services extérieurs paraît un élément indispensable de la déconcentration, le risque est grand cependant de reproduire le modèle administratif centralisé, consistant à conserver au centre les fonctions " nobles ", en particulier la conception stratégique des politiques publiques, pour laisser les tâches ingrates aux échelons locaux, diminuant encore leur attractivité pour les agents. A titre d'illustration, au titre de la déconcentration seuls 88 emplois ont été supprimés en administration centrale au profit de l'administration territoriale de 1994 à 1999.

b) Quels liens entre décentralisation et déconcentration ?

Les liens entre décentralisation et déconcentration ne font pas l'objet d'un consensus. Deux conceptions opposées rendent compte des ambiguïtés de la déconcentration des services de l'État :

- la déconcentration peut être pensée comme un processus indépendant de la décentralisation. Priorité du début des années 1990, la déconcentration constituait un compromis entre la direction des affaires publiques par l'État, la recherche d'une meilleure gestion des ministères, et l'adaptation locale des interventions ;

- au contraire, la déconcentration peut être perçue comme une adaptation de l'État à la décentralisation , par la constitution d'échelons territoriaux suffisamment forts pour servir d'interlocuteurs aux élus locaux.

La mission considère qu' à bien des égards, déconcentration et décentralisation apparaissent comme deux termes antinomiques . Alors que la décentralisation consiste en un partage des pouvoirs entre l'État et les collectivités locales, l'État, par la déconcentration, ne partage pas son pouvoir mais se rapproche seulement des citoyens en installant sur place des services spécialisés dotés d'une certaine autonomie.

En d'autres termes, " la déconcentration véhicule encore des arrière-pensées ou des présupposés ignorant la décentralisation et largement nourris de l'essoufflement du mouvement de réformes locales.

"  Nourrie des dysfonctionnements indéniables du paysage administratif local et présentée comme l'un des défis de la décentralisation, la déconcentration ne finit-elle pas par être une forme de déni de la décentralisation ?
" 325( * )

En ce sens, M. Jean Picq, conseiller-maître à la Cour des comptes, entendu par la mission, a considéré que la déconcentration était un moyen de maintenir le pouvoir du centre . L'État s'est servi de la déconcentration pour éviter de poursuivre l'effort de décentralisation, comme l'illustre le développement de la police de proximité.

La déconcentration peut ainsi apparaître comme un moyen alternatif pour contourner la logique de la décentralisation ou la figer à mi-parcours dans un hybride de " déconcentralisation ".

La déconcentration pose certainement la question de l'échelon pertinent d'intervention de l'État , c'est-à-dire la détermination d'un interlocuteur pertinent pour les collectivités locales. Mais, lorsque les impératifs de coordination tendent à limiter les marges de manoeuvre de chacun des partenaires, la déconcentration agit comme un frein à la décentralisation .

La mission considère qu'une nette priorité doit être donnée à la décentralisation, processus fondé sur la légitimité démocratique de l'élection, plutôt qu'à la déconcentration, que l'État ne parvient pas à organiser .

En effet, la déconcentration a pu être pour l'État un moyen de reprendre le contrôle des compétences qui avaient été décentralisées : le développement récent du pouvoir de substitution des préfets en est l'illustration. En période de recentralisation des pouvoirs, la déconcentration n'est pas une priorité .

La mission d'information juge nécessaire de rompre le lien entre déconcentration et décentralisation , seule cette dernière pouvant être l'expression de l'entière confiance accordée par l'État aux collectivités locales.

Page mise à jour le

Partager cette page