4. L'Etat conserve une emprise forte sur des facteurs essentiels d'évolution de la dépense départementale d'aide sociale

Qu'il s'agisse des efforts de revalorisations des rémunérations des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux ou de la fixation des normes applicables au secteur, l'Etat dispose d'une large influence sur des facteurs qui conditionnent l'évolution de la dépense locale.

a) Le département ne contrôle pas l'évolution des rémunérations des personnels sociaux et médico-sociaux

Les dépenses de personnel représentent un poste important de la dépense sociale départementale : selon l'estimation réalisée par l'ADF au début de l'année 2000 266( * ) , les rémunérations des personnels représentaient 27,5 milliards de francs, soit environ 18 % de la dépense brute d'aide sociale.

Comme l'avait souligné le rapport public de la Cour des comptes de 1995, la dépense de personnel joue un rôle prépondérant dans l'évolution de frais d'hébergement en établissement qui représentent plus de la moitié des dépenses directes d'aide sociale : les trois quarts de la dotation versée aux établissements sociaux et médico-sociaux par les départements couvrent des dépenses de personnels.

Les personnels des institutions gérées par les associations sont des personnels de droit privé relevant de conventions collectives passées avec des fédérations d'employeurs.

La convention collective du 15 mars 1966 de la Fédération 267( * ) des syndicats nationaux d'employeurs des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées à but non lucratif (SNAPEI, SNASEA, SOP) concerne 180.000 salariés environ.

La convention collective du 31 octobre 1951 " des établissements privés d'hospitalisation et de soins, de cure et de garde à domicile à but non lucratif ", dite convention FEHAP, s'applique principalement aux établissements sanitaires privés participant au service public hospitalier, mais aussi de manière significative aux établissements et services sociaux et médico-sociaux. Sur ce seul champ, 70.000 salariés sont concernés.

Compte tenu du caractère public du financement des associations dans le secteur social et médico-social, les avenants aux conventions collectives ne peuvent être appliqués qu'après une procédure d'agrément spécifique faisant intervenir la puissance publique : l'article 16 de la loi n° 75-355 du 30 juin 1975 dispose que les conventions collectives de travail dans le secteur social ou sanitaire à but non lucratif " ne prennent effet qu'après agrément donné par le ministre compétent, après avis d'une commission où sont représentés des élus locaux et dans les conditions fixées par voie réglementaire " .

Composition de la commission d'agrément

Le décret n° 77-1113 du 30 septembre 1977 relatif à l'agrément des conventions collectives de travail, des conventions d'entreprise ou d'établissement et des accords de retraite applicables aux salariés des établissements et services à caractère social ou sanitaire à but non lucratif fixe la composition de la commission d'agrément de la manière suivante :

- deux représentants du ministre chargé de la santé et de l'action sociale ;

- un représentant du ministre chargé de la sécurité sociale ;

- un représentant du ministre chargé du travail ;

- un représentant du ministre chargé de l'agriculture ;

- deux représentants du ministre chargé de l'économie, des finances et du budget :

- un représentant du garde des sceaux, ministre de la justice ;

- trois présidents de conseil général désignés par l'assemblée des présidents de conseils généraux de France ou leurs suppléants ;

- deux maires désignés par l'association des maires de France ou leurs suppléants.

Le président de la commission est désigné parmi les membres de celle-ci par le ministre chargé de la santé et de l'action sociale.

Le ministre chargé de la solidarité joue donc un rôle clé pour la mise en oeuvre d'accords salariaux passés entre les représentants des salariés et les employeurs mais dont le financement sera assuré, en pratique, par les départements.

•  Or, les conditions dans lesquelles ont été agréés les accords dits " Durieux-Durafour " en 1992 ont montré que la procédure ne garantissait pas de certains dérapages.

La Cour des comptes rappelle que c'est par une simple circulaire du ministère de la santé, en date du 29 décembre 1991, et par deux décrets du 2 janvier 1992, que la décision a été prise d'étendre aux agents du secteur social et médico-social le bénéfice du protocole sur l'amélioration des conditions de vie et de travail des personnels de la fonction publique hospitalière de novembre 1991.

Par ailleurs, les avenants aux conventions collectives conclus en mars 1992 ont d'abord fait l'objet d'un refus d'agrément en août 1992, avant d'être finalement agréés par une décision du 20 avril 1993 à effet rétroactif.

La Cour des comptes relève à l'époque que les décisions ministérielles ont été prises " sans que les services du ministère soient capables d'estimer l'incidence des mesures ainsi accordées sur les finances départementales " et sans connaître non plus " la marge de manoeuvre budgétaire des départements " .

La mise en oeuvre des accords " Durafour " va influer largement sur la hausse de la dépense sociale départementale qui a atteint plus de 8 % par an en moyenne entre 1992 et 1993. L'impact rétroactif de la mesure n'a pas peu contribué à alourdir le coût.

•  Il convient également de rappeler que les hausses incompressibles de coût intervenaient dans un contexte où les départements n'étaient pas aptes à imposer des normes globales d'évolution aux dépenses des établissements . La tarification au " prix de journée " des dépenses des établissements, qui a été en vigueur jusqu'en juillet 1999, ne permettait pas aux départements de donner force opposable aux taux d'évolution préconisés par eux au moment de l'agrément annuel du budget de l'établissement.

Dans la mesure où les commissions de la tarification sanitaire et sociale ne considéraient pas, dans leur jurisprudence, que les normes d'évolution des dépenses fixées par les départements revêtaient un caractère opposable, les établissements étaient à même de contester avec succès au contentieux les budgets initialement notifiés afin d'obtenir que les départements couvrent par une rallonge budgétaire les dépassements constatés. Une certaine déresponsabilisation des parties prenantes en a résulté. Ce dispositif présentait en outre des effets pervers importants dans des structures, telles que les CAT, faisant coexister une prise en charge financée par l'Etat, dans le cadre d'un régime de dotation globale, et une prise en charge des frais d'hébergement financée par l'aide sociale départementale sans dotation globale opposable.

Depuis le 1 er janvier 2000, le caractère opposable du taux directeur d'évolution des enveloppes de financement du secteur social et médico-social a été imposé par le législateur, que les établissements soient financés par l'assurance maladie, par l'Etat ou par les départements.

Certes, l'effet de la transposition du protocole " Durafour " devient maintenant moins perceptible et, comme le fait remarquer M. Pierre Gauthier, directeur de l'action sociale, l'évolution du point d'indice de rémunération dans le secteur social et médico-social est demeuré modeste au cours des années qui ont suivi ; il reste que les départements vont devoir faire face à des risques croissants de dérive dans un contexte où la pyramide des recrutements réduit leurs marges de manoeuvre en matière d'évolution des dépenses de personnel.

(a) Le glissement vieillesse technicité (GVT)

La masse des rémunérations des personnels sociaux et médico-sociaux évolue non seulement en fonction des mesures catégorielles ou générales d'augmentation du pouvoir d'achat mais également en fonction des mesures d'ancienneté et de promotion appliquées individuellement à chacun des salariés concernés.

Ce phénomène est connu sous le nom de glissement-vieillesse-technicité (GVT), qui se compose :

- d'un effet de carrière (ou GVT positif), qui retrace l'incidence positive sur la masse salariale des avancements et promotions dont bénéficient régulièrement les fonctionnaires ;

- d'un effet de noria (ou GVT négatif) qui traduit l'incidence généralement négative sur la masse salariale du jeu des entrées-sorties.

Or, s'agissant du secteur social et médico-social, dans lequel les conventions collectives ont été mises en place en 1951 et 1966, le recrutement est relativement jeune : du fait de la pyramide des âges, les départs à la retraite, générateurs de GVT négatif, sont actuellement relativement peu nombreux alors que le vieillissement des effectifs entraîne, en revanche, un important effet de GVT positif.

L'effet GVT génère donc nécessairement une hausse mécanique et inéluctable du salaire moyen par tête dans le secteur social et médico-social.

Toute revalorisation des rémunérations salariales interviendrait donc dans un " paysage salarial " dont l'arrière-plan fait déjà apparaître des tendances inévitables à la hausse.

(b) Les revalorisations spécifiques de rémunération

Les employeurs et plusieurs syndicats représentatifs des personnels relevant de la convention SNAPEI de 1966 ont conclu, le 21 avril 1999, un avenant visant à revaloriser le statut du personnel d'encadrement. Cet accord prévoit des revalorisations salariales et des modifications du régime indemnitaire visant notamment à combler le retard apparu par rapport aux cadres techniques et administratifs, aux cadres chefs de service ou aux cadres de direction régis par la convention collective FEHAP de 1951.

Cet avenant, qui fait suite à un précédent avenant du 6 mai 1997 qui n'avait pas été agréé, répond à une demande forte des personnels concernés alors même que des difficultés de recrutement se font parfois sentir sur le terrain.

L'accord d'avril 1999 n'a jusqu'ici pas fait l'objet d'un agrément, même si, au cours d'une réunion de concertation en février 2000, le ministère a fait savoir qu'il n'émettrait pas d'objections " sur le principe " de l'agrément de l'avenant " cadres ".

Un agrément s'inscrit en perspective d'évolution pour les prochaines années. Mais le facteur essentiel de changement réside sans doute dans la mise en oeuvre des 35 heures.

(c) La mise en oeuvre du passage aux 35 heures

La loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail invite les partenaires sociaux à négocier une réduction du temps de travail par la mise en place d'un dispositif d'aide financière.

Au moment du vote de la loi, une question aurait pu se poser sur le point de savoir s'il était opportun d'étendre le champ de la réduction du temps de travail au secteur " non concurrentiel " : le Gouvernement, et sa majorité à l'Assemblée nationale, ont tranché en indiquant clairement dans la loi que la réduction du temps de travail pouvait être mise en oeuvre " dans le cadre d'une convention collective ou d'un accord de branche agréés en application de l'article 16 de la loi du 30 juin 1975 " c'est-à-dire dans le secteur social et médico-social.

Le passage aux 35 heures hebdomadaires des salariés du secteur social et médico-social ne s'effectue pas dans les mêmes conditions que pour les salariés des entreprises du secteur concurrentiel : le secteur associatif se caractérise par un certain émiettement des structures qui ne facilite pas les réorganisations d'emploi du temps. Par ailleurs, les aides et les services à la personne qui sont prédominants dans l'activité du secteur médico-social, s'effectuent à des rythmes et des horaires réguliers qui ne peuvent être profondément modifiés. Enfin, la prise en charge d'une même personne peut s'effectuer dans des structures sociales et médico-sociales différentes , ce qui soulève des problèmes d'harmonisation des horaires et de coordination des prises en charge.

Dans le secteur sanitaire et social, la réduction du temps de travail est donc une réforme complexe où il faut réussir à conjuguer le maintien de la qualité des soins et des prestations, le respect des attentes des personnels, la réponse aux besoins des organisations et la maîtrise des coûts nécessaire à l'équilibre des comptes sociaux.

Le dispositif de réduction du temps de travail est naturellement complexe dans le secteur social et médico-social puisqu'il fait intervenir :

- un accord de branche , en date du 1 er avril 1998, conclu au niveau de l'UNIFED qui porte sur l'organisation de la flexibilité dans l'organisation du travail sans entrer dans les détails de la durée du travail ou des compensations salariales ;

- des accords au niveau des conventions collectives concernées, à savoir la convention du 15 mars 1966 (SNAPEI, SNASEA, SOP), la convention du 31 octobre 1951 (FEHAP), la convention de la Fédération des centres de lutte contre le cancer et la convention de la Croix-Rouge française ;

Il est à noter que les gestionnaires de ces conventions collectives ont fait le choix de négocier rapidement les accords en anticipant sur la baisse de la durée légale au 1 er janvier 2000 afin de permettre aux services et établissements de ne pas être mis en situation de payer des heures supplémentaires.

- des accords au niveau de chaque association gestionnaire déclinés le cas échéant, au niveau des divers établissements de l'association.

La mise en place du dispositif s'est avérée particulièrement lourde en pratique, puisque le ministère de l'emploi et de la solidarité a décidé en janvier 1999 d'écarter l'idée d'un agrément automatique des accords locaux faisant référence aux avenants passés dans le cadre des conventions collectives et de demander que chacun des accords locaux , c'est-à-dire près de 3.000 accords d'entreprises ou d'associations, soit soumis à agrément ministériel après passage devant la Commission nationale d'agrément. Compte tenu des masses de documents en jeu et de l'ampleur de la tâche, l'instruction des accords locaux a été déconcentrée au niveau des DDASS.

Les départements entreront au cours des prochaines années dans une période d'incertitude car la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail ne pourra s'effectuer à coût constant que si un certain nombre de conditions sont réunies.

Comme l'a analysé -dans son avis budgétaire annuel 268( * ) - notre collègue M. Jean Chérioux, qui a longtemps présidé la commission des Affaires sociales de l'Assemblée des présidents de conseils généraux (APCG), les accords collectifs de branche sont apparemment équilibrés mais leur réussite suppose de tenir un certain nombre de paris.

L'accord conclu par le SNAPEI par exemple, prévoit que la modération salariale, assortie des aides légales, permettra de financer les embauches supplémentaires rendues nécessaires par la réduction du temps de travail.

Cet accord prévoit :

- un gel de la valeur du point et des mesures catégorielles en 1999 et 2000,

- une suspension à durée indéterminée de la majoration familiale de traitement pour les naissances à venir.

Pour les associations qui, compte tenu de la durée actuelle du travail, se situent au-dessus de 6 % d'embauches compensatrices ou de 10 % de réduction du temps de travail, il est ouvert la possibilité de conclure des accords d'établissements prévoyant la neutralisation des progressions de carrière sur un an, deux ou trois ans, en tant que de besoin. Ce mécanisme revient en quelque sorte à neutraliser l'effet du glissement GVT sur une durée temporaire, les promotions à l'ancienneté reprenant leur cours, sans rattrapage rétroactif, au-delà de la période de gel.

Pour les départements, la réduction du temps de travail ne peut s'opérer de manière neutre que si trois paris réussissent :

- que les accords locaux d'établissement respectent les équilibres de financement organisés par les avenants aux conventions collectives : il importe d'éviter tout dérapage , avec l'accord plus ou moins tacite des collectivités locales intéressées, au moment de la définition des engagements initiaux ;

- que les salariés des établissements adhèrent, au cours des trois prochaines années, à l'effort de modération salariale qui leur sera demandé,

- que les embauches compensatrices puissent s'intégrer efficacement dans la nouvelle organisation des rythmes de travail des travailleurs sociaux, sans diminution de la qualité du service aux usagers : en cas de dysfonctionnement persistant, les départements seraient fortement sollicités pour financer des emplois supplémentaires.

Le rappel des divers éléments qui concourent à la détermination de l'évolution des dépenses de personnel dans le secteur social et médico-social, illustre bien la relative situation d'impuissance dans laquelle se trouvent placés les départements financeurs , qui ne jouent qu'un rôle consultatif parmi d'autres catégories employeurs au sein de la commission nationale d'agrément, et se retrouvent sous la double contrainte du " fait accompli " résultant des accords passés entre employeurs et représentants du personnel et du pouvoir d'arbitrage revenant en définitive à l'Etat.

Aussi, les conseils généraux souhaitent que les partenaires sociaux présentent à la Commission nationale d'agrément une étude détaillée sur le coût prévisionnel des mesures négociées par type de financeurs à partir d'un échantillon représentatif d'établissements sociaux et médico-sociaux.

Elle a souhaité, par ailleurs, la mise en place d'un système d'évaluation du coût réel constaté des avenants et accords agréés, assorti éventuellement d'un dispositif permettant le report de la mise en application de certaines mesures d'une année sur l'autre, en cas de dérapage manifeste.

b) Le poids des normes

Les normes techniques

L'incidence financière des nouvelles normes techniques, régulièrement renouvelées, est un problème récurrent pour les collectivités territoriales qui sont rarement associées à leur élaboration.

La dépense départementale d'aide sociale en 2000 comprend 154 milliards de francs de dépenses de fonctionnement mais aussi 95 milliards de francs de dépenses d'équipement dont 39 milliards de francs de dépenses directes.

Ces dépenses d'investissement sont en hausse de 7,7 % par rapport à l'année précédente. L'ADF rappelle à cet égard l'effet inflationniste de la multiplication des normes de sécurité et environnementales.

La question du respect des normes d'équipement est particulièrement sensible dans les maisons de retraite dont les pensionnaires sont particulièrement vulnérables en cas d'accident. Les élus locaux ne peuvent donc que respecter à la lettre les nouvelles normes qui sont imposées même si leur utilité n'est pas démontrée.

Les normes de moyens

A côté des dépenses d'investissement, l'Etat peut parfois être tenté d'imposer des normes en termes de moyens plutôt que de définir des critères objectifs. Tel est le cas en particulier en matière de protection maternelle et infantile (PMI).

Les décrets d'application de la loi du 18 décembre 1989 relatifs à la PMI ont été promulgués en incluant des normes de moyens.

Si les départements reconnaissent que plusieurs des observations relatives à la définition des missions du service et aux obligations de transmission ont été prises en compte, un désaccord persistant existe sur le principe même de la définition de normes de moyens.

Il est ainsi prévu des normes minimales pour les consultations de planification familiale et les consultations prénatales et infantiles.

La définition de telles normes ne tient pas compte d'éléments aussi importants que l'état sanitaire de la population du département, son caractère plus ou moins urbanisé ou encore le nombre et la dispersion des consultations hospitalières et des praticiens libéraux.

En ignorant ces données, la mise en oeuvre de telles normes risque d'aboutir à des décisions arbitraires ne tenant pas compte de la réalité et des enjeux d'une politique départementale de protection maternelle et infantile.

L'imposition de normes pour les sages-femmes et les puéricultrices s'inscrit à tort dans la même démarche qui privilégie la définition des moyens au détriment de la fixation des objectifs d'une politique de PMI.

Les normes risquent de perdre beaucoup de signification s'il n'est pas tenu compte de la réalité des missions et des tâches confiées aux personnels concernés.

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