Mardi 22 janvier 2013

- Présidence de M. Joël Bourdin, président -

Avenir des campagnes : présentation du rapport

M. Joël Bourdin, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour écouter la présentation du rapport de Renée Nicoux et Gérard Bailly sur l'avenir des campagnes, qui fait suite à des travaux approfondis, dont un atelier de prospective tenu le 12 décembre dernier. Je leur laisse la parole.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - Monsieur le Président, mes chers collègues, voici un an, nous commencions nos travaux sur l'avenir des campagnes. Nos auditions, nos déplacements et l'atelier de prospective ne nous ont pas rendus plus optimistes, mais plus combatifs, au vu d'un cumul d'iniquités et du péril de certaines situations.

Le dynamisme démographique des zones rurales, avéré depuis les années soixante-dix, reste ambivalent. Certaines sont plus attractives, mais d'autres demeurent en situation de recul démographique ou accueillent des populations fragiles. Si l'on ne fait rien, le développement des campagnes, déjà très inégal, sera stoppé net par la crise économique et budgétaire actuelle. Les espaces de relégation gagneront du terrain. Tel est notre premier scénario, qui est hélas le scénario tendanciel, si rien n'est fait. L'enjeu est d'inverser la tendance, pour que toutes les campagnes deviennent attractives, en engageant une véritable politique d'aménagement du territoire. Alors peut se dessiner un second scénario, bien plus engageant.

Nous allons vous exposer ces deux scénarios : l'un, noir, que je présenterai ; l'autre, rose, que Gérard Bailly développera, en abordant quatre thèmes successifs - l'environnement, les hommes, l'économie et les services -, puis nous détaillerons les leviers d'action permettant de passer du premier scénario au second.

Le scénario tendanciel est le suivant :


· L'environnement : l'artificialisation des sols se poursuit avec un étalement urbain et un mitage résidentiel préjudiciables au paysage, dont l'entretien est compromis par la régression des surfaces agricoles. L'usage d'engrais chimiques et de pesticides nuit à la qualité de l'eau et à la biodiversité dans le contexte aggravant du réchauffement climatique. Un habitat éparpillé engendre des dépenses d'énergie et de transport qui augmentent avec le coût de l'énergie, précarisant toute une population de primo-accédants à faibles revenus.


· La population : la démographie des campagnes demeure dynamique, surtout à l'approche des métropoles, du littoral ou dans les vallées urbanisées ; cependant, on déplore de nouvelles pertes de population au Nord de la « diagonale du vide » (Sud Ouest-Nord Est) et dans le nord du Massif Central.

La surreprésentation ouvrière et la sous-représentation des cadres persistent. Une certaine « immigration de la pauvreté » se nourrit de la cherté de l'habitat à l'approche des métropoles ou de campagnes « patrimonialisées », épargnées par la crise. Ainsi, l'employabilité de la population active faiblit dans de nombreuses campagnes, dont le vieillissement se poursuit. Leur image se dégrade auprès des actifs urbains et d'entreprises dont la fuite est parfois accélérée par des dessertes ferroviaires et routières insuffisantes, ou de plus en plus mal entretenues.

Dans un schéma d'appauvrissement renforcé par la hausse du coût de l'énergie, les différences d'appréciation quant au « bien commun » multiplient les conflits d'usage, bloquant nombre de projets d'intérêt local ou national.

Le foyer familial devient le dernier rempart de la solidarité ; avec le coût toujours plus problématique de la garde des enfants et des maisons de retraites, il abrite jusqu'à quatre générations.


· L'économie : les agriculteurs, exposés à la concurrence mondiale, subissent le détricotage de la politique agricole commune (PAC). La concentration des exploitations, dont les moins rentables sont délaissées, se poursuit. Les filières spécifiques ne parviennent pas à remplacer toute la valeur détruite. Dans le secteur secondaire, les salariés subissent de plein fouet la désindustrialisation et des délocalisations précipitées par les développements de la crise actuelle. La concurrence approfondit des spécialisations territoriales risquées et précipite la désertification économique des campagnes les moins dotées en niches productives. Le processus de « destruction créatrice » inhérent au progrès économique se territorialise : les suppressions d'emplois dans les campagnes sont compensées par des créations d'emplois dans les aires métropolitaines.

Au bout d'une dizaine d'années, le développement résidentiel, sur lequel ont misé de nombreux territoires ruraux, ne compense plus l'écart de revenu productif vis-à-vis des villes. Les revenus de transfert s'étiolent, le nombre de fonctionnaires diminue. Alors, l'économie résidentielle se replie à son tour. Le secteur des services à la personne s'effondre sous le double choc d'une baisse des soutiens publics et des revenus.

A l'exception de zones rurales privilégiées, l'écart de développement vis-à-vis des aires urbaines, qui tendait à se combler depuis quarante ans, se creuse à nouveau.


· Les services : à la suite d'ajustements budgétaires successifs, la concentration des services se poursuit et s'accentue, surtout dans les campagnes dont la démographie est la moins dynamique. Les initiatives de mutualisation restent trop éparses.

L'offre de santé se rétracte dans les territoires ruraux les plus fragiles, pourtant exposés au vieillissement et à l'arrivée de populations précaires dont l'état de santé nécessiterait de lourdes prises en charge. Pauvreté et détresse sanitaire engendrent alors une misère inadmissible.

Certains petits commerces se maintiennent dans les bourgs grâce aux possibilités offertes par le commerce électronique. Bientôt, la quasi-généralisation du très haut débit facilite l'accès à différents services administratifs, commerciaux et médicaux. Mais les flux antérieurs de population et d'activité apparaissent comme très difficilement réversibles.

Voilà le tableau noir, si on laisse aller les tendances telles qu'elles se dessinent aujourd'hui : des campagnes très fragilisées à l'horizon 2040.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Dans un scénario qui nous paraît plus souhaitable, je reprends les quatre mêmes thèmes :


· L'environnement : à côté des filières biologiques et des circuits courts, se diffusent de nouvelles pratiques agricoles adaptées aux productions intensives, telles que l'agriculture intégrée. Ces évolutions sont soutenues par des politiques de labellisation.

La cherté de l'énergie et des intrants favorisent la constitution de filières de méthanisation valorisant les résidus organiques. L'élevage, qui fournit un engrais compétitif, se répartit mieux sur le territoire, évitant certaines concentrations polluantes grâce à une meilleure répartition des élevages intensifs.

La planification foncière, exhaustive et ambitieuse, s'assortit de mesures volontaires pour préserver l'attractivité des bourgs ruraux et des villes moyennes, nécessaires aux campagnes. La périurbanisation, en partie inévitable, est organisée et cohabite avec une agriculture « périurbaine ».


· Les populations : des initiatives ciblées en termes d'infrastructures routières ou ferroviaires améliorent encore la desserte des campagnes enclavées. L'image des différentes campagnes est travaillée sur la base d'une communication unifiée qui met l'accent sur l'accès à la culture. L'effort pour la formation des jeunes et des sans-emploi s'accroît grâce à l'effet de levier de l'e-formation. Cet effort concerne les agriculteurs, confrontés à l'équation agro-environnementale, les métiers de l'industrie et ceux des services et du tourisme, ce qui plaît aux entreprises.

Avec un rajeunissement doublé d'une élévation des compétences, la répartition des catégories socioprofessionnelles et des classes d'âges se normalise. La reprise démographique s'étend au Nord-Est ; ailleurs, l'accélération est contenue, préservant paysages et activités agricoles.

Les conflits d'usage sont jugulés grâce à une concertation locale systématique. La logique de projet se généralise à diverses échelles territoriales et joue sur la complémentarité, désormais comprise, entre logiques productives, résidentielles et touristiques. La diffusion d'Internet facilite diverses formes de coordination et renforce les réseaux sociaux et professionnels.

A l'horizon de 2025, grâce au très haut débit dont l'usage se généralise par un effet de génération, un entretien raisonnable des réseaux physiques devrait suffire si les efforts antérieurs sont eux-mêmes suffisants, d'autant plus que les temps de transport libérés peuvent être consacrés au travail ou aux loisirs. Parallèlement, les coûts en restent acceptables avec les progrès du co-voiturage et de l'intermodalité.


· L'économie : l'économie des campagnes s'appuie toujours sur l'agriculture et sur une base résidentielle entretenue par la demande de proximité de ses habitants, actifs ou retraités, et par un tourisme qui croît en volume et en gamme.

Le « verdissement » de la PAC se poursuit, avec une inflexion vers le développement rural au détriment du strict soutien direct de la production. L'agriculture ne s'intensifie que pour les produits compétitifs, tandis qu'émergent de nombreuses filières privilégiant la qualité ou la proximité. En aval, les filières agro-industrielles - l'agro-alimentaire, la chimie verte, les agrocarburants - poursuivent leur développement.

Les services à la personne accompagnent des retraités de plus en plus nombreux jusqu'en 2030, et un certain retour des familles. Mais la production industrielle et de services aux entreprises s'accélère aussi. Fortes de leur diversité, toutes les campagnes parviennent à valoriser des avantages comparatifs. Des innovations économiques se font jour sur la base de projets territorialisés, dans le lignage des « pôles d'excellence rurale ». Les entreprises, attelées à Internet, recourent plus facilement à des établissements ruraux dont les salariés sont mieux formés ; le télétravail fait un « grand bond en avant ».

Certaines formes de « préférence territoriale » émergent. Les marchés publics ruraux surpondèrent la proximité. Les circuits courts se multiplient et concernent, outre l'alimentation, des biens technologiques, des services environnementaux, l'énergie (par exemple la méthanisation) ou les activités récréatives ou sanitaires.

Le rééquilibrage global des moteurs internes et externes de la croissance des territoires ruraux profite de démarches interterritoriales et d'un retour de la planification économique aux fins de coordination subsidiaire des stratégies locales.


· Les services : l'accès aux services essentiels - petite enfance, enseignement, médecine, services aux personnes âgées, commerces... - à partir des bourgs-centres et des villes moyennes, reste prioritaire. Le rôle hyper-structurant des écoles est assumé.

La soutenabilité budgétaire de l'accès aux services publics repose sur une vaste mutualisation des moyens humains, physiques et électroniques. Elle peut englober des services privés : petits commerces, cafés, agences... Les implantations postales sont souvent les plateformes de cette mutualisation.

Les administrations et certains services médicaux peuvent s'appuyer sur la généralisation du haut puis du très haut débit pour multiplier les prestations directes à domicile ou dans des points d'accès administratifs et médicaux de grande proximité. Ainsi, les synergies budgétaires entre logiques de mutualisation et de concentration ne heurtent pas la logique de proximité. « L'imagination est au pouvoir » afin de rationaliser les services sans perte de qualité ; chaque expérimentation doit être recensée.

Partout, l'offre de soins répond aux besoins grâce à la hausse du numerus clausus, à des mesures incitatives et au déploiement des maisons de santé, du salariat des professionnels de santé et des délégations de soins.

La télémédecine conforte les soins à domicile, pérennise des établissements hospitaliers secondaires - cruciaux pour les urgences - et facilite les liens entre différents praticiens. Les petits commerces stratégiques bénéficient d'un soutien public ; tous ressortiront confortés par les multiples possibilités d'adaptation à la demande locale que permet Internet. Enfin, le maintien des services dans les villes moyennes préserve leur vitalité et donc leur capacité financière à enrichir une offre culturelle par ailleurs accessible via les réseaux routiers ou ferrés, mais aussi électroniques.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - Ce scénario plus positif envisage une campagne disposant de tous les services, plus intégrée. Je souhaite faire un rapide commentaire avant de dévoiler les leviers permettant de basculer du scénario tendanciel au scénario souhaitable.

Le scénario tendanciel est, en partie, la résultante des iniquités que subissent les campagnes :


· Pour la conduite des projets, élus et acteurs du monde rural soulignent la disproportion de certaines charges et contraintes, surtout en matière d'environnement et de sécurité. Elles causent des retards et des surcoûts tout en décourageant l'initiative.


· Le mouvement de décentralisation engagé depuis le début des années quatre-vingt oblige aujourd'hui les territoires mal lotis en infrastructures à financer une part de plus en plus importante de celles-ci, alors que d'autres n'ont pas eu à le faire. Est-il acceptable que les financements centraux, qui ont autrefois bénéficié à des territoires aujourd'hui bien-portants, soient aujourd'hui refusés aux territoires nécessitant un rattrapage économique ?


· Le niveau de services collectifs attendu dans les campagnes se rapproche de celui constaté dans les villes. Dès lors, l'écart des dotations globales de fonctionnement devient injustifié.


· Les zones rurales produisent diverses externalités positives dont les zones urbaines profitent sans contrepartie : nature, paysages, pureté de l'air, cycle de l'eau, stockage du carbone.


· Réciproquement, les campagnes subissent, toujours sans contrepartie, les externalités négatives de certaines entreprises polluantes ou urbaines lorsqu'elles accueillent, par exemple, les boues des stations d'épuration ou les déchets ultimes.

Ajoutons que les zones rurales - particulièrement les plus fragiles - sont bien moins résilientes que les métropoles : les périodes de reprise économique n'y permettent pas de regagner les emplois perdus en temps de crise.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Même en s'accommodant de fortes inégalités, concentrer les moyens dans les zones, souvent urbaines, où le retour sur investissement est mieux assuré à court terme, serait une erreur à notre avis.

Les acteurs des espaces ruraux entretiennent un rapport affectif avec leur territoire. Ils sont innovants et combatifs. En dépit des handicaps, ils affinent leur capacité de projection et inventent de nouveaux leviers de développement.

En proie à une métropolisation triomphante, la France aura bientôt besoin de ces leviers pour sortir de l'ornière économique où elle s'enfonce. Sa croissance future est en gestation dans le creuset de nos campagnes, qu'il faut protéger et accompagner.

Nous allons maintenant aborder les solutions. Que faire pour que se réalise le scénario souhaitable? Quatre leviers structurels doivent être mobilisés pour garantir le développement à long terme des campagnes : la gouvernance, les services, les réseaux physiques et les réseaux électroniques. Nous les avons déclinés en mesures très générales, car il s'agit d'orientations à long terme. Elles forment ensemble une authentique politique structurelle de soutien aux campagnes.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - Premier levier : la gouvernance et les structures locales.

D'une façon générale, nous préconisons un renforcement de l'inter-territorialité, surtout pour la maîtrise foncière. Elle est nécessaire à la coexistence harmonieuse de l'habitat, des activités agricoles et des autres activités économiques, tout en préservant l'environnement et le potentiel touristique.

Nous voulons aussi que la gouvernance s'inscrive, à divers échelons, dans des logiques de projet fédératrices pour les populations, agriculteurs, ouvriers, employés et cadres de tous horizons. Dans le détail, il est nécessaire de :

- stabiliser et clarifier la politique d'aménagement du territoire en veillant au bon emboîtement des stratégies économiques nationales et territoriales ;

- mener des politiques différenciées, tenant compte des spécificités des territoires (notamment les montagnes) ;

- maintenir le pouvoir d'achat des minima sociaux ;

- adapter la différence, excessive, entre les dotations urbaines et rurales, à la réalité des contraintes ;

- préserver l'incitation fiscale des collectivités à l'accueil des entreprises (problème de la réforme de la taxe professionnelle) ;

- soutenir la capacité d'ingénierie financière des collectivités locales ;

- sanctuariser le soutien aux services à la personne ;

- coordonner et renforcer par des initiatives nationales toutes les démarches confortant l'image des campagnes ;

- réaffirmer le rôle-pivot de la commune et le principe de sa participation à toutes les structures de dialogue territorial ;

- élargir le périmètre de certaines structures intercommunales pour englober des zones rurales et urbaines ;

- piloter le développement économique local en articulant base productive et base résidentielle ;

- définir des stratégies locales de développement basées sur des logiques de projet fédératrices... ;

- ... et favoriser l'inter-territorialité et l'inter-intercommunalité, jusqu'à l'échelon des actuels « pays », pour en garantir la cohérence ;

- adapter certaines normes à la réalité des territoires pour limiter les coûts, libérer l'initiative et garantir leur représentation équitable.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Deuxième levier : les services et équipements publics, avec une attention particulière à la santé et à l'éducation. Voici nos préconisations en milieu rural :

- normaliser les temps d'accès maximum aux différents services publics et de santé ;

- ne pas modifier l'accès à un service public sans concertation avec les usagers ni coordination départementale préalables ;

- toujours préférer la logique de mutualisation à la logique de concentration, sans a priori sur les combinaisons possibles ;

- préserver le rôle structurant des villes moyennes et des bourgs pour l'accès aux services ;

- améliorer l'accès à la médecine en recourant à des mesures incitatives, aux maisons de santé, au salariat ou aux délégations de tâches, voire, si cela ne suffit pas, à des mesures coercitives ;

- poser le problème du nombre de pharmacies de garde ;

- garantir à tous un accès raisonnable aux urgences médicales ;

- ne pas fermer d'école dès lors qu'une hausse suffisante des effectifs est prévisible ;

- encourager  l'ambition scolaire des familles en milieu rural ;

- relocaliser certains temps de formation en milieu rural ;

- favoriser l'implantation d'antennes universitaires pour faciliter l'accès des jeunes à l'enseignement supérieur.

Troisième levier : les réseaux physiques de communication, qui doivent être rapidement à la hauteur des exigences d'une économie moderne, sans attendre de miracles d'un hypothétique « tout Internet » - ce n'est pas pour demain - ; il faut ainsi :

- sanctuariser le financement de l'entretien, de l'amélioration et de la création des dessertes routières et ferroviaires dans une logique de long terme ;

- en toute hypothèse, préserver la desserte des villes moyennes et des bourgs-centres ;

- réduire la dépendance économique aux transports motorisés individuels.

Le quatrième facteur, essentiel, est un accès généralisé au haut, puis au très haut débit pour un développement sans entrave du télétravail, de la télémédecine, de la téléformation, de l'e-commerce, de l'e-administration et de tous les usages récréatifs et sociaux d'Internet. Les territoires où les opérateurs refusent d'investir devront bénéficier d'un soutien spécifique et significatif des pouvoirs publics.

Ces quatre facteurs réunis, particuliers et entreprises resteront ou s'installeront plus volontiers dans nos campagnes. Ainsi, les politiques ciblées, qu'elles concernent l'industrie, le commerce, les services privés, l'agriculture, le logement, le tourisme ou la culture, seront à la fois soutenables et efficaces.

Mes chers collègues, cet exposé est un très court résumé, et nous vous renvoyons au rapport écrit pour l'examen de détail des politiques que nous préconisons.

Notre objectif était que toutes les campagnes, à leur rythme, réalisent leur potentiel de développement, en misant sur leurs atouts respectifs. Il ne doit pas y avoir de territoire sans projets. Puisse notre travail y contribuer.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - J'ajoute qu'il y aurait eu beaucoup d'autres choses à explorer. Ma conclusion est que, pour parvenir à un développement équilibré, deux nécessités émergent : la péréquation et la solidarité.

M. Joël Bourdin, président. - Je remercie Renée Nicoux et Gérard Bailly pour leurs travaux et leurs scénarios. Chers collègues, avez-vous des questions ?

M. Alain Chatillon. - Je ferai deux constats. Il n'y a plus que 1 % d'agriculteurs en France. Comment les maintenir, leur permettre de vivre décemment sur leurs terres ? En 2007, un rapport de nos collègues Pierre Laffitte et Claude Saunier, établi au nom de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, avait mis en évidence le problème de la réduction des surfaces de terres agricoles. Les Allemands qui perdaient autrefois 95 000 hectares par an sont revenus à 30 000 hectares de moins par an depuis sept ans. Nous sommes toujours à une perte annuelle de 65 000 hectares. Il faut chercher les moyens de réduire ces pertes. Dans mon département, dans la communauté urbaine de Toulouse, c'est 1 100 hectares par an.

Il faut aussi maintenir les élus en milieu rural, notamment dans les conseils généraux. C'est un mauvais procès que d'y renforcer la présence des élus des villes.

J'ajoute qu'il n'y a plus de services de proximité la nuit dans le rural profond. Faudra-t-il en venir à des réquisitions ? Le défaut de services de santé met en danger la vie des personnes.

Je terminerai par une proposition : les bâtiments agricoles ne pourraient-ils pas bénéficier d'aides pour les installations photovoltaïques ?

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - En matière de foncier, il faut éviter que le foncier agricole, de bonne qualité en zone périurbaine, soit artificialisé. Sur le maintien d'élus locaux en milieu rural, une réforme est en cours sur les élections locales. La loi précédente proposait la représentation proportionnelle des territoires mais avec une diminution du nombre des cantons et sans parité homme-femme. Les élus urbains sont partisans de la diminution du nombre des élus ruraux. Je ne partage pas cette opinion. Le projet actuel tente de concilier les équilibres.

M. Alain Chatillon. - S'agissant des élus, ce n'est pas une question de quantité mais d'efficacité.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - Je suis d'accord sur les services de proximité. Il faut absolument les maintenir. Sur l'électricité photovoltaïque, on est allé trop loin dans les tarifs de rachat. On en revient. Mais je constate que les aides accordées au niveau local, en particulier par les conseils régionaux, permettent d'équiper les bâtiments d'élevage et améliorent ainsi le revenu en diversifiant l'activité des agriculteurs. Cela va dans le bon sens, dès lors que les panneaux solaires n'occupent pas de terres agricoles.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Je souhaite apporter un complément sur le problème de l'artificialisation des terres agricoles : je pense quand même que si l'on souhaite que les campagnes conservent une économie dynamique, il faut pouvoir construire. Les terres qui ont une mauvaise productivité agricole doivent pouvoir être urbanisées. Dans mon département, il est possible d'artificialiser dix hectares de « communaux » sans conséquence pour la production agricole. Il faut donc sélectionner davantage les terrains urbanisables. Bien sûr, l'urbanisation exige l'installation de réseaux. Mais, en ce cas, il faut prendre l'initiative d'urbaniser les « mauvaises » terres, même si elles sont initialement agricoles.

Dans mon département, la direction départementale de l'environnement et de l'agriculture indique que ce sont les plus petites communes qui gagnent des habitants. Elle préconise que la population réinvestisse de préférence les bourgs-centres et les réhabilite. Dans une fiche qu'elle a rédigée, cette direction remarque que, contrairement à une idée reçue, dans le Jura, ce sont les petites communes qui gagnent de la population au détriment des communes plus urbaines. Cette situation poserait à terme, d'une part, la question de la pérennité des pôles structurants disposant des équipements, des services et des commerces associés qui font vivre le territoire rural environnant, d'autre part, la question de la consommation des espaces et des déplacements avec la problématique énergétique. Dès lors, il semble essentiel de mettre en oeuvre des dispositifs qui permettent aux populations de réinvestir les bourgs-centres au plus près des pôles d'emplois, de services et de commerces.

M. Alain Chatillon. - Autour de Toulouse, je vous l'ai dit, la perte est de 1 100 hectares par an contre 250 hectares dans le reste de la Haute-Garonne. C'est la construction de petits lotissements, d'environ 2 500 m², qui occasionne le plus de pertes de terres arables.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Sur cette question de l'artificialisation, faut-il encore bâtir d'immenses centres commerciaux ? Sont-ils viables dans le temps sur le plan économique ?

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - On constate en effet une perte de population des centres-bourgs au profit des communes les plus rurales. Dans ce domaine, il faudrait harmoniser la fiscalité, beaucoup plus favorable dans les très petites communes pour des services équivalents puisque leurs habitants ont accès à ceux du centre-bourg.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - En matière de représentation électorale, il faut tenir compte des territoires à faible densité de population, admettre qu'ils soient également bien représentés.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - J'ai déposé un amendement en ce sens sur le projet de loi que j'évoquais.

M. Jean-François Mayet. - Ma vision des campagnes est plus positive : je considère que le milieu rural va bien. Il est vrai qu'il y a des lacunes en matière de service public et d'offre de soins, mais la campagne n'a jamais été aussi bien équipée qu'aujourd'hui. La plupart des communes rurales voient leur population augmenter. Les agriculteurs travaillent sur des exploitations de plus en plus modernes. Elles sont bien gérées, de même que les entreprises artisanales. Ces entreprises ne sont pas plus « tristes » que les zones industrielles urbaines.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - C'est vrai qu'il y a de belles entreprises à la campagne. À Châteauroux, dans votre département, d'importantes infrastructures sont disponibles : l'autoroute A20, un aéroport. En Creuse, la situation est différente : si la campagne manque d'infrastructures et de moyens de transport ou de réseaux Internet, le développement n'est pas au rendez-vous. Donc, il y a certes des campagnes prospères, mais ce constat n'est pas homogène.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Je confirme qu'il existe de grandes disparités entre les campagnes. À proximité des villes, elles se développent bien. Dans les massifs montagneux ou loin des infrastructures, on constate encore des phénomènes de désertification. Voici trente ou quarante ans, les entreprises avaient tendance à essaimer. Aujourd'hui, elles tendent à se reconcentrer dans les zones les mieux équipées. Cette situation peut être atténuée par le tourisme, mais si la zone n'est pas touristique, elle entre en régression. Le problème est notamment fiscal. Il y a vingt ans, tous les services étaient portés par le centre-bourg. L'intercommunalité a changé tout cela : les équipements dont la charge incombe à l'intercommunalité sont aussi fiscalement supportés par les villages, qui ne bénéficient pas de la même proximité avec ces équipements. C'est un problème pour l'eau, l'assainissement et les ordures ménagères, qui coûtent maintenant cher aux habitants des petites communes, lesquels n'en bénéficient pourtant pas au même degré que ceux des villes-centres.

M. Joël Bourdin, président. - Je souhaite à mon tour faire quelques remarques, non sans avoir encore remercié les rapporteurs pour ce travail complexe. Il fallait choisir un point d'arrivée, car le sujet est inépuisable. Vous avez embrassé tous les thèmes qui touchent la ruralité.

Je pense que l'avenir des campagnes est la « polarisation », sorte d'intermédiaire entre la ville et les hameaux. Dans l'Eure, certains habitants en zone très rurale vont travailler à Paris. Ce n'est pas un bon schéma d'organisation. Le bon schéma est la polarisation autour de gros bourgs ou de petites villes, plutôt qu'un habitat dans le rural très profond pour travailler dans une grande ville. Les exigences de ces travailleurs urbains ne sont pas finançables aujourd'hui. On ne peut disperser les écoles un peu partout, il faut des pôles intermédiaires plus centraux. Le domaine de la santé est plus délicat. On déplore parfois un manque cruel d'offre de soins. Les médecins ne veulent plus s'installer à la campagne. Les services d'urgence sont trop loin. La tendance doit être d'aller vers une polarisation autour de centres éducatifs, de pôles de santé ou d'activités économiques.

En matière de numérique, beaucoup de progrès ont été réalisés mais la fibre optique et le très haut débit n'iront pas partout. Or les entrepreneurs ne pourront pas s'installer dans les zones dépourvues de très haut débit. Des tendances se dessinent dans le domaine économique : l'installation d'une entreprise est liée au confort offert, donc à la taille et à l'équipement des zones d'activité aménagées par les collectivités locales. Or, ces aménagements coûtent extrêmement cher. Les zones d'activité doivent être très grandes. Les implantations qu'on voit se développer aujourd'hui sont les entrepôts des entreprises de commerce en ligne. De façon complémentaire, le numérique permet aussi de développer des activités de distribution sans stockage dans les gros bourgs, par exemple des installateurs d'électroménager ou d'informatique, qui rendent un service mais ne stockent pas de matériel sur place. Le développement de ces zones d'entreposage et de services sans stockage, deux activités liées à Internet, va d'ailleurs à l'encontre de l'installation de grandes surfaces commerciales classiques.

J'aimerais avoir l'opinion des rapporteurs sur cette idée de « polarisation », que je qualifierai de « rural intermédiaire ».

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - La 4G entraînera le très haut débit jusqu'au fond des campagnes. Cela va dans le sens d'un aménagement diffus de l'offre touristique. Sans Internet à un bon niveau, les équipements touristiques ne sont pas viables. Le très haut débit permet à des professionnels de s'installer dans les campagnes les plus isolées. Il est donc absolument nécessaire. La télémédecine pourrait d'ailleurs être une solution, au moins partielle, au problème de l'offre de soins en milieu rural.

M. Gérard Bailly, rapporteur. - Le temps de transport est un problème pour les écoles élémentaires. Trente-cinq ou quarante minutes de transport pour accéder à l'école, c'est une durée excessive pour un enfant, ce qui doit conduire à ne pas trop concentrer, trop polariser les écoles. Internet ne pourra apporter une solution à tous les problèmes. Ma commune compte 6 000 habitants mais héberge 24 000 personnes l'été. C'est le camping qui, le premier, s'est équipé en informatique pour accueillir les touristes. Il faut donc tenir compte de la diversité des territoires : la polarisation peut être adaptée à certains mais pas à d'autres, ceux où les services doivent rester diffus et les équipements les plus modernes demeurer accessibles dans les zones reculées.

M. Joël Bourdin, président. - La polarisation coûte aussi moins cher. Une école plus grande coûte moins cher que six écoles très petites et dispersées, qui exigent globalement plus de personnel.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - Il ne faut pas rater le cap du très haut débit dans les territoires ruraux, car il risque de devenir nécessaire à terme partout.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je suis élue du littoral aquitain, proche de la campagne. On y trouve deux catégories d'habitants : d'une part, des urbains qui arrivent, car il y a une sorte de modernité à s'installer à la campagne, mais, souvent déçus, ils repartent assez rapidement ; d'autre part, des habitants implantés depuis très longtemps et qui sont considérablement gênés par les règles d'urbanisme qui ne tiennent pas compte des situations concrètes. Par exemple, des exploitants agricoles ne peuvent pas permettre à leurs enfants de s'installer avec eux sur l'exploitation car les documents d'urbanisme les empêchent de construire un nouveau logement sur leur terrain. Les terres classées agricoles ne peuvent pas être transformées en habitations, même pour de petites surfaces. Il faut penser à la nécessité pour certains anciens agriculteurs de diversifier leurs sources de revenus. Ces normes contraignantes ne sont pas le fait des collectivités locales, mais de l'Etat.

Mme Renée Nicoux, rapporteure. - J'ai parlé de l'adaptation des normes, je pense que cela s'applique aux documents d'urbanisme.

M. Joël Bourdin, président. - Chers collègues, s'il n'y a plus de questions, je propose à la délégation d'approuver les conclusions du rapport et d'autoriser leur publication sous forme de rapport d'information.

La délégation approuve les conclusions du rapport et autorise sa publication.