CHAPITRE V

UN SYSTÈME DE FINANCEMENT
QUI NE GARANTIT PAS L'AUTONOMIE LOCALE

La décentralisation n'a pas bouleversé l'architecture du système de financement local. Elle a confirmé le partage des ressources entre fiscalité directe et dotations de l'Etat, tout en procédant à certaines réformes de nature à renforcer l'autonomie financière des collectivités locales (I).

Depuis, les liens entre les collectivités locales et les contribuables locaux se sont progressivement distendus, tout d'abord en raison de la prise en charge croissante des impôts locaux par l'Etat, puis par la réduction de l'assiette des impôts locaux ou de la capacité des collectivités à en voter le taux (III).

L'accroissement de la prise en charge par l'Etat de la fiscalité locale s'est accompagnée d'une politique restrictive en matière de dotations budgétaires, les concours de l'Etat aux collectivités locales évoluant moins vite que, d'une part, le coût des compétences qui leur ont été transférées et, d'autre part, que les dépenses obligatoires que l'Etat met à leur charge (II). L'absence de vision d'ensemble et la logique strictement budgétaire qui régissent les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales conduisent à penser que les finances locales sont la variable d'ajustement du budget de l'Etat (IV).

Malgré les déclarations d'intention, le poids des ressources consacrées à la péréquation reste modeste. Les quelques avancées se traduisent par des mécanismes de redistribution des ressources entre collectivités plutôt que par une amélioration du caractère péréquateur des concours de l'Etat (V).

Au total, le contrôle par l'Etat des ressources locales s'accroît, au point de remettre en cause la capacité des collectivités locales à s'administrer librement (VI).

I. LA NOUVELLE DONNE DE LA DÉCENTRALISATION

A. L'HÉRITAGE DU " PLAN DE DÉVELOPPEMENT DES RESPONSABILITÉS LOCALES "

La décentralisation, en matière de finances locales, n'a pas commencé en 1982.

Le 8 avril 1978 a débuté au Sénat, en première lecture, la discussion de deux projets de lois 220( * ) dont l'objet était de refondre le système de financement des collectivités locales. Ces textes constituaient, selon l'expression du ministre de l'intérieur de l'époque, le premier acte de la mise en oeuvre d'un " plan de développement des responsabilités locales " destiné à définir de " nouveaux rapports entre l'Etat et les collectivités locales ". Ce plan était porté par le ministre de l'intérieur, notre collègue M. Christian Bonnet.

Le projet du gouvernement de M. Raymond Barre comportait trois volets. D'une part, il s'agissait d'aller au bout de la tradition française de financement des collectivités locales par la fiscalité, en conférant aux collectivités la possibilité de voter les taux des impôts directs qu'elles perçoivent.

D'autre part, il était prévu de moderniser le principal concours financier de l'Etat en transformant le versement représentatif de la taxe sur les salaires en une dotation globale de fonctionnement, dotée de mécanismes de répartition péréquateurs.

Une fois ces deux étapes franchies, il était envisagé, dans un troisième temps, d'élaborer un texte destiné à " d'une part, donner aux collectivités locales une plus grande liberté dans l'exercice de leurs compétences ; d'autre part, transférer vers elles un certain nombre de compétences aujourd'hui assumées par l'Etat. ".

Les principales orientations du " projet Bonnet " présenté au Sénat

le 8 novembre 1978

- " aucune norme ne pourra être imposée par l'Etat à une collectivité locale à l'occasion notamment de l'octroi de tel ou tel concours financier. Seule la loi pourra le faire. " ;

- " en matière financière, les collectivités locales disposeront d'une liberté totale, sous réserve, bien entendu, chacun le comprendra, que leur budget soit équilibré et que leur ratio d'endettement ne dépasse pas un certain seuil. Dans la même perspective d'allégement des tutelles, l'étude du principe d'une certaine globalisation des subventions spécifiques d'équipement est activiement poussée " ;

- " introduire plus de clarté dans les rapports entre l'Etat et les collectivités locales, alléger les procédures et assurer, au niveau le plus convenable, la solution de certains problèmes par le transfert d'un certain nombre de compétences " ;

- " créer des blocs de compétences exclusives mettant fin, dans toute la mesure du possible, aux compétences croisées, sources de dilution des responsabilités " ;

- " chaque fois que des compétences seront transférées aux départements ou aux communes, jugés mieux à même de les assurer, les ressources correspondantes seront transférées du budget de l'Etat à celui des collectivités locales. "

Cette démarche a été menée à son terme, par deux gouvernements successifs. La loi de finances pour 1979 a supprimé le versement représentatif de la taxe sur les salaires, qui a été remplacé par la dotation globale de fonctionnement issue des dispositions de la loi du 3 janvier 1979. Cette dotation a conservé le caractère de prélèvement sur les recettes de l'Etat, réaffirmant ainsi le principe d'un financement des collectivités locales par la fiscalité.

La loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale constitue aujourd'hui le socle des règles applicables en matière de vote des taux des impôts directs locaux par les collectivités locales. Elle a également jeté les bases des mécanismes de péréquation des ressources fiscales en créant le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP).

Le troisième volet du plan Bonnet, celui relatif à la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales, a été repris dans ses grandes lignes par la majorité issue des élections de 1981, et par le gouvernement de notre collègue M. Pierre Mauroy.

A cette occasion, il n'a pas été procédé à un réexamen d'ensemble des charges des collectivités locales et des recettes qui permettent de les financer . Les charges nouvelles ont été isolées et financées par des ressources spécifiques. Pour respecter la tradition française, ces ressources sont principalement fiscales, l'Etat transférant certains impôts aux collectivités, et peuvent être complétées par des dotations budgétaires .

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