Mardi 22 avril 2014

- Présidence de M. Charles Guené, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Audition de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social

M. Charles Guené, président. - Après avoir entendu des économistes et des spécialistes de la politique de l'emploi, notre mission a le plaisir de recevoir M. François Rebsamen dans le cadre de ses nouvelles fonctions. Monsieur le ministre, vous êtes en charge de la mise en oeuvre du pacte de responsabilité, qui poursuit et accentue la politique d'allègement de cotisations sociales sur les bas salaires, mais aussi sur les salaires jusqu'à 3,5 smic. Pouvez-vous nous préciser les objectifs ainsi que le coût des mesures annoncées et les effets que vous en attendez sur l'emploi et l'économie ? Comment ces mesures s'articulent-elles avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont l'objectif de créer 300 000 emplois en cinq ans semble maintenu ? Pouvez-vous enfin nous apporter quelques précisions sur le financement du pacte de responsabilité ?

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social. - Je suis heureux de me retrouver parmi vous, dans cette maison chère à mon coeur. L'objet de votre mission est une nouvelle illustration de la qualité des travaux de la Haute assemblée, que j'ai souvent vantée.

La question de réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales fait depuis longtemps débat au sein de la gauche, comme de toutes les familles républicaines soucieuses de favoriser l'emploi. La question est d'actualité. Le pacte de responsabilité et de solidarité, présenté par le Premier ministre à la demande du Président de la République, prévoit en effet des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises. Cette décision représente un effort budgétaire important pour l'Etat comme pour les Français : nous avons donc l'impérieuse obligation que ces exonérations soient efficaces contre le chômage.

Les politiques d'allègement de cotisations sont pratiquées depuis les années 1990 ; nous disposons d'un recul suffisant pour en tirer des enseignements fiables. Nous disposons d'études précises du Trésor ou de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Selon toutes les évaluations, l'effet emploi des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires est massif ; elles sont d'ailleurs préconisées par la majorité des économistes. Nos choix sont fondés sur l'observation des résultats du passé. Cette politique a permis de créer ou de sauvegarder entre 400 000 et 800 000 emplois - certains disent entre 500 000 et 1 000 000. Le coût brut par emploi est évalué entre 20 000 et 40 000 euros ; le coût net, entre 8 000 et 28 000 euros, puisque ces salaires viennent réduire les dépenses et augmenter les recettes fiscales et sociales.

La baisse du coût du travail est un soutien essentiel à l'emploi des salariés les moins qualifiés qui sont les plus vulnérables au chômage, à la précarité et au temps partiel imposé. Il est particulièrement important pour nous d'agir en faveur de ces salariés non formés, qui travaillent dur, dans des conditions difficiles, et se sentent abandonnés face à la mondialisation, au progrès technologique, au chômage et au sentiment de déclassement.

A contrario, certains responsables - comme le patron du Medef - préconisent de baisser le smic pour faciliter l'accès à l'emploi des jeunes et des moins qualifiés... Une telle proposition, en période de dialogue social, s'apparente pour moi à une provocation. C'est un autre chemin que nous empruntons. La baisse du coût du travail n'a pas pour but de réduire les salaires. Le smic garantit le pouvoir d'achat des salariés les moins qualifiés, les plus jeunes, les plus vulnérables. Pour reprendre la formule du Premier ministre, le smic est le mur porteur de notre modèle social. Toute remise en cause aboutirait à une explosion insupportable du nombre de travailleurs pauvres. Le Gouvernement a fait le choix de préserver le pouvoir d'achat des salariés tout en encourageant l'embauche des moins qualifiés en allégeant le coût du travail : les deux vont de pair. Même nos partenaires allemands ont fini par trouver des vertus au salaire minimum, face à l'invraisemblable montée de la pauvreté liée à l'essor des « mini-jobs ». Ce n'est pas à l'heure où l'Allemagne crée un smic que nous allons revenir dessus !

L'allègement des cotisations sociales n'est pas un cadeau fait aux patrons, comme on l'entend parfois. C'est un soutien à l'emploi, au maintien dans l'emploi des salariés les moins qualifiés. En France, le taux d'emploi des non qualifiés est de 66,6 %, contre 60,7 % au Royaume-Uni et 62,7 % en Allemagne. Ces allègements sont aussi un soutien à l'économie française car la baisse du coût du travail se répercute dans les prix des services qu'utilisent les entreprises exportatrices et dans les prix aux consommateurs. Pour peu qu'elles soient franches et massives, les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires entraîneront un cycle nouveau de croissance et d'emploi. Efficace pour soutenir l'emploi dans des métiers difficiles, cette politique profitera avant tout aux milliers de PME et de TPE qui créent l'emploi dans nos territoires. Il faudra bien sûr veiller à ce que les salaires progressent à mesure que les salariés gagnent en qualification. Dans trop de branches, le salaire d'entrée est inférieur au smic. Le pacte de responsabilité et de solidarité donnera une nouvelle impulsion à la négociation de branche.

Cette politique risque-t-elle de maintenir des salariés dans des créneaux à faible valeur ajoutée ? N'oublions pas que l'acquisition d'une qualification commence par l'entrée dans l'emploi... Notre politique de l'emploi est équilibrée : d'un côté, nous réduisons le coût du travail ; de l'autre, nous menons, avec les partenaires sociaux, une politique volontariste de qualification et de formation professionnelle. La réforme de la formation professionnelle, adoptée au Sénat en mars, donne la priorité aux moins qualifiés, aux PME et aux TPE et à ceux qui font face à des mutations économiques importantes. A l'action qui répond à l'urgence se conjugue un investissement de long terme : un effort massif pour relever le niveau de qualification, dans le cadre des négociations de branche. De la refondation de l'école à la réforme de la formation professionnelle, en passant par celle de l'université, nous faisons le choix de l'avenir, le pari des compétences. S'y ajoutent bien sûr des actions conjoncturelles, comme le plan cent mille formations prioritaires pour l'emploi, le compte personnel de formation, le conseil en évolution professionnelle et l'augmentation des moyens dévolus aux formations qualifiantes. Nous défendons tous la promotion professionnelle et sociale, or le diplôme ne peut plus être le seul étalon de la valeur sur le marché du travail. Chercher à agir sur le coût du travail ne dispense en rien de mener une politique de l'emploi et de la formation tournée vers l'avenir. Nous sommes au rendez-vous

Le pacte de responsabilité et de solidarité traduit notre volonté de desserrer le plus possible l'étau du chômage qui touche avant tout les moins qualifiés. Le pacte de responsabilité prévoit 10 milliards d'euros d'allégements de cotisations ; au total, ce sont plus de 10 millions de salariés et 1,6 million d'entreprises qui sont concernés ; 90 % des allègements porteront sur les salaires inférieurs à 1,35 smic. Pour encourager les entreprises à embaucher, nous avons opté pour une présentation simple et un slogan clair : « zéro charges au niveau du smic ». C'est un engagement budgétaire et politique. La France doit se transformer pour remonter le peloton, lutter contre le chômage, préserver ses emplois et en créer de nouveaux.

L'allégement des cotisations se traduit par une perte de recettes pour l'Etat ; il suppose donc des économies résolues. Il faut du courage pour porter ces décisions, comme il faut du courage à la société pour les accepter. Nous refusons le chômage de masse qui ravage la cohésion sociale. Le pacte de responsabilité et de solidarité apportera des réponses à la société française en la matière. Le Gouvernement se donne les moyens d'amplifier le mouvement pour mener la bataille de l'emploi, en complément des réformes de structure déjà mises en place et des contrats aidés - auxquels tous les gouvernements font appel en période de récession ou de moindre croissance.

Les résultats seront étudiés avec une vigilance toute particulière, notamment par l'Observatoire des contreparties. Les employeurs devront assumer leur part de l'effort, comme le précise le relevé de conclusions signé le 5 mars dernier avec les partenaires sociaux. Je veillerai à ce que les négociations de branches s'engagent sans tarder. La grande conférence sociale qui se tiendra en juillet sera un temps fort de ce suivi. Voilà le grand engagement collectif, pour l'emploi, contre le chômage et pour les salariés les plus vulnérables, que nous proposons à notre pays.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - A mon tour de vous souhaiter la bienvenue, monsieur le ministre : il est toujours agréable d'accueillir un ancien collègue en charge de questions aussi importantes. Quels sont les objectifs chiffrés de création d'emplois que le Gouvernement se fixe en contrepartie du pacte de responsabilité ? De quel outil disposera-t-on pour évaluer l'effet des allègements? Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'architecture et le fonctionnement de l'Observatoire des contreparties ? Comment veillerez-vous à la qualité de l'emploi, de la formation, à la reconnaissance des qualifications ?

La politique de compétitivité des entreprises est-elle une politique de l'emploi, sachant que la restauration des marges des entreprises ne conduit pas toujours à des embauches ? Qu'attendez-vous des allègements de cotisations sur les salaires supérieurs à 1,6 smic ? Les allégements de cotisations sociales sont-ils encore un instrument de la politique de l'emploi, ou s'agit-il de réformer sans le dire le mode de financement de notre protection sociale ? Vous avez répondu avec fermeté sur la question du smic jeunes. Cette proposition, évoquée devant nous par des experts de l'OCDE, avait suscité un certain scepticisme...

M. Charles Guené, président. - Comment se fera l'articulation entre le pacte de responsabilité et le CICE, qui concerne des salaires plus élevés ? Va-t-on reformater le CICE ? La question nous taraude...

M. François Rebsamen, ministre. - Je me suis déjà exprimé sur le smic jeunes. De telles provocations, de tels dérapages nuisent à la qualité du dialogue social, dont ils entament la crédibilité. Il n'est pas question de stigmatiser la jeunesse.

Le CICE représentera 20 milliards d'euros en année pleine. Selon les projections de la Dares, nous en attendons 300 000 créations ou sauvegardes d'emploi d'ici 2017. Il s'agit d'un crédit d'impôt, jusqu'à 2,5 smic.

Les allègements de cotisations qui viennent d'être annoncés représentent quant à eux 10 milliards d'euros, dont 4,5 milliards sur les salaires entre 1 et 1,6 smic. Le reste est constitué par une baisse des cotisations familiales de 1,8 point sur les salaires jusqu'à 3,5 smic, qui concernera donc 93 % des salariés. Il s'agit notamment de redonner des marges d'investissement au secteur concurrentiel en lui permettant de baisser les prix. La compétitivité de nos entreprises s'est fortement dégradée depuis le début des années 2000 ; ce n'est qu'avec le rapport Gallois que l'on en a réellement pris conscience. L'effet emploi du pacte, hors CICE, est évalué à 190 000 emplois.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ces emplois s'ajoutent-ils aux 300 000 emplois que doit produire le CICE ?

M. François Rebsamen, ministre. - Absolument.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce sont donc 4,5 milliards d'euros d'allègements pour les salaires jusqu'à 1,6 smic, le solde étant entièrement dévolu à l'allègement des cotisations familiales ?

M. François Rebsamen, ministre. - Oui. Cela sera précisé prochainement.

L'Observatoire des contreparties sera à l'ordre du jour de la conférence sociale. Le Medef a fait des effets d'annonce ; les organisations syndicales, qui n'en demandaient pas tant, exigeront des engagements fermes, notamment pour ce qui est des négociations dans les branches, qui devraient avoir commencé ... La conférence sociale sera l'occasion d'en faire le bilan. Certaines organisations syndicales ont d'ores et déjà l'intention de recenser dans les entreprises l'usage qui est fait du CICE : nous aurons bientôt des informations.

La formation professionnelle est au menu des négociations de branche, que nous souhaitons voir avancer.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Merci de votre présentation. Je m'interroge sur le nombre d'emplois créés. L'évaluation ne tient pas compte, à ma connaissance, de l'effet possible sur la croissance des 50 milliards d'économies sur les dépenses publiques censées financer ces mesures. Or le FMI estime qu'en période de faible croissance mondiale, l'effet anti-emploi des baisses de dépenses publiques peut être important.

Le coût du travail impacte en moyenne le coût des produits pour 20 à 25 % ; un allégement de cotisations de 4 % aurait donc un impact prix de 1 % seulement. Si cela peut jouer à l'exportation, en termes de compétitivité au sein de l'Union européenne, cela paraît négligeable. Pour renforcer la compétitivité française, le rapport Gallois préconise de mettre en place des stratégies industrielles de filière, proposition plus intéressante à mes yeux que la simple baisse du coût du travail. Les partenaires sociaux et le Gouvernement sont-ils associés à la réflexion sur les comités de filière?

Comment financera-t-on la protection sociale ? Notre système doit conserver un financement autonome, cohérent, qui assure sa pérennité, et son budget ne peut être mélangé à celui de l'Etat. L'architecture doit rester lisible.

Enfin, me confirmez-vous que le 1 % logement n'est pas concerné par ces allégements de charges ? Il ne s'agit pas d'une cotisation sociale, mais bien d'une contribution des entreprises. Certains partenaires s'inquiètent...

M. François Rebsamen, ministre. - Soyez rassurée.

M. Yves Daudigny. - Le CICE poursuit un objectif de compétitivité. Les résultats sont là : en 2013 déjà, l'écart en matière de coût du travail entre entreprises françaises et allemandes s'est réduit. Ce crédit d'impôt ne pourrait-il toutefois être davantage ciblé sur les entreprises qui vont effectivement sur les marchés mondiaux ? Au demeurant, les allègements de charges ne constituent-ils pas la forme moderne de la dévaluation au sein de la zone euro ?

Un mot sur le tendanciel travail : historiquement, les emplois les plus pénibles ont été progressivement remplacés par les machines, les robots, puis les ordinateurs. La course à l'emploi n'est-elle pas par nature vaine, compte tenu de ces évolutions ? Enfin, quid du financement de la politique familiale ?

M. Charles Guené, président. - Ne pensez-vous pas que nous avons tous beaucoup de pédagogie à faire ? Une question enfin, que vous jugerez peut-être provocatrice : avez-vous envisagé un financement par une TVA pour l'emploi, pour ne pas dire une TVA sociale ?

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Savons-nous réellement évaluer l'impact des exonérations sur l'emploi ? S'agit-il d'emplois créés ou sauvegardés ? Ce n'est pas la même chose pour les citoyens... Aurons-nous un jour un chiffrage précis ?

M. François Rebsamen, ministre. - La dépense publique en France s'élève à 1 176 milliards d'euros ; nous proposons de la ramener à 1 126 milliards d'ici 2017. C'est à notre portée. Certains économistes jugent qu'une maîtrise des dépenses publiques, loin d'avoir un effet récessif, aurait au contraire un effet multiplicateur sur la croissance.

Le pacte est financé par des économies en dépense dont l'impact est retenu dans les estimations : les emplois attendus sont mesurés nets des effets retour. Je ne peux vous répondre sur l'architecture de la protection sociale. Vous connaissez bien la fiscalité affectée à la protection sociale, à commencer par les droits d'accise ; on peut élargir la base de ressources au-delà des salaires.

Le ministère du travail et de l'emploi travaille en étroite collaboration avec le ministère de l'économie sur la stratégie de filière, qui est essentielle pour reconstruire une politique industrielle digne de ce nom.

Vous me demandez, comme on le fait souvent, pourquoi nous avons choisi d'appliquer le CICE indifféremment à toutes les entreprises ? Pour que cet effet massif crée un choc de confiance chez tous les acteurs économiques. Lorsque un pays a un tel retard de compétitivité en comparaison avec les pays voisins, il faut agir : la dévaluation, solution de facilité autrefois, n'est plus possible ; ce que nous faisons pourrait s'y apparenter si nous ne l'accompagnions d'une politique d'avenir menée à travers de l'éducation nationale et du soutien à l'innovation.

Pourquoi pas la TVA sociale ? Parce que nous faisons tous de la pédagogie pour le retour de la croissance. Si la Bourgogne, qui comptait 51 000 demandeurs d'emplois en 1981, en dénombre 52 000 en 2014, c'est que depuis une trentaine d'années, notre société a choisi un partage du travail contraire au plein emploi. Nous devons faire de la lutte contre le chômage de masse, qui met en péril le pacte républicain, la priorité des priorités. Si nous ne faisions rien, nous verrions l'employabilité se restreindre tendanciellement à la tranche de 30-49 ans, ce qui mettrait en grande difficulté notre modèle social. C'est pourquoi j'appelle à un rassemblement républicain.

M. Charles Guené. - Je vous remercie, monsieur le Ministre. Ce vibrant appel final a toute sa place au Sénat.

Audition de M. Jacques Freyssinet, économiste

M. Charles Guené, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Jacques Freyssinet, économiste, professeur émérite à l'université de Paris I, ancien président du conseil d'administration de l'ANPE et spécialiste du chômage.

La mesure générale que représente l'exonération des cotisations sociales a un impact difficile à quantifier, car brouillé par l'objectif concomitant de compenser le passage aux trente-cinq heures ; elle serait néanmoins positive pour les bas salaires, si l'on en croit la plupart des auditions que nous avons menées. Qu'en dites-vous ?

M. Jacques Freyssinet, économiste, professeur émérite à l'université de Paris I. - C'est moins en tant que spécialiste du chômage que comme président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi et membre du Haut conseil de financement de la protection sociale, que je réponds à votre invitation. Je limiterai ma présentation aux exonérations de cotisations sur les bas salaires, qui en représentent 70 %. Comme il est trop tôt pour évaluer les 20 à 30 milliards du CICE, qui ne sont pas à strictement parler des exonérations, je parlerai essentiellement des 20 milliards du régime dit Fillon.

Il existe en effet un consensus sur leur effet positif sur l'emploi à bas niveau de qualification. C'est indiscutable, mais cela comporte des éléments de fragilité. Les dispositifs sont d'abord très instables : un rapport du Conseil d'orientation pour l'emploi note pas moins de 23 modifications depuis 1993 ; or nous avons besoin de séries, donc de stabilité, pour évaluer. Les dispositifs sont en outre couplés depuis 1998 avec d'autres objectifs : la réduction du temps de travail en 1998 et 2000 - à tel point qu'il est impossible de savoir laquelle des deux mesures est à l'origine des 350 000 créations d'emplois ; le réalignement en 2003 sur le Smic de différents minimaux salariaux à la suite des lois Aubry.

Les évaluations sur la période 1993-1997 sont nombreuses, mais avec des résultats très différents, comme mon collègue L'Horty l'a bien montré ; la majorité se situe toutefois dans une fourchette de 200 000 à 400 000 emplois créés ou sauvegardés - mais pas toutes. Faute d'évaluation autonome pour la période suivante, la Dares et la direction générale du Trésor extrapolent donc les résultats de la période précédente en postulant des rendements constants, « ce qui suggère que 550 000 à 1,1 million d'emplois seraient détruits en l'espace de quelques années si l'on supprimait totalement les allégements ». Elles ajoutent qu'une évaluation plus conservatrice, sans que l'on sache ce que cela signifie, descendrait à une fourchette de 400 000 à 800 000 emplois. Il ne faut donc pas qu'il y ait de rendements croissants ni décroissants mais l'on suppose que le phénomène mesuré dans un sens en 1993-1997 serait identique dans l'autre sens dix ans après... Voilà pourquoi les résultats quantitatifs varient du simple au triple.

Des débats existent sur les effets induits. Au risque de vous décevoir, il m'est difficile de répondre sur les effets d'aubaine ; faciles à repérer lorsqu'ils s'attachent à une mesure ciblée, comme une zone franche, ils ne le sont pas pour une mesure générale, puisqu'aucun employeur n'y a recours par opportunisme. Selon le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, en 2012, 10,4 millions de salariés étaient concernés par les exonérations générales sur les bas salaires, ce qui, au regard des 0,4 à 1,1 million d'emplois concernés, représente un rapport de 1 à 10 ou de 1 à 20 : il faut arroser très large...

Un autre effet induit généralement pointé est la trappe à bas salaire. Des exonérations dégressives jusqu'à 1,6 smic alourdissent le coût d'une augmentation salariale, ce qui pourrait rendre des employeurs réticents à y consentir. Deux études publiées simultanément dans Économie et statistique, les seules à ma connaissance à être spécifiquement consacrées à cette question, arrivent à des résultats contraires à partir de méthodes différentes : effet très négatif jusqu'à 1,3 smic pour l'une et absence d'effet repérable pour l'autre. De l'avis général des économistes, nous ne sommes pas capables de trancher économétriquement, même si nous pouvons entendre des témoignages... En théorie économique, le capital et le travail peu qualifié sont substituables... Dès lors, stimuler l'emploi peu qualifié se fait-il aux dépens du travail qualifié, comme certaines études le montrent, même si ces quantifications restent fragiles ? Ce qui pose problème en tous cas d'un point de vue politique, c'est de favoriser des formes d'organisation de la production intensives en travail peu qualifié. J'en débattais avec Edmond Malinvaud au Conseil d'analyse économique, lors de la parution de son rapport à l'origine de cette politique : il faut certes qu'une mesure soit durable du point de vue des employeurs pour qu'elle soit efficace ; doit-on pour autant souhaiter à long terme que les entreprises s'organisent autour du travail peu qualifié ? Nous pourrions au contraire souhaiter faire disparaître ce dernier par une politique intensive de formation - comme le prévoient d'ailleurs les récents accords interprofessionnels sur la formation professionnelle et continue - tout en maintenant une politique en direction de travailleurs non qualifiés, qui forment la majorité des chômeurs de longue durée et dont le stock est alimenté chaque année par 100 000 jeunes sans diplôme.

Si des mesures ciblées sur le marché de l'emploi peuvent faire l'objet d'évaluations autonomes, randomisées, avec des résultats précis, l'analyse de mesures de cette ampleur - de 1 à 2,5 % du PIB - doivent tenir compte d'effets de bouclage macroéconomique : il faut examiner les conséquences sur l'économie de ce prélèvement de 20 ou 50 milliards, qui pourraient être utilisés en dépenses alternatives ou en économies budgétaires - surtout dans une période contrainte comme celle-ci. Un travail sur des modèles macro-économiques alternatifs est en cours au Haut conseil du financement de la protection sociale, dont les résultats seront publiés prochainement.

Pierre Cahuc a dû vous présenter avec flamme le dispositif « zéro charges pour les entreprises de moins de dix salariés », dont je ne discute pas les résultats. Je discuterai cependant sa conclusion, qui extrapole à toute l'économie un dispositif ayant fonctionné pendant un an pour certaines entreprises...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Bien sûr !

M. Jacques Freyssinet. - C'est un sophisme de composition : si quelques spectateurs d'une pièce qui se lèvent voient mieux la scène, qu'en sera-t-il si tous le font ? Un dispositif fait du bien à ceux qui en bénéficient. Est-ce vrai pour tous, ou ne fait-on que modifier les places dans la file d'attente ?

Le CICE et le pacte de responsabilité, dans leur inflexion des moyens salaires, font appel à une argumentation différente, puisqu'il s'agit de renforcer la compétitivité des industries exportatrices. Cela implique une modélisation macroéconomique minimale. Or l'analyse démontre une absence de corrélation entre le coût salarial moyen et la part qu'y prennent les cotisations patronales dans les pays européens : celle-ci est forte en France, en Belgique et en Suède ; le Danemark a un coût salarial plus élevé que nous malgré des cotisations patronales extrêmement faibles ; l'Espagne, avec un coût salarial proche du Royaume-Uni, a un taux de cotisation très différent... Le coût salarial est en effet lié à la productivité du travail ; ce qui est versé sous forme de salaire direct ne l'est pas en salaire indirect et réciproquement. Un abaissement des cotisations patronales n'avantage pas nécessairement la compétitivité.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Je vous remercie pour cet exposé clair et pédagogique. Le rapport entre travail qualifié, gage de compétitivité, et travail peu qualifié est important pour l'avenir ; certes il est prévu - le ministre nous l'a dit - que les exonérations, qui ont une portée immédiate, s'accompagnent de mesures de formation continue, mais je crains qu'elles n'aient pas une force similaire. Les allègements sont-ils des outils performants ? À quels seuils dans l'échelle des salaires les employeurs bénéficiant d'exonérations favorisent-ils prioritairement l'emploi, les marges ou les salaires ? Quel instrument présente-t-il le meilleur rapport coût-efficacité ?

M. Jacques Freyssinet. - Il est difficile d'aller au-delà de la formulation prudente de la Dares et de la direction générale du Trésor... L'existence d'un effet positif n'est guère remise en question ; il est chiffré de 400 000 à 1 million d'emplois à bas salaires, supposés non qualifiés. Est-ce performant ? Cela pose le problème du rapport entre coût et efficacité, sachant qu'il faut distinguer le coût brut du coût net, qui prend en compte des effets collatéraux, tels que les impôts et les cotisations payées en plus par les personnes qui retrouvent un emploi. Pierre Cahuc parle d'un coût nul ; nous divisons généralement le coût brut par deux.

Il y a peu d'études sur l'impact respectif des exonérations sur les marges, les salaires et l'emploi, car jusqu'à présent, elles ne concernaient que les bas salaires, dont les bénéficiaires n'ont pas le même pouvoir de négociation que des personnes mieux payées. Pour les marges, cela dépend de la nature et de l'intensité de la concurrence : une entreprise en situation de concurrence sur les prix les baissera, tandis qu'une entreprise abritée augmentera ses marges, que ce soit pour renforcer son investissement productif, ce qui est important à terme, ou la rémunération des actionnaires, ce qui l'est moins.

Cette politique d'exonération dure depuis vingt ans ; elle est accompagnée depuis toujours d'un discours sur la formation professionnelle des travailleurs non qualifiés qui peine à se traduire dans la réalité. Il serait pourtant suicidaire de se spécialiser dans le travail non qualifié...

M. Charles Guené, président. - Avons-nous seulement les moyens en ce moment d'une politique dans les deux directions ?

M. Yves Daudigny. - Vous dites que le dispositif Fillon représente 20 milliards sur 27 ; de quoi sont faits les 7 autres ? Le pacte de responsabilité prévoit 10 milliards d'exonérations, dont 5,5 sur les cotisations de la branche famille et 4,5 sur les salaires de 1 à 1,6 smic. Quelle différence y a-t-il - s'il y en a une - entre ce dernier dispositif et le dispositif Fillon ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je vous remercie, notamment pour avoir parlé de sujets rarement traités. Quelle est la définition du travail non qualifié lorsque des jeunes de niveau bac sont recrutés au smic ? Je crois que nous assistons à une déqualification salariale par rapport à la qualification réelle des gens. Nous avons davantage les moyens qu'on ne croit de mener une politique de formation. C'est le serpent qui se mord la queue : en l'absence de formation ou d'investissement dans la modernisation de l'outil, ceux qui pourraient être employés à ce niveau ne sont pas sollicités et restent dans des tâches peu qualifiées. Que pensez-vous de la proposition de Jean-Louis Borloo de demander en contrepartie aux entreprises qu'elles accueillent un certain nombre de personnes en alternance ?

Le salaire s'adapte-t-il toujours à la productivité ? En France, la réduction du temps de travail a mis la pression sur ceux qui travaillent, mais des études montrent-elles la corrélation entre salaire et productivité ? Y a-t-il des travaux sur l'hypothèse proposée par Jacques Chirac par le passé et reprise par les socialistes, de procéder non à des exonérations, mais à des modifications du calcul des exonérations ? L'idée était de les fonder sur la valeur ajoutée, même si cela avait l'inconvénient de toucher l'investissement.

M. Jacques Freyssinet. - Les derniers chiffres de l'Acoss, concernant 2012 et publiés en novembre 2013, décomposent les 27,6 milliards en 22,3 milliards de mesures générales (dont 19,6 de dispositif Fillon et 2,7 d'exonérations d'heures supplémentaires bientôt réduites), 2 milliards de mesures pour la formation en alternance et divers contrats aidés, 1,3 milliard pour les zones franches ou les zones rurales et 2 milliards pour les publics particuliers, dont les emplois à domicile.

Les 4,5 milliards d'exonérations sur les bas salaires sont bien de même nature que le dispositif Fillon. C'est la réponse du Gouvernement aux représentants des secteurs du commerce ou des services à la personne, qui ont fait de vigoureuses et démocratiques interventions pour que tout n'aille pas à d'autres secteurs. Les 5,5 milliards d'exonération de cotisations familiales portent sur l'ensemble des salaires.

M. Yves Daudigny. - Cela va jusqu'à 3,5 smic...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - 93% des salariés sont concernés.

M. Jacques Freyssinet. - Alors, nous parlons de soutien aux exportations. Les exonérations bas salaires, elles, sont parfois présentées comme un soutien aux personnes faiblement qualifiées - une personne employée a forcément une qualification. Bien qu'il s'agisse d'une pétition de principe, il est incontestable que ces exonérations bénéficient surtout à une main d'oeuvre peu qualifiée, même si les jeunes moyennement qualifiés peuvent commencer avec des bas salaires, comme l'ont montré les enquêtes du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq).

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - S'agit-il d'emplois peu qualifiés ou à bas salaire ?

M. Jacques Freyssinet. - Des jeunes qualifiés peuvent occuper un emploi à bas salaire dont je ne peux pas repérer le niveau de qualification. Les étudiants du DESS dont je m'occupais n'avaient aucune difficulté à trouver des stages de plusieurs mois pendant lesquels ils remplaçaient souvent des cadres en congé maternité en recevant des indemnités d'un tiers ou un quart du smic au mieux... L'on sait peu de choses sur ce sujet.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Nous manquons peut-être d'études, mais pas d'exemples...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Y compris parmi les employés municipaux.

M. Jacques Freyssinet. - Quant aux cotisations, si leur assiette peut être élargie à la valeur ajoutée, Edmond Malinvaud proposait leur barèmisation : au lieu d'être plafonnées, elles auraient été modulées pour augmenter avec le salaire.

Globalement, toutes les études sur longues séries, toutes les comparaisons internationales mettent en évidence un lien très fort entre productivité et salaires : tendanciellement, ceux-ci suivent celle-là, comme c'est le cas en Chine, ce qui n'exclut pas un décalage dans le temps. En revanche, les résultats varient selon que l'on calcule la productivité par heure, par emploi, ou par actif. La France, qui a une bonne productivité horaire, est moins bien classée avec le deuxième critère. D'aucuns ont soutenu que les créations massives d'emploi des années 2007-2010 en France avaient eu pour effet mécanique de faire baisser la productivité parce que les recrutements ont d'abord concerné des emplois à faible productivité ; ils en concluent qu'il faut calculer la productivité sur l'ensemble de la population active, employée ou non, de manière à ne pas avantager les pays dont la productivité est gagée par le chômage.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il y a eu le même débat sur le recul de l'âge de la retraite, qui aurait aussi fait baisser notre productivité.

M. Jacques Freyssinet. - L'impact de l'âge sur la productivité n'est pas clair du tout ; j'essaie d'en être un exemple vivant... Il conviendrait en revanche de s'interroger sur la définition de la productivité dans les services qui concentrent désormais 70% de l'emploi : quelle est la productivité d'un enseignant...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - D'une aide à domicile ?

M. Jacques Freyssinet. - Comment calculer celle d'une femme de ménage ou d'un chercheur au CNRS ? Gilbert Cette a bien montré qu'il fallait être d'une grande prudence méthodologique.

Enfin, il existe des dispositifs ciblés d'exonération conditionnés à une montée en professionnalisation, comme pour l'apprentissage ou les emplois d'avenir - au moins dans le texte. L'on peut, à masse budgétaire constante, imaginer un système où les exonérations sont liées à une plus grande professionnalisation.

M. Charles Guené, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions de manière aussi complète.

La réunion est levée à 16 h 45.

Mercredi 23 avril 2014

- Présidence de M. Charles Guené, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d'orientation pour l'emploi

M. Charles Guené, président. - Nous accueillons Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE).

Placé auprès du Premier ministre, le Conseil d'orientation pour l'emploi est une instance d'expertise et de concertation sur l'ensemble des questions de l'emploi. Il a notamment pour mission d'évaluer les dispositifs existants d'aide à l'emploi et de formuler des propositions susceptibles de lever les obstacles de toute nature à la création d'emplois et d'améliorer le fonctionnement du marché du travail.

A ce titre, le Conseil d'orientation pour l'emploi a rendu public en avril 2013 un rapport sur les aides aux entreprises en faveur de l'emploi qui porte notamment sur les allègements de cotisations sociales.

Ce rapport conclut à un bon compromis « coût-efficacité » pour ce dispositif.

Vous nous donnerez votre point de vue sur le nouvel équilibre qui résulte des annonces faites par le Gouvernement.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d'orientation pour l'emploi. - Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, le Conseil d'orientation pour l'emploi est une instance indépendante, placée auprès du Premier ministre, et qui a pour mission de le conseiller. Il réunit notamment des représentants de l'Etat et des collectivités territoriales, les partenaires sociaux et des économistes. Il élabore des diagnostics non partisans sur les questions relatives au marché du travail et à l'emploi, qui débouchent sur des propositions. Tous ses rapports sont adoptés par consensus.

Le Conseil a travaillé à plusieurs reprises sur les questions d'exonérations de cotisations sociales patronales, à chaque fois à la demande du Gouvernement. Il a publié un rapport sur Les aides publiques aux entreprises en 2006, un Avis sur les exonérations et sur le Smic en 2008 et a fait paraître en 2013 un rapport sur Les aides publiques aux entreprises en faveur de l'emploi.

Notre pays consacre 27 milliards d'euros aux aides publiques pour l'emploi, auxquels il convient d'ajouter 13 milliards d'euros d'aides dont l'un des objectifs est l'emploi. Au sein des 27 milliards d'euros, les allègements généraux de cotisations sociales sur les bas salaires, qui ne sont pas des aides publiques, au sens communautaire, représentent environ 20 milliards d'euros, soit 1 % du produit intérieur brut (PIB). Les allègements géographiques, qui visent à venir en aide à des zones défavorisées du point de vue de l'emploi, telles que les zones franches urbaines (ZFU) ou les zones urbaines sensibles (ZRU), représentent moins de 200 millions d'euros d'exonérations de cotisations sociales. Les exonérations qui visent à favoriser l'alternance représentent quant à elles environ 1,4 milliard d'euros. Les exonérations géographiques font l'objet de débats récurrents et de modifications législatives fréquentes. Elles ont perdu beaucoup de leur intérêt avec la montée en charge des allègements généraux.

L'impact sur l'emploi des allègements généraux de cotisations sociales est très difficile à mesurer dans la mesure où ce dispositif a été modifié à vingt-trois reprises depuis 1993, en général pour le renforcer, à l'exception des restrictions mises en place à la fin du dernier quinquennat. Ces allègements ont pour objectif de favoriser l'emploi des peu qualifiés en abaissant le coût du travail au niveau du Smic, qui était jugé élevé par rapport au coût médian du travail au début des années 1990. Toutes les études qui ont été réalisées sur le sujet concluent à un impact très significatif et très positif de ce dispositif sur l'emploi des peu qualifiés. Dans les années 1980, le coût du travail au niveau du Smic représentait 60 % du coût du travail au niveau du salaire médian. Aujourd'hui, il en représente 52 %, alors même que le Smic a été fortement revalorisé par rapport au salaire médian. En outre, on observe une stabilisation de l'emploi peu qualifié dans l'emploi total alors qu'il connaissait un fort mouvement de diminution dans les années 1980.

En ce qui concerne les allègements offensifs « Balladur » et « Juppé », qui réduisaient au maximum de 18 % le coût du travail au niveau du Smic et s'éteignaient à 1,3 Smic, tous les travaux concluent à un effet compris entre 200 000 et 400 000 emplois créés ou sauvegardés. Le coût brut pour les finances publiques de ces mesures était de 6,4 milliards d'euros, soit entre 20 000 et 40 000 euros par emploi. Le coût net de ces emplois - qui prend en compte la diminution de l'indemnisation du chômage et les cotisations et impôts perçus en raison de la création de ces emplois - représente la moitié de leur coût brut.

En revanche, aucune étude n'est en mesure d'analyser globalement l'impact sur l'emploi des allègements « Aubry » puis « Fillon » car ces allégements visaient à compenser l'effet d'autres mesures sur le coût du travail, à savoir la réduction du temps de travail puis la convergence vers le haut du Smic. En ce qui concerne les allègements « Aubry », et en prenant en compte l'impact de la réduction du temps de travail, une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que 300 000 emplois ont été créés ou sauvegardés en cinq ans, pour un coût par emploi de 8 000 euros. L'impact aurait été moitié moindre sans la réduction du temps de travail. Il convient toutefois de relever que le modèle utilisé par l'OFCE est un modèle de court terme, qui ne tient pas compte des effets de substitution ni des effets sur la compétitivité d'une mesure comme le passage aux 35 heures. Les travaux qui existent sur les allègements « Fillon » sont beaucoup moins robustes, dans la mesure où ces allègements sont totalement inséparables de la hausse du Smic très significative qu'ils avaient vocation à compenser. Il apparaît cependant que ce sont les entreprises restées à 39 heures qui ont créé le plus d'emplois grâce à ces allègements.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Comment s'explique ce phénomène ?

M. Charles Guené, président. - Les entreprises restées à 39 heures ont embauché en raison de leur forte activité, raison pour laquelle elles n'avaient pas non plus réduit la durée du travail.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - C'est en tout cas ce qui a été constaté dans le cas des allègements « Fillon », qui visaient à compenser une hausse du Smic de 16 % en trois ans.

Si l'on cherche à évaluer l'impact sur l'emploi de l'ensemble des allégements généraux de cotisations sociales sur les bas salaires, on arrive à une fourchette comprise entre 550 000 et 1 million d'emplois créés ou sauvegardés. Le chiffre de 800 000 est le plus communément admis. On peut estimer que si l'on supprimait les allègements généraux de cotisations sociales, 800 000 emplois seraient très menacés ou détruits dans les cinq années qui suivraient cette suppression. Le coût net pour les finances publiques de cette politique correspond à environ la moitié de son coût brut. Le véritable effort de la collectivité est donc plus proche de 10 milliards d'euros que de 20 milliards d'euros. Au total, cette politique est certes une dépense publique importante mais dont l'effet sur l'emploi est incontestable.

Très récemment, l'étude conduite par Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo sur le dispositif « zéro charges » mis en place en 2008 pour faire face à la crise estime l'élasticité du travail à son coût à 2 au niveau du Smic, ce qui montre l'efficacité sur l'emploi de ce type de dispositif. Il faut savoir que l'élasticité est nettement moins importante - de l'ordre de 1 - pour les salaires plus élevés, pour lesquels la question cruciale est celle des qualifications.

M. Charles Guené, président. - Le dispositif des allégements généraux de cotisations sociales n'est-il pas un palliatif à l'existence d'un Smic en France, qui conduit à payer des gens dans un système hors marché, qui ne fonctionne plus dans une économie mondialisée ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Il est exact que le Smic est un prix administré et qu'il est fixé en dehors du marché. Toutefois, le problème du coût du travail en France ne provient pas de l'existence en soi d'un salaire minimum, ce qui explique d'ailleurs que plusieurs pays envisagent actuellement d'en introduire un chez eux. Le Smic présente beaucoup d'avantages en termes de demande globale mais aussi de cohésion sociale. C'est surtout son niveau élevé et son évolution plus rapide que celle de la productivité du travail au cours des dernières années, ainsi que le financement de la protection sociale qui entraîne un problème de coût du travail pour les non-qualifiés.

Il est indéniable que le Smic ne permet pas de vivre correctement dans certaines régions. C'est pourquoi des mécanismes additionnels comme la prime pour l'emploi (PPE) ont été créés pour répondre à ce problème de pouvoir d'achat.

Au début des années 1990, dans un contexte où l'emploi peu qualifié était menacé, les gouvernements successifs ont considéré qu'il existait un problème de coût du travail des peu qualifiés et il est indéniable que la décrue de l'emploi peu qualifié a diminué depuis la mise en place des allègements de cotisations sociales.

Lorsque l'on évoque les allègements de charges sur les bas salaires, on craint toujours qu'ils engendrent des trappes à bas salaires et des trappes à qualification. Aucune étude scientifique ne vient le démontrer, ni d'ailleurs l'infirmer. La meilleure manière de prévenir cet effet indésirable est de renforcer la formation des salariés les moins qualifiés.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - On a souvent l'impression que les générations qui entrent aujourd'hui sur le marché du travail perçoivent des salaires relativement plus bas que les générations qui les ont précédées. Qu'en pensez-vous ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Le Conseil d'orientation pour l'emploi a étudié cette question et publié en 2011 un rapport sur l'emploi des jeunes. Ce que montre ce rapport, c'est que l'entrée des jeunes dans les entreprises se fait aujourd'hui dans des conditions moins favorables que par le passé et avec des statuts relativement précaires : CDD, interim, alternance... Beaucoup de jeunes connaissent des parcours heurtés et alternent période d'emploi et période de chômage. Si l'on observe une génération sur quinze ans à partir de son entrée sur le marché du travail, on constate cependant par la suite un certain effet de rattrapage, en dépit de ces premières années difficiles.

Pour conclure mon propos, je voudrais insister sur le fait que les exonérations générales de cotisations sociales sur les bas salaires ont un effet significatif sur l'emploi pour un coût net inférieur à leur coût brut. L'effet redistributif en faveur des PME doit être souligné : alors qu'elles représentent 29 % de la masse salariale, elles reçoivent 40 % des exonérations. Le Conseil d'orientation pour l'emploi a recommandé le maintien de cette politique et souhaite que puissent être garanties à la fois sa stabilité dans le temps et sa visibilité auprès des entreprises. Il convient en outre d'accompagner les allègements de charges par une politique de formation des salariés les moins qualifiés, même si l'existence d'une trappe à bas salaires n'est pas démontrée. Enfin, il faudra évaluer conjointement les effets sur l'emploi des allègements généraux et du crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice).

M. Charles Guené, président. - Je vous remercie.

Je donne la parole à notre rapporteure, Mme Michelle Demessine, pour les premières questions.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Malgré toutes les études qui ont été conduites sur ce sujet, nous ne pouvons que constater le manque de certitudes des économistes et des statisticiens sur les effets sur l'emploi des allégements de cotisations sociales. Comment expliquez-vous que subsistent tant d'incertitudes ? Le Conseil d'orientation pour l'emploi a-t-il travaillé sur la question des contreparties qui pourraient être demandées aux entreprises dans le cadre de la mise en oeuvre du Pacte de compétitivité ? Comment analysez-vous l'objectif de compétitivité assigné aux exonérations de cotisations sociales ? Le Cice est-il un dispositif efficace en termes de créations d'emplois ? Dans quelle mesure bénéficie-t-il à l'emploi précaire ? Comment fonctionne la comparaison avec les autres pays pour le coût du travail et la compétitivité ? Enfin, comment détermine-t-on qu'un emploi est qualifié ou non, et les travailleurs peu qualifiés sont-ils les mêmes que les travailleurs payés au Smic ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - S'il est vrai que nul n'est en mesure de chiffrer très précisément l'effet sur l'emploi des allègements de cotisations sociales, il n'en demeure pas moins incontestable qu'ils ont permis une création ou une sauvegarde massive d'emplois. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes incapables d'évaluer les effets de bien d'autres politiques et que, par comparaison, les effets de celle-ci sont relativement bien connus.

Le Conseil d'orientation pour l'emploi a déjà travaillé sur la question des conditionnalités aux allégements de charges sociales. Il n'apparaît en effet pas absurde d'établir un lien entre emploi et salaire, même s'il s'agit d'un exercice extrêmement difficile. Le gouvernement précédent a souhaité conditionner les allègements à la négociation annuelle obligatoire dans les entreprises et faire en sorte que ne puissent pas en bénéficier les branches dont les minima salariaux étaient inférieurs au Smic. Je suis pour ma part sceptique quant à l'efficacité du conditionnement du maintien des allègements à l'ouverture de la négociation annuelle obligatoire, tant l'application d'une telle mesure présente de difficultés administratives. En ce qui concerne les minima salariaux de branches, cette mesure a été repoussée année après année... Je crois beaucoup plus désormais à l'action dans l'entreprise des partenaires sociaux. Je pense à cet égard qu'il est particulièrement important de pleinement les impliquer dans le suivi de l'utilisation du Cice et des exonérations de cotisations sociales patronales.

La politique de compétitivité est aussi une politique de l'emploi, même si elle crée des emplois beaucoup moins rapidement que les mesures ciblées sur les bas salaires, dans la mesure où les entreprises peuvent profiter dans un premier temps des allègements pour restaurer leurs marges, pour investir... Mais c'est précisément parce qu'elles disposaient de marges plus importantes que les entreprises françaises avant la crise que les entreprises allemandes ont pu davantage préserver l'emploi dans les années récentes. Soutenir la compétitivité, c'est donc mener une politique de l'emploi, même si ses effets sont moins rapides et visibles que les mesures ciblées sur les bas salaires.

Vous m'interrogez sur la notion de travailleur peu qualifié et sur sa coïncidence ou non avec la notion de travailleur à bas salaire. S'il existe malheureusement des personnes qualifiées payées au Smic, ce sont en général des personnes peu qualifiées qui perçoivent le salaire minimum.

Par rapport aux autres pays, le problème du coût du travail français est avant tout un niveau trop important pour les moins qualifiés et une croissance très rapide depuis le début des années 2000 alors que l'Allemagne a appliqué dans le même temps une politique de modération salariale.

M. Yves Daudigny. - A-t-on pu mesurer un effet du Cice sur le coût du travail dès 2013 ? 1,6 Smic est-il un bon seuil d'extinction pour les exonérations de cotisations sociales ?

M. Philippe Dominati, sénateur. - Je souhaiterais vous remercier pour votre exposé particulièrement éclairant et vous dire combien le rapporteur spécial du budget des services du Premier ministre que je suis se félicite du bon fonctionnement du Conseil d'orientation pour l'emploi. Existe-t-il une spécificité française qui consisterait à afficher un Smic élevé et en réalité un coût du travail moins élevé grâce aux allègements de charges ? Je voudrais aussi vous interroger sur l'emploi à domicile, qui connaît une rapide dégradation et pour lequel on observe une cassure très forte. Qu'en pensez-vous ?

M. Charles Guené, président. - Nous sommes l'un des rares pays dont la protection sociale est avant tout financée par des cotisations assises sur le travail.

M. Jean Desessard, sénateur. - Pour ma part, je constate que les calculs visant à évaluer l'effet des exonérations de cotisations patronales sur l'emploi sont bien laborieux. J'espère que votre rapport, madame la rapporteure, viendra nous éclairer.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - En ce qui concerne les effets du Cice, le premier rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) montre que 38 % du Cice a été perçu par des entreprises non exportatrices, 35 % par celles dont les exportations représentent moins de 5 % du chiffre d'affaires et que seulement 27 % est revenu à des entreprises qui exportent plus de 5 % de leur chiffre d'affaires. On voit donc qu'une part significative du Cice a été perçue par des entreprises non exportatrices. En tout état de cause, les 20 milliards d'euros du Cice ne représentent que la moitié de la baisse des marges des entreprises depuis 2007. Selon une étude ex ante menée par l'OFCE, le Cice créerait 150 000 emplois sur cinq ans. Pour l'Insee, ce chiffre atteindrait 300 000 emplois. On a donc une fourchette comprise entre 150 000 et 300 000 emplois.

Sur le coût du travail, l'institut COE-Rexecode évaluait ce coût à 37,5 € en 2013 pour une heure de travail, en hausse de 0,2 % par rapport à 2012. Sans le Cice, ce coût aurait augmenté de 2,3 % en 2013.

Faut-il placer le seuil d'extinction des allègements de charges à 1,3 Smic ? A 1,6 Smic ? A 1,3, le risque de trappes à bas salaires est important. En outre, si l'on veut que l'industrie bénéficie des allègements de charge, il faut aller au-delà de 1,3 Smic.

Monsieur le sénateur Dominati, merci pour vos propos sur le Conseil d'orientation pour l'emploi. Je crois en effet qu'il offre un espace de consensus aux acteurs économiques et sociaux de notre pays. Le fait qu'il bénéficie d'une grande stabilité lui permet de travailler dans la durée et de produire une expertise partagée des problèmes.

Vous avez raison, monsieur le président, le financement de la protection sociale principalement fondé sur le travail est une grande spécificité française. Cependant, la politique des allègements de charge est une façon de réformer le financement de la protection sociale sans le dire puisque de nouvelles recettes fiscales lui sont affectées en compensation. Avec le temps, le système de prélèvements sociaux est devenu progressif et moins financé par des cotisations. Ce phénomène pourrait s'accentuer si le Gouvernement met en place la barémisation des cotisations sociales, qui deviendraient ainsi progressives. In fine, le financement de la protection sociale serait beaucoup moins assis sur le travail.

M. Charles Guené, président. - Je remercie Mme Carrère-Gée pour la clarté de son exposé et de ses réponses.

Audition de M. Serge Lemaître, directeur de la sécurisation des parcours professionnels de Pôle emploi

M. Charles Guené, président. - Je vous souhaite la bienvenue. Nous vous avons sollicité pour une présentation des dispositifs d'aide au retour à l'emploi afin de tenter de discerner, selon une approche plus micro-économique, l'impact concret des programmes d'allègement de cotisations sociales.

M. Serge Lemaître, directeur de la sécurisation des parcours professionnels de Pôle emploi. - Je souligne que mon intervention correspond à une vision un peu différente des travaux déjà engagés par la mission : c'est le regard de l'opérateur Pôle emploi dans le domaine de l'aide aux recrutements pour les entreprises et de l'aide aux reclassements des personnes à la recherche d'un emploi.

De notre point de vue, on peut classer les différents dispositifs d'aide et d'allègement en trois grandes catégories.

La première rassemble les dispositifs d'exonération générale de charges sur les salaires, que nous appelons des « mesures guichets ». On peut rattacher à cette catégorie le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) ainsi que les exonérations à caractère géographique (ZFU-ZRR-ZRU...). Ces mesures sont susceptibles d'influencer les décisions de recrutement de l'entreprise : plus la part du salaire est importante dans les coûts supportés par l'entreprise, et plus les exonérations de charge pourront peser dans la décision. Pôle emploi, dans un tel schéma, a un rôle d'information important sur l'ensemble des aides existantes et d'accompagnement de l'entreprise pour éclairer et faciliter ses choix.

La seconde catégorie correspond aux dispositifs adaptés à la personne embauchée : il s'agit essentiellement des contrats aidés avec, d'une part, certains contrats en alternance et, d'autre part, les contrats uniques d'insertion (CUI), les emplois d'avenir et les contrats de génération. Nos efforts sont particulièrement importants dans ce domaine car nous avons un rôle majeur de prescription pour ces 565 000 contrats aidés. Dans le détail, on recense plus de 400 000 CUI dans le secteur non marchand et 50 000 dans le secteur marchand, 100 000 emplois d'avenir et 18 000 contrats de génération. Les publics qui en bénéficient sont, pour les deux tiers, des chômeurs de longue durée. 85 % des bénéficiaires ont un niveau de formation inférieur ou égal au niveau V, environ 30 % perçoivent le RSA (parmi les titulaires de contrats dans le secteur non marchand) et 10 % sont des travailleurs handicapés. Cela montre toute l'importance de ce type de dispositif pour l'insertion des publics les plus éloignés de l'emploi dans les périodes que nous traversons actuellement.

Je mentionne également, pour les publics en très grande difficulté, les dispositifs d'insertion par l'activité économique qui sont financés par une aide qui compense la faible productivité des publics ainsi que leur accompagnement. Chaque année, environ 260 000 personnes sont concernées et Pôle emploi leur délivre un agrément pour être recrutées dans les structures de l'insertion par l'activité économique.

De façon générale, l'objectif de ces contrats est de pérenniser l'emploi, et, selon les chiffres de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), les taux d'emploi à 6 mois, c'est-à-dire la part des personnes dans l'emploi 6 mois après la fin de leur contrat, est de 70 % dans le secteur marchand et de 40 % dans le secteur non marchand. Pour améliorer le reclassement, plusieurs conditions doivent être réunies avec, en particulier, un référent unique tuteur du salarié, des prestataires prenant en charge l'accompagnement social, une préparation précoce à la sortie du contrat et la capacité de renouer des relations avec des entreprises partenaires. Je citerai en exemple une coopération avec la RATP qui a permis de reclasser les jeunes à la sortie de leur contrat d'avenir.

M. Jean Desessard. - Pour quels types d'emplois ?

M. Serge Lemaître. - Les jeunes peuvent trouver des emplois dans des métiers techniques, de sécurité ou comme chauffeurs, comme en témoignent les expériences de terrain auxquelles j'ai pu participer tant avec la RATP qu'avec les gestionnaires de zones aéroportuaires.

Lorsque la durée du contrat d'avenir augmente ou lorsqu'il est assorti d'une formation, la probabilité de pérennisation dans l'emploi augmente et, s'agissant des jeunes en difficulté, la très grande majorité des recrutements associent les équipes de Pôle emploi avec celles des missions locales.

Le troisième levier correspond aux dispositifs combinant la formation et l'emploi. L'alternance - c'est-à-dire essentiellement l'apprentissage et les contrats professionnels - est un outil majeur qui a permis au total plus de 420 000 recrutements en 2013, dont 110 000 assurés par le biais de Pôle emploi qui a un rôle particulièrement important en matière de contrats professionnels dont la durée peut aller jusqu'à deux ans et débouchent sur des diplômes de niveau de plus en plus élevé. Pôle emploi intervient dans la moitié des recrutements en contrats professionnels et un quart des conclusions de contrats d'apprentissage, ces derniers concernant des publics en moyenne plus jeunes.

Dans ce domaine, les efforts d'amélioration portent sur l'élargissement des publics qui accèdent à ces dispositifs, des secteurs d'activité qui y ont recours et enfin des types de formations dispensées. Par ailleurs, pour répondre aux demandes des petites entreprises, Pôle Emploi expérimente un dispositif « d'assemblier » de l'alternance afin d'apporter à l'entreprise à la fois son futur salarié, l'organisme de formation, le plan de formation et le financement de la formation et en évitant aux employeurs d'effectuer eux-mêmes les démarches.

Un mot également sur les actions mises en place en matière de formation professionnelle initiées au dernier trimestre de l'année dernière, avec le plan 30 000 et reconduite cette année avec le Plan 100 000 qui visent à adapter les formations aux besoins de main d'oeuvre dans les métiers en tension et au plus près des territoires.

Je conclus mon propos en soulignant que Pôle emploi remplit ces différentes missions en s'appuyant sur une offre de service aux entreprises qui a été rénovée. Ainsi, nous offrons à toutes les entreprises un service d'appui au recrutement qui comporte une aide à la rédaction de l'offre d'emploi, des informations sur la connaissance du marché du travail, un suivi de son offre et une alerte en cas de difficulté de recrutement. Pour les entreprises qui ont des difficultés de recrutement particulières, Pôle emploi propose un service d'accompagnement plus développé, avec une présélection de candidats, des études de poste, une aide à l'entretien d'embauche et des dispositifs d'adaptation au poste de travail. Nous sommes ainsi particulièrement attentifs aux TPE qui bénéficient de services spécifiques.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Peut-on avoir plus de précisions sur le chiffrage des allègements de charges pour les contrats en alternance ?

Par ailleurs je formulerai quatre questions, sachant que, pour certaines d'entre elles, vous avez apporté un début de réponse.

Du point de vue de Pôle Emploi, les allègements de cotisations sont-ils un déterminant du recrutement ? Autrement dit, le coût du travail est-il le principal frein à l'embauche pour les employeurs ?

L'offre de formation des demandeurs d'emploi vous paraît-elle adaptée ?

Comment articuler les exonérations de cotisations sociales avec les autres politiques de l'emploi ? S'agit-il d'une simple juxtaposition ou forment-elles une réponse cohérente pour les publics les moins éloignés de l'emploi ?

Quel instrument jugez-vous le plus efficace pour l'accès à l'emploi des moins qualifiés ?

M. Serge Lemaître. - S'agissant du chiffrage : on recense 420 000 contrats en alternance signés chaque année : les trois-quarts concernent l'apprentissage et un quart sous forme de contrats professionnels, ces derniers ayant tendance à augmenter en proportion.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Ces contrats professionnels semblent efficaces mais la difficulté consiste souvent à trouver une entreprise contractante et à vaincre certaines réticences de la part de ces dernières. Nous sommes d'ailleurs très souvent sollicités dans le processus de recherche de stage.

M. Serge Lemaître. - Les organismes de formation organisent des stages puis cherchent des entreprises alors que la démarche de Pôle emploi est inverse. Nous nous efforçons de collaborer pour partir des besoins de l'entreprise. J'observe que l'efficacité, en pratique, pour un jeune, consiste à frapper à toutes les portes. Les entreprises, par réflexe économique, recrutent en fonction de leurs besoins, mais je ne pense pas qu'il y ait de leur part une réticence, sauf pour les petites entreprises qui craignent les démarches compliquées.

S'agissant des exonérations de charges, elles sont d'autant plus déterminantes pour la décision d'embauche que le coût du travail est important pour l'entreprise. A contrario, dans l'industrie aéronautique par exemple, ce ne sont pas tant les exonérations de charges qui sont essentielles que les compétences, les qualifications et la formation.

M. Charles Guené, président. - Les entreprises ont-elles une connaissance suffisante des dispositifs ?

M. Serge Lemaître. - Le rôle premier de Pôle emploi est d'informer les recruteurs sur l'existence des dispositifs d'exonération et de formation. Pôle emploi indique également aux employeurs s'ils doivent s'attendre à des difficultés de recrutement tout en proposant d'accompagner des jeunes vers des formations adéquates.

M. Jean Desessard. - Je suis frappé par le fait qu'on nous dise que nos jeunes ne semblent pas préparés à l'emploi, compte tenu des efforts considérables déployés par notre appareil éducatif. Pouvez-vous nous dire ce qui ne va pas dans notre système de formation ?

M. Serge Lemaître. - Je crois utile de resituer notre propos, qui s'attache à analyser les difficultés particulières de recrutement, dans un cadre plus global. Sur les trois millions d'offres qui sont confiées chaque année à Pôle emploi par les entreprises - ce qui représente 37 % des recrutements en CDI et en CDD de plus d'un mois - 90 % sont satisfaites dans un délai de moins de trois mois. Globalement, il n'y a donc d'inadéquation que dans 10 % des cas. Toute la difficulté est que le volume global de recrutement est insuffisant. Par ailleurs, certains secteurs souffrent d'un défaut d'attractivité, qui ne concerne pas seulement le niveau des salaires mais aussi les horaires atypiques, par exemple.

M. Yves Daudigny. - Vous venez de répondre à la question que je souhaitais vous poser.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Je regrette que les statistiques ne prennent en compte que les emplois d'une durée supérieure à un mois ce qui peut correspondre à une très courte durée.

M. Serge Lemaître. - Sur les trois millions d'offres traitées par Pôle emploi, 45 % correspondent à des contrats à durée indéterminée. Je vous communiquerai les chiffres pour les CDD. Je rappelle aussi qu'en France, plus de la moitié des offres d'emploi sont pourvues par ce qu'on appelle le « marché caché », c'est-à-dire les contacts personnels, sans que l'offre se manifeste sur le marché du travail.

Statistiquement, si on prend en compte l'intérim, Pôle emploi traite 16 % du flux des 12 millions de recrutements annuels mais il faut ici préciser que plusieurs recrutements par intérim peuvent concerner un seul poste. Cependant, Pôle emploi prend en charge 37 % des recrutements d'un mois et plus. Je vous ferai parvenir des éléments chiffrés permettant de brosser un tableau complet et précis.

M. Charles Guené, président. - Merci pour ces précisions sur la diversité des processus de recrutement dans notre pays.

Audition de M. Olivier Bontout et de Mme Carola Bouton, de la direction générale de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion de la Commission européenne

M. Charles Guené, président. - Je vous remercie de venir nous présenter votre analyse de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Nous espérons qu'il vous sera possible, depuis la Commission européenne, de nous en dire davantage sur ce que font nos partenaires européens en la matière et sur ce que sont les spécificités françaises, favorables ou défavorables.

M. Olivier Bontout. - Je commencerai par des éléments de cadrage sur le financement de la protection sociale en Europe, tous risques sociaux confondus. Jusqu'à la crise de 2008, et depuis vingt ans, la part des cotisations sociales a baissé continûment dans le financement de la protection sociale, tandis que celle des contributions publiques augmentait ; cette tendance générale accompagnait cependant une certaine convergence de la répartition des financements au sein de l'Union européenne. Depuis la crise, on constate une baisse générale des ressources de la protection sociale, sans qu'on sache encore précisément si c'est l'effet conjoncturel de la crise, appelé à disparaître rapidement, ou bien si le phénomène est plus structurel - les écarts les plus forts à la moyenne, cependant, se sont résorbés plus rapidement, ce qui fait penser que la part structurelle est assez faible dans les mouvements constatés.

En France, depuis vingt ans, l'essentiel des hausses de ressources est venu des contributions publiques, tandis que la part financée par les personnes protégées a diminué légèrement.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Ces mouvements s'expliquent-ils surtout par une augmentation des dépenses, ou par des choix politiques concernant la répartition des financements ? Je pense, en particulier, au secteur de la santé : les changements dans la répartition tiennent-ils d'abord à l'augmentation des dépenses, ou aux choix politiques présidant à leur financement ?

M. Olivier Bontout. - Cela dépend des pays et des périodes, il n'y a pas d'explication générale. Nous analysons les financements de la protection sociale tous risques confondus, en comparant les écarts à la moyenne européenne pour la part « cotisations des personnes protégées », « contributions publiques » et « autres » - cette dernière ne représentant qu'une part marginale.

Ce qu'on remarque sur les diagrammes que nous tenons à votre disposition, c'est que la France se distingue par le niveau des cotisations employeurs ; que l'Allemagne se distingue par une forte participation des personnes protégées ; enfin, que le Royaume-Uni se distingue par des ressources plus faibles, financées en moyenne davantage par les contributions publiques.

M. Yves Daudigny. - Ces comparaisons sont très parlantes, par exemple entre la France et la Grande-Bretagne, de même que l'Allemagne se distingue très nettement par le niveau des cotisations des personnes protégées.

M. Jean Desessard. - C'est là que la Commission européenne veut nous conduire...

M. Olivier Bontout. - Nous avons également comparé la structure du financement par risque. Pour financer les retraites, les pays européens recourent principalement aux cotisations sociales, la France est dans la moyenne. Le risque santé, a contrario, est financé surtout par contributions publiques et la France est un peu au-dessus de la moyenne, avec une CSG importante. La branche famille est essentiellement financée par des contributions publiques, la France se distingue nettement par l'importance des cotisations employeurs.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Mais la situation n'est pas la même selon qu'il y a, ou pas, une politique familiale véritable.

M. Olivier Bontout. - C'est certain et les graphiques que je vous présente ne sont qu'une première étape de l'analyse.

Quels effets peut-on attendre d'un changement des bases du financement de la protection sociale ? Ils sont complexes, car ils dépendent des modalités retenues et de l'action concomitante sur les dépenses - mais on peut les décrire sous deux registres, celui de l'effet sur l'emploi et celui de l'effet redistributif.

L'effet sur l'emploi, en particulier des salariés les moins qualifiés, résulte pour partie d'un arbitrage avec l'effet compétitivité - et il dépend essentiellement du plus ou moins grand ciblage des exonérations. Quant à l'effet de redistribution, il dépend des financements alternatifs, à savoir les prélèvements opérés en compensation des exonérations, sur la consommation, le patrimoine, l'environnement - et il dépend également de la modération des dépenses, ce qui est un autre levier pour orienter la redistribution.

M. Jean Desessard. - Ces données sont-elles publiques ?

M. Olivier Bontout. - Oui, la plupart figurent dans le rapport annuel élaboré par notre direction générale, avec des données précises sur la protection sociale.

Mme Carola Bouton. - Je vous présente, pour ma part, les mécanismes de coordination et de surveillance des politiques économiques dans l'Union européenne, et les recommandations que le Conseil européen a fait ces dernières années pour financer la protection sociale.

Le semestre européen constitue le cadre renforcé de l'Union Européenne pour la coordination et la surveillance intégrées des politiques économiques et budgétaires des Etats Membres ; il est lancé chaque année avec l'examen annuel de la croissance, qui dresse le bilan de la situation économique et sociale en Europe, et arrête pour les Vingt-Huit, les priorités d'action de l'année à venir.

L'examen annuel de la croissance 2014, adopté le 13 novembre 2013, a établi deux priorités qui touchent aux exonérations de cotisations sociales : faire que les Etats membres disposant d'une marge de manoeuvre budgétaire stimulent les investissements privés et la consommation, par exemple au moyen de réductions d'impôts et de charges sociales ; rendre la fiscalité plus propice à la croissance, par exemple en déplaçant la charge fiscale pesant sur le travail vers des bases d'imposition liées à la consommation, le patrimoine et l'environnement.

Analysant la mise en oeuvre des recommandations depuis trois ans, l'examen annuel de la croissance 2014 constate que de nombreux Etats membres ont accru la pression fiscale globale - impôts directs et indirects et cotisations sociales - mais aussi que la charge fiscale se déplace quelque peu, en témoignent les réformes de la fiscalité de la propriété foncière et l'accent mis sur les impôts indirects plutôt que sur la fiscalité du travail.

Il apparaît également que le taux d'imposition maximal des revenus des personnes physiques est à son plus haut niveau depuis 2008. La charge fiscale globale qui pèse sur le travail s'est alourdie, mais la fiscalité du travail a diminué pour certaines catégories - en Belgique, au Danemark, en Finlande, en France, en Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal et en Suède. De même, la progressivité de l'impôt tend à se renforcer.

Parallèlement à l'examen annuel de la croissance, la Commission adopte le Rapport sur le mécanisme d'alerte concernant les déséquilibres macroéconomiques (RMA), qui identifie les Etats membres justifiant une analyse plus détaillée, sous la forme d'un bilan approfondi.

Dans le bilan approfondi concernant la France, adopté le 10 de ce mois, les services de la Commission ont évalué que les coûts salariaux élevés, pèsent sur la rentabilité des entreprises et sur leur capacité à faire face aux chocs. Si, d'une manière générale, l'évolution des salaires a suivi celle de la productivité, la France fait partie des pays de la zone euro qui enregistrent les coûts salariaux les plus élevés. En particulier, l'importance de la charge fiscale sur le travail réduit la rentabilité des entreprises.

Toutefois, l'analyse démontre également l'importance de la compétitivité hors coûts tels que la qualité des produits, l'innovation, ou encore, les réseaux de distribution.

Au-delà de la mesure déjà adoptée pour réduire la charge fiscale sur le travail, des efforts supplémentaires doivent être déployés pour renforcer la rentabilité des entreprises. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) équivaut pour les entreprises à une réduction des coûts salariaux de près de 20 milliards d'euros, soit 1 % du PIB. Cette mesure ne comble qu'une partie de l'écart de rentabilité qui sépare les entreprises françaises de leurs pairs de la zone euro. En outre, les réductions de coûts sont axées sur la tranche inférieure de la distribution des salaires. Cette orientation vise à maximiser l'effet sur l'emploi, mais réduit les effets sur les entreprises exportatrices qui versent généralement des salaires plus élevés.

La Commission européenne, faute d'éléments suffisamment précis, n'a pas pu inclure dans son analyse le pacte de responsabilité, annoncé en janvier dernier. La France devra en communiquer le contenu début mai dans son programme national de réforme et son programme de stabilité - comme pour les autres Etats membres, ce programme sert de base aux recommandations spécifiques par pays que la Commission pourrait ensuite proposer au Conseil, pour le mois de juin.

L'analyse dans le rapport conjoint sur l'emploi 2014, accompagnant également l'examen annuel de la croissance 2014, constate que la pression fiscale demeure élevée dans de nombreux Etats membres. La pression fiscale élevée et, dans certains cas, en hausse, qui pèse sur les bas salaires et les personnes apportant un second revenu, reste un problème dans un très grand nombre d'Etats membres. Les niveaux en 2012 allaient de 20 % ou moins à Malte et en Irlande à plus de 45 % en Belgique, en Allemagne, en France et en Hongrie.

M. Jean Desessard. - Pour la Commission européenne, la pression fiscale est toujours trop haute, quel que soit le service rendu !

Mme Carola Bouton. - La Commission européenne recommande rarement d'augmenter la pression fiscale globale, vous avez raison.

En 2012-2013, les hausses de l'impôt sur le revenu des personnes physiques axées sur les revenus plus élevés se sont poursuivies dans onze Etats membres.

L'accroissement de la pression fiscale totale est, pour l'essentiel, dû à celui de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, qui a augmenté dans 19 Etats membres sur 26 ; en comptant les cotisations sociales à la charge des salariés, la pression sur les salariés s'est accrue dans 18 Etats membres - mais elle augmente dans 11 pays pour les employeurs.

Dans l'ensemble, le niveau des cotisations sociales à la charge des employeurs est demeuré stable dans la plupart des Etats membres, avec quelques exceptions - notamment la France, la Slovaquie, la Pologne et la Hongrie.

L'an passé, le Conseil européen, sur proposition de la Commission européenne, a fait des recommandations à dix Etats membres dans le domaine de la fiscalité : l'Autriche, la Belgique, la République tchèque, l'Allemagne, la France, la Hongrie, l'Italie, la Lettonie, les Pays-Bas et la Slovaquie.

Pour l'Autriche, par exemple, il a estimé qu'un allègement de la charge fiscale pesant sur les faibles revenus pourrait encourager une plus grande participation au marché du travail et qu'il serait possible, également, de réorienter la fiscalité vers d'autres sources, moins pénalisantes pour la croissance - en particulier, les recettes de l'impôt foncier ne représentent que 0,5 % du PIB, contre 2,1 % en moyenne de l'Union.

A la Belgique, le Conseil européen a recommandé d'élaborer des propositions concrètes et définies dans le temps pour déplacer la charge fiscale du travail vers des assiettes fiscales ayant un effet de distorsion moins important sur la croissance, notamment en étudiant le potentiel de la fiscalité environnementale - mais aussi de simplifier le système fiscal en réduisant les dépenses fiscales en matière d'impôt sur le revenu, en accroissant l'efficience de la TVA et en améliorant le respect des obligations fiscales par la suppression des failles existantes.

Pour l'Allemagne, le Conseil européen a estimé qu'il faudrait réduire le niveau élevé des impôts et cotisations sociales pesant sur les bas salaires - et maintenir des conditions permettant à la croissance des salaires de soutenir la demande intérieure.

Pour la France, le Conseil européen recommande de s'assurer que la réduction du coût du travail résultant du Cice atteint bien le montant envisagé et qu'aucune autre mesure n'annulera ses effets - et de prendre d'autres mesures dans ce sens, en collaboration avec les partenaires sociaux, par exemple en diminuant les cotisations sociales patronales. Le Conseil européen recommande également que le salaire minimal évolue d'une manière propice à la compétitivité et à la création d'emplois, compte tenu de l'existence de dispositifs de soutien des salaires et d'exonérations de cotisations sociales. Enfin, il invite la France à poursuivre ses efforts de simplification du système fiscal et à améliorer son efficacité, tout en garantissant la continuité des règles fiscales dans le temps - et il recommande de prendre des mesures supplémentaires déplaçant la charge fiscale sur le travail vers les taxes environnementales ou la consommation.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - La France vous paraît-elle avoir un problème de coût du travail ?

Comment articuler au mieux politique pour l'emploi et politique pour la compétitivité ? La politique allemande, citée souvent en exemple, n'a-t-elle pas, à cet égard, considérablement augmenté le nombre de travailleurs pauvres ? Quel impact aura l'institution - annoncée - d'un salaire minimum outre-Rhin ?

Enfin, l'euro fort est peu cité parmi les facteurs de compétitivité : ne vous paraît-il pas, pourtant, un handicap ?

Mme Carola Bouton. - Il est un fait que le coût du travail est élevé en France ; l'est-il trop ? Je ne saurais le dire, mais on ne peut que constater ce coût élevé.

Les politiques de l'emploi et celles visant la compétitivité peuvent être différentes - et elles relèvent de directions différentes au sein de la Commission européenne. Celle-ci s'est du reste prononcée, dans un document d'orientation politique en 2012, pour l'instauration de salaires minima, elle l'a fait en argumentant que ces minima étaient utiles pour soutenir la demande.

M. Jean Desessard. - Il s'agit d'un minimum horaire, n'est-ce pas ?

Mme Carola Bouton. - En Allemagne, le projet est effectivement d'un salaire minimal horaire de 8,50 euros.

M. Olivier Bontout. - Le niveau de l'euro joue incontestablement sur les exportations françaises, mais c'est vrai pour tous les pays de la zone euro.

M. Charles Guené, président. - Les services de la Commission ont deux départements différents pour l'emploi et la compétitivité : n'est-ce pas incohérent, compte tenu de l'interaction entre ces deux domaines ? Pourquoi déconnecter ainsi les politiques publiques ?

M. Jean Desessard. - La Commission européenne recommande notamment à la France, à l'Allemagne et à la Belgique, d'alléger la fiscalité du travail, en compensant par plus de fiscalité sur la consommation ou l'environnement. Que visez-vous par fiscalité environnementale : avez-vous des exemples... qui puissent rapporter gros ?

M. Yves Daudigny. - Le système français de protection sociale, entend-t-on ici ou là, est original par ses déficits chroniques, alors que la plupart des autres pays européens équilibreraient leur compte, en particulier sur la santé : est-ce vrai ?

M. Olivier Bontout. - Il est effectivement artificiel de séparer les politiques d'emploi et de compétitivité, mais cette organisation institutionnelle n'est pas propre aux services de la Commission européenne et elle correspond aussi au fait que ces deux domaines ont leurs dynamiques propres : les politiques favorables à l'emploi ne sont pas toutes liées à la compétitivité, et réciproquement. Elles se rejoignent cependant, avec chacune ses instruments, et leur convergence, à travers les exonérations de cotisations patronales, tient essentiellement au ciblage des exonérations.

La protection sociale française, ensuite, n'est pas déficitaire structurellement, mais par périodes où les déficits appellent des ajustements : cela s'est passé à plusieurs reprises dans l'histoire du système de protection sociale et, à moyen terme, on voit que les dépenses ont toujours été couvertes, comme dans le reste de l'Europe.

Mme Carola Bouton. - Par fiscalité environnementale, nous visons principalement le secteur de l'énergie. Pour la Belgique, par exemple, nous avons repéré des marges de progression sur le diesel, sur les combustibles utilisés pour le chauffage ou encore sur l'usage domestique des véhicules professionnels.

M. Charles Guené, président. - Gagner en efficacité, cependant, ce n'est pas toujours gagner en rendement. Pour l'heure, nous vous remercions de toutes ces précisions.

La séance est suspendue à 12 h 40.

Audition, sous forme de table ronde, des représentants des syndicats de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT et FO)

La réunion est reprise à 14 h 35.

M. Charles Guené, président. - Nous accueillons à présent les représentants des syndicats de salariés, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous avons sollicités pour recueillir votre point de vue sur l'efficacité sur l'emploi des allègements généraux de cotisation et leur évolution programmée, ainsi que sur le Cice, qui poursuit le même objectif. Nous aimerions connaître votre avis, sur la base des éléments concrets qui ont pu remonter jusqu'à vous.

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). - Les partenaires sociaux ont produit, en 2011, une analyse, dans laquelle nous nous retrouvons, sur la compétitivité et le coût du travail, qui conclut que la baisse de la compétitivité des entreprises, en France, tient pour beaucoup à des facteurs hors coût, et en particulier au manque d'investissement des entreprises. Ces travaux sont corroborés par ceux du Haut conseil de financement de la protection sociale (HCFi-PS), qui situent la France en position intermédiaire en matière de coût du travail, même si une différence demeure, d'ailleurs en voie de résorption, avec l'Allemagne. Pour autant, nous ne faisons pas de cette question du coût du travail, qui se pose, de fait, dans certains secteurs d'activités, un sujet tabou.

S'engager dans une politique de relance par l'offre, pour rendre des marges de manoeuvre aux entreprises, suppose de mettre en place des outils, comme cela a été fait avec le Cice. C'est une démarche à laquelle nous adhérons, même si nous aurions préféré que le Haut conseil aille au terme de ses travaux pour réfléchir, ainsi que nous le proposons, à un transfert du financement de la protection sociale des cotisations vers d'autres outils fiscaux, plus universels, comme la CSG.

Au-delà de la relance par l'offre, cependant, il faut mettre en oeuvre un changement de notre modèle productif, pour tirer l'économie vers le haut, favoriser la montée en gamme, la technologie, la transition énergétique... Oui, il faut rendre des marges de manoeuvre aux entreprises, mais en vérifiant ce qu'elles en font. Ce qui pose la question des contreparties. La politique de baisse des charges sur les bas salaires n'est pas nouvelle, elle existe depuis vingt ans, mais ce qui est inédit, avec le pacte de responsabilité, c'est que les allègements sont encadrés et même conditionnés par le dialogue social, au travers du relevé de conclusions signé par les partenaires sociaux, les contreparties attendues de l'entreprise visant à s'assurer que notre modèle productif est tiré vers le haut par l'investissement productif ou social.

D'où la nécessité, aussi, d'évaluer. Dans le relevé des conclusions, nous avons souhaité que les travaux de l'Observatoire des contreparties, tripartite, s'appuient sur des outils tels que ceux qu'a mis en place le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) et définissent une trajectoire de baisse des prélèvements. Pour la CFDT, cette trajectoire doit être calée sur le respect des engagements et les allègements suspendus si l'on s'aperçoit, après évaluation, qu'ils ne produisent pas les effets attendus sur l'investissement et l'emploi.

Pour le Cice, nous avons mis en place, auprès de nos adhérents, un outil de suivi destiné à faire remonter les interpellations de nos militants au sein des comités d'entreprises, visant à vérifier la destination des crédits.

Sur le ciblage des allègements, tous les modèles macroéconomiques s'accordent : c'est autour du Smic que leur impact en matière de création d'emplois durables est le plus fort - tant en termes de volumes que de pérennité des emplois. Le risque de trappe à bas salaires ou de trappes à basse qualification, cependant, n'est pas à négliger : il faudra, pour le prévenir, être vigilant sur les contreparties.

Mais c'est aussi pour faire face à la concurrence internationale que les entreprises ont besoin de retrouver des marges de manoeuvre. D'où la nécessité de prévoir aussi des allègements sur une partie plus haute de l'échelle des salaires. On sait, cependant, que les effets de ce type d'allègements sur le volume de l'emploi sont faibles si on laisse faire le seul jeu du marché. Il est donc essentiel que le dispositif soit encadré par le dialogue social, à tous les niveaux - relevé des conclusions, négociation de branches, et, au niveau des entreprises, débat sur la stratégie, appuyé sur la base de données unique - afin que des contreparties soient réellement mises en oeuvre.

Quel que soit le ciblage, il y aura des effets d'aubaine. Seul le dialogue social, là encore, évitera que ces aides ne se soldent en profits et dividendes au lieu de se traduire en investissement social et productif.

Vous l'aurez compris, nous sommes très attentifs aux contreparties, tant quantitatives que qualitatives : formation, qualification et classification des salariés. Afin d'éviter que les aides portant sur les bas salaires ne créent des trappes à basse qualification, un tel effort de formation et de qualification doit être exigé des entreprises bénéficiaires. Pour les allègements ciblés plus haut sur l'échelle des salaires, il faudra être attentif à ce que les marges aillent bien à l'investissement productif et à la création d'emplois.

Nous considérons que le pacte de responsabilité n'est pas consubstantiel à l'exigence de maîtrise des dépenses. Il faudra, en tout état de cause, maîtriser la dette, donc faire des efforts. Cependant, autant il nous semble qu'il y a des marges d'amélioration possibles en matière de maitrise des dépenses de santé, via une meilleure organisation du système de soins, ou grâce à des ciblages plus fins en matière de politique familiale, autant nous sommes inquiets des mesures annoncées ciblant les plus pauvres, comme le report de celles que prévoyait le plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Je pense aussi au gel de 18 mois annoncé pour les retraites, qui touchera de plein fouet les retraités les plus modestes, ainsi qu'au gel du point d'indice pour les fonctionnaires, difficilement soutenable...

M. Charles Guené, président. - Nous sortons un peu du sujet. Je vous propose de vous en tenir là pour laisser du temps au débat au terme des présentations de chacun.

M. Alain Giffard, secrétaire confédéral de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC). - Si les économistes s'accordent sur une fourchette de 200 000 et 400 000 emplois créés ou sauvegardés par les allègements généraux de cotisations sociales sur la période 1993-1997, les statistiques ne sont pas claires pour la période suivante, où la fourchette - entre 200 000 et 800 000 emplois - devient trop large pour se faire un jugement.

Les allègements généraux - c'est un premier problème, que l'on a pu vérifier avec La Poste et le Cice - profitent aux secteurs les moins exposés à la compétition internationale. Ils fragilisent le financement de la protection sociale. Trop concentrés sur les bas salaires, ils freinent la progression salariale, crée des effets de seuil préjudiciables aux revenus proches du Smic - sans parler du Cice, qui crée une barrière pour tous les salariés proches de 2,5 Smic... Ils incitent, enfin, les entreprises à s'orienter vers le travail non qualifié. Or, sur cette voie, il est clair que nous ne rattraperons pas le Sri Lanka ou le Bengladesh... Veut-on miser, pour la France, sur une production de qualité ou sur le bas de gamme ? Dans le second cas de figure, il n'est pas sûr que nous puissions faire concurrence à la Chine... Nous plaidons, quant à nous, pour une politique qui oriente notre modèle salarial vers plus de qualifications, en quoi nous rejoignons nos collègues de la CFDT. Il s'agit d'améliorer la compétitivité hors prix, en allant vers la qualité et l'innovation.

M. Serge Bru, conseiller économique de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). - Comme cela a été dit, nous avons publié, avec les deux organisations dont les représentants viennent de s'exprimer, un document commun avec le patronat, fruit d'un équilibre raisonné entre les analyses des organisations patronales que sont le Medef, la CGPME et l'UPA, centrées sur le coût du travail et celles de nos trois organisations, d'une autre tonalité. Nous sommes ainsi parvenus, sur des sujets économiques fondamentaux, à publier une vision commune. Il demeure certes entre nous des nuances, et l'on a vu, au travers des interventions de M. Giffard et de Mme Descacq, que la CFE-CGC est plus allante en faveur des exonérations portant sur le haut de l'échelle salariale que la CFDT, qui met moins d'énergie en ce sens mais n'en est pas moins ouverte à un tel élargissement, pour que nos entreprises industrielles soient plus compétitives.

Parler de coût du travail, c'est user de mots qui fâchent, en donnant à des auditeurs sans formation économique le sentiment qu'on leur reproche d'être trop payés, ou que leur protection sociale coûte trop cher. C'est pourquoi nous préférons parler de nouveau financement de la protection sociale. La connotation est tout autre ; même s'il peut exister, là aussi, des dissensions sur les options, c'est un angle de vue qui ne fait pas porter la culpabilité sur les salariés.

Si l'on s'attache à l'histoire économique de la France depuis la seconde guerre mondiale, on s'aperçoit que le franc a été dévalué d'un tiers tous les dix ans par rapport au deutsche mark. Il n'y avait alors pas de concurrence des pays émergents et les industriels, ainsi qu'en témoignent les articles d'alors dans les journaux qui leur étaient proches, comme Valeurs Actuelles, réclamaient avec persévérance des dévaluations. Or, c'est là un fort mauvais moyen de restaurer la compétitivité. La dévaluation ne joue que sur l'effet prix et appauvrit l'ensemble du pays : on vend de moins en moins cher et quelques années après, on demande à nouveau une dévaluation...

Notre économie a ainsi été dopée, durant des décennies, par les dévaluations. Mais aujourd'hui, alors que l'euro a mis fin au jeu des dévaluations et que nous sommes confrontés à la concurrence des pays émergents, nous sommes requis de monter en gamme, et cela exige un effort collectif.

Nous sommes favorables, à la CFTC, aux exonérations de charges, dont une part significative devrait être affectée à un niveau, dans la hiérarchie des salaires, en adéquation avec notre modèle de société industrielle soumise à la concurrence internationale.

M. Charles Guené, président. - Qui dit montée en gamme dit formation, on l'a compris. Mais il n'en faudra pas moins résoudre la problématique de l'emploi non qualifié. Les outils ne sont pas nécessairement les mêmes.

M. Mohammed Oussedik, membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT). - Nous avons, nous aussi, voté un avis sur la compétitivité au Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui a servi de base à la première conférence sociale pour l'emploi. Qu'est-ce que la compétitivité ? Ne laissons pas galvauder le terme, et n'oublions pas que le sommet de Lisbonne l'a définie comme la capacité, pour un pays, d'assurer un haut niveau de développement et d'emploi au service de sa population et de ses territoires.

Parle-t-on, ensuite, de compétitivité coût ou hors coût ? Observons que quand on parle de coût, on a tendance à se focaliser sur le coût du travail, en oubliant le coût du capital. Quoi qu'il en soit, la question est indissociable de celle de la structuration de notre économie et donc des choix politiques qui l'ont façonnée. Or, le choix a été fait d'une politique économique fondée sur les champions internationaux qui ne sont, par nature, pas attachés à un territoire - on ne trouve guère de contre exemple que dans quelques groupes internationaux dont le marché est ancré régionalement ; je pense au secteur des matériaux de construction ou à certains pans de celui de l'emballage. De fait, tous les dispositifs mis en place ces dernières années, très globalisants, concernent ces grands groupes, qui promettent beaucoup et font, in fine, très peu, dès lors qu'ils n'ont pas à rendre de comptes au plan national. Pour les exonérations de cotisations sociales, la chose est frappante. Elles ont été réparties sur l'ensemble du tissu économique, sans que l'on se soucie de savoir qui en profitait et quel était leur impact. Les études montrent que leurs effets en termes de création et de sauvegarde de l'emploi sont très modestes : 25 à 30 milliards d'allègements n'ont créé ou sauvegardé que 800 000 emplois au maximum, si l'on retient le chiffre haut de la fourchette. Cela fait très cher l'emploi...

Il faut donc commencer par évaluer ces dispositifs. Et pas seulement les exonérations, désormais sanctuarisées, sur les bas salaires, mais l'ensemble des dispositifs d'allègements fiscaux et sociaux. Quels sont, par exemple, les bénéfices du crédit d'impôt recherche (CIR), qui soulève débat jusqu'au sein de la majorité ? Le rapport de la Cour des comptes souligne combien il est peu utilisé dans l'industrie, au service de la recherche, et combien sont importants les effets d'aubaine. Il existe aussi un rapport du Sénat sur le sujet...

Il s'agit de passer d'une politique de droits à une politique d'aide et de soutien. Or, en matière d'évaluation, les pouvoirs publics n'apportent pas de réponse. Il existe bien quelques rapports, comme celui du Conseil national de l'industrie, du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap) ou du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), mais ce ne sont pas moins de 4 500 dispositifs sociaux et fiscaux, engageant 170 à 200 milliards, selon nos estimations, qui demandent à être évalués. Une telle évaluation est indispensable pour poser un diagnostic, repérer les niches qui méritent d'être supprimées et envisager d'éventuelles réorientations, et c'est pourquoi nous demandons qu'elle figure au premier rang des priorités dans le cadre du débat qui s'ouvre.

Se pose, ensuite, la question des seuils. Dès lors que l'on fixe un seuil, on ouvre la boîte de Pandore. Des voix s'élèvent aussitôt pour demander qu'il soit relevé. On l'a vu avec le comité de suivi du Cice, qui a observé qu'il y aurait un effet de tassement à 2,5 Smic. Il faudrait donc relever le seuil à 3,5 Smic, soit 92 % des salaires ! Et l'on n'arrêtera pas la machine.

Ce débat, de surcroît, masque les vrais problèmes. Les patrons des PME-PMI, qui sont les relais de la croissance, disent pourtant que leur premier problème, c'est leur carnet de commande et l'accès au financement. C'est pourquoi nous avions suggéré la création d'un pôle public d'investissement. Nous avons donc salué la création de la Banque publique d'investissement (BPI). Mais elle demeure insuffisamment dotée pour produire un réel effet de levier au service du financement des entreprises. On peut au reste se demander si le succès de la procédure de préfinancement du Cice ne s'explique pas par l'apport immédiat de trésorerie que cela représentait pour certaines entreprises.

M. Charles Guené, président. - Il faut conclure.

M. Mohammed Oussedik, membre du bureau confédéral en charge des questions économiques (CGT). - On ne peut raisonner, si l'on veut que notre production monte en gamme, sur les seules exonérations de cotisations, en oubliant que la principale raison du blocage tient au manque d'investissement. Au plus fort des Trente Glorieuses, le taux d'investissement plafonnait à 17 ou 18 % alors que le taux de marge était de 33 %. Aujourd'hui, il est de 28 % - 21 % dans l'industrie. Si l'on parvient à le restaurer, investira-t-on davantage qu'on ne l'a fait à l'époque ? Il est indispensable qu'existent des leviers pour s'assurer que ces marges seront réutilisées dans l'investissement, la recherche, la formation. Ils doivent exister au niveau national, et c'est pourquoi nous proposons la création d'un comité d'évaluation des aides publiques mais avec, également, une déclinaison régionale. Au niveau de l'entreprise, enfin, nous souhaitons que le comité d'entreprise, dont je rappelle qu'il réunit des représentants des salariés et de l'employeur, puisse, grâce à l'avancée que constitue la base de données unique, être clairement informé, contrôler, et le cas échéant suspendre les aides qui n'iraient pas à ces objectifs.

M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO). - Je ne suis pas un économiste, mais un homme de la protection sociale, et c'est cet angle que je privilégierai.

Pour nous, connecter compétitivité des entreprises et coût du travail procède d'une erreur de raisonnement. Erreur ancienne, qui a eu pour conséquence un affaiblissement de notre système de protection sociale et pourrait même, à terme, le remettre en cause. Ce n'est pas acceptable.

Vous connaissez nos positions. Il est clair que nous ne soutenons pas le pacte de responsabilité et n'avons pas signé le relevé de conclusions, discuté au niveau du Medef, sur d'hypothétiques contreparties, si improbables que le mot n'y figure même pas. De fait, les employeurs, y compris du premier d'entre eux, Pierre Gattaz sont on ne peut plus clairs : ils refusent toute forme de contrepartie. On peut toujours rêver qu'il y en aura, mais nous ne sommes pas des rêveurs. Le débat a été renvoyé aux branches, nous verrons si des contreparties apparaissent, et lesquelles...

Les exonérations de cotisations, qui représentaient 3 milliards en 1993, atteignent aujourd'hui 30 milliards par an. Elles ont donc été multipliées par dix en vingt ans. Si elles avaient été bénéfiques pour l'emploi, cela se saurait... Du chiffre haut de 800 000 emplois créés ou sauvegardés, qui vient, si je ne m'abuse, d'un rapport parlementaire, je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est au doigt mouillé, mais enfin... Personne n'est capable de dire si ces 30 milliards créent des emplois. Compte tenu de la situation de l'emploi, on peut penser, peut-être, qu'ils en ont sauvegardé certains, mais à quel coût ?

Alors que ces exonérations ne sont ni contrôlables, ni contrôlées, voilà que l'on amplifie cette politique, sans moyens de contrôle ! Si le Gouvernement entend mener une politique de soutien à la compétitivité des entreprises, nous pouvons le comprendre, mais il nous paraît, à tout prendre, que le Cice, dont nous ne nous faisons pas pour autant les laudateurs, est préférable, parce que déconnecté du coût du travail, il pourrait être contrôlé et soumis à conditions. Ce qui n'est pas possible avec les exonérations.

M. Charles Guené, président. - Je remercie chacun de son effort de synthèse. Vos propos apportent beaucoup à notre réflexion. Nos premières auditions s'étaient focalisées sur le coût du travail, puis sur la montée en gamme. Vous soulignez la nécessité de la formation, et surtout, le problème du manque d'investissement dont souffre notre pays.

La question des exonérations de charges n'est pas simple. A en croire certains d'entre vous, elles ne serviraient à rien. Devons-nous recommander à M. Valls d'en finir ? Ce serait un peu réducteur, et destructeur de l'emploi à court terme.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Le coût du travail est-il le principal frein à l'embauche ? Telle est la question première. Il y a, de fait, débat, à l'heure où le Gouvernement s'apprête à élargir un dispositif dont l'efficacité n'a pas été établie. Il est vrai qu'a contrario, les économistes prédisent la disparition de quelque 800 000 emplois en cas de suppression des exonérations existantes. J'aimerais recueillir, là-dessus, votre avis.

Plusieurs économistes parmi ceux que nous avons entendus s'accordent à considérer que les exonérations sont plus efficaces en matière de création d'emploi lorsqu'elles sont ciblées sur les bas salaires, avec un seuil de sortie à 1,4 Smic. Partagez-vous cette analyse ?

Serez-vous en mesure, en tant que partenaires sociaux, d'évaluer l'effet sur l'emploi du pacte de responsabilité, tant au niveau des branches qu'au niveau interprofessionnel ? Comment fonctionnera l'Observatoire des contreparties ? Le ministre dit qu'il compte beaucoup sur le dialogue social, dans le cadre de la négociation de branche. Qu'en pensez-vous ? Comment pourrez-vous veiller à la qualité de l'emploi, à la formation des salariés, à l'amélioration et à la reconnaissance des qualifications qui doivent accompagner le pacte de responsabilité ? Autant les exonérations seront massives et immédiates, autant la visibilité est faible sur les contreparties. Or, les économistes soulignent l'importance d'une montée en charge conjointe.

Quelles analyses le projet du Gouvernement en matière de réduction des dépenses publiques, et en particulier des dépenses sociales, vous inspire-t-il ? Que pensez-vous du Cice, présenté comme un outil de lutte contre le chômage et dont on dit que le premier bilan pour 2013, faisant apparaître une réduction de notre écart de compétitivité avec l'Allemagne, montrerait l'efficacité ? Comment appréhendez-vous l'analyse sur la compétitivité comparée en Europe et à l'international, qui nourrit le raisonnement sur les exonérations ? Alors qu'un débat s'amorce sur le coût du capital, pouvez-vous nous apporter votre éclairage ?

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - Le principal frein à l'embauche, c'est l'inquiétude des entreprises sur leur avenir, sur leur carnet de commande. La France doit donner à ses entreprises, aux employeurs comme à leurs salariés, des perspectives sur les produits et services qui pourraient tirer sa croissance et les rendre compétitives sans les tirer vers le bas de gamme. Notre idée est qu'il faut changer de modèle.

Les modèles macroéconomiques montrent que les exonérations produisent, à l'évidence, des effets. Les supprimer, ce serait détruire des emplois, comme on l'a récemment vu pour les services à la personne. C'est pourquoi nous souscrivons au pacte de responsabilité, qui sera encadré par le dialogue social. Nous souhaitons que les contreparties existent et que le dispositif soit évalué. Et sans doute les parlementaires peuvent-ils y aider.

M. Charles Guené, président. - Reste la masse de salariés non qualifiés, qui, dans cette optique, pose problème.

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - Le ciblage sur les bas salaires crée des trappes à basse qualification. C'est pourquoi nous insistons sur l'exigence de formation et d'une montée en qualification qui se trouve reconnue dans les grilles de qualification.

Nous faisons ici le même pari que sur les 35 heures. Nous n'avons jamais pensé que la réduction du temps de travail créerait massivement des emplois, mais nous avons considéré que la négociation apporterait des contreparties en matière de création d'emplois et d'organisation du travail. Nous partons, ici, dans le même état d'esprit.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Quel est, pour vous, le bon niveau de négociation ?

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - Le relevé de conclusions a lancé le processus. Au-delà, la négociation doit avoir lieu dans les branches, parce que les activités étant différentes, les contreparties doivent être adaptées. Elles peuvent prendre la forme, ici, d'embauches de jeunes, là, d'une réactivation des contrats de génération pour une meilleure transmission des compétences, ailleurs, d'un investissement dans la formation et l'alternance...

Mais c'est aussi au niveau de l'entreprise que le dialogue doit se nouer. Les accords nationaux interprofessionnels (ANI) nous donnent les outils pour mettre en oeuvre les contreparties en matière de formation et de montée en compétences. Et l'ANI de janvier a été négocié en conséquence : la base de données commune permettra aux représentants du personnel d'être informés sur toutes les aides de l'Etat dont bénéficie l'entreprise et d'interroger l'employeur sur la manière dont il en est fait usage. Nous souhaitons que l'ensemble des aides fasse l'objet de cette vigilance, les exonérations Fillon ou le Cice comme celles du pacte de responsabilité.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Je reviens à la question de l'évaluation. Il est vrai que plusieurs rapports ont été publiés, mais la difficulté vient du fait que les dispositifs ayant beaucoup changé dans le temps, les comparaisons sont rendues difficiles. J'ajoute que ces évaluations macroéconomiques doivent masquer certains facteurs car elles ne correspondent pas à ce qui se vit sur le terrain.

M. Charles Guené, président. - Même si la fourchette est large - entre 200 000 et 800 000 emplois - chacun admet que ces exonérations ont bien un effet.

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - C'est incontestable. Lorsqu'une aide est supprimée, l'effet est immédiat. En matière d'évaluation macro-économique, avec des outils comme ceux du CGSP, on peut mesurer l'effet des exonérations sur le volume de l'emploi mais aussi sur sa qualité, sur la montée en compétences, sur l'investissement, sur l'évolution dans le temps de la répartition entre rémunération du travail et rémunération du capital. C'est une perspective innovante.

Vous avez raison de penser, cependant, qu'il est aussi des enjeux micro-économiques et c'est bien pourquoi nous avons voulu, à l'autre bout de la chaine, cette base de données unique au service des représentants du personnel dans les entreprises. Les évaluations du CGSP et les résultats de ce travail mené au niveau des entreprises devront remonter à l'Observatoire des contreparties, afin que soient corrigés les défauts du système et modifié, le cas échéant, le ciblage.

M. Charles Guené, président. - Quelle est l'approche de la CGT et de FO quant au fonctionnement du dialogue social ?

M. Mohammed Oussedik, membre du bureau confédéral en charge des questions économiques (CGT). - Il est un peu paradoxal de parler en même temps de montée en gamme et de baisse du coût du travail. Les dispositifs fiscaux et sociaux ont diminué le poids de masse salariale, mais on n'a pas entendu M. Pierre Gattaz en féliciter le Gouvernement...

M. Charles Guené, président. - Nous lui demanderons son sentiment...

M. Mohammed Oussedik. - Il ne serait pas inutile de le connaître...

Demandez à un bénéficiaire du prêt à taux zéro s'il en avait besoin pour acheter son logement, il vous répondra que oui. Mais le fait est que ce dispositif a contribué à la bulle spéculative. Il en va de même pour les exonérations sur les bas salaires, qui créent des trappes à bas salaires. Mon propos n'est pas ici de dire qu'il y a des aides nécessaires et d'autres qu'il faudrait supprimer, mais que l'on manque d'une évaluation sérieuse. Personne n'a su la mener - on ne sait pas même s'il faut parler d'emplois créés ou préservés. Mais pour la protection sociale, ce sont, cette année, 25 milliards en moins, répercutés sur le budget de l'Etat, donc sur le contribuable.

M. Charles Guené, président. - Le problème n'est-il pas, au fond, que nous restons l'un des rares pays à faire porter la protection sociale par les entreprises, quand d'autres la font passer par la fiscalité. Là réside peut-être notre problème de compétitivité.

M. Mohammed Oussedik, membre du bureau confédéral en charge des questions économiques (CGT). - Nous sommes loin d'être le seul pays à avoir adopté ce système. Nous avons même fait école, avons été pris en exemple. Je mets en garde contre une parole politique qui tendrait à dévaloriser ce modèle, en disant qu'il est dépassé et qu'il pénalise la compétitivité de nos entreprises. Car c'est un diagnostic en partie erroné.

M. Charles Guené, président. - C'est le coeur du débat.

M. Mohammed Oussedik. - Le coût du travail n'est pas plus élevé en France qu'en Allemagne. Dans l'industrie, il est équivalent. Dans le secteur automobile, les salariés allemands sont payés 30 % de plus que les salariés français. Pourtant, personne ne songe à en conclure que c'est grâce à cela que Volkswagen est numéro 1 et que Renault est en perte de vitesse. Ceci dit pour mettre en garde contre les raccourcis...

La première exigence est pour nous l'évaluation. La « jurisprudence » des 35 heures nous convient : il y a conditionnalité, puisqu'il faut un accord. Je dis bien un accord, pas un « relevé de décisions ». Laissez le renard surveiller le poulailler en lui demandant de promettre qu'il ne touchera pas aux poules, il promettra... La conditionnalité doit être garantie dans les branches et dans les entreprises, ou elle ne sera pas. Et c'est bien l'un des reproches que l'on fait au pacte de responsabilité, l'autre étant qu'il globalise tout sans distinguer entre les entreprises qui ont vraiment besoin d'être soutenues après tant d'années de crise, celles qui sont capables de créer de la croissance et de l'emploi mais ont des performances très faibles à l'exportation - comme c'est le cas de nos PME-PMI qui mériteraient, à notre sens, un soutien privilégié, et celles qui sont dotées de moyens, y compris pour exporter, et n'ont pas besoin de soutien public. Est-il normal qu'une entreprise comme Total touche, au titre du CIR et du Cice, plus de 90 millions ? Que l'on ne vienne pas nous dire qu'il est vital de restaurer ses marges, alors qu'elle dégage 12 à 15 milliards de bénéfice net par an !

Peut-être aura-t-on l'occasion tout à l'heure de parler du coût du capital, qui n'est jamais évalué...

M. Charles Guené, président. - Je vous arrête, nous y reviendrons. Peut-on considérer que sur la question de l'évaluation, le diagnostic est à peu près consensuel ? En résumé, vous êtes dubitatifs sur les évaluations passées et réclamez des mécanismes pour l'avenir.

M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral (FO). - Encore une fois, les exonérations seront immédiates, tandis que les contreparties sont, et resteront, hypothétiques et non évaluables. Or, dès le moment où des lois financières rectificatives viendront modifier le financement de la branche famille, voire de la branche maladie - car sur le financement du pacte de solidarité, rien n'est encore clair - l'équilibre de notre protection sociale sera directement mis en cause. Les exonérations, nous dit-on, seront compensées. En effet : dans le plan d'économies de 50 milliards d'euros, il est prévu que 11 milliards seront pris sur la protection sociale ! Autant dire que ce sont les assurés qui vont payer la compensation : gel des prestations familiales, gel des retraites... jusqu'en octobre 2015 seulement nous assure-t-on. Voire. Nous sommes dubitatifs.

M. Charles Guené, président. - Ou bien informés ?

M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral (FO). - Je ne fais que reprendre ce qu'a dit le Premier ministre. Mais le discours du Medef, qu'il est bon de mettre en regard, va clairement à privatiser une partie de l'assurance maladie en réduisant le panier de soins pris en charge par la sécurité sociale pour augmenter la part de la complémentaire, voire de la surcomplémentaire ; autrement dit, faire la part belle aux assureurs. C'est pourquoi nous ne pouvons souscrire, ni de près ni de loin, à une telle politique.

M. Alain Giffard, secrétaire national confédéral (CFE-CGC). - Oui, il faut rendre des perspectives aux agents économiques. Mais un chef d'entreprise ne va pas licencier au seul motif qu'on lui supprime quelques allègements. Je suis chef d'entreprise et puis vous dire que si j'ai un carnet de commande bien rempli, je garde mes gars. Je les fais travailler, et je fais du bénéfice, si je peux.

Le problème, dans ce pays, c'est qu'une partie de la population a l'impression de fournir l'essentiel de l'effort. Pour les retraités, dont la pension est gelée sur deux ans, les jeunes diplômés, qui effectuent jusqu'à deux ou trois stages avant d'espérer entrer sur le marché du travail, les 40 % de cadres qui ne sont pas au plafond de la sécurité sociale et à qui l'on donne gentiment 120 points Agirc, le fardeau devient bien lourd.

A combien reviennent les emplois aidés ? M. Gattaz, a d'abord parlé de 100 000 euros par emploi, puis le ministre a évoqué, hier soir, 50 000 euros, et voilà que le Premier ministre dit aujourd'hui 200 000 euros... Le Cice ? On sait qu'il coûte à l'heure actuelle 20 milliards, mais on est incapable de dire combien d'emplois il a créés. Avant de prendre de nouvelles mesures, il serait bon d'évaluer celles qui existent. Pour les allègements Fillon, il semble que l'on arrive à 66 000 euros par emploi.

Il faut aussi prendre en compte les effets de seuil. Le groupe de travail présidé par Dominique Lefebvre sur la fiscalité des ménages souligne que plus on crée de seuils, plus on provoque d'effets de seuil. A quand un système plus progressif, qui évite de faire basculer quelqu'un d'un côté ou de l'autre, du jour au lendemain ? Une banque qui aurait recruté un jeune diplômé à 41 000 ou 42 000 euros et voudrait lui accorder une progression de qualification conforme à la convention collective, soit une augmentation de 6 %, perdrait, en plus, 6 % de Cice : il est rare qu'un directeur des ressources humaines donne ainsi 12 % à un collaborateur.

Comment s'organisera l'Observatoire tripartite ? J'aurais bien envie, sur ce sujet, d'interpeller la tierce partie... Le Premier ministre a d'abord dit son intention de le présider, puis Michel Sapin a annoncé que l'on verrait lors de la conférence sociale.

Nous avons souscrit au pacte de responsabilité et y avons travaillé, même si nous n'avons pas signé à cause d'un mouvement de colère sur un autre sujet, mais nous voulons que des engagements soient pris, et tenus. Et ceci au niveau des branches, pour être près du terrain. La banque n'a pas les mêmes problèmes que la métallurgie ou la chimie, ni le même rapport au capital. Je me plais souvent à rappeler que 65 % du système bancaire français est de l'économie sociale et solidaire. Quand j'entends les débats sur la rémunération des patrons de banque ou des traders, je me pose des questions...

J'en viens à la question du coût du capital. J'ai bien conscience que les capitaux peuvent migrer d'un endroit à l'autre de la planète, mais est-il normal que l'on réclame, dans certaines entreprises, des retours sur capitaux de 15 % ? Cela revient, tout simplement, à les tuer. Il faudra bien un jour s'interroger sur le comportement de certains fonds de capitalisation.

La comparaison avec les autres pays n'est pas facile à établir, d'autant que l'on a déjà du mal à dresser un bilan au plan national. Il est impossible, par exemple, d'établir des comparaisons sur la filière porcine, sinon pour constater que quand on embauche des Polonais à 400 euros par mois, ça ne fait pas travailler les Bretons. Il est vrai qu'en revanche, dans le secteur automobile, BMW et Volkswagen payent mieux leurs salariés que Renault ou Peugeot. Mais ils recrutent pour partie de l'autre côté de la frontière. Ils ont su développer des produits de meilleure qualité. Si l'on veut faire de même, ce n'est pas en sous payant une grande partie de la population qu'on y arrivera.

M. Charles Guené, président. - Vous avez des formules choc, mais il faut bien, cependant, s'intéresser à l'environnement international. Une entreprise manufacturière qui paye ses employés au Smic bénéficie de 20 % d'exonérations. Si on lui supprime cet avantage du jour au lendemain, alors que la main d'oeuvre compte pour 50 % dans le prix du produit, le donneur d'ordre, qui verra augmenter sa facture de 10 %, regardera ailleurs.

M. Alain Giffard, secrétaire national confédéral (CFE-CGC). - C'est bien pourquoi nous avons insisté, dans le dialogue autour du pacte de responsabilité, pour que l'évaluation ait lieu au niveau des branches, et au plus près de l'entreprise.

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - Mohammed Oussedik a évoqué tout à l'heure le problème des grands groupes. Précisément, bâtir des contreparties au niveau des branches vise à contrebalancer l'effet d'aubaine en faisant jouer la responsabilité sociale de ces groupes, qui pourraient, en particulier, faire bénéficier la filière de leur expertise en matière de formation.

M. Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral au pôle économique de la CGT. - Quand on parle de compétitivité, il faut avoir une vision globale et ne pas oublier que nous évoluons dans un cadre européen, où ne se pose pas seulement la question des coûts mais aussi celle de la demande. La baisse du taux de marge depuis deux ou trois ans tient au fait qu'alors que l'on avait une croissance nulle, la masse salariale a légèrement augmenté. Mais si les entreprises avaient ajusté leurs effectifs et baissé les salaires pour préserver leur taux de productivité, quelles auraient été les conséquences sur la demande en Europe ?

Deuxième élément, que souligne le Haut conseil de financement de la protection sociale, c'est que ce pas en France, mais en Allemagne que l'on a observé, au cours de la dernière période, une situation atypique, en particulier dans les services. Le taux de cotisation employeur, en France, n'a pas augmenté sur la longue période. On ne peut donc en faire la cause de notre perte de compétitivité.

Sur ce sujet, il faut raisonner par branche. C'est dans notre industrie que se concentre la perte de compétitivité : équipements de transports, biens intermédiaires, biens d'équipement. Et l'on est hors de capacité de jouer sur les prix, ce qui renvoie au problème de la compétitivité hors coûts. La question n'est pas de savoir s'il faut ou non exonérer les services d'aide à la personne. Ce qui doit nous préoccuper, c'est l'effondrement, en trente ans, de la part de l'industrie dans le PIB en France, contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne.

Il est très complexe de chiffrer l'impact sur l'emploi des exonérations. Les exonérations Aubry ont combiné une action sur le coût du travail et une action sur la réduction du temps de travail. On a donc du mal à en isoler les effets. Or, il est très difficile de développer des raisonnements a contrario quand on n'a pas une vision claire de la situation antérieure. Si bien que les économistes ne savent mesurer que l'effet des exonérations intervenues dans les années 1990.

Nous ne disons pas qu'il faut supprimer les exonérations ex abrupto, mais en se replaçant dans le cadre d'une réforme globale du financement de la protection sociale, en envisageant, ainsi que nous le proposons, une modulation des cotisations, tenant compte de la part des salaires, de la valeur ajoutée et du comportement des entreprises en termes d'emploi.

Dans les services, si certains salariés, comme ceux de la banque ou de l'assurance, sont très bien payés, la majorité le sont très mal. Ils le sont mieux dans l'industrie. Or, c'est elle qui tire la croissance.

M. Charles Guené, président. - Voilà qui nous ramène à la problématique des aides sectorielles, une étude que nous avions naguère engagée mais que nous n'avons pu poursuivre, et qui aurait certainement apporté des enseignements. Je m'amuse de constater que le sénateur Serge Dassault a fait des propositions sur les charges sociales qui se rapprochent de la vôtre...

M. Pierre-Yves Chanu. - Travaillant sur l'économie et la protection sociale, je l'ai plusieurs fois rencontré.

M. Serge Bru, conseiller économique (CFTC). - On n'a fait qu'effleurer le sujet du coût du capital. Je signale que le mois prochain, le Conseil national de l'information statistique (CNIS) mettra en place un groupe de travail sur le sujet, et que le groupe de travail délibération économique entre le patronat et les organisations syndicales a mis la question à l'ordre du jour. Le débat va donc s'ouvrir sur ce sujet qui fâche, et nous pourrons disposer, pour avancer, des données de la statistique publique.

M. Mohammed Oussedik, membre du bureau confédéral en charge des questions économiques (CGT). - Nous sommes à l'initiative d'une grande campagne visant à élaborer un indice du coût du capital. L'étude des chercheurs lillois du Clersé a mis en évidence combien il était déconnecté de la réalité économique des entreprises. Avec une croissance à 1 % et une rentabilité de 5 % ou 6 % dans l'industrie, on ne peut exiger une rentabilité du capital à 10 % ou 20 %. Il faut savoir que la France est troisième sur la liste des pays qui, en Europe, distribuent le plus de dividendes aux actionnaires. Nous avons donc souhaité que la statistique publique se penche sur la question et travaille à l'élaboration d'un indice du coût du capital, qui devrait, à notre sens, être pris en compte au même degré que celui du coût du travail dans la définition des politiques publiques. Au reste, les entreprises aussi s'en trouvent pénalisées. Si beaucoup de nos PME-PMI n'investissent pas ou peu, c'est aussi parce que le secteur bancaire ne joue pas le jeu et exige des taux d'intérêt totalement déconnectés de ce qu'est la réalité de ces entreprises, leur fermant l'accès au crédit.

Nous avons demandé au Président de la République et au Premier ministre qu'ils prennent position et insistent auprès de leurs homologues européens sur la nécessité de reconnaître cet indice au même titre que celui du coût du travail. Nous avons participé à l'élaboration du plan européen d'investissement proposé par la Confédération européenne des syndicats. Ce plan, de l'ordre de deux points de PIB par an, se veut au service de la relance et de la compétitivité en Europe. Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement nous soutient et peut nous appuyer.

M. Yves Daudigny. - Nous partageons tous l'objectif d'améliorer la situation de l'emploi. Vous avez tous une bonne connaissance du sujet, mais vos avis divergent. S'il ne fallait retenir qu'une seule mesure, laquelle préconiseriez-vous en priorité ?

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - Une démarche de clarification du financement de la protection sociale. Les risques à vocation universelle, comme la maladie, ainsi que les prestations familiales, devraient être financés par un outil fiscal large, comme la CSG. Si ce travail de clarification avait été fait, nous aurions dégagé des marges de manoeuvre pour les entreprises et les salariés. Le financement de notre protection sociale, qui reposerait sur une assiette plus large, en serait plus lisible, et cela dissiperait le sentiment que l'on procède, chaque fois, par une série de bricolages.

M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral (FO). - Nous préférerions voir élargir le Cice, pour peu qu'il soit soumis à condition et contractualisé plutôt que voir réduites de 10 milliards les cotisations de la branche famille.

M. Charles Guené, président. - Cela ne fait pas l'affaire de M. Valls.

M. Yves Daudigny. - Ce n'est pas la question.

M. Mohammed Oussedik, membre du bureau confédéral en charge des questions économiques (CGT). - Si j'en crois le discours du Premier ministre, sa politique tend à changer la structure de croissance de notre pays, pour se tourner moins vers la demande intérieure que vers l'exportation... avec dix ans de retard sur l'Allemagne. C'est un pari très risqué. Que la croissance reprenne un tant soit peu en Europe, et les taux d'intérêt remonteront ailleurs, annihilant tout cet effort.

Il faut être très mesuré, et orienter un tant soit peu l'effort vers les salaires et le pouvoir d'achat. Les revendications unitaires, notamment de la fonction publique, doivent être entendues. La revalorisation du Smic est un impératif. Il est au niveau du seuil de pauvreté. Or, il concerne 80 % de femmes bien souvent à temps partiel : on tombe très en dessous du seuil de pauvreté. Enfin, tout ce qui pourra redonner de l'oxygène aux entreprises en termes d'accès au financement sera bénéfique à l'emploi.

M. Alain Giffard, secrétaire national confédéral (CFE-VGC). - Pour nous, il faut rendre du pouvoir d'achat aux acteurs économiques. Pour qu'une politique de l'offre fonctionne, il faut que les gens puissent acheter. Il faut aussi intervenir sur les effets de seuil, très préjudiciables à l'emploi, et trouver le mode de financement adéquat pour une protection sociale de qualité.

M. Charles Guené, président. - Mais encore faut-il être en mesure d'assurer la production pour satisfaire la demande créée par le pouvoir d'achat.

Souhaitez-vous, au-delà de la seule question des exonérations de charges, évoquer d'autres pistes ?

M. Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral au Pôle économique (CGT). - Il est deux questions qui ne sont pas sans lien avec le sujet. Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous demandez quels sont les domaines, en matière de protection sociale, où des économies seraient possibles. La question me semble mal posée. Mieux vaut penser les choses en termes de gain d'efficacité.

Voilà qui engage, en premier lieu, la question du « mal travail », qui constitue l'un des problèmes principaux. Les effets de la pénibilité, des horaires atypiques, sont considérables. Bien des accidents du travail et des maladies professionnelles pourraient être évités.

Se pose, en second lieu, la question de l'organisation du système de soins. Le Haut conseil du financement de la protection sociale, dans son rapport intitulé Avenir de l'assurance maladie : les options du HCAAM, avance de bonnes idées, sur l'articulation entre médecine de ville et hôpital, la liberté d'installation, la rémunération des professionnels de santé...

Ce que les annonces gouvernementales perdent de vue, c'est la question de l'autonomie des finances sociales, que consacrait la coexistence de deux lois financières, loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Obscurcir, à coups de réformes, cette distinction, serait très dangereux. Un exemple : comment sera compensée la baisse annoncée des cotisations salariées pour les rémunérations les plus basses ? La TVA va-t-elle servir à financer à la fois les finances publiques et les finances sociales ? Souvenez-vous de l'article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale et de l'invraisemblable tuyauterie qu'il mettait en place... Quant aux exonérations sur les cotisations famille, elles posent la question du financement des prestations qui y sont attachées. Verra-t-on baisser certaines prestations familiales ?

M. Serge Bru, conseiller économique (CFTC). - Mes inquiétudes sont les mêmes. Je m'interroge sur la pérennité de notre système d'aide aux familles. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a évoqué la nécessité de trouver une ressource pérenne pour la branche famille. Le sujet est capital. Notre démographie est l'un des avantages que compte notre pays. Nous le devons à l'une de nos politiques sociales les plus réussies, notre politique familiale, caractérisée par une longue stabilité.

M. Charles Guené, président. - Vos inquiétudes témoignent-elles d'un manque de confiance dans l'Etat ?

M. Serge Bru, conseiller économique (CFTC). - N'allez pas croire que nous marquerions de la défiance à l'encontre de telle ou telle majorité. La souveraineté populaire s'exerce au travers des représentants que vous êtes, mais l'on sait à quel point la ressource fiscale est soumise aux aléas des changements de majorité.

M. Charles Guené, président. - Les parlementaires que nous sommes le vivons au quotidien : c'était une boutade.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Plus qu'une boutade, une provocation. Nous sommes bien placés pour savoir combien les financements annuels sont fragiles.

M. Alain Giffard, secrétaire national confédéral (CFE-CGC). - Le conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse s'est employé à retracer le dédale des compensations d'exonérations venues se superposer les unes aux autres : le document est épais de deux centimètres !

Mme Véronique Descacq, secrétaire confédérale (CFDT). - Quelques mots sur l'Europe, si vous le permettez. Notre engagement en faveur du pacte de responsabilité procède de la conviction qu'il faut miser sur la qualité - des produits, des services, des qualifications. Mais la France ne peut se lancer seule, l'Europe doit y prendre toute sa part. Nous appelons à un vaste chantier européen en faveur de la qualité, passant par un grand plan européen d'investissement en faveur des infrastructures et de la transition énergétique, qui apporterait de l'oxygène, et par une harmonisation fiscale et sociale à défaut de laquelle, lancée dans une concurrence sur le coût du travail, l'Europe court à sa perte - on voit, avec le plan d'austérité en Espagne, ce que provoque la baisse du coût du travail... La Confédération européenne des syndicats soutient un tel projet.

M. Charles Guené, président. - Il me reste à vous remercier pour la clarté de vos réponses et de vos exposés.

Audition, sous forme de table ronde, des représentants des organisations d'employeurs (Medef, CGPME et UPA)

M. Charles Guené, président. - Je vous souhaite la bienvenue. Nous vous avons sollicité pour entendre votre point de vue sur l'efficacité des allègements de cotisations sociales. Je rappelle qu'une des évolutions récentes du pacte de responsabilité réside dans la prise en compte de l'impératif de compétitivité, avec l'adoption d'un compromis dont vous nous direz s'il vous parait satisfaisant. Nos principales interrogations portent sur le ciblage des exonérations et sur l'articulation entre ces dernières et le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice).

M. Jean-François Pilliard, président du pôle social, du Mouvement des entreprises de France (Medef). - Je resituerai d'abord dans son contexte général le lien entre emploi et coût du travail. L'embauche, pour un chef d'entreprise, dépend de plusieurs facteurs : le premier est d'être en capacité de satisfaire la demande de ses clients et pour cela d'investir. L'environnement général qui influence la décision d'investissement est également fondamental. Il faut ici rappeler qu'en France, cet environnement est particulièrement instable en matière fiscale et dans le domaine social, avec, en particulier, des normes de sources diverses en droit du travail. J'ajoute, à ce sujet, que le pouvoir du juge dans le champ social constitue également un facteur d'incertitude. Enfin, l'adéquation entre l'offre et la demande d'emploi est une nécessité. Or 150 000 à 170 000 jeunes sortent chaque année de notre système éducatif sans qualification : l'entreprise ne trouve donc pas toujours les compétences qu'elle recherche.

Pourquoi faut-il alléger le coût du travail dans notre pays ? D'abord parce que nous avons historiquement fait le choix de financer majoritairement, et aujourd'hui à près de 63 %, la protection sociale par des cotisations patronales, soit une contribution supérieure de dix points à celle des entreprises chez nos voisins allemands. Le second choix explicatif des allègements de cotisations est celui de la réduction de la durée du travail à 35 heures, ce qui a eu pour effet de faire progresser le Smic de plus de 11 %. Ce dernier a alors « percuté » les minima de nombreuses branches professionnelles renchérissant les charges sociales et, globalement, le coût du travail.

En ce qui concerne le ciblage des allègements, voici 30 ans qu'on nous dit que les exonérations ont un impact direct sur les créations d'emplois dans les secteurs dits « à haute densité de main d'oeuvre », sur la base de l'utilisation d'un traditionnel modèle économétrique qui s'appelle « Mésange » et fournit invariablement les mêmes conclusions quand on le nourrit avec les mêmes données. Tout en soutenant le pacte de responsabilité, nous soulignons aujourd'hui qu'il n'est pas opportun que les allègements se concentrent exclusivement dans ces secteurs, selon une logique court-termiste. Comme l'indique le rapport de M. Louis Gallois, il est également impératif de créer les conditions propices à l'amélioration de la compétitivité de notre économie et du développement de secteurs à haute valeur ajoutée sans quoi il nous paraît difficile de prétendre maintenir la France au rang des grandes puissances économiques. La notion d'attractivité est également essentielle pour amener les entreprises étrangères à installer des bases logistiques en France pour bénéficier des remarquables compétences qu'elle offre dans un certain nombre de spécialités.

Nous avons donc plaidé pour le maintien des allègements de charges dit Fillon, principalement mis en place au moment de la réduction de la durée du travail, ainsi que du crédit d'impôt Cice dans sa forme actuelle sans introduire une nouvelle source d'instabilité après la phase de déclenchement qui a eu lieu l'an dernier. Nous avons également suggéré une baisse des cotisations sociales patronales relatives à la branche famille, cette dernière relevant légitimement de la solidarité nationale plutôt que de la responsabilité directe des entreprises. Le calibrage annoncé par le Gouvernement apporte une première réponse à cette attente puisqu'il prévoit, à partir du 1er janvier 2016, un abaissement de 1,8 point des cotisations famille pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 Smic. En 2015, le coût du travail au niveau du Smic sera réduit avec l'exonération des cotisations patronales versées aux Urssaf, hors cotisations d'assurance chômage. Le dispositif annoncé apparait globalement équilibré puisque sur une enveloppe totale de 10 milliards, 4,5 seraient ainsi consacrés aux secteurs à haute densité de main d'oeuvre, 4,5 milliards financeraient les allègements de cotisation assises sur les salaires supérieurs à 1,6 Smic et 1 milliard permettraient de réduire les cotisations familiales pour les travailleurs indépendants.

Trois principales attentes non satisfaites nous paraissent justifier de nouvelles avancées. Tout d'abord, le quantum global des mesures annoncées est certes important mais encore insuffisant pour combler notre écart de compétitivité, en particulier avec l'Allemagne. Ensuite, même si le dispositif mis en place couvre 93 % des salariés, son plafonnement à 3,5 Smic nous parait contestable dans son principe puisqu'il revient à introduire une forme de progressivité dans le système d'allègement des cotisations sociales. Enfin, il nous semble dommageable d'avoir distingué, dans la mise en oeuvre du programme d'allègement, les deux échéances de 2015 et 2016 ce qui ne manquera pas d'avoir des conséquences dans les industries à haute valeur ajoutée.

Mme Geneviève Roy, confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). -  Je rejoins, pour l'essentiel, les propos qui viennent d'être tenus. Je rappelle que le coût salarial horaire du travail en France demeure l'un des plus élevés d'Europe (35,7 euros en France, 32,9 euros en Allemagne et 29,2 pour la zone euro). Dans un premier temps, les chefs d'entreprise ont d'abord été sceptiques à l'égard du Cice, compte tenu de l'effet de décalage dans le temps qu'il incorpore et qui ne correspondait pas à l'urgence de la situation économique. Cependant, ses bienfaits sont aujourd'hui reconnus. Le pacte de responsabilité a également été bien accueilli, en particulier parce qu'il repose sur la reconnaissance du rôle fondamental de l'entreprise dans la création d'emploi. Encore faut-il permettre aux entreprises de restaurer leurs marges, d'investir et de mettre en adéquation leurs produits avec la demande des consommateurs : les allègements fiscaux et sociaux ne suffisent donc pas à eux seuls pour générer des recrutements.

Nous estimons qu'il fallait avant tout éviter le saupoudrage pour garantir l'efficacité du dispositif d'allègements. En outre, il ne fallait pas se contenter de cibler les bas salaires car l'impératif est de faciliter la montée en gamme de l'économie française et de l'accompagner par la formation des salariés.

Notre inquiétude porte sur deux principaux points. D'une part, le dispositif est trop décalé dans le temps, or avant 2016, les entreprises devront subir des augmentations de cotisations en matière de retraite. D'autre part, j'attire l'attention sur le compte personnel de prévention de la pénibilité qui entrera en vigueur en 2015 et inquiète vivement les chefs d'entreprise en raison de sa complexité, des risques de contentieux qu'il incorpore et des surcoûts induits. Ce mécanisme relatif à la pénibilité pourrait ainsi avoir un puissant effet désincitatif à l'embauche, annihilant l'effet bénéfique des allègements de cotisations, ou bien de stimulation de l'économie parallèle et je fais observer au passage que les travailleurs détachés n'y sont pas soumis. Par ailleurs, le dispositif de temps partiel à 24 heures est également très dissuasif en matière de recrutement. Il serait, au total, dommage que les efforts de la collectivité en matière de baisse des cotisations puissent être contrecarrés par les deux mécanismes que je viens d'évoquer.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA). -  Je m'associe aux remarques qui viennent d'être formulées. J'ajoute que l'UPA milite depuis de nombreuses années pour une réduction du coût du travail en rappelant que de 1998 à 2008, l'artisanat a créé plus de 650 000 emplois nets. Je signale aussi que contrairement à une idée reçue, un certain nombre d'emplois sont désormais beaucoup plus délocalisables qu'avant. On peut, par exemple, aujourd'hui, fabriquer du pain hors de France et le distribuer dans notre pays. On est également trop peu attentif aux possibilités de délocalisations dans d'autres secteurs de l'alimentation ou la menuiserie.

L'UPA a émis un avis favorable au pacte de responsabilité qui va dans le bon sens. Nous avons cependant milité pour la transformation du Cice en suppression des cotisations d'allocations familiales. En effet, le Cice ne correspond pas à l'impératif de simplification et de modernisation de l'action publique : il impose de remplir un formulaire et des effectifs administratifs de contrôle. Par ailleurs, le chef d'une petite entreprise, lorsqu'il embauche, se focalise sur la réduction de coût immédiate dont il peut bénéficier. J'ajoute que le Cice ne concernait, dès sa création, les salariés mais pas les travailleurs indépendants, ce qui constitue une sorte de « malformation ». Les mesures annoncées en faveur des indépendants dans le cadre du pacte de responsabilité mesure permettent, en revanche, de corriger cette inégalité de traitement. N'oublions pas que lorsqu'un chef d'entreprise travaille, c'est aussi un emploi qui est sauvegardé ou créé.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - S'agissant de la pénibilité, j'avais, lors de la discussion parlementaire du texte, fait des remarques qui rejoignaient les propos de Mme Geneviève Roy, en faisant observer que la mise en oeuvre du dispositif serait particulièrement compliquée, par exemple dans le bâtiment, et qu'il était porteur de désunion entre les salariés. Je me demande pourquoi les organisations patronales n'ont pas présenté des objections et des propositions alternatives lors de l'élaboration du texte.

Je voulais également approfondir les points suivants avec vous. Le coût du travail est-il comme nous l'avons beaucoup entendu, le principal frein à l'embauche ? Pensez-vous que la suppression des cotisations résiduelles au niveau du Smic puisse avoir un effet incitatif fort pour les entreprises ? De quels outils disposerez-vous pour évaluer l'effet sur l'emploi du Pacte de responsabilité, tant au niveau des branches qu'au niveau interprofessionnel ? Comment fonctionnera l'Observatoire des contreparties ? Comment veillerez-vous à la qualité de l'emploi, à la formation des salariés, à l'amélioration et à la reconnaissance des qualifications qui doivent accompagner le Pacte ? Quel premier bilan faites-vous du Cice à la lumière des remontées de terrain ?

M. Jean-François Pilliard. - S'agissant du dispositif de pénibilité, qui a fait l'objet d'une concertation que je qualifierai de sommaire, nous avons obtenu, après le vote de la loi, qu'une mission soit conduite par M. Michel de Virville afin de rechercher des simplifications. Nous déplorons qu'une mesure d'une telle ampleur, dont on nous dit qu'elle pourrait concerner de 10 % à 25 % des salariés et avoir un coût avoisinant 2 milliards d'euros en année pleine, n'ait pas été précédée d'une étude d'impact digne de ce nom. A mon tour, et sur la base de ces estimations chiffrées, je souligne que ce dispositif est en mesure d'annuler les effets bénéfiques du pacte de responsabilité. Dans le bâtiment, ce ne sont pas 10 ou 25 % mais 80 % des effectifs qui peuvent être concernés par la pénibilité. Par ce biais, on peut également craindre qu'une forme de pré-retraite ne soit réintroduite, ce qui pourrait aggraver les déséquilibres nos régimes de retraite de base et complémentaires.

Par ailleurs, je signale qu'un certain nombre de pays voisins pratiquent des allègements de charges sur des métiers à haute valeur ajoutée pour préserver leur compétitivité. Si on concentre trop les allègements sur les bas salaires, on n'incitera pas les entreprises à investir dans l'élévation des qualifications et la montée en gamme. Prenons garde à ne pas laisser glisser notre pays vers un modèle social et économique centré sur le milieu de gamme.

Je fais à mon tour observer que la traduction du pacte de solidarité dans les créations d'emploi risque de ne pas être immédiate. En effet, certaines entreprises ont perdu jusqu'à 50 % de leur volume d'activité et leurs marges se sont ainsi réduites à des niveaux historiquement bas - 28% en moyenne - alors même que les effectifs n'ont globalement fléchi que de 9 %, ce qui implique mécaniquement une perte considérable de productivité. Dans ces conditions, la première phase d'une éventuelle reprise doit logiquement correspondre à une reconstitution des marges.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Pouvez-vous expliciter les raisons de la baisse d'activité ?

M. Jean-François Pilliard. -  La chute d'activité s'explique d'abord par une recomposition économique mondiale de grande ampleur, et ensuite par une baisse d'activité liée à des raisons conjoncturelles. Cette baisse d'activité se traduit mécaniquement dans un premier temps par une baisse des marges très difficile à reconstituer : très concrètement, lorsque vous consentez une réduction de prix à un client, il est par la suite très difficile d'augmenter à nouveau les prix et donc de retrouver un niveau de marge satisfaisant. Ce qui était supportable dans un environnement de croissance de + 2 % ne l'est plus aujourd'hui, en l'absence de réforme structurelle depuis une vingtaine d'années.

Enfin, je rappelle qu'avant même de connaitre le détail des mesures prévues par le pacte de responsabilité, nous en avons discuté avec les syndicats et nous sommes engagés par un relevé de conclusion à agir dans le domaine de l'emploi et du dialogue social au niveau interprofessionnel. Il s'agit à présent de formaliser cet engagement pour pouvoir dès le début du mois de juillet, proposer de mettre l'accent, dans les branches professionnelles, sur certains thèmes majeurs comme l'emploi des jeunes ou des seniors. Nous sommes donc en mouvement et adapterons notre rythme de négociation aux précisions qui seront apportées sur les mesures relevant, en particulier, du champ fiscal.

Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales de la CGPME. - Un autre facteur très important de nos difficultés, et qui n'a pas été abordé jusqu'à présent, est le problème de l'euro fort. Son impact se fait notamment pleinement sentir dans l'hôtellerie restauration. C'est pourquoi nous pensons que favoriser uniquement les industries soumises à la concurrence internationale serait une erreur. Certes, les emplois de l'hôtellerie restauration ne sont pas délocalisables. Mais ses clients, eux, le sont, et ce secteur, qui compte plus d'1 million d'emplois dans notre pays, est aujourd'hui en grande difficulté. Le Cice va permettre d'éviter de nombreuses suppressions d'emplois.

Il est impossible de quantifier les créations d'emplois qui seront permises par le Pacte de responsabilité : nous ne pouvons par conséquent nous engager formellement sur des chiffres précis.

Le coût induit par le compte pénibilité n'a pas été suffisamment anticipé. Les entreprises nous disent que ce coût sera élevé, notamment en raison des déclarations mensuelles qu'elles devront remplir et qu'il leur faudra intégrer dans leur plan de charge.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la CGPME. - Pour comprendre la situation des chefs d'entreprise aujourd'hui, il ne faut pas avoir en tête uniquement les allègements de charges prévus par le Pacte de responsabilité. Avec le décret sur les carrières longues de juin 2012, les chefs d'entreprise ont vu augmenter les cotisations à l'assurance vieillesse. Au 1er janvier 2015, surviendra une nouvelle augmentation des cotisations à l'assurance vieillesse ainsi que la mise en place du compte pénibilité. Du reste, les 9 milliards d'euros d'allègements de charge pour les entreprises sont un dispositif complexe et en partie saupoudré, qui ne fait que poursuivre une politique préexistante en prévoyant 4,5 milliards d'allègements de charges au niveau du Smic. Les autres 4,5 milliards d'exonérations n'entreront en vigueur qu'au 1er janvier 2016. Au total, au 1er janvier 2015, les chefs d'entreprise constateront avant tout que les cotisations sociales patronales sont en hausse !

M. Pierre Burban, secrétaire général de l'UPA. - Nous sommes unanimes pour estimer que le compte pénibilité pose de nombreux problèmes et aura des effets néfastes sur l'emploi. Nous l'avons dit tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, mais en France, nous manquons de pragmatisme. Prenons l'exemple d'un maçon auprès duquel travaillent deux compagnons. Dans l'état actuel de la loi, il lui faudra remplir pour chacun d'eux des fiches journalières.

Depuis janvier 2012, la situation économique des artisans est catastrophique. Des entreprises à la limite de la faillite devront mettre en oeuvre ce dispositif. Des mouvements violents, comme ceux du Poitou-Charentes ou de Nevers, qui appellent au non-paiement des cotisations sociales, pourraient se multiplier.

Mélanger les questions de pénibilité et le dossier des retraites, aboutissant de facto à la création d'un nouveau régime de préretraites, était une erreur. Le climat actuel est vraiment délétère, comme le prouve aussi le problème irrésolu des autoentrepreneurs.

Le coût du travail est bel et bien un problème pour l'embauche. La formation et l'orientation scolaire sont aussi sources de difficultés, dans la mesure où elles préparent mal aux métiers qui recrutent : les entreprises du bâtiment, par exemple, ne parviennent pas à trouver des travailleurs qualifiés.

Concentrer les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires pose selon nous problème.

Sur la question des contreparties, nous avons signé le relevé de conclusion du 5 mars dernier.

En ce qui concerne la formation des jeunes et l'apprentissage, les aides de l'Etat ont été remises en cause l'an dernier et le nombre d'apprentis a baissé de 8 % entre 2012 et 2013. Le coût du travail est une difficulté majeure dans le cas des apprentis qui coûtent cher à former. Sans aides publiques pour les entreprises, nous craignons le pire.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la CGPME. - Dans le même temps, les contrats de professionnalisation pour les jeunes ont baissé de 5 %.

M. Yves Daudigny. - Les mesures annoncées par le Premier ministre sont-elles de nature à ramener la confiance ?

M. Jean-François Pillard, président du pôle social du Medef. - Nous nous réjouissons naturellement des mesures du Pacte de responsabilité et de la reconnaissance par le Gouvernement du rôle incontournable que joueront les entreprises dans sa stratégie de reconquête pour la croissance et l'emploi. La volonté de promouvoir une politique de l'offre, la démarche de simplification sont des signes encourageants. Mais la confiance se construit dans la durée et toute mesure qui irait dans le sens contraire de cette politique en faveur des entreprises nuirait considérablement à cette confiance naissante. De plus, entre les annonces qui ont été faites et les mesures qui entreront en vigueur, beaucoup de choses peuvent changer et c'est seulement in fine que nous verrons ce qui pourra se concrétiser.

M. Michel Guilbaud, directeur général du Medef. - Le taux de prélèvements fiscaux et sociaux sur le travail en France est de 26 %, un niveau exceptionnellement élevé par rapport à nos partenaires européens. 110 milliards d'euros pèsent sur les entreprises, dont 60 milliards d'euros de charges sociales et 50 milliards d'euros d'impôts. Le Gouvernement souhaite assurer une convergence pour atteindre des niveaux comparables à ceux de nos grands voisins à l'horizon 2020 grâce à une baisse de 30 milliards d'euros des charges sociales et de 10 milliards d'euros pour les impôts, avec la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés et la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés. Il faut que les pouvoirs publics nous envoient des signes de confiance et de cohérence et ne prennent pas des initiatives qui iraient dans le sens inverse. L'adoption d'une loi de finances rectificative avant l'été serait un premier signe tangible.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Nous nous comparons toujours à d'autres pays. Je constate du reste que le modèle change au cours du temps et que l'on nous parle moins aujourd'hui de la flexisécurité danoise ! Pourtant, l'Allemagne, le modèle du jour, a assis son développement sur les bas coûts de ses voisins entrés dans l'Union européenne en 2004 et s'apprête à mettre en place un salaire minimum. Je constate aussi que l'on parle bien peu du niveau trop élevé de l'euro, qui est un handicap pour la compétitivité de nos entreprises.

M. Jean-François Pillard, président du pôle social du Medef. - Je crois que le rapport Gallois de 2012 a fait le point de manière très équilibrée sur ces différentes questions. Il a montré que la France pâtissait de son coût du travail et du poids trop important de sa fiscalité. Il a aussi montré que nos entreprises devaient monter en gamme, y compris dans le secteur des services et que notre pays devait améliorer son attractivité économique.

Notre pays consacre 57 % de sa richesse nationale aux dépenses publiques, un niveau sans équivalent au sein des pays de l'OCDE ! Ce simple constat est contradictoire avec la volonté de donner une place nouvelle à l'entreprise dans notre économie. Notre balance commerciale est structurellement déficitaire, a fortiori si on enlève les secteurs de l'aéronautique ou de l'agroalimentaire.

Le poids des impôts et le coût du travail trop élevé ont eu un rôle majeur dans le déclin de l'industrie française, même si nos entreprises ont leur part de responsabilité dans l'insuffisance de leur montée en gamme. Elles rencontrent aussi des difficultés à recruter des personnes qualifiées. Enfin, les choix stratégiques qui ont été effectués par le passé en faveur des services étaient probablement excessifs.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Merci à chacun d'entre vous pour ces échanges très éclairants.

La séance est levée à 17 h 45.