Mardi 25 janvier 2011

- Présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente -

Audition de M. Leroy, recteur d'académie, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Mme Françoise Cartron, présidente. - Monsieur le recteur, nous vous recevons dans le cadre d'une mission d'information consacrée à l'organisation territoriale du système scolaire et aux expérimentations locales d'éducation. Je vous remercie d'être venu « plancher » devant nous avant de répondre à quelques questions.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Pourriez-vous retracer d'abord les missions et l'organisation du CNED ?

M. Michel Leroy, directeur général du CNED. - Merci de m'accueillir pour contribuer à votre réflexion.

Créé il y a plus de 70 ans, le CNED n'a cessé d'évoluer. Cet établissement public administratif, placé sous la tutelle conjointe de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, est encore en voie de transformation. Il accueille un public extrêmement divers, puisque sur les 220 000 inscriptions dénombrées en 2009, 40 % concernaient des élèves de l'enseignement scolaire. Pour les deux tiers, notre public est donc formé d'adultes. En effet, notre vocation couvre la formation initiale, mais aussi la formation continue et la formation professionnelle.

Base historique de l'établissement, l'enseignement scolaire s'adresse à des élèves très peu homogènes. Certains sont inscrits pour la totalité de l'enseignement. Depuis 2009, ils bénéficient d'une prestation gratuite, après avis favorable de l'inspecteur d'académie, ou du conseiller culturel pour les élèves résidant à l'étranger. D'autres ne suivent qu'un complément d'enseignement, surtout en langues vivantes. Enfin, nous assurons le soutien scolaire, intervenant cette fois dans une activité concurrentielle.

Pendant longtemps, l'enseignement à distance était synonyme de cours par correspondance. D'ailleurs, l'établissement était dénommé Centre national de télé-enseignement (CNTE) jusqu'en 1979, puis Centre national d'enseignement par correspondance avant de recevoir son appellation actuelle, en 1986. À cette occasion, M. Chevènement, alors ministre de l'éducation nationale, a nommé un recteur à la tête de l'établissement. Aujourd'hui, les nouvelles technologies facilitent la formation en ligne, notamment dans le domaine concurrentiel. Le CNED transforme en ce moment son organisation et ses outils. L'alignement corrélatif de ses tarifs a suscité des débats.

Une grande partie de notre public réside à l'étranger, notamment parmi les personnes suivant un cursus scolaire. Au demeurant, les évolutions économiques et politiques font fortement varier la proportion de nos inscrits résidant à l'extérieur du territoire national. Parmi les pays étrangers, l'Algérie vient en tête. Globalement, on peut retenir respectivement les chiffres de 40 %, 20 % et 25 % pour les inscriptions venant de l'étranger dans l'enseignement élémentaire, au collège et au lycée. Nous avons conclu des conventions avec une centaine d'établissements de par le monde.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Comment validez-vous les acquis de vos élèves ? Quelles sont les caractéristiques pédagogiques inhérentes à votre pédagogie ? Comment recrutez-vous vos enseignants ? Enfin, comment la notion d'équipe se décline-t-elle au CNED ?

M. Michel Leroy. - Pour compléter le profil de nos élèves, j'ajoute que les enfants du voyage représentent environ 40 % de nos inscrits. Pour le reste, nous accueillons aussi des sportifs et des artistes de haut niveau.

Lorsqu'il veut mesurer les acquis de ses élèves, le CNED ne peut malheureusement pas s'associer aux grandes évaluations en CM2 ou PISA, car la CNIL nous a refusé l'accès à la base « élèves ». Des discussions se poursuivent à ce propos. Nous faisons donc appel à une société qui vérifie par sondage la satisfaction des inscrits, ainsi que les résultats obtenus aux examens.

L'éloignement des élèves exige un suivi individualisé constant, mais le seul rapport qu'ils entretiennent avec nos enseignants se fait par le biais des devoirs, dont le rythme est imposé. Pour passer dans la classe supérieure, tout élève doit impérativement avoir au moins fait tous ses devoirs. Au demeurant, la correction est accompagnée d'une évaluation précise et détaillée, avec une référence aux piliers du socle commun de connaissances et de compétences. Cela nous permet de savoir si chaque inscrit atteint ses objectifs. Des élèves sont habituellement aidés par un adulte, en général un parent, mais nous assurons également un tutorat par téléphone ou par voie électronique. Bien que nous utilisions encore beaucoup le papier, les copies sont de plus en plus souvent corrigées en ligne. Nous avons aussi créé des classes virtuelles. Tout cela permet d'individualiser la prise en charge, ce qui rompt les effets de l'isolement.

Le CNED mobilise de nombreuses compétences très diverses, allant des imprimeurs aux techniciens en passant par des administratifs et des enseignants. Ces derniers relèvent de statuts variés. Ils sont souvent nommés sur des postes adaptés de longue durée, que l'on appelait autrefois « postes de réemploi ». La plupart d'entre eux souffrent de handicap, de maladie ou d'invalidité : il peut s'agir de difficultés liées à leur voix ou à la mobilité. La tâche principale des intéressés consiste à corriger des copies. Il en va de même pour leurs collègues, plus rares, nommés sur des postes adaptés de courte durée. À cette cohorte s'ajoute une centaine d'enseignants détachés, qui se consacrent principalement à l'ingénierie de la formation, à la conception et à l'élaboration des cours. Viennent enfin des enseignants mis à disposition par les académies, en nombre toujours plus réduit.

Nous avons en outre de plus en plus besoin d'ingénierie pédagogique, assurée par des ingénieurs capables d'utiliser les possibilités ouvertes par le multimédia.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Qui rémunère les enseignants ?

M. Michel Leroy. - Depuis 2007, les personnes nommées sur les postes adaptés sont rémunérées sur notre budget. Ainsi, 54 des 72 millions d'euros versés par l'éducation nationale en 2010 servent à rétribuer ces enseignants. Les enseignants mis à disposition émargent aux budgets des académies ; les autres sont payés sur nos ressources propres.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Qu'en est-il de votre liberté pédagogique?

M. Michel Leroy. - Elle est semblable à celle des enseignants en présence, reconnue par la loi. Nous sommes soumis aux mêmes inspections académiques et nous respectons les programmes, donc le socle commun, mais avec un effort particulier d'adaptation et d'imagination. Prenons un exemple : il nous est aisé d'apprécier la compétence 6 du socle, c'est-à-dire l'autonomie dans le travail, mais plus délicat de nous prononcer sur la compétence 7, qui se rapporte à l'engagement dans la vie collective...

Mme Françoise Cartron, présidente. - Disposez-vous de relais territoriaux ?

M. Michel Leroy. - À l'origine, le CNTE faisait partie de la même entité que le Centre national de documentation pédagogique. C'est pourquoi ses antennes régionales se sont développées, dans les années 60 et 70, sous l'égide des centres régionaux de documentation pédagogique (CRDP). Il s'agissait alors d'assumer des tâches logistiques extrêmement lourdes, puisque l'on imprimait 800 millions de pages par an. De surcroît, il fallait acheminer les copies par centaines de milliers et diffuser des cassettes et des disques. D'où la création de huit sites, qui existent encore.

Nous réfléchissons aujourd'hui à un nouveau maillage territorial, car les autorités politiques et les élèves souhaitent développer l'enseignement en ligne. S'ajoutent les effets du Grenelle de l'environnement : nous ambitionnons d'être un établissement exemplaire à cet égard. Nos huit sites permettent de travailler dans la proximité avec certaines universités ou d'autres établissements, mais nous sommes tenus par le schéma pluriannuel de stratégie immobilière, imposant la règle de 12 mètres carrés par agent. Enfin, nous devons prendre en compte les charges fixes et réfléchir aux synergies avec d'autres réseaux, notamment avec celui des CRDP.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Avez-vous établi des relations contractuelles avec les collectivités territoriales, spécialement avec celles accueillant vos huit sites déconcentrés ?

M. Michel Leroy. - Aucune relation spécifique n'est fondée sur la localisation d'un site. En revanche, nous avons lancé des expérimentations, notamment avec « atout CNED », un produit de soutien et d'approfondissement en ligne. Pour que les élèves en bénéficient via l'environnement numérique de travail, nous essayons de conclure des conventions avec des collectivités territoriales plutôt qu'avec des établissements. À ce jour, nous sommes en phase expérimentale. Je citerai notamment les régions Pays de Loire et Picardie, ainsi que le département de la Seine-Maritime.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Êtes-vous associés à l'élaboration des plans régionaux de développement des formations (PRDF) ?

M. Michel Leroy. - Non.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Avez-vous été sollicité pour apporter un service de soutien au sein des internats ?

D'autre part, certains élèves suivent-ils un cursus scolaire complet au CNED ?

M. Daniel Dubois. - Comment fait-on pour s'inscrire au CNED ? Faut-il une justification ?

Avez-vous une stratégie de positionnement pour le soutien scolaire via l'espace numérique de travail ? Êtes-vous libres d'agir en ce domaine ? Les collectivités territoriales peuvent-elles organiser avec vous un soutien scolaire en ligne ?

Mme Françoise Laborde. - Au Brésil, l'enseignement en ligne est très développé. J'ai constaté sur place qu'il était destiné non à des territoires isolés, mais à l'ensemble du pays. Le CNED me semble quelque peu en retard sur ce point.

M. Michel Leroy. - L'enseignement en ligne ne peut se concevoir sans les services qui l'accompagnent. Je pense notamment au tutorat, qu'il soit téléphonique ou électronique. Ce style de pédagogie convient mieux aux adultes qu'à des enfants.

L'enseignement à distance a longtemps été considéré comme une modalité pédagogique par défaut, destinée aux élèves empêchés.

La Corée est aujourd'hui en tête pour les évaluations PISA. Or, l'enseignement à distance y fait partie de la pratique pédagogique ordinaire. Cette évolution tend à faire éclater les limites spatiales et temporelles de l'école. Elle bouleverse l'organisation pédagogique en mettant fin à l'unité de lieu, de temps et d'action constituée par la classe présentielle. Le Brésil et l'Inde utilisent massivement l'enseignement à distance, mais ces pays privilégient actuellement des cours filmés. Les outils interactifs utilisés en Corée nécessitent, eux, une véritable réflexion pédagogique. Avant d'intégrer l'enseignement en ligne dans leur pédagogie habituelle, nos enseignants doivent impérativement acquérir les compétences correspondantes.

Pour en revenir au CNED, il est difficile de savoir combien d'élèves sont suivis en moyenne par chaque tuteur, mais le temps consacré à la correction de devoirs est strictement encadré.

En matière d'internat, nous intervenons sur un marché où le secteur privé fait preuve d'un très grand dynamisme commercial. Nous disposons d'outils comme « atout CNED », mais ils sont rarement utilisés, a fortiori dans le domaine périscolaire.

J'ignore combien d'élèves suivent un cursus scolaire complet ; notre public est globalement volatil par nature. Des inspecteurs d'académie donnent leur accord pour les élèves malades et les sportifs ou artistes de haut niveau. En outre, certaines familles décident de s'appuyer sur les cours du CNED, une situation marginale qui tend à se développer.

Inévitablement, nos élèves doivent être autonomes ou très bien encadrés par leurs familles. Nous connaissons des exemples illustres d'anciens ayant suivi au CNED un cursus complet du CP à la terminale, mais je ne peux vous communiquer de nom...

Les modalités d'inscription sont variables selon les cas.

Comme je l'ai déjà dit, l'avis positif de l'inspecteur d'académie s'appuie sur un bon motif et assure la gratuité de l'enseignement à distance. On peut également suivre un cursus payant. Lorsque l'enseignement à distance concerne une discipline qui fait défaut dans l'établissement fréquenté, notamment lorsqu'il s'agit de langue, l'élève est ordinairement inscrit par l'établissement, qui paye la prestation, sauf en cas d'option secondaire. Il est d'autre part loisible aux intéressés de payer des cours à la carte pour améliorer leur compétence dans telle ou telle discipline. Enfin, on peut s'abonner à un cours de soutien comme « atout CNED » pour un trimestre ou pour un an, avec ou sans tutorat. À ce propos, rien n'empêche d'imaginer une intervention des collectivités territoriales en matière de services marchands relevant du secteur concurrentiel.

M. Daniel Dubois. - Allez-vous commercialiser des logiciels pédagogiques ?

Comment voyez-vous l'avenir du numérique dans ce domaine ?

M. Michel Leroy. - Nous avons conclu un partenariat avec Maxicours, pour élaborer un produit dénommé « maxiCNED », diffusé dans certaines collectivités territoriales.

Il convient de distinguer deux aspects : le choix politique de la tutelle et nos initiatives.

Le 26 novembre 2010, notre ministre de tutelle a annoncé un plan de développement des usages numériques à l'école. À cette occasion, il a cité le CNED pour la mise à disposition de ressources pédagogiques. Il y a deux jours, le ministre a dit vouloir recourir au CNED pour que les élèves puissent découvrir de nouvelles modalités d'apprentissage de la langue anglaise. L'académie en ligne existe depuis que M. Darcos l'a instituée en 2009. Le CNED a été sollicité pour mettre en ligne l'ensemble de ses cours, du CP à la terminale, initialement sous forme de fichiers PDF, puis en introduisant des modalités interactives. Tout cela dans le cadre de notre mission de service public.

Dans le secteur concurrentiel du soutien scolaire ou périscolaire, nous sommes libres d'agir à notre guise, sous réserve de passer par des appels d'offres. Pour l'instant, nous en sommes plutôt au stade des expérimentations, mais l'intérêt de groupes comme SFR ou Orange pour nos produits n'a rien de secret, puisque les besoins de ressources pédagogiques ne sont pas satisfaits, alors que les réseaux de communication existent. Je souligne que les environnements numériques de travail ne sont pas interopérables.

La Corée du Sud dispose en ce domaine d'une grande antériorité, avec des équipements diffusés sur tout le territoire. Ce pays est en tête aussi pour les évaluations. Il est à la pointe, qu'il s'agisse des ressources ou des réseaux, tel le « Web 2.0 » qui permet une relation entre élèves et enseignants.

Nous savons quel est le cap ; nous avons les compétences pour l'atteindre ainsi que le soutien de notre ministre de tutelle ; il faut maintenant trouver les voies pour que ce projet puisse prendre forme dans un paysage complexe.

M. Claude Bérit-Débat. - Les enfants des gens du voyage, qui sont un des publics du CNED, représentent 40 % de vos effectifs au collège. Qu'en est-il à l'école élémentaire ?

Ensuite, permettez-moi de vous faire part de mes difficultés en tant que président d'une communauté d'agglomération et maire d'une commune. Nous avons lourdement investi dans un schéma d'accueil des gens du voyage : nous avons construit cinq aires d'accueil et deux aires de grand passage. Accueillir, c'est aussi accompagner. Or il y a deux ans, les familles ont déserté nos écoles en faisant valoir que leurs enfants étaient inscrits au CNED. Nous disposions de trois classes dédiées à ces élèves dans ma communauté d'agglomération, dont une classe de 45 élèves dans ma commune. Avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a durement frappé l'éducation nationale avec 16 000 postes supprimés cette année encore, deux de ces classes vont disparaître. J'en suis navré car l'intégration passe par l'école. L'enseignement à distance ne va-t-il pas accentuer la ghettoïsation ? Quels sont les résultats obtenus par ces élèves au collège et à l'école primaire ?

M. Yannick Bodin. - La majorité des élèves du CNED sont à l'étranger : s'agit-il d'élèves étrangers ou de Français de l'étranger ? Ces dernières années, comment ont évolué ces effectifs ? Ensuite, menez-vous une politique de promotion de l'enseignement français à l'étranger ? Quelles sont vos relations avec les institutions de la francophonie ? Enfin, quelle place doit occuper, selon vous, l'enseignement à distance dans la formation des enseignants ? Dans l'hypothèse où vous mettriez en place des modules de formation, qui en aura la charge ? Et quels seront vos interlocuteurs ?

M. Michel Leroy. - Les enfants des gens du voyage représentent 40 % de nos inscrits au collège, soit plus de 10 000 élèves. Ils sont scolarisés au CNED, non par nos soins, mais par les inspecteurs d'académie et les associations via des conventions. Le CNED offre les outils pour assurer la continuité de l'enseignement et le suivi du cursus de ces élèves itinérants ainsi que la possibilité d'accéder à ses cours et à ses devoirs. Dans la mesure du possible, ceux-ci sont également scolarisés dans les écoles. A ma connaissance, de tels accords n'existent pas pour les élèves du premier degré. Au reste, la scolarisation précoce est rare dans ces familles. Dans la plupart des cas, les enfants suivent, tant bien que mal, la totalité du cursus du collège et vont rarement au-delà. Bref, le CNED travaille dans une logique de complémentarité avec l'école, non de substitution. Les résultats ? Sans les connaître précisément, disons que ces élèves présentent les mêmes difficultés qu'à l'école, leurs familles hélas ne plaçant pas l'éducation au coeur de leurs priorités.

Les élèves du CNED à l'étranger représentent 40 % de nos inscrits au premier degré, 25 % au collège. Pour l'élémentaire, leur nombre se réduit. Les fluctuations sont liées à des événements politiques -entre autres, la politique d'arabisation de l'Algérie ou les événements en Côte-d'Ivoire- ou à la présence d'une forte communauté d'expatriés -je pense à la Grande-Bretagne. Au total, les élèves à étranger représentent 11,6 % de nos effectifs globaux, qui étaient de plus de 200 000 inscrits en 2010. En grande majorité, ils sont issus de familles françaises, pour des raisons qui tiennent à l'éloignement de structures françaises d'enseignement ou à la volonté de renforcer l'acquisition de la langue française.

Le CNED participe au rayonnement de l'enseignement français à l'étranger, dont il est le troisième opérateur reconnu le ministère des affaires étrangères et européennes. Nous sommes avons signé une convention avec le directeur général de la mondialisation en novembre dernier ; l'an passé, nous avons également renouvelé notre convention avec l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et passé un premier accord avec la Mission laïque française. Le Quai d'Orsay marque son intérêt pour le label CNED et, surtout, pour l'Académie en ligne. Malheureusement, l'utilisation de cette dernière à titre public et collectif est interdite, en raison de problèmes de droits -une question épineuse et coûteuse pour le CNED.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Une dernière question : quels sont les tarifs pratiqués par le CNED pour les familles qui s'inscrivent librement ?

M. Michel Leroy. - Ils varient selon le statut et le niveau. Outre la gratuité, il existe un système de redevance d'environ 200 euros par an pour les élèves âgés de plus de 16 qui poursuivent leur cursus jusqu'à 25 ans en BTS et dans les classes préparatoires, et un forfait de 600 à 800 euros pour une inscription complète au lycée. Ces coûts sont infiniment moindres que ceux des lycées français à l'étranger.

Audition de MM. Éric de Labarre, Yann Diraison et Fernand Girard, responsables de l'enseignement catholique

M. Eric de Labarre, secrétaire général. - « Redécouvrir le sens de la relation contractuelle entre un établissement privé et la puissance publique », estime le Secrétariat général de l'enseignement catholique dans un texte qu'il publiera bientôt, « pour que le contrat ne soit pas seulement un cadre vide donnant accès à des fonds publics ou, pire encore, un acte-condition qui donnerait tout juste le droit de se conformer à ce que l'une des parties exige de l'autre est sans doute un beau défi à relever tant par les pouvoirs publics que par l'enseignement catholique. A vrai dire, c'est probablement un enjeu qui dépasse le seul enseignement catholique puisqu'il s'agit de refonder l'organisation du système éducatif sur le couple liberté et responsabilité ; liberté fondée sur la confiance dans les équipes éducatives des établissements scolaires, responsabilité qui postule la définition d'objectifs à atteindre et l'évaluation régulière du travail réalisé. » La loi Debré de 1959, dans le cadre duquel travaille l'enseignement privé sous contrat, recèle des richesses inexploitées. Elle n'est pas seulement une loi de financement des établissements privés en contrepartie du contrôle de l'État. Pour remplir cet objectif, il aurait suffi de prolonger les circuits de financement mis en place avec les lois Marie et Barangé de 1951. La loi Debré met en exergue le contrat d'association, qui peut s'appliquer à toutes les classes, depuis la maternelle jusqu'à Bac+2.

Choisir le contrat, c'est faire reposer la relation entre établissements privés et éducation nationale sur des droits et des obligations réciproques. Les établissements privés doivent accueillir tous les élèves sans opérer de discriminations économiques, politiques ou religieuses et s'engager à respecter les programmes de l'enseignement public. De leur côté, les pouvoirs publics financent les établissements privés sous contrat afin d'assurer « la gratuité de l'acte d'enseignement ». Cela se traduit par des dotations en enseignants qui obéissent à la coutume du 80/20, étant entendu que celle-ci est difficile à mettre en oeuvre en raison de structures très différentes de l'emploi dans les enseignements public et privé sous contrat. Les dépenses de fonctionnement sont, elles, financées via des « forfaits » versés par l'État pour les collèges et les lycées, et par les collectivités territoriales pour le reste. La règle des crédits limitatifs, qui est contraire au principe de la satisfaction du besoin scolaire inscrit dans la loi, nous oblige toutefois à refuser des élèves dans certaines régions. Autre limite, les plans de formation élaborés aux niveaux académique et régional. L'État exerce un contrôle, en reconnaissant à l'établissement privé son caractère spécifique, « son caractère propre » pour reprendre les termes de la loi. Par parenthèse, ce dernier peut prendre une forme purement pédagogique, dégagée de toutes considérations confessionnelles. Ce contrôle porte sur le respect des programmes et du quantum d'heures par discipline, non sur la méthode pédagogique. Celle-ci relève de la responsabilité de l'enseignant et du chef d'établissement. A l'inspecteur d'académie de vérifier, ensuite, la qualité de l'enseignement assuré par chaque enseignant. Du reste, des dérogations sont possibles : prévues dans la loi Debré, elles ont été élargies avec la reconnaissance du droit à l'expérimentation pédagogique à l'article 34 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école de 2005.

Quelles sont nos relations avec les rectorats ? Dans l'ensemble, elles sont plutôt bonnes. Nous observons néanmoins une tentation quotidienne d'administrer directement les établissements privés, de gommer les spécificités des établissements privés. Celle-ci se manifeste par la tentation d'uniformiser les modes pédagogiques, d'imposer des tailles de classe quand leur adaptation aux besoins des élèves paraît souhaitable, par le refus d'ouvrir une section -tantôt parce qu'elle n'existe pas dans l'enseignement public tantôt parce qu'elle existe déjà dans l'enseignement public...- ou encore par des pressions afin que nous fermions des divisions. Les moyens sont contingentés pour tous, ce que nous comprenons parfaitement ; mais n'existe-t-il pas d'autres solutions qui ne passeraient pas par une réduction de l'offre de formation ? En outre, nous regrettons d'être peu associés aux projets et appels d'offre lancés par l'État. Si le Secrétariat général de l'enseignement catholique n'avait pas recensé des besoins de places en internat d'excellence, jamais nos établissements n'auraient été contactés. De la même manière, nous sommes assez peu consultés sur l'élaboration des plans de formation et, donc, des ouvertures de sections.

Quel est le rôle du Secrétariat général de l'enseignement catholique ? Cette structure légère, qui compte une quarantaine de personnes, est une simple tête de réseau, un réseau exclusivement construit sur le principe associatif. Nous n'entretenons aucune relation hiérarchique avec les établissements, non plus qu'avec les responsables départementaux ou académiques de l'enseignement privé et catholique. Nous avons un rôle de représentation, un rôle d'impulsion et, à la marge, de régulation des relations et des intérêts. Pour ce faire, quels sont nos moyens ? La maîtrise du schéma d'emploi d'enseignants, ce qui permet une répartition inter-académique des moyens ; l'élaboration de statuts pour les personnels-clés de l'enseignement catholique -les chefs d'établissement, les personnels de direction diocésaine, les psychologues ; la définition des axes de politique éducative -l'incitation à l'inventivité, à l'expérimentation et à la prise de responsabilité. Dans trois à quatre semaines, nous appellerons d'ailleurs nos responsables à se lancer dans les explorations éducatives.

Quid des communautés éducatives ? Dans nos établissements, elles sont construites sur le mode de la cogestion avec tous les acteurs : chef d'établissement, enseignants, personnels d'administration et de service, gestionnaires, parents et élèves. Leur logique est celle de la participation, non de la représentation des intérêts, afin d'éviter que les tensions, qui existent dans toute organisation humaine, ne deviennent un facteur de blocage. Un exemple concret : aborder la question de la participation des lycéens en termes de droits et de devoirs génère immédiatement des peurs chez les enseignants. Pour favoriser la prise de responsabilité des lycées, mieux vaut, selon nous, demander aux enseignants d'aider les lycéens à devenir de véritables citoyens dans l'école et dans la classe. La communauté éducative est également organisée autour d'une instance appelée le conseil d'établissement. Celui-ci, à la différence d'un conseil d'administration, est strictement consultatif. Il réunit autour du chef d'établissement tous les représentants des partenaires de la communauté éducative. On y traite de toutes les questions, qu'elles soient économiques, pédagogiques, éducatives ou liées à la sécurité dans l'établissement. La place du chef d'établissement est centrale dans l'organisation de notre système. Véritable animateur, il assume la responsabilité économique : la gestion des ressources humaines et, notamment, le recrutement des personnels de droit privé et des enseignants qui ne peuvent enseigner sans son accord ; et la responsabilité éducative. Un mot des parents. Pour nous, ils ne représentent pas un groupe d'intérêts qui défendraient leurs chers bambins. Individuellement, nous les considérons comme des partenaires de l'acte éducatif, dans le respect du rôle de chacun ; il n'y a pas de séparation entre l'école et la famille, de notre point de vue. Collectivement, ils sont associés au projet éducatif de l'établissement dans tous les domaines, y compris pédagogique pourvu qu'il ne s'agisse pas d'une relation entre un parent et un enseignant mais d'une réflexion d'ensemble. Ce mode de fonctionnement garantit l'harmonie et le dynamisme de nos établissements.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Vous avez évoqué des difficultés dans vos relations avec le rectorat : comment passer de la concurrence entre privé et public à la complémentarité ? La communauté éducative ne devrait-elle pas compter d'autres partenaires ?

M. Yannick Bodin. - Monsieur le rapporteur, évitons de rouvrir de vieux débats sur le « grand service public unifié de l'éducation nationale » dont je fus partisan en 1983... A quel âge accueillez-vous les enfants en maternelle, compte tenu des moyens qui vous sont alloués ? La liberté pédagogique est également une revendication syndicale des professeurs et des établissements publics. En revanche, ceux-ci, contrairement à vous, ont l'obligation d'accueillir un élève de leur secteur et n'ont pas la faculté de renvoyer un élève à cause de ses résultats scolaires. Ancien responsable des lycées à la région Île-de-France entre 1998 et 2004, j'aimerais savoir quel bilan vous tirez des vingt-cinq années de décentralisation ? Vous a-t-elle été bénéfique ? Peut-être l'aveuglement m'empêche-t-il de répondre à cette question car je suis en voie de béatification pour avoir décidé la gratuité des manuels dans toute la région, y compris dans vos établissements.

M. Eric de Labarre, secrétaire général. - Monsieur Carle, j'ai pris soin de parler d'une logique administrative d'uniformisation, laquelle fonctionne parfois en dépit de la volonté de ceux qui la mettent en oeuvre... Le mouvement ne me semble pas dirigé spécifiquement contre l'enseignement catholique privé. L'enseignement privé associé appartient au service public de l'éducation, au même titre que l'enseignement public. Je souhaite, comme vous, que la situation que nous connaissons depuis quelque 120 ans, qualifiée de guerre scolaire, prenne fin. Une des solutions, pour y parvenir, est de rapprocher les modes de gestion, de fonder sur l'autonomie des établissements l'organisation générale du système éducatif. Ce dernier devrait compter trois niveaux de responsabilité clairement identifiés : le niveau national et politique, garant de la cohérence du système et de la détermination des objectifs, des programmes, des qualifications nécessaires pour enseigner et des modalités de validation des apprentissages ; le niveau académique et stratégique, chargé du suivi et de l'accompagnement des établissements, de leurs projets et des conventions avec les établissements impliquant l'État, les collectivités territoriales et les tiers acteurs que sont les branches professionnelles et les chambres consulaires ; enfin, le niveau local, le plus essentiel, celui des établissements, qui se construirait sur un projet éducatif piloté par un chef d'établissement. Nous pourrions ainsi gommer les différences de fonctionnement entre établissements publics et privés pour servir, ensemble, l'intérêt général.

S'agissant des acteurs de la communauté éducative, nous ne pensons pas que les collectivités territoriales et le monde professionnel en soient membres ; en revanche, ils en sont des partenaires. Dans nos établissements, l'ouverture sur le monde passe par la présence des parents d'élèves et des gestionnaires. Nos établissements étant pour la quasi-totalité des associations de loi 1901, ce sont souvent des bénévoles qui nous permettent d'équilibrer nos comptes en fin d'exercice.

Si la concurrence n'est pas souhaitable, l'émulation entre les établissements privés et publics et entre les établissements privés me semble l'être. Quant à la complémentarité, elle suscite ma réserve : l'enseignement catholique privé doit participer aux efforts d'une meilleure gestion de deniers publics, mais sa contribution au service public de l'éducation n'a de sens que si nous préservons notre spécificité. Une complémentarité stricte de l'offre de formation ne porterait-elle pas atteinte au principe du libre choix de l'école par la famille ?

Monsieur Bodin, le financement des classes de maternelle est conditionné à l'accord de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), doté de la compétence scolaire. En revanche, les communes ont pour obligation de financer les classes élémentaires, si elles sont sous contrat d'association, dans le cadre du forfait communal. Les postes d'enseignants dédiés à l'accueil des moins de trois ans se réduisant, nous scolarisons de moins en moins ces enfants. Nous avons suivi cette politique décidée par l'éducation nationale.

Concernant l'inscription, les établissements doivent accueillir tous les élèves sans distinction. Cela dit, lors de la rencontre entre le chef d'établissement et la famille ou l'élève, il peut être constaté qu'un travail en commun est impossible et que l'établissement ne répond pas aux attentes des parents. Le choix des élèves par les établissements est une question marginale : nos capacités de formation excèdent les besoins, sauf en Île-de-France, dans les grandes métropoles régionales et dans l'arc méditerranéen. D'où la nécessité de redéployer les moyens entre les territoires.

L'exclusion d'un élève, quant à elle, est décidée à l'issue d'une procédure disciplinaire qui respecte les droits de la défense. Nos textes prévoient un conseil de discipline, ce qui ne signifie pas que tous les établissements les appliquent. De plus, nous demandons à nos chefs d'établissement de ne jamais laisser les enfants à la porte de l'école. L'exclusion, qui doit rester une possibilité car elle représente une sanction symbolique, peut avoir une portée éducative à condition d'être accompagnée : dans de nombreux lieux, il existe des relations entre chefs d'établissements privés et publics pour reclasser les élèves expulsés, d'où qu'ils viennent.

Le bilan de la décentralisation est mitigé. Compte tenu de la légèreté de nos structures locales, la gestion des relations avec les collectivités territoriales et les académies est un défi. Nous n'avons pas les instruments pour être un interlocuteur crédible.

M. Fernand Girard, délégué général du département des relations politiques et internationales. - L'Île-de-France a été exemplaire : il y a eu une concertation, un plan d'action, avec des places offertes à l'apprentissage et des ouvertures dans les zones sensibles, des aides. Sur le reste du territoire, hélas, la coopération avec les collectivités territoriales se limite à ce qu'impose la décentralisation. La discussion sur le montant des forfaits pour les personnels techniciens, ouvriers et de services, et le matériel est parfois difficile. La décentralisation n'efface pourtant pas les lois nationales ! Très peu de régions ont mis en place des conventions d'objectifs et de moyens.

Quel est le rôle du président de région, par rapport à celui du recteur ? Entre déconcentration et décentralisation, les choses ne sont pas claires. Les régions, responsables des schémas de formation, sont dans une relation de subsidiarité au rectorat. En matière d'informatique, de numérisation, le rectorat et la région ne travaillent pas ensemble : aux établissements de se débrouiller... Il faut clarifier les compétences. Nous sommes à mi-chemin entre politique nationale et stratégies régionales. Nos établissements sont encore tenus à l'écart des appels d'offre du rectorat. Il reste beaucoup à faire.

Le projet d'établissement est au coeur des principes d'organisation consacrés par la loi Jospin. Le chef d'établissement est responsable de sa conception, de sa présentation devant le conseil d'administration et de sa mise en oeuvre. Le projet est à la fois la politique d'un établissement et sa gouvernance ; c'est ce qui fait la différence entre établissements. Le système éducatif meurt de ne pas savoir faire vivre les différences, la différence citoyenne. Trop d'uniformité nuit à l'égalité. Le projet d'établissement reste un instrument interne ; il faut un lien avec la stratégie rectorale.

La liberté pédagogique de l'enseignant est entière : il est expert de la transmission du savoir, mais s'inscrit dans une communauté, une équipe. Nous avons développé les fonctions intermédiaires - un enseignant peut être responsable de secteur, de filière, du partenariat avec les entreprises, des relations internationales - pour encourager une gouvernance équilibrée et une dynamique d'ensemble.

Nos expérimentations s'inscrivent dans le cadre de la personnalisation de l'enseignement et des parcours de formation, avec par exemple « L'école de toutes les intelligences ». Nous développons l'apprentissage, du certificat d'aptitude professionnelle au master ; là où les régions nous ont accompagnés, les résultats sont sensibles. Il faut moderniser l'image de l'apprentissage, qui ne doit pas être réservé aux élèves en échec !

En matière d'orientation, notre comité national a voté un texte visant à développer des équipes au niveau académique, départemental et dans les établissements. Il s'agit de dynamiser la présentation et la découverte des métiers et des formations.

En matière d'enseignement spécialisé, nos lycées ont accueilli 9 % d'élèves handicapés de plus d'une année sur l'autre. Nous avons beaucoup fait pour intégrer des élèves handicapés dans nos lycées professionnels. Nous expérimentons l'accueil d'élèves autistes en maternelle, en lien avec l'hôpital Robert Debré. Nous développons également les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), ainsi que le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (DIMA).

Pour renforcer le lien entre lycée et enseignement supérieur, nous proposons un parcours intégré, de bac - 3 à bac + 3. Le bac + 2 est une exception française ; grâce aux crédits européens, nous pouvons aller jusqu'à bac + 3. L'enseignement supérieur concerne cinq cents lycées et 55 000 élèves.

Nous développons les relations avec le monde économique. La place des entreprises dans nos lycées professionnels est importante et reconnue ; elles contribuent à définir les objectifs de formation, la pédagogie. Je regrette que les lycées professionnels privés aient été oubliés lors de la constitution des pôles de compétitivité...

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Pas chez moi !

M. Fernand Girard. - Je m'en réjouis.

Dans les « écoles de production », qui accueillent les élèves en grande difficulté scolaire, l'enseignement est pour un tiers théorique, pratique pour les deux tiers. Enfin, l'organisme « Au service de la profession », qui travaille avec les entreprises, a développé mille projets, financés par la taxe d'apprentissage, pour des projets d'entreprise.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Comment les proviseurs recrutent-ils les enseignants ?

M. Yann Diraison, délégué général du département des ressources humaines. - Gestion interne et gestion de l'administration se croisent. En bout de chaîne, c'est le recteur qui nomme les enseignants, mais il lui faut l'accord formel du chef d'établissement. Les nominations sont prétraitées par une commission de l'emploi, qui est paritaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - À quel niveau se font les nominations ?

M Yann Diraison. - Au niveau académique pour le second degré, au niveau départemental pour le premier degré, sachant que ce dernier tend à être géré également au niveau de l'académie.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Comment mesure-t-on l'adhésion de l'enseignant au projet d'établissement ?

M Yann Diraison. - Le chef d'établissement reçoit systématiquement le candidat qui lui est proposé : c'est lors de ce dialogue que se noue un contrat moral autour du projet d'établissement.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Qui propose le candidat ?

M Yann Diraison. - La commission de l'emploi étudie les demandes de mutations, par exemple pour impératifs familiaux, sachant qu'il n'y a pas de système de points comme dans le public.

Audition de M. Pierre-Laurent Simoni, adjoint au directeur des affaires financières du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

M. Pierre-Laurent Simoni, adjoint au directeur des affaires financières du ministère de l'éducation nationale. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser le directeur des affaires financières, qui est retenu mais se tient à votre disposition si vous souhaitez l'entendre. Je suis pour ma part adjoint au directeur des affaires financières depuis octobre 2010, après avoir été adjoint au directeur général de l'enseignement scolaire.

Depuis le 1er janvier 2006, le responsable de programme, chargé d'assurer la meilleure performance possible de la dépense publique, est seul maître de l'utilisation des moyens, crédits et emplois, qui lui sont alloués. La direction des affaires financières garantit la soutenabilité des projets des responsables de programme, pour l'année en cours ainsi que pour les exercices ultérieurs qui seront impactés par les décisions prises. Elle veille à la régularité de la dépense et sécurise l'information transmise à la direction du budget et au Parlement. Son rôle est toutefois délicat car la direction des affaires financières est elle-même responsable de programmes, dont celui de l'enseignement privé : les périmètres se recoupent, mais nous essayons de donner un maximum de liberté aux responsables de programme dans l'utilisation des crédits, tout en garantissant le respect des plafonds d'emplois.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - La Cour des comptes a souligné la difficulté du ministère à évaluer le coût des dispositifs dont les modalités pratiques de mise en place sont définies par rapport à « l'euro éducatif ». Partagez-vous ce constat ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - La Cour des comptes a longtemps reproché au ministère de chiffrer ses dispositifs en « heures d'enseignement », plutôt qu'en unité de compte financière.

Sur le plan de la gestion du système éducatif, nous sommes capables de rendre compte aux citoyens du coût de nos politiques. Nous n'utiliserions pas une unité de pilotage au détriment d'une unité financière si les deux ne garantissaient pas le respect de l'autorisation parlementaire. L'ensemble du système éducatif utilise l'heure d'enseignement comme unité de compte, qu'il s'agisse des obligations d'enseignement des professeurs, des grilles hebdomadaires, du cycle de l'enseignement professionnel sur trois ans, des moyens alloués aux académies et aux établissements, et enfin de l'emploi du temps des élèves.

Les recteurs ne se désintéressent pas pour autant de la gestion de la masse salariale, surtout depuis que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) impose un diagnostic précis, qui est au coeur de notre gestion.

Les chefs d'établissement ne maîtrisent pas leur masse salariale : ce ne sont pas eux qui recrutent les enseignants ou qui décident de leur rémunération. La masse salariale varie considérablement selon les régions et les zones. Ainsi, dans les établissements de centre-ville, où les agrégés sont surreprésentés, une heure d'enseignement coûte plus cher qu'ailleurs ! Raisonner par heure d'enseignement facilite les comparaisons.

Il faut recomposer les coûts par dispositif a posteriori, ce qui a été rendu difficile faute de système d'information et de données. Prenons l'exemple du soutien scolaire dans le primaire, qui représente deux heures par enseignant, mais ne tient pas compte du temps consacré à la différenciation pédagogique. Tant qu'il n'y aura pas de comptabilisation financière, il sera difficile de quantifier la politique éducative de lutte contre l'échec scolaire.

S'agissant de l'éducation prioritaire, nous avons un projet de refonte du système d'information des ressources humaines : nous pourrons croiser la rémunération des enseignants, les affectations, la valorisation des services, les remplacements. Nous disposerons ainsi d'axes d'analyse plus détaillés, qu'il faudra définir.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Difficile d'y voir clair dans un tel maquis. Sur 60 milliards d'euros, une variation d'1 % n'est pas anodine ! Pourquoi les établissements n'utilisent-ils pas la notion d' « euro éducatif » ? Imagine-t-on que dans une entreprise, ceux qui sont au plus près du client ne connaissent pas le prix du produit qu'ils vendent ? N'est-ce pas un frein à l'autonomie des établissements ?

M. Daniel Dubois. - J'ai lu que l'administration centrale et les académies n'étaient pas d'accord sur le nombre effectif de fonctionnaires en poste. Est-ce vrai ? Si oui, comment est-ce possible ?

La LOLF avait pour objectifs la lisibilité, l'efficacité, la transparence. Je n'ai pas tout compris à votre exposé. Pourtant, je m'intéresse à la question ! Comment créer des communautés éducatives sur le terrain tant que la complexité est telle ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - Il faut en effet rendre le budget de l'éducation nationale plus lisible. La décomposition en actions ne répond qu'imparfaitement aux souhaits de la représentation nationale. Le découpage des programmes se fait à la fois par niveau d'enseignement et par politique éducative ; ce choix, qui répondait à des impératifs techniques, ne favorise pas la lisibilité. Il y a là un travail à mener.

Le principal facteur de coût est l'offre de formation. Comment mettre en place une offre satisfaisante, qu'il s'agisse d'accueil géographique, des parcours scolaires, de la poursuite dans l'enseignement supérieur, de l'insertion professionnelle ? De là découlent nos discussions avec les élus locaux sur la fermeture de tel ou tel établissement. L'utilisation de données financières serait pertinente pour démontrer aux élus le coût que représente, pour les collectivités et pour l'État, le maintien d'une offre qui n'est pas toujours de qualité.

Dans les mois à venir, nous allons produire un nouveau cadre budgétaire et comptable des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), en adéquation avec les principes de la LOLF. Plusieurs ministres se sont engagés devant le Sénat à valoriser la masse salariale des établissements scolaires. Cela n'a pas encore été fait pour des raisons techniques, mais les travaux se poursuivent. Il faut réfléchir collectivement à la description du budget de l'éducation nationale, en faisant converger les contraintes.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Selon la Cour des comptes, l'éducation nationale dispose de moyens satisfaisants, mais le primaire serait sous-financé par rapport à d'autres pays. Pourrions-nous avoir une évaluation précise ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - La dépense intérieure d'éducation agrège l'ensemble des financements : éducation nationale, autres ministères, collectivités territoriales, caisses d'allocations familiales, familles. En la divisant par le nombre d'élèves, on chiffre la dépense intérieure par niveau. Si le primaire apparaît sous-financé par rapport au secondaire, c'est qu'il y a un enseignant pour vingt-cinq élèves, contre un pour douze dans le secondaire. Le coût de la masse salariale est doublé !

Mme Françoise Cartron, présidente. - Mais pourquoi une telle différence avec les autres pays ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - Les situations ne sont pas uniformes. Chez nos voisins, le taux d'encadrement est souvent supérieur, l'organisation, plus modulable, ne se fait pas par classes, le travail se fait en équipe, en fonction des compétences de chacun. En France, peu d'enseignants du primaire ont fait des études scientifiques, d'où un enseignement des matières scientifiques parfois de faible qualité. Certains pays rémunèrent mieux les enseignants du primaire que ceux du secondaire au motif qu'ils maîtrisent un panel de compétences plus large. En France, c'est l'inverse : plus un enseignant est qualifié, moins il travaille et plus il est payé !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - La masse salariale figure-t-elle dans le budget soumis au conseil d'administration de l'EPLE ? Comment sensibiliser et responsabiliser les acteurs, quand 60 % de la masse budgétaire globale n'est pas connu, et ne fait pas l'objet d'un vote ? Le Sénat avait proposé de faire des EPLE pour le primaire, mais l'Assemblée nationale a supprimé cette mesure en catimini... Le problème n'est-il pas plus politique qu'administratif !

M. Pierre-Laurent Simoni. - La question relève en effet du politique. Il est difficile d'imaginer que le conseil d'administration vote sur la masse salariale tant que l'établissement ne recrute pas ses enseignants, mais il pourrait être informé. Certains recteurs et inspecteurs d'académie communiquent un ordre de grandeur. C'est une information importante pour la communauté scolaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - La masse salariale apparaît dans le budget de l'enseignement privé. Si l'on veut l'autonomie des établissements, il faut connaître leur budget !

M. Pierre-Laurent Simoni. - Depuis la réforme des universités, qui leur a confié des compétences élargies, le financement du glissement vieillesse-technicité est devenu un sujet politique. Mais peut-on étendre la démarche d'autonomisation aux neuf mille EPLE ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Nous pourrions l'expérimenter.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Ce serait mettre en lumière des inégalités considérables : les lycées les plus recherchés ont les enseignants les plus diplômés et les plus anciens, et donc les plus chers.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - À force de se cacher derrière son petit doigt, on n'aura plus rien à cacher !

M. Daniel Dubois. - Est-il vrai que les académies ne connaissent pas le nombre de leurs personnels ?

La LOLF est censée faciliter l'évaluation de la dépense publique, or je me bats auprès du recteur et de l'inspecteur d'académie pour obtenir les résultats des évaluations en CM2, ou connaître du moins la tendance qui s'en dégage. Mon territoire a investi 10 millions d'euros pour des écoles modernes, les élus sont engagés de la parentalité à la troisième, mais nous ne sommes pas traités comme des partenaires ! Comment voulez-vous que les collectivités territoriales investissent davantage si l'éducation nationale reste aussi fermée ? (Mme Françoise Cartron approuve). Quand connaîtrons-nous les résultats des actions engagées ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - L'évaluation en CM2 a fait l'objet de débats avec les syndicats, certains y voyant les prémices de la libéralisation du marché du primaire, voire de la privatisation de l'école... Le format de l'information diffusée a été volontairement normé. Il fallait faire rentrer ces évaluations dans le paysage scolaire. J'espère que c'est désormais acquis. Pour permettre des logiques plus territoriales, il faudrait pouvoir informer le maire au moins de la tendance que révèlent les évaluations dans son école, qui est représentative de la qualité du travail des équipes enseignantes. Les choses se feront naturellement quand la polémique sera apaisée.

Les collectivités territoriales ont longtemps été considérées comme de simples financeurs. Pourtant, on ne peut nier leur investissement dans les politiques éducatives. Le déploiement des tableaux blancs interactifs, par exemple, amorce une relation plus partenariale. La mise en place de l'accompagnement éducatif a été douloureuse faute de partenariat entre les collectivités territoriales et l'éducation nationale. Outre gaspiller l'argent public, on envoie de mauvais signaux.

Je reconnais que le comptage n'est pas très clair. Le président Arthuis a dénoncé le caractère bizarroïde du schéma d'emploi de la loi de finances pour 2011. En effet, on supprime 16 000 emplois, mais on arrive in fine à des créations d'emplois...

Dans ce schéma, nous nous sommes interrogés sur la façon de faire oeuvre pédagogique. Dans l'enseignement primaire, l'écart porte sur quelque 5 600 équivalents temps pleins travaillés (ETPT).

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Quelle est la différence avec les équivalents temps plein (ETP) ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - L'ETP est une modalité de comptage instantanée, chaque individu en place étant converti en temps plein. Au demeurant, il y a des subtilités, puisque les équivalents temps plein financiers ne sont pas nécessairement identiques aux équipes en temps opérationnels. Ainsi, une personne travaillant à 80 % est rémunérée à 84 %. Nous avons eu des discussions épiques à ce sujet !

De son côté, l'ETPT exprime un constat en année pleine, avec une conversion qui prend en compte, par exemple, une cessation de fonctions en cours d'année.

Le schéma d'emploi de l'éducation nationale est exprimé en ETP à la rentrée. La suppression de 16 000 postes intervient dans ce cadre.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - À ces distinguos s'ajoute le décalage entre l'année civile et l'année scolaire...

M. Pierre-Laurent Simoni. - La direction du budget vérifie le respect du plafond de masse salariale, du plafond des ETPT, mais aussi du schéma d'emplois, qui traduit les variations d'effectifs d'une année sur l'autre.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Pourquoi les départs à la retraite n'ont-ils pas été correctement prévus ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - La loi de finances pour 2011 comporte trois types de mesures correctives. La première prend en compte la réalité des emplois pourvus au 1er janvier, soit un surnombre de 5 600 ETP dans le premier degré. En l'absence de contractuels, la plus ou moins bonne adéquation des effectifs au vote parlementaire s'explique par la différence entre les départs à la retraite constatés et les prévisions faites lorsque les concours ont été organisés. Nous avions tablé sur 14 000 départs à la retraite pendant l'année scolaire 2008-2009, mais seuls 9 000 ont eu lieu. D'où les ETP en surnombre. Ils sont financés jusqu'au 31 août, mais l'obligation de les résorber explique le faible nombre de postes mis aux concours.

Nous supposons que le volume des départs à la retraite augmentera cette année en raison des dispositions relatives aux mères de trois enfants.

Mme Françoise Cartron, présidente. - À ma connaissance, un recensement a eu lieu dans les académies pour savoir qui partirait sans tarder.

M. Pierre-Laurent Simoni. - Le service des pensions de l'éducation nationale a réalisé une enquête. Comme six mois s'écoulent entre la demande de départ à la retraite et la liquidation de la pension, la situation est connue au plan local, mais nous ne disposons pas des données consolidées. Sachant que certains futurs retraités devront travailler quatre mois supplémentaires, la disposition applicable aux mères de trois enfants devrait accroître le solde des départs cette année de quelque 1 000 à 1 500 personnes.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - À quel niveau cette comptabilisation a-t-elle été opérée ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - À celui des académies. Au total, la France dispose de 300 000 professeurs du premier degré, soit environ 10 000 par académie.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - C'est l'effectif d'une assez grande entreprise... Concevable il y a un siècle, ce manque de réactivité ne l'est plus ! Une personne auditionnée la semaine dernière nous a dit que le système éducatif était réglementé, mais pas régulé. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - Il est vrai que nous sommes obnubilés par le volume des ressources humaines, alors qu'il faudrait partir des objectifs, donc du type d'enseignement dont nous avons besoin.

Aujourd'hui, le vivier des personnes passant le concours de professeur des écoles provient surtout des facultés de sciences humaines, de psychologie et de sociologie. Nous aurions probablement besoin de candidats plus aguerris aux mathématiques par exemple.

Le recrutement se fait aujourd'hui par des concours académiques avec affectation départementale, si bien que l'on compte deux candidats par poste à Créteil et huit à Nice !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Comment gérez-vous le décalage entre l'année budgétaire et l'année scolaire ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - Nous espérions une certaine souplesse, mais le ministère du budget ne semble pas pouvoir se rallier à cette philosophie...

Chaque année, il demande une programmation budgétaire initiale en ETPT, le stock d'emplois au 1er janvier, le schéma d'emplois à la rentrée et le stock au 31 décembre. Tout cela résumé en un seul chiffre conforme au vote parlementaire. Pour nous, la situation du 1er janvier au 31 août est la conséquence mécanique du stock au 31 décembre de l'année précédente. Et le solde constaté entre retraites et recrutements doit être conforme au schéma d'emplois, ce qui permet d'établir la situation à la rentrée.

Ne communiquer à chaque recteur qu'une dotation unique d'ETPT mènerait droit à la catastrophe !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Ne serait-il pas plus simple de décaler l'année scolaire pour la faire commencer en janvier ?

Mme Françoise Cartron, présidente. - Bonne idée pour la conclusion du rapport ! (Rires.)