Mardi 6 avril 2010

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Table ronde sur les taxes locales sur l'électricité

La commission a procédé à une table ronde sur les taxes locales sur l'électricité, composée de MM. Bernard Clouet, maire de Pont-Château, membre de la commission des ressources financières de l'Association des maires de France (AMF), Gérard Lefranc, vice-président de la Fédération nationale des sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité (FNSICAE), Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), Jean-François Raux, conseiller stratégie et marché de l'Union française de l'électricité (UFE) et Marc Wolf, sous-directeur à la direction de la législation fiscale (DLF).

M. Jean Arthuis, président, a tout d'abord salué M. François Fortassin, sénateur, qui participait pour la première fois en tant que membre à une réunion de la commission des finances. M. François Fortassin, après avoir rendu hommage à l'action de son prédécesseur, M. Michel Charasse, a exprimé son plaisir de rejoindre la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président, a ensuite rappelé que la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, dite « directive énergie », impose une adaptation des taxes locales françaises sur l'électricité. A cet égard, la Commission européenne a émis, le 18 mars 2010, l'avis motivé selon lequel la France a manqué aux obligations qui lui incombent en la matière, lui demandant de s'y conformer dans un délai de deux mois.

Il a donc estimé nécessaire de faire le point sur ce sujet d'importance à l'occasion de cette table ronde et a invité le rapporteur général à introduire les débats en en précisant les enjeux.

Procédant à l'aide d'une vidéo projection, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que le produit actuel des taxes locales sur l'électricité est de l'ordre de 1 400 millions d'euros. Ces taxes sont perçues à hauteur de 664 millions d'euros par 6 935 communes, de 498 millions d'euros par les départements, de 235 millions d'euros par 1 165 syndicats intercommunaux et de 3 millions d'euros par 22 communautés de communes ou d'agglomérations. S'agissant des redevables, les taxes sont acquittées à hauteur de 1 050 millions d'euros par les ménages et de 350 millions d'euros par les entreprises.

Il a déclaré que, aux termes des dispositions figurant au sein du code général des collectivités territoriales, les communes et les départements ont la faculté d'instaurer une telle taxe sur leur territoire et de la percevoir. De plus, les syndicats intercommunaux exerçant la compétence d'autorités organisatrices de la distribution publique d'électricité (ou les départements s'ils exercent cette responsabilité) peuvent établir la taxe communale et la percevoir eux-mêmes en lieu et place des communes dont la population est inférieure ou égale à 2 000 habitants ou dans lesquelles ils percevaient cette taxe avant le 1er janvier 2003. Pour les autres communes, cette taxe peut être perçue par le syndicat ou le département en lieu et place de la commune si elle est établie par délibérations concordantes du syndicat (ou, le cas échéant, du département exerçant cette compétence) et de la commune.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite indiqué que l'assiette des taxes est constituée de 80 % du montant de la facture d'électricité pour les consommateurs dont l'installation a une puissance inférieure à 36 kilo-Volt-Ampères (kVA) et de 30 % de ce montant pour les autres consommateurs. Les taux sont fixés librement par les collectivités bénéficiaires, dans la limite d'un plafond de 8 % pour les communes et de 4 % pour les départements. Cependant, le taux de la taxe communale peut être majoré par les communes, comme Paris, qui bénéficiaient de cette possibilité au 29 décembre 1984, à condition qu'elles puissent justifier de charges d'électrification non couvertes par le plafond de 8 %.

Puis M. Philippe Marini, rapporteur général, s'appuyant sur une étude menée par plusieurs entreprises locales de distribution d'électricité, a mis en lumière la diversité des situations des différentes collectivités, en particulier des communes, au regard de ces taxes. Ainsi, sur l'échantillon de l'étude, 54 % des communes ont institué la taxe au taux plein de 8 %, 20 % l'ont fait en fixant un taux inférieur au plafond et 26 % ne l'ont pas instaurée. La situation des départements apparaît plus homogène, 95 % d'entre eux appliquant la taxe au taux de 4 %.

Il a ensuite expliqué que la directive énergie a pour objet d'instaurer une taxation minimale au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l'électricité, le gaz naturel et le charbon. Pour l'électricité, les minima s'élèvent à 1 euro par MWh pour les usages non professionnels et à 0,5 euro par MWh pour les usages professionnels. Hormis certaines exceptions expressément visées dans la directive, toutes les consommations d'électricité doivent subir ces taxations minimales.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a constaté que les principes de la directive viennent donc heurter les actuelles taxes locales sur l'électricité sur plusieurs plans. D'une part, l'assiette de la taxe doit être la quantité d'électricité consommée et non plus son prix. D'autre part, il ne devrait donc plus être possible aux communes et aux départements de ne pas instaurer ces taxes sur leur territoire. En revanche, il subsiste une ambiguïté concernant la faculté des collectivités de moduler le taux tout en respectant les minima communautaires. Les contacts pris avec les services de la Commission européenne ne sont pas encourageants, même si des précédents, comme la modulation régionale de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), montrent que l'obtention d'une dérogation est possible.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a conclu que la transposition de la directive énergie nécessite une adaptation des taxes locales sur l'électricité. Il apparaît donc utile de faire le point sur le sujet avec l'ensemble des parties prenantes à l'occasion de cette table ronde afin d'évoquer notamment les principes directeurs qui devraient guider la réforme, son calendrier, et la question de la liberté fiscale des collectivités territoriales. A cet égard, il a suggéré d'adopter un texte dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, ajoutant qu'il lui paraît indispensable de garantir le maintien de son produit actuel à chaque bénéficiaire de la taxe, par exemple en prévoyant un système de compensation, et de mettre en place un régime transitoire pour les nouveaux assujettis, qui pourraient rejoindre le taux « normal » en cinq ans.

A l'issue de cette présentation, M. Jean Arthuis, président, a invité les intervenants à indiquer ce que devraient être, à leurs yeux, les principes directeurs de la réforme des taxes locales sur l'électricité.

M. Bernard Clouet, maire de Pont-Château, membre de la commission des ressources financières de l'Association des maires de France (AMF), a observé, en premier lieu, que les autorités organisatrices de distribution d'électricité (AOD) ne perçoivent qu'une fraction des taxes et qu'il y a, de ce point de vue, une grande différence entre les communes rurales, dans lesquelles le produit de la taxe alimente principalement les AOD, et les communes urbaines, dans lesquelles environ 80 % de ce produit sont versés à leur budget général. De telles différences existent également au niveau des départements. Ces taxes ne financent donc pas seulement les réseaux électriques.

Si la réforme n'est pas l'occasion d'une « remise à plat » de ce système et vise à maintenir en l'état les recettes de chaque collectivité, il a émis le souhait que soit effectuée une simulation large concernant, d'une part, les collectivités bénéficiaires et, d'autre part, les clients qui doivent acquitter les taxes. De même, il convient de tenir compte de la charge nouvelle que constitue, pour les communes, l'assujettissement de l'éclairage public aux taxes locales sur l'électricité, qui devrait entraîner pour partie un transfert financier des communes vers les départements. Dès lors, il serait normal que cette fraction de la taxe finance les AOD.

Puis M. Bernard Clouet a relevé que l'assujettissement de nouveaux consommateurs d'électricité, tels que certains industriels pour des usages non exonérés par la directive énergie, devrait permettre de compenser, dans un premier temps, la décorrélation des taxes du prix de l'électricité. Toutefois, deux questions importantes restent en suspens : les modalités de révision des tarifs des taxes et les conséquences financières de la réforme pour les communes qui bénéficiaient jusqu'à présent d'une dérogation leur permettant de fixer un taux supérieur à 8 %. Sur ce dernier point, un système de compensation provisoire entre ces communes et celles qui n'avaient pas instauré de taxe communale sur l'électricité pourrait être envisagé.

En réponse à une interrogation de M. Jean Arthuis, président, M. Bernard Clouet a déclaré que l'AMF a été informée du dispositif envisagé sans toutefois l'avoir expertisé en profondeur, une majorité d'élus ayant manifesté leur attachement à l'équilibre actuel.

M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), après avoir souscrit aux observations formulées par MM. Philippe Marini, rapporteur général, et Bernard Clouet, a estimé que le projet de loi de finances pour 2011 est un horizon raisonnable pour adopter la réforme des taxes locales sur l'électricité car il convient de réaliser, au préalable, de nombreuses simulations afin de « limiter les risques » pour les différentes parties concernées.

D'autre part, il a souligné que le passage d'une base d'imposition exprimée en montant du chiffre d'affaires à une assiette relative aux quantités d'électricité consommées pose la question de l'indexation des taxes. A cet égard, le dispositif mis en place pour la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) est un exemple qui mériterait d'être transposé.

Puis M. Xavier Pintat a rappelé l'importance des besoins financiers des réseaux électriques, notant que, de ce point de vue, la collecte de la taxe communale par les AOD est vertueuse. Ce produit constitue une source de financement indispensable, en particulier en zone rurale, qui doit être confortée.

Il a ensuite insisté sur l'importance de la mission de contrôle du recouvrement de la taxe qui incombe aux collectivités bénéficiaires, plaidant pour une mutualisation accrue des moyens dévolus à cette mission, par exemple au niveau départemental, ce qui serait un gage d'économie de gestion et d'efficacité.

Enfin, M. Xavier Pintat a souhaité que la transposition de la directive énergie soit l'occasion d'améliorer le fonctionnement du dispositif actuel sur trois points :

- en prévoyant que les agents chargés du contrôle du recouvrement des taxes puissent se faire communiquer l'ensemble des pièces nécessaires ;

- en renforçant le lien entre les compétences des AOD et la perception des taxes ;

- en encourageant la perception de la taxe à la « maille la plus large possible », par exemple au niveau du département ou des « intercommunalités importantes », ce qui pourrait justifier la disparition des frais de perception.

En réponse à M. Jean Arthuis, président, M. Xavier Pintat a souhaité que, à montant constant, les effets redistributifs entre les collectivités qui ne perçoivent pas de taxe à ce jour et les autres soient minimisés.

M M. Jean Arthuis, président, et Philippe Marini, rapporteur général, ont fait valoir que, dans le régime actuel, les taxes non perçues directement par les AOD ne sont pas affectées à un usage particulier.

M. François Fortassin a observé que les élus désirent que leurs concitoyens payent un prix raisonnable pour leur électricité tout en ayant conscience des besoins de financement des réseaux électriques. Il a jugé nécessaire de rétablir une certaine équité dans le système, notant que les collectivités ne percevant pas de taxe bénéficient du même service que les autres.

M.  Philippe Marini, rapporteur général, a constaté que la nécessité de transposer la directive énergie devrait permettre aux communes concernées de justifier l'instauration de la taxe auprès de leurs administrés.

M. Jean-François Raux, conseiller stratégie et marché de l'Union française de l'électricité (UFE), a plaidé pour que les gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution d'électricité n'aient pas à acquitter la taxe à raison de leur consommation au titre des « pertes en ligne ».

De plus, il a mis en exergue l'importance de la transformation des systèmes d'information des opérateurs que nécessite, notamment, la transformation des taxes locales sur l'électricité. Ainsi, il a estimé à six mois le délai d'adaptation qui leur sera nécessaire si une taxe à taux unique national était adoptée, ce délai étant nécessairement plus long si un schéma de pluralité de taux devait s'imposer.

M. Gérard Lefranc, vice-président de la Fédération nationale des sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité (FNSICAE), a indiqué avoir effectué une simulation des effets de la mise en oeuvre de la directive européenne sur son portefeuille de 60 000 clients. Il en ressort que certaines collectivités devraient voir le produit de leur taxe augmenter de 8 %, alors que des communes rurales n'ayant pas de consommateur industriel sur leur territoire pourraient perdre jusqu'à 10 % de leur produit.

S'agissant de la mise en oeuvre, il a relevé que le mécanisme projeté paraît plus simple que le dispositif actuel puisqu'il s'apparente à la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Toutefois, l'exonération de certains usages de l'électricité constitue une possible source de complexité et il conviendra de garantir la plus grande simplicité des dispositions législatives et réglementaires en la matière.

En outre, M. Gérard Lefranc a fait valoir que la transition sera difficile à mettre en oeuvre, notamment parce que les opérateurs deviendront redevables de la taxe en lieu et place des consommateurs. Par exemple, la gestion des factures rectificatives pourrait être délicate.

D'autre part, il a jugé nécessaire de préciser les règles fiscales applicables à certains clients pouvant poser des problèmes particuliers. Il a notamment cité les collectivités et les services communaux et intercommunaux, les annexes au logement, les petits producteurs d'électricité photovoltaïque et les clients sans compteur. Des précisions devront également être apportées quant au régime des clients bénéficiant du tarif de première nécessité (TPN) et sur le traitement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

M. Gérard Lefranc a ensuite rejoint M. Jean-François Raux sur la nécessité d'exonérer la consommation des gestionnaires de réseaux au titre de leurs pertes d'électricité en ligne, celles-ci ne pouvant être assimilées à de la consommation finale.

Enfin, il a indiqué que les opérateurs sont, jusqu'à présent, collecteurs des taxes et sont rétribués à ce titre, à hauteur de 2 % du montant collecté. A l'avenir, en tant que redevables, ils devront supporter les impayés et adapter leurs systèmes d'information, ce qui justifierait le maintien d'une rémunération modique.

M. Jean Arthuis, président, a considéré que la taxe doit être à la charge du fournisseur d'électricité, qui en répercuterait ensuite le coût auprès du consommateur.

M. Marc Wolf, sous-directeur à la direction de la législation fiscale, a souligné que, depuis plusieurs années déjà, le Gouvernement travaille sur la transposition de la directive énergie, qui s'applique théoriquement depuis le 1er janvier 2004, mais pour laquelle la France a bénéficié d'un « délai de grâce » jusqu'au 1er janvier 2009. Citant le roman « Le Guépard » de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, il a jugé possible que « tout change pour que rien ne change ». La taxation actuelle étant définie par le code général des collectivités territoriales, la direction générale des collectivités locales sera davantage impliquée que la direction de la législation fiscale dans la réforme. Le passage d'une taxation assise sur le montant des factures acquittées par le consommateur final à une taxation quantitative devrait permettre de réduire l'imposition de certains contribuables. Il nécessitera en outre d'importantes modifications des systèmes de traitement de données. La nouvelle taxe respectera davantage les droits des contribuables que l'ancienne. Le principal enjeu est non technique, mais politique : la question posée est de savoir si les collectivités auront une faculté de modulation du tarif de la taxe. Par ailleurs, il faut prendre en compte le fait que, en l'absence d'indexation, l'évolution spontanée du produit d'une taxe assise sur les quantités serait nécessairement moins dynamique que dans le cas d'une taxe assise sur le montant des factures acquittées.

M. Jean Arthuis, président, s'est demandé si les fournisseurs connaissent les quantités d'électricité fournies aux différents clients.

M. Marc Wolf a indiqué que tel est bien le cas.

M. Jean-François Raux a déclaré que les fournisseurs veulent faire apparaître sur la facture le montant de la nouvelle taxation.

M. Gérard Lefranc a indiqué que, le fait générateur étant la relève du compteur, il est souvent nécessaire de recourir à une facturation par acomptes, ce qui pourrait rendre difficile l'inscription sur la facture des montants effectivement dus.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a demandé si les distributeurs craignent de faire une avance de trésorerie.

M. Marc Wolf a souligné qu'il existera un décalage entre le fait générateur des taxes et leur exigibilité, comme cela existe pour d'autres impôts.

M. Jean Arthuis, président, a observé que le produit des futures taxes devrait être supérieur à celui des taxes actuelles, qui ne sont pas perçues par l'ensemble des collectivités. Par ailleurs, le futur tarif devrait être uniforme sur l'ensemble du territoire national, ce qui conduit à s'interroger sur l'impact de la réforme sur la liberté fiscale des collectivités territoriales.

M. Bernard Clouet a souligné que l'équilibre entre petits consommateurs et gros consommateurs d'électricité devra être préservé dans le futur système, ce qui n'était pas le cas dans la première version du projet de réforme, au détriment des petits consommateurs.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité savoir s'il est prévu que la modulation des tarifs en fonction de l'heure de consommation disparaisse.

M. Jean-François Raux a précisé que la réforme ne concernera pas les tarifs de l'électricité.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est demandé si la nouvelle taxation reposera davantage que l'ancienne sur les entreprises.

M. Marc Wolf a indiqué que tel sera bien le cas. En effet, les consommateurs dont la puissance de l'installation dépasse 250 kVA seront désormais taxés, ce qui représente une augmentation de l'ordre de 150 millions d'euros, sur un produit total d'environ 1,5 milliard d'euros. En outre, le passage d'une taxation assise sur le montant des factures acquittées par le consommateur final à une taxation quantitative suscitera un transfert en faveur des contribuables dont l'abonnement représente une part importante des factures, comme dans le cas des résidences secondaires. Les simulations réalisées à ce sujet évaluent cependant ces transferts à 1 % ou 1,5 % du produit total des taxes, ce qui est négligeable.

Revenant sur la question de la liberté fiscale des collectivités territoriales, M. Bernard Clouet a souligné qu'il s'agit essentiellement d'un sujet communal. En effet, dès lors que 95 % des départements ont instauré la taxe au taux maximal de 4 %, leur possibilité d'accroître ce taux est théorique.

M M. Jean Arthuis, président, et Philippe Marini, rapporteur général, ont alors fait valoir que la liberté fiscale pourrait conduire certains départements à réduire leur taux d'imposition.

M. Michel Sergent, après avoir rappelé les grands équilibres du régime actuel, a souhaité que la réforme n'introduise pas de nouveaux déséquilibres. Ainsi, il a rejoint la position de M. Xavier Pintat relative à l'affectation au financement des réseaux électriques de la fraction de taxe que les départements percevront des communes au titre de leur éclairage public.

M. Jean Arthuis, président, a souligné l'importance des charges auxquelles font face les départements.

M. Michel Sergent s'est interrogé sur la rémunération des gestionnaires de réseau, M. Philippe Marini, rapporteur général, jugeant celle-ci excessive.

Il s'est également demandé si la révision annoncée de la directive énergie ne risque pas d'entraîner une nouvelle modification législative à brève échéance.

M. Marc Wolf a indiqué que la taxation locale de l'électricité n'est pas concernée par ce projet de texte.

M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur l'impact de la nouvelle taxation sur l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

M. Marc Wolf a indiqué que si la quasi-totalité des départements pratiquent déjà le taux d'imposition maximal de 4 %, de nombreuses communes sont en deçà du taux maximal de 8 %, de sorte que l'intérêt d'un tarif unique ne paraît pas évident dans leur cas.

M. Jean Arthuis, président, s'est demandé s'il serait possible de prévoir que les collectivités territoriales puissent moduler leur taux à l'intérieur d'une certaine fourchette.

M. Marc Wolf a estimé que tel est probablement le cas, citant en exemple le dispositif instauré par l'article 94 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, qui permet aux régions de majorer le tarif de TIPP pour financer une infrastructure de transport durable, ferroviaire ou fluvial.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est interrogé sur l'intérêt d'entreprendre des négociations complexes avec l'Union européenne, pour obtenir la faculté de moduler une taxe d'un montant aussi faible.

M. Marc Wolf a précisé que si l'unanimité du Conseil européen est requise pour permettre une modulation à la baisse, comme cela a été le cas pour le dispositif de la « première tranche » de TIPP, cette contrainte n'existe pas lorsqu'il s'agit de moduler une taxe à la hausse, ce qui est bien le mécanisme proposé par l'article 94 précité. Il n'est donc pas établi qu'une négociation communautaire soit nécessaire.

M. Edmond Hervé a envisagé que le Conseil constitutionnel puisse décider que l'autonomie financière implique l'autonomie fiscale.

M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur le calendrier de la réforme.

M. Marc Wolf a indiqué que, si les textes ont atteint un « haut niveau de maturité » d'un point de vue technique, des « arbitrages politiques lourds » restent à réaliser. Les entreprises concernées anticipant l'entrée en vigueur prochaine du dispositif, il ne paraît pas nécessaire de prévoir une période de transition de six mois.

M M. Jean Arthuis, président, et Philippe Marini, rapporteur général, ont demandé la transmission à la commission de la dernière version du texte en cours d'élaboration par l'administration.

M. Jean-François Raux a insisté, une nouvelle fois, sur le coût élevé de la mise en place du nouveau dispositif pour les opérateurs, M. Gérard Lefranc jugeant urgent de fixer le niveau des tarifs des nouvelles taxes.

M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur les différentes options en matière de perception.

M. Marc Wolf a considéré que celles-ci sont limitées, dans la mesure où il semble établi que les fournisseurs prélèveront une quotité sur leur prix de vente. Les vraies options concernent la modulation, voire d'éventuelles exonérations.

M. Jean-François Raux a estimé qu'une période de transition de quelques mois, voire davantage en cas de forte modulation du tarif, serait nécessaire à une refacturation transparente au client final. En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président, il a indiqué que, si la plupart des consommations sont relevées en continu, celles des clients industriels le sont chaque mois, de sorte qu'une entrée en vigueur de la réforme le premier jour d'un mois serait optimale pour les fournisseurs.

M. Michel Sergent a jugé nécessaire d'accélérer la mise en place de compteurs dits « intelligents ».

M. Jean-François Raux a souligné que, si ces compteurs permettent une facturation beaucoup plus fine, ils doivent être accompagnés d'un système d'information performant.

M. François Fortassin a estimé que, lorsque la taxe communale est perçue par le département en lieu et place des communes dont la population est inférieure ou égale à 2 000 habitants, celui-ci ne redistribue pas toujours les montants concernés, voire ne les consacre pas à des travaux d'électrification.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré qu'il ne faut pas modifier les règles du jeu à cet égard, afin de ne pas amener les consommateurs urbains à subventionner les consommateurs ruraux.

Il a déclaré que, si la commission ne disposait pas rapidement de la dernière version du texte du Gouvernement, elle travaillerait à partir de son propre texte, comme elle l'a fait lors de la réforme récente de la taxation locale de la publicité. La réforme doit impérativement être insérée dans la loi de finances pour 2011 ou la dernière loi de finances rectificative pour 2010.

M. Jean Arthuis, président, a conclu la table ronde en se félicitant de l'éclairage que les échanges ont apporté aux commissaires.

Contrôle de l'action du Gouvernement et évaluation des politiques publiques - Examen du rapport pour avis

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, sur la proposition de loi n° 235 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, a évoqué le caractère inhabituel des conditions de l'examen de cette proposition de loi par la commission des finances. Compte tenu de la date de réunion de la commission des lois, saisie au fond, et de la suspension prochaine des travaux du Sénat, la commission des finances est, en effet, conduite à se prononcer sur le texte transmis par l'Assemblée nationale, et non sur le texte de la commission saisie au fond.

Il a précisé qu'il sera présent lors de la réunion de la commission des lois pour y faire valoir les positions prises par la commission des finances.

Il a ensuite observé que la proposition de loi, déposée par le président de l'Assemblée nationale le 18 novembre 2009 et adoptée le 27 janvier 2010, est étroitement liée à la création du comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale (CEC) résultant de la réforme de son Règlement en date du 27 mai 2009.

Le comité est chargé, sur sa propre initiative ou à la demande d'une commission permanente, de réaliser des travaux d'évaluation portant sur des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente.

Par sa décision du 25 juin 2009 sur la modification du Règlement de l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé contraires à la Constitution deux dispositions concernant directement le CEC. La première prévoyait que la présentation des rapports du comité était organisée en présence des responsables administratifs de la politique publique concernée et « donnait lieu à un débat contradictoire » ; la seconde, que le comité peut demander l'assistance de la Cour des comptes pour l'évaluation des politiques publiques. Le Conseil constitutionnel a estimé sur ce point qu'il n'appartenait pas au Règlement d'une assemblée, mais à la loi, de déterminer les modalités selon lesquelles un organe du Parlement peut demander cette assistance.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, a indiqué que, pour le même motif, le Conseil constitutionnel a retenu l'inconstitutionnalité d'un article de la résolution concernant les modalités selon lesquelles les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte rendu de leur audition et à faire part de leurs observations.

La présente proposition de loi reprend les dispositions qui ont été censurées, pour des motifs de forme, par le Conseil constitutionnel. Elle constitue ainsi une réponse à une difficulté et un besoin spécifiques à l'Assemblée nationale, mais qui s'appliquera de fait aux deux assemblées et peut poser un certain nombre de questions.

Il a notamment relevé que, en raison du nombre important d'instances de contrôle et d'évaluation existant au sein des assemblées, telles que les délégations parlementaires, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ou les missions d'information, l'élargissement du droit de demander l'assistance de la Cour des comptes présentait le risque, d'une part, de pénaliser les procédures actuelles qui fonctionnent bien et que la loi organique réserve aux commissions des finances et des affaires sociales et, d'autre part, de placer la Cour des comptes dans la situation de ne plus pouvoir faire face à ces demandes d'assistance.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, a ensuite présenté les dispositions des trois articles de la proposition de loi.

Il a estimé que le texte voté par l'Assemblée nationale pour l'article premier, relatif aux modalités de convocation des personnes auditionnées devant les instances parlementaires de contrôle de l'action du Gouvernement ainsi qu'aux pouvoirs des rapporteurs, constitue un compromis satisfaisant puisqu'il ne vise que les seules instances permanentes créées pour contrôler ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente.

L'article 2 qui reprend, sans les modifier, les dispositions du Règlement de l'Assemblée nationale relatives aux comptes rendus des auditions des commissions d'enquête afin de leur donner valeur législative, ne soulève aucune difficulté particulière.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, s'est félicité des améliorations apportées par l'Assemblée nationale à l'article 3, qui attribue aux instances parlementaires d'évaluation des politiques publiques le pouvoir de saisir la Cour des comptes d'une demande d'assistance donnant lieu à remise d'un rapport qui pourra être rendu public. Il a noté, en particulier, que les Présidents des deux assemblées seront chargés de filtrer les propositions de demande d'assistance à la Cour des comptes qui émaneront de chacune des commissions permanentes, dans leur domaine de compétence, et des instances permanentes créées pour l'évaluation de politiques publiques.

Il s'est déclaré préoccupé par le risque que ces dispositions aboutissent à une augmentation du nombre de demandes, incompatible avec les moyens humains dont dispose la Cour des comptes, soulignant en outre que celle-ci, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans une décision du 25 juillet 2001, doit faire en sorte que l'équilibre voulu par le constituant dans les fonctions d'assistance, entre le Parlement et le Gouvernement, ne soit pas faussé au détriment de l'un de ces deux pouvoirs.

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, a donc estimé nécessaire de fixer certaines bornes à l'extension des pouvoirs des instances de contrôle et d'évaluation, en précisant que les demandes formulées au titre de la nouvelle procédure ne peuvent concerner ni l'exécution des lois de finances ni une question relative aux finances publiques, et en établissant une priorité d'examen par la Cour des comptes des demandes d'assistance et des enquêtes visées à l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et à l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

Il a suggéré ensuite que l'examen de la proposition de loi permette de reprendre certaines dispositions, en lien avec le contrôle et l'évaluation des politiques publiques, du projet de loi portant réforme des juridictions financières, déposé le 28 octobre 2009 sur le bureau de l'Assemblée nationale mais jamais inscrit à l'ordre du jour des assemblées.

Il a évoqué, en particulier, les difficultés rencontrées à l'occasion des enquêtes menées en application de l'article 58-2° de la LOLF. La séparation organique de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ne permet pas, en effet, une appréciation globale des politiques publiques et des interventions sur les territoires alors que les compétences sont partagées entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités territoriales.

Un débat s'est ouvert.

M. Jean-Claude Frécon a indiqué que, dans ses fonctions de rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat », il a souvent mis en garde contre le risque d'une trop forte augmentation des demandes d'assistance formulées auprès de la Cour des comptes. Il a déclaré n'être pas complètement opposé à la réforme des chambres régionales, soulignant la justesse des objectifs poursuivis mais regrettant aussi les conditions de rapidité avec lesquelles elle est examinée.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, a salué les travaux du rapporteur spécial et est revenu sur les contraintes particulières du calendrier d'examen de la proposition de loi. Il a précisé qu'il ne propose pas de reprendre les dispositions relatives aux fonctions juridictionnelles de la Cour des comptes et des chambres régionales.

M. Edmond Hervé a considéré que les chambres régionales sont les protectrices des collectivités territoriales à qui elles apportent une aide indispensable. Il s'est vivement inquiété des effets de la réforme sur la situation des petites communes. Il a souligné que les chambres régionales des comptes peuvent constituer une alternative au rôle croissant des agences de notation. Il s'est enfin déclaré préoccupé de la disparition programmée des chambres régionales.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis, a indiqué que la réforme ne préjuge le nombre des chambres interrégionales qui pourra être retenu. Il a fourni des indications chiffrées sur les effectifs de certaines chambres régionales qui n'atteignent pas un seuil critique leur permettant d'assurer leurs missions dans de bonnes conditions. Il a également insisté sur l'évolution des fonctions de la juridiction financière en direction de la certification et de l'audit.

Mme Michèle André a souligné que la proposition de réforme des juridictions financières s'inscrit dans un contexte d'inquiétude des collectivités territoriales et de baisse des effectifs dans les préfectures.

Puis la commission a procédé à l'examen des amendements proposés par le rapporteur pour avis.

A l'article 3, elle a adopté deux amendements visant à préserver les périmètres de compétences spécifiques aux deux commissions des finances et des affaires sociales et à prévoir que la Cour des comptes assure la priorité du traitement des demandes d'assistance formulées par ces mêmes commissions, au titre de dispositions législatives organiques.

Elle a ensuite adopté, à la majorité, un amendement reprenant les dispositions du projet de loi portant réforme des juridictions financières, qui permettront de donner à la Cour des comptes les moyens effectifs de répondre aux exigences de sa mission d'assistance au Parlement et d'évaluation des politiques publiques : affirmation de la compétence de la nouvelle Cour des comptes issue de l'unification organique de la juridiction financière dans le contrôle de la gestion des acteurs locaux, création de chambres des comptes interrégionales et d'un cadre statutaire unique et commun aux magistrats exerçant au siège et en région, expérimentation de la certification des comptes des collectivités locales.

Enfin, elle a adopté un amendement de coordination complétant l'intitulé de la proposition de loi et donné un avis favorable à l'adoption du texte ainsi amendé.

Mercredi 7 avril 2010

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Table ronde sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat

La commission a organisé une table ronde sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat, composée de Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale (DLF), M. Marc Wolf, sous-directeur à la DLF, Mme Maïté Gabet, chef du bureau « contrôle fiscal international » à la direction générale des finances publiques (DGFIP), MM. François Momboisse, président, Marc Lolivier, délégué général de la fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), M. Giuseppe de Martino, président de l'association des services Internet communautaires (ASIC) et directeur juridique et réglementaire monde de Dailymotion, M. Yohan Ruso, directeur général d'eBay France, MM. Olivier Esper, responsable des relations institutionnelles, et Yoram Elkaim, directeur juridique de Google France.

Tout d'abord, M. Jean Arthuis, président, a indiqué que l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat est pleinement d'actualité, comme en témoigne le débat récent sur l'instauration d'une taxe sur les revenus de la publicité en ligne, dite « taxe Google », proposée par la commission présidée par M. Patrick Zelnik. Il a rappelé que la commission des finances du Sénat s'était saisie de cette question en proposant, par la voix de son rapporteur général, un amendement à la loi de finances rectificative pour 2010, celui-ci ayant été retiré suite à l'engagement du Gouvernement d'explorer les conditions juridiques et techniques nécessaires à la mise en place d'une imposition la plus juste et la plus adaptée au secteur de la publicité sur Internet.

Il a ajouté que le débat sur le développement du commerce électronique et son impact sur les finances de l'Etat ne se résume pas à la seule question de la publicité en ligne. Ainsi, il a noté que l'essor des transactions électroniques entre particuliers a amené la commission des finances à intervenir dans la lutte contre la fraude via Internet dès la discussion de la loi de finances rectificative pour 2008.

Constatant que les exemples sont nombreux d'optimisation fiscale des grands sites Internet dans les pays dont la fiscalité est jugée plus légère qu'en France, M. Jean Arthuis, président, a cité le Luxembourg et l'Irlande. Il a précisé que ce phénomène, rendu possible par la dématérialisation croissante des services, pose la question de la compétitivité de la France pour accueillir les sites étrangers et celle du risque de délocalisation des activités présentes sur notre territoire. Plus largement, il s'agit d'appréhender les formes nouvelles de transactions dématérialisées et de création de richesse afin d'étudier les adaptations nécessaires de la fiscalité.

Il a déclaré que, pour ce motif, la commission des finances a demandé, en 2009, la réalisation d'une étude d'impact sur les finances de l'Etat du développement du commerce électronique, indiquant que cette mission a été confiée au cabinet Greenwich Consulting.

Puis, il a précisé que, afin de rendre public le contenu de cette étude, la commission des finances a jugé utile d'organiser cette table ronde, pour étudier, en outre, les problématiques soulevées par le développement du commerce électronique au regard des recettes fiscales de l'Etat et identifier des propositions d'évolution législative qui prennent en compte à la fois les innovations technologiques et l'amélioration de la compétitivité de la France.

Procédant à l'aide d'une vidéoprojection, M. Jean Arthuis, président, a ensuite présenté une synthèse de l'étude réalisée par Greenwich Consulting.

Il a noté que, en France, le poids du commerce électronique reste encore relativement limité : celui-ci représentait 1,1 % de la consommation des ménages en 2008 (15 milliards d'euros pour une consommation des ménages français s'élevant à 1 409 milliards d'euros). A périmètre comparable, le e-commerce représente 3,4 % du commerce français mais il possède, néanmoins, un fort potentiel de croissance.

Il a précisé que la croissance du secteur devrait amener le marché du commerce des entreprises vers les particuliers à doubler pour atteindre une taille de 28 milliards d'euros avant 2014, sous l'effet cumulé de deux facteurs :

- l'augmentation du taux de pénétration d'Internet qui passerait de 58 % des ménages en 2007 à 73 % en 2012,

- l'augmentation du nombre de cyberacheteurs qui progresserait de 20 millions en 2007 à 30 millions en 2014.

M. Jean Arthuis, président, a relevé que quatre principaux segments (le tourisme, les produits technologiques et équipements de la maison, l'habillement et les produits culturels) représentent les trois quarts du marché.

Il a précisé que le « e-tourisme » domine le « e-commerce » en raison du fort développement des modes d'achat par Internet et de la taille du panier moyen : plus de 1 000 euros pour les offres de forfaits séjour et transport tout compris, contre moins de 30 euros pour l'achat moyen de biens culturels.

Il a estimé que, dans la mesure où le secteur du tourisme vend des prestations dématérialisées et où la réservation est centralisée, Internet est le média idéal pour permettre au consommateur un accès direct et rapide à l'information ainsi qu'un achat à distance. Il a indiqué que, selon le Benchmark Group, 76 % des cyberacheteurs ont déjà acheté un produit de tourisme (hébergement, billets d'avion seuls dits « vols secs », séjours tout compris en « packages »), ce qui en fait le deuxième motif d'achat après l'accès aux produits culturels (78 %).

Il a observé que, selon la définition de l'OCDE, la structuration du commerce électronique, désigné globalement par le terme « e-business », qui englobe les transactions de biens et de services effectuées au moyen d'un réseau électronique, recouvre en fait plusieurs réalités :

- le e-commerce B2C (« business to consumer »), constitué d'entreprises ayant mis à profit Internet pour développer un nouveau canal de vente de produits et/ou services à destination des particuliers ;

- l'intermédiation C2C (« consumer to consumer »), qui permet la structuration du secteur informel de la vente entre particuliers ;

- le commerce B2B (« business to business »), qui concerne le commerce interentreprises.

Il a noté que ces secteurs sont d'une importance économique inégale :

- les transactions entre particuliers demeurent limitées (environ 650 millions d'euros pour les transactions de type « petites annonces » et 100 millions d'euros pour les places de marché, dont eBay et Priceminister détiennent 75 % du marché) ;

- le e-commerce des entreprises vers les particuliers atteint environ 17 milliards d'euros ;

- et, enfin, le secteur des transactions interentreprises représente 90 % du commerce électronique total, soit 150 milliards d'euros de revenus répartis entre l'Internet (80 milliards d'euros) et les échanges électroniques de données (70 milliards d'euros).

Il a relevé que le commerce électronique est animé par des typologies d'acteurs très différentes :

- les acteurs français du commerce traditionnel qui développent une activité de commerce en ligne, notamment voyages-sncf.fr ou FNAC.com ;

- les « Pure players », qui sont des entreprises dont l'activité est exclusivement menée sur l'Internet (Pixmania, Rueducommerce ou iTunes) ;

- les multinationales extracommunautaires, qui s'implantent en Europe (Amazon, Expedia).

Il a remarqué que le e-commerce souffre de marges réduites qui affectent négativement l'impôt sur les sociétés et la TVA, trois raisons principales expliquant ce phénomène :

- l'existence d'une zone de chalandise unique qui provoque une pression à la baisse sur les prix ;

- la concentration des acteurs sur des marchés de masse à marge brute réduite ;

- la course aux parts de marché dans un contexte de forte croissance motivée par le développement du secteur et par la perspective du rachat de leur société.

Il a constaté que, dans ce contexte, les multinationales extracommunautaires sont à la recherche d'un environnement global favorable, leur permettant d'atteindre l'ensemble du marché européen, depuis un point unique et que la fiscalité semble jouer un rôle fondamental dans la localisation de leur siège social. Il s'est alors demandé dans quelle mesure le critère fiscal intervient dans la décision de localisation par rapport à d'autres critères que sont la taille du marché local, la proximité culturelle pour le management, la qualité des infrastructures technologiques et logistiques pour l'exploitation, la disponibilité, le coût et la flexibilité des compétences d'une façon générale.

Il a fait valoir que les nouvelles activités du e-business élargissent « l'assiette à risque » globale de l'économie française. En effet, en cas de migration massive des entreprises vers un modèle d'externalisation complète des services informatiques, les activités d'achats de matériels informatique et d'externalisation seraient aussi en partie menacées. A cet égard, il a relevé que, selon Greenwich Consulting, l'externalisation représente d'ores et déjà 15 % des dépenses de services informatique en France, soit 10 milliards d'euros. Ce marché, qui se développe fortement, pourrait atteindre, à terme, des niveaux proches de ceux de l'Allemagne (14,8 milliards d'euros) ou du Royaume-Uni (26,6 milliards d'euros).

Il a alors estimé que, en outre, 60 milliards d'euros d'activités aujourd'hui non-externalisées dans d'autres secteurs pourraient l'être à terme, soit au total plus de 70 milliards d'euros d'activités qui pourraient, à l'avenir, se situer à l'étranger.

Abordant l'étude de trois impôts (la TVA, l'impôt sur les sociétés et la taxe sur les surfaces commerciales), M. Jean Arthuis, président, a noté que, dans les secteurs où la marge est réduite, tels que la vente de musique en ligne, l'écart de compétitivité fiscale en matière de TVA constitue à lui seul la source de profit pour le « e-commerçant ».

Il a cité en exemple le cas d'iTunes, dont Greenwich Consulting estime que la marge commerciale, qui est de 15 centimes au Luxembourg, serait nulle en cas de paiement de la TVA en France, pour un prix total comparable.

En effet, les règles en vigueur sur la vente de produits immatériels permettent au site marchand qui opère depuis le Luxembourg de bénéficier, jusqu'en 2015, du taux de TVA luxembourgeois (15 %) plutôt que du taux en vigueur dans le pays d'origine du client (19,6 % en France). Il a ajouté que le Conseil Ecofin de décembre 2007 a entériné la fin de ce système en 2019 (avec une période transitoire entre 2015 et 2019) ; ainsi, à partir de cette date, la TVA devra être versée et facturée au taux en vigueur dans le pays du consommateur.

Tout en s'interrogeant sur la pertinence d'un tel délai d'application, il a souligné que la mise en place technique de la mesure posera deux problèmes:

- premièrement, ce sera à l'Etat luxembourgeois de contrôler les entreprises établies sur son sol afin de veiller à ce que les recettes de TVA devant être versées à l'Etat du consommateur ne lui soient pas attribuées par erreur ;

- deuxièmement, il conviendra d'éviter qu'un internaute se déclare dans un pays où il ne se trouve pas physiquement.

Assurant la poursuite de l'exposé, M. Philippe Marini, rapporteur général, a noté également que, si les recettes de TVA sont globalement proportionnelles au poids réel de l'activité du e-commerce dans chaque pays, certains d'entre eux ont une balance e-commerce positive en raison de leur écart de taux de TVA.

En effet, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France perdent des recettes fiscales tandis que les « petits » Etats comme le Luxembourg ou l'Irlande sont bénéficiaires nets. Il a indiqué que, sur l'année 2008, Greenwich Consulting évalue le manque à gagner de TVA de la France à près de 300 millions d'euros. Ce manque à gagner pourrait atteindre 400 millions d'euros en 2010, 500 millions en 2012 et 560 millions en 2014, ce qui représenterait au total plus de 2 milliards d'euros pour les années 2011 à 2014. Toutefois, le Royaume-Uni resterait le pays le plus durement touché, avec près de 2 milliards d'euros par an de manque à gagner de TVA jusqu'en 2014. Un problème de convergence des finances publiques se pose donc pour les « grands » Etats européens que sont l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France.

Abordant la question de l'impôt sur les sociétés, il a rappelé que les multinationales ont une approche globale du marché européen : un siège social paneuropéen consolide la majorité du chiffre d'affaires et des bénéfices (ex. : eBay en Suisse, Amazon au Luxembourg, Expedia en Irlande). Ces mécanismes ne sont pas propres au e-commerce mais leur ampleur est accrue par la grande mobilité des fonctions, des biens et des risques.

Citant l'exemple d'optimisation fiscale mise en place par Amazon en matière d'impôt sur les sociétés, il a relevé que, selon l'analyse de Greenwich Consulting, cette société capte un volume d'affaires de 930 millions d'euros en France, alors que la filiale française ne déclare qu'un chiffre d'affaires de 25 millions d'euros, au titre de prestations de services logistiques, rémunérées par la holding luxembourgeoise.

Soulignant que les sites de e-commerce échappent à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré qu'il n'est pas anormal que chaque type de commerce possède des avantages et inconvénients propres, dans la mesure où commerce électronique et commerce traditionnel revêtent des réalités différentes. En conséquence, si les sites de commerce électronique ne paient pas de loyer ni de TASCOM, il s'est demandé s'il ne serait pas envisageable de créer une assiette spécifique pour le commerce électronique, dont il resterait à définir le mode de calcul.

Enfin, il a déclaré que, au-delà du seul débat sur la taxation de la publicité sur Internet, dans lequel la commission des finances du Sénat est pleinement intervenue, le développement du commerce électronique soulève des problématiques majeures en matière de préservation des recettes fiscales.

C'est pourquoi, afin de susciter le débat, il a souhaité conclure cette présentation par une série de questions :

- peut-on, alors que la consolidation des recettes publiques est essentielle et comme cela ressort de l'étude Greenwich, considérer qu'une politique de "compétitivité fiscale" serait le meilleur moyen de conserver des assiettes taxables en France afin de permettre le retour à l'équilibre des comptes publics?

- quelle serait l'autre solution pour éviter le dumping généralisé en Europe, alors que l'harmonisation fiscale européenne est à la fois indispensable et un voeu pieux ?

- faut-il une fiscalité spécifique au e-commerce (comme aux Etats-Unis d'Amérique qui ont supprimé la TVA sur le e-commerce ou au Luxembourg) ou bien faut-il taxer de manière identique toutes les activités, quel qu'en soit le support technologique ?

- comment intégrer le facteur technologique dans la définition des assiettes (notamment, comment localiser, ou "territorialiser" le consommateur) ? Faut-il adapter les assiettes des impôts existants ?

- faut-il créer des taxes spécifiques aux activités dématérialisées ?

M. Jean Arthuis, président, a ensuite engagé le débat en proposant à chacun des intervenants de formuler ses observations sur la présentation du rapport réalisé par Greenwich Consulting et d'exprimer ses positions.

M. Cédric Foray, président-directeur général du cabinet Greenwich Consulting, s'est félicité du débat suscité par le rapport et souligné que les pistes de réflexion proposées par M. Philippe Marini, rapporteur général, en enrichissent le contenu.

Après avoir précisé que son intervention ne doit pas être considérée comme une expression de la position du Gouvernement, Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale (DLF), a confirmé les principaux phénomènes de déplacement de richesses et de construction des marges décrits dans l'étude tout en indiquant qu'il n'appartient pas au coeur de métier de la DLF de présenter des prévisions économiques.

Elle a souligné que les principales difficultés en matière de taxation de l'e-commerce tiennent à la rapidité et à la puissance des nouveaux modes de création de valeur.

Elle a abordé en premier lieu la question de la TVA pour hiérarchiser les difficultés auxquelles est confrontée l'administration française.

S'agissant des règles de perception de cette taxe, elle a exprimé une vision plus optimiste que les perspectives présentées par Greenwich Consulting, sous réserve des nuances suivantes :

- la facturation de la TVA sur le lieu de consommation des biens et services ne sera effective qu'à partir de 2015, retardant d'autant la mise en oeuvre du principe de territorialité ;

- les situations de distorsion de taux de TVA perdurent au niveau européen en fonction des Etats, mais aussi en fonction des secteurs. Ainsi, la France bénéficie également de cette concurrence des taux grâce à un taux réduit de 2,1 % sur la vente de biens culturels.

En réponse à M. Jean Arthuis, président, Mme Marie-Christine Lepetit a précisé que, en matière de contrôle, un souci de surveillance effective doit être partagé par l'ensemble des Etats membres de l'Union dans la mesure où les enquêtes diligentées par un Etat sont tributaires de la diligence des administrations partenaires.

Notant les progrès réalisés dans ce domaine, elle a cité plusieurs outils :

- Eurofisc pour la mise en oeuvre d'une meilleure coopération entre Etats membres ;

- Ecofin, qui a pris une décision pour améliorer les conditions de recouvrement des taxes dues par des opérateurs situés dans un autre pays européen, le point le plus difficile à résoudre étant encore la surveillance aux frontières de l'Europe malgré les règles aménagées en 2003.

Dans la perspective de la mise en place, à compter de 2015, du recouvrement au profit de l'Etat de consommation, elle a indiqué que le nouveau commissaire européen chargé de la fiscalité, M. Algirdas Semeta a lancé une réflexion d'ensemble sur l'effectivité des recettes de TVA. Elle a rappelé que, si la taxation de la valeur ajoutée avait été, à l'origine, imputée au prestataire pour des raisons de faisabilité technique, c'était dans la perspective d'une unification des taux, qui, de fait, ne s'est pas réalisée.

Abordant l'impact du développement du commerce électronique sur l'impôt sur les sociétés (IS), Mme Marie-Christine Lepetit a reconnu que le système international en vigueur, qui pose le principe selon lequel les revenus produits sur un territoire y sont taxés, bute sur des difficultés irréductibles en l'état.

En effet, la dématérialisation des créations de richesses dans le domaine du commerce électronique pose la question de la localisation des revenus, battant ainsi en brèche le principe fiscal de territorialité de l'impôt.

Elle a relevé que, paradoxalement, ces mêmes règles internationales, qui ont créé la notion d'établissement stable, rendent possible le rattachement des revenus dans un autre Etat que celui où le service est rendu, ce qui favorise l'installation du prestataire dans des paradis fiscaux.

Mme Marie-Christine Lepetit a conclu à une impossibilité de taxer de manière efficace les revenus à moins de mener une réflexion sur les deux pistes suivantes :

- la modification des règles internationales de l'OCDE et communautaires (AXIS) afin d'assurer des recettes fiscales aux Etats où naissent les chiffres d'affaires et non à ceux où sont domiciliés les groupes ;

- la taxation du chiffres d'affaires, plutôt que celle des bénéfices, afin d'instaurer un recouvrement de la taxe directement sur le preneur de la prestation et non sur le vendeur.

A cet égard, elle a souligné que les travaux de la commission « Zelnik » posent la question de la loyauté du marché de la publicité en ligne.

Après avoir noté la vision finalement raisonnablement optimiste, exprimée par Mme Marie-Christine Lepetit en matière de recouvrement de la TVA, M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur l'effectivité des contrôles.

Mme Maïté Gabet, chef du bureau « contrôle fiscal international » à la direction générale des finances publiques (DGFIP), a souscrit aux propos de Mme Marie-Christine Lepetit et confirmé que le commerce électronique est considéré comme une « zone à risque fiscal » en raison de l'internationalisation et de la dématérialisation croissantes des flux.

Trois catégories de difficultés sont identifiées :

- le commerce occulte en ligne rend nécessaire pour l'administration le développement de nouveaux outils de contrôle ;

- le paiement effectif de la TVA par les sociétés implantées dans un pays de l'Union européenne dépend de la qualité de la coopération entre Etats membres ;

- le commerce électronique pratiqué à destination des consommateurs français par les sociétés ne relevant pas d'un Etat membre pose également le problème de la poursuite des investigations dans les pays tiers.

En réponse à M. Jean Arthuis, président, Mme Maïté Gabet a assuré que des contrôles sont conduits avec succès, tout en admettant qu'il s'agit de vérifications menées dans des secteurs restreints.

Elle a considéré qu'un renforcement de « l'agilité » des contrôleurs et qu'une amélioration des délais d'investigation nécessitent :

- une meilleure coopération communautaire au moyen d'Eurofisc ;

- la mise en oeuvre de contrôles multilatéraux ;

- et l'obligation pour l'Etat étranger de diligenter les contrôles demandés.

A droit constant, l'imposition sur les bénéfices étant pratiquée dans l'Etat de résidence des sociétés, toute modification destinée à relocaliser en France des revenus déclarés dans un autre Etat est conditionnée par une négociation à l'échelle internationale et la modification de plus d'une centaine de conventions fiscales.

L'échange d'informations demeure le seul moyen de recréer le lien entre la création de richesses et le lieu où l'impôt est dû.

M. François Momboisse, président de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), a indiqué que la FEVAD a été créée il y a cinquante ans pour réunir les « VPCistes », c'est-à-dire les sociétés de vente par correspondance (La Redoute, les 3 Suisses...). Avec le développement du commerce électronique, près de 60 000 sites marchands sont recensés dans un marché en forte croissance qui concerne 25 millions d'acheteurs en ligne.

Si les critères de compétitivité fiscale entre Etats sont examinés en priorité par les sites non européens, il a fait valoir que, en règle générale, les sites nationaux restent implantés dans les pays d'origine dans la mesure où 97 % du commerce électronique demeure local pour des raisons de langues et d'habitudes de consommation.

M. Marc Lolivier, délégué général de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance, a considéré que les chiffres d'affaires produits par le commerce électronique sont plus élevés que ceux présentés par Greenwich Consulting, soit 25 milliards d'euros en 2009 et une estimation de 46 milliards d'euros en 2012 pour toutes les ventes en ligne B2C, 70 % de la vente par correspondance étant aujourd'hui commandée par Internet. La France présente une marge de progression car seulement 63 % des foyers sont connectés contre 77 % au Royaume-Uni et 90 % aux Pays-Bas.

Il a souligné que le commerce électronique soutient la dynamique de la création d'activités en France, deux sites étant créés toutes les heures, notamment par les très petites entreprises et les « e-commerçants » dont le niveau de qualification est égal ou inférieur au baccalauréat.

Il a estimé à 25 000 emplois directs et 25 000 emplois indirects la contribution à l'économie du commerce en ligne.

Il a reconnu que le « shopping sans frontière », pratiqué par 25 % des internautes français, présente un risque pour les assiettes fiscales d'autant plus grand que les habitudes de consommation s'internationalisent. Sur ce point, il s'est dit peu surpris de voir que la perte de TVA est la plus importante au Royaume-Uni.

S'agissant de la compétitivité fiscale, il s'est ému du niveau élevé de la rémunération des droits d'auteurs assise sur la vente de supports de copies privées, ce qui a pour conséquence que la taxe sur la commercialisation en France de DVD vierges est trois fois supérieure à celle pratiquée en Belgique, et de l'ordre du sextuple du taux fixé en Allemagne : dans ces conditions, une offre de ce produit facturée 10 euros au Luxembourg coûte 70 euros sur un site français.

Considérant qu'un tel niveau de prélèvement, recommandé par la SACEM, entraîne la fuite à l'étranger de près de 40 % du chiffre d'affaires de la rémunération des droits d'auteurs, M. Marc Lolivier a appelé de ses voeux une réduction de cette taxation qui permettrait d'élargir l'assiette fiscale en favorisant le développement de la vente en France de DVD vierges.

Privilégiant une approche pragmatique, il a considéré que certaines spécificités du commerce en ligne et à distance peuvent justifier un traitement fiscal différent, à l'image de ce que le droit de la consommation prévoit, au bénéfice du consommateur, en matière de droit à l'essai et à la réexpédition du produit. Il a observé que les rares emplois du commerce à distance qui demeurent non délocalisables sont ceux des centres logistiques, dont le maintien en France serait sans doute menacé si on mettait en place une taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM). Il a jugé que le développement du commerce en ligne appelle un nouveau regard intégrant davantage la dimension internationale, et a mis en exergue la nécessité d'une coopération renforcée, en particulier au plan international et entre l'administration et les acteurs du commerce en ligne.

En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président, sur l'inclusion de la taxe sur la copie privée dans le champ de la coopération en matière de contrôle, Mme Maïté Gabet a indiqué que ce type de contrôle relève de la compétence du Centre national du livre.

M. Giuseppe de Martino, président de l'association des services Internet communautaires (ASIC) et directeur juridique et réglementaire monde de Dailymotion, a mis en exergue les raisons, propres à la France, qui ont conduit à la constitution de l'ASIC en décembre 2007, telles que les critiques sur le statut d'éditeur ou d'hébergeur des entreprises concernées et les projets de taxation à leur détriment et au profit du financement d'autres secteurs lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2008. Rappelant que la grande majorité des acteurs français n'ont pas encore atteint l'équilibre financier, il a considéré que toute nouvelle taxe serait « suicidaire », ce qui avait expliqué la forte hostilité des adhérents de l'association à l'encontre du projet de taxation de la publicité présenté par la commission des finances lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2010. Dans un secteur fortement dominé par les anglo-saxons, tout accroissement de la pression fiscale pourrait inciter les quelques sociétés françaises performantes à quitter rapidement le territoire.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a relevé que l'impôt prélevé en France a aussi pour contrepartie la prise en charge collective de certaines dépenses, telles la santé, ce qui n'est pas le cas dans les pays pris pour modèles par l'intervenant.

M. Giuseppe de Martino a estimé que les adhérents de l'ASIC sont le vivier de la création numérique en France, ce qui justifierait de mettre en place une fiscalité allégée, ou à tout le moins de ne pas créer des distorsions au profit d'autres pays. Il a ajouté que le projet de décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, qui crée notamment une redevance de 26 % sur le chiffre d'affaires, contrevient à la volonté de développer l'offre légale pour mieux lutter contre la contrefaçon, pourtant affirmée par la commission « Zelnik », et illustre le poids du groupe de pression des industries culturelles. Il a conclu que la France n'a aucun intérêt à « rater le train du numérique ».

M. Jean Arthuis, président, a assuré qu'il ne s'agit pas de remettre en cause l'industrie du numérique mais de garantir la pérennité du financement des services publics ainsi que l'équité et la neutralité de l'impôt de consommation.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ajouté que la démarche du Sénat s'inscrit bien dans l'économie de marché. La question d'un prélèvement sur les espaces publicitaires virtuels répond ainsi à un souci de neutralité, quel que soit le support, et relève de la régulation globale du marché de la publicité. Cette absence de distorsions est d'autant plus nécessaire dans un domaine aussi sensible que celui de l'information.

M. Giuseppe de Martino a souligné l'impact des distorsions fiscales entre Etats européens sur la localisation des activités.

M. Jean Arthuis, président, a estimé nécessaire de tirer les conséquences du développement du numérique sur la conception et le respect de la règlementation fiscale. Il s'est appuyé sur l'exemple des services publicitaires de Google, dont les co-contractants français déduisent le coût de leur bénéfice imposable, ce qui contribue à réduire l'assiette de l'impôt sur les sociétés en France au profit de celle de l'Irlande, qui pratique un « dumping » fiscal.

M. Yohan Ruso, directeur général d'eBay France, s'est déclaré très satisfait du contenu du rapport de Greenwich Consulting. Abordant en premier lieu la nature de l'activité de sa société, il a rappelé qu'eBay ne vend rien mais est une plate-forme technique de transaction mise à disposition d'acheteurs et de vendeurs, ces derniers étant de manière croissante des professionnels. La majorité des transactions concerne désormais des biens neufs, puisque les ventes aux enchères de biens d'occasion suivent une tendance décroissante et devraient à terme représenter moins de 30 % des transactions. Il a indiqué qu'eBay a également mis en place une stratégie de collaboration avec les marques et titulaires de droits pour leur permettre d'accéder à de nouveaux acheteurs. Au total, eBay est un site de référence puisqu'il compte environ 80 millions de membres dans le monde, accueille 60 milliards de dollars de transactions par an et représente la plus forte audience du commerce électronique en France avec 12 à 14 millions de visiteurs uniques par mois, soit un internaute français sur trois.

En deuxième lieu, il a exposé la contribution positive nette qu'eBay apporte aux économies nationales comme aux finances publiques. EBay fournit ainsi aux vendeurs particuliers un moyen de compenser l'érosion de leur pouvoir d'achat et de réinvestir le produit de leurs ventes dans l'économie.

En réponse à une interrogation de M. Jean Arthuis, président, sur les moyens dont dispose le site pour contrôler la conformité des vendeurs à la réglementation relative à l'exercice d'activités commerciales, il a rappelé qu'eBay s'est montré proactif dans la lutte contre le « paracommercialisme » et réalise des contrôles stricts sur les transactions, en particulier pour assurer le respect du seuil des ventes cumulées de 2 000 euros qui détermine le caractère professionnel du vendeur.

Répondant à une question de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les moyens de contrôle et de sondage dont dispose l'administration fiscale pour établir si les parties aux transactions sont des particuliers ou des professionnels, Mme Maïté Gabet a rappelé que la loi de finances rectificative pour 2008 a permis une meilleure surveillance du commerce occulte en introduisant un nouvel article L. 96 G dans le livre des procédures fiscales, qui prévoit un droit de communication de l'administration fiscale auprès des hébergeurs de plates-formes de transactions, et permet, le cas échéant, de connaître l'identité des parties.

M. Marc Wolf, sous-directeur à la direction de la législation fiscale, a ajouté que l'enjeu financier en matière de TVA est très mince, dans la mesure où les vendeurs particuliers n'exercent pas le droit à déduction.

M. Yohan Ruso a évoqué la volonté de transparence d'eBay et la faible incitation à l'illégalité que représente le seuil de 2 000 euros, susceptible d'être rapidement atteint. Il a ensuite exposé quatre types d'avantages que présente eBay pour un vendeur professionnel :

- la consolidation d'activités existantes par un complément de revenu, en particulier pour les PME non délocalisables qui constituent l'essentiel des vendeurs professionnels ;

- la création d'activités nouvelles pour les auto-entrepreneurs et micro-entreprises ;

- un vecteur d'insertion d'anciens chômeurs, qui constituent 26 % des vendeurs, ou de personnes souffrant d'un handicap ;

- enfin, l'ouverture de nouvelles perspectives sur le marché français ou des marchés étrangers, notamment américain, vers lequel exportent de nombreux artisans français. 20 % des transactions sont ainsi transfrontalières.

Il a donc estimé que les bénéfices procurés par eBay sont réels et non pas potentiels, notamment pour les recettes fiscales de TVA, qui est facturée par le vendeur, et d'impôt sur les sociétés par la création de chiffre d'affaires, ou pour l'emploi. La Poste profite également de l'essor du commerce électronique.

S'agissant de la conformité aux règles fiscales et sociales, il a indiqué que le critère déterminant pour l'établissement d'eBay au Luxembourg a été l'octroi de l'agrément bancaire par le Grand Duché à la filiale Paypal. En outre, l'établissement dans un seul Etat, plutôt que le déploiement de structures complètes dans chaque pays, est conforme aux pratiques habituelles des acteurs internationaux du commerce électronique.

En réponse à deux questions de MM. Jean Arthuis, président, et Philippe Marini, rapporteur général, M. Yohan Ruso a indiqué que le nombre de collaborateurs employés au Luxembourg pourrait être communiqué ultérieurement à la commission. Concernant le chiffre d'affaires réalisé en France, il a précisé que le site français d'eBay est géré depuis le Grand Duché, la dizaine de personnes employées en France étant principalement affectée à la représentation et à la gestion des affaires institutionnelles et légales.

Il a ensuite confirmé une observation de M. Jean Arthuis, président, sur la perception par eBay d'une commission sur le montant des transactions réalisées, qui est d'un niveau variable - de 3 % à 10 % - selon la nature des transactions.

Il a insisté sur la volonté d'eBay de respecter les règles locales de TVA, telles qu'elles sont fixées par le législateur et les responsables politiques, tout en rappelant que la société a acquitté la TVA en France de 2003 à 2007, puis au Luxembourg, à compter de son établissement dans ce pays en 2008.

M. Marc Wolf a indiqué que cette évolution était due au fait qu'eBay, société américaine, a opéré jusqu'en 2007 sous le régime de la directive sur le commerce électronique du 7 mai 2002 et a choisi le Luxembourg comme point de collecte de la TVA, qui était ensuite reversée dans les pays de consommation sur la base de leurs déclarations respectives. A compter de 2008, eBay a établi une enseigne communautaire au Luxembourg, ce qui a entraîné l'application de la règle selon laquelle la TVA est versée à cet Etat jusqu'à l'échéance de 2015 précédemment évoquée.

M. Jean Arthuis, président, a fait part de sa préférence pour le système antérieur à 2008 et de son souhait que l'échéance de 2015 puisse être avancée.

Concernant l'impôt sur les sociétés, M. Yohan Ruso a rappelé qu'eBay agit dans un contexte de concurrence fiscale choisi par les Etats européens, et a rejoint les conclusions du rapport de Greenwich Consulting sur la nécessité de conforter la compétitivité fiscale de la France.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a souligné la contribution d'eBay au financement des dépenses publiques du Luxembourg, qui possède l'un des ratios les plus élevés de fonctionnaires par rapport à son nombre d'habitants. Etablissant un rapprochement entre son modèle économique et celui des entreprises de marchés financiers, il s'est interrogé sur le contrôle de la transparence et de la sincérité de l'information fournie par les parties aux transactions et sur le degré de responsabilité d'eBay.

M. Yohan Ruso a de nouveau évoqué la contribution positive de sa société à l'emploi et aux recettes fiscales perçues en France.

M M. Jean Arthuis, président, et Philippe Marini, rapporteur général, ont considéré qu'eBay est en cela un « activateur de croissance ».

M. Yohan Ruso a indiqué que sa société met en oeuvre, au niveau mondial, des procédures et filtres permettant d'assurer que les transactions se déroulent dans l'environnement le plus sain et sécurisé possible, car tout défaut de fiabilité se traduirait en premier lieu par un fort préjudice d'image pour eBay. Depuis 2009, Paypal a ainsi mis en place une assurance qui garantit que l'acheteur en France est remboursé si la transaction se réalise mal, par exemple en cas de non-réception du produit, de non-conformité à la description du vendeur ou de fraude dans le paiement. De même, eBay a popularisé le système de notation et d'évaluation de l'acheteur.

En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président, il a indiqué que la plate-forme d'eBay ne peut être utilisée pour vendre des titres dématérialisés ou des services, et a rappelé que les activités d'eBay France se limitent à la représentation et au support juridique.

M. Olivier Esper, responsable des relations institutionnelles de Google France, a exposé le rôle de catalyseur du commerce électronique en France et de réservoir de croissance et d'emplois que joue Google, au travers d'une gamme de produits gratuits permettant aux entreprises, en particulier les plus petites, de bâtir leur présence en ligne et d'être visibles sans disposer d'un site Internet, par simple référencement sur Google Maps. Le vecteur essentiel du développement du commerce électronique demeure néanmoins la publicité en ligne et les liens sponsorisés, qui ont démocratisé l'accès des petites et moyennes entreprises à la publicité tout en leur permettant de maîtriser leur retour sur investissement, dans la mesure où l'annonceur fixe lui-même le prix qu'il compte payer pour l'accès à son site. Il a ainsi cité une étude, selon laquelle un euro d'investissement dans des liens sponsorisés permettrait de générer deux euros de chiffre d'affaires supplémentaire pour l'entreprise.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a observé que ces investissements représentent aussi une perte pour les autres supports, qui sont susceptibles d'être soutenus par les pouvoirs publics.

M. Olivier Esper a estimé que l'offre de Google, en permettant à des petits annonceurs d'accéder à la publicité, contribue à la croissance du marché. Il a ainsi mentionné plusieurs exemples d'entreprises françaises - tels Pixmania, Cdiscount ou iCasque - qui ont augmenté leur chiffre d'affaires grâce aux liens sponsorisés. Il a souligné que le commerce électronique en France se situe à une période charnière, ce qui justifie l'objectif d'améliorer la compétitivité fiscale de la France dans ce domaine. L'introduction d'une taxe sur la publicité en ligne ferait donc, à ses yeux, courir un risque.

M. Jean Arthuis, président, a remarqué que les enjeux fiscaux de l'activité de Google, essentiellement tournée vers le « business to business », sont plutôt l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la publicité que la TVA. M. Philippe Marini, rapporteur général, a ajouté que la régulation globale du marché des médias est également concernée.

M. Yoram Elkaïm, directeur juridique de Google France, a confirmé que les annonceurs français qui utilisent la plate-forme de Google facturent et auto-liquident la TVA. Il a indiqué que l'activité de la prestation publicitaire est centralisée au siège européen de Dublin, qui emploie plus de 1 500 personnes, tandis que le bureau de Paris emploie plus de 200 personnes se consacrant à la représentation de Google et à la promotion de son offre de services publicitaires. Celle-ci, eu égard aux caractéristiques des entreprises clientes, est assez largement complémentaire de celle des régies publicitaires traditionnelles.

M. Yann Gaillard a rappelé qu'il avait témoigné de son intérêt pour Google dans le cadre de son récent rapport d'information sur le livre numérique.

M. François Marc s'est dit rassuré par les perspectives d'un recouvrement de la TVA dans le pays du consommateur à partir de 2015 et la forte prépondérance de l'échelon national dans le commerce en ligne, tout en reconnaissant que la TVA sur cette activité est un enjeu financier important sur lequel la commission des finances est fondée à faire des propositions.

M. Jean Arthuis, président, a jugé qu'Internet est un « activateur » d'emplois et de volatilité, et comporte donc des risques de délocalisation auxquels il convient de prendre garde. A cet égard, il importe de consacrer, au plan européen, le principe selon lequel l'impôt de consommation est perçu dans l'Etat de résidence du consommateur. Il a également estimé que la taxe sur la publicité comme l'impôt sur les sociétés sont in fine payés par le consommateur.

M. François Marc a considéré que ce constat justifie d'accélérer la construction européenne.

M. Jean Arthuis, président, a reconnu que des marges de manoeuvre considérables existent en la matière et que la volatilité des assiettes fiscales rend les contrôles plus complexes. Il a fait état des réflexions de la direction de la législation fiscale et de l'amorce d'une coopération européenne, et a rappelé que la commission des finances n'entend pas contester le commerce électronique mais veiller à ce qu'il n'y ait pas de distorsions de concurrence. Il a fait état de la publication en ligne de l'étude de Greenwich Consulting, au sein des pages du site Internet du Sénat consacrées à l'activité de la commission.

A l'issue de cette table ronde, la commission a autorisé la publication d'un rapport d'information de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat.