Mardi 29 mai 2012

. - Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

Audition de Mme Ellen Imbernon, directrice du département santé-travail, de M. Johan Spinosi, chargé de l'évaluation des expositions, et de Mme Béatrice Geoffroy-Perez, coordinatrice du programme Coset, de l'Institut de Veille Sanitaire (InVS)

Mme Sophie Primas, présidente. - Mesdames et Messieurs, bonjour. Nous vous remercions de participer à ces auditions menées dans le cadre de la mission commune d'information sur l'impact des pesticides sur la santé. Cette mission a été créée à la suite de l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de la Charente, à l'occasion de l'émotion suscitée par le contentieux de M. Paul François. Nous avons pour premier objectif de traiter des pesticides et de leur impact sur la santé des professionnels (fabricants, transporteurs et utilisateurs). Nous mènerons une soixantaine d'auditions jusqu'à la fin du mois de juin, au moins, auprès du monde scientifique, administratif, agricole, mais aussi de la mutualité, des fabricants de matériel et de produits phytosanitaires etc.

Nous vous avons envoyé un questionnaire. Comment appréhendez-vous la relation entre pesticides et santé ? Quels outils doit-on mettre en place pour la veille sanitaire ?

Mme Ellen Imbernon. - A la différence de M. Johan Spinosi, je ne suis pas une spécialiste des pesticides puisque notre mission, qui est consacrée à la surveillance de l'impact du travail sur la santé de la population, concerne tous les domaines de la santé et du travail. Avant la création de l'InVS, la surveillance de la santé liée au travail dans la population n'était pas organisée.

Nous n'avons que douze ans de recul. Dès l'origine, nous avons intégré le fait que l'exposition spécifique des agriculteurs pouvait influer sur leur état de santé, alors que nous ne disposions d'aucun élément précis en la matière, c'est pourquoi un programme appelé MAT phyto a été mis en place dès les années 2000.

Mme Sophie Primas, présidente. - De quel type d'exposition parlez-vous ?

Mme Ellen Imbernon. - Il s'agit de l'exposition aux produits phytosanitaires de façon générale. Les pesticides sont un terme générique, qui recouvre des produits très différents.

Mme Sophie Primas, présidente. - Pourquoi avez-vous supposé cela ?

Mme Ellen Imbernon. - Nous avions établi un catalogue des facteurs de risque professionnel susceptibles d'influer sur la santé. A cette occasion, nous nous sommes aperçus que nous ne disposions d'aucune information sur la santé de la population des agriculteurs. Il était donc important de recueillir de telles informations.

Je tiens à préciser que nous ne sommes pas des chercheurs : notre rôle n'est pas de mettre en évidence des facteurs de risque pour la santé, ou les dangers d'un produit. Sachant que tel produit est nocif pour la santé, notre rôle est d'évaluer l'impact de son utilisation sur la santé de la population. En outre, nous pouvons soulever des questions relatives à l'excès de pathologies spécifiques au sein d'un secteur particulier. Notre mission première est la surveillance, et nous contribuons également à la veille et à l'alerte.

Mme Sophie Primas, présidente. - Sur quelles données la surveillance porte-t-elle ?

Mme Ellen Imbernon. - Nous essayons, autant que possible, d'utiliser les données existantes. Par exemple, Mme Béatrice Geoffroy-Pérez travaille sur la surveillance de la mortalité des Français, selon les différents secteurs d'activité. Nous avons réalisé ce travail au sein du programme Cosmop (programme pour la surveillance de la mortalité par profession). Le secteur agricole connaît une sous-mortalité par cancer par rapport aux autres secteurs. En revanche, les accidents et suicides sont plus représentés au sein du secteur agricole. Les agriculteurs se suicident plus que les travailleurs des autres secteurs d'activité. Nous dénombrons ainsi trois fois plus de suicides chez les agriculteurs que chez les cadres.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comment expliquez-vous cette sous-mortalité du secteur agricole ?

Mme Ellen Imbernon. - La sous-mortalité par cancer du poumon est très nette. Certes, les agriculteurs manipulent des produits dangereux. Cependant, l'impact sur la mortalité globale, s'il existe, n'est pas facilement visible, du fait de la sous-consommation de tabac par les agriculteurs. Or, c'est ce cancérogène puissant qui explique la sous-mortalité par cancer du poumon par rapport aux autres populations.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous êtes donc d'accord sur ce point avec l'étude Agrican.

Mme Ellen Imbernon. - Oui, nous sommes d'accord avec les résultats de l'étude Agrican relatifs à la mortalité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Utilisez-vous les données de la carte Vitale ?

Mme Ellen Imbernon. - Oui, nous allons utiliser le Système National Inter régime d'Assurance Maladie (SNIRAM), qui regroupe l'ensemble des données relatives à la consommation de soins (médicaments, consultations, hospitalisations) de tous les régimes de sécurité sociale. Ce fichier, créé il y a dix ans, est géré par la CNAM. Nous commençons à entrevoir les possibilités d'utilisation de ce fichier dans le cadre de la surveillance épidémiologique. Bien que le principe de l'accès à ces données soit acquis, les modalités d'accès et l'utilisation de ces données sont très complexes. Mais ces données ne comportent aucun élément sur la profession des personnes. Nous devons donc extraire les informations sur la profession ailleurs, pour effectuer des croisements. C'est pourquoi nous avons imaginé le programme Coset (cohortes pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail).

En France, tous les décès et leurs causes sont enregistrés de façon exhaustive dans un registre tenu par un laboratoire de l'INSERM, le Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc). C'est à partir de ce registre que nous menons des études de mortalité par cause et par secteur d'activité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce registre est-il tenu à jour, et suffisamment précis ?

Mme Ellen Imbernon. - Oui, il enregistre tous les certificats de décès avec les diagnostics.

Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'en est-il, par exemple, d'un arrêt cardiaque ayant causé le décès ? Celui-ci peut être issu d'une situation pathologique particulière.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Le remplissage dépend de l'information source, qui est communiquée par les médecins ayant constaté le décès. Or, plus le médecin est proche de la personne, mieux il connaît l'histoire de sa maladie et est en mesure de détailler l'information. Malgré les erreurs, nous pouvons effectuer des comparaisons en fonction des situations professionnelles.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce registre comporte-t-il des informations sur la profession ?

Mme Ellen Imbernon. - Non. Toutefois, grâce aux échantillons de population constitués par l'INSEE, nous pouvons analyser les causes de décès par profession et secteur en croisant les échantillons avec ce registre.

Mme Sophie Primas, présidente. - Disposez-vous d'un système de jumelage ?

Mme Ellen Imbernon. - Nous avons un système d'appariement. L'enregistrement des causes de décès n'est pas nominatif.

Vous nous avez posé une question au sujet du volontariat dans la participation aux études, telles qu'Agrican. En France, les données sur la santé sont sensibles et requièrent une autorisation de la CNIL. Généralement, la CNIL nous demande de nous assurer que les personnes ne s'opposent pas à l'accès aux données de santé les concernant. La question du volontariat ne se pose donc pas. Nous ne pouvons pas obliger les personnes à contribuer à des travaux.

Par ailleurs, nous essayons de mettre en place des outils plus généralistes dans le cadre de la surveillance épidémiologique, tels que le programme Coset. Nous créons également des outils au titre de la surveillance des expositions, afin de retracer les expositions au cours de la vie. En effet, les maladies surviennent souvent longtemps après l'exposition.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est le cas, en particulier, pour les agriculteurs qui sont exposés aux produits durant des années. Quel travail avez-vous effectué concernant cette population ?

M. Johan Spinosi. - Nous avons mis en place des matrices cultures/expositions aux produits phytosanitaires, dans un programme appelé MAT phyto. Une matrice est une base de données. En fonction de la culture, nous pouvons obtenir l'ensemble des produits phytosanitaires qui ont été utilisés au cours des cinquante dernières années, avec des indicateurs d'exposition : probabilité d'utilisation du produit, fréquence d'utilisation (nombre de traitements appliqués sur une parcelle de culture donnée), intensité d'utilisation (quantité moyenne du pesticide considéré appliqué à chaque traitement sur la culture).

Dans la réalité, nous sommes confrontés à un manque d'information. En effet, il n'existe pas de recueil historique et exhaustif - pour tout le territoire français - des usages des pesticides. Par conséquent, nous sommes amenés à recouper un grand nombre d'informations, qu'il s'agisse des statistiques agricoles, des données techniques détenues par les services régionaux de protection des végétaux, les chambres d'agriculture, ou encore les instituts techniques agricoles. L'information obtenue est généralement assez parcellaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - N'utilisez-vous donc jamais les cahiers remplis par les agriculteurs eux-mêmes ?

M. Johan Spinosi. - Nous le pourrions, mais ces cahiers ne sont pas nécessairement tenus à jour et ceux qui les remplissent ne sont pas forcément représentatifs de l'ensemble de la profession agricole. En outre, la compilation de ces informations représenterait un travail colossal.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ces cahiers concernent-ils les exploitants ou les travailleurs agricoles ?

M. Johan Spinosi. - Ils concernent les exploitations.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelle serait la méthode de recueil idéale ?

M. Johan Spinosi. - Nous ne pouvons pas réparer les erreurs du passé. Le plan Ecophyto prévoit un certificat d'aptitude à l'usage des produits phytosanitaires, le Certiphyto. Nous pouvons penser que ce genre de permis permettra un recueil des usages de ces produits par les personnes détentrices du certificat. Cela revient à constituer un cahier, qui concernerait non seulement les applicateurs, mais aussi les vendeurs. Il est nécessaire de faciliter l'accès à ces données.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne serait-il pas souhaitable de rendre le recueil de ces données obligatoire ?

Mme Ellen Imbernon. - Certains pays, comme la Finlande, ont constitué des registres d'exposition.

M. Johan Spinosi. - La Californie le fait aussi. Cela reste une démarche complexe.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les cahiers remplis par certains agriculteurs, bien que non représentatifs de l'ensemble de la population agricole, ne pourraient-ils cependant être repris dans des matrices informatiques à des fins d'utilisation par l'InVS ?

M. Johan Spinosi. - Tout à fait.

M. Henri Tandonnet. - A l'heure actuelle, il s'agit de cahiers d'exploitation et non des cahiers tenus par les utilisateurs du produit.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il reste alors à savoir qui a travaillé sur la parcelle le jour du remplissage du cahier ...

Mme Ellen Imbernon. - On a recours à des évaluations indirectes, grâce aux matrices qui sont indépendantes des individus. Elles permettent d'avoir des informations moyennes par culture dans des grandes populations. Cela est suffisant pour une utilisation épidémiologique.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne faudrait-il pas disposer d'un recueil des usages individuels des pesticides ?

Mme Ellen Imbernon. - Avec un tel recueil, nous n'aurions pas besoin d'une matrice, et les informations seraient plus précises.

M. Johan Spinosi. - Si nous menions une étude épidémiologique sur une zone donnée, les carnets, bien que non représentatifs, auraient tout leur intérêt.

Mme Ellen Imbernon. - La traçabilité des expositions est valable non seulement pour les agriculteurs, mais aussi pour les autres catégories de salariés. L'idée de carnets individuels d'exposition a été rejetée car les organismes représentatifs des travailleurs demandaient des garanties pour que cette information ne soit pas utilisée à l'encontre de la personne, notamment lors d'une embauche. Les syndicats de travailleurs n'étaient pas très favorables à un tel dispositif. Il faudrait que ces informations soient détenues par un organisme garant de la confidentialité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous nous dîtes que vous rencontrez des difficultés à obtenir des informations cohérentes.

M. Johan Spinosi. - En effet. Soit ces informations n'existent pas car elles sont parcellaires, soit elles existent mais il est difficile de les obtenir, ou de motiver d'autres instances pour participer aux travaux.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quelles sont vos conclusions, sur la base des éléments dont vous disposez aujourd'hui ?

M. Johan Spinosi. - Pour ma part, je ne réalise que l'évaluation des expositions. Je ne peux donc pas établir de lien avec une pathologie, qui est l'objet de Coset.

Le ministère de l'agriculture possède un grand nombre d'informations sur les pesticides, notamment au travers des dossiers d'homologation des produits. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de retracer de façon historique les produits qui ont été autorisés en France. Nous ne disposons que d'informations parcellaires sur une période courte. Il n'existe pas de recensement général des usages autorisés et des indicateurs d'exposition.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pensez-vous que ces éléments participent à ce qui est connu comme la « fabrique du doute » ?

M. Johan Spinosi. - L'évaluation des expositions dans les études épidémiologiques est effectivement un souci majeur, pour mettre en lumière un éventuel lien entre pesticides et santé.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pour amoindrir les doutes, il serait donc nécessaire de recueillir les usages des pesticides ?

M. Johan Spinosi. - Ce serait un bon début.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quels autres éléments envisagez-vous ?

M. Johan Spinosi. - L'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) interroge un groupe de personnes représentatif des exploitations sur les usages des pesticides au cours de la campagne agricole étudiée. Ce sont des données privées. Nous avions commencé à échanger sur l'éventualité d'obtenir ce type d'information. A ce jour, le processus n'a pas abouti.

Mme Ellen Imbernon. - Nous n'avons jamais pu obtenir d'informations de la part de l'UIPP.

M. Johan Spinosi. - Nous nous intéressons aux substances actives présentes dans les spécialités commerciales mais non aux solvants, conformulants ni aux impuretés. Cette information n'est pas disponible de manière automatisée.

Mme Nicole Bonnefoy. - Vous souhaiteriez récupérer des données, auprès de l'UIPP notamment, pour lutter contre le doute.

M. Johan Spinosi. - Il s'agirait également d'inciter l'ensemble des organismes, notamment les différents ministères, à changer leurs façons de faire. Quand nous évoquons les pesticides, le premier ministère auquel nous pensons est celui de l'agriculture.

Mme Ellen Imbernon. - J'ai rendez-vous demain après-midi avec le ministère de l'agriculture.

M. Johan Spinosi. - Il convient de décloisonner les ministères.

Mme Sophie Primas, présidente. - Si j'ai bien compris, vous avez à la fois besoin de données de recensement des produits et des usages, pour mesurer et évaluer la probabilité d'exposition, et par la suite établir le lien avec les maladies. Cependant, ces données sont compilées par des organismes privés, ou par des ministères, qui sont cloisonnés.

Mme Ellen Imbernon. - Établir un lien avec des maladies revient à établir un lien avec des personnes. Coset vise à constituer un échantillon de personnes qui seront peut-être malades un jour.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Mme Ellen Imbernon évoquait précédemment le programme Cosmop, qui a pour objectif la surveillance des causes de décès selon l'activité professionnelle. Étudiant la mortalité, nous nous intéressons à la relation entre les expositions professionnelles et la santé. Coset, qui est le pendant morbidité de cette étude, est conçu comme un outil de surveillance prospectif. Plusieurs cohortes contribuent à recueillir des données prospectives concernant la santé et les expositions professionnelles d'un groupe d'actifs, représentatifs de l'ensemble des situations de travail en France. La cohorte MSA ne constitue qu'une partie de cette étude puisque des données seront également analysées concernant les travailleurs d'autres régimes. L'InVS met en place deux cohortes : une cohorte d'actifs affiliés au régime de la MSA et une cohorte d'actifs affiliés au régime des indépendants.

Il s'agit d'effectuer un suivi inter régimes. Nous avons mis en place le pilote de la cohorte Coset-MSA en 2010, auprès d'un échantillon réduit de cinq caisses. L'objectif n'est pas la recherche, mais la surveillance. Nous souhaitons décrire les situations de travail, l'état de santé, les liens déjà établis entre les deux et quantifier le poids des facteurs professionnels sur la santé. L'étude de la santé, en lien avec différents facteurs, peut permettre d'élaborer des hypothèses sur des associations. Cependant, ce programme ne vise pas à rechercher des éléments de causalité. Au contraire, il est très descriptif. C'est pourquoi il importe que l'échantillon soit représentatif. Dans le cadre de la cohorte MSA, nous avons ajouté des questions plus orientées, relatives aux pratiques professionnelles de l'agriculture. En particulier, nous croisons des éléments avec la matrice MAT phyto, pour pouvoir retracer, de manière probabiliste, les expositions professionnelles au cours de la vie entière.

Mme Ellen Imbernon. - Cet outil peut servir à repérer des éléments anormaux au sein d'une population exposée à un produit particulier, ou travaillant dans une culture particulière.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous avez donc constitué des groupes représentatifs de la population des agriculteurs. Vous en évaluez la probabilité de l'exposition, en fonction des cultures qu'ils entreprennent et de l'historique de ces cultures.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Tout à fait. Nous recueillons individuellement les périodes de travail et les cultures correspondantes. Grâce à la matrice « historisée », nous calculons des probabilités cumulées d'exposition aux produits mentionnés dans la matrice. Le recueil individuel de cet historique serait impossible. C'est pourquoi nous avons recours à des données probabilistes. Cela nous permet de réaliser des évaluations de bonne qualité.

Mme Ellen Imbernon. - Cet outil ne cible pas une pathologie particulière.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons bien compris.

M. Henri Tandonnet. - Je m'étonne que votre méthode de travail ne consiste pas à rechercher les facteurs de risque importants. Affirmer que les agriculteurs meurent moins vite que les travailleurs des autres secteurs n'a pas beaucoup d'intérêt.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Notre objectif est bien de caractériser les populations à risque au sein de cette population étudiée, caractérisée par une sous-mortalité au sein de la population générale.

M. Henri Tandonnet. - Vous avez pour mission de révéler les facteurs de risque.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Nous avons effectivement pour mission de détecter éventuellement des surmorbidités.

Mme Sophie Primas, présidente. - Avez-vous commencé à détecter des surmorbidités ?

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Non. Nous venons de réaliser le pilote pour tester les procédures de recueil. Nous avons l'intention de mettre en place une cohorte à l'échelon national à la fin de l'année 2013.

Les données sont en cours d'analyse pour évaluer la qualité du recueil, dans une visée descriptive.

Mme Ellen Imbernon. - Il y a beaucoup de problèmes méthodologiques.

Pour répondre au sénateur Henri Tandonnet, nous pouvons mettre en évidence des événements qui semblent anormaux dans certaines situations. En revanche, la mise en évidence d'un facteur risque procède d'une démarche scientifique plus complexe.

M. Henri Tandonnet. - Pouvez-vous procéder à cette démarche à partir de vos alertes ?

Mme Ellen Imbernon. - Oui. Coset est un laboratoire à la disposition des chercheurs, qui peuvent prélever des individus de la cohorte pour mener des études épidémiologiques. La centralisation des données permet d'accélérer le processus.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quelle est la taille de la cohorte Coset-MSA ?

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - A l'échelle nationale, nous souhaitons suivre environ 30 000 actifs de la MSA par questionnaire. Nous complèterons ces données par une cohorte de non-répondants, c'est-à-dire d'individus tirés au sort, qui n'ont pas répondu au questionnaire. Cela nous permettra d'effectuer le redressement des données obtenues par le questionnaire. Nous devrions ainsi suivre passivement 60 000 personnes de la MSA.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quels sont les critères de représentativité ?

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - La population cible est constituée des actifs agricoles ayant été actifs au cours de l'année précédant le tirage au sort. Nous avons identifié ces personnes dans les bases retraite de la MSA, avant de les tirer au sort. Par exemple, nous avons essayé de tirer au sort autant d'exploitants que de salariés.

Mme Ellen Imbernon. - Nous avons tiré au sort les individus selon leur sexe, leur statut (exploitant/salarié), leur classe d'âge, leur site géographique...

Mme Sophie Primas, présidente. - Les avez-vous identifiés par type de culture ?

Mme Ellen Imbernon. - Non. Néanmoins, l'aspect géographique y est indirectement lié.

Mme Sophie Primas, présidente. - Certaines cultures seront nécessairement moins représentées dans la cohorte, par exemple celle des framboises. Vous ne pourrez donc pas mettre en évidence les effets des produits utilisés dans le cadre de la culture des framboises ?

Mme Ellen Imbernon. - Non, c'est trop ponctuel.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Pour évaluer des facteurs de risque aussi confidentiels, il faut réaliser des études ciblées.

Nous recueillons des informations historiques sur la santé et la profession (carrière professionnelle). Un questionnaire périodique, adressé aux individus de la cohorte, permet d'actualiser les données relatives à la situation professionnelle et à la santé.

M. Henri Tandonnet. - N'examinez-vous que le passé ?

Mme Ellen Imbernon. - Non. A partir du moment où les individus sont inscrits dans la cohorte, l'évolution de leur état de santé est enregistré.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Le suivi est effectué grâce au questionnaire et au recueil de données passives. Par informations passives, il faut entendre les données que nous pouvons obtenir des systèmes d'information administratifs de l'assurance maladie (remboursements des soins, hospitalisations, cotisations, données contractuelles) et de l'assurance retraite.

Mme Ellen Imbernon. - L'intérêt du SNIIRAM (système national d'information interrégimes de l'assurance maladie) est de suivre les données des agriculteurs qui auraient changé de régime de sécurité sociale.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - La mobilité professionnelle des salariés est élevée.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quand les résultats seront-ils disponibles ?

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Les résultats descriptifs devraient être disponibles en 2015, si nous parvenons à mener l'étude à son terme. En effet, le financement n'est pas assuré.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qui vous finance ?

Mme Ellen Imbernon. - L'État, représenté par le ministère de la santé et le ministère de l'agriculture.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quelles sont les grandes différences entre Coset et Agrican ?

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - L'étude Agrican est ciblée sur les cancers, auprès des départements qui disposent de registres des cancers. A la différence de l'étude Agrican, nous couvrons plusieurs départements et pathologies. D'ailleurs, les premiers résultats de notre étude concerneront sans doute les pathologies respiratoires, les troubles musculo-squelettiques, les pathologies relatives à la santé mentale...

M. Joël Labbé. - Étudiez-vous les enfants des agriculteurs ?

Mme Ellen Imbernon. - Pour le moment, il n'est pas prévu d'étudier l'état de santé des enfants ou les problèmes liés à la naissance. Cependant, nous pourrons intégrer par la suite un questionnaire sur ce sujet. Des études spécifiques pourraient également se greffer sur la cohorte. Des cohortes d'enfants sont par ailleurs en cours d'étude. Enfin, le département santé-environnement de l'InVS mènera une grande étude de biosurveillance pour évaluer un certain nombre de marqueurs d'imprégnation dans la population, y compris les enfants. La question des enfants pose celle de l'effet de l'exposition des parents. Cette problématique est également valable pour d'autres domaines que l'agriculture. Par exemple, des femmes ont été contaminées par l'amiante alors qu'elles n'ont jamais travaillé dans un secteur exposé. Nous avons beaucoup de mal à repérer ce type d'éléments. Il serait intéressant de poser des questions sur l'activité du conjoint.

M. Joël Labbé. - Avez-vous envisagé de coordonner l'ensemble de ces données ?

Mme Ellen Imbernon. - Nous essayons de coordonner au maximum ces travaux mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Des organismes très différents ont été créés, dont les missions se rapprochent. Par exemple, l'ANSES est chargée de s'intéresser aux dangers des produits, à travers l'étude de la littérature et la mobilisation de l'expertise. Elle ne réalise pas d'études elle-même, mais produit des informations utiles pour l'InVS qui est chargé de la surveillance de l'état de santé de la population.

Certes, nous communiquons avec les autres organismes, mais ce n'est pas toujours simple - surtout dans la période actuelle de restrictions budgétaires. Nous essayons de travailler au maximum en concertation. La réponse à la question de l'effet de l'exposition des parents sur les enfants ne sera pas disponible avant quelques temps. L'impact de ces sujets sur la société est important et ces éléments sont de nature à bouleverser le système de réparation des maladies professionnelles.

M. Joël Labbé. - Le second élément de ma question porte sur un décloisonnement à l'échelle internationale. Êtes-vous en relation avec vos homologues espagnols, allemands.. ? Existe-t-il un travail européen à ce sujet ?

Plus nous manquerons de moyens, plus nous aurons le devoir de travailler ensemble et de mutualiser nos données.

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Des échanges ont lieu dans le monde de la recherche. Cependant, la mission de l'InVS est de décrire l'état de santé de la population en France. Nous voulons apporter, par exemple, une connaissance et un éclairage sur le poids des facteurs professionnels dans la population, sans mettre en évidence de nouvelles associations. Or, le partenariat international porte davantage sur la recherche fondamentale, au travers des organismes tels que l'INSERM. Néanmoins, des échanges existent, en particulier sur les méthodes à mettre en oeuvre.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - En votre qualité de lanceurs d'alerte potentiels, souhaitez-vous nous alerter sur des éléments particuliers concernant les pesticides ?

Mme Béatrice Geoffroy-Perez. - Non. Pour l'instant, nous n'avons aucun élément à ce sujet.

Mme Ellen Imbernon. - Nous souhaitons disposer des moyens nous permettant de recueillir les données nécessaires. Il est important d'encourager les équipes de recherche dans ce domaine. J'espère que l'expertise collective de l'INSERM vous apportera des éléments scientifiques intéressants.

La question de l'effet des pesticides sur la santé n'a été soulevée que récemment et suscite encore beaucoup d'interrogations auxquelles les chercheurs tentent de répondre.

M. Joël Labbé. - Des alertes sur l'effet des pesticides ont été lancées il y a bien trente ans.

Mme Ellen Imbernon. - Nous travaillons également sur le cas de la chlordecone aux Antilles.

De nombreuses molécules ont été interdites au regard de leurs effets aigus. En revanche, les travaux menés sur les effets à long terme sont moins nombreux.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup pour cet éclairage.

Mme Ellen Imbernon. - Votre mission se préoccupe d'une vraie question. Nous devons nous intéresser à la population agricole, même si elle n'est pas la plus nombreuse parmi les travailleurs.

Audition de Monsieur Christian Huygues, directeur scientifique adjoint de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA)

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous sommes ravis de vous recevoir dans le cadre des auditions de cette mission d'information, dont l'initiative revient à Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de la Charente, suite à l'affaire des pesticides opposant M. Paul François à Monsanto. Dans le cadre de cette mission, nous avons pour premier objectif de nous informer sur le lien entre les pesticides et la santé sur l'ensemble de la chaîne professionnelle, de la production à l'utilisation, qu'elle soit agricole, occasionnelle - par les jardiniers du dimanche - ou le fait des collectivités territoriales. Il nous a semblé essentiel de vous entendre pour connaître votre point de vue sur Ecophyto 2018, savoir, peut-être, où en est la recherche relative à l'efficacité de produits phytosanitaires, et aussi être informé des alternatives sur lesquelles la recherche travaille, en matière de pesticides à destination de l'agriculture.

Mme Nicole Bonnefoy. - Un questionnaire vous a été adressé pour vous aider à vous inscrire dans le cadre de cette audition.

M. Christian Huygues. - Nous vous remercions d'avoir sollicité notre avis. Nous n'avons pu répondre à certaines de vos questions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous pourrez éventuellement nous répondre un peu plus tard.

M. Christian Huygues. - Il y a des sujets sur lesquels l'INRA ne travaille pas, où qui restent encore un point d'interrogation pour la science. Je suis directeur scientifique adjoint du secteur agriculture. Je suis généticien et ingénieur de formation. J'ai quelques connaissances en termes de sélection de la variété. Dans le cadre de l'INRA et de mes fonctions, je suis chargé de la coordination de nos travaux relatifs à Ecophyto. Je connais à peu près l'ampleur du chantier et la diversité des actions menées. Par ailleurs, j'exerce deux autres fonctions qui concernent l'action que vous abordez. En effet, je travaille au sein du comité technique paritaire de la sélection (CTPS), une instance au service du ministère de l'agriculture, qui porte sur l'inscription des variétés et la réglementation applicable aux semences. Je suis président de la section sur les fourragères et les gazons, et président du comité scientifique qui gère les appels à projets et rédige des avis pour le CTPS. En outre, je préside le comité d'orientation scientifique et technique (COST) de l'Association de coordination technique agricole (ACTA), qui chapeaute l'ensemble des instituts techniques des filières végétales et animales en France.

Dans le domaine végétal, les pesticides, ou, plus largement, la santé des cultures sont une préoccupation centrale, au regard du Grenelle de l'environnement et du défi que symbolise Ecophyto, qui vise à réduire de 50 % l'usage des pesticides. Il s'agit de rendre les productions agricoles sinon plus durables, au moins respectueuses de l'environnement, tout en maintenant la productivité et en réduisant le risque pour la santé des agriculteurs. Certes, l'une des premières raisons de l'utilisation des pesticides est la production, par la suppression des maladies des plantes. Cependant, les pesticides ont acquis une grande place dans la pratique car ils permettent, à des coûts relativement bas, de sécuriser la production. En effet, comme tout acteur économique, les agriculteurs ont une aversion au risque. L'utilisation des pesticides était donc un moyen sinon de réduire l'aversion au risque, au moins de répondre à la préoccupation relative à la sécurisation de la production.

Dans le même temps, un certain nombre d'effets potentiels de ces pesticides sur l'environnement et la santé étaient mal mesurés, mal documentés et inconnus. A visée initialement curative, l'utilisation des pesticides est devenue préventive. Ce faisant, un certain nombre de difficultés et d'impasses ont été créées, suscitant la préoccupation environnementale et sanitaire qui anime votre mission et que nous ne pouvons que partager. En outre, l'utilisation des pesticides se retourne contre l'objectif recherché. En généralisant l'utilisation de certains produits phytosanitaires, nous avons créé nos propres impasses. Aujourd'hui, se pose la question de la gestion durable de la santé des cultures : comment développer des techniques, des pratiques et des variétés à l'échelle d'un système de cultures, d'une succession culturale, voire d'un territoire agricole ? Comment réfléchir sur les pratiques et les éléments de gestion pour que le mode de protection devienne durable, pour que les moyens mis en oeuvre ne s'effondrent pas ?

Certaines variétés deviennent résistantes aux herbicides utilisés. Le dernier herbicide a été découvert il y a vingt ans. Depuis, les molécules ont été affinées mais nous n'avons pas créé de nouveau mode d'action. Nous avons donc engendré des impasses. Par conséquent, la seule solution pour éviter de créer une impasse est de concevoir des systèmes qui empêchent la constitution de résistances aux herbicides et aux systèmes associés. Cet exemple est également valable pour les insecticides, les fongicides etc. Nous devons imaginer des agricultures nouvelles pour atteindre cet objectif. Telle est la mission de l'INRA.

Le plan Ecophyto a été l'occasion pour nous de mettre nos recherches en perspective, de les traduire, les réorganiser et développer des travaux interdisciplinaires, afin de développer un nouvel outil. Les sensibilités aux maladies sont la première cause d'utilisation des produits phytosanitaires sur les blés. Les premiers travaux visant à améliorer la résistance génétique aux maladies datent des années 1970. Pendant trente ans, nous avons prêché dans le désert. Nous nous sommes intéressés aux résistances aux maladies d'une espèce voisine. Par croisement avec le blé cultivé, nous avons réussi à rapatrier des résistances aux maladies - en particulier des résistances aux rouilles. Nous avons créé un premier géniteur, qui n'a pas remporté de succès commercial - en raison d'un défaut. Depuis, ce sujet est devenu une préoccupation globale. Les blés issus de ce premier géniteur se situent désormais en haut du marché. Maintenant, toute la sélection a repris notre vision des choses.

Aujourd'hui, dans le cadre d'un métaprogramme visant à développer les actions interdisciplinaires, nous nous sommes assigné trois thèmes de réflexion :

- comment combiner de façon intelligente, dans le cadre d'une production intégrée, le déploiement des variétés avec les autres leviers que sont les méthodes de production ? Par exemple, il est possible de rendre le blé moins sensible aux maladies en décalant les semis ;

- la dynamique des maladies ;

- combiner en permanence la dimension biotechnique avec la dimension économique. A l'INRA comme ailleurs, il est nécessaire de décloisonner les sciences dures et les ex-sciences dites molles.

Ces trois axes poursuivent un même objectif : il  s'agit de faire en sorte que notre gamme de solutions assure une résistance durable aux maladies.

Depuis très longtemps, l'INRA travaille à la création de variétés de vignes résistantes à l'oïdium et au mildiou. Malheureusement, la résistance n'était portée que par un seul gène. Nous avons donc refusé de déployer ces variétés, au grand dam des producteurs. En effet, ce n'était qu'une solution à court terme. Si nous avions développé de telles variétés, le gène de résistance se serait effondré et n'aurait jamais pu être réutilisé. Or, nous cherchons à proposer des solutions durables.

En aucun cas, nous ne cherchons à opposer agriculture biologique et agriculture conventionnelle, car ces deux gammes de pratiques agricoles ont chacune leur légitimité. Avant tout, nous devons fournir des connaissances scientifiques qui nous permettent de comprendre la problématique, puis d'offrir des solutions qui soient mobilisables par toutes les gammes de l'agriculture.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comme vous êtes très impliqués dans Ecophyto, quel est votre avis sur l'avancement du plan ? Ce processus de réduction des pesticides est-il illusoire ?

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - N'avez-vous pas indiqué, en 2010, dans votre étude sur Ecophyto, qu'il était possible de réduire de 30 % les usages, tout en produisant autant ?

M. Christian Huygues. - Ce n'est pas ce que nous avons indiqué. Nous avons indiqué qu'il était possible de réduire de 30 % les usages tout en maintenant la valeur économique de la production au même niveau. Force est de constater que la mise en place de Ecophyto est difficile. En effet, un producteur qui gagne bien sa vie se soumettra à Ecophyto si le risque n'est pas trop grand. Il faut donc gérer l'aversion au risque. Cependant, il ne faut pas oublier les coopératives, qui produisent des pesticides, mais aussi réalisent la collecte des productions. Ces coopératives subissent une double peine : non seulement elles vendent moins, mais aussi elles collectent moins. Il ne faudrait pas mettre à mal leur infrastructure.

Il a fallu un temps absolument considérable d'échanges entre les acteurs pour réussir à partager des idées, et surtout à comprendre pourquoi le voisin n'est pas d'accord. L'INRA s'est engagée dans ces discussions la fleur au fusil, sans trop expliquer les choses, en s'appuyant sur sa propre étude de huit pages. Il a fallu beaucoup de temps pour reconnaître que les préoccupations des voisins étaient légitimes. Dans un contexte changeant, il faut faire en sorte que le but à atteindre soit unanimement accepté, sur la base d'un compromis de tous. En effet, il faut que les acteurs économiques disposent du temps nécessaire pour s'adapter. Les coopératives ont compris que l'adaptation était non seulement nécessaire, mais aussi porteuse d'opportunités. Si, auparavant, le conseil sur le mode de culture était masqué et vendu à travers le produit, les coopératives se sont rendu compte que le conseil pouvait devenir marchand et indépendant du produit. Ecophyto, en rendant le conseil marchand, l'a mis en situation de concurrence et a provoqué une sorte de rupture par rapport à la vente de produits.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vendre et conseiller, ce sont deux métiers différents, qui ne peuvent être exercés simultanément.

M. Christian Huygues. - C'est pourquoi les coopératives font progressivement le choix d'investir davantage dans le conseil, et moins dans la vente. Cela induit de nombreux changements (formation, mode de rémunération...).

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous avez donc noté une évolution des coopératives.

M. Christian Huygues. - Le Congrès annuel d'InVivo, qui se réunira le 19 juin, traitera de ces questions. Pour vous en convaincre, sachez que des prix seront remis aux conseillers dont le conseil est le plus respectueux de l'environnement. Les coopératives ne peuvent pas avoir une pratique différente de leur discours car ce serait dangereux pour elles.

Ce phénomène de bascule est quasiment obligatoire pour les coopératives. Peut-être, mieux que d'autres acteurs du développement, les coopératives mesurent-elles très bien les évolutions de la population agricole ? Les agriculteurs ont changé ; pour deux raisons. D'une part, leur niveau de formation s'est considérablement élevé. D'autre part, les épouses des agriculteurs sont de plus en plus nombreuses à travailler à l'extérieur. Par conséquent, le monde de la consommation et le monde de la société civile ont pénétré la société agricole. Or, nous n'avons pas mesuré les conséquences de ce phénomène. C'est, à mon sens, la meilleure nouvelle pour l'agriculture.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les femmes sont l'avenir !

M. Christian Huygues. - Elles sont un élément important, qu'Ecophyto nous permet de redécouvrir. Ecophyto permet de réaffirmer le lien entre le consommateur et la société agricole. Par ailleurs, pour résoudre le défi d'Ecophyto, il importe que les agriculteurs réapprennent à travailler ensemble.

Pour surmonter toute aversion au risque, je conseillerai soit de se former pour mieux maîtriser les choses, soit d'apprendre de ses voisins. Au cours des vingt dernières années, nous avons un peu oublié l'importance du fonctionnement collectif dans le domaine de l'agriculture. Ecophyto permet de la redécouvrir.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous êtes donc optimiste.

M. Christian Huygues. - Je suis optimiste, par nature et par obligation. En effet, je pense qu'une direction a été prise. Des dynamiques collectives se sont mises en place. Les structures nationales sont en mouvement. Toutefois, je pense que la vitesse de progression sera sans doute inférieure à ce que l'on imagine. Nous ne pourrons pas réduire de 50 % les usages de pesticides avant 2018. A noter que cet objectif est plus facile à atteindre dans deux secteurs : les grandes cultures et la polyculture/l'élevage. En revanche, il est plus difficile à atteindre dans trois autres secteurs : les légumes, l'arboriculture et la vigne.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Sur quel type de culture portait votre étude sur une réduction de 30 % des usages des pesticides ?

M. Christian Huygues. - Elle portait sur les grandes cultures. Cet objectif est atteignable dans les grandes cultures.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment les résultats de votre étude ont-ils été accueillis ?

M. Christian Huygues. - Il nous a été indiqué que cet objectif était pourtant irréalisable. Cependant, les coopératives ayant modifié leur mode de rémunération, cet objectif devrait être atteignable.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles sont les prémisses de votre étude ?

M. Christian Huygues. - Il faut séparer la tendance des variations interannuelles. Le ministère de l'agriculture a considéré que l'année 2011 avait été une très bonne année, en omettant de préciser que cette année avait été extrêmement sèche.

Au-delà de la simple mesure des quantités vendues, nous assistons à une évolution des pratiques, qui vont dans le bon sens. C'est ce qui me rend optimiste. Nous assistons, par exemple, au retour du désherbage mécanique, y compris dans les grandes cultures, sur la base de techniques différentes. Par ailleurs, en dehors de tout mécanisme de recherche, des agricultures ont développé des systèmes de semis sous couvert.

Cependant, si nous laissons les choses progresser au rythme actuel, nous ne parviendrons pas à réduire les usages de pesticides de 50 % pour 2018.

M. Joël Labbé. - « Si nous laissons faire les choses » : cela ne nous rassure pas.

M. Christian Huygues. - Il faut progresser doucement. Nous avons les leviers pour que les grandes cultures atteignent l'objectif d'Ecophyto. En revanche, le secteur des légumes concentre les difficultés car il cultive de petites espèces, commercialisées sur des marchés de petite taille. Il est difficile de développer de grands projets de recherches dans ce secteur. En outre, le consommateur empêche ce secteur d'évoluer. Par exemple, s'agissant du poireau, d'après l'indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT), 50 % de ces traitements ne servent à rien et sont destinés à une production extrêmement tardive contre un insecte qui, par ses piqûres, provoque l'apparition de taches blanches sur la partie verte. Or, même si 99,5 % de cette partie verte sont jetés, il s'agit cependant de la référence visuelle qu'utilise le consommateur lors de son acte d'achat. Un poireau conservant des traces des piqûres serait déréférencé et boudé par le consommateur. Les sociologues appellent ce phénomène le verrouillage (ou « lock-in ») : le premier produit qui s'écarte du référentiel est perdu. C'est pourquoi il faut faire évoluer progressivement le référentiel. Pour ce faire, il faut soit concevoir une innovation technologique considérable (par exemple vendre les poireaux coupés en sachets), soit modifier la réglementation. Il est difficile de laisser faire le marché.

M. Joël Labbé. - L'éducation du consommateur est insuffisante.

M. Christian Huygues. - Vous avez raison. Les légumes ont un élément en commun avec les fruits : la possibilité d'une sorte de double peine pour le producteur. Une attaque des insectes peut non seulement réduire les volumes de production, mais aussi conduire au déréférencement des produits. Les agriculteurs refusent de prendre ce risque. Par conséquent, les leviers sont moins nombreux pour la monoculture. En revanche, s'agissant des grandes cultures, il est possible d'agir sur plusieurs leviers. C'est pourquoi un effort considérable est consacré à l'innovation.

Mme Sophie Primas, présidente. - Étudiez-vous des méthodes alternatives pour les légumes, par exemple ?

M. Christian Huygues. - Nous mobilisons l'ensemble des leviers. Par exemple, pour la pomme, nous envisageons l'aménagement du verger, la végétalisation en bordure, la forme de l'arbre, le mélange de variétés aux résistances différentes (afin de réduire le niveau de pression des maladies), la fertilisation azotée et l'irrigation. Pour que les méthodes que nous concevons soient utilisables par les agriculteurs, il faut leur fournir des outils d'aide à la décision. Par exemple, nous mettons en place des méthodes de stress hydrique sans affecter la productivité, grâce à des capteurs hydrométriques installés sur les arbres. Par ailleurs, le CEMAGREF étudie le positionnement des pesticides : 70 % du produit n'atteint pas sa cible. Il est donc nécessaire de modifier le format des bulbes, ou encore d'adapter la quantité du produit. Nous avons récemment validé, avec le comité d'orientation scientifique et technique (COST) de l'ACTA, une unité mixte technologique entre le CEMAGREF et l'Institut français de la vigne et du vin (IFVV), afin d'améliorer les techniques de traitement, de pulvérisation et d'intervention. Des outils d'aide à la décision, prenant en compte les phénomènes épidémiologiques, ont été intégrés à cette démarche.

Mme Michelle Meunier. - Quid de la vigne ?

M. Christian Huygues. - La vigne représente une configuration intermédiaire. C'est une culture pérenne, comme l'arboriculture. Dans la plupart des vignobles, la baisse de volume n'est pas un problème en soi - à l'exception de la production de cognac. En revanche, dans les très grands crus, il est impossible de jouer sur les cépages. Le levier génétique est donc quasiment inutilisable. S'agissant de la viticulture, il faut réfléchir non seulement à la préoccupation phytosanitaire, mais aussi à la problématique du réchauffement climatique. Ce réchauffement climatique aura plutôt un impact positif sur le phytosanitaire. Cependant, dans quarante ans, il sera difficile de produire des grands crus de Bordeaux à Bordeaux. Nous devons trouver les bons ajustements.

M. Joël Labbé. - Vos recherches accompagnent-elles la viticulture biologique ? Avez-vous véritablement mis en oeuvre les moyens nécessaires pour l'accompagner ?

M. Christian Huygues. - Nous consacrons à l'agriculture biologique 3 % de nos forces. Est-ce suffisant ? Pour nous, l'agriculture biologique, à l'exception du fait qu'elle ne mobilise pas le levier des pesticides, reste une agriculture comme les autres. Les plantes ont les mêmes dimensions biologiques. En revanche, la gamme de solutions à mobiliser est quelque peu différente.

S'agissant de la santé des plantes, nous cherchons à maximiser les échanges entre les diverses formes d'agriculture. Il importe que les leviers, ou la créativité mise en oeuvre par certains agriculteurs, bénéficient à tout le monde. Le mot « innovant » est désormais galvaudé au sein de la recherche agricole. Si l'on se réfère à sa définition, l'innovation est une invention qui rencontre un marché. Dans le cadre d'Ecophyto, nous devons recenser l'ensemble des pratiques afin d'identifier les plus vertueuses, et d'étudier les conditions qui permettent de les généraliser ou non. Nous essayons de ne pas cloisonner l'agriculture biologique, même si certains phénomènes lui sont propres, tels que le lien au marché.

M. Joël Labbé. - Il existe une différence fondamentale entre l'agriculture biologique et les autres formes d'agriculture, qui tient à la prise en compte des bases de l'agronomie. Pendant quarante ans, les bases de l'agronomie ont été oubliées, y compris de la FNSEA. En tant que scientifique, qu'en pensez-vous ?

M. Christian Huygues. - A-t-on oublié les bases de l'agronomie ? Je ne sais pas. Ce discours est beaucoup utilisé aujourd'hui, comme une manière de s'excuser de quelque chose que l'on n'a pas fait. L'agriculture conventionnelle a considéré le sol comme un support inerte. La fertilité était apportée par des fertilisants azotés, de synthèse ou non, et la protection garantie par un intrant chimique, de synthèse ou non. Ce faisant, nous avons oublié tous les éléments relevant d'un agroécosystème. L'agriculture biologique, par un certain nombre de contraintes liées au cahier des charges, a cherché à valoriser certaines caractéristiques de cet agroécosystème. Elle s'est beaucoup préoccupée de l'agronomie, dans des configurations entretenant un lien plus approfondi entre la production animale et végétale. Ce faisant, elle valorisait davantage de composants des écosystèmes, au travers de la problématique du maintien de la fertilité.

M. Joël Labbé. - Il s'agit de reconstituer le sol.

M. Christian Huygues. - Il y avait effectivement une préoccupation forte au regard de la structure du sol, de sa charge en carbone et en composants organiques. Plus l'écosystème est divers, plus sa capacité de résistance aux phénomènes épidémiques est développée.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Où en sont vos recherches sur les conséquences des pesticides sur les abeilles ?

M. Christian Huygues. - Les résultats de notre étude ont été publiés, il y a un mois, dans la revue Science. La prouesse technique de nos recherches est d'avoir élevé des abeilles ouvrières in vitro durant vingt-et-un jours. Tous les jours, elles recevaient des doses extrêmement faibles de néonicotinoïdes. A leur naissance, nous avons apposé une puce sur le dos des abeilles, puis avons placé dans la même ruche les abeilles qui n'avaient reçu aucune dose de néonicotinoïdes mais qui avaient été élevées de la même façon. Nous avons constaté que le taux de perte était beaucoup plus élevé. Les abeilles ne revenaient pas à la ruche.

Nous réalisons à présent cette étude avec d'autres produits chimiques. Le développement in vitro visait à observer les phénomènes de toxicité au stade larvaire.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ces phénomènes de toxicité n'empêchent pas le développement des larves.

M. Christian Huygues. - Ils n'empêchent pas leur développement mais ils ont des effets sur ce développement.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - A-t-on mesuré de tels effets sur des mammifères ?

M. Christian Huygues. - Il n'est pas possible de transposer les résultats de cette étude aux mammifères, ni à l'Homme. Cependant, les résultats de notre étude ne sont pas une bonne nouvelle. Nous continuons à explorer d'autres produits de synthèse et à étudier les effets de ces produits sur les abeilles reines. Nous pourrions imaginer qu'une reine qui a subi la même exposition connaisse une baisse de fertilité. Cependant, élever une reine in vitro s'avère beaucoup plus difficile que d'élever une ouvrière. En effet, il est difficile de nourrir les reines.

Dans le cadre du même programme, nous cherchons à étudier globalement le problème du déclin des abeilles et à proposer des solutions pour éviter ce déclin, tout en combinant l'ensemble des processus observés à l'échelle d'un territoire. Il s'agit d'étudier l'effet de la biodiversité disponible à l'échelle d'un territoire sur le développement de l'abeille. Une abeille collecte dans un rayon de cinq kilomètres autour de la ruche. Nous sommes capables d'identifier toutes les plantes que les abeilles ont butinées. Ce travail est très long. Plus la diversité biologique disponible à l'échelle d'un territoire est grande, plus l'activité de la ruche est forte - quelle que soit la qualité moyenne de ce qui est collecté.

Par ailleurs, nous réalisons des études en Poitou-Charentes sur les abeilles qui se perdent. Nous avons identifié dix grandes zones extrêmement contrastées sur le plan de la diversité biologique. Nous pesons régulièrement les abeilles et mesurons leur activité biologique, afin de recueillir des éléments de compréhension de ce problème et de le résoudre. Cela pose la question du positionnement et de la quantité des cultures.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'agriculteur est-il informé de l'intérêt de la biodiversité dans le cadre du Certiphyto ? L'agriculteur apprend-t-il autre chose que le maniement des pulvérisateurs ?

M. Christian Huygues. - Je n'ai pas suivi la formation du Certiphyto, centrée sur l'utilisation, à des visées de production et de protection.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - A l'issue de la formation, les produits phytosanitaires ne sont-ils pas moins ou mieux utilisés ?

M. Christian Huygues. - En principe, ces produits sont alors mieux utilisés, et en quantité moindre. Néanmoins, tout dépend de la qualité du formateur et des participants.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment les formateurs sont-ils recrutés ?

M. Christian Huygues. - Je ne sais pas. Les agriculteurs que j'ai rencontrés se sont spontanément déclarés satisfaits de ce qu'ils avaient appris au cours de cette formation, alors qu'ils étaient plutôt réticents à l'origine.

La question de la protection individuelle est complexe car les équipements signifient qu'il faut se protéger contre le phytosanitaire. Par ailleurs, ces équipements sont trop chauds. Des techniciens ont fait des malaises. Dans ce contexte, il faut modifier les heures d'intervention, mais ceci est difficile.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.

Audition de Mme Béatrice Dingli, directrice générale et de M. Guy Vernerey, chef de projet du fonds d'assurance formation VIVEA

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, dans le cadre de notre mission commune d'information sur les pesticides. Cette mission porte sur l'ensemble de la chaîne professionnelle, de la fabrication à l'utilisation de ces produits par les agriculteurs, les particuliers et les collectivités territoriales. Nous avons commencé nos travaux depuis plusieurs mois. Nous avons organisé à ce jour près de soixante auditions.

Mme Béatrice Dingli. - Nous vous remercions de nous avoir conviés.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Nous vous avons fait parvenir en amont un questionnaire pour tracer le cadre de cette audition. Je vous laisse la parole.

Mme Béatrice Dingli. - VIVEA est un fonds d'assurance de formation. Nous avons communiqué une petite note à ce sujet. VIVEA a été habilité le 30 novembre 2001 et a été créé par six organisations professionnelles agricoles : la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), les Jeunes Agriculteurs (JA), l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA), la Confédération Paysanne, la Coordination rurale et la Confédération Nationale de la Mutualité, de la Coopération et du Crédit Agricole (CNMCCA).

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - VIVEA finance donc uniquement des formations agricoles.

Mme Béatrice Dingli. - C'est exact. Nous finançons uniquement la formation des chefs d'exploitations agricoles, des conjoints collaborateurs et des aides familiaux (c'est-à-dire des actifs non-salariés). La formation des salariés agricoles est financée par un autre fonds.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les formations sont-elles financées par les six organisations professionnelles que vous avez mentionnées précédemment ?

Mme Béatrice Dingli. - VIVEA est le financeur.

Ce fonds assure le financement, l'évaluation et la formation professionnelle continue des chefs d'exploitation. Nous n'intervenons pas au titre de la formation initiale. Nous finançons tous les agriculteurs à jour de leur cotisation. Nos contributeurs paient en moyenne 65 euros par an, ce qui leur octroie un droit à la formation. Nous comptabilisons 643 000 contributeurs, dont 260 000 se forment, soit un taux d'accès à la formation de 21,5 %.

Les actions de formation que nous finançons sont des actions d'adaptation. Certains agriculteurs changent de profession au cours de leur carrière. Nous les accompagnons dans l'acquisition des compétences nécessaires à l'exercice de leur nouveau métier. Nous finançons également des actions d'acquisition ou de maintien des compétences dans le cadre du métier actuellement exercé.

M. Henri Tandonnet. - Votre mission est assez généraliste.

Mme Béatrice Dingli. - Oui, notre mission est assez généraliste mais les actions de formation sont très ciblées sur l'agriculture et les compétences propres au métier d'agriculteur.

Comme je l'ai indiqué précédemment, nos publics cibles sont les chefs d'exploitation, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux. Parmi nos publics cibles, nous comptons également tous les publics qui ont peu d'accès à la formation, comme les entrepreneurs du paysage. Nous réalisons un véritable effort pour les accompagner dans leur plan de formation. Nous accompagnons aussi des agriculteurs fragilisés, qui ne s'adressent pas spontanément aux organismes de formation, mais bénéficient d'un accompagnement spécifique au titre du maintien des compétences, grâce à un dispositif pédagogique spécifique. En outre, nous accompagnons les jeunes installés et les cédants, qui doivent transmettre leur exploitation. Tous ces publics ne viennent pas forcément à la formation.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Disposez-vous de centres de formation ?

Mme Béatrice Dingli. - Nous n'avons pas de centre de formation car nous sommes financeurs. En effet, la loi distingue le dispensateur de la formation, c'est-à-dire le centre de formation, du financeur de cette formation. Ce sont deux entités complètement différentes.

La Mutualité Sociale Agricole (MSA) collecte pour nous la contribution des agriculteurs.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Seuls les agriculteurs contribuent ainsi à votre fonds.

Mme Béatrice Dingli. - Oui.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Et donc pas les syndicats ?

Mme Béatrice Dingli. - Non. Nous sommes le fonds d'assurance formation des chefs d'exploitation.

La MSA, dans le cadre de l'appel annuel de cotisations, collecte les contributions et nous reverse une enveloppe, que nous redistribuons dans chaque comité territorial. Chaque département et chaque région comportent des comités d'élus, qui sont mandatés par les organisations professionnelles constitutives du fonds. Ce sont les élus des comités territoriaux qui donnent leurs orientations en matière de priorité de formation pour leurs territoires respectifs.

Mme Jacqueline Alquier. - Comment la répartition des fonds collectés s'effectue-t-elle ?

Mme Béatrice Dingli. - La répartition est réalisée selon une règle bien précise. S'agissant de l'enveloppe qui est réaffectée dans les départements, deux tiers sont calculés à partir du nombre de contributeurs par département, et un tiers à partir de l'enveloppe collectée par département. Il est donc procédé à une péréquation, pour ne pas désavantager certains territoires par rapport à d'autres. Cependant, dans les faits, un département tel que l'Ariège, qui ne comprend que 3 000 agriculteurs, dispose d'une enveloppe moins importante que l'Aveyron, qui compte 14 000 contributeurs.

Mme Jacqueline Alquier. - Quelle est l'assiette des cotisations ?

Mme Béatrice Dingli. - Les cotisations sont prélevées sur le revenu. Elles s'élèvent à 0,30 % du revenu net de l'exploitation. Si l'agriculteur ne dégageait pas de revenus, la cotisation serait de 0,10 % du plafond de la sécurité sociale.

Ce taux est relativement bas puisque la cotisation des commerçants s'élève à 0,29 % et celle des artisans à 0,15 %.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Êtes-vous le seul fonds d'assurance formation des agriculteurs ?

Mme Béatrice Dingli. - Oui. C'est un fonds unique. Toutes les cotisations sont versées à VIVEA.

M. Henri Tandonnet. - Quid du fonds d'assurance formation des salariés ?

Mme Béatrice Dingli. - Il s'agit du Fonds d'Assurance Formation des Salariés d'Exploitations Agricoles (FAFSEA). La collecte de ce fonds est beaucoup plus importante que la nôtre. VIVEA collecte 35 millions d'euros et lève 13 millions d'euros de cofinancements. Le FAFSEA, quant à lui, lève 250 millions d'euros de collecte. En effet, le taux de cotisation des agriculteurs est faible, tandis que les salariés cotisent pour le congé individuel de formation, le droit individuel à la formation et le plan de formation. Les cotisations des salariés sont donc beaucoup plus importantes, même si les salariés sont moins nombreux que les agriculteurs. Par ailleurs, le FAFSEA peut faire appel à des entreprises pour la collecte, alors que le public de VIVEA est bien défini.

Mme Nicole Bonnefoy. - Les élus des comités territoriaux donnent-ils leurs orientations ?

Mme Béatrice Dingli. - Oui. Nous élaborons un plan stratégique triennal. Depuis le mois d'avril, nous travaillons avec un groupe national, constitué des représentants de nos organisations professionnelles agricoles, afin d'étudier le contexte, les grandes orientations françaises et européennes en matière d'agriculture, l'évolution des sociétés agricoles, la démographie, les réformes des institutions, l'âge de nos contributeurs... Ce diagnostic nous permet de définir les impacts du contexte sur le métier des agriculteurs pour les trois à quatre prochaines années. Ces impacts nous permettent de déterminer les compétences que les agriculteurs devront acquérir pour pouvoir exercer demain leur métier d'exploitant agricole.

Nous avons joint au dossier que nous vous remettons un exemplaire du précédent plan stratégique triennal VIVEA. Le plan 2013-2015 sera disponible le 12 décembre 2012, après sa validation par le conseil d'administration. Ce plan stratégique triennal est ensuite diffusé à tous les élus et organismes de formation. La réforme de la formation professionnelle continue, intervenue en 2009, nous oblige à réaliser des appels d'offres permanents. Douze priorités ont été définies, parmi lesquelles le pilotage et la stratégie des exploitations, l'environnement (développement durable en matière environnementale, économique et sociale), la technicité et le Certiphyto (pour lequel nous avons apporté 10 millions d'euros).

Mme Jacqueline Alquier. - Le Certiphyto n'est donc pas votre seul volet d'action. Les accidents du travail sont-ils également une priorité de formation ?

Mme Béatrice Dingli. - Les formations relatives à la santé et à la sécurité sont clairement mentionnées dans le cahier des charges du Certiphyto. Nous proposons d'autres formations santé, qui sont moins lisibles dans notre offre (gestes et postures, sauveteurs-secouristes du travail (SST), équilibre entre vie professionnelle et vie familiale...).

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles sont les formations concernant l'environnement ?

Mme Béatrice Dingli. - Nos formations relatives à l'environnement portent sur les produits phytosanitaires, hors Certiphyto : agriculture raisonnée, réduction des pollutions diffuses, accompagnement des zones vulnérables...

M. Guy Vernerey. - Il peut également s'agir de formations à la production fruitière intégrée.

Mme Béatrice Dingli. - L'environnement est une priorité stratégique. La durée moyenne des formations est de dix-sept heures. La formation établit des liens entre l'environnement, la stratégie et le pilotage de l'exploitation, dans le cadre d'une réflexion globale. Certaines formations en matière d'environnement sont axées sur une priorité technique (gestion de l'eau...) et sont organisées sur une durée très courte.

M. Guy Vernerey. - Nous proposons également des formations à l'agriculture biologique. Les formations sont organisées sur des séquences d'une journée.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quel est le taux de conversion à l'agriculture biologique suite à une formation ?

M. Guy Vernerey. - Les agriculteurs qui suivent ce type de formation se sont déjà engagés dans une démarche de conversion.

Mme Béatrice Dingli. - La formation est un outil d'accompagnement au développement agricole.

M. Henri Tandonnet. - Ce n'est donc pas votre organisme qui dispense la formation. Vous faites un appel d'offres. Comment sélectionnez-vous les entreprises ? Élaborez-vous un cahier des charges pour vous assurer de la compétence et du sérieux des entreprises ?

M. Guy Vernerey. - En vertu du protocole mis en place par le ministère de l'agriculture et la direction générale de l'enseignement supérieur et de la recherche, les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) habilitent les organismes de formation. En contrepartie, les organismes habilités s'engagent à respecter un cahier des charges précis en termes de programme de formation et de moyens mis à la disposition des stagiaires. Nous nous référons à l'habilitation, dans un processus de partenariat. Nous n'avons pas souhaité mettre en place notre propre processus de sélection.

M. Henri Tandonnet. - Effectuez-vous des vérifications vous-mêmes ?

Mme Béatrice Dingli. - Nous contrôlons les formations que nous finançons. Les DRAAF, en tant qu'organisme instructeur du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), exercent une mission de contrôle.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - S'agit-il d'un contrôle du contenu de la formation ?

Mme Béatrice Dingli. - Nous réalisons des contrôles inopinés sur site. Nous vérifions que le programme en cours est conforme à la demande de financement que nous avons reçue sur l'Extranet. Nous vérifions également l'éligibilité des stagiaires et leur présence effective.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Combien d'heures la formation Certiphyto nécessite-t-elle ?

M. Guy Vernerey. - La formation dure en moyenne quatorze heures.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Cette formation est-elle dispensée sur site ?

M. Guy Vernerey. - Les formations sont décentralisées dans des salles de formation des lycées agricoles ou des chambres d'agriculture.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qui choisit les salles de formation ?

M. Guy Vernerey. - Les centres de formation ont leurs propres salles ou louent des salles auprès des mairies.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles sont les garanties offertes quant à la formation des formateurs ?

Mme Béatrice Dingli. - En principe, les formateurs sont habilités par la DRAAF. Lorsqu'il répond à l'appel de la DRAAF, le centre de formation fournit les curriculum vitae de ses formateurs.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Une qualification particulière est-elle exigée ?

Mme Béatrice Dingli. - Les formateurs doivent suivre un stage. Leur formation doit être mise à jour régulièrement.

M. Guy Vernerey. - Nous pourrons vous communiquer le cahier des charges de l'habilitation des DRAAF. Nous avons plusieurs cahiers des charges au titre de la formation Certiphyto, concernant les décideurs agriculteurs, mais aussi les prestataires de services (paysagistes et entrepreneurs de travaux agricoles).

Mme Nicole Bonnefoy. - La formation de ces différentes catégories peut-elle être dispensée par un même centre ?

Mme Béatrice Dingli. - Oui. Certains centres de formation demandent des habilitations pour tout type de public. Nous ne finançons pas ces centres. 20 % de notre plan de formation est consacré au Certiphyto jusqu'en 2015.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'agriculteur doit-il payer pour la formation Certiphyto ?

Mme Béatrice Dingli. - Pour l'instant, l'obtention de ce certificat semble gratuite. Cependant, l'agriculteur finance sa formation. Un Certiphyto coûte 260 euros en moyenne par personne. Le montant de la cotisation est de 65 euros en moyenne et 75 % des exploitants cotisent à hauteur de 43 euros par an. La cotisation maximale s'élève à 260 euros.

M. Guy Vernerey. - Les fonds sont ainsi mutualisés.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Un particulier peut-il s'inscrire à la formation Certiphyto ?

Mme Béatrice Dingli. - Un particulier peut s'inscrire auprès du centre de formation, mais devra payer la formation.

M. Guy Vernerey. - La formation n'est pas nécessairement adaptée aux particuliers car les objectifs sont liés aux pratiques professionnelles. Le particulier risque de s'ennuyer !

Mme Béatrice Dingli. - Les formations sont adaptées à la demande et aux besoins des agriculteurs.

Mme Sophie Primas, présidente. - Votre dossier comporte une étude de satisfaction réalisée par l'institut d'études d'opinion BVA. Pouvez-vous nous fournir des précisions à ce sujet ?

M. Guy Vernerey. - 138 personnes se sont vu attribuer le certificat en 2011. Par conséquent, nous avons souhaité mettre en place un système d'évaluation de la satisfaction à la sortie du stage, ainsi qu'une évaluation des acquis un an après la formation (connaissances retenues et mises en pratique). Les évaluations de satisfaction ont fait apparaitre un très fort taux de satisfaction, presque inhabituel. Les agriculteurs ont sans doute obtenu des réponses à leurs préoccupations.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les agriculteurs demandent-ils des formations sur les pesticides ?

M. Guy Vernerey. - Les premières préoccupations affirmées en 2008 portaient sur la santé personnelle des agriculteurs, celle de leur famille, de leurs salariés, de leurs voisins, des consommateurs et sur la protection de l'environnement naturel. Cette étude a donné du sens au Certiphyto et permis d'alimenter la réflexion des organisations professionnelles. Le dispositif Certiphyto s'est construit en déclinaison de la directive européenne qui oblige la France à mettre en place un système de formation spécifique pour un emploi durable des produits phytosanitaires.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Du fait de leur importance, ces formations ne devraient-elles pas plutôt relever de la formation initiale ?

M. Guy Vernerey. - La sensibilisation des jeunes a beaucoup d'impact. Cependant, l'intervention des médecins de prévention de la MSA n'est pas suffisante car les jeunes ne se comporteront pas de la même manière dans le cadre de leur pratique professionnelle. Il faut donc trouver une articulation entre la formation initiale et la formation continue, qui prenne appui sur les pratiques professionnelles.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - En quoi consiste l'intervention des médecins de la MSA ? Viennent-ils présenter les équipements nécessaires ?

M. Guy Vernerey. - Oui.

Mme Béatrice Dingli. - Ils présentent également des statistiques (nombre de cancers chez les agriculteurs, accidents dans la région...).

M. Guy Vernerey. - Un an après la formation, les agriculteurs ont retenu la formation sur la santé (équipement de protection individuelle, risques mentionnés sur les étiquettes). 27 % des agriculteurs qui ne portaient pas de gants avant la formation en portent désormais, sachant que 50 % des agriculteurs formés portaient déjà des gants avant de suivre cette formation.

La formation est donc véritablement mise en pratique (réduction des doses, utilisation de pratiques alternatives).

Mme Béatrice Dingli. - Les agriculteurs réfléchissent à de nouveaux modes de culture. Ils demandent des formations supplémentaires. Le Certiphyto est un levier, qui amène l'agriculteur vers l'acquisition de compétences nouvelles, qui lui permettront de changer son système d'exploitation. Les agriculteurs souhaitent respecter l'environnement et se protéger, tout en continuant à produire pour répondre au défi alimentaire. Il faut revisiter les piliers humain, économique et stratégique de l'exploitation.

Mme Jacqueline Alquier. - Compte tenu des moyens dont vous disposez, parvenez-vous à répondre à la demande de formation ?

M. Guy Vernerey. - Il faut traduire le besoin en demande explicite. En effet, certains agriculteurs ne viennent pas spontanément vers la formation.

Mme Jacqueline Alquier. - Les agriculteurs qui ont suivi la formation parviennent-ils à entraîner leurs voisins dans cette voie ?

Mme Béatrice Dingli. - Le Certiphyto a eu un effet boule de neige. Nous avons travaillé avec des prescripteurs pour ouvrir cette formation au monde économique.

Mme Jacqueline Alquier. - Quelle est l'implication des coopératives ?

Mme Béatrice Dingli. - L'implication des coopératives est très forte. Certaines ont travaillé avec des organismes de formation pour mobiliser leurs adhérents. Certes, elles ont un intérêt économique à jouer le jeu du Certiphyto puisqu'elles cherchent à vendre leurs produits. Il faut au moins un décideur par exploitation. Toutefois, les coopératives travaillent également à la diminution des doses, afin de développer le service rendu aux adhérents. Elles prennent un tournant.

Par ailleurs nous avons travaillé avec les négoces. 40 % des Certiphyto sont délivrés par les chambres d'agriculture. Nous avons également travaillé avec les centres de formation professionnelle agricole (CFPA), les fédérations de protection des végétaux...

Le Certiphyto appartient presque au passé. Notre ambition est réfléchir à l'après Certiphyto. Nous devons envisager de nouvelles manières de conduire l'exploitation, compte tenu des orientations européennes, du Grenelle de l'environnement, de la politique agricole commune à l'horizon 2014... Nous devons toujours avoir un temps d'avance pour commander les formations permettant de répondre à la demande.

La décision d'augmenter les cotisations sera-t-elle prise ? En effet, la demande a augmenté de 16 % cette année. Cela a conduit à diminuer l'enveloppe de formation du second semestre 2012.

Mme Jacqueline Alquier. - Avez-vous mis en place une évaluation des diverses mesures ?

Mme Béatrice Dingli. - Nous réalisons chaque année une évaluation qualitative et quantitative.

M. Henri Tandonnet. - Un dispositif équivalent a-t-il été mis en oeuvre pour les salariés ?

Mme Béatrice Dingli. - Un appel d'offres a été lancé auprès des organismes de formation. Les salariés ont débuté leur processus de formation. Le public est essentiellement constitué de chefs d'exploitation, salariés de leur propre entreprise. Nous travaillons de concert avec ces centres.

M. Guy Vernerey. - Jusqu'en 2011, le Certiphyto était un dispositif expérimental. Notre fonds est le seul qui ait accepté de financer la formation des contributeurs au stade expérimental. Nous avons ainsi formé 120 000 personnes. L'objectif fixé par le ministère était de former 5 000 personnes.

L'engouement pour la formation doit répondre à un besoin.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Un document leur est-il délivré ?

M. Guy Vernerey. - Oui.

Mme Béatrice Dingli. - Nous pourrons vous fournir une photocopie de ces documents. Une attestation est établie par l'organisme de formation. Ces informations sont vérifiées par la DRAAF, qui les transmet à France AgriMer, qui gère les Certiphyto au niveau national et délivre la carte qui permettra à l'agriculteur de retirer les produits auprès de sa coopérative ou de son négoce. C'est une carte d'identité, qui comporte le nom, le prénom de l'agriculteur et la durée de validité de la carte.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'agriculteur prend-t-il un engagement particulier ?

Mme Béatrice Dingli. - Non. Il ne s'engage pas à réduire la fréquence de ses traitements phytosanitaires.

M. Guy Vernerey. - Notre ambition est d'amener les agriculteurs vers des pratiques plus vertueuses, mais il est difficile de les contraindre à diminuer la fréquence de leurs traitements phytosanitaires.

Mme Béatrice Dingli. - Chaque région met en place un programme régional de développement agricole (PRDA). Dans le cadre du plan Ecophyto 2018, chaque région décide de diminuer les intrants d'un pourcentage donné. La loi vise une diminution de 50 % des intrants.

Nous sommes invités par les DRAAF pour réfléchir au plan Ecophyto 2018. Nous sensibilisons nos conseillers techniques pour suivre ces travaux dans le cadre des comités régionaux d'orientation et de suivi d'Ecophyto (CROS) et inciter les centres de formation à proposer des formations adaptées. Nous avons de très bonnes relations avec ces organismes. Il faut se rapprocher des agriculteurs sur le terrain.

M. Guy Vernerey. - La formation intervient en appui d'un système de développement. Une synergie de moyens doit être mise en oeuvre.

Mme Béatrice Dingli. - Depuis trois ans, je constate la préoccupation grandissante des utilisateurs et des salariés en termes d'utilisation des pesticides. Leur problématique actuelle porte sur la communication de leurs actions. En effet, les agriculteurs ont peur que le port des gants et des masques choque les automobilistes. Aujourd'hui, les cultures sont traitées la nuit. Cela permet d'ailleurs de renforcer l'efficacité du produit. La formation doit être mise en pratique et actualisée tous les deux à trois ans.

Il faut trouver un équilibre entre la production et les préoccupations environnementales.

Mme Sophie Primas, présidente. - Préconisez-vous la permanence du dispositif Certiphyto ?

Mme Béatrice Dingli. - Peut-être faut-il faire passer un message auprès des agriculteurs, pour que leur formation soit à jour ou qu'ils s'interrogent en permanence sur la réduction des produits de traitement ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Le Certiphyto est très orienté vers la protection individuelle et la réduction des doses. La formation ne pourrait-elle être graduelle et évoluer vers la suppression des produits phytosanitaires ?

M. Guy Vernerey. - Oui. D'ailleurs, les agriculteurs ne sont pas contre une « piqûre de rappel ».

M. Henri Tandonnet. - Je suis étonné du décalage entre la formation des exploitants et des salariés sur ce thème. Pourtant, le Certiphyto est indispensable à la prise de conscience du terrain.

Mme Béatrice Dingli. - Les salariés débutent seulement les formations dans ce domaine. La mise à jour est nécessaire pour que les utilisateurs continuent de porter les équipements au cours des années suivant la formation. Pourtant, les équipements de protection sont financés en partie par la MSA.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les produits phytosanitaires représentent un coût extrêmement important, en termes de dépollution.

M. Guy Vernerey. - Un certain nombre d'agriculteurs considèrent qu'une augmentation de leurs revenus n'est pas incompatible avec une diminution du recours aux produits phytosanitaires. Cependant, du chemin reste à faire. Certains agriculteurs ne se protègent jamais.

Mme Béatrice Dingli. - Les agriculteurs redécouvrent le pouvoir de leurs sols. Un sol est une ressource. S'il est bien utilisé et bien cultivé, cela peut contrebalancer l'utilisation des produits phytosanitaires. Notre objectif est de former l'agriculteur à l'observation - qui est pourtant son métier de base. En effet, en achetant du matériel performant, les agriculteurs se sont permis une économie quant à l'observation de leurs sols et de l'environnement. Mettre l'accent sur les bases du métier est sans doute valorisant pour l'agriculteur. Par ailleurs, les jeunes ingénieurs en agronomie sont parfaitement formés à ces réflexions.

M. Joël Labbé. - Êtes-vous en contact avec l'enseignement agricole ?

Mme Béatrice Dingli. - Oui.

M. Joël Labbé. - L'enseignement agricole est-il encore éloigné de ce qui devrait être enseigné aujourd'hui ?

Mme Béatrice Dingli. - Le référentiel des formations accorde désormais une part plus importante à l'agronomie.

M. Guy Vernerey. - Nous avons étudié les suites à donner aux formations Certiphyto, auprès de trois écoles d'ingénieurs. Les jeunes s'inscrivent dans la dynamique d'économie des intrants, tout en étant préoccupés par l'équilibre économique de l'exploitation.

M. Joël Labbé. - Les groupes de pression restent extrêmement prégnants.

Mme Sophie Primas, présidente. - Y compris les groupes de pression écologistes ...

M. Guy Vernerey. - Vous avez raison. Cependant, les alternatives aux produits phytosanitaires sont très techniques. Tout le monde n'est pas capable de les maîtriser.

Mme Béatrice Dingli. - Cela exige une véritable expertise.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il convient de gérer les risques.

Mme Béatrice Dingli. - La gestion des risques (santé, revenu, ...) est l'une des orientations du futur plan triennal. Des travaux sont actuellement menés par les chambres d'agriculture et AgroParisTech pour réconcilier la production avec l'environnement. Cette approche est désormais audible par les agriculteurs.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions beaucoup pour cette audition très intéressante.

M. Guy Vernerey. - Nous vous ferons parvenir l'ensemble des documents par voie électronique.

Audition de M. Gilles-Éric Seralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous avons demandé de participer à nos auditions dans le cadre de notre mission d'information commune sur l'impact des pesticides sur la santé, au long de l'ensemble de la chaîne de fabrication et d'utilisation des produits. Cette mission d'information devrait être complétée d'une seconde sur la rémanence des pesticides dans l'eau, l'air, l'alimentation, le sol, etc.. Pour l'heure, nous nous focalisons sur la santé de ceux qui manipulent ces produits, qu'ils soient agriculteurs, agents des collectivités territoriales ou simples jardiniers, non sur celle des consommateurs.

Nous voyons souvent apparaître votre nom dans les publications sur ces sujets. Pouvez-vous nous présenter l'objet de vos recherches, nous parler de vos derniers travaux et nous dire ce que vous pensez des autres études sur ces thèmes ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Merci beaucoup pour votre invitation, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui. J'ai bien compris l'objet de votre mission, qui me réjouit.

J'ai consacré ma carrière à la perturbation endocrine. Après une thèse en endocrinologie moléculaire, j'ai notamment suivi une formation de quatre années en Amérique du Nord sur le clonage des gènes et les effets moléculaires de la perturbation hormonale. Après avoir étudié l'inhibition possible du cancer du sein par une perturbation hormonale, j'ai travaillé sur les origines des cancers et des maladies hormonales qui y sont liées.

Depuis plus de douze ans, je consacre mes recherches aux effets des OGM et des pesticides sur la santé, dans la mesure où ils sont des perturbateurs endocriniens. En effet, presque 100 % des OGM agricoles cultivés contiennent de nouveaux types de pesticides. A 80 %, il s'agit de Roundup, qui est l'herbicide majeur de la planète, et 20 % produisent des toxines insecticides nouvelles, non homologuées à ce jour.

Mon travail consiste à évaluer la manière dont ces produits agissent. Je vous ai envoyé mes quinze dernières publications. Nous avons découvert un certain nombre de points majeurs. La plupart des pesticides agissent en combinaison, au niveau cellulaire et in vivo. Nous avons réalisé une importante revue scientifique sur ce thème.

La première combinaison qui amplifie l'action des pesticides et la formulation dans son entièreté. Nous avons distingué l'effet du pesticide tel qu'il est utilisé par l'agriculteur et l'effet de la molécule active homologuée. La lacune majeure de l'évolution des pesticides est que ces produits agissent plutôt à long terme, et, en premier lieu, dans l'organisme. Tous, autour de cette table, nous contenons des pesticides. Or, seule la molécule active est évaluée à long terme. Pourtant, la combinaison de cette molécule avec les coformulants ou adjuvants peut constituer un mélange beaucoup plus toxique - c'est d'ailleurs sa raison d'être - qui peut avoir un effet de perturbateur endocrinien. La perturbation endocrinienne est observée à des taux où le produit n'est pas directement toxique pour les cellules et les organismes mais où la fonction hormonale se dégrade.

Nous avons testé les quinze premiers polluants des eaux de rivière et des eaux de surface, parmi lesquels des pesticides (Roundup, atrazine, lindane) et des fongicides courants. Je codirige un pôle risques, rattaché au CNRS et à l'université de Caen, où travaillent une soixantaine de chercheurs issus de douze disciplines - comme la biologie, la chimie, la médecine, la sociologie, l'économie et l'écologie - et vous livre aujourd'hui le fruit de cette synthèse pluridisciplinaire. Il y a peu de pôles de ce type en France.

Du fait de l'industrie chimique, florissante après la Seconde Guerre mondiale grâce aux pesticides, l'évaluation a été réalisée uniquement par les entreprises commanditaires, pétitionnaires, chargées de développer les produits. Malheureusement, les tests qui permettent d'homologuer les produits sont encore classés confidentiels et donc indisponibles pour la communauté scientifique. Alors que les scientifiques, eux, doivent publier leurs résultats, des questions de santé publique se posent donc sans que nous puissions y répondre. Ce fait est extrêmement dommageable car il nous a empêchés de nous apercevoir des lacunes de l'évaluation.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les industriels invoquent le secret industriel pour ne pas communiquer la totalité de leurs recherches. Pourrait-on imaginer un système de confidentialité permettant à la fois vos recherches et la protection du secret industriel ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Bien sûr. J'ai fait partie de la commission Lepage en 2009 qui a travaillé pour le conseil des ministres de l'environnement européen. Nous avons écrit les textes de lois qui permettraient d'instaurer un tel système. Disponibles sur le site Internet du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), ces rapports comportent des préconisations respectant le secret de fabrication du produit et sa mise au point. En revanche, les résultats des analyses de sang des rats sur lesquels le produit a été testé n'ont pas à être protégés, même si elles sont très approfondies et ont coûté des millions d'euros. Les juridictions allemandes nous ont donné l'accès à ces analyses en appel contre Monsanto. Il faut se battre pour les obtenir, mais la loi est de notre côté ! En principe, REACH devrait nous permettre d'avoir accès aux données sur la santé, dès lors qu'elles se limitent aux conclusions des commissions. La disponibilité des données brutes nous permettrait de mener nos recherches dans leur entièreté.

J'appelle « pesticides » l'ensemble des herbicides, fongicides et insecticides. Les industriels ont mis au point des coformulants ou adjuvants - comme le glyphosate dans le cas du Roundup - destinés à faire franchir aux pesticides la barrière grasse entourant chaque cellule vivante. L'industrie défend la distinction entre « molécules actives » et « produits inertes ». Or, cette distinction n'est pas pertinente, car c'est l'effet combiné qui est recherché. L'absence d'évaluation à long terme sur les animaux de laboratoire, meilleur modèle d'évaluation avant de passer à l'homme, est un scandale sanitaire.

M. Henri Tandonnet. - La molécule est évaluée sans l'adjuvant.

M. Gilles-Éric Seralini. - Et c'est là-dessus que va se fonder la dose journalière admissible (DJA).

M. Gilbert Barbier. - Quid de REACH ?

M. Gilles-Éric Seralini. - REACH ne concerne que les produits chimiques autres que les pesticides et les médicaments. Les molécules constituant les matériaux (bisphénol A, phtalates, ...) ne sont pas commercialisées avec les adjuvants, mais libérées en tant que telles. En revanche, un agriculteur utilise systématiquement des adjuvants lorsqu'il épand un pesticide, afin que le produit puisse pénétrer plus facilement la molécule.

Les pesticides devraient être évalués à long terme tels qu'ils sont utilisés par les agriculteurs. Or, ce n'est jamais fait.

Comme je l'explique dans mes publications, la dose journalière admissible (DJA) est une division de la dose sans effet dans l'expérience, qui est calculée à partir de la molécule seule. En réalisant des mélanges - de Roundup, PCB, atrazine - avec des produits plastifiants ou autres présents dans l'environnement - qui parfois servent d'adjuvant - nous avons montré que les DJA pourraient être divisées par 100 ! Il s'agit donc de prendre en compte l'effet combinatoire du mélange et donc de l'évaluer. Lorsqu'un principe actif est toxique, les effets secondaires sont démultipliés. Les formulations sont mises au point précisément pour obtenir des effets de synergie, mais elles ne sont pas évaluées, a fortiori sur le long terme.

Nos travaux montrent les points d'impact de l'emploi des produits phytosanitaires sur les cellules. Ce sont surtout des inhibiteurs de la communication cellulaire à l'intérieur ou entre les cellules. Songez que le corps humain comporte quelque 200 000 milliards de cellules ! Agissant comme du sable dans un moteur, ces produits peuvent perturber plusieurs organes à la fois.

Nous disposons de deux grands systèmes de communication : le système chimique, porté par le système hormonal et le système électrique, porté par le système nerveux. L'un et l'autre peuvent être atteints indifféremment. Dénués de réelle spécificité, ces produits ralentissent la communication cellulaire, comme des spams dans un ordinateur, ce qui peut provoquer l'apparition de maladies chroniques (maladies du système nerveux, Alzheimer, Parkinson, diabète, maladies de la reproduction ou du système immunitaire). Il n'est pas pertinent de chercher un lien direct entre un principe actif et une maladie chronique, puisque le système fonctionne en réseau.

Les pesticides agissent réellement en formulation et on ne les évalue qu'au niveau d'une molécule. Les effets les plus perturbants à long terme, et pour lesquels il y a débat, ne sont étudiés qu'au regard du principe actif. Du coup, la MSA externalise ce type de problèmes. Le suicide cellulaire programmé joue un grand rôle dans la vie foetale. Ainsi, la mort programmée de certaines cellules permet la formation des doigts. A l'inverse, les pesticides sont capables de reprogrammer la mort cellulaire vers le suicide cellulaire.

Nous avons montré qu'à des doses 100 000 fois inférieures aux doses agricoles, le Roundup était un perturbateur endocrinien, puisqu'une dose de 0,2 partie par million (ppm) de glyphosate a un effet de perturbateur endocrinien. On parle ici de « faible dose », mais elles sont très supérieures aux dosages hormonaux habituels : nous sommes loin de l'homéopathie, où la trace des produits chimiques n'est pas quantifiable. La norme applicable au soja transgénique est de 400 ppm. Avec une dilution de 100 pour l'alimentation, on aboutit à 4 ppm, alors qu'une perturbation endocrine est observée dès 0,2 ppm !

Les pathologies chroniques ayant une cause environnementale explosent actuellement dans l'ensemble de la population.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pensez-vous des équipements de protection individuelle physique des agriculteurs ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Agrican l'a montré dans une étude préalable : fût-il très bien équipé, un agriculteur est exposé aux pesticides  lorsqu'il s'habille ou se déshabille. La protection procurée par l'équipement est donc limitée. A mon avis, une évaluation beaucoup plus sérieuse des pesticides offrirait une meilleure protection de la santé des agriculteurs. Je considère que l'Union européenne offre le meilleur niveau de protection sociale et environnementale, mais cela n'empêche pas de très nombreuses perturbations chez les agriculteurs. Pour 95 %, voire pour 98 % des cas, l'explosion des maladies chroniques est imputable à des causes environnementales.

Mme Sophie Primas, présidente. - Que pensez-vous de l'étude Agrican ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Agrican traite des cancers, et toujours à long terme. Je connais bien ce travail, qui souffre d'un biais initial, admis par ses auteurs : le répondant n'est pas toujours celui qui manipule le produit, l'exploitant ou l'employé, selon les cas. Or, les travailleurs agricoles effectuant à la cueillette des fruits sont particulièrement exposés aux résidus de pesticides présents sur les feuilles. Peu importe qu'ils soient exploitants ou salariés. Dans la viticulture, ce sont les jeunes qui font la récolte. De même dans les pommeraies. Mal formulées, les questions s'adressent à l'exploitant agricole. Il faudrait retrier les données.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'étude montre que les agriculteurs meurent moins du cancer que le reste de la population, du fait de raisons extérieures.

M. Gilles-Éric Seralini. - Oui. Moins de tabac ou l'activité physique est l'une de ces raisons.

Mme Sophie Primas, présidente. - Cependant, l'étude indique aussi que certains cancers sont surreprésentés parmi les agriculteurs.

M. Gilles-Éric Seralini. - C'est pourquoi il est préférable non pas de s'intéresser aux cancers en tant que tels, mais aux maladies hormonales, cancéreuses, nerveuses, immunitaires etc. Cela nous permettrait de disposer d'une vision globale pour évaluer la santé des agriculteurs.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pensez-vous de ce qui est appelé la « fabrique du doute » autour des pesticides ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) réclame des études épidémiologiques sur l'Homme pour que les pesticides soient rangés dans la classe 1, dangereux pour l'Homme, donc interdits.

Les pesticides sont des perturbateurs endocriniens, car ils ont été conçus précisément pour intervenir sur la vie cellulaire. Ils sont fabriqués pour être stables, par eux-mêmes ou grâce à des adjuvants chimiques, parfois dérivés du pétrole.

L'épidémiologie a été inventée pour étudier les épidémies. Elle est très utile pour établir un lien entre un agent pathogène et un effet massif à brève échéance. En revanche, elle n'est pas efficace pour étudier les effets combinés à très long terme ou trans-générationnels, car il est impossible de connaître les produits auxquels tel ou tel individu a été exposé. Il faudrait attendre des cercueils et des cercueils avant de conclure ! Dans leur quasi-totalité, les effets combinés sur le cancer du sein sont d'origine environnementale. Ils sont donc méconnus. Par ailleurs, plusieurs plastifiants alimentaires ont été inclus dans la formulation des pesticides. Conçus pour isoler des bactéries, ce sont donc des perturbateurs de la communication.

M. Gilbert Barbier. - Il n'est pas tenu compte de l'effet dose des perturbateurs endocriniens. Or, à faible dose, un produit perturbe peut-être davantage qu'à forte dose accumulée sur un temps très court. Vos études sur les perturbateurs endocriniens semblent démontrer, comme dans le cas du cancer du sein, que la dose absorbée n'a rien à voir avec le risque de présenter des perturbations endocriniennes.

Dans votre exposé, vous faites essentiellement allusion aux quantités absorbées. Les citadins, qui ne sont en contact avec les pesticides qu'à de faibles doses et de façon épisodique, ont-ils plus de risques d'être perturbés qu'un agriculteur qui manipule ces produits toute la journée ? Ne confond-t-on pas l'effet toxique avec l'effet perturbation endocrinienne ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Si. C'est une bonne question. La perturbation endocrinienne est observée en-deçà de la concentration toxique.

M. Gilbert Barbier. - Êtes-vous d'accord avec la théorie de l'effet, en courbe de Gauss, voulant que certains perturbateurs endocriniens soient moins dangereux à forte dose qu'à une dose très faible ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Ce cas de figure est connu. Songez au cycle féminin : il n'existe pas en l'absence totale d'oestrogènes, mais il est déclenché par l'apparition d'une faible dose de ces hormones, et se trouve totalement inhibé à une dose plus forte. C'est d'ailleurs le principe de la contraception hormonale.

Cette affirmation est donc vraie pour la perturbation endocrine, mais elle est fausse pour la toxicité stricto sensu.

M. Gilbert Barbier. - Parle-t-on aujourd'hui de toxicité ou de perturbation endocrinienne ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Des deux : il y a d'abord la perturbation endocrino-nerveuse ou immunitaire, puis la toxicité. Le seuil de toxicité des organes, des produits est largement une affaire de réaction personnelle, comme pour toute maladie.

La communauté scientifique dans son ensemble a mis en évidence les courbes en U ou en J des effets perturbateurs endocriniens de l'ensemble des pesticides, avec des effets antagonistes lorsqu'on augmente la dose. La courbe en U, en cloche ou en J est la réponse naturelle d'une cellule à toute stimulation chimique ou électrique : elle commence par répondre, avant d'être inhibée. Rien de tout cela n'est pris en compte par la réglementation actuelle, qui reste fondée sur la dose journalière admissible (DJA), qui ne porte que sur le seul produit.

Il faudrait mesurer la dose de pesticides dans l'organisme - dans un tissu, le sperme, le lait...- non dans le sang quand il y a des effets de perturbation endocrinienne mis en évidence, ce qui est le cas avec 80 % des pesticides. Par exemple, nous avons trouvé du glyphosate dans le cerveau des rats exposés au Roundup à de très faibles doses.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pouvez-vous dire de l'expertise scientifique menée par l'ANSES ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Pour moi, c'est plutôt l'EFSA, pardonnez-moi de parler ainsi, mais l'évaluation nationale n'a plus vraiment d'importance à mon sens car le processus est aujourd'hui européen.

L'évaluation de l'ANSES est théorique et ne porte pas sur les effets à long terme. Elle porte sur la pénétrabilité du mélange dans les tissus à court terme, pour en déduire les expositions. Or, seuls les tests à long terme permettent d'évaluer réellement la perturbation endocrinienne. Et ils ne sont pas effectués.

M. Gilbert Barbier. - Qu'appelez-vous un test à long terme ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Tous les médicaments en subissent : c'est un test de deux ans sur les rats, sur la vie entière. Souvent, les tests des industriels sont limités à six mois pour les pesticides et portent davantage sur la capacité de reproduction et les effets directement visibles sur la descendance. Les effets du distilbène par exemples ne peuvent pas être évalués ainsi.

Le produit modifie l'habillage chimique de certains gènes, ce qui les rend inexploitables. L'épigénétique étudie la transmission de cet habillage chimique, un élément à prendre en compte pour comprendre la transmission des maladies épigénétiques. La communauté scientifique découvre tous les jours des effets épigénétiques, même sans trace du produit. Avec le distilbène, des enfants peuvent présenter de perturbations nerveuses ou comportementales - comme l'autisme, favorisé par le distilbène - voire cancérogènes ; des femmes peuvent être atteintes par un cancer du col en raison d'un produit reçu par leur mère, voire leur grand-mère, ce qui risque d'entraîner l'autisme de leurs petits-enfants.

L'étude réalisée par Skinner aux États-Unis d'Amérique sur les effets épigénétiques a montré que les descendants de rats exposés aux pesticides étaient évités par les femelles durant cinq générations, car leurs hormones de reconnaissance sexuelle ne sont plus synthétisées de la même manière.

Si vous le souhaitez, nous pouvons à présent aborder les solutions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Allez-y.

M. Gilles-Éric Seralini. - Au CRIIGEN et au pôle risques, qualité et environnement durable, reconnu par le CNRS, nous avons travaillé avec des juristes, des sociologues, des économistes et des environnementalistes pour saisir ces problèmes.

Trois enjeux majeurs ont été soulevés par vos questions très pertinentes. Premièrement, se pose un problème de transparence. Il faut que les données brutes sur la santé soient mises à la disposition de la communauté scientifique - j'exclus celles portant sur la fabrication du produit. Il convient de lever, au bénéfice de l'État, le code confidentiel sur les analyses de sang. Ainsi, la communauté scientifique pourrait s'emparer gratuitement de ce sujet de recherche. La loi exige la transparence sur les données de santé, mais elle n'est pas respectée quant aux analyses sanguines. Comment un médecin pourrait-il diagnostiquer ce dont vous souffrez, sans jamais connaître les résultats des examens de laboratoire ? Or, il est important d'obtenir les analyses de sang des mammifères qui ont reçu, le plus longtemps possible, le produit analysé.

Par ailleurs, l'étiquetage des produits doit être complet. Or, les adjuvants restent confidentiels et ne font pas l'objet de tests approfondis. Nos prélèvements obligatoires servent à prendre en charge des maladies chroniques dont nous ne pouvons pas connaître l'origine ! Sans élément sur la composition du produit, aucun scientifique ne peut reproduire son effet. Ces méthodes constituent un sommet obscurantiste digne d'une sorte de Moyen-âge de la connaissance : n'avoir accès ni au produit ni aux effets qu'il entraîne. Depuis cinquante ans, nul n'est capable de réaliser un test sur la formulation d'un pesticide dans le respect des normes préconisées par l'OCDE, car cela coûterait 2 millions d'euros.

C'est pourquoi, par exemple, il n'y a eu qu'un test au monde pour homologuer le Roundup... et ce test est baladé de commission en commission.

Pour favoriser l'emploi, l'État a demandé aux laboratoires et aux grands organismes de recherche de se rapprocher de l'industrie, ce qui a émoussé l'expertise contradictoire. Le corporatisme d'intérêt n'est pas rare au sein des commissions, où nous cherchons le mythe de l'expertise indépendante, alors qu'il faut organiser une expertise contradictoire.

Une expertise indépendante ne peut être fondée uniquement sur les données du pétitionnaire ; elle ne peut être réalisée uniquement par des rapporteurs en phase avec l'industrie. Je partage l'opinion de certains d'entre eux, mais je place différemment la barre d'exigence des contrôles et des expertises. Si l'on ne peut demander un test à long terme sur la formulation, alors qu'il est nécessaire, j'y vois une lacune de l'exigence. Il y a des gens qui le savent dans les commissions.

D'où un hiatus entre les connaissances et la réglementation - l'épigénétique et les courbes en U et en J sont dedans. Il est donc nécessaire de stimuler l'expertise contradictoire, à euros constants. Il faut demander aux industriels de ne plus financer eux-mêmes des cocontractants ou des sous-traitants pour réaliser des tests et établir des statistiques des tests. Au contraire, il faut leur demander de réemployer les fonds correspondants - qui donnent lieu à des subventions ou des crédits d'impôt recherche - pour payer des laboratoires indépendants chargés de réaliser ces tests. Les entreprises pourraient abonder un fonds destiné à réaliser ces études et qui serait géré par l'État. Il serait ensuite fait appel à deux experts scientifiques, l'un nommé par l'industriel, l'autre par une structure plus citoyenne. Après évaluation du dossier, ces experts présenteraient leurs travaux devant la commission, dont les séances seraient ouvertes aux journalistes scientifiques lorsque les débats portent sur la santé et l'environnement, ou à d'autres personnes, comme dans les assemblées parlementaires. Ainsi, aucune question ne resterait sans réponse. Aujourd'hui, ces sujets sont aux mains de commissions dont les membres sont trop souvent en charge de l'évolution des carrières de leurs collègues. Les enjeux de pouvoir ne permettent ni la transparence, ni la réalisation d'une expertise contradictoire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Pourrions-nous cependant nous retrouver sur la mise en place d'un système satisfaisant ?

M. Gilles-Éric Seralini. - Ce système nous permettrait d'assurer la transparence des effets et de réaliser une expertise contradictoire. Il nous permettrait de sortir du Moyen-âge de la science réglementaire.

M. Gilbert Barbier. - La FDA se situe aussi dans le Moyen-âge de la science.

M. Gilles-Éric Seralini. - Oui. Elle est très forte pour évaluer les risques microbiens. En revanche, les nouveaux pesticides ont été autorisés dans les OGM simplement sur déclaration. Or, les Américains souffrent de très nombreuses maladies hormonales liées à l'alimentation.

M. Gilbert Barbier. - Les Américains ont été les premiers à interdire le DDT.

M. Gilles-Éric Seralini. - C'est vrai. Néanmoins, les contrôles sur les produits chimiques sont nettement moins nombreux aux États-Unis. Les liens entre les entreprises et la FDA sont bien plus étroits qu'il y a vingt ans. L'espérance de vie des Américains régresse depuis que la réglementation a été allégée par l'administration Bush père (ventes libres d'hormones, de pesticides, d'OGM ...).

Outre la transparence et l'expertise contradictoire, il est enfin nécessaire de systématiser les tests à long terme sur les animaux de laboratoires pendant leur vie entière et celle des trois générations suivantes. Les rats atteignant la maturité sexuelle en deux mois, de tels tests ne dureraient que deux ans, soit une période s'inscrivant largement dans la durée de l'homologation d'un produit.

Ces nouvelles règles serviraient également les industriels puisqu'elles permettraient de rétablir la confiance du public envers leurs produits. Ainsi, un contrat européen a été signé avec neuf universités et neuf ONG pour étudier la réception par le public de l'évaluation des pesticides et des OGM. Dans huit États européens, la population estime que le laxisme prévaut. C'est notamment ce qui a ruiné la confiance envers les OGM, qui produisent des pesticides. L'affaire de la vache folle a miné la confiance du public en la manière dont l'Etat gère la traçabilité.

D'ailleurs, les commissions scientifiques peuvent orienter les modalités du contrôle étatique. Par exemple, lorsqu'une technologie américaine, appliquée au Royaume-Uni, a visé à moins chauffer les farines animales. Une personne de la Commission européenne a considéré alors qu'il n'était pas nécessaire de réaliser de tests à long terme sur cette nouvelle technologie. Ensuite, c'est la même personne qui n'a pas perçu l'utilité des tests à long terme sur les OGM. Or, le moindre chauffage des farines animales a provoqué la non-dégradation du prion pathogène, donc la transmission de la maladie dite de « la vache folle ».

En évitant le laxisme, sur les nanotechnologies, sur les téléphones mobiles, sur les tests à long terme sur les animaux, il sera possible de répondre à un ensemble de questionnements. La réalisation de tests à long terme est importante pour l'ensemble des innovations technologiques et des produits chimiques ; elle favorise l'élaboration de produits recyclables et biodégradables. A contrario, en nous abstenant de les imposer, nous laisserons se développer des produits chimiques entraînant certaines maladies. Il en va d'un changement de politique et d'économie.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous devons malheureusement mettre un terme à cette audition. Pourriez-vous conclure en quelques mots ?

M. Gilles-Éric Seralini. - De bonnes initiatives ont été prises. Nul n'est heureux de compter dans son entourage une personne atteinte d'une maladie chronique. Les cas se multiplient trop, y compris dans la faune sauvage - pour laquelle on ne peu incriminer ni le métro ni le travail -, pour que nous ne nous emparions pas du sujet.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pourquoi les agriculteurs éprouvent-ils des difficultés à déclarer leurs maladies ?

M. Gilles-Éric Seralini. - A cause de l'épidémiologie et de la MSA qui limite sa prise en compte aux accidents constatés sur place. En outre, l'épidémiologie est démunie quant aux effets combinatoires et à long terme. Or, par définition, les pesticides entraînent tous des effets combinatoires et à long terme. A la manière de sable dans la communication cellulaire.