Mardi 21 février 2017

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Audition conjointe sur les « Dys- » : Pr Paul Vert, professeur émérite de pédiatrie, membre de l'Académie nationale de médecine, Pr Mario Speranza, chef du service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du Centre hospitalier de Versailles, Pr Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS et professeur attaché à l'Ecole Normale Supérieure, Dr Michel Habib, président de Résodys

M. Alain Milon, président. - Nous allons clore cette semaine nos auditions au Sénat. Deux déplacements seront organisés, l'un dans les Bouches-du-Rhône la semaine prochaine et l'autre dans le Nord la semaine suivante.

Nous avons décidé en bureau de concentrer nos auditions sur les associations de spécialistes de la prise en charge psychiatrique des mineurs. Plusieurs associations de psychiatres nous ont contactés pour nous demander de prendre en compte leurs points de vue. De même, plusieurs praticiens nous ont été signalés comme susceptibles de présenter un point de vue intéressant pour nos travaux. Ils nous feront parvenir une contribution écrite qui pourra être prise en compte dans le rapport.

Puisque notre rapport doit paraître la première semaine d'avril, pour respecter les délais imposés, il ne nous paraît pas raisonnable, au rapporteur et à moi-même, de prolonger nos auditions.

Je remercie M. le Pr Paul Vert, professeur émérite de pédiatrie, membre de l'Académie nationale de médecine, M. le Pr Mario Speranza, chef du service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du Centre hospitalier de Versailles, M. le Pr Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS et professeur attaché à l'École normale supérieure et M. le Dr Michel Habib, président de Résodys, d'avoir accepté notre invitation.

M. le Dr Michel Habib, président de Résodys. - Je ne suis pas psychiatre mais neurologue. La dénomination Dys- est très française, nous sommes les seuls à y recourir, y compris dans le monde francophone. Le terme consacré est plutôt celui de « troubles spécifiques de l'apprentissage ». Historiquement, ce sujet est d'ordre psychopédagogique dans ses mécanismes présumés. Il est devenu neuroscientifique - M. Ramus en est le spécialiste français - et davantage neurologique que psychologique. Il reste néanmoins psychologique à un certain degré, d'où la présence de M. Speranza, pédopsychiatre. Nous sommes trois représentants spécialisés dans cette discipline.

Près de 10 % des enfants en âge d'être scolarisés ont des troubles de l'apprentissage, avec deux caractéristiques : ces difficultés entravent leur scolarité et ils ont une intelligence normale. Autrement dit, ils n'arrivent pas à apprendre malgré un quotient intellectuel normal. Ces vingt dernières années, les travaux scientifiques nous ont aidés à comprendre les dysfonctionnements du cerveau à l'origine d'un certain nombre de problèmes, dont certains sont psychopathologiques ou psychoaffectifs. C'est tout le problème de la poule et de l'oeuf. Certains enfants ayant des difficultés à apprendre sont, par voie de conséquence, en souffrance psychologique mais des facteurs psychopathologiques peuvent aussi être à l'origine de difficultés d'apprentissage.

M. le Pr Mario Speranza, chef du service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du Centre hospitalier de Versailles. - Je suis pédopsychiatre et neuropédiatre car j'ai été formé en Italie, où l'on est passé d'un modèle psychopédagogique-psychologique à un modèle neurologique, en lien avec les formations des professionnels, au-delà des connaissances scientifiques qui ont aussi fait évoluer les pratiques.

Je partage le point de vue de M. Habib sur les spécificités cognitives empêchant l'enfant d'utiliser l'expérience éducative classique proposée dans sa famille ou à l'école.

Les troubles spécifiques de l'apprentissage font référence à des enfants présentant des spécificités cognitives dans le traitement de l'information, à la différence d'enfants souffrant de difficultés d'apprentissage pour des raisons multiples. Si conceptuellement, la spécificité est due à ces problèmes de fonctionnement cognitif, départager, dans tel cas individuel, ce qui est spécifiquement cognitif de ce qui est lié à des troubles psychopathologiques reste difficile. Chez certains enfants, c'est même très imbriqué. La théorie est complexe à mettre en pratique, or plus la situation est complexe, plus les facteurs sont multiples. Mais la trajectoire est parfois plus claire, avec des mécanismes plus simples.

M. le Pr Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS et professeur attaché à l'École normale supérieure. - Je ne suis ni psychiatre, ni neurologue, mais juste un chercheur sur la dyslexie, au contact des patients mais sans intervention médicale. Les familles et leurs associations sont ma source principale d'information. Les recherches sur les causes des troubles Dys- sont menées par une communauté internationale qui travaille avec toutes les hypothèses et les méthodes possibles à différents niveaux d'investigation - psychologique, cognitif, cérébral, génétique - et sur l'environnement, qui peut moduler tous ces facteurs. On commence à comprendre la causalité des troubles Dys-, et notamment de la dyslexie, le plus connu et le plus étudié : les facteurs génétiques prédisposent à hauteur de 50 % à 60 % de la causalité mais il s'y ajoute des facteurs environnementaux... L'ensemble de ces facteurs engage le cerveau de l'enfant sur une trajectoire légèrement déviante qui implique des particularités cognitives entravant certains apprentissages scolaires ou non scolaires. De nombreuses études ont été publiées sur ce sujet.

M. le Pr Paul Vert, professeur émérite de pédiatrie, membre de l'Académie nationale de médecine. - Une séance de l'Académie nationale de médecine organisée par la commission handicap que je préside a étudié le thème qui nous réunit aujourd'hui. Je suis pédiatre néonatologiste avec également une fibre pharmacologique périnatale - je suis expert externe pour l'Agence nationale de sécurité du médicament.

À la fin de ma carrière de chef de service en néonatologie, j'ai travaillé durant douze ans dans certains centres d'action médicosociale précoce, où le dépistage des Dys- était réalisé avec des spécialistes de la famille et de la santé, au premier rang desquels les enseignants d'école maternelle, les meilleurs physiologistes du développement que nous ayons : un mois après la rentrée, ils savent détecter les enfants qui ne sauront pas tenir leur crayon...

Ce sujet nous tient à coeur car, statistiquement, c'est un problème majeur : 8 % des enfants sont concernés, tandis que l'on constate 20 % d'illettrisme chez les enfants entrant en sixième - dont de nombreux enfants dyslexiques, dyspraxiques et autres. Cette pathologie est en partie curable car ces enfants sont normalement intelligents. Un diagnostic précoce et un accompagnement convenable, par les professionnels et les parents, doit éviter de décourager l'enfant. Il est capable, le tout est de trouver de quoi et de l'aider dans cette démarche. Je rejoins M. Ramus sur l'étiologie et la diversité des causes, ce qui pose aussi la question de l'exposition intra-utérine à des médicaments.

Comment repérer ces enfants sans stigmatiser ni eux ni leurs familles ? Il y a quelque chose à inventer. L'éducation nationale joue un rôle fondamental. L'Académie de médecine avait auditionné M. Jean-Charles Ringard, inspecteur général de l'administration de l'Éducation nationale et de la recherche, président du comité scientifique de la Fédération nationale des Dys-. Un transfert de responsabilité s'est opéré du monde de la santé au monde de l'éducation, depuis la loi du 11 février 2005 qui impose l'intégration de l'enfant atteint de tels troubles dans les écoles et les collèges proches de son domicile, au même titre que les autres enfants. On a demandé aux enseignants de s'adapter. Ce n'est pas faisable d'emblée : des dispositions ont été prises dont l'inventaire serait utile pour savoir où l'on en est. Les auxiliaires de vie scolaire (AVS) jouent un rôle capital, même s'ils ont été recrutés selon des critères flous et différents selon les départements, et avec des compétences variables. Après quelques années d'accompagnement, de nombreux enfants récupèrent leurs capacités d'apprendre dans des limites acceptables.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Je vous remercie de vos réponses. Ce sujet des Dys- a-t-il sa place dans notre mission d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France ?

Monsieur le professeur Vert, vous avez évoqué la loi de février 2005 sur le handicap qui a présidé à la création des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Ces établissements sont encombrés par un grand nombre de dossiers. Comment distinguer le retard lié à des troubles de l'apprentissage et celui lié aux troubles spécifiques Dys- ? Maire d'une ville qui compte 2 000 enfants, je m'interroge sur la formation des AVS. Faut-il en faire un véritable métier, voire un diplôme, au même titre que les assistants familiaux ? Qu'en est-il du repérage précoce, garantie d'une meilleure prise en charge voire d'une probable guérison ?

M. Paul Vert. - M. Speranza, pédopsychiatre, vous répondra mieux que moi sur l'évolution - ou plutôt la révolution - dans la conception de ces troubles.

M. Mario Speranza. - Une première réponse se trouve dans la classification internationale des maladies (CIM-10) et le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) utilisés dans la recherche et la clinique internationale. Les troubles spécifiques de l'apprentissage font partie des troubles mentaux, dans une définition qui diffère un peu de celle de la psychiatrie. Les connaissances scientifiques permettent de classer ces troubles parmi les troubles neuro-développementaux, qui appartiennent aux troubles recensés dans les DSM. Dans un à deux ans, la CIM-11 réalisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ira probablement dans le même sens.

La plupart des enfants ayant des troubles spécifiques connaissent des difficultés d'adaptation avec parfois de véritables troubles psychopathologiques associés justifiant une identification et un accompagnement spécifique. Si certaines situations peuvent se passer de consultations psychiatriques, d'autres non.

Un trouble spécifique est défini par l'absence d'un trouble psychiatrique avéré, mais jusqu'à quel point peut-on mettre en évidence cette spécificité ? On a beaucoup progressé sur les méthodes d'évaluation mais la présence de troubles psychiatriques associés n'est pas exceptionnelle et peut souvent intervenir par la suite, même si ce n'est pas systématique. Parfois, certains enfants sont dyslexiques sur une base anxieuse mais des mécanismes psychopathologiques peuvent aussi susciter des problèmes d'apprentissage. Il est donc nécessaire que le psychiatre soit formé et qu'il appartienne à des équipes pluridisciplinaires s'occupant des enfants. Le problème réside plus dans la formation que dans les positions idéologiques - qui commencent à s'estomper.

M. Paul Vert. - J'ose prononcer le terme de sur-handicap. Souvent, des troubles psychologiques s'ajoutent au déficit qui est la traduction d'un problème organique. Les modifications de la neurobiologie actuelle ont été énormes. Jusque dans les années 1970, on pensait que l'enfant naissait avec un stock de neurones, dont il perdait la moitié à l'âge de cinq ans, que le cerveau s'agrandissait grâce aux connexions, aux synapses, puis que la neurogenèse était finie pour toujours. On sait désormais qu'il n'en est rien. On a observé une neurogenèse saisonnière pour la nidation chez les oiseaux et l'être humain est capable, plus ou moins, d'avoir une neurogenèse durant toute sa vie. Désormais, nous avons une vision dynamique des connexions avec une dynamique instantanée de la synapsogenèse. Ce sont des milliards de synapses qui changent. J'ai dirigé une unité de recherche de l'Inserm sur la neurologie et la pharmacologie. On retrouve une évolutivité énorme chez l'animal. Ainsi, des foetus ou des nouveau-nés de souris dont la mère est soumise à un fort stress durant la gestation connaissent un développement synaptique atypique. Cela donne le vertige et justifie que l'on accorde toute notre attention à cette notion de sur-handicap et à la détresse des enfants qui, ne réussissant pas, sont en retrait par rapport à la famille et aux enseignants.

M. Michel Habib. - Le Pr Vert a fait allusion à des données neurologiques sur la dyslexie, la dyspraxie, la dyscalculie... Si l'enfant peut dépasser ces difficultés à parler, compter et autres, il pourra suivre une scolarité normale. L'imagerie cérébrale, qui détecte quelles parties du cerveau dysfonctionnent, a permis de conduire de nombreux travaux. Mais les dysfonctionnements observés sont-ils la cause ou la conséquence des difficultés d'apprentissage ? Selon les dernières études et grâce à l'imagerie de diffusion, nouvelle technologie qui fait apparaître les « câbles » et les connexions, ce serait plutôt la cause. Dans chacune de ces affections, la principale particularité du cerveau est de ne pas avoir de connectivité normale. Ainsi, les difficultés de dyslexie préexistent aux problèmes de lecture. En revanche, cette anomalie est aussi présente dans les cas d'illettrisme - qui est également massivement lié à des causes environnementales. L'anomalie est donc génétique mais peut être aussi modifiée par l'environnement.

La majorité des professionnels s'occupant de ces enfants sont des orthophonistes - une profession difficile, qui nécessite de connaître les pathologies de la voix, le cancer du larynx, en passant par l'anatomie du cerveau... Il est difficile d'appréhender la manière dont ils y font face. Cette pathologie est complexe, due à des causes génétiques, environnementales, psychopathologiques, comme cela a été rappelé. Intéressons-nous à un aspect plus structurel, selon la sévérité du trouble. Si une majorité des enfants - 65 % à 70 % d'entre eux - peuvent être traités de façon ordinaire par orthophonie et un système scolaire volontaire, tout se passe bien. Mais pour les 30 % restants, il faudrait des équipes pluridisciplinaires, qui font défaut. En 2002, 25 centres hospitaliers universitaires ont créé des centres de référence pour les troubles de l'apprentissage mais qui ne peuvent recevoir qu'une infime partie des enfants. Cela ne suffit pas. Il faut une prise en charge pluridisciplinaire complexe avec des équipes réunissant des neurologues, des psychologues, des psychiatres, des orthophonistes, des psychomotriciens, des ergothérapeutes et des enseignants. Ne faisons pas l'économie d'une bonne structuration et d'un travail d'équipe.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Pouvez-vous nous parler des AVS ?

M. Michel Habib. - On en voit toute l'utilité : parfois ils sont même surutilisés. Il est difficile de définir des critères absolus. Les MDPH ont des quantités de dossiers à traiter mais se heurtent aussi à un problème de qualité. Un médecin de MDPH ne peut être spécialisé dans tous les handicaps et doit recourir à des experts, qui souvent manquent, afin de trouver les bonnes mesures de compensation.

M. Franck Ramus. - Ce n'est pas à nous de définir les troubles Dys- par rapport à la psychiatrie. Restons-en aux classifications internationales de l'OMS et de l'Association américaine de psychiatrie. Le pire serait de réinventer la roue. C'est dans cet ensemble que forment les troubles neuro-développementaux que se trouve la catégorie des troubles de l'apprentissage ou du développement moteur. Certains sont plus ou moins dépendants de la psychiatrie, mais cela dépend plutôt de la répartition des pathologies entre les neurologues et les psychiatres.

Comment distinguer les vrais troubles Dys- des difficultés scolaires habituelles ? La dyslexie touche 5 % des enfants en âge scolaire, tandis que les difficultés d'apprentissage de la lecture en touchent 15 %. La dyslexie n'explique qu'une partie des difficultés d'apprentissage de la lecture.

Dans d'autres pays, notamment les États-Unis, a été adoptée une approche « réponse à l'intervention » extrêmement pragmatique et centrée sur les difficultés de l'enfant. Dans une première étape, on enseigne la lecture et le calcul sur la base des meilleurs standards éducatifs, avec des enseignants formés. Au cours du CP, on détecte les quelques enfants qui n'entrent pas dans ces enseignements, sans poser de diagnostic de dyslexie - celui-ci n'est possible que deux ans après le CP. Mais on n'attend pas ce diagnostic pour agir. La démarche est fondée sur les preuves, et notamment sur ce qui a bien marché, par exemple la lecture en petits groupes, grâce à des enseignants bien formés - ce serait le rôle de tous les enseignants de primaire. On donne alors un nouvel enseignement de la lecture par des méthodes plus intrusives, systématiques, fonctionnant mieux que devant une classe entière. Grâce à ces innovations pédagogiques, des enfants en légère difficulté peuvent se maintenir dans leur classe. À défaut, il faut réaliser un bilan cognitif et identifier plus précisément la difficulté. Au bout d'un certain temps et à la fin d'un cheminement pédagogique, on peut poser un diagnostic. On ne devrait poser de diagnostic que sur le fondement d'une résistance à l'intervention pédagogique de première intention.

Cette approche « réponse à l'intervention » sur trois stades, théorisée aux États-Unis, a été mise en place dans plusieurs centaines d'écoles, pragmatiquement, à faible coût, et avec une efficacité certaine. Certes, il est des enfants qui résistent à ce dispositif. Il faut alors réaliser un bilan cognitif complet, un diagnostic, afin de les orienter vers les professionnels de santé.

M. Michel Amiel, rapporteur. - A-t-on une approche épidémiologique dans l'espace et dans le temps ? Les Français ne sont pas les meilleurs en la matière...

M. Franck Ramus. - Tout à fait, aucune étude épidémiologique sur les troubles de l'apprentissage n'a été réalisée en France. Il en existe quelques-unes dans d'autres pays. Une prévalence est difficile à estimer. Elle est un nombre, arbitraire, qui dépend de critères de diagnostic et d'un certain seuil de sévérité préalablement établis. La prévalence dépend de ces définitions mais on peut définir des niveaux absolus comme le niveau en lecture à la fin de l'école primaire. Selon les études épidémiologiques internationales, la prévalence de la dyslexie est de 3 % à 7 % selon les caractéristiques de la langue : 3 % en Italie, 7 % aux États-Unis et entre les deux pour la France. Si l'on y ajoute d'autres troubles de l'apprentissage comme la dyscalculie, on atteint 5 % à 10 % des enfants. Certaines études évoquent le chiffre de 20 %, qui est me semble-t-il exagéré et concerne l'ensemble des difficultés scolaires plutôt que les seuls troubles spécifiques. Si les études épidémiologiques sont approximatives, il n'en reste pas moins que le problème est massif.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Constate-t-on davantage de Dys- aujourd'hui qu'il y a cinquante ans ?

M. Franck Ramus. - Nous n'avons aucune raison de le penser, de même pour l'autisme : je ne suis pas sûr qu'il y ait une véritable augmentation de la prévalence. Par contre, il y a un meilleur dépistage.

M. Paul Vert. - Les instituteurs d'école maternelle sont les meilleurs physiologistes du développement grâce à leur expérience, et non grâce à leur formation. Cette formation a profondément évolué ; elle a été rendue plus universitaire. Comment enseigner cela devant un amphithéâtre de 300 personnes ? Les candidats ont été mis en situation à mi-temps, ce qui leur permet d'enseigner à partir de ce qui ne va pas. Mais on ne doit pas seulement se fonder sur l'expérience. Il faut une formation scientifique et pratique pour gérer des enfants en difficulté.

Faisons attention aux normes. Vous avez prononcé le mot « retard », extrêmement dangereux sur le plan pratique. Un retard se compense mais certaines situations ne se rattrapent jamais. À quelle norme se réfère-t-on lorsqu'on évoque un retard ? Les apprentissages sont soumis à une distribution gaussienne par rapport au temps : certains apprentissages sont rapides, d'autres lents - comme pour l'assimilation de médicaments. À quel moment intervient-on ? Certains enfants marchent à vingt mois, d'autres à onze ; ils sont aux extrémités d'une courbe de Gauss. C'est aux professionnels de se réunir pour savoir quand intervenir, en collaboration avec les enseignants qui leur apportent leur expérience.

Mme Maryvonne Blondin. - Merci pour vos interventions très instructives. Nous sommes très attachés à l'éducation et aux classes maternelles. Vous avez souligné le rôle de ces enseignants, les premiers à signaler les difficultés. On leur demande beaucoup et ils sont capables de beaucoup. Ils envoient des signaux, mais comment la prise en charge se fait-elle ? Auparavant, il y avait des maîtres des réseaux d'aide aux élèves en difficulté (Rased) qui les aidaient à intervenir auprès des enfants, ce qui permettait une réponse pédagogique. Ils n'existent plus.

Le monde de la santé scolaire est en grande difficulté, même si un statut de psychologue a été défini, dont les modalités de concours vont s'ouvrir. Au Canada comme dans d'autres pays, des pédo-psychologues interviennent dans les écoles. C'est une des premières réponses. Nous manquons de professionnels capables d'apporter ces réponses. Une équipe pluridisciplinaire serait une solution idéale mais nous butons sur les réalités.

La commission de la MDPH doit bénéficier de l'avis des médecins scolaires, qui sont peu nombreux et qui passent le tiers de leur temps à établir des projets d'accueil individualisé (PAI) - encore faut-il les mettre en application. On se heurte à d'importantes difficultés.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Professeur Vert, vous défendez avec ardeur la formation des enseignants mais aussi des AVS : avoir un master ne suffit pas pour traiter de manière appropriée l'enfant ou l'adolescent. Pour autant, vous affirmez que tout ne réside pas dans la formation. Comment s'articulent ces deux arguments ? Au-delà de la transmission de savoir par le sachant, faut-il envisager une formation au dépistage, qui impliquerait un transfert de compétences médicales vers l'éducation ?

Sachant qu'il existe, comme l'un d'entre vous l'a dit, des apprenants rapides et d'autres plus lents, notre système scolaire, qui fixe un nombre d'années pour l'apprentissage, n'est-il pas trop normé ? Ne faut-il pas laisser du temps à ceux qui en ont le plus besoin, pour anticiper certaines pathologies ?

M. Paul Vert. - En matière de santé comme d'enseignement, enseignement théorique et expérience pratique sont complémentaires. Les professeurs des écoles étudient à l'université, puis sont placés en situation et reviennent du terrain avec leurs questionnements. Le tout est d'évaluer ce système ; or les gouvernements successifs - et j'en ai vu passer beaucoup - ont tendance à proposer des réformes sans évaluer les précédentes. Lorsque je me suis intéressé à la formation des maîtres, j'ai pu constater que la formation des instituteurs dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) n'abordait pas le handicap. Or j'ai également donné des cours en école d'instituteurs et constaté que leurs étudiants sont intéressés par la question du développement cognitif des enfants. Il est indispensable d'évaluer ce qui se fait sur le terrain.

Est-on trop normatif ? Éternel problème, les instituteurs sont chargés d'amener des enfants à la lecture dans un temps donné, sans toujours avoir le temps de s'occuper de ceux qui sont à la traîne. J'ai connu la guerre où, beaucoup de maîtres étant prisonniers en Allemagne, il y avait des classes de 60 élèves. La meilleure pédagogie est celle des petites classes. Revenons à l'Émile de Jean-Jacques Rousseau et demandons-nous comment on forme un enfant...

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Tous les enfants ont-ils besoin du même laps de temps pour apprendre à lire ? Un enfant plus lent est-il nécessairement un Dys- ?

M. Paul Vert. - La réponse est suggérée dans votre question... Le tout est de ne pas stigmatiser - il fut un temps où l'on rangeait les enfants en classe en fonction de leurs notes, en plaçant les meilleurs devant, moyennant quoi les enfants en difficulté parce qu'ils avaient des problèmes d'audition entendaient encore moins bien. Mais en pratique, beaucoup d'enseignants prennent en charge les enfants en difficulté. J'ai un exemple en tête, celui d'une institutrice confiant sa classe pendant une heure à une AVS, dont le niveau de compétence le permet, pour s'occuper d'un enfant en particulier.

Certains enfants ont besoin de six mois, d'autres de deux ans pour apprendre à lire. Il appartient au monde de l'éducation, et non aux médecins, de résoudre ces disparités grâce à des classes adaptées. Dans les villages où les effectifs scolaires étaient réduits, il y avait des classes à deux niveaux ; ainsi, les enfants les moins avancés qui passaient au niveau supérieur continuaient à tirer parti de ce qui était expliqué aux plus jeunes.

Mme Françoise Cartron. - Merci, professeur Vert, de votre regard positif sur l'école maternelle où j'ai moi-même enseigné vingt ans dans une ZEP. L'école est soumise à l'exigence de la performance à tout prix et du classement. L'enfant doit savoir lire à la fin du CP mais c'est encore mieux s'il sait lire à Noël... Laissons du temps au temps - c'est la raison d'être des cycles : si l'enfant ne maîtrise pas la lecture à la fin du CP, il reste le CE1 pour que le déclic se produise. Vous l'avez dit, on ne met pas les enfants debout à un certain âge pour leur apprendre à marcher ! Pourtant l'école subit la pression de la société, des parents qui s'inquiètent au moindre ralentissement et angoissent l'enfant inutilement.

On nous dit que 20 % des enfants entrant en sixième ne savent pas lire et que 8 % présenteraient des signes de Dys-. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?

Certaines anomalies préexistantes n'apparaissent qu'au moment de l'apprentissage de la lecture, avez-vous dit. Y a-t-il néanmoins des signaux repérables, notamment dans le comportement, dès l'école maternelle ?

Il existe parfois des écarts incompréhensibles entre le nombre d'heures réservées par les MDPH à l'accompagnement d'un enfant et le fractionnement de cet accompagnement. Comment s'effectue la prescription ?

M. Michel Habib. - Ne faisons pas dire aux chiffres plus qu'ils ne peuvent dire : les normes sur l'apprentissage de la lecture varient en fonction des pays et des langues. La proportion de 8 % d'enfants Dys- est néanmoins communément admise. La grande majorité d'entre eux sont dyslexiques, notamment parce que la dyslexie est plus souvent diagnostiquée.

M. Mario Speranza. - Les 8 % d'enfants Dys- n'ont pas les mêmes besoins en matière de rééducation et tous ne nécessitent pas un parcours pédagogique aménagé. Or aucun critère n'est défini au niveau national pour l'attribution d'un ordinateur, d'une AVS ou d'un contingent d'heures : tout est décidé au niveau départemental. Mieux vaudrait que les professionnels définissent, en lien avec les MDPH, des critères de sévérité justifiant un accompagnement.

M. Michel Habib. - Le système des MDPH se caractérise par l'hétérogénéité de la prise en charge en fonction des départements, dont les critères varient, ce qui a des conséquences sur le travail demandé. Il conviendrait que les MDPH s'appuient sur des équipes d'experts mais elles s'y refusent parfois car ces derniers sont ceux qui leur adressent les patients. Dans les pays où la loi n'est pas allée aussi loin dans la prise en charge des handicaps d'apprentissage, on observe paradoxalement plus de souplesse. Au nom de l'équité, nous avons aggravé les inégalités.

M. Paul Vert. - Quelle est la proportion d'enfants chez qui au trouble initial s'ajoute le sur-handicap du découragement et du rejet, qui finissent par entraîner des troubles cognitifs ?

M. Mario Speranza. - L'un des principaux paramètres qui influencent la trajectoire psychopathologique des dyslexiques est la précocité du diagnostic. Plus elle est grande, mieux l'enfant s'adapte, à travers un parcours pédagogique spécifique si nécessaire. Un tiers des enfants dyslexiques présentent une comorbidité, souvent sous les espèces d'une dépression.

M. Paul Vert. - Le docteur Habib a montré dans l'un de ses ouvrages que les enfants qui présentent un trouble en ont souvent d'autres, exprimés de façon plus discrète : dyspraxie chez un enfant dyslexique, ou l'inverse.

M. Michel Habib. - Nous l'avons tous observé : on rencontre plus souvent plusieurs problèmes Dys- qu'un seul chez un même enfant. Cela mobilise rapidement plusieurs spécialités. D'abord l'orthophoniste intervient mais bientôt il faut faire appel à un psychomotricien, puis à un ergothérapeute pour compenser, avec l'aide de l'ordinateur, les problèmes de graphisme développés par l'enfant. Le neuropsychologue peut lui aussi être sollicité pour les troubles de l'attention, aujourd'hui très sous-estimés ; or il a été démontré que le cerveau possède un organe de l'attention, souvent touché en même temps que la zone spécialisée dans la lecture ou le calcul. Pour y remédier, des méthodes de rééducation spécifique de l'attention ont été mises en place, dont l'efficacité est prouvée.

Le seuil de sévérité à partir duquel il faut faire appel à plusieurs professionnels est rapidement atteint.

M. Mario Speranza. - Ce développement fait ressortir un point d'achoppement du système : seule l'intervention de l'orthophoniste est remboursée. De ce fait, il a même été envisagé de confier à ces derniers des tâches qui ne relèvent pas entièrement de leur périmètre, notamment dans le domaine neuro-visuel.

M. Franck Ramus. - Pour tenir compte des chronologies différentes de développement chez les enfants, il faudrait que l'enseignement soit plus modulaire : ainsi un élève pourrait suivre le cours de lecture de deuxième année et le cours de mathématiques de troisième année. C'est difficile à mettre en oeuvre.

Des cohortes longitudinales montrent que les enfants qui ne lisent pas à la fin du CP accumulent du retard dans les années suivantes. De même, le pronostic pour les enfants qui ont des difficultés dans le langage oral à la maternelle n'est pas très favorable pour l'apprentissage de l'écrit en CP. En France, nous avons eu tendance à laisser les troubles se développer sans intervenir : on disait souvent que si un enfant ne parlait pas à trois ans, c'est qu'il n'en avait pas envie... Voici le délicat compromis à trouver : fixer des seuils normatifs au-delà desquels on décide d'intervenir, sans stigmatiser, mais en renforçant les capacités et en préservant une flexibilité pour s'adapter aux enfants.

Mme Christine Prunaud. - Merci pour ces interventions extrêmement intéressantes et pédagogiques.

Mon groupe politique est favorable à l'entrée des enfants en maternelle dès deux ans et demi. En Bretagne, ils peuvent y entrer dès qu'ils sont propres. Cela faciliterait l'accompagnement des enseignants dans les diagnostics précoces. Quel est votre avis sur les équipes de Rased, en forte diminution ? En faudrait-il davantage ? Quid des classes moins nombreuses ? Ce sont à nos yeux des solutions d'amélioration de l'accompagnement des enfants présentant des troubles de l'apprentissage.

M. Franck Ramus. - Il faudrait davantage d'enseignants spécialisés, mais à la condition qu'ils soient bien formés ; or par le passé, ils ne l'étaient pas sur les troubles de l'apprentissage. La formation est le maître mot pour les enseignants, qu'ils soient ou non spécialisés et tous les autres professionnels, y compris les médecins. Une formation appuyée sur les données scientifiques les plus récentes délivrée à tous les intervenants de la prise en charge aurait un effet infiniment plus positif que toutes les grandes réformes structurelles.

M. Michel Habib. - Les familles qui viennent me voir me demandent souvent sur quel critère doit être évalué le besoin d'un accompagnement spécifique. J'insiste auprès d'elles sur l'écart entre l'intelligence apparente de l'enfant et son intelligence réelle, souvent normale voire au-dessus de la moyenne. Les enfants à haut potentiel sont souvent Dys- et souffrent de n'être reconnus ni pour leur intelligence, ni pour leurs difficultés.

C'est cet écart entre l'intelligence - normale ou supra-normale - de l'enfant et ce que laisse apparaître l'apprentissage qui doit mettre la puce à l'oreille de l'enseignant. Malheureusement, ce dernier ne se pose pas la question dans ces termes.

M. Paul Vert. - En cas de difficultés d'apprentissage, il faut également s'assurer que l'enfant ne souffre pas de troubles sensoriels.

M. Alain Milon, président- Je vous remercie.

Audition conjointe de Mme Béatrice Borrel, présidente de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et-ou handicapées psychiques (Unafam), et Mme Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie (Fnapsy)

M. Alain Milon, président. - On ne peut parler de psychiatrie, et surtout de pédopsychiatrie ou de psychiatrie des mineurs, sans entendre les malades et les familles : en première ligne face aux troubles, celles-ci sont confrontées aux difficultés d'organisation de la prise en charge au fil des années et font elles-mêmes partie du soin.

C'est pourquoi nous recevons Mmes Béatrice Borrel et Claude Finkelstein, respectivement présidentes de l'Union nationale de familles et amis des personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) et de la Fédération nationale des associations d'usagers de la psychiatrie (Fnapsy).

Ouverte au public et à la presse, cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise sur le site du Sénat.

Mme Claude Finkelstein, présidente de la Fnapsy. - Les troubles psychiatriques des mineurs sont un sujet certes en amont de notre action mais très important. En effet, l'association que je préside représente des personnes qui se reconnaissent comme porteuses d'une maladie psychiatrique et nous sollicitent généralement à l'âge de 35 ou 40 ans ; mais cela ne nous empêche pas de porter un regard rétrospectif sur notre propre histoire, sans compter que certaines maladies mentales étant transmissibles, nous nous préoccupons également de nos enfants et de nos petits-enfants. Le dépistage leur éviterait ce qui a eu un impact fort sur notre vie.

Ce n'est pas un scoop : la psychiatrie des mineurs en France est déplorable. Les familles ne savent pas à qui s'adresser. Les délais de réponse des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) sont en moyenne de quatre à six mois, ce qui est considérable dans la vie d'un enfant. Il est pourtant crucial de déterminer au plus tôt si les troubles sont dus à son environnement et appellent une réponse sociale, ou relèvent d'une maladie psychiatrique.

Au-delà de la prévention et du dépistage, il faudrait une réponse réelle au niveau psychiatrique. Or il n'y a pas de lits en psychiatrie pour les personnes souffrant de troubles autistiques. La pédopsychiatrie ne répond aux attentes que dans quelques endroits offrant une hospitalisation de jour ou de semaine. Une personne souffrant de schizophrénie, qui fait une décompensation à 17 ou 18 ans mais n'est diagnostiquée qu'à trente ans et se présente à nous à 40 ou 45 ans, a perdu toute son adolescence et le début de sa vie d'adulte. C'est dramatique.

Nous avons soumis une proposition voici deux ou trois ans à Mme la ministre qui, malgré l'intérêt qu'elle a manifesté, n'a pas été suivie d'effet : construire, aux abords des hôpitaux psychiatriques - construits au XIXe siècle dans des banlieues qui sont aujourd'hui des déserts médicaux - des maisons médicales. À Nice, où je réside, l'hôpital psychiatrique se trouve à proximité d'une barre HLM très difficile. Je vois des femmes courir aux urgences pour faire soigner une bronchiolite de leur enfant. S'il y avait une maison médicale, elles s'y rendraient ; puis, à force de se familiariser avec les lieux, elles seraient plus enclines à emmener leur fils à l'hôpital si des troubles apparaissaient à 15 ou 16 ans. La maison médicale assurerait aussi une prise en charge somatique des personnes en soins psychiatriques. On déstigmatiserait ainsi la psychiatrie. Malheureusement, cette solution intéressante, à moindre coût, n'excite pas nos élus...

Nous fondons un grand espoir dans la capacité du nouveau Comité de pilotage de la psychiatrie à se saisir de la question de la pédopsychiatrie et nous attendons ses propositions avec intérêt. Nous avons également de grandes attentes vis-à-vis de votre mission d'information, en particulier au vu de l'action de M. Milon dans ce domaine.

Mme Béatrice Borrel, présidente de l'Unafam. - Notre action est historiquement centrée sur l'entrée dans la maladie, entre 18 et 20 ans ; nous accompagnons aussi les familles de patients âgés. Mais nos délégations, réparties sur l'ensemble du territoire, reçoivent de plus en plus de familles accompagnées de jeunes enfants. Des assistantes sociales nous adressent également des demandes. C'est pourquoi nous mettons en place des structures pour mieux recevoir et assister ces familles.

L'entrée de l'adulte dans la maladie suscite bien entendu des inquiétudes ; mais les familles, alertées par les troubles du sommeil ou la phobie scolaire de leur enfant, faute de lieu où s'informer, commencent un véritable parcours du combattant. Leur réaction est soit le déni, soit la culpabilité. Elles ont besoin d'explications sur le diagnostic qui leur est délivré et s'inquiètent pour l'avenir de leur enfant, dont la maladie débouche souvent sur une déscolarisation et un retour à la maison, sans solution. À cela s'ajoute la difficulté d'obtenir un rendez-vous en pédopsychiatrie. À Marseille, d'où je viens, l'attente est très longue.

Les familles se tournent quelquefois vers des psychologues mais ces consultations ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, ce qui pose question. De plus, certains de ces psychologues travaillent seuls ; par conséquent, si l'enfant est atteint d'une maladie psychiatrique, il ne pourra bénéficier immédiatement d'un réseau.

Les familles éprouvent aussi des besoins en matière d'aide à domicile. Elles s'interrogent sur les compensations possibles, sur le conseil parent-aidant et sur les procédures de placement. C'est pour répondre à ces questions que l'Unafam s'est penchée sur le sujet.

Tout comme Claude Finkelstein, nous avons noté que le manque de repérage précoce est un facteur crucial. De ce fait, des troubles qui auraient pu être résolus plus tôt s'installent. En outre, la présence d'une personne malade dans une famille peut déclencher des troubles chez d'autres membres de la famille, en particulier les enfants. Ces troubles sont souvent réversibles si l'on s'y prend à temps mais ils s'aggravent si rien n'est fait, ce qui est dommageable pour la famille, mais aussi pour la société. Quand un enfant a des problèmes, cela a un impact sur toute la famille ; ce n'est pas spécifique à la psychiatrie.

Le repérage précoce devrait être développé. Il faut pour cela former les acteurs de première ligne. Les médecins scolaires, les généralistes et même les pédiatres ne connaissent pas grand-chose à la psychiatrie. La protection maternelle et infantile (PMI) doit jouer son rôle, tout comme les crèches. Il faut surtout intégrer à cette démarche les écoles, qui sont le bon endroit pour effectuer ce repérage. C'est un problème de formation et d'information des acteurs de première ligne.

Le retard au diagnostic est aussi dû à la stigmatisation de la maladie. On n'est pas fier d'avoir un enfant schizophrène. Dire à un adolescent qu'il doit aller en hôpital psychiatrique, cela le stigmatise. Il faut donc des lieux banalisés pour l'accueil des adolescents. Il faut également mener des campagnes de sensibilisation sur ce qu'est la maladie mentale.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vos propos, mesdames, rejoignent largement ceux des professionnels que nous avons auditionnés avant vous. Cela est rassurant quant au diagnostic que nous devons poser, mais aussi inquiétant quant au traitement qu'il nous faut préconiser. En effet, force est d'admettre que nous manquons aujourd'hui de pédopsychiatres, du fait d'un manque de formateurs dans cette discipline au sein des universités.

Vous avez évoqué la formation des personnels et l'information du public, nécessaires selon vous au développement d'une politique de prévention à même de permettre le repérage précoce de ces pathologies. Si vous aviez à émettre trois préconisations, clairement énoncées et aussi réalistes que possible, quelles seraient-elles ?

Il faut que, par notre rapport, nous puissions interpeller de manière percutante les candidats à l'élection présidentielle. C'est pourquoi de telles préconisations sont importantes.

Vous avez également évoqué la notion de « répit » pour les familles, qui parfois n'en peuvent plus. Ce problème m'est familier.

Mme Béatrice Borrel. - Il faut des lieux d'information. Une famille constate des troubles chez un enfant ; ce n'est peut-être pas grave mais il faut pouvoir se renseigner facilement, et cela doit pouvoir déboucher rapidement sur un rendez-vous chez un pédopsychiatre pour obtenir un diagnostic.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Il existe aujourd'hui deux sortes de lieux d'information : les maisons des adolescents, qui ne maillent malheureusement pas tout le territoire, et les espaces santé jeunes. Quelle expérience avez-vous de ces lieux ?

Mme Béatrice Borrel. - Je connais bien une maison des adolescents, dans l'Isère, qui est va vers les adolescents et les professionnels autour d'eux. Il arrive qu'ils parlent, à travers la porte, à des adolescents qui ne veulent pas sortir de leur chambre. Ils offrent aussi des lieux de court séjour. Cela est important car mettre un enfant dans un service de psychiatrie adulte pose des risques et renvoie à cet enfant une image insupportable, ce qui peut conduire à un refus de soins. Cette maison soutient aussi les professionnels qui travaillent avec des jeunes en difficulté. Malheureusement, de telles maisons n'existent pas partout, loin de là.

Les espaces santé jeunes s'adressent aux seuls adolescents. Il faudrait pouvoir s'intéresser aussi aux enfants plus jeunes. On ne prête pas assez attention aux moments de transition, de la maternelle au primaire par exemple. Ces périodes sont difficiles pour les enfants les plus fragiles.

En somme, il faut de l'information, du repérage précoce et de la coordination entre les acteurs. Il faut également faire en sorte que les enfants restent le plus possible dans l'école de leur quartier, pour l'inclusion.

Mme Claude Finkelstein. - Je rejoins les propos de Béatrice Borrel. Nous travaillons avec plusieurs établissements scolaires qui offrent, notamment à des personnes anorexiques, des programmes « études-soins ». Cela fonctionne car les enfants ne sont pas déscolarisés. Il existe bien des programmes « sport-études », « musique-études », alors pourquoi ne pas développer ces programmes « soins-études » ?

M. Michel Amiel, rapporteur. - C'est le modèle de la fondation Pierre Deniker, dont nous avons auditionné la directrice générale.

Mme Claude Finkelstein. - Oui et ils ne sont pas les seuls à le faire. Le problème est que ces structures sont souvent issues de l'initiative d'une seule personne ; elles périclitent souvent quand cette personne disparaît. Il faut que ces structures puissent être dupliquées et qu'il y en ait au moins une par région.

La psychiatrie dispose de réels moyens. Je milite dans ce milieu depuis vingt-cinq ans ; j'ai moi-même subi la maladie mentale et j'ai été élevée par une tante qui souffrait de schizophrénie et est morte à l'hôpital psychiatrique. Ce lourd passé me donne une vue bien complète de la psychiatrie en France.

Des lieux d'information sont nécessaires, c'est indéniable, ainsi que des formations où les patients et leurs familles soient inclus. L'impact de telles formations sur les professionnels est majeur. Le développement d'un réseau est également indispensable.

Il faut surtout prendre en compte le dépistage ; malheureusement, il n'y a pas de réelle politique de prévention en France aujourd'hui, à la différence de certains pays du nord de l'Europe.

Mme Laurence Cohen. - Vous soulignez des éléments très importants. Je suis attentive, en particulier, à plusieurs points sur lesquels votre témoignage corrobore nos précédentes auditions.

Vous avez mentionné l'importance du dépistage précoce. Cela dit, pour qu'il soit bénéfique, il faut que des soins soient mis en place immédiatement après. C'est cette étape qui, souvent, fait défaut. En effet, comme vous l'avez souligné, le temps d'attente entre la première suspicion de difficultés psychiatriques et la prise en charge est souvent trop long. Cela mérite qu'on y travaille.

Nous pourrions par ailleurs nous pencher davantage sur la notion de réseau. Tout le monde en parle et le secteur psychiatrique actuel s'est mis en place autour de ce concept, mais les choses changent. Parfois, en voulant bien faire, en voulant plus de proximité, on détruit des choses utiles. Quelle conception, quelle expérience avez-vous de cette mise en réseau ?

Mme Claude Finkelstein. - Le réseau se construit sur le terrain, par exemple par des journées communes entre différentes structures. Il existe ainsi, depuis plus de dix ans, les groupes d'entraide mutuelle, qui ont constitué un réseau informel par leurs journées portes ouvertes, où ils invitent des représentants de la mairie et des institutions voisines. Les gens qui y vont se rendent compte que la maladie mentale n'est pas ce qu'ils s'en représentent ; cette déstigmatisation est très importante.

Je suis présidente d'un groupe d'entraide mutuelle, à Paris. Quand nous l'avons ouvert, voici quinze ans - il s'agissait alors d'une association d'usagers -, le propriétaire des murs de la boutique que nous avions louée a reçu une pétition signée de tous les propriétaires de l'immeuble, qui disait : « On ne veut pas de fous chez nous ! » Aujourd'hui, les voisins passent prendre un café, mais c'est le résultat de quinze ans de travail !

Sur la notion de « répit », je rejoins vos propos, monsieur le rapporteur. Je me suis occupée de ma tante, qui souffrait de schizophrénie, jusqu'à sa mort. Une fois par an, je l'emmenais à Monéteau, dans un centre de vacances, où elle restait un mois. J'étais contente de la retrouver à la fin du mois, mais quand je la déposais, c'était un vrai soulagement car j'allais pouvoir avoir un mois tranquille, sans la peur qui n'abandonne jamais quelqu'un qui prend soin d'un parent atteint de maladie mentale.

J'en reviens aux réseaux. Ils se créent aussi par l'organisation de formations croisées, in situ. Il n'y a rien de pire que les formations déconnectées du terrain. Quand la formation est organisée sur place, tout le monde peut en tirer des fruits.

Mme Béatrice Borrel. - Les personnels de l'Éducation nationale et les soignants se connaissent mal. Dispenser une formation aux enseignants peut les aider à mieux connaître les pratiques des soignants. Cependant, j'ai découvert que l'école que je connaissais du temps où mes enfants la fréquentaient avait beaucoup évolué sur ces questions ; les médecins n'en sont pas toujours conscients. Si l'on organise des moments d'échange entre enseignants et médecins, les deux professions pourront apprendre à travailler ensemble. Le médecin peut penser, à tort, que l'enfant ne peut être scolarisé que de manière très partielle, alors que l'enseignant aura une meilleure connaissance des possibilités offertes. Les formations croisées, mais aussi de simples réunions d'information, peuvent y jouer un rôle.

La coordination demande du temps et des moyens. Il n'en reste pas moins que le travail en commun n'est pas une pratique très répandue en psychiatrie. Grâce au plan cancer, on est parvenu à un meilleur partage des diagnostics et des protocoles de soin en cancérologie. Il faudrait une évolution similaire en psychiatrie. Les pédopsychiatres se sont sans doute davantage avancés dans cette voie que les autres psychiatres : une coopération existe déjà avec les psychomotriciens ou encore les orthophonistes.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous avez parlé de stigmatisation. Selon vous, faire de la psychiatrie une grande cause nationale permettrait-il d'améliorer la situation ou bien cela aggraverait-il encore la stigmatisation ?

Mme Béatrice Borrel. - Il faut en parler tout simplement. Deux millions d'adultes sont affectés par une maladie mentale : c'est beaucoup ! D'après mon expérience personnelle, tout le monde est touché, dans sa famille ou ses amis. Il faut en parler comme d'une autre maladie. Le cancer aussi était jadis stigmatisé, sans parler du Sida ! Ce n'est pas en se cachant qu'on sortira de la stigmatisation.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous prêchez un convaincu !

Mme Claude Finkelstein. - Mes petits-enfants savent ce que je fais et ils essaient de comprendre. Le handicap est accepté à l'école maintenant. Mais les « gogols », comme ils disent, ce n'est pas la même chose : ces personnes restent très stigmatisées !

Mme Béatrice Borrel. - La manière dont la presse et la télévision en parlent est également problématique. De ce point de vue, les émissions télévisées françaises sont pires que les américaines.

Je voudrais insister sur la nécessité d'associer étroitement les familles aux soins. Souvent encore, les familles sont culpabilisées. Il faut que tous les intervenants leur portent une attention bienveillante. Vous avez parlé de répit : les familles ont un vrai besoin de soutien, d'explications et d'information.

J'espère que la conférence nationale sur la santé mentale et le comité national de pilotage sur la psychiatrie pourront nous aider. Ce sont des lieux d'échange et de réflexion communs avec les médecins.

M. Alain Milon, président. - Nous sommes tous convaincus de l'utilité de la formation, de la prévention et de la mise en place d'un réseau de soins auquel participent les familles. Malheureusement, beaucoup de travail reste à faire. Le dépistage par les professionnels de santé - médecins généralistes, médecins scolaires, médecins de PMI, psychiatres - mais aussi par les enseignants, dès l'école maternelle, est important. Il faut des formations spécifiques sur ce sujet extrêmement important, qui coûte plusieurs milliards d'euros par an. Merci à vous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 heures 40.

Vendredi 24 février 2017

- Présidence de M. Yves Daudigny, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition des docteurs Charly Carayon, psychiatre - chef de Pôle : Psychiatrie Enfant et Adolescent au centre hospitalier Alès - Cévennes, Thierry Fouque, psychiatre - chef du service Enfant et Adolescent au CHU de Nîmes, et Emmanuel Lafay, psychiatre - chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès

M. Yves Daudigny, président. - Nous accueillons MM. Charly Carayon, psychiatre, chef de pôle Psychiatrie enfant et adolescent au centre hospitalier d'Alès, Thierry Fouque, psychiatre, chef du service Enfant et adolescent au CHU de Nîmes, et Emmanuel Lafay, psychiatre, chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès. Ils travaillent en réseau et vont nous en dire plus sur cet aspect de leur pratique.

Dr Charly Carayon, chef de pôle Psychiatrie enfant et adolescent au centre hospitalier d'Alès. - Nous avons le souci de faire vivre ces communautés psychiatriques de territoire (CPT) que la loi prescrit dans le cadre des Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Mais nous les avions mis en place bien avant ! La chef de service qui m'a précédé avait proposé à Thierry Fouque de créer un interpole de pédopsychiatrie dans le Gard. Nous nous sommes inscrits depuis très longtemps dans cette politique de soins concertée en partenariat avec l'Éducation nationale, l'Aide sociale à l'enfance (ASE), le secteur médico-social, les associations culturelles, sportives, familiales. Faire de la pédopsychiatrie, c'est travailler avec les autres.

Les difficultés tiennent essentiellement à la pénurie médicale : les demandes de consultations s'accumulent, la file active augmente de façon exponentielle, alors que les moyens demeurent identiques ou diminuent...

Il faut former des pédopsychiatres en quantité suffisante : à Alès, sur cinq postes dans le passé, il n'en reste que deux. La pérennité de nos structures est menacée faute de médecins pour les encadrer. Je pense à La Rose verte, créée par le docteur Marie Allione. Un film y a été tourné, qui montre tout l'engagement des soignants auprès des jeunes autistes et des enfants affectés par des troubles graves de la relation. Nous sommes passionnés par notre métier, ce que parents et enfants sentent et apprécient, mais ce patrimoine est en danger.

Je veux insister aussi sur la qualité de la formation à dispenser, dans une discipline qui emprunte à de nombreux champs, médecine, biologie, mais aussi anthropologie, sociologie, linguistique, littérature, arts, poésie... Tout nous concerne car nous sommes confrontés à la complexité de la vie et les futurs médecins doivent y être préparés.

Les parents sont inquiets des évolutions, les professionnels le sont aussi.

Dr Thierry Fouque, chef du service enfant et adolescent au CHU de Nîmes. - Vous connaissez la situation de la discipline. S'y ajoute, pour nous, la situation locale. La population est largement composée de familles pauvres. Et nous sommes peu armés face à la pression économique qui pèse sur nos établissements. Ce sont de tout petits services, l'activité essentiellement ambulatoire est peu rentable, la consultation dure longtemps, les zones que nous couvrons sont vastes. Il faut deux heures de route, aller et retour, pour rencontrer un seul enfant. On nous dira « vous ne faites pas grand-chose ! », alors qu'en parcourant tous ces kilomètres pour voir l'enfant, nous faisons beaucoup, au contraire.

Nous sommes en souffrance, les moyens humains reculent, les budgets aussi, tandis que l'offre libérale est quasi inexistante : seulement deux pédopsychiatres inscrits dans le Gard - et l'un d'eux prenant bientôt sa retraite, il n'accepte pas de nouveaux patients. Le centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) est la seule structure de prise en charge, pourtant il perd une infirmière, puis une éducatrice,...

Ensemble, nous serons plus forts : voilà ce qui nous a poussés à adopter une vision plus territoriale, à partager une unité hospitalière pour les adolescents dans le département et une unité de trois lits à Uzès. Nous nous efforçons de penser ensemble un parcours de soins pour les adolescents et les tout petits. Nous sommes persuadés que nous devons partager la prise en charge avec les autres intervenants du secteur médico-social. Cela pose parfois des problèmes, y compris budgétaires, par exemple quand un enfant placé en institut médico-éducatif fréquente notre centre, car pour les journées que le jeune patient passe au centre, l'IME, lui, est privé de rémunération. Et qui doit payer le transport ? Nous obtenons peu de reconnaissance de nos établissements, mais plus, heureusement, de nos partenaires et des familles.

Dr Charly Carayon. - C'est aussi pour cela que l'idée d'un pôle pédopsychiatrique nous a séduits, pour défendre les intérêts de la filière, donc de nos patients. C'est ce que nous recherchons dans un interpôle, ou une CPT infanto-juvénile : se sentir soutenus, par les établissements, l'ARS. Notre association médicale infanto-juvénile du Languedoc-Roussillon envisage de s'allier avec celle de Toulouse.

Dr Thierry Fouque. - Oui car nos difficultés sont les mêmes qu'ailleurs, bien sûr. Notre association départementale a fait un état des lieux de l'offre de soins pédopsychiatriques dans le département, à la demande de l'ARS. Nous pourrons vous transmettre ce document. Une journée de formation a été organisée sur le thème des partenariats.

Dr Emmanuel Lafay, chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès. - J'ai pris mes fonctions il y a un an et demi, dans un secteur très vaste (il me faut deux heures pour le traverser), avec peu de médecins et donc une couverture parcellaire. Cette semaine encore, pour deux adolescents qui ont connu un pic d'agitation, j'ai dû gérer la crise au téléphone... Le travail en réseau est indispensable. D'autant que le temps psychique de l'enfant doit être préservé, respecté, il n'est pas le temps institutionnel, ni celui de la famille, ni celui de la justice, ni de l'école, ni de l'ASE... ni celui de l'hôpital, hélas, désormais. Dans le passé, on « observait » les enfants, on leur portait attention ; aujourd'hui, on les « évalue ».

Il y a vingt ans, nous pouvions assurer un suivi régulier et voir les familles au moins toutes les six semaines environ. À présent, nous sommes dépassés par le nombre des demandes. Dans mon petit centre, avec un ETP médical de 0,4, il y a eu cette semaine 38 demandes nouvelles. L'attente atteint à Beaucaire, hors urgence, pas moins d'une année, et de deux années pour voir le psychologue du centre médico-psychologique (CMP). Nous n'avons pas affaire à une population qui se déplace à Nîmes ou ailleurs pour trouver un praticien. Nous pratiquons dès lors, en quelque sorte, une médecine de guerre : sur les 38 cas nouveaux, je traite les trois plus urgents, comme les adolescents suicidaires. Il ne nous est plus possible de prévenir la dégradation d'autres situations.

La justice ou l'école, lorsqu'elles sont dépassées, s'adressent aussi à nous. Le bon accueil des familles, qui exige une certaine tranquillité, est menacé par cet emballement récurrent. Les nouveaux infirmiers sont pleins de bonne volonté mais ils n'ont pas de formation pédopsychiatrique. Nous devons donc gérer à la fois la formation, la gestion des urgences et la pénurie de professionnels. En outre, le travail de réseau prend du temps, n'est pas valorisé - ce qui se passe en amont de la consultation n'existe pas ! Or, en cas d'ordonnance de placement, l'admission de l'enfant prendra deux heures. Le jeune est souvent jeté à l'hôpital sans vêtements de rechange, sans numéro de téléphone... C'est notre quotidien. L'unité hospitalière est ouverte du lundi au vendredi, mais pour un petit garçon placé par la juge, il a fallu laisser le centre ouvert et les équipes se sont relayées durant le week-end. « Ce n'est pas mon problème » a répondu la magistrate. Cela n'aurait pas dû être le nôtre non plus s'il avait été traité en amont mais à l'école, à l'ASE, les postes de médecins ont disparu.

M. Yves Daudigny, président. - Le tableau est assez noir.

Dr Charly Carayon. - L'hospitalisation de jeunes de douze ou treize ans dans des services pour adultes - parce que nous n'avons pas de structures appropriées - impose de les placer dans des chambres isolées, pour les protéger. Tout cela a un coût !

M. Yves Daudigny, président. - Ils sont donc accueillis à l'hôpital ?

Dr Charly Carayon. - Oui. Nous recevons aussi des jeunes errants, de plus en plus nombreux, avec des problèmes de toxicomanie, de prostitution.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Votre témoignage est d'autant plus précieux qu'il concerne un territoire plutôt rural et nous avons entendu des médecins en milieu urbain jusqu'ici. Notre mission veut livrer des préconisations concrètes. Les CPT prévues par la loi apportent-elles des éléments positifs ? Vous êtes soumis au GHT : avez-vous une dérogation comme groupement psychiatrique ou appartenez-vous au droit commun ? Et vous qui vivez au quotidien dans un tel réseau, pouvez-vous nous parler de l'articulation entre le sanitaire, le médico-social, l'éducation nationale, la justice ? Y a-t-il une maison de l'adolescent dans votre département ? Si oui, comment fonctionne-t-elle ? Et à quoi bon un dépistage précoce s'il n'y a pas une prise en charge précoce ?

Dr Charly Carayon. - La communauté psychiatrique de territoire est en voie de constitution. L'actuelle présidente de la CME de l'hôpital d'Uzès en serait la présidente.

Dr Thierry Fouque. - La réunion constitutive du GHT psychiatrique s'est tenue ce matin. Nous sommes encore loin d'une communauté psychiatrique de territoire.

Mais une communauté adultes-enfants risque d'être juste une instance de plus, trop vaste pour travailler efficacement. Nous avons besoin d'une structure plus resserrée.

Dans les centres hospitaliers généraux, la pédopsychiatrie est un peu la dernière roue du carrosse. Il y a une inertie. Les associations concernées ou le secteur médico-social sont bien plus réactifs.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vos décisionnaires se rendent-ils compte du coût de la non prise en charge de nombreux enfants ?

Dr Thierry Fouque. - On nous répond cyniquement que c'est pour le bien des enfants et le nôtre, que ce serait inhumain de ne pas les prendre en consultation...

Mais combien de temps doit durer la consultation ? Quand je me rends dans une école, j'y reste une heure et demie. Faut-il que je n'y aille plus pour faire du chiffre ? En plus, notre activité n'est pas tellement valorisée : une partie du travail, par exemple appeler l'école ou l'orthophoniste, ne se voit pas.

Nous n'avons pas les mêmes objectifs. Pour l'hôpital, l'important est d'afficher un équilibre budgétaire ou de montrer que l'activité augmente. Nous, notre souci, c'est de soigner. Ça me désole qu'il faille attendre quatre ou cinq mois pour avoir une consultation avec moi.

M. Yves Daudigny, président. - Quel rôle les paramédicaux et les psychologues peuvent-ils jouer face à la pénurie de médecins ?

Dr Charly Carayon. - Nous avons la chance de ne pas avoir de pénurie de psychologues. Lorsque j'étais sur Saint-Étienne, tous les enfants étaient reçus par un médecin. Aujourd'hui, le premier accueil est assuré par un psychologue.

La pédopsychiatrie est un travail pluridisciplinaire, associant médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, infirmières. C'est la qualité de la formation, initiale et continue, qui fait la qualité des soins. La qualité des soins permet de réaliser des économies : aujourd'hui, il y a un incroyable gâchis, en termes tant économiques que de souffrance physique.

Dans les départements où le conseil départemental et l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, n'ont plus de structures d'hébergement, les enfants sont « délocalisés » et « sous-traités » dans les départements voisins. Ainsi, dans le Gard, de nombreux jeunes sont placés dans des familles d'accueil, qui n'ont pas forcément la rigueur de l'ASE. Cela crée de la maltraitance et coûte cher. On n'a pas le droit de déplacer un enfant sans s'assurer qu'il sera bien accueilli, qu'il aura un centre de soins ou qu'il pourra aller à l'école !

Dr Thierry Fouque. - Chez moi, les premières consultations peuvent être assurées par les psychologues ou par les médecins, selon le motif indiqué lors de la prise de rendez-vous.

Nous essayons d'imaginer avec les CME une permanence de premier rendez-vous assurée par des paramédicaux, éducateurs ou infirmiers associés à une psychologue, pour garantir un premier contact et une première réponse aux familles. Ce n'est évidemment pas la panacée. Mais cela permet tout de même de rassurer des familles et de repérer les cas les plus urgents.

Dr Emmanuel Lafay. - Le problème des dispositifs en aval demeure. Une fois les familles reçues et les besoins de soins identifiés, il faut des moyens pour les assurer.

Comment nous, pédopsychiatriques, pouvons-nous remplir toutes les missions qui sont les nôtres - elles ont beaucoup augmenté en vingt ans - avec notre faible effectif ?

À un moment, la pédopsychiatrie ne peut plus répondre à tous. Nous récupérons tous les dysfonctionnements institutionnels mais avec de moins en moins de moyens. Il faut une vraie politique de l'enfance en France, avec un ministère regroupant l'aide sociale à l'enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, ou PJJ, la pédopsychiatrie, l'école...

La coordination, c'est bien en théorie mais très compliqué en pratique. Toutes les autres institutions sont complément saturées. Ce n'est pas une critique : l'ASE, la PJJ et l'école font ce qu'elles peuvent. Mais faire ce que l'on peut, ce n'est pas faire n'importe quoi ! Or, pour réfléchir à ce que l'on fait, il faut avoir du temps.

Dr Thierry Fouque. - Il y a une maison des adolescents, ou MDA, dans notre département. Mais l'histoire est douloureuse.

J'ai été le promoteur du projet. Nous avions déposé le dossier et obtenu les financements. Puis, pour des raisons politiques, lorsque les subventions sont arrivées, nous avons été avisés que la MDA serait gérée par une association d'associations ! Cela nous a contrariés, d'autant qu'il n'y avait pas vraiment de logique.

On constate une petite amélioration aujourd'hui mais la MDA reste un peu une coquille vide. Elle assure assez bien la fonction de premier accueil mais il n'y a pas assez de professionnels pour assurer l'arrière-plan médical. En même temps, les locaux sont très beaux...

Dr Charly Carayon. - Membre de l'équipe de coordination de RésaGard, réseau pour les adolescents en difficulté, j'ai voulu introduire une dimension clinique. Les stratégies thérapeutiques se construisent à partir des hypothèses diagnostiques.

Malheureusement, j'ai eu beaucoup de mal pour faire valoir cette dimension. On s'intéresse, semble-t-il, plus au paraître qu'à la qualité des soins et à ses effets sur les adolescents.

En raison de luttes de pouvoir, RésaGard s'est fait absorber ; là aussi, l'histoire est douloureuse. Lors de la constitution du réseau, nous insistions sur l'importance d'une affiliation à un hôpital. Nous avons été dessaisis et l'hôpital ne s'est pas battu. On ne se sent pas soutenus. Il y a des logiques administratives, comptables...

Dr Thierry Fouque. - Et de pouvoir !

Dr Charly Carayon. - Sur Alès, depuis six ans, je fais face à la pénurie. La solution est effectivement de relier les ressources. Le soin psychique, cela concerne tout le monde ! Les premiers soignants sont les parents qui consolent les enfants. Les enseignants et les personnels médico-sociaux ont chacun une part dans l'accueil et le traitement de la souffrance psychique.

Il est de notre responsabilité de soutenir les capacités soignantes. Nous le faisons lorsque nous allons dans les écoles. Nous essayons de donner du sens au comportement de l'enfant, qui demande de l'amour, de l'attention. Nous l'humanisons. Cela le rend moins terrifiant pour les enseignants.

J'ai essayé de transposer dans la pluri-institutionnalité ce que nous faisons dans l'institution. Une institution psychiatrique ne peut fonctionner qu'avec des réunions cliniques régulières. On s'éclaire du regard de chacun.

Il y a les supervisions : une fois par mois, nous sollicitons le regard d'un intervenant extérieur sur un cas difficile. Ce sont ces cas qui nous renseignent le plus sur nos dysfonctionnements. C'est un outil à la fois thérapeutique et de formation. Formation et supervision sont liées.

L'idée est de transposer cela sur le réseau.

Il faut d'abord garantir un temps de rencontre. Il a été convenu avec deux inspectrices de l'éducation nationale que je devais être disponible sur Alès le jeudi matin ; j'incite tout le personnel de la pédopsychiatrie à l'être aussi.

Il faut ensuite proposer des rencontres cliniques pluri-institutionnelles. On a fait plusieurs groupes : petite enfance, enfance-adolescence, autisme... Des enseignants et des éducateurs sont amenés à parler d'une situation qui a pu leur poser problème. On discute avec des gens d'expériences et de cultures différentes. Nous organisons aussi des formations territoriales.

Comment la communauté psychiatrique de territoire peut-elle soutenir cela ? C'est très compliqué. Beaucoup de gens viennent par engagement personnel. Ils prennent sur leur temps. Les temps de supervision et de formation sont essentiels.

Mme Laurence Cohen. - Il y a des contradictions majeures. À l'origine, la psychiatrie était en secteur. Aujourd'hui, sous prétexte de travail en réseau, on ne préserve pas les secteurs, ce qui met à mal ce travail en réseau.

Le travail non quantifiable que vous évoquez - il est indispensable - est complètement contradictoire avec la logique qui est celle de la médecine depuis quelques années ! Je pense par exemple à la tarification à l'activité. Et les choses s'aggravent : depuis quelques années, la psychiatrie - et, au sein de la psychiatrie, la pédopsychiatre -, c'est la cinquième roue du carrosse.

Cette situation ne concerne pas seulement les zones rurales. Elle existe aussi dans les zones urbanisées. La logique actuelle, qui, vous l'aurez compris, n'est pas la mienne, est contradictoire avec la psychiatrie de secteur.

En outre, certains politiques voient un remède miracle dans la mise en oeuvre des pratiques avancées. Attention ! Psychiatres et psychologues n'ont pas le même rôle. On ne peut pas remplacer indifféremment les uns par les autres.

J'ai une autre inquiétude. Avec l'accueil de mineurs dans des services de psychiatrie pour adultes, la seule réponse des professionnels est souvent la chambre d'isolement. N'y a-t-il pas un risque de recours excessif à la médicalisation ?

Dr Charly Carayon. - Nous faisons en sorte que les adolescents concernés sortent très vite de ces secteurs. Mais nous sommes confrontés à de nouveaux problèmes, comme celui des fratries. En tout cas, pour ma part, je ne médicamente pas.

Dr Thierry Fouque. - Je pense que le risque existe. Quand on n'a pas beaucoup de temps, on peut être tenté de médicamenter. Certains font un usage un peu facile de la Ritaline face à des problèmes de comportement.

Dr Charly Carayon. - Sur Alès, nous insistons plus sur le contenant psychique. Nous voulons rassurer l'enfant, trouver une solution rapidement. C'est vrai que cela prend du temps.

Dr Emmanuel Lafay. - Sur l'ensemble du Gard, nous avons treize places d'hospitalisation. Ce n'est pas suffisant pour répondre réellement aux urgences. Si un adolescent arrive aux urgences d'Alès ce week-end, il n'aura pas de place et ira en psychiatrie pour adultes ! Il y a une vraie pénurie. Nous devons trouver d'autres solutions, adaptées aux besoins de ces enfants.

Les enfants ne sont plus pensés. Tout va trop vite. La clé, c'est question du temps. L'urgence est dans la tête des adultes. L'enfant, lui, n'est pas dans l'urgence ; il a besoin de temps pour se construire et se développer.

Dr Thierry Fouque. - Le nombre d'enfants qui passent aux urgences augmente, en raison de la lenteur des autres réponses et de la réduction du nombre de pédopsychiatriques. On peut avoir quatre, cinq ou six passages aux urgences par semaine, contre un seulement les mauvaises semaines voilà quinze ans.

À mon avis, les psychologues ne peuvent pas remplacer les médecins, ne serait-ce que pour des raisons d'autorité dans l'institution.

La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé remet un peu en place la notion de secteur, qui est pertinente. Il ne faut pas calquer certains systèmes sur notre travail : il est arrivé que la directrice me reproche des chiffres d'activité insuffisants...

M. Yves Daudigny, président. - Je vous remercie de nous avoir éclairés, même si la situation que vous avez décrite n'est guère rassurante.

Dr Charly Carayon. - Il est vrai que c'est difficile mais nous avons beaucoup de projets.

M. Yves Daudigny, président. - En effet, nous avons bien ressenti la passion qui vous anime.

Audition conjointe sur la place de la pédopsychiatrie à l'université et la formation des pédopsychiatres : Professeur Jean-Luc Dubois-Randé, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine et doyen de l'Université Paris Est Créteil Val de Marne, Professeur Benoît Schlemmer, chef de service de Réanimation médicale à l'hôpital Saint-Louis à Paris, doyen honoraire, Faculté de Médecine et Université Paris-Diderot, conseiller universitaire auprès du Directeur Général de l'ARS d'Ile de France, chargé de mission "Réforme du 3e cycle des études médicales", Professeur David Cohen, chef du département de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent de l'hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris

Professeur David Cohen, Professeur à l'Université Marie-Curie et chef du service de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Président de la sous-section du CNU. - Je souhaite vous donner lecture d'une note qui n'engage que moi-même, même si j'ai pris des informations auprès d'autres collègues.

Je tiens à remercier la commission du Sénat d'organiser une audition pour la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, pour l'effort louable pour améliorer la situation de la discipline et donc de notre principale clientèle, à savoir les enfants et adolescents en souffrance psychologique et psychiatrique et leurs familles.

De mon point de vue, la situation est actuellement tout à fait dramatique en terme de formation et digne du tiers-monde, que ce soit au plan des spécialistes médecins ou des paramédicaux concernés, en terme de correspondance besoins / moyens, en terme d'analyse des problématiques et du coup de cohérence des politiques publiques, en terme de médiatisation et de manipulation à court terme et enfin en terme de recherche dédiée.

Ce que j'appelle une politique tiers-mondiste dans un pays riche, c'est une politique qui conduit à enrichir les plus riches et à appauvrir les plus pauvres. Dans le système de santé français, les plus pauvres sont les disciplines en charge de la chronicité, à savoir la psychiatrie, la psychiatre de l'enfant et de l'adolescent, la gériatrie, la rééducation fonctionnelle.

La France est très en retard par rapport au standard européen puisqu'en termes de formation des médecins spécialistes, si on tient compte de la dernière enquête européenne sur le sujet, la France est au niveau de la Slovénie ou de la Roumanie. L'attractivité du métier s'est effondrée car la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent apparaît responsable de tous les échecs de la société. Il existe une nécessaire refonte de la formation en tenant compte des concepts de développement et de neuro-développement que nous avons tenu à préciser dans une lettre du CNU cosignée par l'ensemble des psychiatres universitaires de la discipline. L'autisme de ce point de vue est assez symptomatique de ce malaise. Pour ce qui concerne la formation des paramédicaux, s'il y a eu une réingénierie du diplôme d'orthophoniste qui a abouti (c'est la seule bonne nouvelle dans le domaine), les finances n'ont absolument pas suivi et la façon dont certaines caisses primaires d'assurance maladie traitent la question des carences d'occupation des postes d'orthophonistes dans les structures hospitalières est tout simplement surréaliste. Elle conduit du reste à pérenniser l'absence d'occupation des postes dans les structures publiques. Par contre, la réingénierie des métiers de psychomotricité et d'ergothérapie est restée en suspens. Et quant à la formation des psychologues, on attend comme dans d'autres pays européens la création de vrais diplômes de psychologie du développement avec spécialisation et surtout, pour les psychologues cliniciens, la création d'un Internat de psychologie, seul garant d'une expérience clinique suffisante pour pouvoir prétendre à s'inscrire dans la modernité des dernières avancées en psychologie du développement et en neurodéveloppement.

Au niveau macro-économique, on nous dit que les moyens de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ont un peu augmenté ces dernières années (+ 5 %) mais dans le même temps les demandes ont explosé (+ 80 %). Par ailleurs, en 10 ans, le conseil de l'ordre a recensé moitié moins de psychiatres d'enfants et d'adolescents inscrits sur ses listes. Le niveau macroscopique ne décrit en aucune façon l'adaptation de ces moyens aux besoins sur le plan de la qualité et de la formation. Cet abord macroscopique ne dit rien non plus des inégalités territoriales et rien des absurdités administratives pour les cas complexes et enfin rien non plus de la réponse aux nouvelles demandes comme celle de la radicalisation (pour laquelle la discipline s'est engagée) ou du trauma.

Par ignorance, par bêtise, par soumission, pour ne pas faire de vagues quand on est un administratif qui doit faire carrière ou un médecin qui veut surtout servir ses propres intérêts ou ceux d'une corporation... Il existe une grande confusion des problématiques et des analyses erronées. Il est difficile d'entrer dans le détail mais si on prend le niveau des dispositifs et des institutions, on constate, au moins dans le public, différents types de structures, celles qui dépendent du secteur de psychiatrie infanto-juvénile (les CMP, hôpitaux de jour), celles qu'on peut considérer comme intermédiaires et qui sont parfois gérées par des associations (CMPP, hôpitaux de jour, parfois) et les structures qui relèvent du médico-social, qu'elles soient gérées par des structures publiques ou des associations (CAMPS, IME, IMPro, ...).

Sur ces différents types de dispositifs et institutions se rajoutent par-dessus les organisations en niveaux 1, 2, 3 qui concernent l'ensemble de la médecine et qui sont certainement des organisations vers lesquelles on doit tendre, en tout cas au niveau des territoires.

Très souvent, on identifie les structures par rapport aux dépenses et aux niveaux mais, à aucun moment, on ne vérifie l'adéquation des structures aux moyens humains. On confond trop souvent fonction et profession. Ainsi, aujourd'hui la plupart des médecins qui occupent une fonction de psychiatre d'enfant et d'adolescent ne sont pas pédopsychiatres (ce sont des psychiatres généralistes, à la retraite avec un vague souvenir du développement tel qu'on l'enseignait dans les années 70, ou des médecins généralistes qui on fait des formations professionnelles sur le tard ou des médecins étrangers) et encore quand un médecin occupe le poste. Du coup le discours que l'on entend régulièrement dans beaucoup de réunions, à savoir que les pédopsychiatres sont nuls, correspond bien souvent à un abus de langage puisque les pédopsychiatres dont il est question n'ont pas reçu de formation adéquate justement. Comme je l'ai dit plus haut l'exemple de l'autisme est particulièrement symptomatique. Certains collègues appartenant à des disciplines frontières et concernés par l'autisme (comme la psychiatrie d'adultes, la génétique, la neuropédiatrie) ne se privent pas pour être particulièrement critiques vis-à-vis des pédopsychiatres, ce qui ne favorise pas des discussions apaisées et un travail de fond pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles. C'est aussi le cas de certains chercheurs et je prendrai pour exemple une récente tribune dans Le Monde où près de la moitié des signataires n'avaient, à ma connaissance, jamais travaillé sur l'autisme et même jamais rencontré de personnes autistes.

Ces erreurs d'analyse qui laissent de côté la question de la formation initiale et centrent les politiques publiques sur la formation continue ne risquent pas, à mon sens, de changer les choses sur le moyen terme et vont favoriser des prises de décisions illusoires. Par déplacement, on propose de passer la problématique d'une institution à une autre mais sans réelle réponse efficace.

S'il existe une prise de conscience actuellement, l'ampleur du problème n'est pas encore intégrée et les décisions politiques récentes sont des rustines qui, pour partie, relèvent des phénomènes de déplacement évoqués plus haut.

Au plan des soins, outre les niveaux 1-2-3, on propose à juste titre de distinguer les problématiques par tranche d'âge : nourrisson, enfant préscolaire, 6-12 ans et adolescent. Quelques exemples de décisions et propositions plus ou moins récentes. L'autisme quitte la santé pour le handicap, c'est-à-dire qu'il relève quasi exclusivement du médico-social. Le nourrisson, pour le diagnostic précoce et la prise en charge, est sur le point de rejoindre les CAMPS, sans tenir compte des inter-secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, d'une part, et des difficultés des CAMPS eux-mêmes à bien répondre à leurs missions propres. La déficience intellectuelle reste encore dans la santé principalement pour l'enjeu du diagnostic génétique via les centres référents maladies rares. Pour combien de temps ? L'adolescence revient en première intention aux acteurs de proximité et aux psychologues. Mais a-t-on fait quelque chose pour la formation des intéressés ? A-t-on décidé la généralisation du remboursement des soins de psychologue par la sécurité sociale ?

Au plan de la formation justement, une réforme est en cours mais les dernières propositions que nous avons reçues (et qui d'après nos interlocuteurs sont les seules réalistes au vue de la démographie actuelle) restent à mille lieues des ambitions de la réforme telles qu'elles sont énoncées. Il est vrai, comment appliquer une réforme à toutes les disciplines et spécialités quand dans certaines les ratios professeurs/internes sont d'un pour 4 quand il est d'un pour 40 en psychiatrie ?

La recherche en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent est un autre parent pauvre. L'Inserm compte 6 000 chercheurs (statutaires et étrangers), 2 600 contractuels, 4 800 hospitalo-universitaires pour près d'un milliard d'euros de budget. Une goutte est dédiée à la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Prenons l'exemple des deux instituts hospitalo-universitaires parisiens (investissements d'avenir liés au grand emprunt) qui auraient pu bénéficier à la discipline puisque l'un est dédié au développement et l'autre aux neurosciences. Là encore rien n'est proposé au-delà de la déclaration d'intention. « L'excellence n'y est pas » est la réponse qu'on nous renvoie pour pérenniser l'absence de financement vers la discipline tout comme l'absence de nomination d'hospitalo-universitaires pour former les jeunes collègues.

Et quand malgré tout, on essaie de conduire des activités de recherche (clinique ou non), tout est en place pour nuire et mettre des bâtons dans les roues : absence d'intérêt des promoteurs pour la discipline, enjeux idéologiques d'un autre temps, voire intimidation parfois. Un exemple venant d'un acteur du privé, très grosse entreprise qui depuis plus de 20 ans était un des rares financeurs dans l'autisme via une fondation d'entreprise. Depuis trois ans, devant les remontrances et les conflits qui entourent la discipline, cette entreprise a préféré se retirer du domaine car il était clair qu'au-delà de l'engagement vis-à-vis de l'autisme, l'entreprise ne pouvait pas investir via sa fondation sur une thématique qui devenait incontrôlable au plan politique et en termes de communication.

Je vous soumets une tentative schématique pour représenter la pédopsychiatrie et ses principales interfaces. On retrouve bien sûr certaines spécialités médicales : la pédiatrie, la neurologie, la périnatalité, la génétique, l'endocrinologie et la psychiatrie adulte. Au plan institutionnel, on retrouve l'université, la santé et la recherche. Dans la gestion quotidienne, un service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent situé dans un CHS devra batailler avec la psychiatrie d'adultes pour garder ses financements ; dans un CHU, il devra batailler avec les autres disciplines médicales. Mais dans tous les cas la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent est en général une variable d'ajustement. Ce qui est vrai pour la partie santé est également vrai à l'université et lorsqu'il s'agit d'obtenir des crédits de recherche dédiés.

Mais la pédopsychiatrie est également à l'interface et en lien avec de nombreux paramédicaux : orthophonistes, psychomotriciens, psychologues, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux, pour ne citer que les plus spécifiques. La discipline est aussi à l'interface de l'école, des services sociaux de la ville et du département, de la protection de l'enfance et de l'aide sociale à l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et de la justice. Au plan institutionnel on reconnaît les ministères de l'éducation, de la famille, de la justice, de la ville et de la jeunesse.

À tous les niveaux d'interfaces possibles, même s'il existe des partenariats très fructueux, les points de blocage sont aujourd'hui beaucoup trop nombreux pour espérer inverser une désaffection envers la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent malgré un intérêt conservé par les jeunes médecins. Il faut donc un véritable « plan Marshall » pour la discipline dont les grandes lignes en termes d'objectifs pourraient être les suivantes :

1. Mettre à niveau, en termes de moyens, les structures de la discipline pour répondre à l'augmentation des demandes récentes et aux carences anciennes déjà relevées dans de nombreux rapports.

2. Continuer les efforts pour garantir que, sur l'ensemble du territoire, soient appliquées les réformes salutaires qui ont vu l'amélioration des MDPH et de l'inclusion scolaire.

3. Prévoir une formation pour les jeunes générations qui suive les formats européens des pays les plus avancés (soit au moins 6 semestres en pédopsychiatrie lors de la formation des internes).

4. Augmenter le nombre d'universitaires de la discipline pour atteindre un taux d'encadrement qui permette une formation de qualité et, surtout, soutienne la recherche clinique.

5. S'assurer que les professions paramédicales en interface avec la discipline connaissent également une évolution de leurs standards de formation tenant compte des avancées en développement et en neuro-développement.

6. Sanctuariser les crédits de la psychiatrie d'enfants et adolescents que ce soit au niveau des dépenses de santé et de la gestion hospitalière, mais également des investissements en recherche.

7. Créer un institut de recherche en santé mentale et développement comme c'est le cas dans tous les grands pays occidentaux.

8. Supprimer les clivages au niveau des territoires entre les dispositifs relevant de la santé et des hôpitaux et les dispositifs relevant du médico-social. Les ARS n'ont pas réussi à surmonter cette difficulté qui aboutit à ce que les cas les plus complexes reçoivent le moins de soins du fait de la saturation des structures.

9. Donner au niveau de chaque territoire une responsabilité coordinatrice à l'un des acteurs pour permettre de résoudre les difficultés institutionnelles de gestion des cas complexes. L'Inserm est une structure trop archaïque et il ne faut pas aborder les enjeux de recherche uniquement par les neurosciences.

10. Investir dans la formation continue des médecins généralistes, des médecins spécialistes mais également des paramédicaux pour s'assurer que tous adoptent et s'approprient les avancées de la discipline.

La discipline a demandé la mise en place d'un co-DES pour atteindre les équivalences de formation européennes. Dans le cadre actuel n'importe quel psychiatre adulte peut diriger une structure pour enfant. Si l'on met en place la réforme telle qu'elle est envisagée les psychiatres pour adultes seraient encore moins formés à la pédopsychiatrie.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous souhaitez avec le co-DES mettre les deux spécialités au même niveau ?

Professeur David Cohen. - Nous souhaitons qu'il y ait un temps commun de formation de deux ans puis une séparation avec deux ans de formation pour chaque branche de la psychiatrie. La discipline a besoin d'un signal au moment où on met en place une réforme de la formation qui doit durer vingt-cinq ans. Nous pourrions former une soixantaine de co-DES par an.

Professeur Jean-Luc Dubois-Randé, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine et doyen de l'Université Paris Est Créteil Val de Marne. - Il y a un certain éloignement des pouvoirs publics de la question que nous abordons aujourd'hui. Pour y remédier, il me semble qu'il faudrait mettre en place un plan psychiatrie incluant la pédopsychiatrie.

Au cours du 2ème cycle des études de médecine les étudiants préparent les épreuves classantes nationales. Trente items concernent la psychiatrie, dont dix la psychiatrie de l'enfant, mais ils mélangent les sujets d'addictologie ainsi que la prise en charge des adultes. Le sujet n'est donc pas très traité à ce stade des études médicales. Il est vrai cependant que le 2ème cycle n'a pas vocation à former des spécialistes.

Le nombre de formateurs en pédopsychiatrie est dérisoire et plus qu'alarmant. La psychiatrie est clairement le parent pauvre de notre système de formation. Il y a également un enjeu de répartition géographique. La discipline compte 120 universitaires, dont 36 PU/PH, or un tiers d'entre eux se trouvent à Paris. Dès lors de nombreuses facultés n'ont pas de pédopsychiatre.

Cette situation touche également l'ensemble des professionnels qui ne sont pas adossés aux pédopsychiatres dans leur institution. Le fait que les prises en charge effectuées par plusieurs d'entre eux ne soient pas remboursées me paraît être un scandale.

Le problème du manque de pédopsychiatres à l'université ne relève pas uniquement des doyens, c'est une question de désaffection plus générale pour les postes universitaires qui nécessitent des parcours très longs orientés vers la recherche et l'étranger et qui peuvent décourager.

On demande l'excellence en matière de recherche pour les postes en pédopsychiatrie mais il me semble qu'il faut sortir de l'idée que la recherche ne peut se faire que dans le domaine de la biologie. D'autres domaines sont parfaitement envisageables et il faut présenter des options de recherche.

Il me semble qu'il faut engager un grand plan national pour la pédopsychiatrie pour compenser le manque de forces universitaires et dans un contexte où le nombre de postes disponibles ne va pas augmenter. Je pense que l'on peut notamment envisager, pour encadrer tous les internes, que des postes soient mis à disposition de fédérations CHU.

En effet nous ne disposons pas des moyens de créer des postes partout et le vivier d'enseignants est trop peu important. Il faut donc établir des priorités de recrutement pour la discipline et prévoir des postes ciblés comme cela a été fait en médecine générale ou en soins palliatifs.

Pr Benoît Schlemmer.- : Le sujet de la formation des pédopsychiatres s'inscrit dans le chantier très vaste de la réforme du 3ème cycle des études médicales. La feuille de route de la réforme a été tracée par la conférence de santé et par un décret en Conseil d'État qui fixe ses grandes lignes. La déclinaison pour chacune des 44 spécialités concernées se fera par arrêté.

La réforme concerne 44 spécialités, je suis donc tenu d'avoir une cohérence d'ensemble. Il s'agit d'une réforme globale du dernier cycle d'études médicales. On accède aux 44 spécialités à l'issue d'un cursus sanctionné par un diplôme d'études spécialisées (DES), qui se substitue à un ensemble de spécialités par l'obtention de DES auxquels venaient s'ajouter des diplômes d'études spécialisées complémentaires (DESC), dont la majorité n'était pas des spécialités d'exercice exclusif. C'était le cas de la pédopsychiatrie depuis 2004.

La réforme a pour objectif, en fin de formation de troisième cycle, de conférer au jeune en formation l'ensemble des compétences de son métier. En formation initiale, des briques de formation, tant théoriques que pratiques, seront également ouvertes en formation continue. On a demandé à chacune des spécialités et aux disciplines universitaires associées, c'est-à-dire en ce qui concerne la pédopsychiatrie à la fois aux universitaires de la pédopsychiatrie et à ceux de la psychiatrie, quels étaient leurs souhaits. Au final, la réforme ne permet de répondre aux voeux ni des uns ni des autres. Elle prévoit un DES de psychiatrie avec une option qui ajoute une cinquième année de formation pour ceux qui se destineraient à un exercice prédominant, mais non forcément exclusif, de pédopsychiatrie.

Selon les standards européens, il faut au moins six semestres de formation. Il faut faire en sorte que sur l'ensemble des semestres consacrés au DES et à l'option, un jeune souhaitant devenir pédopsychiatrie puisse effectivement avoir ces six semestres.

Nous devons trouver une solution qui soit au moins un bon compromis au démarrage et qui ne soit pas en retrait par rapport à ce que nous connaissons déjà. L'essentiel de la réforme, au-delà de ce qui est dans la loi et dans le décret, est porté par des arrêtés et donc susceptible d'évolutions dans le temps assez aisées. Il y aura un comité de suivi de la réforme et des points de réévaluation.

Actuellement, le problème auquel nous sommes confrontés pour la pédopsychiatrie est que dans l'association d'un DES et d'une option, on ne peut obliger personne à faire une option. Il faut essayer d'en assurer l'attractivité. Si on voulait pouvoir contraindre, il faudrait soit deux DES totalement séparés, soit un co-DES avec un tronc commun en début de formation (système en Y). La difficulté est que sur l'ensemble des centres universitaires hospitaliers (CHU), neuf ne disposent d'aucun universitaire en pédopsychiatrie et n'ont pas de possibilité d'encadrement universitaire. Sur le reste des CHU, dix-huit ne disposent que d'un seul universitaire de la spécialité. La pédopsychiatrie est donc une spécialité pour laquelle les forces universitaires sont trop faibles pour pouvoir assurer sur le territoire de façon homogène la formation.

Pour renforcer une discipline universitaire, il faut, d'une part, ouvrir des postes et, d'autre part, pouvoir y attirer des jeunes qui sont alors certains d'y trouver l'avenir professionnel qu'ils souhaitent. Or les conditions d'exercice ne sont pas suffisamment favorables aujourd'hui.

Le co-DES est probablement la direction vers laquelle il faudrait aller. Des adaptations seront possibles dans le temps mais nous sommes dans un cadre contraint. Nous avons chaque année entre 8 000 et 8 500 étudiants à gérer, qu'ils sortent du deuxième cycle ou qu'ils viennent de l'étranger. Il s'agit d'un effectif fini, le reste ne peut être donné à une spécialité que par le biais de la formation continue, quelles qu'en soient les modalités, professionnels qui complètent leur formation ou qui accèdent à un nouveau champ de compétences par la voie de la validation des acquis de l'expérience (VAE) qui peut être universitaire ou dans la main du conseil national de l'ordre des médecins (Cnom).

Il y a, chaque année, 500 internes en psychiatrie générale, c'est le deuxième effectif derrière la médecine générale. On pourrait envisager de faire un co-DES et de voir combien d'étudiants il faut lui accorder et où on prend cet effectif. Si on le prend dans la psychiatrie, le système à deux branches permet d'avoir, à la sortie, l'effectif que l'on souhaitait. L'option ne permet pas cela. Si on va chercher des postes d'interne dans d'autres spécialités, la difficulté est de taille car les besoins sont immenses et le système s'est un peu verrouillé depuis un certain nombre d'années avec l'arrivée, en fin de carrière, de la génération du baby-boom et de la génération où l'accès à des spécialités était largement ouvert, en particulier par les CES qui sont désormais largement en extinction.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Le constat est assez noir. C'est le serpent qui se mord la queue. Quels sont les obstacles au système du co-DES ? Ne pourrait-on pas imaginer le même système à partir de la pédiatrie ?

Pr Benoît Schlemmer. - La mise en place d'un co-DES est aujourd'hui rendue impossible par la faiblesse des effectifs universitaires, qui fait obstacle à l'application de manière homogène de cette réforme qui est d'application nationale.

De plus, pour faire un co-DES, il faut que les deux spécialités qui le constituent se mettent d'accord entre elles sur les objectifs de métier, les objectifs pédagogiques, les effectifs à allouer à l'une et l'autre des deux branches. On imaginer que dans la vie professionnelle, il y ait ensuite des voies de passage de l'une à l'autre des deux branches.

Pour avoir des enseignants, il faut être en mesure de les attirer et de les accompagner dans leur parcours, ce qui n'est pas simple, eu égard à ce qui est demandé aux universitaires en général. On n'a pas à faire exactement de la même façon pour toutes les spécialités mais il faut une cohérence d'ensemble.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Combien, sur les 500 postes en psychiatrie, sont pourvus ?

Pr Benoît Schlemmer. - Une petite fraction n'est pas pourvue.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment « ré-enchanter » cette filière ?

Pr Daniel Cohen. - Je pense que quand on met en oeuvre une réforme ambitieuse, il faut prendre en compte l'historique. La psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent a toujours été très proche de la psychiatrie des adultes en France. A une époque, il existait un internat de psychiatrie. La discipline est née en se différenciant de la psychiatrie des adultes.

Les Italiens sont neuropsychiatres infanto-juvénile. lls font l'équivalent d'un DES de neuro-pédiatrie et de neuropsychiatrie. Cette situation est rare. Il existe des DES de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent où sont acceptés aussi bien une année en pédiatrie qu'une année en psychiatrie d'adultes. Il existe également ce qui s'apparente à des sur-DES où il faut faire d'abord trois ans de psychiatrie adultes puis deux ans de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Voici les configurations les plus fréquentes dans les pays occidentaux.

M. Yves Daudigny, président. - Il nous a été dit que les arbitrages pour les postes dans les universités étaient en général perdus par les pédopsychiatres.

Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - Pour être attractif, il faut un écosystème : si on met un pédopsychiatre tout seul sans environnement, il ne sera pas heureux.

Mme Laurence Cohen. - Il ne sera surtout pas efficace !

Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - C'était implicite dans mon propos. Il faut que les facultés fassent naître un environnement, ce qui n'est pas possible partout. Il faut donc plutôt raisonner par région, avec des centres de grande taille très bien équipés. Plutôt que d'éparpiller les pédopsychiatres, il en faut peut-être trois sur une zone, avec des équipes autour d'eux.

M. Michel Amiel, rapporteur. - De façon plus globale, ne serait-il pas nécessaire de revenir à un examen à classement régional plutôt qu'à un examen à classement national (ECN), ce qui permettrait de se rapprocher des besoins du territoire ?

Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - J'ai soumis des propositions aux candidats à la présidence de la République en ce sens : selon moi, il faut sortir du tout ECN. Les étudiants, en particulier l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), partagent ce point de vue. Aujourd'hui, l'approche en termes de parcours professionnel des étudiants est privilégiée. Il faut introduire une part régionale dans l'examen.

Mme Laurence Cohen. - Par rapport au DES en « Y », vous dites qu'il faut peut-être mieux le faire en deux temps avec une étape préalable avant d'arriver au double DES. Je suis plutôt favorable à un double DES, qui me semble plus logique. Je pense à l'orthophonie : à Paris par exemple, la formation se déroule à la faculté et à la Pitié Salpetrière mais cela n'est pas possible partout. Ne pourrait-on pas imaginer trois à quatre pôles de formation en pédopsychiatrie ? Je crains que ne pas aller directement sur cette formation fasse perdre du temps et je ne suis pas sûre que nous gagnions plus de professionnels.

Une seconde question relative à la démographie médicale : votre proposition est de supprimer le numerus clausus, ce que j'approuve.

Pr Benoît Schlemmer. - Pour augmenter le nombre de pédopsychiatres, il faut les attirer avec de la recherche, un environnement, etc. Des mesures simples peuvent être prises, par exemple en proposant des postes de chef de clinique ou d'assistant.

Comme la plupart des doyens aujourd'hui, je suis favorable à la suppression du numerus clausus. Nous sommes actuellement dans un moule unique : ne sont formés que des étudiants qui vont passer l'ECN. Or des étudiants veulent être biologistes, d'autres veulent faire de la médecine générale, de la chirurgie. L'indicateur de résultat d'une faculté est son taux de réussite à l'ECN : par exemple, à Dijon, la faculté est bien classée mais tous les étudiants partent ensuite ailleurs. Une fois que l'examen national est réussi, tous les étudiants sont ventilés et choisissent les meilleurs postes et partent dans d'autres régions. Par conséquent, quel est l'intérêt pour Dijon d'être bien classé au taux de réussite à l'ECN ? Il faudrait privilégier un indicateur de résultat portant sur le nombre de professionnels à former sur une région. Un exemple : en Aveyron, il n'y avait plus de médecins généralistes. Une action très forte de la faculté en faveur de la formation, pour augmenter le nombre de maîtres de stage, en collaboration avec les élus, a permis de repeupler le département en médecins. Plutôt qu'une politique portant sur l'installation des médecins, il est possible d'agir par la formation en université, à condition de modifier les indicateurs de résultat des facultés.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Les hôpitaux sont-ils capables d'accueillir un nombre plus important d'étudiants en formation ?

Pour favoriser la profession, une révision de la nomenclature des actes de pédopsychiatrie serait-elle utile ? Une consultation de l'enfant et de sa famille est en effet forcément beaucoup plus longue qu'une consultation de psychiatrie générale.

Pr David Cohen. - Concernant votre seconde question, la réponse était sous-entendue dans la réponse de Benoît Schlemmer. Il est évident que le fait qu'une consultation de pédopsychiatrie soit tarifiée au même niveau qu'une consultation de psychiatrie est très défavorable à la pratique de la pédopsychiatrie. Certaines caisses primaires d'assurance maladie demandent même le remboursement des actes lorsque des collègues font des feuilles de soin pour des entretiens parentaux. En Belgique, où le DES de pédopsychiatrie a été introduit récemment, la tarification a été modifiée en même temps : elle doit être trois fois supérieure à une consultation de psychiatrie, ce qui prend en compte l'écart de temps moyen d'une consultation. C'est un aspect qui compte dans le manque d'attractivité de la profession. Les chiffres du Conseil de l'Ordre ne recensent que les pédopsychiatres exclusifs mais, en pratique, quelques psychiatres généralistes acceptent encore de recevoir des enfants. Mais ils ne le font qu'à la marge car sinon ce n'est pas viable pour eux.

Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - La capacité d'accueil des étudiants dans les hôpitaux constitue un point majeur. Cependant, supprimer le numerus clausus ne veut pas dire supprimer toute régulation ! Parce qu'in fine, le ratio du nombre de médecins, rapporté à la population française, n'est pas si faible. Il y a donc des éléments d'attractivité : dans votre département, Madame Cohen, plusieurs maisons de santé universitaires ont été créées. C'est un lieu d'attraction pour les plus jeunes qui permet de repeupler le territoire.

Mme Laurence Cohen. - La spécificité est que, dans des zones très urbanisées, comme le département du Val-de-Marne, peuvent être crées des maisons de santé universitaires qu'il n'y aura pas dans des départements plus ruraux.

Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - C'est précisément pourquoi c'est au niveau régional que les solutions doivent être définies.

La réforme du troisième cycle n'est pas faite uniquement pour avoir des universitaires, elle est faite pour mettre des médecins auprès d'usagers. Il est important que les internes aient des maîtres de stage en dehors d'un hôpital. C'est le maître de stage, dans le cadre d'une pratique en ville, qui est le moteur d'attraction du plus jeune.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Mais, dans ma région, je constate qu'ils ne se bousculent pas pour devenir maîtres de stage.

Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - Certes. Il y a un levier à activer.

Pr Benoît Schlemmer. - Pourquoi ne fait-on pas tout de suite un co-DES ? Rappelons que nous travaillons sur cette réforme depuis 2009 ; nous sommes désormais dans la dernière ligne droite. Il est donc primordial que cette réforme puisse être lancée, sous couvert de ce qui est prévu en termes de suivi de la réforme et d'adaptation. David Cohen a indiqué qu'il était dommage que l'on fige les choses pour 25 ans : non, nous n'inscrivons pas les choses dans le marbre. Le monde de la formation en santé est extrêmement rigide. L'un des points importants de la réforme est l'introduction de souplesse et d'adaptabilité dans le système car les besoins de santé évoluent considérablement et les exercices professionnels médicaux ne seront plus demain ceux d'aujourd'hui et il faudra que le système de formation s'adapte. Nous devons donc garder en tête l'idée d'un co-DES et essayer, dans le cadre de ce qui est prévu pour le moment - un DES de psychiatrie, avec une option de pédopsychiatrie - essayer de garantir que l'on puisse avoir au minimum les six semestres de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent qui constituent le standard européen. Mais il faut voir cela comme une étape et considérer que les perspectives sont ouvertes : il faut continuer à travailler le sujet car je pense qu'il n'est pas tout à fait mûr.

M. Yves Daudigny, président. - Les quarante-trois autres DES ont-ils également des spécialités ?

Pr Benoît Schlemmer. - Il y a quelques spécialités qui fonctionnent en co-DES : l'anesthésie réanimation et la médecine intensive réanimation qui partagent des éléments de formation et de métier mais qui sont différenciés car les champs de compétences ne sont pas tout à fait identiques. Nous avons également souhaité que la médecine interne, la pathologie infectieuse et l'allergologie partagent un tronc commun de formation car ce sont des formations généralistes qu'il n'est légitime de différencier que secondairement. Pour le reste, les spécialités sont constituées sur la base de leur DES puis, pour un certain nombre de spécialités, s'ajoutent une ou plusieurs options, en nombre limité, car nous n'avons pas voulu l'éclatement du système.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Quelle peut être la place de la télémédecine ? Est-ce que dans une spécialité comme la vôtre, la télémédecine pourrait apporter un élément de réponse ?

Pr David Cohen. - Étant dans un laboratoire de robotique, je connais bien ces sujets. Il y a actuellement une illusion dans l'idée que le numérique pourrait remplacer certains moyens : il faut tout de même un professionnel derrière la télémédecine ! Le problème d'effectif est un problème généralisé. Dans une discipline comme la pédopsychiatrie où les interventions ne sont pas brèves, il est certes possible de donner des avis d'expert par le biais de la télémédecine mais cela ne va pas plus loin. C'est plutôt dans les relations entre les différents niveaux de soins que la télémédecine pourrait avoir sa place afin de réguler un certain nombre de questions - encore faut-il avoir un professionnel de santé disponible à l'autre bout de la ligne ! Mais je ne crois pas que cela sera une réelle solution de remplacement aux problèmes d'effectifs que l'on rencontre.

Pr Benoît Schlemmer. - La télémédecine répond bien à ce que pourraient être des réseaux de prise en charges. C'est peut-être alors plus de la télé-expertise que de la télémédecine : favoriser l'échange entre professionnels médicaux ou non médicaux. C'est probablement un moyen de répondre aux besoins de santé sur l'ensemble du territoire, au-delà du champ de la pédopsychiatrie.

La réunion est close à 17 heures.