Lundi 6 juin 2011

- Présidence de M. François Autain, président. -

Audition de M. Pierre Boissier, Mme Anne-Carole Bensadon, MM. Etienne Marie et Aquilino Morelle, membres de l'Igas

M. François Autain, président. - La mission d'information entend M. Pierre Boissier, chef de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), et Mme Anne-Carole Bensadon, MM. Etienne Marie et Aquilino Morelle, inspecteurs de l'Igas, auteurs du rapport d'enquête sur le Mediator. L'un des inspecteurs auteurs du rapport de l'Igas étant médecin, je suis obligé de poser la question des liens d'intérêts, d'autant qu'il a été mis en cause par M. Seta, directeur opérationnel du groupe Servier. M. Boissier, chef de l'Igas, a répondu par lettre à cette accusation. M. Morelle souhaite-t-il ajouter quelque chose ?

M. Aquilino Morelle, inspecteur de l'Igas. - M. Boissier vous a répondu du point de vue juridique. J'ai pour ma part confié cette affaire à mon avocat, et je me réserve, à titre personnel, le droit éventuel de poursuivre, car les faits de diffamation professionnelle sont constitués. Ce serait toutefois accorder beaucoup de crédit à ces accusations. Ce qui nous importe, ce sont les résultats de notre travail et les suites qui lui seront données.

M. Pierre Boissier, chef de l'Igas. - Je souhaite apporter trois précisions à propos de notre travail.

En ce qui concerne nos pouvoirs : la loi du 28 mai 1996 donne à l'Igas compétence sur les organismes publics. Elle n'était donc pas habilitée à contrôler ou à auditionner les Laboratoires Servier.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous n'aviez donc aucune possibilité de les auditionner ?

M. Pierre Boissier. - Non, car il s'agit d'un organisme privé, qui ne bénéficie pas de fonds publics.

En ce qui concerne nos méthodes de travail : nous interrogeons les personnes concernées, mais tous les éléments du rapport sont adossés sur des preuves et investigations écrites, annexées au rapport. Les auditions ne donnent pas lieu à des comptes rendus signés.

Enfin, nos rapports sont élaborés en toute indépendance par les inspecteurs, sous leur responsabilité personnelle, et ne sont jamais modifiés, ni par le chef de service, ni par le ministre.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment réagissez-vous à l'hypothèse des Laboratoires Servier selon laquelle il y aurait un « faisceau d'indices » à l'origine de ce qu'ils considèrent comme un « acharnement médiatique » à leur encontre, qu'il faut selon eux resituer dans un contexte de concurrence internationale accrue entre les grands groupes pharmaceutiques ?

M. Aquilino Morelle. - Je ne commenterai pas les déclarations des Laboratoires Servier. Quiconque a lu le rapport de l'Igas aura compris que, si la responsabilité des Laboratoires Servier apparaît, selon les termes du ministre, « première et directe », les autorités sanitaires ne sont pas pour autant dédouanées ! Il n'y a pas eu d'acharnement de la part de l'Igas : nous travaillons en toute indépendance, en nous efforçant à la plus grande objectivité. Pour le reste, cela regarde les Laboratoires Servier et la presse...

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - De quelles études dispose-t-on pour mesurer les propriétés anorexigènes du benfluorex ?

M. Aquilino Morelle. - J'aimerais en disposer moi-même ! Quand nous avons enquêté sur le benfluorex, nous avons exhumé des études dans des publications scientifiques, dont 90 % avaient été réalisées et financées, dans les années 1960-1970, par les Laboratoires Servier. Elles établissent toutes que le benfluorex est un anorexigène parmi les plus puissants, que les Laboratoires Servier cherchaient à identifier, à une époque où le traitement du surpoids apparaissait comme un marché important aux Etats-Unis. Ils ont ainsi mis à jour 280 composés anorexigènes issus des amphétamines, dont cinquante très puissants : la fenfluramine et le benfluorex en font partie. Nulle surprise donc : ces documents, signés par des chercheurs de Servier, sont publics. Si ces papiers avaient été exhumés à l'époque où des interrogations se faisaient jour sur le benfluorex, on aurait sans doute raisonné autrement...

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment le mésusage du médicament comme anorexigène peut-il être mesuré ? Quelles mesures auraient pu être prises pour prévenir ce mésusage ? Fallait-il modifier les indications figurant dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), et si oui, à partir de quelle date ?

M. Aquilino Morelle. - Les indications du benfluorex sont claires : adjuvant au régime dans le traitement de l'hyperlipidémie et de l'hypertriglycéridémie.

Le médicament a été progressivement dévoyé de ces deux indications pour être utilisé comme coupe-faim : à la fin des années 1990, 80 % des prescriptions correspondaient à un « mésusage », c'est-à-dire à une prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM).

Comment le corriger ? Ce sera, entre autre, l'objet du second rapport que nous préparons, et dont nous réservons les conclusions au ministre.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Un rapport du centre régional de pharmacovigilance de Besançon, présenté à la commission nationale de pharmacovigilance le 10 mai 1994, est consacré aux hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) sous Pondéral et Isoméride et fait apparaître dès cette date quatre cas d'hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) sous Mediator. Comment expliquez-vous n'avoir pas disposé de ce document ? Quelles conclusions en tirez-vous ?

M. Aquilino Morelle. - Ce n'est pas le seul document dont nous n'avons pas disposé. Peut-être est-ce à imputer, pour une part très relative, à nos délais de travail très courts. Il reste qu'on ne nous a pas communiqué ce document en temps utile, alors que l'enquête était publique. Idem pour une note du 23 octobre 1995. Je rappelle que le délit d'entrave aux travaux de l'Igas est réprimé par la loi.

M. François Autain, président. - Un document du 9 mai 1995 sur l'enquête International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS), qui reprend ce document du 10 mai 1994, figure dans l'annexe du rapport. Il n'est toutefois pas complet : il y manque les pages où est mentionnée la prise de Mediator... Est-ce le fruit du hasard ?

M. Aquilino Morelle. - Je ne peux l'attribuer qu'à une main invisible.

M. François Autain, président. - Avez-vous constaté qu'il manquait des pages en recevant le document ?

M. Aquilino Morelle. - Non, c'est par la suite que nous avons constaté qu'il manquait en effet une page sur deux. Je vous rappelle les conditions très difficiles dans lesquelles nous avons travaillé.

M. François Autain, président. - Elles étaient très difficiles, et votre travail n'en est que plus remarquable.

M. Aquilino Morelle. - Beaucoup des documents que nous avons obtenus l'ont été au prix d'une longue lutte, nos demandes ayant souvent dû être renouvelées. Devant la masse de documents à traiter, cette anomalie nous a échappé.

M. François Autain, président. - L'enquête IPPHS a déterminé l'imputation des fenfluramines dans les HTAP. Mais ces prises de fenfluramine étaient associées avec des coupe-faim classiques ou avec le Mediator, anorexigène fenfluraminique.

Comment expliquer que des experts aussi compétents soient passés à côté du Mediator lorsqu'ils enquêtaient sur les fenfluramines ? Le Mediator n'a jamais fait l'objet d'une alerte, alors que des malades avaient pris ce médicament... Partagez-vous notre étonnement ?

M. Aquilino Morelle. - Vous avez lu notre rapport : il est émaillé d'épithètes comme « inintelligible », « incompréhensible ».... Nous n'avons aucun pouvoir de coercition. On peut s'interroger sur le cas que vous citez, comme sur dix autres ! Ainsi, l'administration française refuse de changer le nom du benfluorex, mais un an plus tard accorde une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette même molécule, pour deux indications qui n'ont rien à voir !

M. François Autain, président. - L'administration française ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

M. Aquilino Morelle. - Plus précisément, le service central de la pharmacie et du médicament. Des courriers prouvent l'étonnement de l'administration et son refus d'accéder à la demande des Laboratoires Servier sur le maintien de l'appellation en dénomination commune internationale : elle a donc saisi l'OMS, qui a décidé de maintenir l'appellation. Mais un an plus tard, cette même administration, qui s'était pourtant montrée lucide, accordait l'AMM comme adjuvant aux régimes de traitement de l'hyperlipidémie et de l'hypertriglycéridémie... Il y a une incohérence dès le départ. D'où la perplexité dont nous faisons état dans le rapport !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Selon les professeurs Giuseppe Pimpinella et Renato Bertini Malgarini, experts italiens en charge du suivi du benfluorex au sein du Committee for Medicinal Products for Human use (CHMP), la France faisait partie des pays qui estimaient moins élevé le signal de pharmacovigilance, alors que la demande d'études complémentaires et de modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP) faisait consensus parmi les experts. Comment réagissez-vous ?

Mme Anne-Carole Bensadon, inspecteur de l'Igas. - Les rapports d'évaluation italiens ont fait l'objet d'échanges entre la France et l'Italie. Le premier rapport préconise une étude approfondie sur le benfluorex, et réclame une expertise au niveau européen. Les rapports suivants soulèvent des faits graves - le dernier date du 12 octobre 1999. Toutefois, il conclut simplement à l'envoi d'une liste de questions, et non plus à une demande d'arbitrage. Par ailleurs, le cas de valvulopathie, établi par le Dr. Chiche à cette date, n'est pas mentionné dans le rapport.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Etes-vous surpris que le médicament ait été retiré plus tôt du marché en Italie qu'en France, alors qu'il demeurait autorisé dans les préparations magistrales ?

M. François Autain, président. - Ce sont les laboratoires qui ont retiré le médicament en Italie.

Mme Anne-Carole Bensadon. - Les laboratoires l'ont retiré car ils savaient que les autorités allaient le faire : c'est une technique courante.

M. François Autain, président. - Ce n'est pas la version des Laboratoires Servier !

M. Aquilino Morelle. - C'est en effet une technique usuelle. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) n'a pas la capacité juridique de retirer un médicament du marché : elle émet une alerte et le laboratoire retire son produit, proprio motu.

M. François Autain, président. - N'oublions pas non plus le rôle de la Bourse !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - M. de Tournemire, conseiller pour les industries de santé auprès du ministre de la santé, M. Jean-François Mattéi, a justifié l'absence de suites données aux propositions de la direction de la sécurité sociale sur la baisse du taux de remboursement, entre 2001 et 2003, par la faiblesse des enjeux financiers. Qu'en pensez-vous ?

M. Etienne Marie, inspecteur de l'Igas. - Au cours de cette séquence temporelle, la baisse du taux de remboursement du Mediator a été proposée par la direction de la sécurité sociale, mais n'est pas intervenue, bien que le sujet ait été rappelé aux ministres successifs. Deux explications à ceci, outre celle avancée par M. de Tournemire : d'une part, l'on s'intéressait plutôt à des classes thérapeutiques ; d'autre part, on préparait le premier grand plan de déremboursement de médicaments, et il s'agissait de ne pas polluer un débat global.

M. François Autain, président. - A votre avis, le recul du gouvernement en 2001 est-il imputable aux pressions exercées par l'industrie pharmaceutique française, face au risque de chômage si les ventes de médicaments devaient chuter, ou plutôt à celles des associations de malades et des syndicats ?

M. Etienne Marie. - A la suite du travail de réévaluation du service médical rendu (SMR) ayant porté sur environ 4 500 spécialités, initié par Mme Aubry et M. Kouchner, il est apparu que 25 % des médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant. Ce fut une surprise, qui posait un vrai problème politique, vis-à-vis des patients, des professionnels et de l'industrie. L'année 2001 a par ailleurs été marquée par une flambée des dépenses de médicament ; d'où le choix de mesures financières plus rentables que le déremboursement, comme la baisse des prix.

M. Aquilino Morelle. - Il résulte de nos auditions que dès 1999, lorsque la politique de réévaluation du SMR a été initiée, toute une batterie d'instruments était envisagée : déremboursement, mais aussi baisse des prix et du taux de remboursement. La surprise fut grande pour le ministre lui-même : pas moins de 835 médicaments ayant un SMR insuffisant furent identifiés. C'était le quart de la pharmacopée de l'époque !

M. François Autain, président. - Selon le rapport Even, il y a toujours autant de médicaments inutiles aujourd'hui - peut-être même plus !

M. Aquilino Morelle. - Absolument.

M. François Autain, président. - Mieux vaut donc éviter d'en mettre de nouveaux sur le marché...

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - M. de Tournemire s'est également interrogé sur l'absence du Mediator lors de la première vague de déremboursements en 2003, qui visait les médicaments n'ayant pas leur place dans la stratégie thérapeutique, alors que les services avaient consigne d'établir la liste la plus exhaustive possible. Comment l'expliquez-vous ?

M. Etienne Marie. - Le débat juridique sur le déremboursement a été acharné, et a donné lieu à de très nombreuses contestations. Comment définir un médicament « qui n'a pas sa place dans la stratégie thérapeutique » ? Le critère juridique retenu a été la motivation de la commission de la transparence en 1999-2000. Or, sa motivation du service médical rendu insuffisant du Mediator ne retenait pas formellement l'existence d'alternative économique. Pour éviter tout risque de contentieux, c'est une interprétation stricte qui a été retenue. Le Mediator a donc fait partie de la troisième vague, et non de la première.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment réagissez-vous aux débats sur le nombre de victimes de Mediator, au vu notamment des observations du professeur Jean Acar ? On a l'impression d'un dialogue de sourds entre cliniciens et épidémiologistes.

M. François Autain, président. - Ils ne parlent pas de la même chose !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Ne pourra-t-on pas un jour croiser données cliniques et épidémiologiques ?

Mme Anne-Carole Bensadon. - Notre premier rapport se concluait sur le retrait du Mediator ; le temps a manqué pour mener des investigations sur le nombre de décès. Néanmoins, le sujet est évoqué. Attentifs au débat entre épidémiologistes et cardiologues, nous avons recommandé, pour compléter les premières études réalisées dans l'urgence, le lancement d'une étude de causalité. Compte tenu de la sensibilité de la question, cet exercice complexe nécessiterait la formation d'un comité scientifique qui se prononcerait sur la méthodologie utilisée.

M. Aquilino Morelle. - Notre mission n'avait ni le temps ni les compétences épidémiologiques pour se prononcer sur le nombre de décès. « Quel est le nombre exact de morts imputables au Mediator ? » En tant que citoyen, je trouve cette question indécente. A partir de combien de morts faut-il commencer à s'indigner ? Tout cela est de la rhétorique au vu des faits : des centaines de Français sont gravement malades, vont mourir ou sont morts à cause de ce médicament. Ensuite, parvenir à une estimation rétrospective du nombre de décès est important, mais contingent.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le retrait d'un médicament doit-il se fonder sur les preuves de sa dangerosité ? Selon nombre de personnes auditionnées, ce système expliquerait le maintien du Mediator durant de si longues années.

M. Aquilino Morelle. - Évaluer le rapport entre le bénéfice et le risque est parfois délicat ; tout est fonction de la gravité de la maladie. S'agissant du Mediator, cette question, encore une fois, relève de la rhétorique. Le bénéfice de ce médicament était extrêmement modeste. Jamais ce médicament n'a été envisagé dans une stratégie thérapeutique, comme le rappelait encore le professeur Grimaldi la semaine dernière. Son risque était connu par parenté avec le benfluorex, interdit dans les préparations magistrales, tandis que les cas de valvulopathie cardiaque ainsi que de HTAP s'accumulaient. Dans ces circonstances, il est impossible de parler d'une difficulté tenant à une appréciation fine du rapport entre bénéfices et risques ; il s'agissait d'une erreur grossière ou, pour reprendre les termes du Conseil d'Etat, d'une erreur manifeste d'appréciation.

M. François Autain, président. - En ce domaine, a-t-on progressé ?

M. Aquilino Morelle. - Les conclusions de notre rapport sont claires : le principe de précaution n'est pas appliqué au bénéfice des patients et de la santé publique.

M. François Autain, président. - Mieux vaudrait donc décider le retrait de l'Actos ?

M. Aquilino Morelle. - N'ayant pas étudié ce médicament, je ne peux pas me prononcer.

M. François Autain, président. - La seule chose que l'on puisse dire est : ceux qui peuvent se prononcer ne le retirent pas.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'affaire du Mediator révèle-t-elle un manque de coordination entre la commission d'AMM, la commission de la transparence et la commission nationale de pharmacovigilance ?

M. Aquilino Morelle. - Le fonctionnement segmenté, cloisonné de ces institutions aboutit à une forme d'irresponsabilité collective, avons-nous écrit dans notre rapport. Quoique certains éléments soient singuliers à l'affaire du Mediator - je les ai évoqués à demi-mot -, les anomalies sont structurelles ; d'où le second rapport que nous a confié le ministre pour tenter d'y remédier.

M. François Autain, président. - Quand publierez-vous vos travaux ?

M. Aquilino Morelle. - L'information est confidentielle. Si le Parlement est libre, l'administration est ancillaire.

M. François Autain, président. - Dans tous les cas, l'histoire du Mediator illustre le manque de coordination entre les structures : en novembre 1999, la commission de la transparence recommande le déremboursement de ce médicament dont elle constate l'inutilité ; un an plus tard, la commission de d'AMM rétablit l'indication du médicament dans le traitement du diabète qui figurait dans le RCP bien qu'elle ait été supprimée en 1987... Cela laisse perplexe d'autant qu'il y a eu coordination entre les deux structures en 2006. Dans ce dernier cas, la commission de la transparence a refusé de statuer car la commission d'AMM procédait à la réévaluation de l'indication du médicament dans l'hypertriglycéridémie. Faut-il en conclure que l'échange d'informations est facultatif ? Ne faut-il pas le rendre obligatoire ?

M. Etienne Marie. - L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et la commission de la transparence se connaissent bien...

M. François Autain, président. - Elles ont d'ailleurs partagé les mêmes locaux jusqu'en 2004 !

M. Etienne Marie. - Les membres de l'Afssaps sont des anciens de la commission de la transparence et vice-versa. L'information circule donc, bien que les échanges ne soient pas formalisés.

Chacune de ces institutions défend sa spécificité : la commission d'AMM évalue le médicament en soi tandis que la commission de la transparence l'évalue par rapport aux autres produits dans une perspective de stratégie thérapeutique.

Fait incompréhensible, inexplicable : le Mediator est le seul médicament de la troisième vague de déremboursement pour lequel la commission de la transparence a reporté sa décision dans l'attente de la décision de la commission d'AMM qui, elle-même, attendait les conclusions de la contre-expertise menée par le professeur Moulin.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pensez-vous, à l'instar du professeur Bégaud, qu'une des raisons de la crise du Mediator réside dans l'affaiblissement de la commission nationale de la pharmacovigilance ? Celle-ci a perdu beaucoup de ses prérogatives pour ne plus délivrer que des avis.

Mme Anne-Carole Bensadon. - Tenons-nous-en aux faits. En mars 2007, la commission nationale de la pharmacovigilance défend, devant la commission d'AMM, à l'aide de transparents, l'idée que le rapport entre bénéfices-risques du Mediator est défavorable. Ses considérants sont étayés : ils rappellent les études européennes, la parenté avec le benfluorex, les cas de HTAP et de valvulopathies ainsi que le retrait du Mediator en Espagne et en Italie. En d'autres termes, la commission remet en question les conclusions du groupe de travail Diabétologie-Endocrinologie-Urologie-Gynécologie (Deug) sur les indications du Mediator. Elle a donc joué son rôle, mais elle n'a pas été suivie.

En 2009, elle modifie complètement sa position, malgré de nouveaux cas de malades signalés. Quel dommage ! A cette date, elle demande des études supplémentaires pour réévaluer le rapport entre bénéfices et risques.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La composition de cette commission avait-elle évolué ?

Mme Anne-Carole Bensadon. - Non, si ce n'est que son président avait changé.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment évaluer le coût du traitement des effets secondaires, qui n'est pas pris en compte dans le calcul des dépenses pour l'assurance maladie et les assurances complémentaires ?

M. Aquilino Morelle. - Nous n'avons pas abordé ce sujet.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quel rôle doit jouer le ministre en matière de sécurité sanitaire ?

M. Aquilino Morelle. - La sécurité sanitaire est une compétence régalienne ; on ne peut pas la déléguer, que ce soit au niveau infranational ou supranational. La meilleure preuve : en cas de crise, vers qui les Français se tournent-ils ? Vers le ministre ! Sa place est centrale, pour ne pas dire exclusive. Tant qu'il y aura une nation, une République, un Etat, la responsabilité de la sécurité sanitaire devra être assumée avec clarté et efficacité par le ministre.

M. François Autain, président. - Il existe pourtant une agence chargée de la sécurité sanitaire dont le directeur général est habilité à demander le retrait ou la suspension d'un médicament. Encore que ses avis soient parfois contestés par le Conseil d'Etat.

M. Aquilino Morelle. - Tout dépend du contexte. J'ai le sentiment que celui-ci a changé après la crise du Mediator.

M. François Autain, président. - Imaginons que le ministre veuille retirer l'Actos.

M. Aquilino Morelle. - Rien ne l'empêche de le faire ! Il peut même demander aux préfets de saisir les stocks. Dès qu'il s'agit de la protection de la santé des Français, le ministre a toute liberté de prendre les mesures nécessaires. Il n'est point besoin de dispositions législatives, cette compétence du ministre découle des principes généraux de notre droit, de la Constitution. La sécurité sanitaire, je le répète, est une prérogative régalienne ; la logique est la même par rapport à l'Europe.

J'en reviens à la sécurité sanitaire. La tyrannie parfois évoquée du principe de précaution, pour aller vers une société du risque zéro, n'existe pas ; le principe de précaution est systématiquement bafoué. Il faut, hélas, une crise sanitaire pour rappeler à chaque fois toute son importance et sa robustesse.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quel dommage que l'on n'ait pas suivi les recommandations du Sénat après la crise du Vioxx ! Sinon, pensez-vous que le financement de l'Afssaps par des taxes affectées soit source de conflit d'intérêts ?

M. Aquilino Morelle. - L'Afssaps se trouve « structurellement et culturellement » dans une situation de conflit d'intérêts, avons-nous écrit dans notre rapport, non en raison de son financement, mais parce que l'industrie pharmaceutique est associée à toutes ses décisions. On a pu parler de « coproduction ».

M. François Autain, président. - Vous avez cité le chiffre de 80 % de mésusage du Mediator à la fin des années 1990. Quelles sont vos sources ? Les chiffres vont de 10 % d'après les Laboratoires Servier à 70 % selon l'assurance maladie.

M. Aquilino Morelle. - Ce chiffre, qui m'a été confié lors d'une audition récente. Il correspond aux prescriptions hors AMM durant les derniers mois précédant la suspension du Mediator.

M. Etienne Marie. - Le chiffre a explosé après le retrait d'une des deux indications en 2007. Auparavant, le taux de mésusage était plutôt de 25 % à 30 %. Entre parenthèses, cela montre que le retrait d'une indication peut avoir des conséquences.

Mme Anne-Carole Bensadon. - D'après le centre régional de pharmacovigilance de Marseille, le mésusage du Mediator atteignait déjà 50 % en 1998.

M. François Autain, président. - Pour Mme Derumeaux, votre rapport « laisse planer une ambiguïté ». On y lit que les Laboratoires Servier, représentés par le professeur Ravaud et le professeur Derumeaux, proposent une modification du RCP. Je la cite : « A aucun moment je n'ai proposé une modification de RCP ! Dès que nous avons pris connaissance des résultats préliminaires, nous avons immédiatement arrêté tout traitement par Mediator dans le service du Dr Moulin à Lyon, et mis en place un contrôle d'échographie. »

Mme Anne-Carole Bensadon. - Notre rapport est exact : à la suite des présentations des professeurs Derumeaux et Ravaud - des documents fort intéressants -, les Laboratoires Servier a demandé une modification du RCP.

M. François Autain, président. - Votre rapport comporte de volumineuses annexes. Peut-être y manque-t-il le compte rendu de la réunion de la fameuse commission de l'AMM de novembre 2000 qui a décidé de rétablir l'indication du Mediator dans le diabète après avis rendu par un groupe de travail ? Je me le suis procuré avec difficulté. Ne faut-il pas prévoir un statut pour ces groupes de travail ?

M. Aquilino Morelle. - C'est une suggestion.

M. François Autain, président. - Pourquoi n'avoir pas évoqué cette réunion dans votre rapport ?

M. Etienne Marie. - L'indication pour le diabète est contestée dès 1987, mais demeure. De fait, l'Agence n'a pas le pouvoir de modifier d'elle-même l'AMM. Elle peut seulement réagir à une proposition de la firme, un problème juridique majeur !

Dans notre rapport, nous nous sommes davantage attachés à l'année 1999. C'est à ce moment qu'est prise la décision de refuser l'extension du Mediator comme médicament antidiabétique de premier rang. En contrepartie, est validée l'ancienne indication d'adjuvant. L'année 2000 est, elle consacrée, à l'examen du recours gracieux de la firme.

M. François Autain, président. - La validation de l'ancienne indication ne se fonde donc pas sur des faits scientifiques ; elle est de l'ordre de la négociation.

M. Etienne Marie. - Il y a des échanges sans ambiguïté que nous avons mentionnés dans notre rapport.

M. François Autain, président. - La note de Didier Tabuteau figurait-elle dans les archives de l'Afssaps ?

M. Aquilino Morelle. - Elle ne nous a pas été communiquée. Quoi qu'il en soit, les deux notes précédentes montraient toute l'incohérence du système : on exclut le benfluorex des préparations magistrales, mais on autorise sa commercialisation dans les spécialités pharmaceutiques. C'est aberrant.

Mme Janine Rozier. - Vous avez qualifié l'administration d'ancillaire, puis évoqué une irresponsabilité collective. Est-ce à dire que l'administration ancillaire a fait preuve d'une irresponsabilité collective ?

M. Aquilino Morelle. - Dans le rapport, nous parlons plutôt de dilution des responsabilités. Quant à l'administration, elle est ancillaire parce qu'au service de la représentation nationale. Notre second rapport apportera, je l'espère, des solutions raisonnables aux dysfonctionnements constatés.

M. François Autain, président. - Nous attendons de le lire avec impatience ! Pour conclure, l'affaire du Mediator représente-t-elle une nouvelle défaite de la santé publique ?

M. Aquilino Morelle. - Oui, par elle-même et parce que certaines des anomalies qu'elle a révélées sont connues depuis vingt ans, notamment à la suite de l'affaire du sang contaminé.

Mardi 7 juin 2011

- Présidence de M. François Autain, président. -

Audition de M. André Syrota, président directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

M. François Autain, président. - Mesdames et messieurs, mes chers collègues, nous allons terminer cette série d'auditions en accueillant M. André Syrota, président directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), accompagné de Mme Cécile Tharaud, présidente du directoire de l'Inserm, de M. Victor Demaria-Pesce, chargé des relations avec les Parlements français et européens, et de M. Arnaud Benedetti, directeur du département de l'information scientifique et de la communication. Cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'une diffusion sur le site du Sénat.

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de nous faire connaître vos éventuels liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes intervenant sur ces produits.

M. André Syrota. - Je n'en ai aucun.

M. François Autain, président. - N'en avez-vous aucun depuis plus de cinq ans ?

M. André Syrota. - Oui.

M. François Autain, président. - Je vous donne la parole afin que vous fassiez une intervention liminaire.

M. André Syrota. - Monsieur le président, depuis plus trois ans, nous proposons une coordination de l'ensemble des organismes, des universités et des centres hospitalo-universitaires (CHU), qui forment désormais l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Celle-ci vise à développer une vision commune de l'ensemble des problèmes scientifiques, politiques, etc., dans le domaine de la recherche

Cette alliance, qui a préfiguré les quatre autres alliances qui se sont développées par la suite, fonctionne désormais de manière routinière. Il s'agit d'un ensemble de dix instituts thématiques, depuis les questions génomiques jusqu'à l'Institut de santé publique, en passant par les thématiques de la nutrition et du diabète. Ces instituts sont composés d'une quinzaine d'experts chacun, provenant des universités et des CHU. Ces derniers sont représentés par la conférence de leurs directeurs généraux et les universités par la conférence des présidents d'université.

Nous nous réunissons tous les mois pour discuter de l'ensemble des problèmes qui se posent dans le domaine des sciences de la vie et de la santé.

M. François Autain, président. - Nous nous trouvons face à deux réalités contradictoires. D'une part, on constate les faibles performances des laboratoires pharmaceutiques en matière de recherche. Cette situation se traduit par un nombre toujours plus faible de médicaments présentant une efficacité majeure. L'ensemble des statistiques le prouvent, d'où qu'elles émanent (commission de la transparence, revue indépendante comme Prescrire, etc.) ;

D'autre part, il faut souligner un coût exorbitant chiffré par les laboratoires pour chaque médicament. Il est question de 800 millions de dollars, qui sont ensuite devenus 800 millions d'euros, pour la découverte d'une molécule.

Un prix énorme est donc payé pour des performances médiocres. Curieusement, nous assistons au désinvestissement des laboratoires d'un domaine où ils auraient un rôle prioritaire à jouer. De par le monde, nous constatons en effet des fermetures de centres de recherches, notamment celui de Pfizer en Angleterre. En France, le laboratoire Sanofi-Aventis va procéder à des licenciements.

Ces performances médiocres en matière de recherche devaient s'accompagner d'une augmentation de l'effort des laboratoires dans ce domaine pour parvenir à des résultats, d'autant plus que ces acteurs sont aidés par le Gouvernement. En particulier, avec l'instauration du crédit impôt recherche, les laboratoires peuvent bénéficier de sommes substantielles. Or, c'est le contraire que nous observons.

Je m'en inquiète d'autant plus que vous semblez vous réjouir de cette situation, si j'en juge par les déclarations que vous avez faites dans le journal La Tribune il y a quelques jours. A propos de la fermeture du plus important centre de recherche de Pfizer, vous affirmez : « C'est bien la preuve que les laboratoires pensent que même avec des centaines de chercheurs, ils ne pourront trouver seuls les informations leur permettant de découvrir de nouvelles cibles. »

Selon vous, si les laboratoires ferment, c'est donc parce qu'ils savent qu'ils peuvent trouver dans la recherche publique une aide leur permettant de réaliser des économies en la matière, ceci dans le but de préserver les dividendes versés à leurs actionnaires.

Je souhaiterais que vous nous éclairiez à ce sujet. Il y a sans doute des contradictions dans mes propos. Vous avez la parole.

M. André Syrota. - Je maintiens ce que j'ai affirmé dans La Tribune, dans Le Figaro et dans Les Echos. En réalité, il n'existe pas de contradiction, mais un changement considérable de politique.

Nous avons pensé avoir résolu l'ensemble des problèmes lors du séquençage du génome. Nous savions ainsi qu'il existait 13 000 gènes et que, lorsque des gènes étaient anormaux, ils donnaient lieu à des maladies. Nous pensions que, si l'on modifiait les gènes, on pourrait lutter contre les maladies et que nous obtiendrions des médicaments correspondant à chaque maladie. Le séquençage du génome visait, en outre, à obtenir une connaissance complète de l'ensemble du fonctionnement du vivant.

Le dogme dominant associait un gène à une protéine et à une fonction. Nous nous sommes aperçus que la réalité était bien plus complexe. Un gène peut participer à la synthèse de plusieurs protéines. De même, les mécanismes de fonctionnement des tissus, des organes et donc des maladies, obéissent à des règles complexes. Des réseaux de gènes entraînent des signalisations cellulaires très compliquées, que l'on tente à présent de modéliser par la biologie des systèmes. Il existe par ailleurs des interactions essentielles entre les gènes ainsi qu'entre l'environnement et les gènes, ce qu'étudie l'épigénétique. L'espoir que nourrissaient les industriels est devenu hors de portée, d'autant plus que ceux-ci étaient structurés selon différentes spécialités en différents lieux.

Nous nous sommes aperçus que les mêmes voies de signalisation pouvaient expliquer une ischémie myocardique, une maladie d'Alzheimer ou une arthrose. Par conséquent, les laboratoires ont compris que même avec 30 000 chercheurs, ils n'avaient aucune chance de trouver une cible thérapeutique nouvelle. Qui plus est, les autorités de régulation européennes apparaissent de plus en plus exigeantes : elles demandent que les médicaments soient totalement innovants ou qu'il soit prouvé qu'ils rendent un service médical plus important.

Il est donc apparu une toute nouvelle problématique pour les industriels. Dans les milieux académiques, nous développons la recherche, de la recherche fondamentale à la recherche clinique.

M. François Autain, président. - Effectuez-vous beaucoup de recherche fondamentale ?

M. André Syrota. - Oui. Il ne peut y avoir de recherche clinique sans recherche fondamentale. Au sein de l'Aviesan, nous travaillons tous ensemble : Inserm, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut scientifique de recherche agronomique (Inra), Commissariat à l'énergie atomique (CEA), Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) pour la télémédecine, universités, hôpitaux, Institut Pasteur, etc. Nous discutons avec les industriels au nom d'Aviesan même si par la suite, le laboratoire peut se trouver à l'Institut Pasteur, à l'Inserm, etc. D'ailleurs, les laboratoires sont de plus en plus mixtes ; c'est le cas notamment de celui de l'Inserm.

M. François Autain, président. - Les laboratoires financent-ils la recherche fondamentale ?

M. André Syrota. - C'est là où je souhaite en arriver. Les laboratoires ont besoin de la recherche fondamentale.

M. François Autain, président. - Dans ce cas, pourquoi ne se lancent-ils pas dans ce domaine ?

M. André Syrota. - Le budget de l'Institut de santé américain, National Institutes of Health (NIH) représente 32 milliards de dollars auxquels s'ajoutent les 10 milliards de dollars du plan de stimulus du président Obama. Aucun laboratoire ne peut faire de même.

M. François Autain, président. - Est-ce à dire que la recherche fondamentale n'est pas rentable ?

M. André Syrota. - Ce n'est pas la question. Le socle de recherche fondamentale nécessaire pour aboutir à de nouvelles cibles est tel qu'il ne peut que s'agir d'une recherche menée à l'échelle mondiale.

M. François Autain, président. - Le NIH que vous évoquez dispose de fonds publics beaucoup plus importants que l'Inserm. La situation n'est donc pas comparable.

M. André Syrota. - La recherche fondamentale demande au plan mondial un investissement considérable. Désormais, les industriels ne s'intéressent plus aux molécules, mais souhaitent disposer d'informations. Il s'agit d'un financement de type « semi-mécénat ».

M. François Autain, président. - C'est la première fois que j'entends qualifier les industriels de mécènes. Sont-ils des philanthropes ?

M. André Syrota. - Ce n'est pas ce que j'affirme. Les industriels ont besoin d'obtenir des informations relevant de la recherche fondamentale. Ils sont prêts à les financer sans obtenir en retour la moindre molécule. Ils estiment qu'avec ces connaissances, leur recherche, plus en aval, leur permettra de disposer de nouvelles cibles pour de nouveaux médicaments.

Il s'agit donc d'un paradigme totalement nouveau. Les industriels l'ont compris et développent les mêmes problématiques. Ils nous demandent de travailler avec les meilleurs laboratoires.

Contrairement à ce que certains ont affirmé, la recherche française dans les sciences de la vie et de la santé se situe entre le troisième et le cinquième rang mondial, soit une place excellente. C'est la raison pour laquelle les industriels nous demandent de collaborer avec eux.

Nous tentons également d'attirer de jeunes chercheurs, par les dispositifs des contrats avenir et des actions thématiques et incitatives sur programme (Atip), que nous avons fusionnés. Les industriels sont prêts à financer des contrats de ce type, sans lien avec leur projet, destinés à former les nouveaux post-doctorants de laboratoires. Ceci montre leur inquiétude. Cette année, en effet, seuls 21 médicaments ont été validés à la Food and Drug Administration (FDA). Ils se trouvent dans une impasse totale.

Néanmoins, je pense qu'un nouveau champ va s'ouvrir dans le domaine de la santé, qui résultera des nouvelles technologies que nous mettons en place en post-génomique : en particulier, l'obtention des génomes individuels de chaque sujet, de l'ensemble de ses protéines (le protéome) et de ses voies métaboliques (le métabolome).

Pour un seul sujet, nous recueillons des milliards de données, ce qui nécessite un travail multidisciplinaire entre biologistes, chimistes, informaticiens, mathématiciens et physiciens. Cette visée se situe au-delà de ce que peut accomplir l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président. - Pour l'industrie pharmaceutique, qui n'est pas capable de faire cela, il est donc assez rentable d'avoir recours à vos services.

M. André Syrota. - Chacun s'y retrouve.

M. François Autain, président. - Bénéficiez-vous de retombées financières ?

M. André Syrota. - Evidemment.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Nous avons auditionné les représentants du collectif « Sauvons la recherche » qui ont souligné le biais du financement des publications. Partagez-vous le constat selon lequel des financements privés favorisent la publication d'études aux résultats favorables, tant en matière de bénéfices que de risques des médicaments ? Si oui, comment y remédier ?

Par ailleurs, la recherche fondamentale aurait été sacrifiée au profit de la recherche appliquée, qui demande de prévoir les résultats attendus en matière de retombées sociales. Elle privilégierait ainsi des travaux, par exemple sur la maladie d'Alzheimer, sans connaissance suffisante des mécanismes fondamentaux. Que pouvez-vous répondre à cela ?

M. André Syrota. - On ne peut comprendre la maladie d'Alzheimer sans recherche fondamentale. Depuis trois ans, je m'efforce de montrer que nous avons besoin d'une recherche fondamentale forte. Il existe un continuum de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. La recherche effectuée à l'Inserm est la même que celle qui est réalisée au CNRS. Nous allons d'ailleurs aboutir à un dispositif identique des commissions et des sections du CNRS dans les sciences de la vie. Nos chercheurs font partie d'unités mixtes. L'idée selon laquelle la recherche fondamentale privilégierait une recherche finalisée est datée.

M. François Autain, président. - Cette distinction est dépassée.

M. André Syrota. - Non, il existe un continuum. On ne peut effectuer une recherche finalisée sans recherche fondamentale en amont.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Jugez-vous normal que les objectifs du syndicat Les entreprises du médicament (Leem) soient repris dans le contrat d'objectifs de l'Inserm ?

M. André Syrota. - Les objectifs du Leem n'y sont pas repris. Dans le cadre d'Aviesan, nous avons mis en place un plan stratégique, inédit dans le domaine des sciences de la vie et de la santé en France.

Les industriels, dispersés, ne pouvaient donner aucune vision d'ensemble des industries de santé. Le conseil stratégique des industries de santé qui s'est tenu fin 2008 a décidé de mettre en place une alliance des sciences de la vie et de la santé, d'une part, et des industriels, d'autre part.

Cette dernière alliance est l'Ariis (Agence pour la recherche et l'innovation des industries de santé). L'Ariis est membre associée d'Aviesan et le Président d'Aviesan est membre du conseil d'administration de l'Ariis. Le Leem se trouve au conseil d'administration de l'Ariis, mais au même titre que l'Inserm. Aviesan a pour fonction de trouver de nouveaux marqueurs et d'être à l'origine de nouveaux médicaments, des progrès sur les détecteurs d'imagerie, etc.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Je souhaite revenir sur le Leem et le contrat d'objectifs. Avant le débat du projet de loi sur la bioéthique, les échanges avec le Leem étaient biaisés. Un interlocuteur nous invitait par exemple à une rencontre une semaine avant un débat, intitulée « Cellules souches », alors que le Leem n'y traitait que des cellules souches embryonnaires.

On peut se demander si l'ensemble des objectifs d'une institution telle que l'Inserm correspond à l'ensemble de la réalité des problèmes, si les objectifs du Leem sont systématiquement repris dans le contrat d'objectifs de votre institut.

M. André Syrota. - Ne connaissant pas les objectifs du Leem, je ne vois pas comment ils auraient pu être repris dans notre contrat d'objectifs. Dans ce contrat ne figurent donc pas les objectifs du Leem. En revanche, l'institut d'immunologie et d'hématologie virtuel d'Aviesan s'occupe de toutes les cellules souches, quelles qu'elles soient.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Pour adopter ce contrat d'objectifs, un conseil scientifique se réunit. Le vote du contrat d'objectifs est-il validé par le conseil d'administration après le vote du conseil scientifique ?

M. André Syrota. - Evidemment. Le plan stratégique a été élaboré par le conseil scientifique, après un travail des commissions. Les experts d'Aviesan y ont également collaboré. C'est cette démarche d'ensemble qui a abouti au plan stratégique.

M. François Autain, président. - Le conseil scientifique a-t-il émis un vote à ce sujet ?

M. André Syrota. - Le conseil n'avait pas émis de vote unanime pour des raisons internes, et non liées au plan stratégique.

M. François Autain, président. - C'est vous qui le dites. D'autres témoignages font état des réalités différentes. Me confirmez-vous que le vote du conseil scientifique était différent de celui du conseil d'administration ?

M. André Syrota. - Oui. Encore une fois, cela a eu lieu dans une période particulière.

M. François Autain, président. - Toutes les périodes sont particulières...

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Revenons à la question du financement des publications.

M. François Autain, président. - Le responsable du financement n'influe-t-il pas sur le résultat des publications ?

M. André Syrota. - S'agissant des publications dans les revues internationales (les seules qui comptent pour moi), il ne me semble pas qu'il y ait financement par l'industrie, quelle qu'elle soit.

M. François Autain, président. - Des articles peuvent être financés non seulement par des laboratoires pharmaceutiques mais également par les industriels de tabac, des fabricants de pesticides, etc. Dans un article paru dans Biofutur, M. Meneton, un chercheur issu de votre institution, révèle l'influence des sources de financement sur les conclusions des articles scientifiques. Il cite à l'appui de sa thèse les articles qui informent sur les dangers du tabac, de l'amiante, de l'alcool, du sucre et des phtalates, en les différenciant de ceux qui ne prévoient aucun danger.

Les articles qui affirment qu'il n'existe pas de danger sont exclusivement financés par des industries privées. Par exemple, les articles qui affirment que la disparition des abeilles n'est pas liée à l'utilisation du Gaucho sont financés par Monsanto. L'auteur en déduit qu'il existe un lien entre la conclusion des articles et leur financeur. Si j'ai bien compris, telle n'est pas votre perception.

M. André Syrota. - A l'Inserm, nous n'étudions pas les abeilles.

M. François Autain, président. - Ceci dit, vos champs de compétences s'élargissent.

M. André Syrota. - Nous avons effectué une étude sur les perturbateurs endocriniens, que nous avons récemment évoquée : dans ce cas, l'expertise collective d'un groupe d'experts indépendants a été demandée à l'Inserm, qui se fonde sur une analyse exhaustive des publications. Les conclusions émises à cette occasion ont d'ailleurs agité certains milieux.

Cette expertise collective s'avère totalement indépendante. Vous pouvez vous fier aux travaux de l'Inserm. Ils comptent une cinquantaine de publications à l'heure actuelle, totalement indépendantes d'une quelconque influence (qu'elle provienne du milieu de l'industrie ou de tout autre secteur).

M. François Autain, président. - Vous faites référence à l'enquête qui a été récemment demandée à l'Inserm sur les perturbateurs endocriniens et les phtalates. A-t-elle été rendue publique ?

M. André Syrota. - Absolument. Les études sont toutes rendues publiques. C'est ainsi que fonctionne l'Inserm. Les personnes présentes dans les commissions doivent signer une clause d'absence de conflits d'intérêts.

Au niveau d'Aviesan, nous avons élaboré une charte d'intégrité scientifique : il est du rôle de cet organisme de veiller à ce que la recherche s'exerce dans la plus totale indépendance, celle-ci étant évaluée par les pairs. Tel est mon objectif.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Pensez-vous qu'il est important d'améliorer la qualité des essais cliniques ? Certains seraient conduits dans des pays tiers, où le contrôle public est plus faible qu'en Europe et en Amérique du Nord.

Pensez-vous qu'il convient de créer un registre public unique d'essais précliniques et cliniques répertoriant l'ensemble des données pour permettre l'appropriation publique sous condition de molécules, dont l'exploitation commerciale n'offre qu'une faible rentabilité malgré leur intérêt au regard des objectifs de santé publique ?

M. André Syrota. - Il est évident que la recherche clinique reste un objectif prioritaire de l'Inserm. Nous exerçons cette recherche dans les centres d'investigation clinique, qui nous sont enviés par de nombreux pays. Il s'agit de cinquante-quatre structures mixtes (Inserm et hospitalières), certaines étant situées en Guyane et à la Réunion, ce qui s'est avéré important pour la grippe.

M. François Autain, président. - Les enseignements tirés de ce cas n'ont pas été perceptibles ici.

M. André Syrota. - C'est pourtant le cas. Dans ce domaine, Aviesan vient de faire connaître à la presse le portail « Epidémiologie France », qui constitue une première mondiale : toutes les banques de données, publiques et privées, peuvent y être consultées. Cette base concerne tous les acteurs de santé publique, y compris la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Les industriels ont mis en ligne 115 bases de données privées sur ce site public, notamment des banques de données qu'ils ont financées concernant des suivis de médicaments, les comportements de malades, etc.

Depuis le 31 mai, 330 bases de données sont ouvertes sur ce site Internet, ce qui constitue une ouverture considérable de la recherche clinique vis-à-vis du public.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - S'il était proposé de créer un registre public unique d'essais précliniques et cliniques, comment l'envisageriez-vous ?

M. François Autain, président. - Il faudra que nous envisagions les modalités d'établissement d'une telle base de données. L'étude doit être clarifiée sur le site. La Cnam a également ouvert sa banque.

Elle n'est pas de même nature.

M. André Syrota. - 115 études industrielles sont réalisées à l'initiative des entreprises du médicament, dont 78 sont entièrement décrites dans le portail. Les principales enquêtes santé du champ de la statistique publique y figurent. Elles englobent notamment les travaux de l'Institut national de la statistique et des études économique (Insee).

M. François Autain, président. - Certes, mais ces essais ne sont pas liés aux demandes d'aurotisation de mise sur le marché (AMM).

M. André Syrota. - Ce portail constitue toutefois une ouverture considérable. Il est étonnant que les industriels aient accepté d'y participer.

M. François Autain, président. - Ils font preuve d'une grande souplesse. Dès 2005, à la suite de l'affaire du Vioxx, ils ont même proposé de mettre en ligne les essais cliniques et précliniques. Ce système n'est donc pas nouveau.

M. André Syrota. - Si. C'est la première fois que l'on trouve sur un site commun 115 études privées et 330 études globales publiques.

M. François Autain, président. - Des registres de ce type, incluant de la recherche publique, existaient déjà.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Le rapport récent de deux professeurs de médecine, MM. Bernard Debré et Philippe Even, a proposé la création d'experts publics indépendants disposant d'un statut attractif en termes de carrière et de rémunération. Partagez-vous cette proposition ? Si oui, comment définir ce statut ? Faut-il réserver des places dans les promotions universitaires en tenant compte de l'autonomie des universités ? Etes-vous favorable à rendre publics les liens d'intérêts des professeurs et intervenants dans les universités ?

En tant que président-directeur général de l'Inserm, vous orientez-vous vers la création d'experts publics indépendants ?

M. André Syrota. - Je ne crois pas à la notion d'expert public indépendant. En effet, pour être expert, il faut être spécialiste d'un certain domaine.

M. François Autain, président. - A l'heure actuelle, on compte pourtant quatre cents experts indépendants à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

M. André Syrota. - Je répondais à la première partie de la question. Je ne crois pas au métier de l'expertise : l'expertise doit être réalisée par des chercheurs et des médecins qui exercent une activité et peuvent apporter leur expertise. Evidemment, ils doivent être totalement indépendants de l'industrie. Les liens d'intérêts doivent être publiés. A l'Inserm, les liens d'intérêts sont ainsi rendus publics, dans un souci de transparence.

M. François Autain, président. - Il ne s'agirait pas de former des experts à l'Université, qui n'exerceraient que cette fonction tout au long de leur vie. Toutefois, est-il inenvisageable d'imaginer qu'un expert, par exemple un praticien hospitalier personnel universitaire (PH-PU), qui accomplit souvent bénévolement une mission d'expertise à l'Afssaps, puisse être considéré dans un autre système comme un acteur essentiel ?

Il pourrait être rémunéré pour cette fonction, qu'il exercerait pendant plusieurs années, soit à mi-temps, soit à plein temps. La carrière d'un PH-PU pourrait ainsi comprendre un certain nombre d'années d'exercice comme expert dans des agences de santé. Il ne faudrait pas que ce choix soit considéré comme un handicap par rapport aux fonctions qu'il exerce à l'hôpital.

M. André Syrota. - A mon sens, dans l'évaluation d'un PH-PU, on doit tenir compte des services rendus en dehors des recherches propres, du travail clinique et du travail d'enseignement. A l'Inserm, nous en tenons compte. Il peut y avoir un intérêt collectif à participer à un conseil scientifique, à des commissions et à des expertises. Nous devons prendre en compte cet aspect, tout comme la prise de brevets, dans la carrière de ces personnes et pour les recrutements. L'expertise doit être prise en compte dans la carrière d'un PH-PU.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Etes-vous favorable à la constitution d'un corps d'une vingtaine d'experts publics indépendants ?

M. André Syrota. - Non. L'expertise est fondée sur un savoir-faire clinique et de recherche, qui évolue au cours du temps.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Que pensez-vous de la proposition de créer une unité nationale de pharmacologie clinique pour procéder à des essais comparatifs, réaliser des essais post-AMM et réévaluer les médicaments déjà commercialisés ? Si tel était le cas, quels seraient son rattachement, son financement et son positionnement par rapport à l'Inserm ? Comment pourraient être définies ses priorités en matière d'essais et de recherche ? Enfin, dans le dossier du Mediator, avez-vous une proposition à formuler à la mission sénatoriale en matière de pharmacovigilance ?

M. André Syrota. - L'Inserm devrait occuper une place plus importante dans la recherche pharmacologique et toxicologique. J'ai souhaité que le directeur de l'institut Aviesan santé publique, qui s'avère être un professeur d'économie, s'occupe d'économie de la santé, de santé publique, d'économie du développement.

De la même façon qu'il existe une médecine basée sur les preuves (evidence based medicine), une santé publique basée sur la recherche doit être développée. Le politique ne doit pas seulement se fonder sur des éditoriaux de presse quotidienne. La recherche est insuffisante en France, par rapport à l'Angleterre et aux Etats-Unis, où se sont développés des courants importants d'économie de la santé.

Les moyens devraient être donnés à l'Inserm pour développer non seulement la recherche clinique, mais également des aspects pharmacologiques et de réflexion sur les politiques de santé.

M. François Autain, président. - Il s'agirait d'une sorte de recherche fondamentale.

M. André Syrota. - Oui, comme il en existe dans la génétique ou l'immunologie.

M. François Autain, président. - Dans ce cas, vous ne pouvez obtenir de secours de la part des laboratoires.

M. André Syrota. - Certainement pas. Grâce à une alliance, qui se ferait non avec la biologie du CNRS, mais avec les sciences humaines et sociales du CNRS (Sciences Po, les écoles d'économie de Paris, de Toulouse, etc.).

Mme Marie-Christine Blandin. - Vous avez évoqué la recherche sur le mode « un gène-un effet », développée il y a dix ans, puis l'évolution actuelle, plus systémique. Au sein d'Aviesan, l'Inserm effectue-t-elle de la recherche en santé-environnement, notamment sur les contaminations préalables en dehors des expertises collectives ?

Par exemple, les neurotoxiques et la maladie d'Alzheimer font l'objet d'interrogations. S'agissant du Mediator, la question de l'amphétamine transformée ne se serait pas posée avec une telle intensité si autant de personnes ne se trouvaient pas en surcharge pondérale. Est-ce bien votre rôle ?

M. André Syrota. - C'est totalement notre rôle. Nous allons même créer un institut de recherche en santé et en environnement à Rennes. Ce sont des laboratoires de l'Inserm qui ont mené l'étude sur les perturbateurs endocriniens.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Vous avez commencé votre audition en évoquant la politique de thérapie génique et la nécessité d'une réorientation par rapport aux espoirs fondés à l'origine (un gène-une protéine-une fonction).

Lors d'un changement de politique, est-il facile d'affecter les crédits qui étaient dédiés à cette politique, tant au niveau public qu'au niveau privé, pour les réorienter vers d'autres politiques ? Ou cela nécessite-t-il un certain temps ?

M. André Syrota. - La thérapie génique existe pour des maladies rares. Quant aux maladies complexes, elles sont, comme leur nom l'indique, plus compliquées. Nous modifions en permanence, en fonction des évolutions, les moyens que nous leur consacrons.

Grâce à cette alliance, nous sommes au fait des dernières découvertes et de tendances non encore publiées, ce qui nous permet de diriger nos moyens. Je vous rappelle que ce n'est pas l'Inserm ni le CNRS qui détiennent les moyens, mais l'Agence nationale pour la recherche (ANR).

L'Agence a pour rôle d'alerter l'ANR sur les nouveautés en cours. C'est nous qui proposons la programmation à l'ANR, qui dispose des fonds et organise par la suite les appels d'offres.

M. François Autain, président. - S'agissant des statistiques de l'observatoire des sciences et des techniques, sur lesquelles vous vous fondez pour évaluer l'état de la recherche, le crédit impôt recherche est-il inclus ou exclu dans les sommes mesurant cet effort ?

Je vous pose cette question car Monsieur Trautmann, que nous avons auditionné, a tenu les propos suivants : « Les statistiques de l'observatoire des sciences et techniques révèlent que les fonds consacrés à la recherche n'ont pas augmenté depuis 2000. Cependant, cette enveloppe inclut le crédit impôt recherche, qui augmente énormément, à près de 5 ou 6 milliards d'euros par an. »

M. André Syrota. - Nous avons déjà mené des échanges à ce sujet. Globalement, le budget de la recherche a augmenté, mais de façon différente par rapport aux quatre dernières années.

Depuis quatre ans, le budget des organismes n'a guère évolué, même si le budget de l'Inserm a progressé de 3,4 %. En revanche, le budget de l'ANR, soit 800 millions d'euros, est venu s'ajouter à ces moyens. Par ailleurs, les investissements d'avenir, qui constituent une autre nouveauté, ont permis d'obtenir 22 milliards d'euros pour la recherche, dont 2,5 milliards pour les sciences de la vie et de la santé. Je viens encore de signer ce matin les protocoles d'accord avec l'ANR. Les fonds arrivent désormais dans les laboratoires, qu'il s'agisse des équipements d'excellence ou de financement d'études de cohorte.

Si le budget des organismes peut ne pas laisser percevoir de changements, le budget global affecté à la recherche dans les sciences du vivant et de la santé a connu depuis trois ans une augmentation considérable, due à l'ANR, d'une part, et aux investissements d'avenir, d'autre part.

M. François Autain, président. - Le crédit impôt recherche n'a-t-il rien à voir avec cela ?

M. André Syrota. - Non.

M. François Autain, président. - Je vous remercie de l'attention que vous avez prêtée aux questions que nous vous avons posées.

Audition de M. Georges Chiche, cardiologue

M. François Autain, président. - Nous reprenons nos travaux avec l'audition de M. Georges Chiche, cardiologue à Marseille, très présent dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Il est l'un des premiers médecins à avoir détecté une valvulopathie aortique imputable au Mediator. Cette valvulopathie a d'ailleurs été plus ou moins contestée par les autorités sanitaires. Peut-être pourrons-nous l'évoquer.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte au public. Je dois également vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec les laboratoires.

M. Georges Chiche. - Je n'en ai aucun. C'est un principe que je m'applique depuis la fin du siècle dernier, ayant été malmené par l'industrie lorsque j'étais en école de médecine. En devenant médecin et en prenant de l'âge, je me suis rendu indépendant. Par exemple, je n'accepte pas de repas gratuit. Cette manière d'agir devrait être étendue, car le comportement du corps médical doit être réformé.

M. François Autain, président. - Souhaitez-vous vous présenter au préalable ?

M. Georges Chiche. - Oui. Je souhaite détailler ma présentation et revenir dix ans en arrière.

Je vais vous présenter le cas que j'ai observé en février 1999 et qui remontait à fin 1998. Je vous montrerai également les différentes pièces originales du dossier et l'argumentaire que j'avais élaboré. J'avais transmis ces pièces à l'Igas et avais conservé le dossier dans ma bibliothèque. Le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Marseille avait accusé réception de mon dossier. Puis j'ai reçu deux curieux accusés de réception de l'arrivée du dossier à Paris.

Lorsque j'étais étudiant, j'ai eu la chance d'avoir un professeur qui nous avait parlé d'une « épidémie d'hypertension pulmonaire autour du lac Léman ». Cette idée m'était restée en tête. J'avais alors retenu le nom d'« aminorex ». Par la suite, j'ai effectué une reconstruction syllabique et lorsque j'ai vu le mot « benfluorex » dans le Vidal, j'ai compris qu'il s'agissait de l'« oncle Ben ».

Voici les documents que j'ai adressés au centre régional de pharmacovigilance en février 1999 et la lettre que j'ai écrite à la responsable du centre, avec laquelle j'étais interne :

« Chère Marie-Jo,

« Voici enfin les documents attendus. L'insuffisance aortique ne peut être attribuée à la coronaropathie. »

Tout étudiant en médecine en rirait. Or, dans les rapports de l'agence sécuritaire, de grands experts en médecine ont affirmé que l'on ne pouvait établir de rapport entre la coronaropathie du patient et la valvulopathie aortique.

« Ce n'était pas noté sur les examens réalisés depuis 1992. Cette IAO est volumineuse et peut cadrer avec la prise du Mediator prolongée (plus d'un an). Quoi qu'il en soit, il serait correct que le Vidal mentionne l'appartenance du benfluorex au groupe des amphétamines. Il note la possibilité de réactions positives à la recherche de produits dopants en cas de sport. Le benfluorex est d'ailleurs sur la liste que je joins de l'Agence du médicament en 1995, qui l'interdisait dans les préparations magistrales. »

J'avais constitué mon propre dossier, par une formation médicale non biaisée.

Je connaissais ce patient depuis 1992 : je l'avais recueilli chez lui alors qu'il faisait un infarctus. Avec le Samu, nous l'avions thrombolysé (en procédant à l'injection par voie intraveineuse d'un produit qui fait fondre le caillot) sur place, puis déplacé vers le Centre hospitalo-universitaire (CHU)-Nord. Dans la lettre de sortie de l'hôpital, on m'a alors signalé la séquelle d'infarctus. Le patient a été revascularisé grâce à la thrombolyse. La coronarographie montrait que tout était reperméabilisé, avec de petites lésions.

L'assistant qui avait reçu ce patient est désormais professeur et chef de service. La coronarographie et la ventriculographie indiquaient la cicatrice d'infarctus, mais pas de valvulopathie nette. Dans le compte rendu d'échographie de sortie, j'ai indiqué une petite influence mitrale, normale pour un infarctus inférieur, mais il n'était pas question de régurgitation aortique. A aucun moment en 1992, ce patient, expertisé dans le CHU marseillais, n'a été classé comme ayant une valvuopathie aortique.

J'ai revu ce patient à mon cabinet le 6 février 1992, son infarctus ayant eu lieu fin janvier. Sur ce papier, il n'est pas noté de fluttering (tremblement de la valve mitrale). Même les vieux cardiologues qui connaissaient l'échographie, sans doppler et sans couleur, diraient qu'il n'y a pas de régurgitation aortique sur ce document.

J'avais fait une déclaration pour obtenir la prise en charge à « 100 % » dans le cadre d'une affection de longue durée (ALD). A aucun moment dans l'expertise, il n'était question de souffle cardiaque ni de valvulopathie. Le médecin-conseil de la sécurité sociale a validé cette ALD.

En 1993, j'ai revu le patient pour une épreuve d'effort. A l'époque déjà, je faisais des échographies pendant l'effort. Je n'ai pas alors constaté de régurgitation.

En haut du document qui vous est présenté, j'ai inscrit : « Opril ; 1 Aspégic ; 1,5 Tenormin ; 1 Vasten et 2 Mediator ». Le patient était médecin ; il s'était prescrit lui-même du Mediator car il avait un syndrome métabolique (augmentation du tour de taille, glycémie haute, triglycérides hauts, etc.), susceptible de se transformer en diabète. Le Mediator visait donc à empêcher le patient en surpoids de devenir diabétique.

M. François Autain, président. - Néanmoins, vous n'en avez vous-même jamais prescrit.

M. Georges Chiche. - Si, j'en prescrivais à l'époque. En 1993, je n'ai pas incité ce patient à arrêter de prendre du Mediator, ce que j'ai fait à partir de 1997.

Je n'ai pas revu le patient jusqu'en 1998. Il semblait aller bien, était bien équilibré aux niveaux coronarien, tensionnel et métabolique. Cependant, à l'auscultation, j'ai entendu un souffle que je ne connaissais pas. J'ai alors constaté un tremblement de la valve mitrale, qui témoigne d'un fluttering, qui n'était pas noté en 1992 et en 1993.

J'ai alors inscrit dans ma déclaration : « L'auscultation est impressionnante ; prise de Mediator de plusieurs mois ; régurgitation grade 2 ; petite régurgitation mitrale. » On y visualise le flux de régurgitation aortique. J'ai joint à ma déclaration le communiqué de l'Agence du médicament de mai 1995.

M. François Autain, président. - Cela concernait alors l'Isoméride.

M. Georges Chiche. - Non, cela concernait toute la famille, y compris le benfluorex.

En 1995, logiquement, les experts de l'Agence ont demandé de stopper l'Isoméride, affirmant que désormais, seul un endocrinologue ou un spécialiste hospitalier ferait la première ordonnance et qu'en l'absence de cette première ordonnance, celle-ci ne serait pas renouvelée.

Par ailleurs, les coupe-faim ne seraient plus intégrés aux préparations magistrales. Je signalerai qu'à Marseille, la queue commençait dès 6 heures devant certaines pharmacies qui, en entente avec des médecins, fabriquaient des pilules spéciales qui contenaient n'importe quoi, y compris de la thyroxine.

L'Agence a également interdit de prescrire sans ordonnance réglementée tous les anorexigènes : Isoméride, Pondéral, etc. Le benfluorex ne figurait pas dans la liste. Il figurait en revanche dans les préparations magistrales qu'il était interdit de prescrire.

Si le benfluorex n'était pas réglementé dans la prescription en capsules en pharmacie, il était interdit en préparations magistrales. Cet état de fait me paraît surprenant.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'Italie a fait l'inverse.

M. Georges Chiche. - J'ai joint à ma déclaration une publicité du Mediator, où il est écrit : « contient un principe actif pouvant induire une réaction positive aux tests pratiqués lors des contrôles antidopage ». Il s'agissait donc a priori d'une amphétamine. On retrouvait les mêmes indications sur la publicité de l'Isoméride.

M. François Autain, président. - Cette mention a-t-elle figuré sur les publicités jusqu'à la fin de la commercialisation ?

M. Georges Chiche. - Oui, les publicités que j'ai jointes sont les dernières sur l'Isoméride. S'agissant du Mediator, j'ai par la suite cessé de regarder les publicités. Il faudra le vérifier. Je n'ai pas vérifié si cela était encore inscrit dans le Vidal en 2009.

La responsable du CRPV de Moselle a accusé réception de mon envoi et m'a remercié. Elle m'a également transmis la déclaration qu'elle avait envoyée au niveau national. L'agence marseillaise a fait une légère erreur dans le document qu'elle a transmis : « insuffisance mitrale » a été corrigée à la main en « insuffisance aortique ».

Ce lapsus a été bienvenu, car tous les grands experts qui se trouvaient dans la pyramide centrale ont estimé que l'insuffisance mitrale était liée à l'infarctus et s'en sont par conséquent peu souciés. Cette erreur a arrangé nombre de personnes.

M. François Autain, président. - Ne l'avez-vous pas découverte en 1998 ?

M. Georges Chiche. - Si, je l'ai découverte en novembre 1998, dans mon cabinet. Je l'ai déclarée en 1999. En février 1999, en face d'« imputabilité probable », il est inscrit : « médicament suspect : benfluorex ». Je remercie pour cela l'agence de Marseille.

Je n'ai reçu aucune autre nouvelle en dix ans. En revanche, très tôt après ma déclaration, j'ai compris, par la réception de deux accusés de réception insolites, qu'elle était parvenue en haut de la pyramide. Le premier de ces accusés de réception est la visite d'un directeur technique de Servier de Paris, peu après ma déclaration.

M. François Autain, président. - A-t-il demandé à vous voir ?

M. Georges Chiche. - Oui.

M. François Autain, président. - Je sais que s'il est venu, c'est parce qu'il a été informé par l'Afssaps.

M. Georges Chiche. - Je ne le savais pas. A cette époque, je ne recevais plus les visiteurs médicaux depuis des années. Il m'a « secoué » ; je l'ai écouté sans m'énerver.

Le deuxième accusé de réception est un appel téléphonique de la mairie de Marseille, qui m'a transféré à un professeur. Ce professeur m'a reproché les observations que j'avais formulées, me demandant de les retirer. Lorsque mon associé a entendu le nom de la personne qui m'appelait, il a mis le haut-parleur pour entendre la conversation téléphonique. J'ai donc un témoin audio de cette scène.

Qui a informé ces deux personnes de ma déclaration confidentielle à la pharmacovigilance ? Je souhaiterais que vous puissiez répondre à ma question.

M. François Autain, président. - Nous ne pouvons malheureusement pas vous apporter de réponse.

M. Georges Chiche. - Je suis remonté à Paris pour effectuer une déclaration à l'Igas. L'experte de l'Igas m'a demandé de pouvoir rappeler mon associé, qui lui a confirmé par téléphone cette communication spectaculaire.

La même situation s'est réitérée avec la gendarmerie nationale. Une brigade d'enquête de santé m'a auditionné en début d'année. Mon associé a encore une fois confirmé la communication devant les gendarmes.

Je souhaiterais comprendre comment cette situation, qui apparaît inquiétante, est possible. Il me paraît stupéfiant qu'un déclarant d'effets indésirables soit nommé auprès du laboratoire du produit en question.

En 1999, j'ai constitué le dossier en me souvenant d'aminorex. Lorsque j'ai appris le nom chimique de l'Isoméride, la dexfenfluramine ou la fenfluramine, j'ai reconstitué de manière syllabique le benfluorex. Cela m'est resté en mémoire. J'ai retrouvé l'article publié par le professeur de thérapeutique que j'avais eu la chance d'avoir étudiant.

En 1996, dans une revue, nous avons vu arriver les travaux d'un groupe polyvalent de Lucien Abenhaïm, qui montre l'hypertension pulmonaire. En 1997, les valvulopathies induites par l'Isoméride se sont multipliées. A partir de 1997, lorsque je rencontrais des cas de valvulopathies qui n'étaient ni connues ni explicables par un rhumatisme articulaire aigu ou une ischémie évidente, je demandais aux patients s'ils avaient pris de l'Isoméride et du Mediator. Dans les quartiers nord de Marseille où je pratique, j'ai influencé les médecins généralistes, qui sont tous au courant de la toxicité de ces produits depuis 1997.

En janvier 1999, dans la revue Circulation, je mentionnais une épidémie prédictible. Il a fallu attendre novembre 2009 pour mettre fin à cette affaire. A l'époque, dans la littérature médicale, j'avais trouvé des travaux français de l'équipe du professeur Simonneau : dès 1993, il mettait déjà en lien le Pondéral (fenfluramine) et l'hypertension pulmonaire.

En 2011, l'ensemble des revues étrangères se moquent de nous. Elles refont un historique des cas, notamment ceux qui ont été publiés en 1999, qui auraient dû stopper l'affaire.

Je me pose un certain nombre de questions.

Tout d'abord, y aura-t-il un « avant » et un « après » ? En tant que praticien de terrain, je perçois un « après » de cette affaire. Lorsque je rédige une ordonnance, les patients me demandent à quoi servent les médicaments que je leur prescris. J'en suis très satisfait, car cela permet de retirer certains médicaments des ordonnances et de refaire la liste avec les patients.

Dans la littérature américaine, nous assistons à une multiplication des articles qui s'interrogent sur la question de l'« après ». Dans une enquête de mai 2011, des épidémiologistes interviewent des médecins américains qui ont suivi une formation médicale continue. A la question « Pensez-vous qu'une formation médicale continue qui est sponsorisée par l'industrie est biaisée ? », ils ont répondu oui à 80 %. A la question : « Etes-vous prêts à payer les frais d'hébergement, de restauration, d'amphithéâtres, etc. ? », ils ont répondu négativement. Nous nous trouvons dans un cercle vicieux : les médecins savent que leur formation sponsorisée est biaisée, mais ne veulent pas pour autant l'assumer.

M. François Autain, président. - Certains laboratoires, notamment Astra Zeneca, refusent de financer les congrès et les « hospitalités ». Sans doute d'autres suivront-ils.

M. Georges Chiche. - Je les remercie et les félicite. Les revues gratuites, qui constituent une intoxication mentale du monde médical, représentent un autre problème. Le Canadian Medical Association Journal (CMAJ) a publié une étude des différences constatées selon les abonnements libres ou gratuits et sponsorisés par les publicitaires.

M. François Autain, président. - Qu'entendez-vous par revues gratuites ?

M. Georges Chiche. - Je veux parler des revues que je reçois par la Poste tous les matins.

M. François Autain, président. - Nous avons interrogé les directeurs de ces publications, qui affirment que celles-ci ne sont pas gratuites, mais diffusées selon des abonnements. Si vous ne payez pas votre abonnement, quelqu'un doit donc le faire pour vous.

M. Georges Chiche. - Effectivement, je pense que quelqu'un le fait pour moi. J'apprécie beaucoup ces revues, car elles comportent de très belles iconographies. Lorsque je dois présenter une étude américaine du New England à des médecins généralistes, je scanne souvent une photographie d'une revue gratuite.

M. François Autain, président. - Quelles sont ces revues ?

M. Georges Chiche. - Il en existe de nombreuses ne serait-ce qu'en cardiologie (La lettre du cardiologue, etc). Mais il y a plus grave encore. Dans un numéro spécial des archives internes de médecine, la littérature de recommandation officielle américaine de 2004 à 2008 a été reprise, avec un focus sur le paragraphe « liens d'intérêts ». La modification de la rédaction des liens d'intérêts que vous évoquiez plus tôt a été demandée.

Les conférences d'experts qui vantent les produits d'un laboratoire doivent être considérées comme des conférences publicitaires. Il faudrait que ce soit le nom du médicament qui soit inscrit et non celui du laboratoire.

J'en ai assez des repas gratuits. No more free lunches. L'article auquel je fais référence remonte à 2003. Il m'a fait plaisir car j'avais alors déjà édicté cette maxime « plus de repas gratuits ». Il faut « dégorger » la relation médecins-industrie. Les étudiants américains jurent dans le serment d'Hippocrate qu'ils ne recevront pas d'argent, de cadeaux ou de frais d'hospitalisation. Je pense aux jeunes en formation, qui sont livrés à l'industrie. La faculté fait partie du monde public : il n'est pas normal que les étudiants en médecine stagiaires dans les hôpitaux, dès la troisième année, aient l'habitude de bénéficier de repas offerts par les laboratoires. Cette pratique est d'ailleurs interdite dans certaines universités.

M. François Autain, président. - La commission pourrait prévoir un codicille au serment d'Hippocrate.

M. Georges Chiche. - Le combat sera âpre pour vous sur le plan législatif.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous été informé de la requalification du cas que vous aviez signalé au centre régional de pharmacovigilance ? Estimez-vous que le cas de valvulopathie aortique que vous aviez notifié était suffisamment probant pour conduire dès l'époque au retrait du Mediator, comme l'estime le rapport de l'Igas ? Quels sont, selon vous, les principaux dysfonctionnements du système de pharmacovigilance en France mis en évidence par le dossier du Mediator ?

M. François Autain, président. - Mme Geneviève Derumeaux, que vous connaissez, nous a affirmé qu'elle n'avait été informée de la valvulopathie de Marseille qu'à partir du retrait du Mediator, soit en septembre 2009. Le sort réservé à ce dossier est étonnant.

M. Georges Chiche. - A l'époque, je n'ai pas été vexé de ne recevoir aucun accusé de réception. Toutefois, ne voyant rien venir, je n'ai fait aucune déclaration des autres effets secondaires indésirables de médicaments.

Quant à ce cas, je ne peux le déterminer de manière formelle, car en tant que médecin, rien n'est formel pour moi. La valvulopathie de ce patient a régressé après l'arrêt du produit. Il lui restait une régurgitation minime, ce qui est prévisible d'après les études sur ce sujet.

J'ai déclaré ce cas mais pas d'autres. J'ai empêché des patients dont les valvulopathies étaient volumineuses d'être opérés à coeur ouvert. J'ai dû retarder certaines opérations. Ces personnes nourrissent des regrets à présent, car une prothèse métallique aurait pu leur être posée.

A posteriori, je validerais ce cas de valvulopathie.

M. François Autain, président. - Il est donc des valvulopathies imputables au benfluorex que vous n'avez pas déclarées, d'où la sous-notification.

M. Georges Chiche. - Evidemment. C'est pour cette raison que le rapport de la Cnam ne me fait pas rire. Heureusement, la Cnam a pu recroiser les fichiers. Il faut comprendre l'inertie du monde médical.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu au sujet des principaux dysfonctionnements du système.

M. Georges Chiche. - La déclaration des effets secondaires ne donne pas lieu à des retours. En France, on ne déclare pas, car le poids médico-légal n'est pas le même qu'aux Etats-Unis. Récemment, à l'occasion du scandale de santé mondial lié aux farines contaminées en Chine, les Etats-Unis ont déclaré l'ensemble des morts qu'ils ne comprenaient pas en dialyse et ont ainsi pu faire le lien entre ces morts et les farines. En Italie et en Espagne, les farines ont été suspendues.

La France, quant à elle, a réagi en affirmant avoir reçu une lettre du laboratoire évoquant une rupture de stock, ce qui a donné lieu au report vers d'autres molécules. Sur le site de l'Afssaps, on trouvait le même énoncé. Cet exemple caricatural date de 2008-2009.

M. Gilbert Barbier. - En cardiologie, une contamination importante est liée à la prescription des pacemakers. Comment faites-vous le choix d'un appareil par rapport à un autre, sans connaissance des appareils des laboratoires ?

M. Georges Chiche. - Je suis cardiologue de terrain. Ce n'est pas moi qui choisis les appareils. Dans les conflits d'intérêts, les pilules ne sont pas seules en cause. C'est le cardiologue interventionnel qui choisit le stent. Quant aux liens, ils nous dépassent totalement.

Le deuxième lien que vous évoquez est le soutien de l'industrie à la recherche à l'université. Les universitaires ont besoin de ce soutien pour leurs élèves.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le cas du Mediator a montré une sous-notification des effets indésirables. Comment améliorer les signalements de pharmacovigilance, notamment par les professionnels de santé ? Faut-il rémunérer les médecins pour le temps passé à signaler les effets indésirables ? Comment mieux prendre en compte les notifications directes par les patients ?

M. Georges Chiche. - Un système de formation médicale continue obligatoire devait être lancé. Si ce système était valide, vous pouvez imaginer que des points de formation médicale continue auraient été attribués pour toute déclaration valide ou correctement effectuée. Il aurait alors fallu réformer l'Agence du médicament, car celle-ci aurait croulé sous les déclarations.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous besoin d'une notification directe par les patients ?

M. Georges Chiche. - Evidemment. Depuis cette affaire médiatique, les rapports entre médecins et patients ne sont plus les mêmes : les patients parlent et les médecins écoutent.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les prescriptions hors AMM doivent-elles être mieux encadrées et surveillées ?

M. Georges Chiche. - Oui. J'effectue encore des prescriptions hors AMM lorsqu'un dossier est assez solide. Je l'explique alors au pharmacien dans mon ordonnance. Cela est assez rare et concerne essentiellement les nouveaux anticoagulants mis sur le marché mais non validés pour la fibrillation auriculaire. Je n'en veux que modérément aux personnes qui prescrivaient du Mediator pour le diabète.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avant toute procédure de retrait, il est important de disposer d'un certain nombre de certitudes. Quels doivent être, selon vous, les signaux pertinents en matière de pharmacovigilance ? Faut-il octroyer davantage de place aux lanceurs d'alerte ? Si oui, comment ?

M. Georges Chiche. - Oui. Si un médecin est félicité par l'Afssaps, il fera d'autres déclarations et construira ses dossiers de mieux en mieux.

Mme Virginie Klès. - Le remboursement du médicament est lié à l'argent public. Imagineriez-vous un système de séparation entre un prescripteur et un contrôleur délivreur (rôle que peut jouer le pharmacien aujourd'hui) ?

M. Georges Chiche. - Il est vrai que les ordonnances françaises sont surréalistes. Nous passons énormément de temps à décoder certaines ordonnances, qui comprennent un nombre de médicaments très important. Le pharmacien peut certes intervenir, mais quel pouvoir a-t-il ? Il s'agit également d'une question d'éducation. J'ai attendu 1998 pour raisonner en termes de dénomination commune internationale (DCI) : il est toujours question du Mediator, mais il faut parler de benfluorex.

M. François Autain, président. - Je rappelle que la prescription en DCI est obligatoire.

M. Georges Chiche. - Dans la pratique, elle n'est pas appliquée.

M. François Autain, président. - Je vous remercie infiniment de ces informations très intéressantes.

Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé

M. François Autain, président. - Mes chers collègues, nous avons l'honneur d'auditionner aujourd'hui pour notre quatre-vingt-septième et dernière audition M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

Monsieur le ministre, cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'une diffusion sur le site du Sénat. Comme vous n'êtes pas médecin, je n'ai pas à vous demander vos liens d'intérêts. Souhaitez-vous faire une intervention liminaire ?

M. Xavier Bertrand. - Même si je ne suis pas médecin, vous auriez pu me demander mes liens d'intérêts.

M. François Autain, président. - Dans ce cas, je vous les demande.

M. Xavier Bertrand. - Je vous dis cela car, anticipant les recommandations du rapport Sauvé, j'avais fait des déclarations d'intérêts pour moi-même et l'ensemble des membres de mon cabinet avant que la règle ne soit imposée à l'ensemble des membres du Gouvernement. Je vous affirme donc que je n'ai pas de liens d'intérêts parce que je l'avais rendu public.

M. François Autain, président. - Je me contentais d'appliquer la législation existante.

M. Xavier Bertrand. - C'est la première fois que je me présente devant le Sénat pour répondre à vos questions. Je l'ai déjà fait à deux reprises devant l'Assemblée Nationale. Cette étape est pour moi importante, car il faut qu'il existe un « avant » et un « après » Mediator.

Nous devons apporter des garanties pour que la police du médicament soit profondément améliorée. Il faut redonner confiance dans le système du médicament. Cependant, les mots ne suffiront pas : des changements de comportement, de règles législatives et réglementaires, d'organisation et de refonte de l'Afssaps doivent survenir. Cette exigence de transparence a toujours été la nôtre avec Nora Berra, dès le lendemain de notre prise de fonction.

Lorsque nous avons appris le drame du Mediator, nous avons demandé à l'Igas que toute la lumière soit faite. Nous avons ensuite reçu son rapport le 15 janvier dernier. Celui-ci montre qu'un faisceau d'indices pointe clairement la responsabilité première et directe des laboratoires Servier. C'est bien ce médicament, produit par les laboratoires Servier, qui a causé ces victimes.

Pour le reste, je ne méconnais pas le rôle de chacun : la mission de l'Igas, les missions d'information et la justice. L'Igas ne pouvait interroger le laboratoire, car elle devait se limiter à la sphère administrative.

S'agissant de la partie administrative de l'enquête, le rapport de l'Igas a établi des défaillances graves dans le fonctionnement de notre système du médicament. La police du médicament, qui relève de la sphère publique, a failli à sa mission. Le principe de précaution a profité au laboratoire, et non aux patients.

Aujourd'hui, nous devons tirer tous les enseignements de ce drame afin de rebâtir notre système de pharmacovigilance. Ceci passera par des mesures radicales et rapides. Le nouveau système doit être effectif dès cette année, pour être appliqué sans tarder. Cela vaut notamment pour le fonctionnement de l'Afssaps, les procédures d'AMM et leur éventuel retrait. Il nous faut davantage explorer et sécuriser ce dernier point. Se pose également la question des alertes, du suivi des alertes et des déclarations de conflits d'intérêts. Sans transparence totale, il n'y aura pas de confiance totale.

J'ai lancé les Assises du médicament, qui ont réuni l'ensemble des acteurs (plus de 300 participants pour près de 50 réunions). La restitution de chaque groupe de travail s'est tenue le 31 mai dernier. Le rapport de synthèse, préparé par Edouard Couty, me sera remis avant la fin du mois de juin.

Avec le rapport Couty, les Assises du médicament, les missions parlementaires à l'Assemblée Nationale et au Sénat nous mènerons un travail qui ne peut qu'être convergent. Nous mettrons en place une réforme d'ensemble, qui nous permettra de mener une action efficace et rapide.

Les Assises se déroulent dans une totale transparence. Les débats sont enregistrés et disponibles sur le site du ministère, comme les contributions et les comptes rendus des groupes.

Dans le même temps, j'attends le deuxième rapport de l'Igas, qui est chargé de me proposer des recommandations sur l'optimisation de la pharmacovigilance, prévu au cours de la deuxième quinzaine de juin.

Quand votre restitution aura-t-elle lieu ?

M. François Autain, président. - La publication est fixée au 4 juillet. Le rapport sera examiné et débattu vers le 28 juin.

M. Xavier Bertrand. - Ces rapports nous permettront d'écrire la réforme, qui ne sera pas uniquement législative. Par ailleurs, j'ai demandé des déclarations de conflits d'intérêts à l'ensemble des membres de mon cabinet, afin d'éviter toute éventuelle confusion.

Nous souhaitons également prendre des mesures sur les médicaments actuellement commercialisés sur le marché français (« liste des 76 »). En effet, j'estime que ce n'est pas dans la presse qu'ils doivent être publiés, mais sur le site de l'Afssaps. Il nous faut dresser un bilan transparent des médicaments qui font l'objet d'un suivi national de pharmacovigilance et déclencher des processus de réévaluation du rapport bénéfices-risques.

Par ailleurs, j'ai demandé à Dominique Maraninchi d'assumer la fonction de nouveau directeur de l'Afssaps. Je pense qu'il en a pris totalement la mesure. J'ai également demandé qu'il soit auditionné par les commissions compétentes de l'Assemblée Nationale et du Sénat.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous avons passé une après-midi à l'Afssaps et un moment à la HAS.

M. Xavier Bertrand. - S'agissant de l'indemnisation, nous avons pensé qu'il n'était pas possible de discuter avec le laboratoire Servier. Leurs propositions se sont avérées inacceptables : ils choisissaient les victimes, ne les indemnisaient pas toutes et pas suffisamment. La réparation intégrale n'était pas consacrée. Ils avaient par ailleurs établi que les personnes qui accepteraient la transaction perdraient la possibilité d'intervenir au pénal et au civil.

Puis ils ont changé leur attitude : Mme Favre, que nous avons missionnée avec M. Mercier, Garde des sceaux, a obtenu des avancées de leur part. Nous pensions être près de conclure, mais de façon inexplicable, le laboratoire Servier a refusé de garantir la réparation intégrale et a abandonné l'idée qu'en cas de transaction, il n'est plus possible de faire valoir ses droits devant une juridiction civile. Cette proposition n'était acceptable ni par les associations de victimes, ni par le gouvernement. Je n'avais pas la garantie que l'ensemble des victimes serait indemnisé.

Un fonds Mediator créé par la loi est en cours de discussion (article 22 du projet de loi de finances rectificative qui sera présenté cette semaine à l'Assemblée Nationale, puis au Sénat). Ce n'est toutefois pas à la solidarité nationale, et donc au contribuable, de payer, mais au laboratoire Servier. Nous aurons l'occasion de revenir sur les modalités de ce fonds lorsque vous le souhaiterez.

Nous avons pour impératif de redonner de la confiance. Le système doit être plus sûr, plus transparent et plus réactif. Nous plaçons la barre assez haut. Cette action est nationale, mais aussi européenne.

Lors d'une rencontre avec le commissaire Dalli, j'ai obtenu qu'une rencontre informelle des ministres de la santé traite de ce sujet, en Hongrie, début avril. Des réformes doivent également être menées au niveau européen. Après ce préambule, je me tiens à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Monsieur le ministre, nous partageons vos propos sur la police du médicament, d'autant plus que le Sénat avait proposé des réformes en 2005, dans un souci de transparence et de réactivité accrues. Nous avons le sentiment de ne pas avoir été écoutés suite à l'affaire du Vioxx.

Vous étiez ministre de la Santé entre 2005 et 2007. Avez-vous été informé de la nocivité du Mediator ? Rétrospectivement, comment appréciez-vous le manque d'information des ministres successifs et de leurs cabinets ? A la suite de ce dossier, le rôle du ministre concerné dans le domaine de la sécurité sanitaire doit-il évoluer ? Quelle gouvernance préconisez-vous au niveau des agences ? Etes-vous favorable à une refonte du système d'agences, éventuellement sur un modèle étranger (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Italie) ? Le ministre doit-il être responsable ?

M. Xavier Bertrand. - Le ministre est responsable ; la responsabilité politique ne se délègue pas. Le 15 janvier, lorsque j'ai reçu le rapport de l'Igas, j'étais ministre de la santé. Les trente-trois ministres de la santé ont nécessairement une part de responsabilité, car pendant que nous étions ministres, il y a eu des victimes du Mediator. Entre 1995 et 1998, la commercialisation était sur le point d'être interdite ; cette interdiction n'a finalement pas eu lieu.

Aucun des ministres, qu'il soit de droite ou de gauche, s'il avait eu connaissance d'une nocivité, n'aurait laissé faire. Aucune décision de déremboursement du Mediator ne m'a été proposée. Les relations entre l'Afssaps et la HAS sont très complexes. Cet état de fait pose plusieurs problèmes.

Avec l'affaire du sang contaminé, nous avons vécu un changement en profondeur. Avant cette affaire, la responsabilité et nombre d'informations revenaient directement au ministère, et donc au ministre. Après l'affaire, comme d'autres pays européens, la France a transféré certaines agences à des autorités indépendantes. Alors que tout revenait vers le politique, le politique a passé la main aux experts dans les domaines de l'évaluation, de l'expertise et de la décision. Je pense que ce système n'apporte pas toutes les garanties nécessaires.

Il convient de trouver un équilibre entre les informations utiles et nécessaires. Ce sont les responsables publics, et donc politiques, qui sont décisionnaires, à moins que nous en décidions autrement. Ma demande de publication de la « liste des 76 », malgré les critiques de professionnels de terrain, vise à ce que les ministres ne puissent plus affirmer ne pas être au courant qu'un médicament était mis sous surveillance. S'ils ne prennent pas les décisions adéquates, ils devront en assumer les conséquences.

La place du politique doit être revisitée. Certaines informations doivent nécessairement revenir au plan politique. Charge pour lui d'exercer la vigilance nécessaire. J'ai conscience que cette tâche s'avère difficile et que les cabinets ministériels ont de moins en moins d'effectifs. Qui plus est, les effectifs des ministères ne permettent pas de faire face aussi largement que nous le souhaiterions à toutes les charges de travail qui nous sont soumises.

Etant donné le nombre de décisions qui doivent être prises chaque année en raison de l'échelon européen, des priorités doivent être fixées. Dans le cas contraire, nous n'aurons pas la garantie que les accidents ne se reproduiront pas.

J'ai été interrogé par la mission parlementaire du député Yves Bur sur les agences sanitaires ce matin. Nous devrons prendre en compte l'articulation entre les différentes agences sanitaires ; la question de la transparence se posera pour chacune d'entre elles (et pas seulement pour l'Afssaps). Nous l'affirmons aujourd'hui pour l'industrie de la santé, mais cette industrie ne recouvre pas seulement l'industrie du médicament.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Tout à fait. Les dispositifs médicaux et l'agroalimentaire sont également concernés.

M. Xavier Bertrand. - Oui. Lors des débats sur l'expertise de l'aspartame, la question de l'indépendance des experts s'est posée. Cette problématique ne doit pas uniquement porter sur la question du médicament.

Sur l'ensemble des sujets, nous devrons donner une définition du conflit d'intérêts.

M. François Autain, président. - Vous avez préconisé d'octroyer davantage de responsabilités au ministre. Cela me paraît assez difficile à envisager. Prenons le cas de l'Actos, qui ressemble à bien des égards au Mediator. Il a été mis sur le marché il y a une dizaine d'années. La pioglitazone a été classée en ASMR V : en d'autres termes, elle n'apporte aucune amélioration du service médical selon la commission de la transparence. Qui plus est, l'Actos a été classé parmi la « liste des 76 ». Par conséquent, non seulement il n'a aucune utilité, mais il nécessite une surveillance renforcée en raison de sa dangerosité. Je ne comprends donc pas pourquoi ce médicament est maintenu sur le marché.

Hier encore, M. Aquilino Morelle de l'Igas, insistant sur les responsabilités du ministre en matière de sécurité sanitaire, a évoqué le pouvoir régalien. Il s'agit peut-être d'un futur Mediator. Vous devriez avoir la possibilité de remettre en cause la décision de maintien de l'Actos sur le marché prise par le directeur général. Peut-être conviendrait-il d'octroyer davantage de pouvoir au ministre.

Si une affaire similaire à celle du Mediator apparaît concernant l'Actos, ce sera, en effet, certainement le ministre qui sera davantage responsable que le directeur général de l'Afssaps.

J'ai repris ici la proposition que vous avez formulée de revisiter le rôle du politique. L'Actos représente la parfaite illustration de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Elle répète le Mediator. Sur ce plan, nous n'avons pas progressé.

L'Actos n'est pas seul concerné. Vingt-cinq médicaments de la « liste des 76 » sont actuellement considérés comme inutiles, mais bénéficient d'une surveillance renforcée car ils sont dangereux.

Je ne comprends pas pourquoi des médicaments inutiles et dangereux sont maintenus sur le marché, au risque qu'une affaire similaire à celle du Mediator survienne dans les années à venir. Sans doute avez-vous une réponse à nous apporter, monsieur le ministre ?

M. Xavier Bertrand. - Monsieur le président Autain, je reconnais là votre constance et votre cohérence. Vous m'obligez à être très précis. Je ne crois pas que nous soyons restés inactifs. Le 19 avril dernier, l'Afssaps a utilisé une procédure très rare en appelant les médecins à la prudence, notamment sur l'utilisation de l'Actos. L'Afssaps s'est notamment adressée aux médecins qui traitent des patients diabétiques par un traitement chronique.

Une étude de l'assurance maladie doit être publiée, dont nous commençons à connaître les résultats. Une décision sera prise lors d'une réunion d'AMM jeudi prochain. Les risques encourus consistent principalement en des cancers de la vessie.

Je me suis entretenu avec le directeur général de l'Afssaps pour déterminer si nous devions renvoyer à une décision européenne ou attendre les résultats de l'étude de l'assurance maladie. Si les résultats de cette étude devaient être connus dans six mois ou dans un an, peut-être aurions-nous pris une décision différente. Etant donné qu'ils seront connus dans les jours à venir, nous avons estimé que nous pouvions attendre fin mai-début juin pour prendre une décision.

Lorsque ce médicament a été mis sur le marché, la question du rapport bénéfices-risques se posait. Des médecins m'ont interrogé sur le retrait éventuel de l'Actos, eu égard aux patients pour lesquels ce médicament présentait une véritable avancée et qui ne développaient pas de cancer de la vessie.

M. François Autain, président. - Le cas de figure était strictement semblable pour le Mediator.

M. Xavier Bertrand. - Non. Il aurait fallu attendre nombre de réunions de pharmacovigilance avant que cela soit inscrit au procès-verbal de la commission nationale. C'était le cas du Mediator, mais pas celui de l'Actos. Ce n'est pas la première fois que je m'exprime sur ce sujet, loin s'en faut.

Il est nécessaire de communiquer sur les traitements de substitution. L'Actos apportant un soulagement à certains patients, nous devons laisser le temps aux professionnels de santé de s'organiser pour trouver un substitut.

Si les études de l'assurance maladie laissent entrevoir le moindre doute, je n'attendrai pas la décision de l'Europe et prendrai mes responsabilités. J'ai évoqué la question avec Dominique Maraninchi qui a adopté la même position.

Dans des cas précis, une opposition pourra être constatée entre l'Afssaps et le ministère. Dans le cadre de la réforme, nous devrons alors déterminer qui est le décisionnaire en dernier recours.

Nous avons connaissance de ces faits, car des mesures de transparence ont été mises en place, tant au niveau national qu'européen. Des responsables en fonction à l'Afssaps au moment du Mediator ont par la suite pris des responsabilités à l'Agence européenne du médicament.

Je retire des stress tests réalisés à l'Agence européenne sur le Mediator l'enseignement selon lequel les réformes en matière de transparence devront s'appliquer de la même façon. Je n'affirmerai donc pas que l'Actos ne constitue pas un sujet.

M. François Autain, président. - L'Actos n'est pas seul concerné.

M. Xavier Bertrand. - Tout à fait : 76 médicaments le sont. Il est toutefois difficile d'expliquer que le fait de prendre un médicament ne constitue pas un acte anodin. Pour chaque médicament, il existe des bénéfices et des risques. La question du rapport bénéfices-risques ne s'entend pas de la même façon pour chacun des patients. Certains ont même besoin de prescriptions hors AMM ou d'ATU.

J'ai constaté que des personnes avaient pu être sauvées pour avoir bénéficié d'une ATU, alors que selon le rapport bénéfices-risques commun, elles n'y avaient pas droit. L'Actos fait partie des médicaments pour lesquels les responsabilités seront prises, sans qu'il soit nécessaire d'attendre un drame dans quelques années.

M. François Autain, président. - Etant donné qu'il est si difficile, une fois qu'un médicament a été mis sur le marché, de le retirer, ne pensez-vous pas qu'un médicament ASMR V ne devrait pas être remboursé ? Chaque année, 90 % des médicaments commercialisés sont ASMR V. Pourquoi les rembourser ?

M. Xavier Bertrand. - A mon sens, les AMM ne doivent plus être établis de la même façon. Les médicaments en question sont mis en balance avec le placebo : s'ils sont plus efficaces que l'absence d'un véritable traitement, ils sont retenus. Une dimension européenne entre également en compte. On me demande s'il ne s'agit pas d'une entorse au principe de concurrence. Pour ma part, je pense que non.

Nous devons mener une étude par rapport aux comparateurs. Si cela s'avère impossible ou long au niveau européen, je prendrai mes responsabilités en France de la manière suivante : en fonction du prix, si le service médical rendu n'est pas jugé par rapport à un comparateur, nous ne l'admettrons plus au remboursement.

S'agissant de la « liste des 76 », nous devons faire preuve de pédagogie. Certains patients qui prennent ces médicaments s'inquiètent de leur dangerosité. Les médecins sur le terrain se demandent comment agir. La « liste des 76 » sera amenée à être modifiée.

M. François Autain, président. - La liste comptait d'ailleurs 77 médicaments.

M. Xavier Bertrand. - Elle va être amenée à changer en permanence désormais. Certains médicaments seront retirés de la liste, car des études montreront que le rapport bénéfices-risques reste satisfaisant et que les effets indésirables peuvent être qualifiés et calibrés. D'autres entreront dans cette liste.

Nous souhaitons faire en sorte qu'une fois un médicament mis sur le marché, les études post AMM soient renforcées. Pour cela, nous devons certainement nous servir davantage des études et des renseignements transmis par l'assurance maladie. Celle-ci nous permet d'obtenir des cohortes beaucoup plus importantes que les seuls essais cliniques avant l'AMM.

Aux Etats-Unis, il semble plus facile d'engager une étude post AMM. Je m'en inspirerai donc. Il est également possible de faire remonter des effets indésirables plus rapidement. Les patients, les médecins et les lanceurs d'alertes ont un statut protégé, ce qui les met à l'abri. Ces sujets doivent faire l'objet d'une part importante de la réforme.

Cela semblait auparavant difficile, car c'était aux laboratoires que l'on demandait de mener des études. S'ils ne respectaient pas les délais, ceux-ci étaient prorogés. Il faudra donc procéder à des encadrements dans des délais précis. Si les délais ne sont pas tenus, il conviendra de suspendre l'AMM.

Parallèlement, les prescripteurs, voire le grand public, devront être informés de l'engagement de la procédure et du fait qu'en l'absence de procédure, il y aura retrait du marché. Ainsi, les prescripteurs ne se trouveront pas désemparés du jour au lendemain.

M. François Autain, président. - Vous envisagez donc de réaliser des essais comparatifs avant qu'un médicament soit examiné par la commission de la transparence. Lorsqu'un médicament sera considéré comme inutile, c'est-à-dire comme n'apportant pas d'améliorations du service médical rendu (ASMR V), il ne sera pas pris en charge par la sécurité sociale.

Ceci dit, dans la réglementation actuelle, il ne devait pas être pris en charge. En réalité, il l'a pourtant été. Il s'agit d'un des mystères que je n'ai pas réussi à percer. La commercialisation des médicaments ASMR V était suspendue au fait qu'ils permettent de réaliser des économies à la Sécurité sociale. Or j'observe que tous ces médicaments ont été mis sur le marché à des prix quatre à six fois plus élevés que l'équivalent sur le marché.

La réglementation des ASMR V n'a donc pas été respectée. S'ils étaient retirés du marché, peut-être personne ne s'en plaindrait.

M. Xavier Bertrand. - Lorsqu'un médicament est pris en charge, un prix lui est fixé. Le marché répond à deux logiques : le prix et le volume. Si certains médicaments peuvent être admis au remboursement malgré cela, c'est aussi parce qu'ils peuvent avoir un effet sur d'autres prix. Je n'excuse pas par là le moindre comportement. J'ai des exemples à ce sujet.

M. François Autain, président. - Moi aussi. Ainsi, l'Actos est cinq fois plus cher qu'un traitement avec de la metformine génériquée. Je ne vois pas comment, dans ce cadre, des économies sont possibles.

M. Xavier Bertrand. - Je ne parlais pas de l'Actos.

M. François Autain, président. - Dans ce cas, prenons l'exemple du Multaq, ASMR V, qui coûte 41 euros par mois, alors qu'un traitement à même visée thérapeutique, tel que le Tegretol, coûte 13 euros. Le Lyrica vaut 49 euros, alors qu'un traitement à même visée thérapeutique s'élève à 13,56 euros. Quant au Nexen, il s'élève à 0,76 euro par jour, alors qu'un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) génériqué coûte 0,212 euro.

Ces médicaments ASMR V ont été mis sur le marché, alors qu'ils n'auraient pas dû l'être à ce prix. Je n'ai pas élucidé ce mystère et vous ne semblez pas pouvoir le faire non plus.

M. Xavier Bertrand. - Le responsable du Ceps a-t-il répondu clairement à cette question lors de votre audition ?

M. François Autain, président. - Nous n'avons pu l'interroger sur le Multaq : il nous a affirmé que l'avis qui avait été émis par la commission de la transparence n'était pas correct et qu'il avait été amené à le modifier. En conséquence, il a pu fixer un prix bien supérieur à ce qu'il aurait dû être.

M. Xavier Bertrand. - Si tout allait bien, je ne modifierai pas le système. Le Figaro a publié une étude sur Avastin et Lucentis. Néanmoins, la réalité s'avère plus complexe que l'article le laisse penser, les formes n'étant pas les mêmes.

M. François Autain, président. - Pour l'Avastin, on note une différence de 1 à 40.

M. Xavier Bertrand. - Certes, mais on ne parle pas de la même chose.

Le Ceps répond à un principe de prix-volume. Certains jugent que la question est discutée de manière insuffisamment transparente. Un rapport est rendu chaque année aux assemblées parlementaires. J'ignore si une audition des responsables a lieu dans le même temps.

M. François Autain, président. - Non, il n'y en a pas.

M. Xavier Bertrand. - C'est dommage. Yves Bur affirme notamment qu'il les reçoit en audition chaque année. Si je souhaite une réforme en profondeur, c'est parce que certaines réponses ne me satisfont pas.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quel bilan tirez-vous des mesures de régulation du prix du médicament en France et du rôle joué par le Ceps ? Selon vous, la procédure du dépôt de prix ne conduit-elle pas au renchérissement de médicaments innovants ?

M. Xavier Bertrand. - S'agissant du Ceps, j'attends de savoir ce que vous nous proposerez en la matière et de prendre connaissance du rapport que rendra Edouard Couty.

A l'étranger, le mode de régulation des prix est présenté comme un atout du système. En France, nous disposons de l'accès à l'innovation et au médicament. Notre système n'est pas mauvais en matière de fixation des prix, mais il nécessite davantage de réactivité et de transparence, même si des accords ont été noués avec l'industrie, notamment sur le prix-volume.

MM. Johanet et Renaudin, avec lesquels nous travaillons, sont de vrais serviteurs de l'Etat. Leur travail prend à la fois en compte les impératifs économiques et thérapeutiques (faire partager l'innovation).

Enfin, je n'ai pas le sentiment que les médicaments innovants soient plus chers en France qu'à l'étranger.

M. François Autain, président. - Il semblerait pourtant que ce soit le cas. C'est l'inverse pour les produits ASMR V, qui s'avèrent globalement moins chers.

M. Xavier Bertrand. - Vos propos sont contraires à ceux que me tient ma conseillère du médicament. Cela fait des années que vous nous affirmez que le système doit être modifié, ce que j'entends. Il ne faut toutefois pas que nous donnions le sentiment que le système est détestable.

M. François Autain, président. - Je n'ai pas dit cela.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Revenons à la question des agences. Faut-il renforcer les contrôles administratifs qui s'exercent sur le fonctionnement interne des services des agences sanitaires ? Comment ? Des bilans réguliers de ces contrôles qui pourraient être adressés au Parlement doivent-ils être effectués ? Le Parlement doit-il exercer une mission de contrôle ? En me rendant à l'Afssaps, j'ai regretté de constater que nous assumions notre mission de contrôle en période de crise.

Le mode de financement des agences sanitaires doit-il être réformé ? Le financement de l'AFSSAPS par une dotation budgétaire représente-t-il une solution crédible dès lors que l'Etat a progressivement réduit sa contribution existante à néant ?

M. Xavier Bertrand. - L'Etat a réduit sa contribution, car il avait décidé d'un autre choix, celui de solliciter l'industrie. Même s'il s'agit de simples contributions, il y aura toujours des personnes pour affirmer que l'Afssaps est financée par l'industrie. Je suis persuadé que le raccourci sera fait.

Tant que l'Afssaps sera directement financée par l'industrie, on lui reprochera de ne pas être indépendante. Personne n'effectuera de travail de pédagogie. En effet, ceux qui tenteraient de le faire se heurteront à un système bien-pensant.

J'ai proposé le versement d'une taxe à l'Etat, qui garantira le financement de l'Afssaps.

M. François Autain, président. - Il pourrait également s'agir d'un fonds.

M. Xavier Bertrand. - Je ne suis pas certain que ceci soit préférable. Tel est le choix que je ferai.

Chaque année, le ministre de la santé devra se montrer très vigilant et efficace pour garantir le fonctionnement complet de l'Afssaps.

Nous ferons ce choix car dans le cas contraire, on nous reprochera de ne pas être indépendants. Les arbitrages budgétaires devront être effectués avec la plus grande vigilance.

Par ailleurs, il a manqué à l'Afssaps des contrôles internes des agences. Seuls des contrôles internes efficaces et des contrôles externes réguliers garantissent une réelle efficacité. Nous examinons actuellement la maturité des dispositifs de contrôle internes.

Il convient également que nous étudiions la gouvernance et le pilotage de la maîtrise des risques au sein de chaque établissement, ainsi que la maîtrise des risques par rapport aux objectifs opérationnels de chaque agence.

Je souhaite que les parlementaires soient davantage représentés dans les conseils des agences. Cela induira des responsabilités supplémentaires.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - En nous rendant en Italie, nous avons été étonnés de constater que la commission de la santé du Sénat italien assumait chaque année une mission de contrôle des services de santé et de l'Etat à partir d'une thématique particulière. Nous nous devons d'assumer cette mission de contrôle.

S'agissant de l'expertise, des propositions ont déjà été formulées, relatives à la mise en place d'un corps d'experts professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) restreint. L'expertise doit-elle être réservée aux PU-PH ? Doit-il comporter un corps d'experts très restreint de 15 à 20 personnes, s'appuyant sur une expertise externe en fonction des domaines à traiter ? Comment réagissez-vous aux propositions du rapport Debré-Even en la matière ?

M. Xavier Bertrand. - Ce rapport, intéressant, me donne un éclairage complémentaire sur le travail des missions. Je n'ai jamais eu le sentiment qu'il existait une concurrence par rapport à ce travail. Il faut s'attacher au concept de compétence et d'indépendance des experts avant même de s'intéresser au statut.

Si la proposition a du sens, je ne suis pas certain qu'il fasse la réserver uniquement à des PU-PH. En revanche, il convient de renforcer l'expertise interne. Cela nous engagera d'ailleurs dans des dépenses supplémentaires.

Comme pour la pharmacovigilance, la qualité et la quantité de la formation seront d'importance. La discipline de la pharmacovigilance nécessite d'être valorisée. Pour certaines pathologies nouvelles, il sera compliqué de trouver des experts indépendants.

Quelles sont les personnes qui peuvent parler le mieux d'un nouveau traitement ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Ce sont celles qui se trouvent dans les centres d'investigation clinique.

M. Xavier Bertrand. - Par qui ces centres sont-ils financés ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Leur financement s'effectue en liaison avec les laboratoires.

M. Xavier Bertrand. - Tout à fait. Les centres d'investigation clinique sont financés par l'industrie.

M. François Autain, président. - L'industrie paie-t-elle le temps passé par les professeurs, les infirmières, etc. ?

M. Xavier Bertrand. - Il ne s'agit pas de cela, mais d'une nouvelle pathologie. Pour disposer d'une réelle expertise, il est nécessaire de faire appel à des personnes ayant travaillé sur le sujet depuis quelque temps. Or les centres d'investigation sont en partie financés par l'industrie.

Dans ce cas, il faut définir clairement les rôles, le niveau d'indépendance et faire la différence entre l'expertise et la décision. L'expert sur ces questions ne doit pas participer à la décision. Toutefois, en prenant la décision, on doit garder à l'esprit que celui qui a éclairé a un lien.

La notion de conflit d'intérêts devra être définie très clairement. Ainsi, il sera possible d'établir les liens d'intérêts. Cependant, dans certains cas, le fait de ne pas vouloir entendre parler de ceux qui ont le moindre lien avec l'industrie pourra engendrer des difficultés. Sur ce plan, les marges de progrès s'avèrent très importantes.

Par ailleurs, les commissions sont trop nombreuses et comprennent trop de membres. Il convient de resserrer ces effectifs, ce qui permettra aux experts indépendants d'avoir davantage de place et de poids.

Mme Marie-Christine Blandin. - Entre les experts « sachants », qui ont des liens très étroits du fait de leur travail d'investigation, et les personnes extérieures, qui ne maîtrisent pas le sujet, il existe un niveau d'expertise indépendant intermédiaire qui vérifie la qualité des protocoles. Ainsi, dans des expertises sur d'autres sujets, ils peuvent pointer des lacunes d'investigation : ils n'ont pas besoin d'être spécialistes du sujet, mais vérifient la qualité des protocoles.

M. Xavier Bertrand. - Je ne suis pas opposé à cela. La mise en place d'une transposition (forme de Sunshine Act) apportera davantage de garanties. J'appelle à beaucoup de pédagogie en la matière. Ce n'est pas parce qu'une personne effectue des travaux dans un centre d'investigation clinique qu'elle est disqualifiée pour parler du reste.

M. François Autain, président. - Il faut effectivement effectuer une distinction entre les commissions qui décident ou émettent des avis et les groupes de travail qui instruisent un dossier, qui sont au nombre d'une trentaine sur le médicament à l'Afssaps. Ces groupes de travail fonctionnent comme devraient fonctionner les commissions, en veillant à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts. Lorsque le conflit d'intérêts ne peut être évité, il faut accepter que l'expert instruise le dossier et en donner les raisons.

S'agissant des commissions, au nombre de quatre (AMM, pharmacovigilance, publicité et transparence), il est concevable que les experts qui y participent n'aient pas de lien d'intérêts. Ceux-ci se déterminent en fonction de dossiers qui ont été préparés par des experts ayant des liens d'intérêts, mais particulièrement compétents.

Récemment, le professeur Vittecoq, président de l'AMM, s'est prononcée sur les hormones de croissance. Il n'est pas spécialiste du domaine, mais doit néanmoins formuler un avis, tout à fait recevable et autorisé.

M. Xavier Bertrand. - Vos propos font très plaisir à un ministre de la santé qui n'est pas médecin : il n'est pas nécessaire d'avoir une expertise médicale pour être ministre de la santé.

M. François Autain, président. - Oui. J'ai d'ailleurs proposé que les présidents de ces commissions ou des groupes de travail ne soient pas issus du milieu médical. Cette proposition avait reçu l'agrément du professeur Degos. Nous l'avons donc intégrée dans le rapport. Cette recommandation n'a malheureusement pas reçu d'application.

Nous souhaitons également que ces commissions soient ouvertes non seulement aux PU-PH, mais également aux professionnels de santé non-PU-PH, à des scientifiques non-médecins et à des membres de la société civile.

Ces propositions sont d'ailleurs conformes à celles qui figurent dans les cinq rapports thématiques qui ont été récemment rendus publics par l'Igas.

M. Xavier Bertrand. - Vous évoquez la place de la société civile, la question du statut des lanceurs d'alertes et la place des représentants des usagers. A l'Afssaps, on compte plus d'une cinquantaine de groupes de travail : leur nombre, ainsi que le nombre de leurs membres, sont trop importants. Il ne faut pas développer un sentiment de dilution de la responsabilité. Je souhaite que nous puissions parler de ces sujets pour développer une vision commune.

Ce nombre doit être réduit pour réaffirmer des objectifs et des priorités. Par ailleurs, il sera ainsi plus facile de faire respecter les textes. Nous ne partons pas de rien en matière de déclaration d'intérêts.

Rappelez-vous de l'épisode cité par le rapport de l'Igas : un professeur de Saint-Louis, qui n'était jamais venu à une réunion, s'y est rendu le jour de l'examen du médicament. Ceci était tellement outrancier qu'on lui a demandé de partir. Dans combien de cas la réunion commence-t-elle alors même que quelqu'un est frappé par un conflit d'intérêts potentiel ? Faire adopter un texte est une chose, le faire respecter est au moins aussi important.

Tant que les groupes seront aussi nombreux, la question sera compliquée. Le Sunshine Act, déclaration annuelle, donnera certes davantage de visibilité. Toutefois, il conviendra également de procéder à des vérifications.

M. François Autain, président. - Peut-être faudra-t-il prévoir des sanctions le cas échéant.

M. Xavier Bertrand. - Dans le financement d'associations de patients, on ne déclare pas le montant versé sans qu'il y ait de sanction ; il ne faut pas s'étonner que cela ne soit pas respecté. Le Sunshine Act comprend déclaration et sanction.

M. François Autain, président. - Dans les réunions de la commission de l'AMM, 30 % des experts se trouvent en situation de conflit d'intérêts et ne quittent pas la séance. La situation s'est toutefois améliorée, puisqu'il y a trois ans, ils étaient 90 %.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Monsieur le ministre, le cadre européen de mise sur le marché des médicaments vous paraît-il garantir suffisamment la sécurité sanitaire ? Doit-il évoluer ? Si oui, quelles sont les propositions de la France dans le cadre de l'élaboration de la nouvelle directive en la matière ? Allez-vous formuler des propositions au niveau européen ? Incitez-vous les parlementaires européens à se mobiliser en la matière ?

M. Xavier Bertrand. - Je souhaite rencontrer les parlementaires européens chargés de la politique du médicament afin d'expliquer quels sont nos buts avec les Assises du médicament. J'attends de rendre le rapport des Assises pour pouvoir les rencontrer. Le commissaire Dalli se montre très allant sur les réformes à venir.

Nous sommes pionniers dans l'application de certaines mesures de la directive européenne sur la pharmacovigilance. La notification des effets indésirables auprès des autorités de santé et la publication des listes font également partie des aspects importants. Le commissaire Dalli se présente comme très volontaire sur ces questions.

Les laboratoires ne doivent pas nous donner le sentiment qu'ils choisissent entre l'AMM au niveau national et au niveau européen. Nous devons éclairer ce point afin de donner davantage de garanties aux patients.

Ma logique n'est pas franco-française. Lors de la réunion informelle des ministres en Hongrie, j'ai constaté beaucoup d'attention dans la salle. Peu de gens pensent que le sujet du Mediator n'est que franco-français et qu'il ne pourrait pas survenir dans un autre pays. Il est vrai que les Italiens et les Espagnols ont réagi autrement. Les laboratoires Servier allèguent que c'est pour des raisons commerciales. Nous devons faire la lumière à ce sujet.

Lorsque c'est un laboratoire qui retire un produit du marché, et non les autorités de santé, tout doit être officiellement notifié à tous.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Un rapport vous a été remis par M. Alain-Michel Ceretti et Mme Laure Albertini, qui préconise l'introduction des actions de groupe en matière sanitaire dans notre législation. Quels en seraient les avantages et les inconvénients ?

M. Xavier Bertrand. - L'introduction des actions de groupe ne se pose pas seulement en matière sanitaire. Dans le domaine sanitaire, un fonds Mediator spécifique créé par la loi apporterait davantage de garanties d'une indemnisation juste et rapide. Même une class action ne donne pas la garantie d'une plus grande rapidité.

M. François Autain, président. - Sauf si l'on ne va pas jusqu'au procès, comme c'est le cas aux Etats-Unis.

M. Xavier Bertrand. - Cela dépend de l'interlocuteur. Dans certaines cultures judiciaires, la transaction constitue un élément clé. La logique française est différente.

L'indemnisation par le fonds Mediator laissera toutefois la possibilité de mener une action en justice.

Par ailleurs, nous pouvons davantage renforcer la protection des consommateurs. S'agissant des actions de groupe en matière sanitaire, je souhaiterais que l'on me fasse la démonstration d'une plus grande rapidité d'indemnisation.

M. François Autain, président. - Dans ce cas, un fonds pérenne devrait être mis en place, qui ne soit pas seulement affecté au Mediator, mais destiné à faire face à toutes les futures affaires (en espérant qu'il n'y en aura pas).

M. Xavier Bertrand. - Monsieur le Ministre, c'est à cela que répond l'Oniam.

M. François Autain, président. - Certes, mais peut-être faudrait-il imaginer un complément. Je pense à un fonds qui soit alimenté par les laboratoires, en fonction de critères qui tiendraient au caractère accidentogène de médicaments ou de spécialités. Nous pourrions imaginer le versement d'une cotisation par les laboratoires, qui permettrait de créer un fonds pérenne et de faire face à tous les accidents médicamenteux. Cela rendrait alors peut-être inutiles les class actions.

M. Xavier Bertrand. - D'un autre côté, en cas d'accident médical du fait d'un hôpital...

M. François Autain, président. - Je fais ici référence au médicament.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Oui, mais comment différencier un accident médical médicamenteux d'un accident hospitalier ou d'une infection nosocomiale ?

M. Xavier Bertrand. - Je n'ai rien à ajouter à ce que vient de dire Mme Hermange.

M. François Autain, président. - Cela mérite toutefois débat.

M. Xavier Bertrand. - Il convient de réexaminer la place de l'Oniam, car il apporte une réelle solution. Faut-il lui octroyer davantage de moyens ? Heureusement que l'Oniam et la loi Kouchner existent. D'ailleurs, contrairement à ce que pensent certains, il ne s'agit pas d'une loi d'exception, mais d'une loi de la République. Si nous ne mettons pas en place ce fonds, je ne vois pas quelles garanties d'indemnisation nous pouvons apporter.

M. François Autain, président. - Créons un fonds du médicament.

M. Jacky Le Menn. - Monsieur le ministre, vous avez affirmé que la place du politique devait être revisitée. Je suis assez d'accord avec cette position. Nous avons toutefois assisté à d'autres auditions de ministres qui ne se trouvaient pas sur cette ligne. Ils opposaient des objections, notamment sur les modalités de saisine du ministre, sur le cabinet du ministre, etc.

Pouvez-vous être plus précis sur ces questions afin que nous comprenions comment cette réimplication sous l'angle politique peut être mise en place ?

Par ailleurs, comment la place du politique par rapport aux agences est-elle envisagée dans les autres pays européens ?

M. Xavier Bertrand. - Les autres pays estiment que la France a une situation satisfaisante. Quant à nous, nous portons un regard nécessairement plus critique sur notre pays, en particulier à cause du drame du Mediator. Lors de la réunion informelle sur la santé en Hongrie, j'ai rarement constaté un tel niveau d'attention, en particulier lorsque j'ai expliqué ce qui s'était produit, les défaillances et les propositions nécessaires : ceci prouve bien que personne ne peut penser qu'il n'a rien à changer. Les pays scandinaves ont une culture plus ancienne concernant les agences.

Je pense qu'un comité stratégique de la politique des produits de santé devrait être mis en place, sous l'égide du ministre de la santé. Par ailleurs, davantage d'informations doivent lui être officiellement destinées, qu'elles soient publiques ou non. Il vaut mieux connaître les informations et prendre les décisions qui s'imposent plutôt que de laisser les informations circuler.

Pour l'Actos, M. Maraninchi m'a fait une proposition. Parce qu'il connaît le sujet, nous avons pu prendre la décision de diffuser une information le 19 avril ; nous n'avions pas à attendre plus d'un mois et demi. A partir de six ou neuf mois, je décide de ne pas attendre la décision de l'Europe ; cette décision relève de ma responsabilité.

Il nous faut bâtir un système qui, parce qu'il remonte l'information aux ministres, protège davantage les politiques. Il ne doit pas dépendre autant du degré de vigilance d'hommes politiques ou de responsables de la santé. Dans le cadre de la réforme, il nous faudra modéliser les systèmes d'alerte et la manière de demander des avis extérieurs.

La crise du Mediator est en train de transformer la relation des Français avec le médicament. Nous sommes le premier pays en Europe dans la consommation de médicaments par habitant. Ce changement ne se réalise pas sur des bases idéales. Les gens ont pris un réflexe de méfiance vis-à-vis de certains médicaments. Je souhaite que nous modifiions les rapports des Français aux médicaments sur des bases saines. Nous devons également dépasser les clivages politiques.

M. François Autain, président. - Je me reconnais dans votre intervention. Le 15 janvier, vous avez repris des propositions que nous faisons depuis des années.

M. Xavier Bertrand. - Nous devons à présent agir. Un retour d'expérience est nécessaire sur tous les sujets. Lorsque la pression médiatique retombe, les responsables font une sorte de « zapping ». Je l'ai dit tout à l'heure à l'Assemblée nationale au sujet de la bactérie. C'est la deuxième ou troisième fois qu'il en est question : lorsque l'affaire sera terminée, il ne faut pas que notre intérêt retombe. Je souhaite que nous lancions un programme de recherche avec l'OMS et l'Union européenne pour ne pas être pris au dépourvu lorsque le cas se présentera à nouveau.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Sur ce sujet, il sera difficile de mettre en place un système qui ne soit pas trop bureaucratique.

Je souhaite revenir sur l'Oniam, qui récupère environ 70 % des dépenses faites sur les risques médicaux. Ne pourrions-nous pas imaginer, plutôt que la réparation, un système de mutualisation (faire payer peu, mais sur tous les médicaments, une assurance pour les risques encourus par leur usage) ?

M. Xavier Bertrand. - Je comprends votre idée, mais je ne souhaite pas que nous donnions le sentiment que la responsabilité peut être dissoute. Nous devons pouvoir mieux faire que les 70 %.

L'Oniam occupe une place de plus en plus importante. Je ne suis pas certain qu'un problème de ressources se pose à ce sujet.

Toutefois, une mutualisation qui concernerait l'ensemble des médicaments reviendrait à occulter ce qui a trait aux établissements et donnerait le sentiment que tous devraient participer. Or, selon l'idée développée par l'Oniam, c'est le responsable qui doit payer.

M. François Autain, président. - Auprès de vous, monsieur le ministre, on compte un grand nombre de commissions (25) dans le domaine de la santé. Or, nous avions observé l'an dernier que même si les experts de ces commissions devaient faire des déclarations publiques d'intérêts, ils ne les faisaient pas dans la pratique.

Si j'en crois le récent rapport de l'Igas sur l'expertise paru en avril 2011, les experts de ces commissions ne rendent toujours pas publiques leurs déclarations d'intérêts. Pour quelles raisons cela n'est-il pas encore effectif ?

M. Xavier Bertrand. - En cas de manquement à l'obligation, il faut qu'il y ait sanction. Nous ne pouvons plus transiger à ce sujet.

M. François Autain, président. - La législation n'est pas appliquée. Allez-vous faire le nécessaire ?

M. Xavier Bertrand. - Oui. Soit le système s'applique partout et pour tous, soit il est inutile.

M. François Autain, président. - Pensez-vous que les conseillers de la présidence de la République doivent faire une déclaration publique d'intérêts ?

M. Xavier Bertrand. - Je pense effectivement qu'ils doivent le faire.

M. François Autain, président. - Le Professeur Munich doit-il ainsi faire une déclaration publique d'intérêts ?

M. Xavier Bertrand. - Si la circulaire s'applique à lui, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement. Vous avez certainement des raisons de le cibler.

M. François Autain, président. - Je l'ai cité car peu de médecins figurent parmi les conseillers du Président de la République.

M. Xavier Bertrand. - Oui. Vous m'avez posé cette question avec un sourire. Il est bon d'avoir un conseiller pour l'enseignement supérieur et la recherche qui soit PU-PH. J'en ai d'ailleurs un à mon cabinet. Souhaitez-vous qu'il n'y ait plus de PU-PH dans les cabinets ?

M. François Autain, président. - Si je parle de ce professeur, c'est parce qu'il m'a invité à une réunion qu'il organisait la semaine dernière avec le laboratoire Novartis. Je n'ai pas pu ou voulu m'y rendre, c'est pourquoi ce nom est sorti ; je vous prie de m'en excuser.

M. Xavier Bertrand. - Je ne crois pas au hasard vous concernant. Etait-ce lui l'organisateur de cette manifestation ?

M. François Autain, président. - C'est sans doute Novartis qui en est l'organisateur et qui a invité le professeur.

M. Xavier Bertrand. - Si le professeur Munich s'engage au cabinet, c'est parce qu'il pense qu'il peut faire oeuvre utile.

M. François Autain, président. - Je n'ai pas dit le contraire. Je n'ai pas pris n'importe quel nom : il s'agit du conseiller à la présidence de la République.

M. Xavier Bertrand. - Selon vous, le professeur en viendrait à coorganiser un événement avec Novartis ?

M. François Autain, président. - Il faut le vérifier. Quoi qu'il en soit, il existe bel et bien une collaboration entre Novartis et lui à l'occasion de cette grande réunion.

M. Xavier Bertrand. - Revenons aux PU-PH. Un article du Canard enchaîné affirmait qu'au cours de mes précédentes fonctions, deux collaborateurs qui travaillaient au cabinet de Philippe Bas avaient mené en tant que PU-PH des programmes de recherche avec le laboratoire Servier. Ce n'était pas qu'avec le laboratoire Servier, mais avec sept laboratoires.

Comme par hasard, en pleine affaire Mediator, seul Servier a été cité. J'ai donc décidé d'anticiper les recommandations et de demander à mes collaborateurs de remplir des déclarations d'intérêts, afin que la situation soit clarifiée. Je l'ai fait pour éviter ce type de confusions. Je suis preneur d'une copie de votre invitation.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Monsieur le ministre, des PU-PH doivent-ils avoir des centres d'investigation clinique ? Ils sont en effet tenus d'effectuer des essais cliniques.

Mme Virginie Klès. - Il est beaucoup question du conflit d'intérêts positif, mais qu'en est-il du conflit d'intérêts indirect ou négatif ? Je pense par exemple au cas d'une personne travaillant dans une entreprise concurrente, notamment en matière de pathologies nouvelles et de médicament innovants, qui aura intérêt à ce qu'un médicament réellement innovant ne soit pas pris pour ce qu'il est ou dévalorisé. Peut-être assisterons-nous à une guerre des laboratoires, qui mènera à une confusion totale.

Le problème du conflit d'intérêts étant extrêmement complexe à résoudre, pourquoi ne pas mettre en place un ordre d'experts indépendants, fonctionnarisés le cas échéant, qui analyseront les expérimentations en toute indépendance ? Je pense qu'il n'est pas nécessaire qu'ils soient très nombreux.

M. Xavier Bertrand. - La question de la création d'un organisme supplémentaire portant sur les conflits d'intérêts devra être tranchée avant l'été. S'agira-t-il d'un organisme de centralisation ou demandera-t-on à chaque autorité de centraliser des informations et de les rendre publiques sur son site ? Cela signifierait que les personnes qui sont censées procéder à une analyse pourraient aussi examiner qui siège et quels sont les liens.

L'analyse du produit et des compétiteurs doit être retenue. Il faudra également examiner la question des liens avec d'autres laboratoires, susceptible de fonder leurs décisions dans un sens ou un autre.

L'Assemblée nationale souhaite se doter d'un déontologue. Faut-il le faire dans le domaine de la santé ? Pour pouvoir tout valider, leur nombre devra être important.

Des éléments vont faciliter les procédures, notamment la diffusion de verbatims, et non de comptes rendus très synthétiques. La décision avait posé problème à l'Afssaps, notamment au moment où le nombre de victimes avait été évoqué. Le chiffre de 2 000 avait été donné verbalement. Le compte rendu n'avait alors pas été établi en temps et en heure, et ce ne sont pas les verbatims qui étaient repris. A l'époque, il n'était pas question d'enregistrement audio et vidéo.

Plus nous serons précis, transparents et immédiats, moins ce type de problèmes se posera. Je suis d'accord avec vous : la question du conflit d'intérêts positif et négatif doit être prise en compte. J'ignore en revanche si cela doit avoir lieu dans un organisme séparé ou dans chaque organisme, avec des modalités renforcées et une transparence totale.

M. François Autain, président. - Nous vous ferons des propositions, monsieur le ministre.

M. Jean-Louis Lorrain. - Ma réaction est quelque peu épidermique à l'évocation du mot « déontologue ». Ce type de profession m'inquiète, étant donné que nous souhaitons depuis longtemps que l'éthique soit reconnue comme une matière universitaire. Malheureusement, ceci s'avère très difficile. Ce sont les grandes entreprises qui fabriquent les déontologues ; je m'inquiète que l'on modélise l'éthique.

Avons-nous suffisamment évoqué le rôle des personnes qui prescrivent hors AMM ?

Par ailleurs, s'agissant de la formation continue des médecins, nous souhaiterions une distanciation des laboratoires, même s'il convient de tenir compte du rôle qu'ils jouent.

M. Xavier Bertrand. - J'ai retenu les décrets sur le développement professionnel continu (DPC), qui étaient presque finalisés lorsque je suis arrivé. Je jugeais incohérent de favoriser le développement professionnel des médecins tout en souhaitant établir les Assises du médicament. J'ai donc tout bloqué et prorogé les systèmes existants.

Par ailleurs, que faire pour la visite médicale ? Le nombre de visiteurs médicaux a singulièrement baissé ; leur rôle était très encadré depuis l'établissement d'une charte.

M. François Autain, président. - Vous exagérez : selon la HAS, cette charte n'a été d'aucune utilité.

M. Xavier Bertrand. - Ce n'est pas l'avis qui m'a été donné par la HAS. Je prendrai connaissance de vos auditions. Nous devons veiller à ce que les visiteurs médicaux appliquent la politique décidée par les entreprises elles-mêmes.

Le hors AMM doit obéir à des règles précises. Je n'ai pas l'intention de le supprimer, en raison des maladies rares ; ce ne sera pas sans poser certains problèmes.

La HAS doit améliorer la qualité des recommandations hors AMM. Nous devons lutter contre les prescriptions hors AMM non justifiées. Pour cela, il faut jouer sur les logiciels d'aide à la prescription.

Nous pourrions mettre en place davantage de contrôle et de sanctions : les prescriptions hors AMM non protocolisées ou non encadrées pourraient ainsi être examinées en priorité. Les recommandations non protocolisées ou non encadrées ne donneraient pas lieu à une recommandation de la HAS.

Le fait de les interdire complètement pourrait s'avérer gênant pour les patients dans certains cas. Dans l'affaire du Mediator, le système est allé très loin. Qui est véritablement responsable ?

M. François Autain, président. - Les prescriptions avérées, reconnues et encadrées ne pourraient-elles faire l'objet de la part de l'Afssaps d'une modification de l'AMM contre l'avis du laboratoire ? Ainsi, on ne pourrait pas prendre n'importe quelle prescription hors AMM.

M. Xavier Bertrand. - Le produit appartient au laboratoire ; dans ce cas, il faudrait changer l'indication post AMM. Le laboratoire pourrait-il s'y opposer juridiquement, eu égard au droit de propriété ?

Par ailleurs, qu'en est-il de la responsabilité de la pharmacovigilance dans la nouvelle indication ? Est-ce la responsabilité liée au produit, qui est celle du fabricant, ou celle de l'Afssaps ?

M. François Autain, président. - Nous allons en rester là sur ce sujet. J'ai appris en lisant les rapports thématiques de l'Igas qu'il existait une charte de l'expertise en santé publique, adoptée le 28 juillet 2010 par le Casa, qui serait en cours en validation dans le cabinet du ministre. Pouvez-vous me le confirmer ? Avez-vous l'intention de rendre cette charte publique ?

M. Xavier Bertrand. - Serait-elle en validation depuis mars 2010 ?

M. François Autain, président. - Le 28 janvier 2010, elle a été adoptée par le Casa ; la mission indique qu'au moment où elle a réalisé son enquête (soit fin 2010-début 2011), on lui a répondu que la charte était en cours de validation au cabinet. Il serait intéressant que cette charte soit rendue publique. Peut-être attendez-vous, de la même manière que pour les décrets.

M. Xavier Bertrand. - Non. Cette charte de validation ne m'a pas encore été présentée. Je vérifierai ce point en rentrant afin que nous puissions vous en informer.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Monsieur le ministre, j'ai une dernière question à vous poser, sur un sujet annexe, mais qui m'a préoccupé à partir d'un cas concret. Il a été dit à une personne en phase terminale d'un cancer, à laquelle un traitement très puissant avait été appliqué, qu'il existait une nouvelle molécule en essai clinique. Faut-il prendre en compte, dans ces conditions, le risque du placebo ? La famille s'interroge et se demande si c'est la molécule ou le placebo qui a été donné ; elle a signé un consentement. Faut-il prendre en compte le risque placebo ?

M. Xavier Bertrand. - Seul un clinicien peut vous répondre, non un ministre.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Il s'agit d'un réel sujet pour des personnes en phase terminale, ou du moins pour leur famille.

M. Xavier Bertrand. - Etant donné qu'il s'agit d'un choix de la famille, qui intègre la responsabilité du clinicien, en quoi un ministre devrait-il figer des mesures ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Je souhaitais soulever cette question, car elle m'a été posée il y a quinze jours. Elle a pour but de vous interpeller sur une situation qui peut s'avérer gênante. Je vous transmettrai le cas.

M. Xavier Bertrand. - On m'a parfois demandé de m'assurer que l'Afssaps avait bien reçu une demande d'ATU. Ces cas sont toujours traités très rapidement. J'ai été témoin de cas qui ont permis d'obtenir des effets spectaculaires sur les patients ; le clinicien n'a jamais envisagé de le faire contre placebo.

La décision « régalienne » ne relève pas du ministre, mais du clinicien. Même s'il existe des protocoles, des recommandations et des indications, il n'y a pas deux médicaments qui produisent le même effet.

Par ailleurs, un clinicien sait pertinemment qu'un médicament, dans certaines phases terminales, peut également s'avérer dangereux pour le patient ; il peut alors opter pour le placebo. Toutefois, la plupart du temps, il tente plutôt la dernière chance de guérison.

Ceci ne relève pas de ma responsabilité, mais de celle, parfois plus importante et plus exigeante que celle du ministre, du clinicien.

M. Jean-Louis Lorrain. - Je précise que tout essai thérapeutique doit être volontaire, accepté, éclairé, et peut être arrêté à tout moment. La question du placebo ne doit pas être cachée au malade. Le malade doit en être informé, et ce dernier doit avoir la capacité d'accepter ou de refuser.

M. Xavier Bertrand. - Merci beaucoup.

M. François Autain, président. - C'est nous qui vous remercions, monsieur le ministre.

M. Xavier Bertrand. - Eu égard à la date de remise du rapport, nous serait-il possible de travailler ensemble en parallèle ? Je souhaiterais que nous examinions la manière dont les pièces du rapport du Sénat s'intégreront dans la réforme d'ensemble. Avez-vous également travaillé avec les députés ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Non. Nous avons procédé à quatre-vingt-sept auditions.

M. Xavier Bertrand. - Il ne s'agissait pas d'une question inconvenante.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Merci, monsieur le ministre.

M. François Autain, président. - Merci.