Mardi 5 avril 2011

- Présidence de M. François Autain, président -

Audition de Mme Virginie Bagouet, journaliste scientifique

M. François Autain, président. - Nous accueillons Mme Virginie Bagouet journaliste scientifique dont l'histoire est pleine d'enseignements. Avant de lui passer la parole, je voudrais lui rappeler, afin qu'il n'y ait pas de malentendu, que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Je vous prie d'excuser l'absence de Madame la rapporteure, sollicitée par le débat sur la bioéthique. Nous commençons cette audition sans elle. La parole est à Madame Bagouet pour une intervention liminaire.

Mme Virginie Bagouet. - J'ai accepté de venir témoigner devant vous car j'ai été victime des pressions exercées par les laboratoires Servier sur la rédaction d'un journal médical que je viens de quitter. Je suis journaliste scientifique de formation. J'ai travaillé dans la presse locale, puis dans un mensuel destiné aux chercheurs. Je suis entrée à Impact Médecine, hebdomadaire destiné aux médecins généralistes, début 2008. La perspective d'écrire pour les médecins était pour moi motivante. Voilà pourquoi j'ai intégré dans cet hebdomadaire avec joie. Malheureusement, j'ai dû déchanter.

Cet hebdomadaire traite de l'actualité de la santé publique, de la vie syndicale des médecins, ainsi que de leur exercice médical. Dans les dossiers publiés, nous décrivons les médicaments disponibles au regard des pathologies. Au regard de mon expérience, j'estime aujourd'hui que si la partie traitant de l'actualité a un intérêt indéniable pour les médecins, les sujets relatifs à l'exercice médical et à la prescription ne sont pas traités de manière satisfaisante. En effet, le nombre de pages du journal dépend directement de la publicité. Les sujets susceptibles d'attirer la publicité de l'industrie pharmaceutique sont donc privilégiés. Les effets secondaires des médicaments ne sont quasiment pas abordés.

A cet égard, l'attitude des laboratoires Servier est remarquable. En effet, les articles faisant la promotion des produits de ce laboratoire sont envoyés pour relecture et modifiés par les équipes de Servier. J'ai assisté et été directement concernée par de telles pratiques, que je considère comme un grave manquement à la déontologie journalistique. Un texte qui vise à faire la promotion d'un produit n'est rien d'autre que de la publicité.

L'affaire du Mediator a démontré que la presse, financée par l'industrie pharmaceutique, ne pouvait pas être critique à l'égard de ses financeurs que sont les laboratoires pharmaceutiques. Pour Impact Médecine, cette affaire a commencé avec la publication du livre d'Irène Frachon, que nous avons reçu début juin 2010 à la rédaction. Les journalistes l'ont lu. A juste titre, ils ont estimé qu'ils devaient en rendre compte. Immédiatement, notre direction s'est opposée à ce que nous parlions de ce livre dans nos colonnes, ainsi que sur le site Internet de la revue. Nous avons été particulièrement affectés. Nous avons donc surveillé ce que faisaient nos concurrents. Nous avons pu constater que personne ne parlait du livre. Les seuls journaux qui en ont parlé l'ont fait par l'intermédiaire d'un communiqué de presse de Servier publié le 3 juin.

Nous n'avions donc pas le droit de parler de ce livre. Ensuite est arrivée l'étude de Catherine Hill, qui donnait une estimation du nombre de morts et d'hospitalisations imputables au Mediator. Notre rédaction en chef a décidé que nous pouvions traiter de cette étude. Une journaliste a réalisé un article. Au dernier moment, il n'a pas été publié dans le journal au motif que le sujet était trop sensible.

Nous n'avons publié qu'un seul article sur l'affaire du Mediator, suite à une conférence de presse de l'agence du médicament. Cet article se voulait extrêmement pratique pour les médecins généralistes quant à la conduite à tenir vis-à-vis de leurs patients qui avaient pris du Mediator. Il nous a été dit que rien d'autre que ces informations pratiques ne devait être publié jusqu'à la présentation du rapport de l'Igas. J'ai couvert la conférence de presse de l'Igas pour ma rédaction. Au retour, j'ai été très claire : j'ai dit à ma direction que j'étais prête à rédiger un article, mais à condition de pouvoir aborder la question de la responsabilité de Servier et raconter l'histoire de ce médicament passé entre les mailles du filet pendant des dizaines d'années. Mon article a été modifié au dernier moment. La plupart des parties de récit ont été supprimées pour conserver, au final, l'énumération des mesures annoncées le 15 janvier par Xavier Bertrand.

M. François Autain, président. - Qu'est-ce qui a été supprimé exactement dans votre article ?

Mme Virginie Bagouet. - Je pourrai vous remettre l'article tel qu'il était et tel qu'il est devenu.

M. François Autain, président. - Pouvez-nous tout de même donner quelques éléments sur ces modifications ?

Mme Virginie Bagouet. - Je voulais notamment préciser qu'aux doses thérapeutiques, dans le sang, Pondéral égal Isoméride égal Mediator. Cette partie a été supprimée.

M. François Autain, président. - Nous avons auditionné les laboratoires Servier. Ils ne reconnaissent pas la véritable nature pharmaco-chimique de ce médicament, qu'ils refusent de considérer comme un anorexigène.

Mme Virginie Bagouet. - Des informations ont été données dans l'article final, mais les parties les plus gênantes sur la stratégie de Servier pour cacher ce qu'était réellement le médicament ont été supprimées.

En parallèle de cette affaire, j'ai plusieurs fois constaté la difficulté de traiter de manière normale tout ce qui concerne les produits du laboratoire Servier. Il m'est notamment arrivé de rédiger des dossiers médicaux de cardiologie et de rhumatologie, domaines dans lesquels Servier commercialise des produits. Fin août, j'ai été chargée de suivre un congrès de cardiologie à Stockholm. Une étude a notamment présenté les bénéfices du procoralan, un médicament des laboratoires Servier pour les cas d'insuffisance cardiaque, modérée à sévère. J'ai rédigé un article que j'ai envoyé directement par mail à ma rédaction en chef, qui l'a envoyé pour relecture aux laboratoires Servier pour « validation scientifique ».

M. François Autain, président. - C'est complètement contraire à la déontologie qui régit votre profession. C'est de la publicité.

Mme Virginie Bagouet. - Nous sommes bien d'accord, mais en l'espèce, les modifications apportées n'étaient pas très importantes par rapport à l'article de départ. En revanche, une erreur de terminologie a été introduite lors de la relecture par Servier. L'article a pourtant été publié tel quel sur le site Internet. Lorsque je suis revenue à Paris et que j'ai fait part de mon mécontentement à ma rédaction en chef, il m'a été répondu que Servier était content.

M. François Autain. - Il s'agissait donc de contenter Servier.

Mme Virginie Bagouet. - Sur ce même dossier, il avait été décidé que nous parlerions des nouvelles recommandations européennes sur la fibrillation atriale qui avaient été présentées lors de ce congrès. Finalement, tout a été modifié. L'étude de Servier sur le procoralan a été passée en ouverture du dossier. Un article a été publié sur un autre médicament de Servier, le coversyl. C'est moi qui avais rédigé la plupart des articles. Ce dernier article est apparu dans mon dossier un peu comme par miracle, sans que je n'ai été alertée de quoi que ce soit, avec la signature du pseudonyme Claire Bonneau. Ce pseudonyme est utilisé pour tous les articles publicitaires que personne dans la rédaction ne souhaite assumer.

M. François Autain, président. - Qui assume ces articles alors ?

Mme Virginie Bagouet. - Claire Bonneau.

M. François Autain, président. - Je me souviens avoir demandé à Monsieur Thomasset, président du groupe Impact Médecine, qui était Claire Bonneau. Incapable de me répondre, il devait me faire parvenir les coordonnées du journaliste concerné. Nous les attendons toujours.

Mme Virginie Bagouet. - L'utilisation de pseudonymes peut se justifier lorsqu'un journaliste a plusieurs activités. Dans le cas présent, c'est uniquement pour se décharger. Apparemment, la directrice de la rédaction souhaite prendre la responsabilité de ce pseudonyme.

M. François Autain, président. - Vous pensez donc que ce serait la directrice de la rédaction.

Mme Virginie Bagouet. - Il faudrait le leur demander.

M. François Autain, président. - Je l'ai fait, mais ils ne répondent pas. Comment s'appelle votre directrice de la rédaction ?

Mme Virginie Bagouet. - Elle s'appelle Anne Prigent.

M. François Autain, président. - Nous essaierons de rappeler Monsieur Thomasset lorsque nous aurons le temps.

Mme Virginie Bagouet. - Un autre exemple assez frappant concerne un produit, le Protélos, que possède Servier dans le domaine de la rhumatologie. Des articles sont régulièrement publiés dans Impact Médecine. Ils sont principalement signés de Claire Bonneau. J'ai été chargée d'un dossier de rhumatologie à l'occasion du congrès de la société française de rhumatologie qui s'est tenue fin novembre/début décembre à La Défense. J'ai assisté à une conférence organisée par les laboratoires Servier. J'en ai rédigé un compte-rendu. J'ai demandé à le relire avant qu'il ne soit publié. En fait, il s'est avéré que mon article avait été modifié ; 50 % de l'article initial avait été ajouté dans un style de marketing pur.

M. François Autain, président. - Manifestement, vous n'aviez pas le « style Servier ». J'imagine que c'est rédhibitoire pour quelqu'un qui travaille dans un journal comme Impact Médecine.

Mme Virginie Bagouet. - J'ai estimé que cet article ne devait pas être publié, ou en tout cas pas sous ma signature. Il a donc été signé par Claire Bonneau.

En avril-mai 2010, j'ai réalisé un dossier de rhumatologie à l'occasion d'un congrès qui s'est tenu à Milan. L'un des thèmes principaux portait sur les effets secondaires des traitements de l'ostéoporose. D'emblée, il m'a été dit que je ne parlerai pas de ces effets secondaires en raison d'une mauvaise expérience que le journal avait déjà eue fin 2007 : suite à la parution d'un article, les laboratoires Servier n'avaient plus publié d'annonces pendant six mois dans le journal.

M. François Autain, président. - Dès qu'un article est défavorable à Servier, ils suppriment donc la publicité ?

Mme Virginie Bagouet. - J'imagine que c'est pour cela que les articles sont envoyés pour relecture à Servier. Ce n'est pas par plaisir, mais pour ne pas renoncer à des pages de publicité de Servier dans le journal. Le budget que les laboratoires pharmaceutiques consacrent à la communication dans les journaux médicaux va déjà décroissant. Ces journaux sont donc prêts à beaucoup pour avoir des pages de publicité.

M. François Autain, président. - Lorsqu'un article déplaît à Servier, la sanction est donc l'absence de publicité.

Mme Virginie Bagouet. - C'est en tout cas ce que m'a dit la rédaction lorsque j'ai expliqué que je souhaitais rédiger un article sur les effets secondaires des traitements de l'ostéoporose.

M. François Autain, président. - A votre connaissance, les autres laboratoires se comportent-ils de la même manière ?

Mme Virginie Bagouet. - Je pense qu'ils communiquent de manière plus subtile. Ils nous invitent à des congrès scientifiques aux Etats-Unis pendant cinq jours.

M. François Autain, président. - Ils vous mettent en condition.

Mme Virginie Bagouet. - En général, nous expliquons que la conférence est organisée par un laboratoire. A ma connaissance, les articles ne sont pas envoyés pour relecture. Je n'ai pas travaillé pour les autres titres de la presse médicale. Je ne peux donc rien affirmer. Dans les conversations de congrès, les journalistes de la presse médicale parlent de manière récurrente des pressions des laboratoires Servier.

M. François Autain, président. - Vous êtes la première à nous le dire. Cela nous éclaire sur un aspect souvent caché de la presse médicale.

Mme Virginie Bagouet. - Il y a des bons journalistes dans la presse médicale, mais ils ne peuvent pas faire normalement leur travail en raison de ces pressions. Je pensais qu'en France, la liberté de la presse était respectée. Je ne me doutais pas que les articles étaient entièrement dépendants des annonceurs.

M. François Autain, président. - Vous êtes donc déçue de votre expérience à Impact Médecine.

Mme Virginie Bagouet. - Oui. J'ai regardé les auditions des dirigeants de la presse médicale. Elles m'ont attristé. Ils sont uniquement sur la défensive et n'ont pas l'air disposés à revoir leurs pratiques.

M. François Autain, président. - Dans les deux cas, Sénat comme Assemblée Nationale, vous avez été déçue.

Mme Virginie Bagouet. - Je n'ai pas l'impression qu'ils reconnaissent les pressions des laboratoires et qu'ils aient envie de délivrer une information complète aux médecins généralistes, qui ont pourtant le droit d'être informés des effets secondaires des médicaments qu'ils sont amenés à prescrire.

M. François Autain, président. - Ils nous ont pourtant indiqué que les médecins semblaient satisfaits de l'information qui leur est apportée.

Mme Virginie Bagouet. - Prescrire ne parle que des prescriptions médicales. Les articles sont rédigés par des médecins, pas par des journalistes. Il n'y a pas de partie actualité/santé publique. Ils ont donc leur place. Il faudrait juste qu'ils revoient leurs pratiques et qu'ils refusent les pressions des laboratoires.

M. François Autain, président. - Ils sont dans une véritable impasse : s'ils donnent l'information sans tenir compte des pressions des laboratoires, ils n'auront plus d'argent. Ils sont donc condamnés à délivrer une information qui donne avant tout satisfaction aux annonceurs.

Mme Virginie Bagouet. - Sauf si leur financement dépend davantage des abonnements que de la publicité.

M. François Autain, président. - Je suis d'accord. D'après ce que nous ont dit les responsables que nous avons auditionnés, le pourcentage que représente la publicité des laboratoires a tendance à diminuer, mais elle reste encore de l'ordre de 50 %, et quelquefois davantage. En tout cas, nous sommes bien obligés de constater que l'information que délivre Impact Médecine aux médecins n'est pas très objective scientifiquement.

Mme Virginie Bagouet. - C'est le cas de certains articles.

M. François Autain, président. - Avez-vous d'autres choses à ajouter ?

Mme Virginie Bagouet. - Non.

M. François Autain, président. - Je passe donc la parole à mes collègues.

Mme Janine Rozier. - Pensez-vous qu'il pourrait y avoir des représailles après tout ce que vous venez de dire ?

M. François Autain, président. - Je ne l'espère pas. Je ne travaille plus pour Impact Médecine. J'ai quitté ce journal.

M. Michel Guerry. - Servier continue-t-il à faire de la publicité dans Impact Médecine ?

Mme Virginie Bagouet. - A ma connaissance, oui.

M. Michel Guerry. - Faites-vous, dans votre journal, des articles critiques, ou s'agit-il à chaque fois d'articles qui vantent les bienfaits des médicaments ?

Mme Virginie Bagouet. - Nous sommes critiques vis-à-vis des politiques de santé menées par le gouvernement. Nous avons la liberté d'être critiques dans tout un tas de domaine de la médecine, mais pas sur les médicaments, ou alors à la marge, par exemple lorsqu'un médicament est en passe d'être retiré.

M. Michel Guerry. - Apparemment, les journaux médicaux sont financés à 50 % par la publicité des firmes pharmaceutiques. Ils n'auront donc jamais la possibilité d'avoir une attitude éthique quant à la qualité ou aux aspects secondaires des médicaments.

Mme Virginie Bagouet. - Peut-être pourraient-ils conclure des deals avec les annonceurs, acceptant leurs annonces tout en souhaitant pouvoir parler de tout aux médecins.

M. Michel Guerry. - Dans d'autres domaines, la presse est souvent critique. Dans le domaine médical, elle ne l'est jamais à l'égard des firmes pharmaceutiques.

Mme Virginie Bagouet. - Rarement, quand il est impossible de faire autrement.

M. François Autain, président. - Vous avez répondu par avance à un certain nombre de questions posées par le rapporteur. Les laboratoires ont-ils leur mot à dire dans le choix des journalistes qui se rendent à leurs conférences de presse ? Avez-vous été présentée à des laboratoires par votre rédaction ?

Mme Virginie Bagouet. - Non. J'ai simplement le souvenir, avant le congrès de Stockholm de l'été dernier, que la directrice générale d'Impact Médecine souhaitait que je rencontre des personnes des laboratoires Servier. J'étais prête à m'y rendre, mais à condition d'avoir des résultats d'études à discuter avec eux. Je ne voyais pas l'intérêt d'une simple visite de courtoisie. Je ne sais pas si les laboratoires choisissent les journalistes qui partent avec eux en congrès.

M. François Autain, président. - Et en conférence de presse ? Au moment de l'affaire du Mediator, Servier avait organisé une conférence de presse.

Mme Virginie Bagouet. - Seuls les membres de la presse médicale avaient été conviés, pas les autres. Cette conférence de presse avait pour but, entre autres, de démonter l'étude de Catherine Hill.

M. François Autain, président. - Ce n'est pas vous qui avez été conviée à vous rendre à cette conférence pour le compte de votre journal.

Mme Virginie Bagouet. - Non.

M. François Autain, président. - Cette conférence de presse a-t-elle donné lieu à un compte-rendu ?

Mme Virginie Bagouet. - Non. Il y a eu des comptes-rendus dans les journaux concurrents. Notre article n'a pas suffisamment plu à Servier pour être publié. C'est en tout cas ce qui m'a été dit. Il y a eu des comptes-rendus de cette conférence de presse dans d'autres revues, notamment dans le Panorama du Médecin.

M. François Autain, président. - J'ai appris qu'il existait une charte de déclaration des devoirs et des droits des journalistes. Son article 9 énonce qu'il ne faut « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ». Après ce que vous venez de nous dire, les journalistes d'Impact Médecine peuvent-ils être considérés comme de véritables journalistes ?

Mme Virginie Bagouet. - Ceux qui ne parlent pas de médicaments peuvent être considérés comme de véritables journalistes. Pas les autres. Voilà pourquoi je suis partie. J'ai estimé que je ne pouvais plus exercer mon métier.

M. François Autain, président. - Il existe donc deux catégories de journalistes dans ces rédactions : ceux qui traitent des médicaments et les autres. Vous pensez que « les autres » sont plus libres que ceux qui traitent des médicaments.

Mme Virginie Bagouet. - Oui.

M. François Autain, président. - Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?

Mme Virginie Bagouet. - Leurs articles ne sont envoyés à personne pour relecture. Même s'il arrive aux syndicats de passer une page de publicité dans le journal, cela reste plus rare que les campagnes réalisées par l'industrie pharmaceutiques. Ces journalistes sont donc assez libres d'exercer normalement leur métier. Ceux qui parlent d'exercice médical et de stratégie thérapeutique ne le sont pas.

M. François Autain, président. - Combien y a-t-il d'abonnés à Impact Médecine ?

Mme Virginie Bagouet. - Je ne sais pas.

M. François Autain, président. - Connaissez-vous le tirage de la revue ?

Mme Virginie Bagouet. - Il me semble que c'est 40 000 exemplaires.

M. François Autain, président. - Je n'ai pas bien compris la technique des abonnements prospectifs. Beaucoup de médecins que j'ai interrogés reçoivent les journaux médicaux de manière permanente sans y être abonnés eux-mêmes.

Mme Virginie Bagouet. - Il m'a été expliqué qu'ils les recevaient les journaux de manière tournante. Ainsi, pendant un mois, un médecin reçoit trois numéros.

M. François Autain, président. - Il faudrait que nous interrogions les médecins.

Mme Virginie Bagouet. - La commission paritaire devrait avoir ce genre d'information.

M. François Autain, président. - Nous pourrons leur demander s'ils ont des informations concernant les abonnements. Si même ces abonnements sont fallacieux, que reste-t-il aux journaux pour se prévaloir du statut d'organe de presse ? Certains journalistes n'ont plus de journaliste que le nom. Ce sont de vrais problèmes. J'ai cru comprendre que certains responsables de presse se plaignaient de ne pas recevoir de la part des pouvoirs publics toute l'attention et toutes les aides auxquelles ils prétendent avoir droit.

Mme Virginie Bagouet. - C'est mon ancien PDG qui a dit cela.

M. François Autain, président. - Cela paraît pour le moins paradoxal. Il y a matière à réaliser une enquête pour savoir ce qu'il en est exactement.

Les laboratoires Servier ont-ils une réputation particulière dans le secteur de la presse médicale ?

Mme Virginie Bagouet. - Oui. Ils sont réputés pour leur intrusion.

M. François Autain, président. - Existe-t-il des équivalents dans les autres laboratoires ?

Mme Virginie Bagouet. - Pas à ma connaissance.

M. François Autain, président. - Avez-vous un comité de relecture ? A vous entendre, j'ai compris que ce comité était situé chez Servier.

Mme Virginie Bagouet. - Pour les articles concernant les produits Servier.

M. François Autain, président. - D'après ce que vous avez dit, les autres laboratoires n'ont pas de comités de relecture.

Mme Virginie Bagouet. - Pas à ma connaissance.

M. François Autain, président. - Avez-vous des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de réglementation ou de soutien à la presse médicale ? Avez-vous une certaine idée de ce que devrait être la presse médicale ?

Mme Virginie Bagouet. - L'information des médecins est utile, mais à condition qu'elle puisse être réalisée de manière convenable. Il est dommage que seul Prescrire soit indépendant, car cette revue n'aborde pas tous les domaines de la médecine et toute la vie d'un médecin.

M. François Autain, président. - Il est vrai qu'il n'est jamais question des problèmes des médecins et des syndicats médicaux.

M. Michel Guerry. - Avec toute l'expérience que vous avez, je crois que vous devriez écrire un livre. Peut-être y avez-vous déjà pensé ?

Mme Virginie Bagouet. - Pas particulièrement. Ma priorité était de quitter cette rédaction, pas d'écrire un livre.

M. François Autain, président. - Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Mme Virginie Bagouet. - Non.

M. François Autain, président. - L'audition est donc terminée. Je vous remercie.

Audition de MM. Daniel Bideau, administrateur et Grégory Caret, directeur des études, de l'UFC-Que Choisir

M. François Autain, président. - Nous poursuivons nos auditions avec MM. Daniel Bideau et Grégory Caret, respectivement administrateur et directeur des études de l'UFC-Que Choisir.

Je dois vous dire, avant de vous donner la parole, que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Je vous prie également d'excuser l'absence de madame la rapporteure, qui est sollicitée par le débat sur la loi bioéthique.

Je vais vous passer la parole pour un exposé liminaire. Vous êtes intervenus à de multiples reprises sur le problème du médicament.

M. Daniel Bideau. - Nous vous remercions beaucoup pour cet accueil devant votre mission d'information. Nous avons des choses à dire. Ce que nous voulons avant tout, c'est faire avancer l'intérêt du consommateur et de l'usager de la santé.

L'UFC-Que Choisir est une association de représentants d'usagers de la santé. Nous avons un agrément santé, ainsi qu'un agrément juridique, ce qui nous permet d'ester en justice au nom des consommateurs. L'association est complètement indépendante. Nous sommes financés par une activité presse et par les cotisations de nos adhérents. Notre réseau santé est porté par de très nombreux adhérents dans toutes les régions de France. Ces bénévoles interviennent dans les instances locales. Que Choisir Santé est une revue spécifique de la santé. Nous y avons récemment publié une liste particulièrement importante de médicaments pouvant présenter des risques pour la santé des consommateurs.

C'est fort de notre expérience que nous avons demandé à être auditionné par la mission d'information Mediator. La question de la mise sur le marché et du suivi des médicaments en France se retrouve une nouvelle fois sous les feux des projecteurs. Commercialisé en 1976 en France, prescrit initialement comme antidiabétique, le Mediator a été progressivement proposé aux personnes souhaitant perdre du poids pour son effet coupe-faim. Entre 1976 et 2009, environ 5 millions de personnes se sont vus prescrire du Mediator en France. Les premiers signaux inquiétants de dangerosité du traitement sont apparus dès 1997, mais c'est seulement le 30 novembre 2009 que l'Afssaps prendra la décision de retirer le médicament du marché. Ce médicament est resté remboursé à son taux maximal jusqu'à son retrait du marché, ce qui est un comble pour un médicament dont le service médical rendu insuffisant avait été relevé deux ans auparavant.

Les conditions dans lesquelles le médicament a obtenu plusieurs autorisations de mise sur le marché en France et dans les autres pays interdisaient la commercialisation. Celles qui ont conduit à son retrait tardif, comme les dérives de prescription constatées, soulèvent de nombreuses interrogations quant au rôle et au fonctionnement des acteurs concernés. Sont engagées la responsabilité de l'Afssaps, qui était chargée de l'octroi de l'AMM et du suivi de la pharmacovigilance, celle de la HAS, qui a maintenu le remboursement, celle du laboratoire Servier et celle des médecins qui, pendant des années, n'auraient pas suivi les règles de prescription édictées par l'Afssaps.

Plus largement, ce dossier doit être l'occasion d'exiger des mesures fortes d'amélioration du fonctionnement de l'ensemble des dispositifs de lancement et de suivi des produits de santé, qui ont montré de graves dysfonctionnements. Le cas du Mediator est bien loin d'être isolé. L'histoire récente regorge d'exemples de dysfonctionnements dans ces processus de lancement et de suivi des produits de santé.

Nous demandons qu'un fonds d'indemnisation soit ouvert à l'ensemble des victimes, quel que soit leur taux d'incapacité, sous le contrôle de l'Etat et, de fait, rattaché à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

M. François Autain, président. - Comment serait-il financé ?

M. Daniel Bideau. - Nous allons y venir.

Nous demandons également un guichet unique pour les demandes d'indemnisation via l'Oniam, qui gèrera l'ensemble des dossiers, l'organisation des expertises - qui seront gratuites - et l'indemnisation des victimes, avec possibilité de subrogation de droits permettant à l'Oniam de se tourner vers Servier pour se faire rembourser. Nous pensons que la puissance publique doit d'abord abonder le fonds, quitte à ce que Servier soit ensuite ponctionné.

Il est possible que le fonds ne récupère pas toutes les sommes versées. Le principal responsable dans l'affaire doit payer, mais selon notre rapport, il existe également une responsabilité de l'Etat, donc il n'est pas illogique qu'il soit mis à contribution.

Nous sommes totalement opposés à la proposition qu'ont faite les laboratoires Servier de réaliser des transactions individuelles selon un protocole établi en accord avec l'Etat et les associations de patients. Nous participons d'ailleurs au comité de suivi de cette affaire. Servier a, en fait, proposé de passer par les chambres régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI) et de créer un fonds de complément. Or les CRCI ne sont pas dimensionnées pour traiter des litiges de masse. Elles sont également limitées dans leurs prérogatives, ne prenant en considération que les personnes dont le taux est supérieur à 24 % pour des traitements postérieurs à 2002. Beaucoup de patients ont soit des traitements antérieurs, soit des incapacités inférieures.

Un problème de gouvernance se pose. Servier propose que le fonds soit géré par le laboratoire et un comité d'experts nommé par lui. Avec ce dispositif, il n'y a pas de reconnaissance de responsabilité. De plus, nous nous interrogeons sur les assureurs présents derrière Servier. Enfin, en contrepartie, Servier demande un renoncement à toute action en justice alors que tous les préjudices ne sont pas pris en compte. Nous sommes face à une demande particulièrement anormale.

Nous avons de très grandes attentes dans cette affaire. Les rapports et missions actuellement en cours sont importants. Nous voulons des résultats.

M. François Autain, président. - Qu'attendez-vous des Assises du médicament ?

M. Grégory Caret. - Elles ne parlent pas du tout du sujet du dédommagement.

M. Daniel Bideau. - Il y est question de l'amélioration du système tel qu'il existe et de la transparence de certaines structures.

Afin d'éviter tout nouveau drame sanitaire, nous exigeons des mesures concrètes pour qu'une réforme du processus de mise sur le marché et de suivi des médicaments soit mise en place autour de quatre grandes idées.

Il faut d'abord limiter le pouvoir de l'industrie pharmaceutique dans la chaîne de décision. Il est peu question de l'étage européen de cette décision dans les débats actuels. Nous y sommes particulièrement attachés. Nous souhaitons une réforme du système européen d'autorisation de mise sur le marché des produits de santé afin que le financement des agences ne dépende plus des demandes d'AMM, donc des laboratoires. Des laboratoires se rendent dans les pays en fonction de la possibilité qu'ils ont d'y faire entrer leurs médicaments par une agence de santé « moins-disante ». Cela nous paraît discutable.

M. François Autain, président. - Vous craignez une concurrence entre les agences de médicaments des différents Etats de l'Union ?

M. Daniel Bideau. - Il y en a une, c'est le système actuel. Nous souhaitons qu'il soit réformé au moyen d'une proposition faite à l'échelon européen.

Les pratiques de prescription médicamenteuse doivent être contrôlées et encadrées plus efficacement. Pour cela, nous souhaitons un renforcement des relations entre les agences nationales et les médecins par la création d'un corps de visiteurs médicaux indépendants placé, par exemple, sous l'égide de la Haute Autorité de santé. Il existe actuellement un corps indépendant, les délégués de l'assurance maladie (DAM), mais il dépend de l'assurance maladie. Il est souhaitable que puisse exister un système d'information indépendant des médecins qui dépende directement de la HAS réformée.

M. François Autain, président. - Que faites-vous des visiteurs médicaux rémunérés par les laboratoires ?

M. Daniel Bideau. - Ils continueraient leur travail.

M. François Autain, président. - Ne craignez-vous pas que nous lassions les médecins en leur proposant plusieurs catégories de visiteurs médicaux ?

M. Daniel Bideau. - Actuellement, beaucoup de médecins ne reçoivent plus les visiteurs médicaux des laboratoires. Ils réclament une information indépendante. Celle que diffuse la HAS par Internet ne suffit pas. De plus, les DAM ont déjà un rôle de prévention et d'intervention. Le seul problème tient à leur lien d'intérêts avec l'assurance maladie.

M. François Autain, président. - Dans votre esprit, cette création d'un nouveau corps de visiteurs médicaux indépendants liés à la HAS s'ajouterait à ceux qui existent déjà.

M. Daniel Bideau. - Oui. Il faut imaginer un système dans lequel les médecins conseils pourraient également être impliqués.

Les prérogatives des structures sanitaires et leur coordination méritent d'être clarifiées afin que les responsabilités ne soient plus diluées. Actuellement, beaucoup de commissions se renvoient la responsabilité des décisions prises. La transparence dans les règles de prise de décision doit être améliorée en donnant accès aux études analysées par les commissions, en publiant les positions minoritaires et en imposant aux directions administratives de motiver leurs décisions lorsqu'elles ne suivent pas les recommandations des experts. Cette traçabilité de l'information au sein des commissions est très importante. Ces commissions auraient alors beaucoup plus de poids au travers des décisions qu'elles prendraient. Pour cela, il faut qu'elles soient particulièrement transparentes. Aujourd'hui, la Ceps, qui décide de la fixation du prix du médicament, est relativement difficile d'accès. Nous avons récemment dénoncé l'augmentation faramineuse de la complémentaire santé.

M. Grégory Caret. - Sur la période 2001 à 2008, la hausse a été de 44 %. L'augmentation est encore plus sensible sur la dernière année. La partie restant à charge augmente également.

M. Daniel Bideau. - Le budget santé des consommateurs explose !

M. François Autain, président. - Le comité économique des produits de santé (Ceps) n'est pas très transparent pour ceux qui sont à l'extérieur, mais rassurez-vous, ceux qui sont à l'intérieur ne voient pas plus clair que vous.

M. Daniel Bideau. - C'est très inquiétant pour une commission qui décide du prix des médicaments que paient les usagers.

M. François Autain, président. - Nous formulerons des propositions qui essaieront de remédier à cette situation que vous dénoncez très justement.

M. Daniel Bideau. - Nous pensons qu'il faut clarifier le fonctionnement. Nous ne demandons pas forcément que les séances soient publiques, tant l'endroit est sensible sur le plan économique. En revanche, un maximum de publicité serait le bienvenu pour les députés, les sénateurs ou tout autre corps d'experts indépendants capable d'évaluer le prix mis en place pour certains médicaments. Aujourd'hui, plus de 90 % des médicaments nouveaux n'ont pas de service médical rendu (SMR) supérieur aux médicaments précédents.

M. François Autain, président. - Je suis très content de vous l'entendre dire. Rare sont ceux qui le disent.

M. Grégory Caret. - Dans le cadre des Assises du médicament, les entreprises du médicament (Leem) ont-elles-mêmes reconnu que l'amélioration du service médical rendu (ASMR) de 95 % des nouveaux médicaments n'était pas meilleur que celui de l'existant. Tout le monde est d'accord pour reconnaître un manque d'innovation depuis quelques années. Nous nous interrogeons beaucoup sur ce qu'est un nouveau médicament. Nous avons du mal à savoir quelle est la structure qui décide, entre l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) - qui évalue le bénéfice-risque -, la HAS ou le Ceps. Un médicament doit présenter un bénéfice-risque positif. Aujourd'hui, ils sont évalués selon des études qui, de l'avis même de l'Afssaps, sont très partielles, car uniquement présentées par les laboratoires. Le bénéfice attendu est évalué sur un avantage potentiel. Les experts de l'Afssaps reçoivent des données partielles, d'où l'importance de la pharmacovigilance. Pour sa part, la HAS essaie de statuer sur un taux de remboursement avec des données qui ne sont pas forcément complètes, sans compter que les experts ont parfois des liens avec les laboratoires.

M. François Autain, président. - Ils n'en ont pas davantage que ceux de la commission de mise sur le marché. Je dirai même que le président de la Commission de la transparence, contrairement à son homologue de la commission d'AMM, n'a pas du tout de lien d'intérêts.

M. Grégory Caret. - Nous avons déjà entendu dire qu'un expert sans lien d'intérêts était un expert sans intérêt.

M. François Autain, président. - Je vois tout à fait de quoi vous parler.

M. Grégory Caret. - Le Leem reproche parfois à l'Afssaps l'existence de liens d'intérêts négatifs. Dans cette configuration, les liens d'intérêts sont de nature à altérer les jugements.

M. Daniel Bideau. - Les liens d'intérêts doivent être contrôlés et démarrer à une échelle très basse. Aujourd'hui, les liens d'intérêts inférieurs à un certain seuil ne doivent pas être déclarés. Or nous estimons que même les petits liens d'intérêts, lorsqu'ils sont cumulés, peuvent conduire à de gros liens d'intérêts.

Notre quatrième demande vise à renforcer et à valoriser la pharmacovigilance, un secteur particulièrement sous-doté actuellement. Ses moyens sont particulièrement dérisoires. Ainsi, les centres régionaux de pharmacovigilance de l'Afssaps bénéficient de 3,8 millions d'euros de crédits pour 2010, soit 3 % du budget de l'agence, pour la surveillance d'un marché du médicament qui pesait 35 milliards d'euros en 2009. Ce sont souvent les laboratoires qui sont chargés de faire remonter les éléments de pharmacovigilance. C'est bien leur rôle en tant que producteurs de médicaments, mais il est anormal qu'il ne soit pas possible de faire remonter des éléments d'information par des moyens adaptés, par exemple des associations de malades ou des malades. Dans ce système de pharmacovigilance, nous souhaitons qu'un droit d'alerte et d'interpellation en cas de repérage de signaux problématiques sur un médicament soit donné aux associations de représentants des usagers de la santé.

Si les donneurs d'alerte avaient été davantage écoutés dans l'affaire du Mediator, nous n'en serions pas là. D'ailleurs, nous sommes surpris que la HAS n'ait pas vu ce qui se passait dans les pays limitrophes, par exemple en Espagne, où le retrait du marché a été présenté par les laboratoires Servier comme une décision économique, alors même que l'autorité sanitaire espagnole avait souligné les risques de valvulopathie de manière explicite. Pourquoi la HAS n'a-t-elle pas joué son rôle d'alerte dans cette affaire ?

M. Grégory Caret. - C'est surtout la commission nationale de pharmacovigilance. Un document très intéressant daté de 2006 démontre que la HAS avait cette information. Malgré cela, l'Afssaps pensait que le médicament avait été retiré pour des raisons économiques. Il n'y a pas eu de communication. La commission nationale de pharmacovigilance n'a surveillé que très tard les valvulopathies. Pourtant, la HAS avait bien noté que des cas de valvulopathie avaient été constatés en Espagne.

M. François Autain, président. - A quel document faites-vous référence ?

M. Grégory Caret. - Je fais référence au document préparatoire de la commission de la transparence du 12 avril 2006. Le médicament semble condamné en raison d'un SMR insuffisant. Il est écrit que des cas de valvulopathie ont été identifiés en Espagne en association avec le benfluorex et que l'agence espagnole du médicament a prononcé l'interdiction suite à la survenue d'effets indésirables graves. Des dérives de prescription sont également mentionnées, de même que l'absence de données d'efficacité probantes sur deux indications thérapeutiques. Le sort du Mediator apparaît donc scellé. Or, dans la réunion qui a suivi, les conclusions ont été toutes autres.

M. François Autain, président. - Ce document est-il dans les annexes du rapport de l'Igas ?

M. Grégory Caret. - Il fait en tout cas partie de notre rapport, que nous pourrons vous remettre. Suite à cette réunion, il a été décidé de maintenir un remboursement sur l'une des indications, en notant bien que l'étude servant à justifier l'efficacité n'était pas probante.

M. François Autain, président. - Il me semble qu'en 2006, il y a eu un sursis à statuer de la part de la commission de la transparence, qui ne pouvait pas statuer sur les deux indications. La commission de transparence devait statuer sur la seconde indication après avis de la commission d'AMM sur les résultats de l'étude. Finalement, la commission de la transparence n'a jamais statué sur cette seconde indication.

M. Grégory Caret. - Il s'est passé quelque chose durant la réunion.

M. Daniel Bideau. - Le 10 mai 2006, la commission de la transparence, décidant de ne pas décider, écrit : « la commission de la transparence ne réévaluera le service médical rendu de Mediator dans l'indication diabète qu'après avis de la commission d'AMM et prise en compte de la réévaluation du rapport bénéfice/risque de ce produit par l'Afssaps. » Pour ne pas avoir à se prononcer, la décision a donc renvoyée à une autre commission, en sachant très bien que celle-ci ne pourrait elle-même pas se prononcer. En attendant, des usagers de la santé ont continué à utiliser le Mediator.

M. François Autain, président. - Que souhaitez-vous ajouter ?

M. Grégory Caret. - Aujourd'hui, deux questions se posent : l'autorisation de mise sur le marché et la place accordée au médicament dans la stratégie thérapeutique. Nous avons le sentiment que personne ne prend ou ne veut prendre cette responsabilité. Pourtant, il est important de savoir si un médicament a sa place dans la stratégie thérapeutique actuelle. Chaque année, 9 millions de personnes renoncent à se soigner pour des raisons budgétaires. Ceux qui n'ont pas de complémentaire sont les premiers concernés.

Nous participons aux Assises sur le médicament. Le processus d'autorisation de mise sur le marché se déroule beaucoup au niveau européen. Si nous avons des propositions, il faut très vite les remonter à Bruxelles.

M. François Autain, président. - Il faut relativiser. Certes, de plus en plus de médicaments bénéficient de la procédure centralisée, mais nous maîtrisons encore le processus du remboursement. Nous avons notre mot à dire. Le médicament est le cheval de Troie de la Commission européenne pour intervenir dans un secteur, celui de la santé, qui, normalement, relève de la souveraineté des Etats. Il faut s'attendre à ce que nous entendions comme revendication la mise en place d'une commission de la transparence européenne sur laquelle nous n'aurions pratiquement aucun droit de regard. La commission d'AMM nous échappe un peu, bien que l'agence nationale puisse très bien suspendre un produit ayant bénéficié d'une procédure centralisée. Cela ne fonctionne pas toujours. Une seule fois, les experts ont eu le courage d'aller jusqu'à suspendre un médicament, mais cette suspension a ensuite été annulée par le Conseil d'Etat. Cela ne va pas les inciter à recommencer, ce qui est bien dommage. Nous avons à notre disposition des moyens pour remettre les choses en place, d'où l'importance qui devrait être donnée à la commission de la transparence dans un système rénové.

M. Grégory Caret. - Le sujet central est bien la stratégie thérapeutique en France. Quelques avancées ont été enregistrées, au niveau européen, sur la pharmacovigilance, avec un système de données centralisées qui pourraient améliorer les choses. Dans le cas du Mediator, nous avons été frappés du manque de communication des structures de pharmacovigilance au niveau européen. La collaboration entre les structures européennes est pourtant un gage d'information irremplaçable.

Par ailleurs, nous avons été très étonnés de constater l'ampleur des liens qui unissent les experts avec l'industrie pharmaceutique. Comme les personnes du Leem, nous pensons que c'est de nature à altérer le jugement.

M. François Autain, président. - Les personnes du Leem pensent cela ?

M. Grégory Caret. - Dans le cadre de liens d'intérêts négatifs en tout cas.

M. François Autain, président. - Les liens d'intérêts sont donc importants pour un laboratoire dans la mesure où ils jouent un rôle négatif ?

M. Grégory Caret. - La transparence sur les liens d'intérêts est souhaitable pour tout le monde.

M. François Autain, président. - Tout le monde est d'accord, même les laboratoires, pour préconiser la transparence. Certains sont même prêts à appliquer certaines dispositions du Sunshine Act américain, par exemple la publication tous les ans de la liste des médecins avec lesquels les laboratoires ont des conventions, ainsi que le montant des versements effectués à chaque médecin titulaire d'une convention. A ces médecins, nous souhaitons ajouter les associations, les sociétés savantes et un certain nombre d'autres acteurs du système de soins, qui ont parfois des liens avec les laboratoires. Je pense notamment aux économistes de la santé. Cette transparence est acceptée par tous.

Toutefois, suffit-il à un expert de dire qu'il est transparent ? C'est là que les difficultés commencent. Un expert siégeant à la commission d'AMM qui joue la transparence n'en demeure pas moins membre de la commission d'AMM. Il faut mettre en oeuvre un règlement très strict permettant d'éviter les conflits d'intérêts.

Vous avez insisté sur des mesures à prendre. Aujourd'hui, les règles ne sont respectées ni à la commission d'AMM, ni à la commission nationale de pharmacovigilance. La première n'arrive pas à mettre en oeuvre ce règlement. Dans cette commission, quinze experts ont des liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis. Les jours où ils doivent procéder à des examens de médicaments de Sanofi-Aventis, il faudrait donc qu'ils fassent sortir tous ces experts. J'ai senti chez le président et le vice-président qu'ils sont face à une difficulté qu'ils ne parviennent pas à résoudre. D'ailleurs, ils n'arrivent pas non plus à faire sortir les représentants des laboratoires pharmaceutiques présents contre toute attente. Les laboratoires « occupaient » l'Afssaps sans qu'aucun directeur général ne leur dise quoi que ce soit. Depuis l'affaire du Mediator, il semble que l'Afssaps se soit décidée à faire le ménage, mais jusque récemment, les représentants des laboratoires pharmaceutiques étaient partout.

Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux faire en sorte que les experts qui siègent dans ces commissions n'aient pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?

M. Daniel Bideau. - Les experts totalement indépendants sont la meilleure solution. Encore faut-il les trouver. A tout le moins, une publicité complète des débats, avec un enregistrement et un verbatim, est indispensable, de manière à ce que nous connaissions les prises de position de chaque expert.

M. François Autain, président. - Cette publicité des débats semble acquise pour la commission de la transparence et la commission d'AMM. Cette évolution est plutôt positive, étant entendu que l'idéal serait des experts indépendants.

M. Daniel Bideau. - Outre les déclarations de liens d'intérêts, nous avons également besoin d'aller plus loin dans le contrôle de ces liens d'intérêts. Dans le système américain, le Sunshine Act est très important en matière de transparence des décisions. Il éclaire la scène d'une clarté importante par rapport à ce qui se passe en France.

M. Grégory Caret. - La séance du 27 mars 2007 de la commission nationale de pharmacovigilance a fait l'objet d'un compte-rendu. A la fin, il est écrit que « certains membres de la commission souhaitent faire connaître leur opinion en se prononçant pour un bénéfice/risque défavorable au Mediator ». Il semble donc qu'il y a eu des débats. Certaines personnes n'ont pas réussi à faire entendre leur voix.

M. Daniel Bideau. - Cela renvoie à une autre de nos demandes : la publicité des avis minoritaires.

M. François Autain, président. - Vous avez parlé de l'encadrement des prescriptions. Nous avons beaucoup de difficultés à contrôler les prescriptions hors AMM. Nous n'avons pas les moyens. Nous possédons une base de données importante, mais nous ne connaissons pas les maladies pour lesquelles les médicaments sont prescrits car nous ne sommes pas parvenus à mettre en oeuvre la loi Teulade de 1993, qui instituait le codage des maladies. Avez-vous perçu cette difficulté ? Y avez-vous réfléchi ? Avez-vous des réponses ?

M. Daniel Bideau. - Ces prescriptions ne tiennent que dans la mesure où l'on reste à un service médical rendu suffisant de la part du médicament et, surtout, à une valeur de remboursement de ce médicament. Dans le cas du Mediator, si ce médicament a continué à être prescrit, c'est parce qu'il était remboursé au taux maximal. Si ce taux de remboursement avait été limité à celui d'un service médical rendu pour le moins moyen, en tout cas insuffisant, nous aurions assisté à une baisse énorme des prescriptions.

M. François Autain, président. - Je suis d'accord. Toutefois, je ne suis pas certain qu'un remboursement à 35 %, comme l'a demandé le directeur de la sécurité sociale dans les années 2000, aurait été aussi efficace qu'un déremboursement.

M. Daniel Bideau. - C'est un élément dissuasif, mais le déremboursement était de toute manière la solution proposée par la commission au départ.

Au niveau de la prescription, il existe un élément important qui est la notion de dénomination commune internationale (DCI), qui présente un double intérêt. Elle permet d'abord de faire prescrire un médicament valable dans n'importe quel pays européen, voire du monde. De plus, il n'y a pas de fixation sur la marque du produit. J'aimerais une généralisation de cette DCI. Nous l'avons demandée avec la Mutualité Française il y a une dizaine d'années, mais nous n'avançons pas assez dans ce dossier.

M. François Autain, président. - Aux Etats-Unis, la prescription est à 85 % en dénomination commune internationale. En France, nous sommes à peine à 15 % ou 20 %. Il y a pourtant eu des incitations. Nous avons à notre disposition un certain nombre de moyens que nous n'utilisons pas suffisamment.

Que pensez-vous de la présence des représentants des consommateurs dans les commissions ? Actuellement, seule la commission nationale de pharmacovigilance prévoit leur présence.

M. Daniel Bideau. - Pour notre part, nous sommes présents dans la commission de la publicité.

Nous sommes très circonspects quant à la représentation des usagers dans les commissions. Nous ne sommes pas des spécialistes du médicament. En revanche, nous souhaitons être destinataires de l'information liée aux débats de ces commissions et à ce qui s'y décide. La consultation des associations peut être un élément préliminaire à une décision. Dans un cas de médicament lié au diabète, l'association française des diabétiques (AFD) pourrait être consultée. D'autres associations d'usagers n'ont pas cette position. Certaines souhaitent siéger dans les commissions.

M. François Autain, président. - Quel bilan tirez-vous de votre participation à la commission de la publicité ?

M. Daniel Bideau. - Ce bilan est assez positif. Nous avons pu contribuer, avec l'ensemble des personnes siégeant dans cette commission, au retrait de certains produits du marché.

M. François Autain, président. - Avez-vous une opinion quant aux modalités selon lesquelles sont examinées les publicités des laboratoires, selon qu'elles sont destinées aux médecins ou au public ? Dans un cas, le contrôle est a posteriori. Dans l'autre, il est a priori. Cette distinction vous apparaît-elle justifiée ?

M. Daniel Bideau. - Il faut être particulièrement circonspect du côté de la publicité. Nous collaborons avec d'autres associations européennes de consommateurs. Nous sommes membres du collectif Europe et médicament. Dans ce collectif, nous avons une opinion très mesurée sur l'éducation thérapeutique que veulent promouvoir les firmes. Nous pensons que cette éducation doit rester la prérogative du médecin, avec une grande indépendance.

M. François Autain, président. - Vous êtes donc opposés aux dispositions résultant de la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST), qui prévoit que les laboratoires peuvent financer directement ou indirectement l'éducation thérapeutique.

M. Daniel Bideau. - Clairement.

M. François Autain, président. - Lorsque la commission a terminé d'examiner la demande d'un laboratoire concernant la publicité d'un médicament, il arrive parfois que cette publicité soit déjà pratiquement terminé. De fait, même si cette publicité est qualifiée de mensongère, elle a déjà eu le temps de faire ses ravages. Ne serait-il pas plus juste de prévoir une autorisation a priori pour toutes les publicités ?

M. Daniel Bideau. - Il faut cette autorisation avant de lancer la publicité sur le marché. Actuellement, ce n'est pas le cas, mais nous sommes très prudents quant à la publicité du médicament. Nous nous rendons bien compte des liens qui existent entre les revues qui pratiquent l'information médicale et cette publicité. Au sein de Que Choisir, nous sommes particulièrement attachés à l'indépendance de la presse

M. Grégory Caret. - Les stratégies de marketing visent de plus en plus à vendre une maladie en amont pour après vendre un médicament. Nous l'avons vu avec les enfants sur-actifs. Cela nous rend méfiant quant à la communication sur les maladies.

M. François Autain, président. - Avez-vous pris connaissance du rapport Even-Debré préconisant la suppression du SMR pour ne plus se fonder que sur l'ASMR ? Actuellement, il existe une certaine confusion. Un médicament à SMR insuffisant ne doit pas être pris en charge par la sécurité sociale. Ce point est respecté. La plupart des médicaments mis sur le marché aujourd'hui ont un SMR important, mais lorsque nous les comparons à d'autres médicaments, nous nous apercevons qu'ils ne sont pas utiles, car pas meilleurs. Ils ont donc un ASMR 5, mais bénéficient tout de même d'un remboursement à 65 %. De plus, beaucoup de médicaments ASMR 5 sont mis sur le marché à un prix supérieur à ceux qui existent déjà. Je ne vois pas comment la sécurité sociale peut réaliser des économies de cette manière. Je considère donc que les médicaments qui n'apportent pas un service rendu supérieur à ceux qui existent déjà ne doivent plus être remboursés. Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Bideau. - Le déremboursement est un élément dissuasif très fort. Je parlerais plutôt de l'évaluation des nouveaux médicaments mis sur le marché. Je souhaiterais que la valeur de ces médicaments soit évaluée à ce moment-là et que ceux qui ont un service médical rendu insuffisant ne soient pas mis en circulation.

M. François Autain, président. - Vous me parlez d'ASMR, tout en parlant de service médical rendu, mais je crois que nous disons à peu près la même chose. Vous considérez que les médicaments qui n'apportent pas d'amélioration du service médical rendu ne doivent pas être mis sur le marché.

M. Daniel Bideau. - Nous avons cité le pourcentage de nouveaux médicaments mis sur le marché qui ne présentent pas d'intérêt. Nous ne voyons pas pourquoi ces nouveaux médicaments sont mis sur le marché. Nous sommes très en retrait sur la décision de mise sur le marché de ces nouveaux médicaments qui n'auraient pas d'intérêt thérapeutique valable par rapport à ceux qui existent déjà.

M. François Autain, président. - Souvent, ce ne sont pas les Français qui mettent ces médicaments sur le marché. C'est l'Europe. Notre seule riposte est de ne pas les rembourser. Il y a là un débat à poursuivre sur le remboursement de médicaments qui n'apportent rien par rapport à ceux qui existent déjà.

M. Grégory Caret. - Les Britanniques sont beaucoup plus sévères que nous. Pour eux, l'AMM n'est pas une autorisation de mise sur le marché. La décision est prise dans un second temps.

M. François Autain, président. - Il y a deux ans, vous avez eu l'occasion d'intervenir concernant les liens d'intérêts et l'application de la loi du 4 mars 2002 relative à l'obligation qu'ont les médecins de déclarer leurs liens d'intérêts lorsqu'ils s'expriment publiquement ou lorsqu'ils rédigent un article dans la presse. Il a fallu attendre 5 ans pour que le décret soit publié.

M. Grégory Caret. - Nous avions saisi le Conseil de l'Ordre, qui n'a pas semblé réellement ravi que nous lui demandions d'agir en ce sens. En discutant avec les médecins, nous avons pu constater que beaucoup d'entre eux découvraient cette obligation. Il restait donc un important travail de pédagogie à mener. De ce côté, nous n'avons pas bénéficié d'une oreille extrêmement attentive.

Mme Christiane Kammermann. - Votre audition était très intéressante, notamment ce que vous avez dit à propos de l'Espagne, où le Mediator a été retiré en 2003.

M. Daniel Bideau. - C'est Servier qui a retiré le médicament en Espagne.

Mme Christiane Kammermann. - Comment est-ce que possible que ce n'ait pas été fait en France ?

M. Daniel Bideau. - Servier a expliqué que le Mediator avait été retiré d'Espagne pour des raisons économiques, mais un cas de valvulopathie avait été signalé dans ce pays. Un rapport écrit de l'autorité sanitaire espagnole le prouve. Manifestement, les autorités françaises du médicament n'ont pas récupéré l'information.

Mme Christiane Kammermann. - Cela paraît invraisemblable.

M. Grégory Caret. - Nous n'avons jamais trouvé mention de remontée d'effets indésirables par les laboratoires Servier dans les rapports de pharmacovigilance. Le médicament n'était donc pas efficace, il était dangereux et il y avait des dérives de prescription. Cela faisait au moins trois motifs pour l'interdire !

Mme Christiane Kammermann. - Des experts indépendants et le contrôle des liens d'intérêts sont des points également très importants.

Mme Virginie Kles. - Autant que je sache, Servier n'avait pas une réputation sans tâche dans le milieu. Avez-vous eu écho d'autres affaires ou d'autres dysfonctionnements que le Mediator ?

M. Grégory Caret. - Nous n'avons pas d'élément concret. Nous avons entendu des bruits et rencontré des médecins. L'on nous a raconté la manière de procéder des visiteurs médicaux, notamment de sexe féminin.

M. Daniel Bideau. - Un médicament antérieur au Mediator, l'Isoméride, a déjà défrayé la chronique, et continue de le faire, puisqu'une première décision de justice a été rendue. Les indélicats jouent sur un système qui ne fonctionne pas et qui doit être clarifié.

M. François Autain, président. - C'est ce que nous allons essayer de contribuer à faire. Merci beaucoup.

Audition de M. Etienne Caniard, président de la Fédération nationale de la Mutualité Française, président de la Fondation de l'avenir pour la recherche médicale appliquée, membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS), chargé de la qualité et de la diffusion de l'information médicale (2004-2010)

M. François Autain, président. - Nous poursuivons ces auditions avec M. Etienne Caniard, président de la Fédération nationale de la mutualité française et président de la Fondation de l'avenir pour la recherche médicale appliquée. Il est accompagné de M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général de la Mutualité, et de deux autres collaborateurs.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois demander à M. Jean-Martin Cohen-Solal de nous faire connaître, s'il en a, ses liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.

M. Jean-Martin Cohen-Solal. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président. - Je vous prie également d'excuser l'absence de Madame la rapporteure, qui est accaparée par le débat sur la loi bioéthique.

Monsieur le Président, souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire ?

M. Etienne Caniard. - Merci Monsieur le Président. J'interviens en tant que président de la Mutualité française. J'entends vous présenter notre plan et nos propositions. Toutefois, ce plan de la Mutualité française n'est pas une réponse à la seule question posée par le Mediator. Il s'agit d'une réponse plus globale dont les sujets économiques de prix et de remboursement ne sont pas absents.

Les caractéristiques de ce plan sont les suivantes. La première vise à éviter toute confusion dans les responsabilités. Actuellement, il y a beaucoup de confusion des genres dans la manière dont fonctionne le circuit des médicaments. Beaucoup d'acteurs se substituent à d'autres, qu'il s'agisse par exemple de la place respective de l'industrie pharmaceutique et des pouvoirs publics en matière d'information, de l'affrontement des logiques industrielles et sanitaires ou de l'articulation entre les procédures d'autorisation et les règles de vigilance. Nous avons donc essayé de bien mettre chacun face à ses responsabilités.

La deuxième caractéristique de notre plan est qu'il vise à essayer d'assurer davantage de sélectivité, que ce soit dans les procédures d'AMM, dans la fixation des prix, dans les taux de remboursement ou dans l'appréciation des risques. Il s'agit pour nous d'une condition absolument essentielle pour redonner sa juste place au médicament. Il faut tout à la fois éviter les situations de rente et la suspicion sur l'ensemble des médicaments.

Enfin, la finalité de nos propositions consiste à regarder tout cela avec pour seul prisme l'intérêt du patient, qui nous semble parfois un peu oublié tant dans la réflexion que dans son rôle d'acteur de la politique du médicament.

C'est donc dans ce contexte que la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a formulé un certain nombre de propositions. Nous les avons résumés en dix points.

La première proposition consiste à redonner du sens à l'autorisation de mise sur le marché. Le médicament n'est pas un produit comme les autres. Les règles d'accès à un marché doivent être plus sélectives que dans d'autres domaines. Pour qu'un médicament puisse être mis sur le marché, il doit faire la preuve d'un progrès thérapeutique. En matière de procédure, cela implique d'interdire les essais contre placebo lorsqu'il existe un traitement sur le marché et de procéder à des études vis-à-vis de comparateurs existants. C'est un point extrêmement important pour nous. Au niveau européen, les textes de l'Agence européenne du médicament préfèrent les essais avec comparateur plutôt que les essais contre placebo. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que cette position évolue, et qu'il est de plus en plus admis que les essais contre placebo suffisent. Certains, prenant prétexte de la difficulté à réaliser des études préalables à la mise sur le marché, préconisent même des AMM conditionnelles. Cela nous paraît extrêmement dangereux.

M. François Autain, président. - Les AMM conditionnelles figurent-elles dans la directive qui vient d'être adoptée sur la pharmacovigilance ?

M. Etienne Caniard. - Non, je ne crois pas. Toutefois, le débat est très présent dans les instances européennes.

M. François Autain, président. - A ce jour, il n'y a donc pas de texte européen sur les AMM conditionnelles ?

M. Etienne Caniard. - Pas à ma connaissance. En revanche, l'industrie pharmaceutique plaide pour un allègement des conditions d'autorisation de mise sur le marché et pour un renforcement des études post-AMM. De notre point de vue, ce sont les deux étapes qui doivent être renforcées. Le renforcement de la phase post-AMM ne doit pas conduire à accorder des AMM conditionnelles. Ce point important s'accompagne d'autres propositions, par exemple le fait de rendre totalement transparent l'ensemble des essais conduits sur un médicament. Aujourd'hui, l'accès aux données des essais cliniques n'est pas exhaustif. Certains essais négatifs ne sont pas publiés. Ces pratiques sont tout à fait inacceptables.

Notre deuxième proposition vise à considérer que le bénéfice de l'AMM ne doit pas être un bénéfice définitif. Aujourd'hui, il existe une procédure de révision au bout de cinq ans, puis l'AMM est définitive. Nous pensons que la révision quinquennale doit être régulière.

M. François Autain, président. - Il faut donc revenir sur la directive de 2004 ?

M. Etienne Caniard. - Absolument. La balance bénéfices-risques doit être réévaluée régulièrement au regard à la fois des éléments de pharmacovigilance qui s'appliquent aux produits et des éléments provenant de la surveillance populationnelle.

Les réévaluations régulières doivent être fondées sur des études post-AMM. Il faut profiter de ces réévaluations pour s'interroger sur d'éventuelles extensions d'indications. Aujourd'hui, le périmètre des indications demandées lors du dépôt d'une AMM est dans la main des industriels. Ce périmètre est parfois volontairement restreint, l'extension se faisant ensuite dans la vie réelle du produit.

M. François Autain, président. - Pensez-vous que les laboratoires soient si pervers que cela ? Pour vendre plus cher une molécule, ils sont capables de la travestir en molécule pour une maladie orpheline, quitte ensuite à étendre son AMM pour qu'elle bénéficie au plus grand nombre ?

M. Etienne Caniard. - Je ne suis pas certain que ce soit toujours une perversion totalement assumée. L'apparence de la bonne foi peut être préservée. Il suffit de présenter les études disponibles à un moment et d'en avoir d'autres en cours.

M. François Autain, président. - Pour la plupart, ce sont des entreprises éthiques et citoyennes.

M. Etienne Caniard. - Ce sujet du périmètre des indications est absolument essentiel. Aujourd'hui, le périmètre de l'indication demandée est à la main des laboratoires. Lorsque le périmètre est restreint, fût-il demandé pour des raisons extrêmement perverses d'obtention d'un prix plus important, la prescription hors AMM se développe de manière importante et relativement opaque. L'exemple du Mediator montre bien que personne n'est capable de dire très précisément le pourcentage du produit prescrit hors AMM.

M. François Autain, président. - Entre 10 % et 30 %.

M. Etienne Caniard. - Ce qui est quand même une marge d'erreur importante. Le taux de prescription hors AMM ne pourrait être mesuré que par l'assurance maladie. Hors celle-ci ne possède aucun moyen de le vérifier, l'indication de la pathologie n'étant pas appliquée. Dans les prescriptions hors AMM, la seule obligation faite aux médecins consiste à inscrire la mention « NR » dans la marge d'une ordonnance. Cela laisse entendre que pour les pouvoirs publics, l'équilibre des comptes est plus important que la sécurité sanitaire de la population.

J'insiste beaucoup sur ce sujet du périmètre des indications car il est à la base de beaucoup de dérives du système en matière de prix et de sécurité.

M. François Autain, président. - Il m'a été dit que l'assurance maladie remboursait parfois malgré la mention « NR ». Est-ce vrai ?

M. Etienne Caniard. - Nous n'avons aucun accès au produit remboursable. La seule information dont bénéficie la Mutualité est le taux du produit. Quant à savoir si le terme NR a été écrit, nous sommes malheureusement très loin d'avoir ce niveau d'information.

Sur le plan de la pharmacovigilance, nous pensons que les instances chargées de l'autorisation de mise sur le marché et les instances chargées de la vigilance et des études post-AMM doivent être séparées.

M. François Autain, président. - Le directeur de l'Afssaps va tout à fait en sens contraire. Récemment, il a procédé à des réunions conjointes entre la commission AMM et la commission nationale de pharmacovigilance. Les écarts entre ce que vous proposez et ce qui se dessine actuellement sont donc considérables. La séparation entre l'AMM et la pharmacovigilance me semble plutôt être la voie que nous devrions emprunter.

M. Etienne Caniard. - Dans le cas du Mediator, le rapport de l'Igas montre bien que le délai entre les premiers signalements et la réaction a été très long. Peut-être est-ce dû au fait qu'il est extrêmement difficile, pour quelqu'un qui a accordé une autorisation de mise sur le marché, de faire intellectuellement le chemin inverse. De ce point de vue, une séparation des pouvoirs pourrait donc avoir de l'intérêt.

De plus, la pharmacovigilance épidémiologique - études populationnelles permettant de détecter des signaux faibles - est extrêmement peu développée en France. Il nous paraît important d'avoir une organisation de ce type, assez courante dans le système de santé. Dans beaucoup de domaines, il existe un niveau d'autorisation, un niveau de vigilance et, au milieu, l'espace du bon usage et de l'évaluation. Cette distinction peut s'appliquer au médicament. Nous avons le niveau des autorisations et le niveau de l'évaluation. Il reste le domaine de la vigilance, qui recouvre deux aspects : la sécurité de la pharmacovigilance attachée au produit et la pharmacovigilance épidémiologique. Nous préconisons que cet échelon de la vigilance soit rattaché à l'institut de veille sanitaire (InVS), qui a des missions générales de vigilance. Cela aurait l'énorme avantage de séparer les rôles et de développer des outils de pharmacovigilance épidémiologique.

M. François Autain, président. - Souhaitez-vous transférer toutes les vigilances à l'InVS, ou seulement la vigilance médicamenteuse ?

M. Etienne Caniard. - Toutes les vigilances qui sont fondées sur des études et qui reposent essentiellement sur l'épidémiologie devraient être transférées à l'InVS. Il s'agit d'un métier particulier. L'InVS est particulièrement bien placé et compétent.

M. François Autain, président. - Dans ces conditions, qui prendrait la décision de suspension ou de retrait ?

M. Etienne Caniard. - De notre point de vue, la structure qui organise la vigilance doit avoir le pouvoir de retrait, sinon nous retomberions dans la confusion des rôles. Chacun doit assumer ses responsabilités. Ceux qui se livrent à l'analyse des conditions de danger potentiel pour la population doivent avoir le pouvoir de retrait.

M. François Autain, président. - Faut-il également transférer la matériovigilance ?

M. Etienne Caniard. - Ce sont les mêmes aspects : l'un concerne les dispositifs médicaux eux-mêmes, l'autre repose sur des analyses épidémiologiques. Il n'y a pas de raison de la traiter différemment. Dans un certain nombre de propositions, nous dressons des parallèles entre le dispositif médical et le médicament. Notamment en matière d'évaluation et de surveillance des risques, le niveau d'exigence est bien inférieur pour les dispositifs médicaux que pour les médicaments.

La fonction de pharmacovigilance doit s'appuyer sur des études post-AMM. Nous pensons qu'il appartient aux pouvoirs publics de financer l'ensemble de ce dispositif de pharmacovigilance et les études post-AMM. C'est une garantie d'indépendance et un moyen de diminuer de manière considérable le nombre de conflits d'intérêts. La banalisation des conflits d'intérêts fait le lit de discours expliquant qu'il n'existe pas d'experts compétents qui n'ont pas de conflits d'intérêts car par nature, ils sont tous impliqués dans des études post-AMM.

Notre quatrième proposition vise à mobiliser les professionnels de santé dans la sécurité du médicament. Cette mobilisation passe par énormément d'outils. Le premier est la pertinence de la prescription. Aujourd'hui, la liberté de prescription des médecins est largement altérée par la manière dont l'information leur est diffusée.

La mobilisation des professionnels de santé doit passer par plusieurs leviers. Ils doivent notamment être intégrés au dispositif de pharmacovigilance, ce qui est très peu le cas actuellement. Aujourd'hui, les dispositifs conventionnels sont utilisés à des fins pharmaco-économiques. Pourquoi ne pas également intégrer les aspects de sécurité ? Dans un certain nombre de domaines, nous avons besoin d'une participation plus active, parfois par spécialité. La pharmacovigilance pourrait être intégrée dans ces dispositifs conventionnels, que ce soit dans les contrats de type contrat d'amélioration des pratiques individuelles (Capi) ou dans les dispositifs conventionnels en général. Nous pourrions également nous interroger sur l'intégration des pharmaciens dans ce dispositif.

L'utilisation des logiciels métiers, notamment les logiciels d'aide à la prescription, est un sujet très important pour impliquer les professionnels. Ce sujet est largement sous-évalué en France. Nous avons souvent beaucoup de soucis avec la qualité de l'information, d'une recommandation ou d'un avis, mais nous nous interrogeons assez peu quant à la manière dont cette information est intégrée dans la pratique des professionnels. De plus en plus, cette intégration se fait par le biais d' « outils métiers ». La puissance publique doit faire preuve d'une très forte vigilance pour vérifier que ces « outils métiers » ne comportent pas de biais, qu'ils sont conformes aux recommandations en vigueur et qu'ils contribuent à une meilleure qualité des soins.

M. François Autain, président. - Et qu'ils ne comportent pas non plus de publicité.

M. Etienne Caniard. - Cela fait partie des biais. Parfois, des systèmes sont bien plus dangereux qu'une publicité directe. Il s'agit par exemple des logiciels qui comportent des ordonnances types pour certaines pathologies. C'est un moyen autrement plus pervers d'inciter à la prescription de certains produits.

Nous devons nous interroger sur la manière de certifier l'indépendance et la qualité des logiciels d'aide à la prescription, ainsi que sur leur utilisation en vie réelle. Lorsque j'ai quitté la HAS, il n'y avait qu'un logiciel certifié, à diffusion relativement confidentielle. Pourquoi ? Parce que les éditeurs, qui sont très souvent dans des modèles économiques liés à l'industrie pharmaceutique, n'ont aucun intérêt à entrer dans cette certification. Ils n'ont aucun intérêt à proposer des outils métiers.

Une modification apportée à la loi de finances de la sécurité sociale pour 2010 prévoit la possibilité d'inciter à l'utilisation de ces logiciels par les dispositifs conventionnels. Il faut travailler dans ce domaine. La HAS avait officiellement saisi la Cnam pour intégrer ces questions dans les dispositifs conventionnels. Sans incitation très forte à leur utilisation, ces logiciels n'ont aucune chance de se développer. Il existe donc deux solutions : l'obligation ou l'incitation extrêmement forte. Il est tout à fait possible de lier la possibilité d'être conventionné à l'utilisation d'un logiciel certifié. Un pays comme la Belgique a été aussi loin que cela. Des dispositifs extrêmement puissants de financement de la maintenance des logiciels ont été mis en place.

Au-delà des logiciels d'aide à la prescription, le même souci se pose pour la diffusion des recommandations de la HAS. Il existe des systèmes d'aide à la décision intégrés dans des « outils métiers » à destination des médecins. Il est essentiel que la puissance publique s'y intéresse. Les pouvoirs publics doivent comprendre que pour un médecin, le mode d'acquisition d'une recommandation ou de données scientifiques passe davantage par l'acquisition d'outils que par l'apprentissage.

Notre cinquième recommandation porte sur la simplification des questions qui touchent au remboursement et au prix. Aujourd'hui, derrière l'AMM, l'accès au marché en termes de prix et de remboursement n'est ni transparent, ni compréhensible par le public et les professionnels. Lorsqu'un médicament se voit attribuer un service médical rendu insuffisant, deux cas de figure se présentent. S'il s'agit d'une première inscription, le service médical rendu insuffisant entraîne automatiquement une absence de remboursement. S'il s'agit d'une révision, ce service médical rendu insuffisant n'entraîne pas automatiquement le déremboursement du médicament. C'est le ministre qui décide. Cet élément inéquitable entre les produits rend extrêmement difficile à comprendre la réévaluation nécessaire des médicaments.

Par ailleurs, parmi les missions de la commission de transparence figure la détermination du niveau de service médical rendu. Il existe cinq niveaux qui, théoriquement, doivent conduire à déterminer le taux de remboursement. Or il n'existe que quatre taux de remboursement, contre cinq niveaux de service médical rendu. Ce n'est pas totalement idéal en termes de lisibilité. Ainsi, le taux de 15 % mélange des produits à service médical rendu insuffisant et des produits à service médical rendu faible.

Nous pensons que le nombre de niveaux de service médical rendu doit correspondre au nombre de taux de remboursement. Au-delà, nous pensons que le nombre de taux de remboursement devrait être réduit. Trois niveaux nous paraîtraient le minimum : un service médical rendu important, un service médical rendu modéré et un service médical rendu insuffisant, avec pour chacun un taux de remboursement. Dans cette optique de simplification, il nous paraît nécessaire que les avis de la commission de transparence de la HAS soient contraignants.

M. François Autain, président. - Ce n'est pas ce qui se passe à l'heure actuelle.

M. Etienne Caniard. - En cas de réévaluation d'un service médical rendu à insuffisant, le déremboursement n'est pas automatiquement appliqué.

Un autre point est important. Parmi les critères du service médical rendu figure la gravité de la maladie. Ce critère m'a toujours surpris.

M. François Autain, président. - Vous faites allusion à la réglementation.

M. Etienne Caniard. - Oui. C'est le décret d'octobre 1999 qui fixe l'ensemble des critères sur lesquels doit s'appuyer la commission de la transparence pour définir le niveau de SMR. Ce critère de la gravité de la pathologie doit nous interroger. J'ai beaucoup de mal à comprendre en quoi la gravité d'une pathologie doit avoir une influence sur le niveau d'efficacité d'un produit. L'idée est qu'en l'absence de réponse thérapeutique face à une pathologie, il est acceptable de mettre dans la pharmacopée un médicament qui ne sert à rien, mais qui permet une approche compassionnelle vis-à-vis de la pathologie. Cela explique probablement beaucoup de différences quant à l'état d'esprit des prescripteurs vis-à-vis du médicament. Lorsqu'il n'y a rien à faire, on préfère mettre sur le marché un médicament dont l'on sait qu'il est inefficace. Ce sujet est important. Ce n'est pas parce qu'une pathologie est grave qu'un produit dont l'efficacité est faible doit être mis sur le marché.

M. François Autain, président. - Pour un médecin généraliste, il est plus facile de prescrire que de ne pas prescrire.

M. Etienne Caniard. - Vous avez totalement raison. Incontestablement, le fait d'inscrire dans les textes que la gravité d'une pathologie peut conduire à évaluer différemment un produit amène à s'interroger sur la logique qui sous-tend ce type d'information.

Venons-en maintenant aux aspects du prix.

M. François Autain, président. - Que pensez-vous de l'amélioration du service médical rendu ? Ne vous intéresse-t-elle pas ?

M. Etienne Caniard. - Elle nous intéresse un peu moins suite à ce que j'ai dit à propos des critères d'autorisation de mise sur le marché. Pour qu'un produit soit mis sur le marché, il doit apporter un progrès thérapeutique. Cela sous-entend qu'il a un ASMR positif. Dès lors, le rôle de la HAS et de la commission de transparence est un peu modifié. Aujourd'hui, la commission de transparence doit à la fois déterminer le SMR et évaluer l'ASMR. L'introduction du critère de progrès thérapeutique au niveau de l'autorisation de mise sur le marché limite le rôle de la commission de transparence à l'évaluation du SMR et des conditions du bon usage du produit. Le système que nous préconisons permet de dire que la comparaison avec des produits existants limitera le nombre de produits qui arrivent sur le marché, donc la pharmacopée française. Le rôle de la HAS consistera davantage à évaluer le SMR au regard du taux de remboursement et les conditions de bon usage du médicament, sans connexion directe entre le SMR et l'ASMR.

M. François Autain, président. - Vous renversez la perspective en transférant à la commission d'AMM le travail qu'effectue aujourd'hui, dans des conditions contestables, la commission de la transparence. Finalement, c'est la commission d'AMM qui déterminera l'ASMR. Il s'agit d'un renversement complet de la perspective. C'est à partir de médicaments dont nous sommes certains qu'ils apportent une amélioration que sera déterminé le service médical rendu, en fonction des critères contenus dans la réglementation.

M. Etienne Caniard. - A l'exception du critère de gravité de la maladie.

M. François Autain, président. - La commission de la transparence ne ferait plus qu'établir une hiérarchie dans l'efficacité des médicaments mis à sa position. De quels moyens disposerait-elle pour cela ? Comment évaluerait-elle le taux de service médical rendu de tel ou tel médicament ?

M. Etienne Caniard. - Dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. La commission de transparence travaille plutôt bien en matière d'évaluation du service médical rendu. L'architecture de notre système vise à introduire les éléments de comparaison en amont, au niveau de l'AMM, ce qui réduit le nombre de médicaments sur le marché et donne davantage de sélectivité. En matière d'évaluation du SMR, il n'y a pas grand-chose à modifier par rapport aux règles actuelles. S'agissant de l'élaboration des règles de bon usage du médicament, il ne faut pas oublier qu'en créant la Haute Autorité de Santé, le législateur considérait que la prise en charge d'une maladie devait être globale. L'intérêt de la commission de transparence est de donner des recommandations de bon usage du médicament qui peuvent comparer l'approche médicamenteuse à une autre approche.

M. François Autain, président. - Ce n'est pas la commission d'AMM qui fait cela.

M. Etienne Caniard. - Effectivement. Il ne faut pas oublier cet aspect, qui est un élément extrêmement important dans la stratégie thérapeutique. Le médicament n'est pas la réponse absolue et unique au traitement de toutes les pathologies. Parfois, d'autres moyens doivent être mis en oeuvre.

M. François Autain, président. - Ce que vous dites me perturbe beaucoup. Le rapport Debré-Even préconise exactement l'inverse, notamment la suppression du SMR. Pour votre part, vous préconisez la suppression de l'ASMR et son remplacement par le SMR, mais dans certains cas, celui-ci pourra être considéré comme une amélioration par rapport aux traitements non-médicamenteux auxquels il sera comparé. Par delà vos différences, je me demande si vous n'avez pas la même préoccupation. Je crois qu'il faudra renoncer à l'un des services. Nous ne pouvons pas conserver les deux. Personne n'y comprend rien. Nous ne mettons pas toujours les mêmes conceptions derrière les mêmes sigles. Votre système a une certaine logique dans la mesure où tous les médicaments qui sont soumis à l'AMM font l'objet d'un comparatif. Nous en sommes très loin aujourd'hui.

M. Etienne Caniard. - Notre plan ambitionne de remettre les choses dans l'ordre. Nous avons deux objectifs dans le circuit du médicament. Le premier vise à ne mettre sur le marché que des produits qui apportent un progrès thérapeutique. Ensuite, la question qui se pose touche au remboursement. Pour nous, il est clair qu'il doit être lié à l'efficacité du produit, d'où l'intérêt de maintenir cette évaluation du SMR. Il est probable qu'une réflexion sémantique s'impose. La plupart des prescripteurs ne connaissent pas la différence entre l'ASMR et le SMR.

M. François Autain, président. - Même le rapport de l'Igas est incompréhensible dans son passage sur l'ASMR et le SMR. Il y a urgence à clarifier ces données.

M. Etienne Caniard. - Dans notre construction, en mettant en amont cette appréhension du progrès thérapeutique, nous réglons le problème par la suite. Dès lors que cette logique de progrès médical aura été adoptée dans une première évaluation pour la mise sur le marché, le reste de l'évaluation aura deux objets : fixer un taux de remboursement et des recommandations aux fins de bon usage du médicament - lesquelles intègreront des éléments de comparaison avec d'autres approches thérapeutiques. Si le législateur a souhaité mettre entre les mains de la HAS l'ensemble des moyens thérapeutiques, c'est bien pour permettre cette comparaison.

M. François Autain, président. - Nous n'avons pas le sentiment que cette comparaison a véritablement été mise en oeuvre.

M. Etienne Caniard. - Le système que l'on décrit aujourd'hui s'y prête assez mal. Nous sommes dans une logique d'évaluation de l'amélioration du service médical rendu à des fins de fixation. Les textes énoncent que le médicament ne peut être mis au remboursement que s'il démontre cette amélioration. Cela sous-entend que la comparaison se fait avec des produits. En séparant le progrès thérapeutique au niveau de l'AMM, l'évaluation du SMR pour le taux de remboursement et le bon usage du médicament au niveau de la HAS, avec un fonctionnement plus transparent du Ceps, le système aura le mérite de séparer différentes fonctions aujourd'hui complètement mêlées.

M. François Autain, président. - Vous nous avez souvent proposé des amendements très intéressants au sujet du Ceps, mais ils ont toujours été refusés par le ministre. Il est possible que les mentalités aient évolué et que nous ayons davantage de chances aujourd'hui que par le passé.

M. Etienne Caniard. - Nous nous sommes souvent exprimés sur le rôle du Ceps dans le circuit du médicament. Nous avons émis des critiques assez fortes quant à son absence totale de transparence. Tous les observateurs le disent.

M. François Autain, président. - Excepté le précédent directeur, Monsieur Renaudin.

M. Etienne Caniard. - De l'extérieur, nous avons peu d'informations sur les ordres du jour et les comptes-rendus de réunion. L'absence de transparence est un sentiment assez partagé, avec en plus des règles de fonctionnement qui ne sont pas toujours très explicites. Le Ceps semble fonctionner en se réservant des marges d'appréciation relativement importantes. Sa finalité n'a jamais été tranchée : s'agit-il de primer la politique industrielle ou la politique sanitaire ?

M. François Autain, président. - La pratique montre qu'encore une fois, l'économie l'emporte.

M. Etienne Caniard. - C'est un peu le sentiment que nous avons. Ce sentiment est renforcé par le fait que le système de conventionnement entre le Ceps et l'industrie se fasse par laboratoire et non par produit. Après tout, cette logique pourrait se défendre, mais il faudrait que les choses soient claires et qu'il soit annoncé que les décisions sont prises au nom d'une politique industrielle. Dès lors, un lieu d'arbitrage entre la politique industrielle et la politique sanitaire serait nécessaire. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que les deux sont mêlés.

M. François Autain, président. - Le directeur du Ceps ne se cache pas de parfois remettre en cause l'évaluation de la commission de la transparence. Il n'a pas de vidéos ou d'experts tenus de publier leurs conflits d'intérêts. Il décide dans son bureau avec ses propres experts. S'il agit comme cela, c'est probablement parce que des directives ministérielles le lui permettent.

M. Etienne Caniard. - Le problème de fond tient vraiment au positionnement du Ceps. Ce qui nous choque, c'est le fait que tout soit présenté comme si le Ceps était une instance extrêmement transparente et rigoureuse, intégrant toute la procédure d'évaluation scientifique en amont. Or cette procédure amont disparaît au moment d'une prise de décision qui n'est même pas explicitée. Nous préfèrerions que la fixation des prix s'appuie sur une logique exclusivement sanitaire, et qu'il puisse ensuite y avoir un lieu d'arbitrage qui intègre des politiques industrielles.

M. François Autain, président. - Ne trouvez-vous normal que ce soit l'assurance maladie qui prenne en charge la décision ?

M. Etienne Caniard. - Il y a la question de qui supporte le coût de cette décision. Il y a surtout la question de l'explicitation de cette décision. Il ne faut pas prendre des décisions de politique industrielle en les habillant des atours d'une évaluation scientifique. C'est bien cela la difficulté. Ce que nous remettons en cause, c'est la convention par laboratoire.

M. François Autain, président. - Vous ne remettez donc pas en cause globalement le principe de la convention et le taux K.

M. Etienne Caniard. - Le Ceps doit fixer des prix par produit à partir de son évaluation.

M. François Autain, président. - Mais sans ce système de reversement et de remise qui est complètement contre-productif et qui n'apporte pas grand-chose. Le taux K est un fusil à un coup. Il n'y a pas de report sur l'année suivante. L'industrie est tout à fait gagnante. Ce point aussi doit être revu, du moins me semble-t-il.

M. Etienne Caniard. - Il existe quatre dimensions, dans ce système des remises, qui toutes doivent nous conduire à abandonner le système d'urgence. Le premier concerne les complémentaires. Les complémentaires paient 65 % d'un produit remboursé à 35 %. Imaginons une remise portant sur 20 % du prix. Il resterait 7 % qui basculent du côté du remboursement des régimes complémentaires. Par ce biais s'opère un transfert invisible de dépenses du régime obligatoire vers le régime complémentaire.

De plus, ce système de remise dissocie le prix facial du prix réel, le second étant le premier augmenté des remises. Le prix des médicaments qui est indiqué n'est évidemment pas le prix réel. Il s'agit du prix facial avant remise. Ce système ajoute donc de l'opacité. Cet élément contribue à l'absence de transparence.

Il présente également l'inconvénient d'être un fusil à un coup. Une fois l'amende payée, il est possible de continuer tranquillement comme avant. Il n'existe pas de pérennité dans le dispositif de régulation. Cette question montre bien que le dispositif actuel du Ceps n'est pas adapté, sans compter qu'il crée une véritable distorsion de concurrence, avec des politiques de prix qui ne permettent pas de procéder à des comparaisons. Tous les économistes libéraux devraient être choqués.

M. François Autain, président. - Nous sommes dans un système de prix administrés. La concurrence n'est pas libre et non faussée. Compte tenu des dysfonctionnements du Ceps, je me suis demandé s'il ne fallait pas tout simplement la supprimer et transférer à l'assurance maladie la compétence de fixation du prix, quitte à ce qu'elle soit assistée des complémentaires. Pourquoi l'assurance maladie ne serait-elle pas capable de négocier avec l'industrie pharmaceutique ? Le rapport de forces serait bien meilleur. Nous pourrions laisser la possibilité au ministère de remettre en cause la fixation du prix dans les quinze jours suivant la décision, mais à condition de motiver cette remise en cause. Je m'interroge sur l'utilité du Ceps dans ses conditions de fonctionnement actuelles.

M. Etienne Caniard. - Le renforcement du rôle des financeurs dans le Ceps est une première étape. La logique est que les financeurs aient une action sur les prix. Vous avez raison de souligner l'incohérence de notre mode de régulation par les prix. L'assurance maladie joue des rôles très différents selon qu'il est question de la rémunération des professionnels de santé, de la dotation aux établissements ou du prix des médicaments. Un système bien encadré permettant une convention entre le financeur et l'offreur de soins présenterait davantage de qualités que le système actuel.

Mon septième point touche à l'encouragement de l'utilisation de la DCI.

M. François Autain, président. - Elle a été rendue obligatoire, mais nous ne nous sommes pas donné les moyens de la rendre obligatoire. Une disposition figure dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2009.

M. Etienne Caniard. - Si cette proposition était appliquée, nous pourrions redonner au prescripteur l'espace de liberté dont il a besoin.

Cela pose beaucoup de questions très facilement solubles, mais qui conduisent les autorités sanitaires à avoir des approches un peu différentes. Par exemple, le fait d'avoir un système d'autorisation de mise sur le marché, produit par produit, conduit à avoir énormément de difficultés à posséder une base d'information commune par dénomination commune internationale. Notamment, les conditions d'AMM peuvent différer selon les moments. Il faut donc fabriquer une recommandation virtuelle des caractéristiques du produit qui s'applique à cette dénomination commune internationale.

Notre huitième proposition porte sur le suivi et l'analyse des prescriptions hors AMM. Il faudrait avoir un peu de traçabilité sur la justification thérapeutique des prescriptions.

M. François Autain, président. - Que faire pour qu'une loi restée inapplicable pendant vingt ans soit enfin appliquée ? Cette loi est-elle réellement applicable ?

M. Etienne Caniard. - Nous pouvons nous interroger sur son applicabilité comme sur la volonté politique de l'appliquer. Les deux éléments ont probablement joué. Un codage intégral des pathologies serait difficile à mettre en oeuvre. Il serait probablement plus facile d'obtenir une justification thérapeutique d'un certain nombre de prescriptions médicamenteuses, dans des conditions à définir.

M. François Autain, président. - Il faut que ça passe par une convention ou par les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi).

M. Etienne Caniard. - Les dispositifs conventionnels sont très puissants, mais ils sont trop souvent utilisés à des fins tarifaires et de rémunération des professionnels, pas suffisamment à des fins d'organisation du système.

Le neuvième point porte sur les outils qui permettent de réduire l'influence de l'industrie pharmaceutique. La sphère publique doit réinvestir un certain nombre de domaines qu'elle a abandonnés. Je pense notamment à la formation médicale continue ou à l'évaluation des pratiques professionnelles. J'entends souvent l'argument du manque de moyens. Le financement par l'industrie pharmaceutique est dans le prix du médicament. Il est donc supporté par la collectivité. Ce n'est pas un problème économique qui est posé. Globalement, il me paraît relever de la responsabilité des pouvoirs publics d'assurer la formation professionnelle continue des médecins et l'évaluation des pratiques.

De même, les pouvoirs publics doivent réinvestir l'intérieur de l'hôpital. Je suis frappé par la place qu'y occupe aujourd'hui l'industrie pharmaceutique. Au sein de la HAS, nous avions engagé un travail visant à organiser la visite médical à l'hôpital. Ce travail n'est pas terminé. Sur ce sujet, la mission confiée par le législateur à la HAS est extrêmement ambiguë : il s'agit de transformer la charte de la visite médicale signée par le Leem et le Ceps en une procédure de certification.

M. François Autain, président. - Il est curieux que le Ceps ait signé une charte médicale avec les laboratoires. Il aurait mieux valu que ce soit la HAS. Enfin, peu importe, vu que cette charte n'a servi à rien.

M. Etienne Caniard. - Au moment de la discussion de la loi du 13 août 2004, la HAS n'existait pas. La Charte avait été signée auparavant entre le Leem et le Ceps. Nous pouvons effectivement nous interroger sur la légitimité du Ceps à signer un tel document. Le plus curieux est que le législateur ait confié à la HAS la mission de transformer cette Charte en une procédure de certification sans lui donner aucun pouvoir sur le contenu de la Charte. D'ailleurs, dans cette charte figurent un certain nombre de dispositions qui devraient relever du domaine réglementaire. Je pense notamment à l'interdiction des cadeaux ou de la remise des échantillons. Les résultats de la certification de la charte démontrent que les seuls domaines dans lesquels les résultats sont positifs sont ceux dans lesquels les mêmes résultats auraient pu être obtenus par une réglementation pure et simple. Il faut sortir de cette logique de charte. Nous avons besoin d'une application tout à fait spécifique de la visite médicale à l'hôpital.

La première version de la Charte ne visait que la médecine de ville. Dés sa création, la HAS a demandé son extension à l'hôpital. Un travail extrêmement important a été mené pour cela, pour une extension finalement a minima, le mot hôpital ayant été ajouté en trois endroits dans la Charte sans que ses spécificités ne soient prises en compte. Or la visite médicale à l'hôpital ne peut pas être organisée dans les mêmes conditions qu'en ville. Nous avons besoin d'une approche complètement différente et d'un réinvestissement de la sphère publique.

Beaucoup d'autres éléments pourraient être pris en compte pour réduire l'influence de l'industrie. Ainsi, un avenant à la Charte visait à essayer de réduire la visite médicale sur certains produits. Cet élément a été complètement abandonné. D'autres éléments pourraient être utilisés, notamment ce qui touche à la taxe sur les dépenses de promotion du médicament. Les contours de cette taxe sont incertains. Personne ne s'est jamais demandé comment rendre cette taxe progressive, ce qui serait pourtant le meilleur moyen pour limiter la part des dépenses de promotion dans le chiffre d'affaires des laboratoires.

Enfin, notre dernier sujet concerne l'Europe et la directive sur l'information directe vers les patients. Toutes les expériences d'information directe du patient sur le médicament, menées aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande, ont conduit à une augmentation des volumes prescrits. Il s'agit d'une pression supplémentaire sur les médecins au travers d'une instrumentalisation des patients. Il ne faudrait pas ouvrir cette vanne. Les outils de régulation seraient alors sans effet. Globalement, cette position est défendue par la plupart des autorités françaises. Il ne faut pas que les règles européennes mettent en péril les efforts effectués. Les pays européens ne sont pas comparables. Aux Pays-Bas, les habitudes des prescripteurs sont très différentes des nôtres.

M. François Autain, président. - Votre exposé a été exhaustif. Je souhaiterais revenir sur les AMM conditionnelles.

M. Etienne Caniard. - Elles existent dans certains cas.

M. François Autain, président. - Selon les informations dont je dispose, la directive et le règlement du 15 décembre 2010 prévoient ces AMM complémentaires. C'est un véritable danger.

M. Etienne Caniard. - Cette possibilité est légale dans certains cas, mais elle reste très limitée. Le risque est que ces procédures d'exception deviennent plus générales.

M. François Autain, président. - Il s'agit davantage qu'un risque. C'est le but implicite poursuivi par les laboratoires. Il me semble bien que la directive de 2010 a modifié la directive de 2001.

Mme Christiane Kammermann. - J'ai beaucoup appris en vous écoutant. J'ai été un peu scandalisée d'apprendre que des médicaments inefficaces pouvaient être délivrés. Je vous remercie tout particulièrement.

M. François Autain, président. - Je vous remercie également.

Audition de M. Philippe Duneton, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (1999-2004)

M. François Autain, président. - Nous terminons cette série d'auditions avec M. Philippe Duneton, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) entre 1999 et 2004. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse., comme vous l'avez accepté. En revanche, vous n'avez pas souhaité qu'elle soit enregistrée.

M. Philippe Duneton. - Le fait qu'elle soit filmée ne me dérange pas, mais je ne souhaite pas qu'elle soit sur Internet.

M. François Autain, président. - En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé, ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Philippe Duneton. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avant, pendant et depuis mes activités à l'Afssaps.

M. François Autain, président. - C'est assez rare pour être souligné. Je vous prie d'excuser l'absence de Madame la rapporteure, qui est prise par le débat sur la bioéthique. Je vous invite, si vous le souhaitez, à faire une déclaration liminaire.

M. Philippe Duneton. - Ma déclaration sera très courte pour laisser place aux questions. Evidemment, je suis frappé par l'ampleur de cette catastrophe sanitaire, qui est à l'évidence un coup pour le système de sécurité sanitaire français, voire européen. Je suis tout à fait à votre disposition pour tenter d'apporter les éléments qui pourraient expliquer les raisons de cette catastrophe, et éventuellement en tirer le bilan.

M. François Autain, président. - A quelle date avez-vous pour la première fois entendu parler du Mediator ?

M. Philippe Duneton. - J'ai eu à connaître du Mediator dans mes activités de directeur général de l'Afssaps pour deux raisons qui n'étaient pas directement liées à la sécurité sanitaire. En 1999, l'Afssaps a été chargée de la réévaluation du service médical rendu des spécialités sur le marché. Le Mediator faisait partie des spécialités qui avaient été considérées, par la commission de la transparence, comme ne disposant pas des éléments nécessaires par rapport au service médical rendu (SMR) pour prétendre au remboursement. En 2001, nous avons aussi publié une liste de 835 spécialités qui n'avaient pas de SMR jugé suffisant.

La seconde fois que j'ai eu à connaître le Mediator, ce fut au cours du contrôle de la publicité. J'ai été amené à prendre une décision d'interdiction de la publicité pour le Mediator, sur proposition de la commission de la publicité, pour des motifs de non-respect du libellé d'autorisation de mise sur le marché (AMM) à cette époque.

Dans aucun de ces deux cas je n'avais la notion qu'il s'agissait d'un produit apparenté aux anorexigènes. Je n'ai découvert ce fait qu'extrêmement tardivement, à la lecture du livre d'Irène Frachon, puis au travers des révélations de la presse et lors du rapport de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).

M. François Autain, président. - Comment expliquer que selon l'Igas, il n'y ait pas eu de réponse du directeur de l'évaluation à une note de 1999 de l'unité de pharmacovigilance de l'Afssaps portant sur les inquiétudes à propos des hypertensions artérielles et des valvulopathies ? Quand considérez-vous que le signal quant à des effets indésirables est devenu significatif ? Plus généralement, pouvez-vous détailler la procédure de remontée et de traitement des informations entre les organismes de pharmacovigilance et le directeur général de l'Afssaps ?

M. Philippe Duneton. - J'ai découvert l'existence de ce problème à la lecture du livre d'Irène Frachon, puis du rapport de l'Igas. Lorsque j'ai su qu'une mission d'inspection était en cours, j'ai contacté l'Igas. Ils m'ont parlé de cette note que j'ai retrouvée dans le rapport, mais je n'ai malheureusement pas d'explications. Je n'étais pas au courant de l'existence de cette demande de réévaluation datant de 1999, de la même manière que je n'ai pas été informé des deux cas de 1999, un cas de valvulopathie et un cas d'hypertension artérielle pulmonaire. Je les ai découverts a posteriori à la lecture du rapport.

M. François Autain, président. - Vous n'en avez pas eu connaissance.

M. Philippe Duneton. - Non.

M. François Autain, président. - Pensez-vous que ce soit normal ?

M. Philippe Duneton. - Je ne pense pas que ce soit normal. En 1999, l'agence du médicament était en construction. Il s'agissait d'étendre la sécurité sanitaire à l'ensemble des produits de santé. Il existait une relation étroite entre le directeur général que j'étais et tous les responsables des systèmes de vigilance. Les réunions étaient régulières. Les commissions nationales étaient préparées, avec un ordre du jour. Les cas difficiles étaient signalés à mon attention soit par le directeur, soit par le chef d'unité. A posteriori, je me suis tout à fait étonné de n'avoir pas entendu parler du Mediator. J'ai contacté le directeur de l'évaluation qui a été nommé à la suite de Jean-Michel Alexandre, parti en 2000. Il m'a confirmé que lui-même n'avait pas été informé d'un problème entre 2001 et février 2004.

M. François Autain, président. - Ces deux observations intervenues en 1999 sont donc restées confinées à la commission de pharmacovigilance.

M. Philippe Duneton. - De ce que j'ai reconstitué dans le cadre du rapport, je crois que ce n'était même pas à la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV). Selon le rapport, il n'y a pas eu d'examen par la CNPV.

M. François Autain, président. - Et en comité technique ?

M. Philippe Duneton. - Oui, mais pas en commission nationale jusqu'en 2005, qui a d'ailleurs demandé une réévaluation de la balance bénéfices-risques.

M. François Autain, président. - Lorsque vous étiez directeur général, vous aviez probablement des réunions pour examiner les médicaments pouvant poser des difficultés. A aucun moment, ce problème ne vous a été signalé ? Vous avez dit que l'agence était en phase de construction. Est-ce la seule raison pour laquelle des effets indésirables de cette importance ne sont pas arrivés jusqu'à vous ? Est-ce en raison de cette jeunesse de l'institution, ou en raison des structures qui ne permettent pas au directeur général d'être alerté aussi rapidement qu'il serait nécessaire de le faire dans le cas d'un accident relativement grave survenant avec un médicament considéré comme inutile ? Cela pourrait-il se reproduire aujourd'hui alors que l'agence a derrière elle plus de dix années d'expérience ?

M. Philippe Duneton. - Je ne peux pas dire que le directeur général ait vocation à connaître tous les cas. En matière de pharmacovigilance, 20 000 notifications sont réalisées chaque année.

M. François Autain, président. - Il y a plusieurs sortes d'effets indésirables. Une hypertension artérielle pulmonaire, ça n'est pas une inflammation de la peau.

M. Philippe Duneton. - Personne ne peut connaître l'ensemble des cas. En revanche, lorsque des éléments significatifs sont de nature à remettre en cause le bénéfice-risque, il est naturel que le directeur général soit informé.

Je connaissais bien l'histoire des anorexigènes. J'ai moi-même eu à prononcer, en application de l'arbitrage européen de septembre 1999, la suspension et le retrait d'AMM de l'ensemble des anorexigènes. Je pensais donc très sincèrement que ce problème avait été pris en compte par l'agence française et par l'agence européenne.

M. François Autain, président. - Vous connaissez les tribulations de ce médicament, qui est passé au travers de tous les contrôles. En 1987, la commission d'AMM a formellement récusé l'indication concernant le diabète. Cet avis n'a jamais été mis en application. Pendant plus de dix ans, cette indication a toujours figuré sur le RCP du Mediator en dépit de l'avis de la commission. Il a fallu attendre 2001 pour que soit infirmé l'avis de la commission. Des documents officialisent cette indication concernant le diabète. En revanche, je ne suis pas parvenu à retrouver la commission d'AMM qui modifie l'avis de la commission de 1987. Seule une lettre de juillet 2001 donne un avis favorable à l'indication dans le traitement du diabète.

Evidemment, vous n'avez pas signé ces documents. Vous allez sans doute me dire que vous n'étiez pas au courant. Je crains que ce soit un groupe de travail qui ait modifié l'avis d'une commission d'AMM. Ce serait assez grave. Un groupe de travail ne peut pas modifier l'avis d'une commission d'AMM. Que pouvez-vous nous dire ?

M. Philippe Duneton. - Sincèrement, je ne suis pas au courant. Normalement, une décision, même signée par délégation, doit être motivée.

M. François Autain, président. - Il y a juste un avis une référence de la commission d'AMM, sans même la date de sa réunion. Quelques lignes plus haut, il était pourtant fait référence de manière très précise à l'autorisation de mise sur le marché. Dans un cas, la commission est donc citée, mais il n'y a pas d'autre référence à une commission d'AMM qui aurait modifié l'autorisation de mise sur le marché de la commission de 1987. Je suis déçu, mais je ne m'attendais pas à ce que vous puissiez répondre à cette question. Je voulais au moins savoir si vous en aviez entendu parler. Manifestement, ce n'est pas le cas.

Un rapport d'audit commandé par Mme Guigou lorsqu'elle était ministre des Affaires sociales dénonçait la présence tout à fait inopportune de représentants de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions de l'Afssaps. Rassurez-vous, jusqu'au Mediator, vos successeurs n'ont rien fait ! A l'époque, une structure était chargée de vérifier les conflits d'intérêts. Deux notes vous ont été adressées par son responsable, M. Benaïche, pour attirer votre attention sur les inconvénients et les risques que pouvait présenter, sur un plan contentieux, la présence de représentants de l'industrie pharmaceutique dans les commissions. Aviez-vous connaissance de ces deux notes ? Y avez-vous répondu ? Si oui, quelle a été votre attitude ? Avez-vous fait quelque chose ?

M. Philippe Duneton. - Oui. J'ai été amené à répondre à la mission de l'Igas et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur ce point. Ma réponse figure dans le rapport. Dans le cadre de la commission nationale de pharmacovigilance, des représentants étaient présents en tant que tels. Cela me posait un problème vis-à-vis de la commission d'AMM également. Dans le cadre du règlement de la commission d'AMM, il avait été indiqué que l'industrie pharmaceutique ne pouvait être qu'invitée, sans participer aux votes de la commission. C'est sur ces principes que j'ai demandé au service de l'agence d'agir. Je pense que la direction générale de la santé avait également été mise en éveil pour trouver un règlement harmonisé à la présence des syndicats de l'industrie pharmaceutique dans les commissions de l'agence.

M. François Autain, président. - Cela ne vous choquait pas que les laboratoires pharmaceutiques participent à toutes ces commissions ?

M. Philippe Duneton. - Dans le cadre de la pharmacovigilance, c'était prévu par les textes. Nous avons demandé que ce soit retiré pour leur confier un statut d'observateurs ne participant pas aux débats, en tout cas pas aux délibérations. Je ne sais pas si cela a été fait.

M. François Autain, président. - Rien n'a été fait. Vous n'avez pas demandé que les délégués des laboratoires ne siègent plus dans la commission d'AMM.

M. Philippe Duneton. - C'est l'instruction que j'ai donnée. Elle figure dans le rapport de l'Igas.

M. François Autain, président. - J'ai lu ce rapport. Je n'ai rien trouvé. Je fais référence à des notes que vous a adressées la cellule de veille déontologie en date du 24 juillet 2000, puis du 11 juillet 2001, ce qui indique d'ailleurs que vous n'aviez pas répondu à la première, sinon vous n'auriez pas reçu la seconde. Ces notes vous rappelaient les risques contentieux auxquels s'exposait l'agence en acceptant la participation systématique du syndicat national de l'industrie pharmaceutique (Snip) à ses réunions. Manifestement, vous n'avez pas répondu à la note du 24 juillet 2000. M. Benaïche pourrait se tenir à votre disposition. En avez-vous discuté avec lui ?

M. Philippe Duneton. - Bien sûr, avec le service juridique de l'agence. La réponse de l'agence à l'Igas a été revue par le service juridique de l'agence.

M. François Autain, président. - Vous n'avez pas répondu aux notes qui vous ont été adressées par la cellule de veille déontologique.

M. Philippe Duneton. - Honnêtement, je ne peux pas vous dire.

M. François Autain, président. - Malgré cette mise en garde de la cellule de veille, les représentants du Snip ont continué à participer à ces réunions.

M. Philippe Duneton. - A ma connaissance, ils n'ont pas pris part aux délibérations.

M. François Autain, président. - A quoi servaient-ils s'ils étaient là, mais qu'ils ne disaient rien ? Ils faisaient tapisserie ? Ce n'est pas l'habitude de l'industrie pharmaceutique, dont les compétences en termes de lobbying sont bien connues. S'ils étaient là, c'est qu'ils considéraient que leur présence était utile. Comment considérer que quelqu'un qui était présent était en fait absent dès lors qu'il ne s'exprimait pas, ce dont vous n'avez d'ailleurs pas la preuve ? Dès lors que l'industrie pharmaceutique est présente dans les commissions, mais ne dit rien, cela ne vous pose donc pas de problème ?

M. Philippe Duneton. - Je ne sais pas si ça a été réformé depuis.

M. François Autain, président. - Je peux vous assurer qu'il n'y a eu aucune réforme. Il a fallu l'affaire du Mediator pour qu'un courrier soit adressé aux entreprises du médicament (Leem) afin de leur dire de ne plus venir. Peut-être reviendront-elles plus tard, vu que l'industrie pharmaceutique a le privilège de ne pas devoir respecter la réglementation. Nous avons l'impression qu'elles étaient chez eux à l'Afssaps. Vous ne pouviez pas le leur dire ?

M. Philippe Duneton. - La présence du Snip dans certaines commissions, dont celle de la pharmacovigilance, était prévue par les textes.

M. François Autain, président. - Sur ce plan, le texte n'a pas changé. Il y a toujours un représentant de l'industrie pharmaceutique à la commission nationale de pharmacovigilance, de même qu'il y en a un à la commission de la transparence. En revanche, il ne devrait pas y en avoir dans la commission d'AMM ni dans les groupes de travail. Ils étaient pourtant bien présents. C'est bien de la commission d'AMM dont je parle, pas de la commission nationale de pharmacovigilance.

M. Philippe Duneton. - De mémoire, dans la réponse que j'ai faite et dans les instructions que j'ai données, ne voyant pas pourquoi ils siégeaient dans la commission de pharmacovigilance, j'avais demandé qu'ils puissent simplement être présents en tant qu'observateurs, mais sans participer aux délibérations des différentes commissions de l'agence, en tout cas pas celle de la transparence.

M. François Autain, président. - J'ai sous les yeux la réponse de l'Afssaps et les nouvelles observations de la mission. Effectivement, vous avez parlé des conflits d'intérêts, évoquant le fait qu'une réflexion à moyen terme plus systématique sur le recours à l'expertise externe devait être engagée par l'agence. Je serais très heureux que vous m'adressiez la partie de ce texte où vous apportez une réponse à cette interrogation des rapporteurs.

M. Philippe Duneton. - Je l'ai sous les yeux, en page 5 d'un document de décembre 2002. Je vous la transmettrai. Une réponse concerne le fonctionnement de la commission d'AMM et de déontologie. Le texte est un peu long. Je vous le lis : « La mission a relevé que la commission d'AMM ne disposait pas d'un règlement intérieur ». Il est apprécié que le projet de règlement intérieur a été finalisé et qu'il sera présenté à la prochaine commission d'AMM, qu'elle doit être formée par le ministre dans les prochaines semaines et les membres nouvellement nommés (40 % des membres proposés) ou reconduits dans leur mandat pourront en prendre connaissance et l'adopter rapidement. Le projet actuel de règlement intérieur insiste notamment sur les obligations de confidentialité des débats et des données fournies dans les dossiers étudiés, sur l'obligation de déclaration des éventuels conflits d'intérêts. Dans le domaine de la déontologie et des conflits d'intérêts, les membres et les experts des groupes de travail ou membres de la commission d'AMM, il faut souligner que des actions correctrices ont déjà été entreprises ou vont prochainement être mises en place. La liste exhaustive des experts amenés à travailler pour l'agence dans les différents groupes de travail établis fait l'objet d'une décision du directeur général publiée au bulletin du ministère de la santé. Le directeur général a demandé qu'à partir de cette liste une vérification systématique soit réalisée pour s'assurer de la complétude de la base Fides que nous avons développée. Cette vérification est facilitée par l'ensemble des secrétariats de l'agence. Par la suite, la présence du Leem aux séances de la commission d'AMM et des groupes de travail correspondants, à l'occasion de la nomination de la nouvelle commission d'AMM et d'une reconstitution des groupes de travail, il va être instauré que la participation des membres du Leem ne sera pas systématique dans les groupes de travail. Le Leem pourra présenter, le cas échéant, des arguments de leur profession sur les questions générales qui concernent directement le groupe de travail ou être invité à présenter en cas de nécessité des observations sur les points particuliers. Il pourra être aussi parfois nécessaire de recueillir l'avis des professionnels représentés par le Leem, mais dans ce cas ce sera l'agence et non plus le groupe de travail qui prendra l'initiative de la consultation. La participation du représentant du Leem peut être envisagée au cours des séances plénières de la commission d'AMM, pour leur information et participation au débat sur les questions générales ayant trait au médicament . « En revanche, chaque fois qu'un vote formel sera prononcé sur les médicaments en examen par la commission, il sera demandé aux représentants de quitter la salle ».

M. François Autain, président. - Nous n'avons pas le même document. Nous allons faire une copie du vôtre.

M. Philippe Duneton. - Avec plaisir. Il y a même la réponse de la mission Inspection générale des finances-Inspection générale des affaires sociales (IGF-Igas), qui prend note de ces observations.

M. François Autain, président. - Mon document ne fait pas état d'une réponse aussi détaillée. N'avez-vous fait qu'une réponse ?

M. Philippe Duneton. - Oui. Toutefois, il y a plusieurs rapports. La mission d'inspection a duré de nombreux mois. Elle a étudié l'ensemble des activités de l'agence. Vous avez peut-être le rapport de synthèse.

M. François Autain, président. - Ce n'est donc pas le même rapport. En tout cas, cela n'enlève rien à la constatation faite à l'époque, et qui a malheureusement perduré. Jusqu'en décembre 2010, les représentants de l'industrie pharmaceutique ont siégé dans des commissions et des groupes de travail où ils n'avaient rien à faire. Nous comprenons donc pourquoi le rapport de l'Igas dit que l'Afssaps, structurellement et culturellement, était en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Dans son livre, Irène Frachon fait même état de membres de l'Afssaps qui ont appris leur nomination par l'industrie pharmaceutique. Cela dénote un climat. C'est davantage que de la porosité, c'est de la perméabilité. A aucun moment l'Afssaps n'a mis en cause les thèses des laboratoires Servier. Lorsque ce dernier a estimé que le Mediator n'était pas un anorexigène, le directeur de l'évaluation n'a pas dit le contraire. L'Afssaps n'était pas capable d'avoir ses propres analyses, son propre discours. Son discours était celui de l'industrie pharmaceutique. Comment l'expliquez-vous ?

M. Philippe Duneton. - Je laisserai ses propos à l'ancien directeur de l'évaluation. Le rapport établit qu'il y a eu des informations au niveau européen, notamment de collègues italiens qui ont fait état de la similitude. Il y a donc un avis pharmacologique tout à fait clair. De ce que j'ai pu voir du rapport, cet avis transmis par le laboratoire n'a pas été correctement transmis à l'agence.

Je ne pense pas qu'on puisse dire que l'agence reprend simplement les avis des laboratoires. Il est déjà arrivé, dans des affaires de pharmacovigilance (comme par exemple la cérivastatine), que nous ayons des constats de désaccord relativement lourds avec l'industrie pharmaceutique. J'ai également mené des actions très directes, vis-à-vis du Sibutral notamment. J'ai été extrêmement choqué de voir que le Mediator n'a pas été traité comme il aurait dû l'être. En revanche, j'avais été alerté sur les risques liés au Sibutral. Avant la commission de pharmacovigilance, lorsque le cas italien est survenu, j'avais convoqué l'unité de pharmacovigilance et le président de la commission pour lui faire état de mes doutes sérieux quant à l'intérêt de ce médicament. Cette classe pharmacologique me semblait pour le moins en décalage avec ce qu'on pouvait attendre de la sécurité d'un produit. J'ai prononcé la suspension car j'ai reçu un avis détaillé de la commission de pharmacovigilance.

Je pourrais également citer le cas du Zyban.

M. François Autain, président. - Il est toujours sur le marché.

M. Philippe Duneton. - La France a posé des questions d'exception et demandé des études complémentaires, repoussant d'un an et demi l'autorisation européenne. Nous avions des doutes sérieux et nous les avons motivés. Le président du laboratoire m'avait publiquement accusé d'être responsable de la mort de patients qui ne pouvaient pas avoir accès au Zyban. Je pourrais citer un très grand nombre d'exemples dans lesquelles l'agence a été réactive.

M. François Autain, président. - Le Zyban est encore sur le marché. Il a donc bien été autorisé.

M. Philippe Duneton. - Oui, mais nous avions posé un certain nombre de questions car nous avions des soucis en termes de dépendance. En 1999, nous avions obtenu le retrait du Survector, un médicament de Servier, pour les mêmes motifs. Nous étions très en alerte, malheureusement pas sur le Mediator, mais sur cette classe de médicaments. Le médicament est arrivé à l'AMM européenne après que, pendant un an et demi, l'agence eut bloqué ce dossier pour des raisons de santé publique.

M. François Autain, président. - Malheureusement, cela n'a pas été suffisant. Une fois qu'un médicament est sur le marché, il est difficile de le retirer. Est-ce vous ou le laboratoire qui avez retiré la cérivastatine ?

M. Philippe Duneton. - C'est le laboratoire, mais nous y avions beaucoup travaillé. D'ailleurs, il est écrit dans le rapport d'inspection que nous avons consacré trop de temps à la cérivastatine ! La France était très active dans la procédure engagée quant à ce médicament. Le laboratoire, considérant que la procédure d'arbitrage se terminerait probablement par une suspension, en a profité pour retirer son produit dans des conditions d'information de l'agence que j'ai directement critiquées. Je trouve qu'il est normal qu'un laboratoire puisse prendre la décision de retirer un médicament, encore faut-il qu'il puisse avertir de manière motivée les autorités sanitaires, surtout lorsqu'elles sont directement engagées dans le dossier.

M. François Autain, président. - A l'époque, étiez-vous sollicités par des associations de patients pour éventuellement participer à des groupes de travail ou à des commissions ? Quelles suites avez-vous donné à ces demandes ?

M. Philippe Duneton. - Il y en a eues. Historiquement, l'agence a beaucoup travaillé avec les associations engagées dans la lutte contre le syndrôme d'immuno-déficience acquise (Sida). Un groupe spécial de contacts avait été créé avec l'agence. Les associations ne nous ont pas demandé de siéger aux commissions, mais elles nous ont régulièrement interpellés, demandant par exemple la mise en place d'une pharmacovigilance spécifique. Avant mon départ, nous avons travaillé avec eux sur les conditions de notification directe par les patients. Nous avons également changé, pendant mon mandat, le dosage des insulines en unités internationales. L'association française des diabétiques a été étroitement associée à ces travaux. Nous avons organisé le suivi du distilbène avec la pharmacovigilance. J'ai personnellement reçu les associations de familles. Nous avons mis en place des études afin d'analyser le risque pour les générations secondaires des femmes exposées. Ce ne sont que quelques exemples. Nous avons eu beaucoup d'interactions avec des associations de patients.

M. François Autain, président. - Avez-vous lu le rapport Debré-Even ?

M. Philippe Duneton. - Non. J'ai lu des comptes-rendus dans la presse.

M. François Autain, président. - Ce rapport n'est pas tendre avec l'Afssaps. Il est question du « triste bilan » de l'Afssaps, de sa « totale faillite », de son « impéritie ». Ces termes vous semblent-ils exagérés ?

M. Philippe Duneton. - Ils sont légitimes dans l'affaire du Mediator, exagérés pour l'ensemble de l'activité de l'agence.

M. François Autain, président. - La décision prise par l'ancienne directrice générale de demander le départ du Leem de toutes les commissions vous semble-t-elle juste et de nature à améliorer les conditions dans lesquelles fonctionnent les groupes de travail et les commissions ? Est-ce un commencement pour donner davantage d'indépendance à l'Afssaps ?

M. Philippe Duneton. - C'est un élément. Il n'est pas illogique de demander une intervention motivée. C'était le sens de ma réponse à l'inspection. Toutefois, elle doit être limitée.

M. François Autain, président. - Cela va au-delà. Ils ne sont plus acceptés. Cette mesure vous semble-t-elle positive ?

M. Philippe Duneton. - Oui. Les règles doivent être claires. Certaines dispositions du rapport Debré-Even sur les conditions d'expertise me semblent en partie justifiées. L'expertise externe est extrêmement prenante. Elle doit être valorisée et rémunérée, pas forcément à titre personnel, mais au niveau de l'hôpital par exemple. Il me semble tout à fait justifié de clairement fixer la ligne. De mon point de vue, cela doit permettre d'encadrer les conditions d'information demandées aux firmes.

M. François Autain, président. - Il n'est pas nécessaire que les laboratoires soient présents en permanence. Les experts doivent pouvoir, le cas échéant, convoquer les laboratoires si des points d'un dossier ne sont pas clairs. Cela n'a rien à avoir avec une présence en permanence des représentants de ces laboratoires dans les commissions. Ils étaient partout, dans tous les groupes. J'espère que la lettre de la directrice générale adjointe a été suivie d'effets.

M. Philippe Duneton. - Cela me semble plus clair et je pense qu'il y aura des traductions au plan réglementaire.

M. François Autain, président. - La réglementation n'a pas changé, mais nous ferons des propositions qui iront dans le sens d'une séparation : le laboratoire ne peut pas être juge et partie.

Mme Marie-Christine Blandin. - Ma première interrogation est celle d'une citoyenne non-avertie des questions médicales. L'AMM parlait d'un adjuvant au régime du diabète, pas d'un traitement de premier rang du diabète. Ce terme de « régime » renvoie à un comportement diététique. N'était-il pas susceptible de donner directement l'alerte avec une indication de crypto « coupe-faim » de la part du laboratoire ?

Par ailleurs, ne serait-il pas pertinent, puisque vous avez cité le cas du distilbène, que l'Afssaps réalise des signalements de certains « types de molécules » à une agence comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail (Anses) ?

M. Philippe Duneton. - Le terme d'adjuvant au régime diabétique me paraît relativement flou. J'imagine qu'il s'est appuyé sur des études. Je ne pense donc pas que nous puissions parler d'un crypto « coupe-faim », malgré d'assez importantes prescriptions hors AMM.

M. François Autain, président. - Comment l'appelleriez-vous ?

M. Philippe Duneton. - Tout dépend de la question posée. Dans le cas des 835 médicaments dont le prix devait être revu, la commission de la transparence avait tiré des conclusions assez drastiques sur un certain nombre de molécules. Pourtant, il s'agissait, à quelques exceptions près, des mêmes experts. Souvent, ils avaient travaillé sur le dossier d'AMM auparavant. Assez rapidement, ils ont conclu à l'absence de service médical rendu. Par exemple, le Mediator ne figurait dans aucune recommandation de bonne pratique thérapeutique. Il n'y avait pas la documentation nécessaire pour préciser un intérêt majeur ou significatif dans la prise en charge d'un diabète. Le terme d'adjuvant est le produit de l'histoire. Les conditions d'octroi de l'AMM ont évolué au fil du temps.

M. François Autain, président. - Nous ne sommes pas certains que ce soit une commission d'AMM qui ait octroyé cette appellation.

M. Philippe Duneton. - J'imagine que c'est le cas. En tout cas, ces libellés sont discutables. Le terme d'adjuvant n'est pas extrêmement net en matière d'efficacité.

Concernant les risques plus grands, j'ai cité le cas du distilbène en réponse à des associations de patients. Pour les phtalates, nous avons conduit des études particulières transversales en coordination avec les autres agences concernées. Nous avions mis en place des échanges inter-agences, en particulier avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). C'est quelque chose que nous avons oublié aujourd'hui. Nous avons beaucoup investi dans le risque du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, en termes de produits de santé, sur le risque de transmission par le sang. Cela nous a conduits à réévaluer le risque des gélatines contenues dans les médicaments. Nous avons agi en pleine concertation avec les autres agences concernées par ces risques transversaux.

Mme Marie-Christine Blandin. - Je précise que je ne suis pas médecin. En cherchant sur Internet le terme « adjuvant du régime », je suis tombé sur un médicament décrit de la manière suivante : « adjuvant du régime de traitement hormonal utilisé à terme comme provoquant des amaigrissements et suggéré par de nombreux médecins comme coupe-faim ».

M. François Autain, président. - Le terme d'adjuvant a été utilisé pour habiller le compromis que l'Afssaps a passé avec le laboratoire pour un médicament qui, manifestement, ne possédait pas les qualités requises pour être qualifié d'anti-diabétique. Il s'agissait uniquement de ne pas être désagréable au laboratoire.

Mme Virgine Klès. - De manière très générale, le terme d'adjuvant augmente les capacités intrinsèques et positives du médicament.

M. Philippe Duneton. - Je n'ai pas fait la bibliographie de l'utilisation du terme d'adjuvant. Je dis qu'il s'entend comme complémentaire à des actions diététiques qui ne semblent pas anormales dans le cadre du diabète. Dans les diabètes gras, un régime nutritionnel est largement conseillé. J'entends vos propos. A la lecture du rapport de l'Igas, il apparaît un certain nombre d'étapes et d'évènements sur ce produit. De manière objective, des travaux ont été effectués sur le plan de l'efficacité. Il existe un retard évident dans la mise en place d'études demandées au laboratoire par l'Europe et par l'agence française sur la mesure de la tolérance et des risques du médicament. Ces études ont été réalisées très tardivement. Une évolution de la réglementation européenne va dans ce sens, mais elle n'est peut-être pas suffisante. Des plans de gestion du risque sont dorénavant compris dans l'évaluation du médicament. Toute demande en matière de sécurité d'un médicament devrait systématiquement être validée, dans le cas national, par la commission de pharmacovigilance et par le directeur général, et dans le cas européen, par le Committee for médicinal products for human use (CHMP) avec des délais conduisant à une décision automatique de suspension en cas de dépassement des délais d'une étude de tolérance. Des pénalités sont prévues si le laboratoire ne fournit pas ses preuves. Il faut aller plus loin. Le rapport de l'Igas montre qu'il y a eu des retards, à l'évidence pas explicables, à des études qui auraient permis de mettre en évidence ce risque de manière plus précoce.

La pharmacovigilance a un problème évident de sous-déclaration. Des efforts doivent être faits. La notification spontanée doit être complétée par des études. Cela pose la question de la responsabilité des laboratoires dans la réalisation des études. Les pouvoirs publics doivent avoir davantage de moyens pour mener des études de sécurité. Aucun laboratoire ne réalisera des études transversales. A la rigueur, un laboratoire pourra y être contraint pour un produit particulier. Lorsque les risques concernent plusieurs classes de médicaments ou, encore pire, plusieurs classes de produits, aucun laboratoire n'est capable de développer ce type d'étude.

Cette évidence n'est pas forcément connue. Il existe un problème de financement pour créer un cercle vertueux de l'expertise. Ce problème a plusieurs fois été souligné. Les experts sont financés par l'industrie. Il apparaît tout à fait légitime que les pouvoirs publics se dotent des moyens pour conduire des investigations. La toxicologie est une profession sinistrée. Il y a très peu de toxicologues aujourd'hui. Dans le domaine public, il n'y en a pratiquement plus.

Je comprends parfaitement l'émotion qui s'attache au Mediator. Il est possible de débattre des structures. Il faut aussi voir les fonctions. Je peux comprendre que nous ayons un débat institutionnel, mais je pense qu'il est beaucoup plus important d'avoir un débat fonctionnel. Les problèmes de notification, d'évaluation et de mise en oeuvre d'études sont essentiels. Sachons tirer un certain nombre de leçons de ce drame. Tel est l'enjeu.

M. François Autain, président. - Votre idée de sanctionner les laboratoires qui n'accomplissent pas les essais post-AMM me semble tout à fait positive, mais je vous rappelle qu'actuellement, les laboratoires sont déjà tenus de réaliser des études. Or ils ne les font pas. Des sanctions sont prévues, mais d'après le dernier rapport d'activité de la Haute Autorité de santé (HAS), sur les 125 ou 130 études post-AMM prescrites depuis 2004, plus de la moitié n'a pas encore été réalisée. Interrogé sur le sujet, le Comité économique des produits de santé (Ceps) répond qu'il y a eu un projet de sanction, mais qu'il a été abandonné suite à une rencontre avec le laboratoire. Tout cela pour vous dire que je suis assez sceptique quant à la portée réelle d'une sanction appliquée à un laboratoire. La publicité est pratiquement le seul exemple contraire.

M. Philippe Duneton. - Ces sanctions sont ressenties comme très désagréables, mais elles sont relativement rares car difficiles à motiver. Il n'y a même pas forcément de sanction financière. Ce sont surtout des sanctions de publication.

En 2000, puis en 2001, des mesures très précises demandées au laboratoire n'ont pas été réalisées. Face à ce type de situation, lorsque des demandes d'études sont demandées au titre de la sécurité, nous pourrions prévoir un délai raisonnable assorti d'une condition explicite de suspension. Ce serait extrêmement dissuasif. Il n'y aurait plus de zone d'ombre.

M. François Autain, président. - Il s'agit d'une mesure que nous pourrions effectivement proposer. Je crois d'ailleurs que le ministre l'a déjà fait. Monsieur Duneton, je vous remercie.

Mercredi 6 avril 2011

- Présidence de M. François Autain, président -

Table ronde avec des représentants d'associations de patients

M. François Autain, président. - Nous commençons ces débats en l'absence de Mme la rapporteure qui est occupée par les débats sur la bioéthique. Elle essaiera de nous rejoindre avant la fin de la matinée. Nous poursuivons nos auditions ce matin avec les représentants des associations qui jouent un rôle important dans le domaine du médicament et de la santé. Nous avons donc organisé cette table ronde avec les représentants des associations suivants : MM. Dominique-Michel Courtois, président de l'Association des victimes de l'Isoméride et du Mediator (Avim) ; Karim Felissi, conseiller national, et Mme Marie Ruelleux, de la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés (Fnath) ; Mme Sophie Le Pallec, présidente de l'Association des malades des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson (Amalyste) ; et M. Gérard Raymond, président de l'Association française des diabétiques (AFD). Nous attendons M. Christian Saout, président du collectif inter-associatif de la santé (Ciss).

M. Gérard Raymond. - M. Saout s'excuse mais il ne pourra être présent puisqu'il participe à une commission sur la dépendance. Il nous a chargés de répondre à sa place.

M. François Autain, président. - Vous êtes membres du Ciss et pourrez donc parler au nom de ce collectif.

M. Gérard Raymond. - Tout à fait.

M. François Autain, président. - Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.

Je vous donnerai la parole à tour de rôle et nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions.

Je cède la parole à Mme Sophie Le Pallec.

Mme Sophie Le Pallec. - Je vous remercie, monsieur le Président, de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue et de faire connaître l'association Amalyste.

Nous représentons les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson. Ces maladies sont des réactions très graves qui se traduisent par un décollement brutal de la peau et des muqueuses, ce décollement pouvant être très étendu. La victime doit impérativement être prise en charge dans une unité spécialisée. La douleur est extrême et il y a 30 % de décès. 90 % des cas sont dus à des réactions médicamenteuses ; certains peuvent être liés à une infection à mycoplasmes. Une douzaine de molécules ont été identifiées ce jour comme étant à risque élevé de syndrome de Lyell parmi lesquelles les sulfamides anti-infectieux, certains anti-inflammatoires, certains anti-épileptiques, l'allopurinol et la névirapine. D'autres médicaments sont impliqués mais ne présentent pas un risque aussi élevé.

Cette maladie est orpheline, avec 150 cas par an en France et un millier dans l'Union européenne. Il s'agit également d'une maladie chronique puisque 95 % des survivants gardent des séquelles invalidantes et évolutives. Nous avons eu du mal à démontrer que les personnes ne s'en sortaient pas indemnes. L'identification du médicament est très difficile du fait de l'effet retard entre la prise et la réaction. Les moyens donnés à la recherche sont très insuffisants tout comme la prise en charge des séquelles, sauf pour les séquelles oculaires. De nombreux traitements ne sont pas pris en charge s'ils concernent la peau, les yeux ou les dents. En 2003, un dispositif innovant est apparu : il permettait de changer radicalement la vie des malades et les victimes ont dû payer pour mener l'étude afin de prouver les bénéfices d'un dispositif et d'obtenir la prise en charge par rapport à la sécurité sociale.

Ce qui caractérise ces réactions, par rapport au Mediator, c'est que le risque est souvent accepté, sans retombées médiatiques, alors qu'il y a autant, voire plus de victimes, que pour le Mediator. Sur les quatre dernières années, il y a eu entre 450 et 500 victimes, 150 décès. Sur les trente-trois dernières années, il y a eu entre 3 500 et 4 000 victimes et environ 1 000 ou 1 200 morts en France.

Amalyste a été créée en 2002 et est agréée depuis 2007 : nous sommes une association de patients et de victimes. Nous luttons pour une meilleure prise en charge, pour la recherche et pour l'indemnisation. Nos partenaires sont le Centre national des maladies rares, situé à Henri Mondor à Créteil, qui a de nombreux centres affiliés en régions ainsi qu'un registre européen dont le copilote est situé en France. Nous essayons d'amener une vision d'ensemble sur la gestion du risque. Nous aurions souhaité que cette gestion globale du risque puisse intégrer en amont l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et en aval l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Une gestion correcte du risque devrait effectivement intégrer toute cette chaîne, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Je souhaite aborder deux thèmes liés à l'évaluation et au contrôle du médicament, mais aussi à notre expérience d'association de victimes.

La surveillance du risque et le système de pharmacovigilance ne reposent pas sur un système d'information décisionnel. Le système d'information de la pharmacovigilance consiste en effet à comptabiliser, en entrée, l'organisation des risques et les effets indésirables des médicaments, notamment à travers la notification spontanée, mais il n'est pas, en sortie, un véritable outil d'aide à la décision. Mettre en place un véritable outil d'aide à la décision constitue l'un des grands enjeux de la pharmacovigilance, avec celui de la sous-notification patente des effets indésirables. Le système actuel ne permet pas d'automatiser le déclenchement des alertes lorsque le risque n'est plus acceptable. Pour déclencher une réévaluation, il faut soit attendre la fin du délai de surveillance des cinq ans, soit une décision du directeur de l'Afssaps. Ces deux procédures ne peuvent être efficaces. Le délai de cinq ans est, à notre sens, complètement artificiel : le critère pertinent pour mesurer le risque d'un médicament n'est pas le temps mais plutôt celui de la population exposée à la substance active pour la première fois. Cette population s'estime en fonction du niveau de risques qu'on cherche à détecter, en la majorant du taux de sous-notification des médicaments. Pour détecter un risque d'1 sur 10 000 nouveaux utilisateurs et qu'on suspecte que ce risque n'est notifié qu'une fois sur deux, comme c'est le cas pour le Lyell, la population pertinente est alors de 20 000 personnes. La décision du directeur de l'Afssaps n'est pas très efficace : quand on a un portefeuille de 5 000 molécules, il faut disposer d'un système d'aide à la décision pour générer automatiquement des alertes. A notre sens, il manque, en amont de la procédure pour générer les alertes, la fixation d'un niveau de risque attendu et d'un seuil maximum d'acceptabilité du risque, quand on accepte un risque et autorise la mise sur le marché du médicament. Pour les médicaments causant du Lyell, nous n'avons pas de visibilité sur le niveau de risque qui n'est plus acceptable et induirait une réaction de l'Afssaps. En 2001, l'Afssaps a suspendu l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des sédatifs légers qui contenaient du phénobarbital au motif que ces médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant et qu'ils avaient provoqué, sur douze ans, une douzaine de cas de Lyell. En cinquante ans, ce médicament avait sûrement provoqué cent cas de Lyell : pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour retirer un tel médicament ? En 2005, l'Afssaps a ordonné le retrait des immunostimulants au motif d'un SMR insuffisant et d'effets indésirables (type crises d'asthme, purpura, oedèmes du visage et d'un cas douteux de Lyell). La victime de ce syndrome de Lyell a toutefois été déboutée quand elle a été devant l'Oniam pour obtenir une indemnisation, au prétexte que son cas était douteux. Le doute profite donc toujours à l'administration qui s'en prévaut pour retirer une AMM, mais aussi pour refuser une indemnisation. Aujourd'hui, nous avons un problème avec la lamotrigine, anti-convulsant, et l'allopurinol. La lamotrigine a été mis sur le marché en 1995 : après la fin de la période de surveillance, dans les années 2000, les ventes ont explosé, ainsi que le nombre de victimes. Malgré cela, l'indication a été étendue aux maladies bipolaires, sans plan de gestion de risque, alors que ce médicament est le second pourvoyeur de Lyell en Europe. L'allopurinol est un médicament contre la goutte qui a un problème de mésusage puisqu'il est prescrit deux fois plus que la prévalence connue de la goutte et est le premier pourvoyeur de Lyell.

M. François Autain, président. - Ce médicament figure-t-il dans la liste des soixante-seize médicaments sous surveillance ?

Mme Sophie Le Pallec. - Non. Et nous n'avons pas de visibilité sur le niveau maximum de risque acceptable qui permettrait de construire un système d'information pertinent.

Pour ce qui est du problème de l'indemnisation, Amalyste pense que l'Oniam devient une compilation de fonds spécifiques, créés au gré des diverses crises sanitaires : il existe ainsi le fonds d'indemnisation des victimes HIV-hépatite C par transfusion, le fonds d'indemnisation des victimes de la vaccination obligatoire... On parle maintenant de créer un fonds d'indemnisation spécifique pour les victimes du Mediator. Le risque est que, dans vingt ans, l'Oniam ne soit plus qu'un chapelet de fonds d'indemnisation que personne ne comprendra. Nous pensons qu'il faut sortir de cette impasse par le haut, que les crises sanitaires ne doivent pas conduire à ce que les victimes dont les maladies ont les honneurs de la presse soient mieux traitées que les autres victimes des médicaments mais, au contraire, que ce scandale soit l'occasion pour les politiques de mettre en oeuvre une gestion global du risque médicamenteux. Le médicament est un produit à risque. Le modèle qui préside à son acceptabilité pose toutefois problème : il est encadré par la notion de balance bénéfices-risques et légitime l'idée qu'on puisse sacrifier une minorité pour le bien-être du plus grand nombre. Si cette position est défendable, nous n'acceptons pas que cette inégalité ne soit pas réparée dès le début et qu'on ne pose pas le principe que le risque doit être indemnisé. Si un médicament apporte un progrès social au plus grand nombre, il convient toutefois que les quelques personnes qui subissent des effets indésirables très graves bénéficient d'une réparation, ce qui n'a pas été pensé par le régulateur à l'origine.

M. François Autain, président. - Il semblerait en outre que ce risque ne soit presque jamais indemnisé.

Mme Sophie Le Pallec. - Le risque n'est pas pensé comme un risque assurable et indemnisable. Depuis 1988, date où la directive sur les produits défectueux aurait dû être transposée en France, le juge considère que, si le risque figure dans la notice, le risque est légitime et ne donne pas lieu à indemnisation. Il n'existe alors plus d'obligation de sécurité absolue mais seulement relative ; la notice devient un parapluie juridique pour les laboratoires qui sont complètement déresponsabilisés de la faute, mais aussi du risque. Les victimes entre 1988 et 2001 n'ont aucune possibilité de recours.

L'Oniam ne résout pas le problème des accidents médicamenteux, qui ne représentent que 2 % des dossiers. Certaines problématiques ont été résolues, avec la création de la notion de la solidarité nationale, mais l'Oniam n'a pas résolu le problème de la charge de la preuve. L'imputabilité d'une réaction à un principe actif ne peut être démontrée sur le plan individuel mais c'est pourtant ce qui est demandé aux victimes. Quand on autorise la mise sur le marché d'un médicament, on doit prouver le bénéfice et le risque sur un plan statistique. Il faut donc accepter les démonstrations sur le plan statistique, ce qui n'est pas évident : nous pouvons faire ressortir des niveaux de risques élevés mais ne pouvons démontrer le risque pour les molécules à risques moins élevés.

Nous avons des propositions simples.

M. François Autain, président. - Vous m'avez effectivement fait parvenir un document récapitulant vos propositions que nous mettrons à disposition de la mission.

Mme Sophie Le Pallec. - Le risque d'effet indésirable, surtout lorsqu'il est spécifié dans la notice, doit être assuré : il doit y avoir une obligation d'assurance pour le producteur, quelle que soit la forme d'assurance choisie. Le coût du risque doit être intégré dans le coût du médicament : comme il sera répercuté sur le payeur final, la sécurité sociale, cette proposition ne changera pas tellement le modèle économique des laboratoires pharmaceutiques tout en apportant une réponse à un problème sociétal.

Le fait que le risque soit mentionné dans la notice doit constituer une présomption de preuve pour la victime. Cette mention doit se traduire, pour le producteur, par une obligation de mettre en place un vrai plan de gestion des risques.

M. François Autain, président. - Merci.

M. Gérard Raymond. - L'Association française des diabétiques (AFD) est la première association de patients pour défendre et représenter les patients diabétiques. Nous nous sommes retrouvés en première ligne pour l'affaire du Mediator, médicament prescrit aux diabétiques de type II. L'AFD s'est essentiellement consacrée sur trois axes quand l'affaire a éclaté. Le premier consistait à réclamer le recensement de toutes les personnes ayant consommé du Mediator, à leur assurer un examen pour considérer le risque d'anxiété et à ce que ces examens soient pris en charge à 100 % par l'ensemble de la communauté. Cette revendication a été satisfaite puisque des courriers ont été écrits, avec l'aide de l'Afssaps et de l'assurance maladie, à 600 000 patients.

Le second axe consistait à indemniser les victimes du Mediator, dans le cadre d'un fonds d'indemnisation public regroupant l'ensemble des responsables. Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe la responsabilité des laboratoires Servier, mais aussi de l'Etat, voire des prescripteurs. Dans ce cadre, nous réclamons ce fonds dans le cadre de l'Oniam, même si je rejoins le point de vue de Mme Le Pallec sur le risque de ce que pourrait devenir l'Oniam et sur la nécessité de revaloriser les indemnisations de l'Oniam. Nous avons fait une proposition de loi, déposée jeudi dernier à l'Assemblée Nationale avec le collectif inter-associatif sur la santé pour provoquer la création de ce fonds. Au cours des cinq derniers mois, nous avons bien vu que certains profitaient de la misère et du désarroi des patients, y compris les laboratoires Servier qui a entrepris des démarches directes auprès de certains patients. Nous ne pouvons que regretter l'hara-kiri de l'Afssaps qui a publié la liste des soixante-seize médicaments, ce qui n'a fait qu'augmenter la défiance des patients vis-à-vis du système. Ce fonds d'indemnisation devra être alimenté par les laboratoires Servier, géré de manière indépendante ; la commission des experts devra déterminer les critères et les taux d'indemnisation.

M. François Autain, président. - Servier n'est pas un philanthrope : attendre que ce laboratoire contribue au financement de ce fonds risque de prendre longtemps surtout si l'on veut que ce financement soit suffisant. Il serait donc plus astucieux de faire en sorte que l'Etat avance les fonds et se retourne ensuite contre les laboratoires Servier pour obtenir ce que les victimes ne pourront obtenir individuellement. L'audition d'UFC-Que choisir que j'ai réalisée hier m'a apporté cette idée que je trouve intéressante.

M. Gérard Raymond. - Dans le cadre du comité de suivi du Mediator auquel nous participons, il apparaît effectivement que le Gouvernement souhaite prendre cette direction. Nous attendons une information à ce sujet. Il faudra néanmoins une loi pour encadrer ce fonds et nous la demandons avec force.

Enfin, le troisième axe de notre action concerne la refonte de notre système de pharmacovigilance. Nous nous sommes rendu compte que, à vouloir ne considérer que l'expertise scientifique et l'industrie pharmaceutique, nous avons fonctionné en vase clos, ce qui a entraîné certaines conséquences. Nous pensons qu'il faut également considérer l'expertise profane et l'intégrer dans notre système de pharmacovigilance. La commission de transparence de la Haute Autorité de santé ne comporte pas d'associations de patients ou de patients. Les Assises du médicament devraient refondre tout le système : il semble important de reconnaître le rôle des associations de patients et leur expertise profane, de pouvoir être nous aussi des donneurs d'alerte pour les effets secondaires. Nous avons récemment alerté l'assurance maladie, que nous considérons comme étant l'institution stable actuellement et disposant de données scientifiques importantes, et lui avons demandé de faire une enquête sur les dernières molécules qui sont sorties pour le traitement des diabétique de type II. Il est important que, dès la mise sur le marché d'une molécule, l'institution suive une cohorte de patients pour étudier des effets secondaires. Je pense notamment aux DPP-4 des pectines.

En conclusion, nous attendons que l'Oniam crée un fonds d'indemnisation, avec une gestion indépendante, et que le système de pharmacovigilance soit refondu, dans un système transparent reconnaissant l'expertise des patients.

M. Dominique-Michel Courtois. - Notre association a été créée en 2001 ; elle s'est occupée dans un premier temps de l'Isoméride puisque cinq cents patients étaient concernés. Nous avons engagé des procédures individuelles contre les laboratoires Servier, devant le tribunal de Nanterre, avec des problèmes financiers du fait des frais d'avocat et d'expertises, qui dépassaient 5 000 euros. Peu de personnes ont engagé des procédures. Les laboratoires Servier a mobilisé des moyens pour torpiller les expertises et faire cesser les poursuites. En février, nous avons obtenu la condamnation du laboratoire à verser 180 000 euros, après sept ans de procédure, puisque nous avons dû aller en cassation.

Au cours de l'année dernière, nous avons vu arriver des victimes du Mediator. Forts de notre expérience, nous avons décidé d'attendre un peu et l'affaire du Mediator est arrivée. Nous avons pensé qu'il fallait avoir une action forte vis-à-vis des laboratoires Servier et avons déposé 650 plaintes devant le pôle Santé publique du tribunal de grande instance de Paris pour homicide involontaire, blessures involontaires et tromperie. L'association s'est portée partie civile et j'ai été reçu par les trois juges - Pascal Gand, Anne-Marie Bellot et Franck Zientara -, qui m'ont expliqué qu'il y aurait une expertise médicale pour chaque individu, ce qui signifie que le traitement du dossier prendrait des années au pénal.

Nous avons alors tenté de négocier avec les laboratoires, mais ce qu'il proposait était inacceptable. J'ai toujours demandé un fonds d'indemnisation gouvernemental qui prendrait en charge la totalité des victimes. En tant que président d'association, le financement n'est pas mon problème : il y a des milliers de victimes et il faudra répondre à leur demande.

En ce qui concerne les réformes, je crois aux donneurs d'alerte. Je pense qu'il faudrait davantage associer les patients, en les motivant et en leur expliquant les effets possibles qui peuvent survenir. Les patients et les médecins généralistes devraient être les premiers témoins de ces dysfonctionnements qu'il faudrait ensuite remonter, en espérant que se trouvent, au niveau supérieur, des instances capables de réagir plus efficacement. Pour les prothèses mammaires PIP, qui intéressent 30 000 personnes, l'Afssaps avertissait auparavant un mois à l'avance les laboratoires qu'elle réaliserait des contrôles inopinés, ce qui leur permettait de retirer pendant un mois le gel frauduleux. Il faudra y remédier. Il est surprenant que, pour le matériel implantable, une fois l'autorisation obtenue, il n'y ait aucun contrôle systématique : ce contrôle est même délégué, pour les PIP, à une société allemande.

M. Karim Felissi. - La Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) fête ses quatre-vingt-dix ans ; l'association réunit 150 000 adhérents. Elle fédère plusieurs associations dont l'association DES (pour diéthylstilboestrol) qui regroupe les victimes du Distilbène. Je formulerai le souhait qu'elle soit également reçue, car je crois qu'aucun parlementaire n'a auditionné cette association. Or, ceci vous permettrait de vous rendre compte que vous êtes devant un choix politique. Pour l'instant, les responsables, directs ou indirects, font le plus de bruit possible pour qu'on ne se préoccupe pas trop des responsabilités de chacun. Vous avez un choix politique à faire : soit vous vous servez de cette affaire comme levier pour améliorer la globalité du système, de manière définitive, soit vous répondez à l'affaire du Mediator par une réponse circonscrite, en créant un fonds d'indemnisation et l'affaire s'arrêtera là.

Vous avez eu à vous préoccuper des victimes de l'amiante et vous retrouvez les mêmes stigmates dans cette affaire du Mediator, avec une responsabilité évidente de l'Etat, avec des carences inacceptables, proches d'une République bananière : quand des victimes signalent des effets indésirables et que ces points dorment dans les tiroirs d'une agence sanitaire de l'Etat, je me demande si nous sommes en France.

M. François Autain, président. - L'adjectif est peut-être exagéré.

M. Karim Felissi. - Certes, mais il faut souligner l'ampleur du problème : outre le Mediator, il y a eu l'amiante, le sang contaminé, l'Isoméride, les prothèses.... Le problème est systémique et ne se limite pas au Mediator. Nous considérons donc qu'il faut apporter une réponse globale car la sécurité des personnes n'est pas réellement assurée en termes sanitaires. Une proposition de loi a été déposée sur les effets indésirables causés par les plastiques. Ces problèmes ne sont pas nouveaux mais l'intérêt économique est mis en avant ; les agences sanitaires indiquent devoir mener des études complémentaires tandis que certains industriels demandent, comme pour l'amiante, où sont les victimes. Nous plaidons donc pour un changement systémique et réel, en posant la question du médicament en tant que tel pour le Mediator. Si nous créons un fonds pour l'indemnisation des victimes du Mediator, cela ajoutera une tranche de plus dans le millefeuille et, en 2025, l'Oniam aura un fonds pour chaque scandale. Si nous appréhendons le sujet de manière globale, il conviendrait d'adopter une loi de restauration de la confiance dans le médicament.

M. François Autain, président. - Nous avons rédigé un rapport il y a cinq ans intitulé Restaurer la confiance mais nos propositions n'ont pas été prises en considération.

M. Karim Felissi. - Pourquoi ?

M. François Autain, président. - Il faudrait poser la question au ministre.

M. Karim Felissi. - Tous ces problèmes sont connus. Les victimes et associations vous diront toutes la même chose. Pour l'amiante, nous avons été bouleversés par le fait que l'Etat français ait accepté que celui qui a causé le préjudice dicte ses conditions d'indemnisation.

Sur le fond, il existe trois axes de travail, le premier étant celui de la prévention et de l'amélioration du système en tant que tel. J'ai pris connaissance des dix propositions d'Etienne Caniard de la Mutualité française, que vous avez auditionné : les propositions sont remarquables.

M. François Autain, président. - Nous pouvons le proposer mais le texte ne sera peut-être pas adopté.

M. Karim Felissi. - Si vous adoptiez ne serait-ce que la moitié des propositions de la Mutualité, cela me conviendra parfaitement.

Combien avons-nous de bataillons à mettre dans cette affaire ? A chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous nous demandons comment rentrer dans les cadres et ne pas perdre notre notation AAA. Quel est le budget qui sera consacré à cette réserve ? La France compte 18 000 visiteurs médicaux. Quel sera le budget de l'agence ?

Les plaintes au pénal font du bruit mais nous avons déposé une plainte au pénal depuis vingt ans pour l'amiante et les veuves attendent toujours. Il serait possible d'imaginer un corps complètement indépendant pour le médicament, sur le modèle de l'Igas, pour exercer une surveillance constante et régulière sur les médicaments ayant obtenu l'AMM, effectuée par des personnes qui ne peuvent avoir aucun lien avec une quelconque industrie. Ces personnes devraient à mon sens être des fonctionnaires d'Etat, qui constituerait une sorte de police du médicament.

Nous avons 5 000 molécules. Un autre exemple à suivre pourrait être celui de la cellule Tracfin. Nous avons des caisses de retraite du personnel des banques (CRPB) qui fonctionnent très bien puisque le nombre d'agents a été augmenté. Nous disposons d'une mine : les bases de données de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Une fois qu'il a été demandé à la Cnam de vérifier quelles personnes avaient pris du Mediator et avaient été hospitalisées quelques années après, elle a sorti les données avec rapidité et objectivité, de manière imparable. La Cnam ne doit toutefois pas prendre cette responsabilité et devenir une agence sanitaire bis. Un corps d'inspecteurs, composé notamment d'épidémiologistes, pourrait en revanche régulièrement exploiter ces bases de données en fonction des molécules. Ce corps devrait être indépendant, incorruptible. Il n'est pas acceptable que des signalements restent dans les tiroirs, comme l'a montré le rapport de l'Igas, digne d'un scénario d'Hollywood.

Un autre point concerne l'indemnisation. Je pense que nous ne pourrons pas évoluer sur la prévention si nous n'évoluons pas définitivement sur l'indemnisation. Nous avons développé ce point au cours de l'audition à l'Assemblée nationale avec Mme Le Pallec. Un sénateur, M. Badinter, a voté une loi fondamentale en 1985 sur les accidents de la route. L'idée était la suivante : dans un carambolage, vingt ou trente véhicules sont impliqués et les victimes ne peuvent prouver qui a causé le dommage. Plutôt que d'initier des procédures qui durent dix ou quinze ans, avec des expertises et des contre-expertises très coûteuses, la loi Badinter pose le principe, non pas de rechercher la cause, mais de considérer que, à partir du moment où un véhicule terrestre moteur est impliqué, le responsable doit payer. La voiture présente exactement les mêmes stigmates que cette affaire : la voiture est un élément de progrès incontestable pour notre société ; elle a un poids économique important ; sa possession entraîne une obligation d'assurance qui solvabilise les victimes ; elle crée un risque social évident. Il en est de même pour la santé au travail : à partir du moment où la loi de 1898 a été votée et que le problème de la causalité a été dégagé, l'employeur a été responsable pour tous les accidents survenus sur le lieu de travail et les employeurs ont mutualisé les risques. Il en est de même pour l'assurance automobile. A partir du moment où cette organisation est posée, le secteur s'auto-organise alors pour faire de la prévention. Il s'agit, pour nous, d'une pierre fondamentale. Or, pour le médicament, les victimes ne sont pas toujours indemnisées et s'engagent dans des procédures longues. S'il n'est pas possible de déterminer la causalité, nous pourrions dégager ce problème comme cela a été fait pour d'autres sujets sociétaux importants (le travail et la voiture). Il serait intéressant d'interroger M. Badinter car je pense qu'il a eu les mêmes problèmes à résoudre en termes de causalité. Quand un risque est socialisé par une assurance privée, ce risque mutualisé accélère la prévention. La socialisation du risque en 1985 pour l'automobile et la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) qui réunit les employeurs contribuent effectivement à la prévention.

Si nous admettons l'idée que le médicament est un progrès considérable, qu'il faut préserver l'emploi et les entreprises qui sont parmi les meilleures du monde, il faut alors avoir confiance dans le médicament. Les industriels doivent admettre l'existence d'un risque et refuser les scandales : il faut alors accepter de ne pas s'occuper de la causalité et que la responsabilité soit mutualisée. Si nous ajoutons une tranche supplémentaire dans le millefeuille, nous n'aurons fait qu'un saut de puce alors que la mutualisation de la responsabilité constituerait un pas de géant.

Le troisième point, également fondamental, du projet de réforme, concerne la politique pénale de la criminalité sanitaire. La France s'est dotée d'un pôle de santé publique mais sans politique pénale de la santé. Quelle est l'incrimination pénale spécifique pour ceux qui dépassent les bornes dans ce domaine ? Des incriminations spécifiques existent pour les personnes mais pas contre les grands groupes.

M. François Autain, président. - Vous avez raison : même quand des sanctions financières sont prononcées, elles sont rarement mises en oeuvre.

M. Karim Felissi. - Sur l'indemnisation, il faut profiter de l'affaire du Mediator pour revoir les barèmes de l'indemnisation de l'Oniam, actuellement insuffisants. Si l'idée est de créer un fonds pour éviter la judiciarisation des victimes, encore faut-il que l'indemnisation prévue couvre tous les préjudices, comme le font les indemnisations décidées par les juridictions. Si l'indemnisation ne suffit pas, certaines victimes s'engageront dans des procédures.

Enfin, je souhaite évoquer le préjudice d'anxiété qui a été reconnu par la Cour de cassation pour les victimes de l'amiante. Ce préjudice concerne les personnes exposées à l'amiante qui ne sont pas malades mais doivent faire régulièrement des examens et vivent avec l'angoisse de tomber malades et de mourir rapidement. La définition donnée par la Cour de cassation, qui fait partie du droit positif, s'applique ici. Les personnes qui ont pris ce médicament, même celles qui n'ont rien, ont un préjudice d'anxiété. Les femmes dont la mère a été exposée au distilbène peuvent se signaler à la sécurité sociale quand elles sont enceintes, afin d'être suivies. Elles bénéficient alors d'un arrêt maladie que vous avez voté. Ces femmes ne sont toutefois pas remboursées à 100 % pour leur suivi car on suspecte l'apparition du cancer du sein. Si ces femmes souhaitent se faire dépister, elles sont remboursées sur les bases du droit commun, ce qui est extraordinaire. Ces personnes subissent aussi un préjudice d'anxiété. Si on ne change pas radicalement le logiciel, définitivement, la judiciarisation sera très importante.

Mme Marie-Christine Blandin. - Lors de la fusion de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Afsset) et l'Agence française sécurité sanitaire des aliments (Afssa) pour créer l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), la représentation officielle des associations et des usagers qui existait à l'Afsset a péniblement été acquise au sein du conseil d'administration. Quelle forme la présence ou la parole sérieusement écoutée des associations de patients pourrait prendre, dans ce que vous avez évoqué sur l'expertise d'usage ou l'expertise profane ?

M. Gérard Raymond. - Cette affaire montre qu'il faut mener une réflexion sur la démocratie sanitaire et sur la reconnaissance des associations d'usagers de la santé ou de patients. Avec les différentes lois de 2002 et 2004, nous avons gagné une place et figurons désormais dans des commissions, souvent pour servir de caution. Or nous souhaitons jouer réellement un rôle et nous pensons donc que nous devons participer aux instances de gouvernance de ces agences.

M. François Autain, président. - Revendiquez-vous une place au conseil d'administration de ces agences ?

M. Gérard Raymond. - Bien entendu. Chacun d'entre nous a une spécialité pathologique : c'est dans ce cadre que nous devons être auditionnés ou participer à l'élaboration de recommandations. Les associations doivent en outre être davantage reconnues, au-delà des agréments et de la reconnaissance de l'utilité publique. Pour instaurer en France une réelle transparence et démocratie et pour que les patients puissent participer à l'expertise profane, contrepoids à l'expertise scientifique, il faudra nous donner les moyens de fonctionner et surtout de nous former. La reconnaissance de l'engagement bénévole doit passer par cela. Aucun financement n'est aujourd'hui accordé à la démocratie sanitaire, à l'exception des deux millions d'euros que reçoit le Ciss; ce qui est totalement dérisoire face aux nécessité de formation.

Un pompier bénévole est rémunéré pendant sa formation et pendant ses interventions. Je ne comprends pas pourquoi un bénévole associatif ne serait pas rémunéré pendant ses formations ou sa présence en conseil d'administration. Notre engagement, qui se base sur des valeurs de solidarité, d'entraide et de partage, me semble aujourd'hui en danger, si une démocratie sanitaire n'est pas mise en place.

M. François Autain, président. - Nous ne pouvons éviter de parler du financement par l'industrie pharmaceutique de ces associations. Etes-vous subventionnés par l'industrie pharmaceutique ?

Mme Sophie Le Pallec. - Nous ne sommes subventionnés ni par l'industrie pharmaceutique ni par l'Etat.

M. François Autain, président. - Votre réponse ne m'étonne pas puisque je vois mal cette industrie financer une association qui a pour objectif de critiquer les médicaments.

M. Gérard Raymond. - Pour nous, la situation diffère légèrement. Plus de 60 % de notre financement provient de la solidarité nationale. Toutes ces informations figurent sur notre site Internet.

M. François Autain, président. - J'ai constaté, sur le site de la HAS, que vous aviez reçu, en 2010, 200 606 euros de l'industrie pharmaceutique.

M. Gérard Raymond. - Notre site est plus précis ; nous recevons bien plus que cela. Les laboratoires ne déclarent pas leurs versements lorsqu'ils relèvent des partenariats. L'Association française des diabétiques dispose d'un budget de 4 millions d'euros, issus à 60 % de la générosité publique, à 25 % de l'industrie pharmaceutique et à 5 % ou 10 % de l'Etat. Nous surveillons très attentivement le financement de l'industrie pharmaceutique qui ne concerne que des partenariats. Nous montons nous-mêmes des projets de prévention, d'accompagnement et d'éducation pour les patients diabétiques et les réalisons des appels d'offres. Nous demandons que plusieurs industriels financent la réalisation de ces projets. Des conventions de partenariat sont signées et elles sont totalement publiques puisqu'elles figurent sur notre site. Nous souhaitons être totalement transparents.

M. François Autain, président. - Il existe des problèmes plus importants que la transparence. Les laboratoires ne sont pas des philanthropes. Pourquoi subventionnent-ils votre association ?

M. Gérard Raymond. - Nous représentons 3,5 millions de patients. Le diabète est en outre appelé à se développer à une vitesse vertigineuse, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Je pense qu'ils nous subventionnent parce qu'ils ont compris que, pour cette pathologie, le traitement ne suffit pas mais qu'il existe aussi un facteur d'accompagnement, d'éducation et de qualité de vie. L'industrie a donc compris qu'elle avait un rôle d'éducation et d'accompagnement. Nous sommes extrêmement vigilants quant au respect de l'article L. 1161-2 du code de la santé publique sur l'éducation et l'accompagnement.

M. François Autain, président. - A mon sens, vous n'avez pas été suffisamment vigilants. Je pense que l'industrie pharmaceutique ne peut pas financer l'éducation thérapeutique. Les retombées ne sont pas nécessairement utiles à l'amélioration de la qualité des soins destinés aux diabétiques. Il faut qu'il y ait, entre les laboratoires et les patients, des médecins qui n'aient pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Ces médecins doivent conduire l'éducation thérapeutique. Toute information qui émane d'une entreprise, quelle qu'elle soit, n'est pas une information mais de la publicité.

Si l'Etat s'engageait à vous verser les 800 000 euros que vous recevez de l'industrie pharmaceutique, sous réserve que vous vous engagiez à ne plus avoir de lien avec cette industrie, l'accepteriez-vous ?

M. Gérard Raymond. - Evidemment. L'information divulguée par l'industrie pharmaceutique n'est pas la même que celle relayée par l'Association française des diabétiques. Nous refusons absolument que l'industrie pharmaceutique valide le contenu de nos publications.

M. François Autain, président. - Les médecins disent également qu'ils ne sont pas influencés par les visiteurs médicaux.

M. Gérard Raymond. - Il nous semble important d'imposer la pluridisciplinarité afin d'éviter qu'un seul industriel nous finance. Nous trouvons ainsi un équilibre.

M. François Autain, président. - Je n'ai pas vu dans la liste de vos financeurs les laboratoires Servier.

M. Gérard Raymond. - J'ai effectivement l'habitude de dire que j'ai des conflits d'intérêt avec tous les industriels, à l'exception de Servier.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Il est évident qu'à partir du moment où vous demandez aux industriels du médicament dont le métier est de vendre des médicaments de faire de la prévention, cela semble incompatible avec leurs intérêts.

Je souhaite revenir sur la réforme systémique demandée par les associations et qui me semble fort intéressante. S'en tenir uniquement à l'affaire du Mediator serait effectivement réducteur. L'objet de notre mission est bien d'élargir le champ à une réflexion plus générale sur la fonction du médicament.

J'ai entendu M. Felissi dire qu'il souhaitait que soit instaurée une politique pénale de la santé publique. Cette dernière existe mais la difficulté consiste à remonter jusqu'au coupable quand il y a un temps de latence. Avant que l'affaire se déclenche, il y a déjà eu des victimes. Nous connaissons le fabricant du Mediator mais l'affaire pénale doit aussi envisager le problème de la prescription. Vous aurez alors beaucoup de difficultés à entendre les médecins prescripteurs. Comment mettre en oeuvre une telle politique pénale de la santé publique avec les égards que la justice doit aux victimes et aux coupables ?

Je n'ai jamais entendu parler de l'indemnisation du préjudice d'anxiété : comment est-il possible de le mesurer même si l'on sait que de nombreuses victimes de l'amiante redoutent de passer les examens ?

M. François Autain, président. - Cette angoisse diffère un peu de l'angoisse existentielle puisqu'elle résulte d'un préjudice.

Mme Marie-Christine Blandin. - Le préjudice d'anxiété n'a pas été individualisé mais plaidé par les avocats en même temps que le préjudice de « décote » sur le marché du travail, pour avoir travaillé dans un lieu contaminé. Quand vous parlez d'une politique pénale sanitaire spécifique, il faut savoir que les procès échouent du fait d'un arsenal juridique qui permet de botter en touche. La faute non intentionnelle est ainsi systématiquement utilisée. L'une des seules condamnations de l'employeur avec des indemnités lourdes pour les victimes réelles et potentielles a été prononcée par le tribunal de Lille puisque les avocats ont pu mettre en avant la politique régionale de désamiantage des lycées menée depuis 1993, en inondant les médias et les mairies sur les preuves du danger de l'amiante.

Il faut noter que, pour le pôle de santé, son manque d'officiers de police judiciaire (OPJ), de juges et de greffiers pèse autant que l'absence de politique pénale sanitaire spécifique. Il est difficile de voir les contours de votre proposition.

M. Karim Felissi. - Dans un arrêt du 11 mai 2010, la Cour de cassation a reconnu le préjudice d'anxiété pour les victimes de l'amiante. Je vous transmettrai cet arrêt et les commentaires de doctrine sur cette évolution majeure du droit prétorien. L'arrêt énonce que les victimes « se trouvaient dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et étaient amenées à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ». Nous plaidons ce préjudice d'anxiété depuis 15 ans et avons enfin réussi à le faire admettre en droit français.

Vous parliez, madame la sénatrice, de la loi Fauchon et du manque de moyens du pôle de santé publique. Je n'ai ni rédigé la loi ni voté le budget de la justice. Si tel était le cas, j'aurai considérablement augmenté le nombre de greffiers, d'OPJ et de magistrats du pôle de santé publique de Paris. La politique pénale ne consiste pas à faire du répressif mais à adopter une politique spécifique pour les criminalités particulières, avec des moyens spécifiques pour la prévention et la répression et des incriminations spécifiques pour la responsabilité des personnes morales. Les amendes ne suffisent pas. Votre rapport publié il y a cinq ans était remarquable. Nous avons réfléchi, en France, à la responsabilité pénale des grands groupes.

M. François Autain, président. - Vous n'avez pas de financement de l'industrie pharmaceutique ?

M. Karim Felissi. - Non. Nous demandons des subventions à l'Etat. Nous sommes présents à la Cnam. L'intelligence de Xavier Bertrand sur les entretiens du médicament est d'avoir réuni tout le monde, mettant face à face des personnes qui ne se parlent que devant les tribunaux. Nous n'avons pas cette culture et sommes disposés à discuter avec les entreprises du médicament de la problématique du risque. Il n'est pas honteux de gagner de l'argent, y compris avec les médicaments, qui créent des emplois et soignent des maladies. Nous avons une culture de la Caisse nationale d'assurance maladie et sommes habitués à nous retrouver face aux employeurs : nous travaillons ensemble et montons ensemble des actions de prévention. Nous avons la culture du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) et avons des très bonnes relations avec les représentants des employeurs. Si nous sommes dans une politique du risque socialisé, avec une solvabilisation par l'assurance, quelle qu'elle soit, nous arriverons à parler avec les entreprises du médicament dans un autre registre que celui des tribunaux et de l'infréquentable. Les entreprises du médicament ne sont pas infréquentables : il suffit simplement d'imposer une notion de risque accepté et mutualisé par elles.

M. François Autain, président. - Personne n'a parlé des actions de groupe. Cette omission est-elle volontaire ? Nous parlions de l'Isoméride : aux Etats-Unis, cette affaire représente, pour le laboratoire qui l'a commercialisé, une dépense estimée à 15 milliards d'euros. En France, les indemnisations s'élèvent à 600 000 ou 700 000 euros. Ce système fonctionne très bien aux Etats-Unis et les tribunaux n'ont même pas besoin d'intervenir : des transactions ont souvent lieu en amont puisque le tribunal est dissuasif.

M. Dominique-Michel Courtois. - Ce système est difficilement transposable. Deux avocats américains sont venus récemment me voir pour que toutes les associations et les victimes se regroupent. Aux Etats-Unis, les laboratoires ont des avocats qu'ils payent très cher. En contrepartie, les avocats qui défendent les victimes sont très bien payés. La condamnation du laboratoire sur le plan pénal, aux Etats-Unis, pour l'Isoméride, s'élevait à 4,3 milliards de dollars, en plus des indemnisations : ce montant étant dissuasif, les laboratoires a préféré négocier. Aux Etats-Unis, une victime de l'Isoméride a touché 435 millions de dollars. Nous n'avons pas du tout la même culture et les mêmes barèmes. En France, il serait difficile que les avocats se regroupent pour mener une action commune.

Nous pourrions tout de même poser les bases d'une action collective à la française avec d'autres critères. Le Mediator peut être l'occasion de discuter de cela.

Mme Sophie Le Pallec. - Pour le syndrome de Lyell, il n'y a pas suffisamment de victimes par molécule pour envisager une telle possibilité.

Audition de M. Jean Marimbert, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)

M. François Autain, président. - Monsieur Marimbert, vous étiez directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de 2004 à 2011.

Cette réunion est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.

Avez-vous des liens d'intérêts ? Cette question n'est toutefois pas nécessaire puisque vous n'êtes pas médecin.

M. Jean Marimbert. - Je remplissais toutefois cette déclaration en tant que directeur général de l'Afssaps : je n'en ai pas.

M. François Autain, président. - Vous pouvez faire une déclaration liminaire si vous le souhaitez. Nous pouvons sinon passer directement aux questions.

M. Jean Marimbert. - Je souhaite faire une déclaration liminaire.

A mes yeux, il est indiscutable, avec le recul et le discernement supplémentaires qu'a donnée récemment l'analyse rétrospective de tous les documents disponibles, que, sur la longue période, le traitement du dossier Mediator par les autorités sanitaires a été marqué par des déficiences.

Dès l'origine, en 1974, le positionnement proposé par les laboratoires de ce médicament comme antidiabétique et hypotriglycéridémiant a été admis, alors que certaines caractéristiques foncières de ce médicament l'apparentaient à un anorexigène. Le médicament n'a pu sortir de ce mauvais « rail » d'évaluation, y compris quand il fallu revalider les indications de 1987 à 1997, d'abord au ministère puis à l'agence. Le Mediator aurait tout de même pu perdre définitivement son indication-phare d'adjuvant antidiabétique, en 1997, si les avis scientifiques négatifs avaient été suivis jusqu'au bout à l'époque. Les interrogations soulevées dans la deuxième moitié des années 90 au niveau français et européen n'ont pas débouché malgré des débats relativement intenses. Un suivi de pharmacovigilance a été mis en place en 1998 puis relancé à partir de 2005 à partir du signalement d'un cas d'hypertension artérielle pulmonaire et une première réévaluation d'ensemble du bénéfice-risque a été engagée : elle a débouché en juin 2007 sur un retrait partiel portant sur une des deux indications. J'ai pris la décision de suspension totale en novembre 2009 à partir d'un faisceau d'éléments parmi lesquels figurait la contribution de Mme Frachon, sous forme d'un ensemble de signalements. Enfin, ce médicament est resté remboursé au taux maximum jusqu'à la suspension de son AMM en 2009 alors que, dès 1999, la commission de la transparence avait estimé que son service médical rendu était insuffisant.

Je voudrai évoquer quelques points. Tout d'abord, que l'agence aurait été délibérément complaisante à l'égard de ce laboratoire : tel n'était pas le cas, ni vis-à-vis de ce laboratoire ni d'autres pendant la période où je l'ai dirigée.

M. François Autain, président. - Ces complaisances auraient donc pu survenir lorsque vous ne dirigiez pas l'agence.

M. Jean Marimbert. - Non. Je ne peux toutefois parler que de la période dont je suis responsable.

Il y a même eu parfois des bras de fer : il n'allait pas de soi de refuser, comme je l'ai fait pendant deux ans et demi, entre l'automne 2005 et juillet 2008, d'accorder une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour Arcoxia, un médicament anti-inflammatoire appartenant à la même classe que le Vioxx, retiré à l'automne 2004, malgré l'arbitrage européen favorable rendu sur Arcoxia et obligatoire pour les autorités nationales. J'estimais à l'époque que nous n'avions pas un recul suffisant pour apprécier de façon fiable si ce nouveau « coxib » présentait vraiment moins de risque que le précédent. Une telle décision est bien loin de l'image de « juridisme excessif » qui a parfois été véhiculée ces derniers mois.

M. François Autain, président. - Auriez-vous pu refuser la mise sur le marché, malgré l'autorisation de l'Europe ?

M. Jean Marimbert. - Je l'ai refusée, pendant deux ans et demi. J'ai expliqué, en juillet 2008, en toute transparence à l'occasion d'un point de presse, les raisons de mon refus puis de mon accord.

Une autre explication ne me semble pas convaincante : cela se serait passé ainsi parce que tel ou tel expert faisant partie du dispositif d'évaluation a eu des liens avec les laboratoires. De tels liens ont parfois existé et le développement dans la seconde moitié des années 2000 de la mise en oeuvre effective des règles de déclaration et de gestion des liens d'intérêts, pour laquelle il reste du chemin à faire, a rendu progressivement plus visible ce type de situations. Le dossier Mediator a toutefois été examiné par des générations successives d'experts siégeant dans plusieurs commissions : sans sous-estimer la capacité d'influence de certains operateurs, il aurait fallu qu'elle soit tentaculaire pour biaiser au long cours en sa faveur les processus d'évaluation faisant intervenir tant d'acteurs différents.

La troisième explication parfois avancée consiste à dire que les experts de l'AMM n'auraient pas voulu se déjuger. Or ceux qui ont statué en 1995, puis en 2007, n'étaient pas les mêmes que ceux qui avaient donné l'AMM en 1974 ou l'avaient partiellement revalidée en 1987.

Le quatrième argument vise à souligner que la pharmacovigilance aurait négligé des signaux forts venant de la notification spontanée des effets indésirables. Même si l'on reprend en compte, comme il faut le faire, certains signalements anciens, dès la fin des années 1990, qui avaient été perdus de vue ou négligés, comme le cas marseillais, et même si on applique un critère d'imputabilité plus large, le constat global reste le même jusqu'en 2008 ou 2009 : le nombre de signalements par les professionnels de sante a été très faible, pour les hypertensions artérielles pulmonaires mais aussi pour les valvulopathies.

Dans les années ou j'ai exercé mes fonctions, et si l'on met à part le bref article de septembre 2005 de Prescrire, dont la tonalité sur ce médicament particulier n'était pas spécialement virulente, je n'ai pas le souvenir, en tant que directeur général, d'avoir jamais reçu de messages d'alerte de professionnels de santé, de scientifiques ou de patients à ce sujet, alors qu'il ne passait pour ainsi dire pas de semaine sans que je reçoive directement de tels messages sur les sujets les plus divers touchant aux produits de sante. Irène Frachon elle-même, qui était fortement préoccupée par ce sujet et dont la contribution à la démonstration du risque est indiscutable, ne m'a jamais saisi personnellement, et, à ma connaissance, son premier signalement documenté de valvulopathie aux services de pharmacovigilance date du premier trimestre 2008.

La poignée de personnes - médecins chevronnés - qui soignent depuis quelques mois leur notoriété médiatique en martelant sans vergogne approximations, outrances et formules à l'emporte-pièce dirigées contre 1'Afssaps et certaines des personnes qui y ont servi, feraient mieux de se souvenir qu'elles n'ont pris aucune initiative sérieuse avant la mesure de suspension pour alerter les autorités compétentes sur un danger qu'elles présentent aujourd'hui comme aveuglant. Cet effort de mémoire devrait les porter à faire preuve de davantage de retenue et de moins de zèle destructif.

M. François Autain, président. - Pensez-vous notamment aux auteurs du rapport du Sénat Restaurer la confiance ?

M. Jean Marimbert. - Non je parle d'autres personnes, médecins, qui ont fait des déclarations publiques outrancières.

Il y a eu une sous-notification particulièrement forte des effets indésirables de ce médicament. Pourquoi ? La pharmacovigilance fondée sur la notification par les professionnels de santé a des limites intrinsèques. De ce point de vue, il est crucial de pouvoir mobiliser plus facilement que par le passé les ressources qu'offrent les bases de données de l'assurance maladie. Il faut aussi qu'au-delà de ces études de l'assurance maladie, l'autorité sanitaire compétente ait les moyens de faire réaliser des études pharmaco-épidémiologiques post-AMM dans des conditions de totale indépendance scientifique par rapport au laboratoire, quitte a s'inspirer par exemple du dispositif italien.

Un autre facteur qui explique le cheminement de la situation concerne l'ampleur de l'usage hors AMM : la prescription a parfois été déraisonnable pour des demandes d'amaigrissement. Une telle proportion de prescription hors AMM n'incite pas à déclarer puisque la responsabilité du médecin est alors en première ligne. Ce n'est pas parce qu'un médicament est ancien et que le praticien n'a pas d'information alarmante lui donnant à penser qu'il pourrait présenter de graves risques, que le praticien peut prescrire sans discernement hors AMM.

En outre, à plusieurs moments-clés, le système n'a pas gardé la mémoire d'éléments antérieurs, de débats ou de données scientifiques qui auraient été utiles pour éclairer les choix ultérieurs. Notre dispositif a une capacité insuffisante à faire converger toutes les données disponibles susceptibles d'éclairer les décisions à prendre sur la balance bénéfice-risque. Ces informations concernent la pharmacovigilance, les données fondamentales sur la pharmacologie du projet, les données sur l'évolution de la littérature scientifique. Sur ce point, il y a eu un problème systémique.

Sous cet angle, je suis très sceptique sur la valeur ajoutée de l'idée visant à séparer organiquement l'activité de pharmacovigilance du reste des activités dévolues à l'agence en charge du rapport bénéfice-risque. Cela ne répond en rien au problème posé, et pourrait même aggraver les risques de cloisonnement entre les différentes sources et enceintes d'évaluation des divers types de données utiles. Même si l'information est traitée de manière indépendante, elle doit converger.

Il faut élargir le pluralisme au stade de l'évaluation de la portée les signaux issus de la pharmacovigilance. Je distinguerai deux stades : le stade technique de la pharmacovigilance, qui consiste à recueillir les effets indésirables et à étudier l'imputabilité, et le stade d'analyse du risque. Le risque est-il acceptable par rapport aux bénéfices mais aussi par rapport à d'autres risques d'autres médicaments ? Pour cette phase d'analyse de l'acceptabilité du risque, il faut élargir le pluralisme pour disposer de regards différents. Introduire à ce stade de l'analyse des scientifiques non spécialistes de la pharmacovigilance et des associations de patients et des épidémiologistes permet d'élargir le débat autour du risque pour décider si le risque est acceptable.

J'ai réellement cherché à faire de sérieux efforts, en tant que directeur général, tant pour la gestion des conflits d'intérêts que pour la transparence et la mise en ligne des comptes rendus. Pour les conflits d'intérêts, nous avions commencé à travailler, au sein de l'agence, pour que toutes les déclarations d'intérêts soient accessibles en ligne, de manière très régulière, pour les membres des commissions comme pour les rapporteurs. Nous devrions nous inspirer des pratiques de certains laboratoires qui publient tous les liens de collaboration qu'ils ont avec les experts, parfois dans le détail. Cette orientation est la bonne. En croisant ces données avec les déclarations d'intérêts de tous les experts des agences, les moyens de recoupement sont importants pour les déclarations inexactes ou incomplètes, ce qui permettra de vérifier qu'il n'y a pas d'omissions et que les déclarations sont fiables. Je suis convaincu que la majorité des experts est honnête et ne triche pas sur ces déclarations d'intérêts.

M. François Autain, président. - Sans chercher, j'en ai trouvé un : le directeur de l'évaluation de l'Afssaps. Cet oubli fait désordre car il devrait montrer l'exemple. La déclaration d'intérêts ne concernait pas l'Afssaps mais l'Agence européenne. Quelles peuvent être les sanctions ?

M. Jean Marimbert. - Il ne relève pas des missions d'une agence sanitaire de faire un travail d'investigation pour vérifier que toutes les rubriques sont exactes. En croisant une mise en ligne généralisée par les laboratoires qui devraient indiquer toutes collaborations avec les experts et une mise en ligne, à l'intérieur de chaque agence, de toutes les déclarations d'intérêts, nous nous doterions d'un moyen de recoupement de la véracité des déclarations plus fort. Faut-il une instance externe qui ait une capacité d'investigation ? Pourquoi pas, mais cela ne dispense pas de mettre d'abord en place les autres propositions.

M. François Autain, président. - Avant que vous ne preniez la direction de l'Afssaps, il existait une cellule de veille dont la mission consistait justement à surveiller que les experts faisaient bien leur déclaration d'intérêts dans les délais. Cette cellule de veille a ensuite été supprimée.

M. Jean Marimbert. - Je suis heureux que vous me posiez cette question. Quand j'ai pris la direction de l'agence, début 2004, les autorités qui m'ont nommé m'ont indiqué que le système de déclaration d'intérêts était un système théorique et que je devais lui donner de la réalité dans le fonctionnement quotidien. Je me suis aperçu que la cellule de veille, qui comprenait un magistrat et une autre personne, passait le plus clair de son temps à enregistrer et à saisir dans le système informatique de l'agence des déclarations d'intérêts, alors que l'essentiel était que les évaluateurs et les chefs d'unité soient en relation avec les experts pour se demander, avant chaque séance, si la déclaration d'intérêts était bien remplie et vérifier l'existence de conflits d'intérêts en fonction des points inscrits à l'ordre du jour. J'ai donc supprimé la cellule.

M. François Autain, président. - Nous allons bientôt auditionner le magistrat de cette cellule.

M. Jean Marimbert. - Je pense que tout le monde vous dira que le système est désormais beaucoup plus effectif et davantage mis en oeuvre, dans la seconde moitié des années 2000, qu'il ne l'était auparavant. Le taux de déclaration est d'ailleurs passé de 80 % au début des années 2000 à 99,5 % en 2010. La cellule déontologique est restée ; elle a été intégrée au service juridique et recentrée sur son véritable travail qui consistait à appuyer les équipes pour mettre en oeuvre les règles sur les conflits d'intérêts.

M. François Autain, président. - Vous dites que l'agence n'est pas complaisante à l'égard des laboratoires. Cette cellule de veille avait rappelé à votre prédécesseur que la présence systématique de membres de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions et tous les groupes de travail présentait un inconvénient contentieux et pour les décisions prises en commission. Malgré ces rappels, aucune disposition n'a été prise pour chasser les représentants des laboratoires de ces commissions. Madame Bartoli a adressé une lettre en février 2011 à M. Christian Lajoux, président des entreprises du médicament (Leem) : cette lettre souligne que le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) remet en question la présence des représentants du Leem au sein des différentes commissions et groupes de travail de l'agence, notant que cette présence apparaît incompatible avec une obligation et une garantie d'indépendance des avis donnés par les commissions et groupes de travail. En ce qui concerne la commission d'autorisation de mise sur le marché, l'article R. 5121-154 du code de la santé publique ne prévoit pas de représentant de Leem dans cette commission, même s'il avait accepté que le Leem puisse assister en tant qu'observateur aux séances de cette commission et de certains groupes de travail rattachés. Madame Bartoli conclut sa lettre en signifiant qu'une telle représentation au sein de ces instances consultatives ne paraît plus envisageable.

Pour vous, cette représentation ne portait pas atteinte à l'indépendance des avis rendus par la commission puisque vous ne leur avez pas demandé de quitter ces commissions.

M. Jean Marimbert. - Par rapport aux éventuelles stratégies que les laboratoires peuvent développer individuellement pour influencer une décision, la présence muette de l'organisme professionnel au sein d'une instance n'est pas la chose la plus grave. Cette décision ne me semblait pas prioritaire.

M. François Autain, président. - Je pense que vous avez tort.

M. Jean Marimbert. - Il m'a semblé plus important que chacun sache ce qui se passait au sein des commissions, par la publication d'un compte rendu des séances. L'exigence d'impartialité est désormais de plus en plus forte pour tous.

M. François Autain, président. - Vous semble-t-elle utile ?

M. Jean Marimbert. - Elle est même fondamentale. Le représentant de l'organisme professionnel était muet, au moins la plupart du temps car je ne peux pas garantir que c'était toujours le cas.

M. François Autain, président. - Aviez-vous conscience de violer la réglementation ?

M. Jean Marimbert. - Je n'ai pas remis en cause une pratique qui existait de longue date et j'en étais conscient. Dans le contexte des débats sur l'impartialité de l'évaluation, je considère que la décision récemment prise est une bonne décision.

M. François Autain, président. - Pourquoi n'avez-vous pas répondu aux demandes récurrentes des associations de patients qui veulent participer à ces instances ? Vous avez accepté la présence du syndicat des laboratoires pharmaceutiques : vous êtes prêt à violer la réglementation pour satisfaire les demandes du Leem mais pas celles des associations de patients qui souhaitent siéger dans ces instances.

M. Jean Marimbert. - Pas du tout. A partir de 2006-2007, j'ai souhaité, avec le président du conseil d'administration de l'agence, que l'ensemble des instances aient des représentants d'associations de patients, ce qui supposait des modifications de textes règlementaire, ainsi que je l'ai proposé au ministre.

M. François Autain, président. - Vous avez pourtant laissé le Leem participer alors que la réglementation ne le permettait pas. Pouvez-vous expliquer une telle différence de traitement ?

M. Jean Marimbert. - Nous avons cherché à faire entrer officiellement les associations de patients dans les commissions. J'ai fait des propositions en ce sens.

M. François Autain, président. - Vous auriez également dû le faire pour le Leem pour que la réglementation soit conforme à la pratique.

M. Jean Marimbert. - Vous avez peut-être en face de vous le directeur qui a le plus dialogué avec les associations de patients.

M. François Autain, président. - Le problème est tout autre : je vous reproche d'avoir traité différemment les représentants des laboratoires pharmaceutiques et les représentants des associations de patients. Vous avez violé la réglementation en acceptant que le Leem fasse partie des commissions : pour autoriser les associations, vous avez en revanche demandé la modification de la réglementation.

M. Jean Marimbert. - Quand on fait entrer une association de patients dans une instance, ce n'est pas pour que sa présence soit muette mais pour qu'elle y participe.

M. François Autain, président. - Pourquoi le Leem voulait-il participer à ces commissions ?

M. Jean Marimbert. - Je crois qu'il y avait un enjeu d'accès à l'information, pour l'organisation professionnelle et ses adhérents. Je reconnais que je n'ai pas remis en cause une pratique très ancienne pendant la période où j'étais à la tête de l'agence. Avec le recul du temps et l'ampleur des débats sur l'impartialité, la décision récemment prise me paraît être une bonne décision.

M. François Autain, président. - Votre propos visant à dire que l'Afssaps n'a pas été influencée par les laboratoires soulève certaines réserves de ma part. J'aurais plutôt tendance à penser, comme le souligne le rapport de l'Igas, que l'Afssaps était en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, « structurellement et culturellement ». La place donnée au Leem dans toutes ces instances me semble être une preuve de ce qu'avance l'Igas dans son rapport.

M. Jean Marimbert. - Je ne suis pas d'accord : la culture dominante de l'agence est la culture de la santé publique.

M. Jacky Le Menn. - Quand vous avez pris vos fonctions de directeur général, vous vous êtes certainement informé de la manière dont fonctionnait la structure. Quelles sont les justifications que vos collaborateurs vous ont données pour expliciter la présence du Leem ? Quelles sont les explications qui vous ont été données, et par qui, pour expliquer ce laxisme dans l'application stricte d'une réglementation qui avait sa raison d'être ?

M. Jean Marimbert. - Je n'ai pas le souvenir que ce sujet ait surgi tout de suite. Quand on arrive dans un service, on prend connaissance des dossiers généraux sur l'organisation des services. La question s'est toutefois posée. J'ai perçu, dans les échanges avec le service et avec le Leem, que l'organisme professionnel souhaitait disposer d'une vue d'ensemble sur l'activité d'évaluation, non pas pour intervenir sur tel ou tel dossier individuellement mais pour disposer d'un accès à l'information, enjeu de pouvoir pour l'organisation professionnelle vis-à-vis de ses adhérents. L'idée n'était pas de participer à l'évaluation.

M. François Autain, président. - Tous les membres des commissions d'évaluation ont eux-mêmes des liens d'intérêts avec les laboratoires : les laboratoires n'ont pas à intervenir puisqu'ils ont des porte-paroles au sein des commissions.

M. Jean Marimbert. - Beaucoup de membres de la commission d'AMM ont eu des activités de type essais cliniques. Ce point renvoie toutefois à un autre débat. Le débat consiste à savoir s'il est possible ou non, dans un domaine tel que les produits de santé, d'avoir une expertise de haut niveau avec uniquement des personnes qui n'auraient jamais eu de liens d'intérêts.

M. François Autain, président. - On peut considérer qu'un expert qui n'a plus de lien d'intérêts avec un laboratoire depuis cinq ans est indépendant. Vous avez l'exemple de M. Maraninchi, ce qui n'est pas le cas de M. Harousseau, président de la HAS. Les experts sollicités par la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA) au Royaume-Uni n'ont pas de liens d'intérêts.

M. Jean Marimbert. - Je n'en suis pas certain.

M. François Autain, président. - Avec d'autres membres de la mission d'information, nous avons rencontré le directeur de la MHRA qui m'a déclaré que les experts de la commission d'évaluation n'avaient pas de liens d'intérêts.

M. Jean Marimbert. - J'ai beaucoup travaillé avec mes collègues européens et nous avons souvent parlé de ces questions de conflits d'intérêts. Les problèmes que nous rencontrons en France pour concilier l'impartialité des processus d'évaluation et l'existence de liens entre les personnels académiques, les hospitaliers universitaires et les opérateurs privés ne sont pas isolés. Certains pays ont su trouver de meilleures solutions que nous. Je ne suis pas certain de ce que vous dites sur l'Angleterre.

M. François Autain, président. - Vous pensez donc que le directeur de la MHRA m'a menti ?

M. Jean Marimbert. - L'affirmation selon laquelle les experts de la commission AMM n'ont aucun conflit d'intérêts doit être vérifiée.

En Suède ou aux Pays-Bas, les problèmes autour des conflits d'intérêts ont été résolus en développant une formule de bi-appartenance. Les experts académiques ou hospitaliers travaillent à mi-temps à l'université ou à l'hôpital et à mi-temps à l'agence et n'ont pas de liens d'intérêts, ou n'en ont pas eu depuis cinq ans. J'ai proposé cette formule de bi-appartenance et je pense qu'il serait utile d'aller dans ce sens pour résoudre le problème des conflits d'intérêts. Il n'y a jamais eu autant d'efforts concrets réalisés au sein de l'agence qu'au cours des dernières années dans ce domaine mais le problème n'est pas résolu et il faut aller vers de nouvelles solutions pour mettre fin à la suspicion et aux controverses.

Je souhaite partager une dernière idée qui me tient à coeur : en tant qu'ancien directeur général d'une structure que j'ai dirigée pendant cinq ans, je pense que cette collectivité de service public mérite autre chose et mieux que l'image caricaturale et destructrice qui en a été donnée ces derniers temps, à des années lumières des multiples appréciations positives, voire élogieuses, que je recevais jusqu'en novembre dernier. Comment se fait-il qu'à partir d'une polémique sur un sujet, l'or se soit transformé en plomb ?

M. François Autain, président. - En 2006, dans le rapport que nous avons rendu public, nous ne considérions pas que l'Afssaps fût de l'or.

M. Jean Marimbert. - J'ai souvenir de nos échanges et j'ai pris en compte vos suggestions sur les conflits d'intérêts et la transparence. Oui, il y a eu des déficiences mais on ne juge pas une communauté de service public, confrontée tous les jours à des décisions délicates, à l'aune d'un seul dossier, si critiquable cette gestion soit-elle.

M. François Autain, président. - Il y en a d'autres problèmes que je pourrai lister si vous le souhaitez.

M. Jean Marimbert. - Je suis attaché au service public et j'ai dirigé cinq collectivités de service public. Quand on laisse se répandre, à partir d'un sujet polémique parmi de multiples domaines où l'intervention de l'agence a été pertinente, un jugement sur un établissement public, on envoie un signal démotivant à de nombreuses communautés de service public qui travaillent dans des domaines exposés. Je souhaite donc faire un appel à plus d'équilibre et à plus de mesure.

M. François Autain, président. - Ceux qui ont dénoncé ce désastre ne vont tout de même pas être tenus responsables de cela !

M. Jean Marimbert. - J'ai reconnu que le fonctionnement du système avait été déficient. Mes pensées vont aux victimes. Je dis en même temps qu'il ne faut toutefois pas laisser détruire l'image d'un service public qui est tous les jours au front. Ce service public prend, au nom de l'Etat, des décisions compliquées sur le bénéfice-risque qui doivent être prises tout en exposant ses membres. Il peut y avoir des incertitudes et des erreurs dont il faut rendre compte et les assumer, mais le service public mérite qu'on n'en donne pas une image caricaturale et démotivante tant pour ses équipes que pour l'immense majorité des experts qui est honnête et impliquée.

M. François Autain, président. - Pensez-vous que le rapport de l'Igas donne une image caricaturale de l'Afssaps ?

M. Jean Marimbert. - Le rapport est documenté - puisque nous avons transmis des documents à l'Igas - mais je considère que la conclusion est trop généralisante. Elle consiste à passer d'une affirmation sur un sujet mal traité à une conclusion qui dit que l'agence en général a perdu le sens de la précaution et n'est pas réactive : cette conclusion est infondée et illégitime, en plus d'être injuste et de faire du mal au service public.

M. Gilbert Barbier. - Avez-vous l'impression que les laboratoires en question a été traité de manière différente ou déférente au sein de l'Afssaps ou du Leem ?

M. Jean Marimbert. - Il m'est difficile de répondre pour le Leem puisque je ne suis pas qualifié. Pour l'agence, il n'y a aucune volonté de favoriser les laboratoires Servier par rapport à d'autres laboratoires ou un laboratoire français par rapport à des laboratoires étrangers. Ces critères n'ont absolument aucune pertinence par rapport à nos objectifs de santé publique. Nous avons pu faire des erreurs ou des mauvaises appréciations mais il n'y a eu aucune volonté de favoriser les laboratoires Servier en tant que tels.

M. Gilbert Barbier. - En tant que directeur général, avez-vous été amené à vous saisir plus directement de ce dossier particulier et à demander qu'une attention particulière y soit apportée, compte tenu de l'histoire du médicament et des problèmes rencontrés lors de sa mise sur le marché et en 1998 et des problèmes rencontrés à l'étranger, connus du monde scientifique ? Comment expliquez-vous cette nonchalance ?

M. Jean Marimbert. - Je n'ai découvert le dossier du Mediator qu'en septembre 2005 puisque Prescrire l'évoquait. Ce point rejoint le problème de la perte de mémoire. Des événements datant de la moitié des années 1990, notamment des débats intenses sur la pharmacologie du produit et sur sa similitude avec les fenfluramines, manquaient à mon analyse. Ce pan du dossier a eu très peu de visibilité pour moi jusque très tard. Lorsque j'ai demandé des éléments sur le Mediator, ceux qui me sont remontés concernaient la pharmacovigilance, soit le baromètre des signalements : or en 2005 et jusqu'à fin 2008, ce baromètre est extrêmement faible, avec des troubles qui ne sont pas dangereux et un cas d'hypertension pulmonaire artérielle déclaré début 2005, date à laquelle l'enquête de pharmacovigilance est relancée.

M. François Autain, président. - Vous faites abstraction des cas signalés en 1999 ?

M. Jean Marimbert. - Je n'en ai alors pas connaissance.

M. François Autain, président. - Comment expliquez-vous cela ?

M. Jean Marimbert. - Il y a plusieurs éléments d'explication. Si dans un tableau d'une décision, vous avez uniquement des éléments de pharmacovigilance qui ne sont pas très probants et sont peu abondants, s'agissant des HTAP et des valvulopathies, la situation diffère de celle où vous disposez de toute la mise en perspective de la connaissance pharmacologique sur le produit, de l'évolution des données scientifiques sur les voies d'action de la métabolite par fenfluramine et des débats. Cet aspect pharmacologique n'est pas remonté et j'ai donc longtemps appréhendé le sujet à l'aune de la pharmacovigilance et des données sur les signalements qui nous parvenaient. J'ai évoqué tout à l'heure la capacité insuffisante du système à faire converger toutes les données disponibles.

M. François Autain, président. - Quel est le remède à cela ?

M. Jean Marimbert. - Pour remédier à cet effet de cloisonnement, il faut apporter des modifications au fonctionnement des processus de réévaluation. Il faut d'abord introduire beaucoup plus d'interactions physiques directes entre les membres de la commission de pharmacovigilance et les membres de la commission d'AMM. En 2007, une minorité de la commission de pharmacovigilance a estimé que le bénéfice-risque était négatif. Le dossier est ensuite passé en commission d'AMM qui m'a proposé, à la quasi-unanimité, de retirer une des indications. Or si une minorité des membres d'une des deux commissions émet des doutes très forts et souhaite une mesure de retrait, il convient d'organiser un débat collégial mixte pour que les membres aillent jusqu'au bout de l'échange. En outre, le processus d'évaluation et de réévaluation classique se déroule avec l'avis d'un groupe scientifique spécialisé (groupe diabétologie, groupe anti-infectieux) composé uniquement de spécialistes de ce domaine, puis la présentation du dossier en commission d'AMM.

M. François Autain, président. - Vous êtes donc opposé à ce qu'on donne plus d'autonomie à la commission nationale de pharmacovigilance. On pourrait imaginer que, à la suite de l'avis de 2007, le directeur général ait décidé, sans passer par la commission d'AMM, étant donné qu'une minorité se prononçait pour une réévaluation ou une balance bénéfice-risque négative, de prendre ses responsabilités et suspende le produit.

M. Jean Marimbert. - Il ne faut pas court-circuiter l'analyse bénéfice-risque. La commission d'AMM a pour rôle de mettre en relation les risques, évalués par la commission de pharmacovigilance, et de prendre une décision d'ensemble. Je propose donc qu'il y ait des modalités spécifiques de débat, avec des réunions mixtes associant les experts des deux commissions pour aller jusqu'au bout du débat portant sur les arguments des personnes minoritaires.

M. François Autain, président. - Cette commission nationale de pharmacovigilance comprenait deux personnes en conflit d'intérêts qui ne l'avait pas déclaré : le conflit d'intérêts était constitué avec les laboratoires Servier.

M. Jean Marimbert. - A partir du moment où la controverse publique a débuté, j'ai cherché à vérifier rétrospectivement si le dispositif de conflit d'intérêts que nous avons rénové en 2005 et appliqué à partir de 2006 fonctionnait : je me suis aperçu qu'il avait bien fonctionné en 2009, mais pas en 2007.

M. François Autain, président. - Nous ne savons même pas quel est le nombre de membres de cette commission qui ont demandé le retrait de ce produit.

M. Jean Marimbert. - Nous ne sommes pas allés suffisamment loin dans l'exposé des opinions dissidentes. Il faut sûrement aller plus loin et dire combien de membres et quels membres expriment cette position. J'ai longtemps considéré qu'il valait mieux protéger les experts, mais il apparaît en fait que la meilleure protection est l'exposé transparent des positions de chacun. Les comptes rendus devraient donc mentionner ces points. Pour analyser les bénéfices-risques, il faut que tous les arguments des minoritaires soient discutés. Dans cet esprit, je propose une réunion mixte des deux commissions.

M. François Autain, président. - Vous avez été suivi par votre successeur.

M. Jean Marimbert. - Cette proposition date de début janvier. J'ai envoyé une autre proposition au ministre, avant la publication du rapport de l'Igas, pour dire que, lorsque la commission d'AMM donne un avis sur le bénéfice-risque au terme d'une réévaluation, l'avis de la commission de pharmacovigilance doit être également transmis, ainsi que celui d'un groupe de travail composé de personnes spécialisées dans le domaine thérapeutique concerné. Il faut aussi disposer du regard de personnes qui ne sont pas des spécialistes du sujet et auront une approche plus transversale sur le bénéfice-risque. Ceci offrira une garantie supplémentaire.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous avez évoqué les dysfonctionnements entre la procédure de remontée et de traitement des informations entre les différents organismes : quelles sont les propositions concrètes que vous faites en la matière ? En 2005 et en 2007, vous avez demandé un suivi particulier du dossier du Mediator. Le Sénat a, dans le même temps, publié un rapport suite à l'affaire du Vioxx. Avez-vous tenu compte des observations et des propositions que nous avions alors faites ? Avez-vous envisagé par exemple de constituer une base de données informatique publique sur les essais cliniques après l'obtention d'AMM ? Etes-vous favorable à cette proposition ? De nouvelles mesures ont-elles été prises au sein de l'agence pour que le suivi entre la procédure de remontée et le traitement des informations soit amélioré ? Quelles sont les propositions concrètes qui ont été faites à ces différentes dates ?

M. Jean Marimbert. - J'ai tenu compte de ces échanges dans plusieurs domaines. Mi-2005, j'ai décidé que nous mettrions en ligne des comptes rendus, pour plus de transparence : cette disposition a été appliquée à partir de 2006 et, en quatre ans, elle s'est étendue à toutes les commissions de l'agence.

A partir de 2005-2006, l'organisation interne de l'agence a beaucoup évolué : il n'y avait pas, jusqu'en 2005, de service dédié au suivi post-AMM au sein de l'agence et les deux unités de pharmacovigilance étaient intégrées au département qui évaluait l'AMM. Il m'a paru indispensable de créer un département dédié à la surveillance post-AMM qui est devenu, fin 2007, un service comptant une cinquantaine de personnes. A la suite des débats ayant suivi l'affaire du Vioxx, nous avons cherché à instaurer une passerelle entre la pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée et la pharmaco-épidémiologie. Nous avons donc créé une cellule spécifique : cette dernière a travaillé à partir de 2008 avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) lorsque des signaux apparaissaient en pharmacovigilance. Nous avons tenu compte du rapport du Sénat, mais nous ne sommes peut-être pas allés assez vite et assez loin.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Jugez-vous possible et souhaitable aujourd'hui d'accroître la part de la recherche publique pour les études post-AMM ?

M. François Autain, président. - Quel pourcentage d'études post-AMM a été effectivement réalisé par rapport à celles qui ont été prescrites depuis début 2004 ?

M. Jean Marimbert. - Il faut que l'agence publique ait la capacité de déclencher des études indépendantes, non seulement des études Cnam qui servent principalement à confirmer les signaux, mais aussi des études plus longues. Nous restons actuellement prisonniers d'une logique consistant à demander au laboratoire de réaliser les études pour réévaluer le bénéfice-risque. Les délais de réalisation sont souvent dépassés, en France comme ailleurs. Il faut avoir la capacité de faire faire, selon un cahier des charges déterminé par des instances scientifiques indépendantes, des études pour éclairer une réévaluation, quitte à faire ce qu'ont fait les Italiens. Ces derniers ont mis en place un prélèvement supplémentaire sur les laboratoires : ce prélèvement est affecté à un fonds qui finance des études pharmaco-épidémiologiques indépendantes.

M. François Autain, président. - Quel pourcentage d'études post-AMM a été réalisé par rapport à celles qui ont été prescrites depuis début 2004 ?

M. Jean Marimbert. - Je l'ignore.

M. François Autain, président. - Je puis vous dire que la moitié n'a pas débuté.

M. Jean Marimbert. - C'est la raison pour laquelle, dans la nouvelle directive communautaire modifiée sur la pharmacovigilance, il est prévu que les Etats membres devront mettre en place des systèmes de sanctions lorsque les études prescrites n'ont pas été réalisées.

M. François Autain, président. - Ce système de sanctions existe en France.

M. Jean Marimbert. - Vraiment ?

M. François Autain, président. - Mais nous ne prenons pas de sanctions, ce que je ne comprends pas au vu des retards.

M. Jean Marimbert. - Vous faites allusion à la possibilité qu'a le Comité économique des produits de santé (Ceps) de prononcer des sanctions.

M. François Autain, président. - Oui. L'article 6 de l'accord-cadre signé par le Ceps et le Leem prévoit ce régime de sanctions. Malgré cela, les sanctions ne sont pas appliquées. J'en ignore la raison.

M. Jean Marimbert. - Il faut effectivement utiliser tous les leviers disponibles pour garantir que les études prévues soient réalisées. Je pense aussi que nous devons avoir d'autres capacités, dans d'autres cadres, de faire faire des études de pharmacovigilance, au-delà du laboratoire.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Il est regrettable de devoir élaborer une directive européenne, dont on connaît la lourdeur, pour aboutir à ce que les études post-AMM puissent être réalisées.

Pensez-vous qu'il faut revoir les circuits de financement par d'autres dispositifs que l'impôt ainsi que le niveau des financements publics, en vue d'une plus grande indépendance financière vis-à-vis des laboratoires ? Les taxes et redevances représentent 90 % des ressources de l'agence.

M. François Autain, président. - Ce pourcentage atteint même 100 % cette année.

M. Jean Marimbert. - J'ai mis en garde les autorités sur les conséquences de la disparition totale de toute subvention de l'Etat dans le financement de l'agence puisque ce dernier matérialisait l'implication de l'Etat. Quand l'Agence du médicament a été créée, des taxes et redevances étaient affectées mais les proportions entre les taxes et redevances affectées et la subvention n'étaient pas du tout les mêmes puisque la répartition était à 50-50. Au fil du temps, ce rapport s'est déformé jusqu'à supprimer toute subvention de l'Etat. Si on pouvait passer à un financement budgétaire sans paupériser l'agence, si le prix à payer pour régler le débat sur l'impact du financement sur l'indépendance consiste à changer de circuit, nous pouvons le faire, à condition que l'agence ne soit pas paupérisée car elle a des investissements à faire, par exemple dans ses laboratoires ou pour son système informatique.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le développement des procédures européennes de mise sur le marché modifie-t-il le fonctionnement et les procédures de la commission d'AMM ? Quel rôle joue la commission d'AMM dans les procédures centralisées ?

M. Jean Marimbert. - La procédure dite centralisée se développe mais ne concerne qu'une centaine de dossiers par an, alors que la France traite environ mille dossiers dans le même temps. Alors qu'à partir de l'application de la directive de 2004, le nombre de produits soumis à la procédure centralisée a fortement augmenté, ce sont maintenant les génériques qui alimentent cette procédure, ce qui prouve que le pipe-line de la création s'assèche.

Au fil du temps, les experts de la commission d'AMM ont ressenti une frustration croissante à l'idée de ne pas pouvoir peser sur les choix effectués au sein du comité européen. Il est néanmoins possible de mettre la commission dans la boucle. Il n'est pas impossible d'avoir un échange collégial avec les experts français de la commission d'AMM, pour éclairer le point de vue soutenu par les représentants de l'agence au sein du comité scientifique européen, en amont. Ceci est difficile mais pas impossible. Il est arrivé que l'avis français ne soit pas suivi et que l'avis collégial européen n'ait pas été conformé au point de vue français. Arcoxia était un cas typique.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Ceci ne signifie-t-il pas que la France entérine souvent les décisions ? La procédure de liaison avec les instances nationales fait souvent que les directives entérinent une décision.

M. Jean Marimbert. - Le risque est de dévaloriser ou de dévitaliser le travail des instances scientifiques nationales avec des décisions centralisées. Il convient donc d'essayer d'instaurer des temps de débat, en amont de la décision, pour éclairer la position de la France. Pour peser au niveau européen, ce qui était une obsession pour moi, sur les avis du Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP) concernant les produits qui passent en procédure centralisée, il faut participer et être rapporteur sur des dossiers, d'où l'importance de ne pas désinvestir ces dossiers européens qui peuvent avoir un impact considérable sur la santé publique puisque ces produits seront accessibles partout en Europe. Il faut beaucoup travailler dans les instances européennes et développer en amont des débats en France pour peser dans les décisions.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - On peut citer un brevet impliquant la thérapie cellulaire : ces décisions sont-elles prises en tenant compte des spécificités législatives nationales ?

M. Jean Marimbert. - Les thérapies cellulaires relèvent, pour les aspects avancés, du comité des thérapies avancées. Au-delà de cette question, il arrive que les débats européens oublient les différences qui existent entre les Etats membres et qui sont très importantes pour les conditions d'usage du médicament : l'organisation de la chaîne des soins et de distribution, les modes de prescription sont largement nationaux. Il faut faire attention à ne pas avoir au niveau européen des débats désincarnés à partir de dossiers pharmacologiques, puisque le bénéfice-risque d'un produit dépend tout autant des conditions concrètes d'utilisation que des caractéristiques intrinsèques. Les choix européens ne doivent donc pas perdre de vue tous ces paramètres nationaux et la diversité des législations.

M. François Autain, président. - La commission d'AMM a-t-elle la possibilité de remettre en cause la décision prise au niveau européen ? Quelle procédure avez-vous utilisée pour Arcoxia ?

M. Jean Marimbert. - Il existe trois types de décisions. Avec la décision centralisée pure, une fois la décision validée, elle s'impose dans toute l'Europe. Nous participons à l'évaluation mais la commission nationale n'a pas compétence pour examiner le produit.

Arcoxia relevait de la procédure de reconnaissance mutuelle, ou décentralisée : la décision part d'une nation et s'étend, par la procédure de reconnaissance mutuelle, à d'autres nations. Pour Arcoxia, j'avais un arbitrage communautaire de la commission avec un bénéfice-risque positif et j'étais donc juridiquement tenu de prendre la décision. J'ai estimé qu'il existait un enjeu de santé publique et j'ai pris une décision contraire : j'avais toutefois juridiquement tort.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pensez-vous que certains pays influencent davantage les décisions de cette commission ?

M. Jean Marimbert. - La situation a évolué. A l'origine, lors de la création du comité dans les années 1990, quatre pays pesaient davantage : la Suède, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. D'autres pays ont progressivement pris leur place, en étant rapporteurs, comme les Pays-Bas. Les rôles du rapporteur et du co-rapporteur sont fondamentaux au sein de l'instance européenne, surtout si leur position est partagée par les grands pays, puisque les petits pays n'ont pas les moyens de mener des études de pharmacovigilance. La France doit garder sa capacité à peser sur les choix.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment distinguer un lien d'intérêts mineur d'un lien d'intérêts majeur ? Est-il nécessaire de les distinguer ?

Faut-il fusionner la commission de la transparence avec la commission d'AMM ?

M. Jean Marimbert. - La distinction est utile : si vous êtes l'investigateur principal d'un essai clinique sur un produit, vous ne pouvez participer à l'évaluation, ce qui n'est pas le cas si vous êtes un investigateur parmi d'autres. Compte tenu de l'importance de ces débats sur ces conflits d'intérêts, il faudrait viser un pourcentage qui soit le plus élevé possible d'experts qui n'a pas de liens, même si cela n'est pas évident. Nous avons augmenté la proportion d'experts sans conflits d'intérêts en procédant à un appel d'offres pour renouveler la composition de la commission d'AMM.

M. François Autain, président. - Il conviendrait peut-être de mieux rémunérer ces experts qui travaillent quasiment à titre bénévole quand ils interviennent au sein de l'Afssaps.

M. Jean Marimbert. - Il conviendrait effectivement de revaloriser les indemnités des vacations. Certains experts viennent tôt le matin de province pour recevoir une faible vacation : le problème n'est pas tant le niveau de la gratification que le fait que ce travail de participation à l'expertise de santé publique n'est pas reconnu à l'université par les pairs, contrairement aux publications. Ce travail doit être valorisé, d'autant que les experts y consacrent du temps et ne s'enrichissent pas : il convient donc que ces experts ne soient pas coupés d'une reconnaissance académique. Nous pourrions décider que, chaque année, sur le contingent des promotions académiques universitaires, une petite part soit dédiée à des experts de qualité qui ont participé à l'expertise de santé publique.

M. Jacky Le Menn. - N'y a-t-il pas une cooptation entre les experts ? Comment se génère cette notion d'expertise ? Il y a les experts connus mais aussi un vaste réseau d'experts potentiels compte tenu de leurs travaux.

M. François Autain, président. - Le président et le vice-président des commissions AMM sont à l'Afssaps dans les diverses commissions depuis vingt ans. Ne faut-il pas accélérer le renouvellement ?

M. Jean Marimbert. - J'ai justement décidé de passer à un système d'appel à candidatures alors que prévalait auparavant une logique de réseaux à chaque renouvellement des commissions. Ces appels à candidatures systématiques visaient à renouveler les membres : chaque commission a compté entre 25 % et 40 % de nouveaux membres et l'agence a en outre bénéficié de nouvelles expertises. Pour les présidents de commission qui ont plus de travail et de responsabilité que les autres membres, le renouvellement s'avère plus problématique. A partir de 2006-2007, j'ai souhaité que les présidents de commission signent un engagement comprenant quatre points parmi lesquels figurait une absence de conflit d'intérêts significatif, ce qui a aggravé la difficulté à renouveler des présidents. L'idéal serait effectivement de pouvoir changer de président au bout de quelques années.

M. François Autain, président. - En 2006, la Cour des comptes a publié un rapport sur l'Afssaps : ce rapport indique notamment que la pharmacovigilance ne serait ni transparente, ni suffisamment réactive en France. Quand la balance bénéfice-risque est défavorable, comme pour le benfluorex et l'agréal, quand des médicaments sont retirés du marché espagnol, l'Afssaps n'en dit rien et les médicaments continuent à être distribués en France. Dans votre réponse, vous indiquez que les produits visés dans le rapport ont fait l'objet d'une enquête approfondie et, pour le benfluorex, que vous avez demandé une réévaluation et que le produit a cessé d'être commercialisé en avril 2006. Vous citez, comme source de référence, le procès-verbal du 26 novembre 2006. S'agit-il d'un lapsus ?

M. Jean Marimbert. - Ce rapport était complet et portait notamment sur ces points. A l'évidence, la référence à un retrait du marché est le fruit d'une erreur : le passage qui fait allusion à un retrait du marché fait référence à une commission qui est postérieure à la date d'envoi de la réponse à la Cour des comptes. En avril ou mai 2007, lors d'une seconde réponse apportée à la Cour des comptes, la réponse explique le processus de réévaluation initié à partir de début 2006 et indique que la commission d'AMM examine le produit. Il s'agit donc d'une erreur matérielle que l'agence rectifie complètement un an après dans la réponse à un autre rapport de la Cour des comptes.

M. François Autain, président. - Si vous aviez pris cette décision en 2006, il y aurait eu moins de dégâts.

M. Jean Marimbert. - J'ai pris deux décisions défavorables au maintien du produit.

M. François Autain, président. - Quelles sont les conditions dans lesquelles vous avez décidé de lancer cette étude pharmaco-épidémiologique en 2010 auprès de la Cnam ?

M. Jean Marimbert. - Il y a deux études, en 2009 et en 2010. En 2009, une étude est réalisée par les services de la Cnam à la demande d'une épidémiologiste membre du groupe pharmaco-épidémiologiste de l'agence qui prend alors l'initiative de nouer un contact avec la Cnam. Cette étude montre l'existence d'un surrisque d'hospitalisation chez les patients diabétiques. La seconde étude Cnam a été demandée par les services de la direction de l'évaluation des médicaments de l'agence, sans instructions du directeur général. L'étude de la Cnam en 2009 corroborait l'existence d'un lien de cause à effet et d'un surrisque, et la seconde étude visait donc à connaître son impact en termes de mortalité et de morbidité. Dans la première quinzaine d'octobre 2010, la direction générale de l'agence a annoncé qu'elle examinerait les résultats et qu'elle rendrait l'enquête publique, ce qui a effectivement été le cas en novembre 2010.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous le sentiment que nous avons la même vigilance vis-à-vis des autres produits thérapeutiques qu'à l'égard des médicaments ?

M. Jean Marimbert. - Le terme de produits thérapeutiques englobe les dispositifs médicaux innovants et les thérapies cellulaires innovantes. Dans les domaines d'innovation hors médicament, nous sommes confrontés à un dilemme : comment faire le travail de sécurité sanitaire et évaluer le bénéfice-risque sans être un obstacle au progrès thérapeutique ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Un certain nombre de produits sont utilisés sur le corps de la femme qui est le lieu d'expérimentations. La vigilance est-elle alors aussi conséquente que pour le médicament ?

M. Jean Marimbert. - Vous faites allusion aux produits thérapeutiques annexes (PTA) utilisés notamment en procréation médicalement assistée ? La France avait un dispositif spécifique d'autorisation des produits thérapeutiques annexes qui permettait d'examiner l'évaluation bénéfice-risque de manière adaptée. Un arbitrage a été rendu, au niveau européen, pour reclassifier ces produits comme dispositifs médicaux. La procédure française a été vidée de son contenu. Cela ne rend que plus nécessaire la mise en place au niveau communautaire de modifications législatives qui permettent d'avoir, pour les dispositifs médicaux les plus innovants qui sont des enjeux de santé publique importants, un niveau d'évaluation comparable à celui du médicament. Il me semble prioritaire, dans les années à venir, de modifier le corpus communautaire sur les dispositifs médicaux, marqué par le libre marché, pour y insérer davantage de considérations de santé publique, avec une procédure d'évaluation qui pourrait être européenne.

M. Jacky Le Menn. - Compte tenu des incidents rencontrés, pensez-vous que l'Afssaps a toujours sa raison d'être ? Sinon, que voyez-vous à sa place ?

M. Jean Marimbert. - Je crois profondément que les agences nationales de produits de santé gardent en Europe leur raison d'être puisqu'il n'existe pas de compétence communautaire générale en matière de santé. En cas de problème, la responsabilité nationale est mise en cause. La santé est déterminée par les règles européennes mais elle est très ancrée au niveau national, politiquement, psychologiquement et médiatiquement. La santé relève d'abord de la compétence des Etats. Dire qu'on va tout centraliser alors que, politiquement et juridiquement, la santé est de la compétence des Etats crée un hiatus encore plus fort.

Le bénéfice-risque n'est pas seulement lié aux caractéristiques intrinsèques d'un médicament mais aussi aux conditions concrètes de son utilisation, selon l'organisation sanitaire du pays. Les instances nationales doivent garantir, par leur action, tout ce pan de l'analyse bénéfice-risque, même pour les produits centralisés. Il reste donc une place pour des organismes publics qui jouent ce rôle.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les institutions européennes n'aiment pas la subsidiarité. Par le biais du médicament, elles essaient d'enfoncer un clou dans ces compétences de subsidiarité.