Mercredi 22 mai 2019

- Présidence de M. Franck Menonville, président -

La réunion est ouverte à 14 h 15.

Audition de MM. Jean-François Carenco, président, Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique et Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles de la Commission de régulation de l'énergie

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je remercie Jean-François Carenco de participer à cette audition et vous propose pour commencer quelques éléments de contexte. La mission d'information, dont je suis la rapporteure, porte un intérêt tout particulier au défi de la transition énergétique auquel fait face la filière sidérurgique.

D'abord, la question du coût de l'énergie revêt une importance stratégique pour la compétitivité de nombreux secteurs, notamment la sidérurgie. Le directeur général de l'énergie et du climat, que nous avons auditionné, nous a rappelé que le coût complet de l'électricité pour les industriels intègre non seulement le prix de marché, mais aussi les coûts d'acheminement via le réseau de transport et les taxes appliquées aux prix de l'électricité.

Comment a évolué le prix de l'électricité ces dernières années et quelles sont les perspectives pour l'avenir ?

Le secteur de la sidérurgie constitue l'un des secteurs industriels bénéficiant du statut d'électro-intensif, qui ouvre l'accès à plusieurs dispositifs intégrés dans une « boîte à outils » - réduction de tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE), dispositif d'interruptibilité, « compensation carbone ». Certains de ces dispositifs pourraient être remis en cause par la Commission européenne au titre des règles sur les aides d'État. Qu'en est-il ?

Il nous semble que les entreprises doivent pouvoir disposer d'une visibilité à moyen terme sur l'évolution des coûts d'approvisionnement en électricité. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pouvez-vous nous présenter le consortium d'achat à long terme d'électricité « Exeltium » mis en place en 2008 ?

Nous avons également appris que le groupe ArcelorMittal disposait d'un agrément de fournisseur afin de gérer l'approvisionnement de ses sites. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Enfin, les efforts des entreprises de la filière pour réduire leur consommation d'énergie vous semblent-ils à la hauteur ? Quelles pistes devraient être poursuivies en matière d'efficacité énergétique ?

M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie. - Je vous remercie de nous recevoir. Je suis accompagné d'Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles de la CRE et de Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique. Nous sommes une commission indépendante, à la disposition du Gouvernement et du Parlement. En introduction, il est important de rappeler à quel point le monde de l'énergie évolue à une vitesse importante. Le nombre de lieux de production augmente, nous allons vers plusieurs millions de lieux de production d'énergie en France. Ensuite, le système énergétique lui-même évolue : auparavant, l'énergie était fossile, nucléaire, hydraulique ; nous allons désormais vers un système qui inclura l'hydrogène, même s'il n'est pas encore rentable économiquement aujourd'hui, le photovoltaïque, l'hydrolien, l'éolien terrestre, flottant, posé, le gaz, le biogaz et la méthanisation.

Je rappelle également que ceux qui prétendent qu'il faut déployer les énergies renouvelables en France pour limiter les émissions de CO2 se trompent. Nous n'avons pas besoin de lutter contre les émissions de CO2 de notre production d'électricité. Si l'on développe les énergies renouvelables, c'est pour d'autres raisons.

Notre mission est de protéger les consommateurs. Il y a trois niveaux d'analyse : qui sont les consommateurs ? Il y a les consommateurs domestiques et les consommateurs industriels. Parmi les industriels, il y a notamment les électro-intensifs et les hyper électro- intensif (HEI). Lorsque l'on veut protéger les consommateurs, c'est à court, moyen et long termes. Enfin, la protection du consommateur passe par le prix, la sécurité et la qualité des approvisionnements. Le consommateur que nous protégeons s'inscrit dans cette matrice à trois entrées.

Ensuite, nous sommes dans un système énergétique européen. La CRE est nécessairement pro-européenne : nous exportons 15 % de notre énergie. Je rappelle également que la France contribue largement à la baisse des émissions de CO2 dans le secteur énergétique. La réponse à cette mutation du monde énergétique considérable que j'ai évoquée sera l'investissement massif et la flexibilité (interruptibilité, effacement, interconnexion, stockage, réserve de capacité). Si nous n'avions pas l'Europe de l'énergie, nous devrions investir encore plus. Or, nous ne savons plus ni localiser ni financer aujourd'hui ces investissements en raison de leurs coûts. La CRE est extrêmement présente dans les discussions européennes : elle consacre environ 20 ETP à ces sujets.

J'en viens à l'industrie, élément essentiel : il n'y a pas de pays tenu sans création de valeur, et pas de création de valeur sans un système énergétique permettant à ses industries électro- intensives de ne pas être pénalisées par des décisions de prix qui nuiraient à leur compétitivité. La CRE accompagne les industriels, voici un exemple récent : nous avons été aux côtés de l'APE, de la Société Le Nickel, du gouvernement calédonien central, du gouvernement de la province nord pour refaire le système électrique en Nouvelle-Calédonie et faire en sorte que les usines de nickel - celle d'Eramet, qui est partiellement propriété de l'État- puissent exister. Nous avons d'ailleurs envoyé une mission sur place. Notre souci industriel est fort car c'est la source de la prospérité.

J'en arrive à vos questions. Vous nous avez interrogés sur la place qu'occupe le secteur sidérurgique dans la phase III du système d'échange de quotas d'émissions (SEQE) et sur les faiblesses de ce marché.

Nous n'avons pas d'éléments sur la participation directe de la sidérurgie au SEQE. Néanmoins, ce système a un impact indirect sur le prix de l'électricité. Compte tenu de la structure du parc de production européen d'électricité, le prix du CO2 a évidemment un impact important sur le prix de marché de gros de l'électricité européen. Le prix de ce dernier reflète le coût marginal de production des moyens de production thermiques fossiles. Ces moyens sont soumis au SEQE, ainsi leur coût marginal inclut le coût du CO2.

À titre d'illustration, la Commission européenne estime à 0,76 tonne par mégawattheure les émissions de CO2 de l'électricité produite dans la zone de marché comprenant la France (Centre-Ouest européen).

Ainsi, une hausse de 10 euros par tonne de CO2 a un impact de 7,6 euros par mégawattheure sur le prix du marché de gros de l'électricité.

M. Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique. - Ce qui est important dans la compréhension des prix pour les consommateurs en France, c'est que, certes, nous avons un mix électrique français structuré autour d'une part de nucléaire et d'hydraulique très importante - et de moyens renouvelables et thermiques. Le prix du marché, celui auquel s'approvisionnent les électro-intensifs et les aciéries en particulier est le prix européen. Ce prix européen repose sur un mix électrique européen essentiellement dominé par les moyens thermiques : ce que paie aujourd'hui le consommateur industriel est le reflet des prix européens orientés vers le thermique et pas le prix du nucléaire ni le prix de l'hydraulique, ou seulement en partie.

J'ajouterais deux précisions : d'abord, un mécanisme a été mis en place en France, l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH), qui permet de préserver le consommateur industriel d'une augmentation des prix pour une partie de sa consommation. Il paie 42 euros le mégawattheure pour une partie de sa consommation, le reste étant acheté sur le marché. Ensuite, malgré des politiques énergétiques ambitieuses en France mais aussi dans les pays voisins pour développer les énergies renouvelables, pour les 10 prochaines années, le thermique continuera à déterminer le prix de l'électricité en Europe. Même si la France a peu d'énergies thermiques dans sa production, ce sont elles qui déterminent les prix, car ses moyens sont appelés pour répondre à la demande ultime.

Ainsi, l'approvisionnement des consommateurs industriels est directement lié au prix des combustibles, et donc aux tensions internationales et aux problématiques de fluctuations de marché. L'État français a décidé de protéger les consommateurs résidentiels mais aussi les consommateurs industriels de ces effets-prix en introduisant une régulation nucléaire pour faire bénéficier à ces industriels de la compétitivité du parc historique nucléaire d'EDF.

M. Jean-François Carenco. - Vous nous interrogez sur la consommation moyenne d'électricité des entreprises sidérurgiques en kilowattheure par euro de valeur ajoutée. Nous ne disposons pas de ces éléments.

S'agissant des critères de définition de l'électro-intensivité, le caractère d'électro-intensivité d'une entreprise, ou d'un site, dépend du poids de la facture d'électricité dans la valeur ajoutée de l'entreprise, de son degré d'exposition à la concurrence internationale et de son profil de consommation. Dans le cadre des réductions de taxes ou de tarif de transport mises en place en France, un site est dit électro-intensif si sa consommation d'électricité est supérieure à 2,5 kilowattheure par euro de valeur ajoutée. Au-delà de 6 kilowattheure par euro de valeur ajoutée, ce site est dit hyper électro-intensif. Il est considéré que les entreprises hyper électro-intensives sont plutôt soumises à la concurrence mondiale alors que les électro-intensives sont plutôt soumises à une concurrence intra-européenne. Les entreprises sidérurgiques entrent dans la catégorie des électro-intensifs.

Une autre question que vous m'avez adressée est la suivante : les électro-intensifs bénéficient-ils d'offres particulières ou se fournissent-ils aux offres du marché ? Avant l'ouverture du marché de l'électricité, beaucoup d'industriels bénéficiaient de contrats historiques avec EDF à prix bas. Depuis l'ouverture du marché, ils ont la possibilité de s'approvisionner auprès des fournisseurs en offres de marché. La majorité des électro-intensifs ont aujourd'hui des offres de marché.

Néanmoins leurs caractéristiques de consommation leur permettent parfois de négocier des conditions particulières d'approvisionnement. Le consortium d'industriels électro-intensifs « Exeltium » a signé un contrat de long terme avec EDF assurant une stabilité des prix d'une partie de leur approvisionnement en électricité sur 25 ans. Les industriels sont en effet en attente de visibilité quant à la durée des contrats. Dans un autre cadre, l'hyper électro-intensif Trimet, à Saint-Jean-de-Maurienne, a pu négocier avec EDF un contrat d'approvisionnement sur 10 ans.

M. Jean-Pierre Vial. - Nous nous souvenons de la venue d'Emmanuel Macron à Saint-Jean-de-Maurienne, lorsqu'il était ministre de l'Économie.

M. Jean-François Carenco. - Tout ceci a fait l'objet d'une approbation par la Commission européenne, avec laquelle nous travaillons souvent.

M. Christophe Leininger. - « Exelitum » a vu le jour avant l'ARENH. Plus que de prix bas, les industriels sont en demande de visibilité. « Exeltium » visait précisément à mettre en place un prix bas d'approvisionnement sur la durée. Ce contrat s'est trouvé relativement cher - avant d'être renégocié récemment - car la Commission européenne a demandé à ce que les industriels puissent sortir du contrat pendant la durée de celui-ci, pour des raisons concurrentielles et pour ramener le prix du contrat à un prix de marché.

Concrètement, cela signifie qu'avec un contrat de 25 ans, les parties prenantes peuvent sortir du contrat tous les 5 ans. Il s'agit de ne pas enfermer le consommateur dans un contrat de 25 ans et de lui permettre de pouvoir en sortir. Mais les banques ont exigé des taux de remboursement calés non pas sur la durée du contrat mais sur les durées anniversaires de sortie, avec pour conséquence de renchérir ce contrat et donc son prix de vente.

La mise en place de contrats à long terme en France et en Europe est aujourd'hui cruciale pour les électro-intensifs. Nous n'avons pas encore parlé de la « boîte à outils » et de ses effets importants à court et moyen termes, mais leur existence n'est pas forcément pérenne dans la durée. En revanche, les contrats de long terme sont pérennes : nous travaillons donc pour essayer de les mettre en oeuvre. Comme l'a expliqué le Président, un contrat de long terme de 10 ou 15 ans est proposé en Nouvelle-Calédonie, avec un partage des risques entre le producteur d'électricité locale et le consommateur acheteur. Le prix de l'électricité est indexé sur le cours du nickel : quand le cours du nickel est élevé, le profit peut être rendu en partie aux producteurs et quand le cours du nickel est bas, c'est le producteur d'électricité qui fait un effort financier. De tels contrats « gagnant-gagnant » existaient en métropole, mais nettement moins aujourd'hui. Ces sujets peuvent être défendus vis-à-vis de la Commission européenne : l'absence de contrats de long terme n'est pas une fatalité ! Il faut les défendre car ils sont appréciés par les consommateurs.

M. Jean-François Carenco. - J'en viens aux dispositifs de la « boîte à outils », qui démontrent que les électro-intensifs et les hyper-électro-intensifs sont bien traités en France. Pourvu que cela dure ! Le premier dispositif est l'abattement du tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE). La loi pour la transition énergétique et la croissance verte du 18 août 2015 prévoit que les entreprises électro-intensives puissent bénéficier d'une réduction sur le tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE) à compter du 1er janvier 2016. En contrepartie, ces entreprises doivent mettre en oeuvre une politique de performance énergétique. En fonction de la quantité annuelle d'électricité consommée rapportée à la valeur ajoutée, les entreprises concernées peuvent bénéficier d'un abattement pouvant aller jusqu'à 60 % du tarif pour les électro-intensifs et jusqu'à 90 % pour les hyper électro-intensifs. L'abattement concerne les entreprises qui remplissent une des trois conditions suivantes : (i) une durée d'utilisation supérieure ou égale à 7 000 heures et une énergie soutirée sur le réseau excédant 10 gigawattheure ; (ii) un taux d'utilisation en heures creuses supérieur à 44 % et une énergie soutirée sur le réseau excédant 20 gigawattheure ; (iii) un taux d'utilisation en heures creuses supérieur à 40 % et une énergie consommée excédant 500 gigawattheure. Donc, suivant ce que consomme l'entreprise et suivant le réseau sur lequel elle se situe, elle bénéficie d'un abattement plus ou moins important. Il s'agit d'un élément fondamental du soutien aux industries. Il nous faut absolument défendre cette aide à Bruxelles.

M. Jean-Pierre Vial. - L'Allemagne fait mieux que nous !

M. Jean-François Carenco. - Ils sont meilleurs que nous à Bruxelles !

M. Christophe Leininger. - L'Allemagne a été contestée dans son approche de l'exonération des tarifs de réseaux par la Commission européenne, qui est venue enquêter sur ces pratiques. Elle a dû revenir sur le dimensionnement de son soutien.

M. Jean-Pierre Vial. - L'Allemagne était allée jusqu'à 100 % d'abattement ! La Commission a validé leur souhait de descendre l'abattement à 90 % ; la France, vexée, a donc remonté son niveau d'abattement.

M. Christophe Leininger. - En France, jusqu'à une certaine période, aucun dispositif d'abattement n'était prévu s'agissant du TURPE pour diverses raisons - notamment parce que l'on n'appliquait pas les mêmes règles de tarification que pouvait appliquer l'Allemagne. La CRE a décidé d'appliquer un abattement avant même la validation de la Commission, abattement qui a ensuite été confirmé par des textes réglementaires.

C'est pour ces raisons qu'existent des critères qui déterminent l'éligibilité des consommateurs au dispositif. Il faut être vigilant lorsque l'on négocie sur ces sujets : la tentation a pu exister d'opposer les consommateurs allemands et les consommateurs français, mais la vision de la Commission européenne consiste à tenir compte des consommateurs européens. Désormais, la France et l'Allemagne parviennent à mettre en place des dispositifs similaires : c'est le cas de l'abattement de TURPE, de l'interruptibilité et de la « compensation carbone ».

M. Jean-François Carenco. - L'interruptibilité est un dispositif qui permet à RTE d'interrompre instantanément, en moins de 5 ou 30 secondes, la consommation de sites engagés lorsque le fonctionnement normal du réseau public de transport est menacé de manière grave et immédiate.

On pourrait analyser ce dispositif comme étant une contrainte pour les industriels : il n'en est rien, dès lors qu'ils sont volontaires. Les industriels éligibles s'engagent en participant à un appel d'offres annuel. De plus, ils sont rémunérés pour ce faire. Ce dispositif a été activé en vraie grandeur pour la première fois en janvier 2019 et a bien fonctionné. Cela coûte à RTE 90 millions d'euros par an, versés aux entreprises.

M. Jean-Pierre Vial. - C'est une subvention !

M. Jean-François Carenco. - Les subventions sont interdites. Je dirais plutôt que c'est une participation au service de l'intérêt général.

M. Jean-Pierre Vial. - L'Allemagne est allée jusqu'à 100 % d'abattement de TURPE, puis est descendue à 90 % ; la rémunération de l'interruptibilité pour l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne coûte entre 200 millions et 400 millions d'euros, concédés aux entreprises.

M. Jean-François Carenco. - Peut-on monter à 200 millions d'euros ? En tant que responsable de l'équilibre financier de RTE, je me dois de rappeler que cela aurait des répercussions sur les prix, que personne ne veut voir augmenter. Il faut trouver donc trouver le bon équilibre. Félicitons-nous que ce système fonctionne.

M. Jean-Pierre Vial. - L'Allemagne dit clairement qu'elle mène une politique qui ne doit pas être contraire aux enjeux de son industrie, qu'elle entend soutenir.

M. Jean-François Carenco. - La « compensation carbone » constitue la troisième modalité d'aide à l'industrie, La mesure dite de « compensation des coûts indirects » a été introduite par la directive 2009/29/CE. Cette mesure est destinée aux secteurs ou sous-secteurs considérés comme exposés à un risque significatif de fuite de carbone en raison des coûts des quotas liés aux émissions de gaz à effet de serre imputables au SEQE répercutés sur les prix de l'électricité. Mis en place en France pour les années 2015 à 2020, ce dispositif permet de compenser en partie aux industriels éligibles le coût du SEQE incorporé dans le prix de l'électricité. Ce dispositif a été validé par la Commission européenne. Sa pérennité après 2020 nous semble aujourd'hui acquise jusqu'en 2030. Néanmoins les paramètres de définition de son niveau sont actuellement en cours de discussion au niveau de la Commission.

Enfin, le dernier outil est la réduction de « Contribution au service public de l'énergie » (CSPE). Depuis 2016, la TICFE, renommée « Contribution au Service Public de l'Énergie » ou CSPE, a été étendue à l'ensemble des consommations d'électricité, les électro-intensifs bénéficiant toutefois de taux réduits, voire d'exemption. Elle est fixée à 22,5 euros le mégawattheure. C'est désormais un impôt qui constitue une recette du budget général de l'État. Mais sont notamment exonérés : (i) les usages de l'électricité relatifs à des procédés métallurgiques, de réduction chimique, d'électrolyse ; (ii) les entreprises pour lesquelles l'électricité représente plus de la moitié du coût d'un produit ; (iii) la fabrication de produits minéraux non métalliques.

L'ensemble des entreprises électro-intensives bénéficient, par ailleurs, de réductions pouvant ramener le montant de la TICFE/CSPE à 1 euro le mégawattheure voire moins en fonction de l'exposition au risque de fuite de carbone et de montant de la facture d'électricité par rapport à la valeur ajoutée.

Cette quasi-exonération de CSPE est un élément fixe du paysage : il faut veiller à le conserver.

M. Christophe Leininger. - Un jugement récent a constaté que l'ancienne TICFE n'était pas compatible avec les textes européens sur les accises. Cela a conduit à condamner l'État français à rembourser un certain nombre de consommateurs dans le contentieux CSPE. Cette taxe, incompatible avec le droit européen, y compris dans ses modalités d'exonérations, a été révisée et les exonérations prévues par la réforme de 2015 ont été négociées en amont avec la Commission : ce qui a été obtenu est certain et pérenne.

M. Jean-François Carenco. - Nous ne disposons pas des coûts associés à chacun de ces dispositifs. Vous nous demandez si certains de ces dispositifs sont remis en cause par les autorités européennes. L'important reste de discuter avec l'Europe avant, car l'Europe, c'est nous !

M. Christophe Leininger. - Un certain nombre de contrats historiques avec EDF existaient auparavant avec des électro-intensifs au moment de l'ouverture du marché en 2000, voire même un peu avant. Ces contrats à prix compétitifs ont fait l'objet d'enquêtes par la Commission européenne, qui a validé ces contrats. Il n'y a pas de raison que la Commission s'oppose à ce type de contrat de nouveau aujourd'hui.

Les contrats long terme proposés par EDF sur le marché ont été revus non pas parce que la Commission n'aime pas les contrats long terme, mais parce qu'elle considérait qu'ils étaient tous proposés par un seul opérateur, EDF, ce qui fermait le marché. Aujourd'hui, EDF a rempli les objectifs de remise en concurrence. Ce sujet est donc derrière nous, et nous pouvons reprendre nos discussions avec la Commission pour justifier un certain nombre de contrats, dès lors que le consommateur concerné est bien soumis à la concurrence internationale.

M. Jean-Pierre Vial. - Sur le sujet des contrats à long terme, c'était en fait EDF qui était dans le viseur de la Commission ! Aujourd'hui, elle n'a donc plus de suspicions à l'égard d'EDF ?

M. Jean-François Carenco. - C'est EDF qui a des suspicions à l'égard des contrats à long terme !

M. Christophe Leininger. - La Commission n'a jamais eu d'objections sur les contrats de long terme, elle souhaitait qu'EDF rende un certain nombre de clients au marché. Ce type de contrat recouvre deux enjeux : il faut qu'il soit long et qu'il propose un prix intéressant aux consommateurs.

Un contrat de long terme peut voir le jour, mais la question est de savoir si le prix proposé par EDF ou par les fournisseurs alternatifs correspond aux besoins de l'industriel. Tel est l'enjeu.

M. Jean-François Carenco. - Le dispositif de compensation des coûts indirects du carbone est encadré au niveau européen et donc validé par définition.

Les dispositifs français d'interruptibilité et d'abattement du TURPE sont actuellement en cours de discussion avec la Commission. Nous n'avons pas de crainte sur leur remise en question, leur existence et leur principe.

Vous souhaitez savoir si d'autres pays dans l'Union européenne ont des aménagements tarifaires plus conséquents qu'en France en matière de prix de l'électricité, de tarifs d'accès au réseau et de taxes sur l'électricité pour les industries sidérurgiques. Jean-Pierre Vial a susurré la réponse. Des dispositifs similaires existent dans plusieurs pays européens. Les Pays-Bas ou l'Allemagne ont, par exemple, mis en place des abattements du tarif de transport et des dispositifs d'interruptibilité existent en Allemagne, en Espagne ou encore en Italie.

Des contrats de long terme à des horizons très lointains ont été conclus au Canada à des prix avoisinant les 20 euros le mégawattheure.

Il convient de rappeler qu'en France, les industriels en offres de marché bénéficient, pour une part de leur consommation, de l'ARENH comme protection lorsque les prix de marché sont élevés. À ce titre, j'estime que tout éventuel dispositif de régulation de la production nucléaire devra tenir compte de la problématique industrielle. Il appartient aux parlementaires de pousser cette idée-là !

M. Christophe Leininger. - S'agissant de l'ARENH, il y a une combinaison prix-volume.

M. Jean-François Carenco. - Le volume étant fixé par la voie législative et le prix par la voie réglementaire.

M. Christophe Leininger. - Le prix n'a pas évolué : il a été proposé dans un décret par le Gouvernement qui a été retiré puisque la Commission européenne a estimé que la méthodologie proposée pour le calcul du prix ne convenait pas. Le prix est donc resté à 42 euros du mégawattheure. EDF a mis à la disposition de ses concurrents un quart de sa production. Les volumes ont été souscrits et le plafond a été atteint : certains fournisseurs ayant fait une demande d'ARENH n'ont pas obtenu les volumes dont ils avaient besoin et ont, pour l'énergie manquante nécessaire à l'alimentation de leurs clients, acheté l'électricité sur les marchés. Or, ce prix s'élevait à presque 60 euros du mégawattheure.

S'agissant du tarif réglementé, il a été sauvé « in-extremis » par le Conseil d'État.

M. Jean-François Carenco. - Certains d'entre nous se sont battus pour le défendre.

M. Christophe Leininger. - Il doit respecter deux principes : le tarif réglementé doit être stable et il y a un certain nombre de dispositions que nous utilisons dans notre mode de construction qui garantissent cette stabilité ; il doit être contestable : il faut qu'il puisse être concurrencé par des fournisseurs alternatifs.

M. Jean-François Carenco. - Cette jurisprudence du Conseil d'État est constante. Si le tarif ne respecte pas ces deux principes, il sera annulé. La négociation a été compliquée sur le paquet « énergie-climat », laquelle aurait pu aboutir sur une interdiction des tarifs réglementés de vente (TRV). La France a résisté, moyennant quelques concessions, et a obtenu leur maintien. Cela a été un combat gagnant.

M. Martial Bourquin. - Cela a un prix !

M. Jean-François Carenco. - Ce n'est pas le TRV qui a un prix, c'est la manière dont on l'applique !

M. Martial Bourquin. - Les coûts de production seraient responsables d'une hausse de 2,9 % et le reste de l'augmentation serait dû aux marges. La concurrence que nous impose la Commission aurait dû faire baisser les prix, or on s'aperçoit qu'ils augmentent sensiblement. La volonté de libéraliser le secteur de l'énergie a amené un renchérissement des coûts de l'énergie ! Vous comprendrez bien qu'avec la situation actuelle, cela exaspère nos concitoyens : pour un ménage se chauffant à l'électricité, l'augmentation peut aller jusqu'à 150 euros par an !

M. Jean-François Carenco. - C'est l'équivalent d'un paquet de cigarettes par mois !

M. Jean-Claude Tissot. - Certains ne fument pas.

M. Martial Bourquin. - Le niveau de taxation est aussi très important...

M. Jean-François Carenco. - Toute l'Europe est contre nos TRV, mais je l'ai dit, nous avons obtenu leur maintien. Ma mission est d'assurer, par les décisions du collège de la CRE, la durabilité de notre système. J'applique les lois et les jurisprudences du Conseil d'État. Lorsqu'on ne le fait pas, nos décisions sont annulées.

La concurrence fait-elle baisser les prix ? De quelle concurrence parle-t-on ? Du marché de production, du marché de distribution ? Il n'y a presque aucune concurrence sur le marché de production, la concurrence se situe sur le marché de distribution.

Les 2/3 du prix ne sont pas ouverts à la concurrence : 2/3 sont fixés par la CRE sur le TURPE pour le transport et la distribution, le 1/3 restant relève de taxes, fixées par les parlementaires.

La concurrence joue donc sur le tiers restant du prix. Le fournisseur proposant une ristourne de 10 % sur la facture soit vend à perte soit ne vendra pas longtemps, car celle-ci se fera sur les coûts de production, qu'il achète à son concurrent EDF ! Cette idée de faire de la concurrence pour faire baisser les prix est la volonté de Bruxelles. Cela les fait un peu baisser, ne les fait pas monter, mais donne plus d'agilité.

Sans fournisseurs alternatifs, EDF ne se serait pas engagé dans la production massive d'énergies renouvelables. EDF a pris une décision fondamentale en matière de production énergétique : un engagement massif pour produire de l'énergie renouvelable en France. Il faut l'applaudir !

Une révolution se prépare - les compteurs intelligents, en gaz et en électricité, la domotique, les données, etc. Je reste persuadé que ce sont les alternatifs qui font bouger le système. La construction ne se fait pas avec un seul acteur.

M. Fabien Gay. - Et sur le gaz ?

M. Jean-François Carenco. - Vous allez être surpris par la baisse du prix du gaz. Revenons sur la décision de la CRE s'agissant des TRV. Les prix de gros sur le marché ont augmenté. Les alternatifs se sont fournis au prix de l'ARENH - 42 euros le mégawattheure. Le Parlement a limité le volume ARENH à 100 térawattheure. Au-delà, les industriels se fournissent au prix du marché. C'est ce qui est arrivé cette année pour la première fois depuis que l'ARENH existe.

Nous avions donc deux solutions pour les fournitures hors ARENH : soit ces entreprises achetaient ce qui leur manquait sur le marché spot, soit l'on prenait la moyenne des prix du marché des deux dernières années. Or, il y avait un besoin immédiat de couverture de l'ensemble des fournisseurs, nous avons donc opté pour le prix du marché spot.

Qui est gagnant ? EDF, mais pas les fournisseurs alternatifs. EDF vend dans ce cas au prix du marché ce qu'il produit au prix de l'ARENH. On aurait pu m'accuser de faire un cadeau à EDF, mais pas aux fournisseurs alternatifs.

Est-ce juste l'effet de la concurrence ? Je pense que c'est une analyse erronée, mais je peux me tromper. Nous attendrons la décision du Conseil d'État si cette décision devait être contestée devant lui.

Est-ce que le système de l'ARENH est pertinent pour l'avenir ? Compte tenu d'un certain nombre d'éléments - de la crise en Iran, de la crise dans le Golfe -, le prix du marché devrait monter. La réponse est donc non. Le Ministre de la transition écologique et solidaire a indiqué qu'il fallait refonder le système de l'ARENH, et que la CRE travaillait pour l'y aider.

La moyenne des prix en Europe est de 200 euros le mégawattheure ce jour, en France elle est de 70 et en Allemagne de 300.

M. Fabien Gay. - M. le président, je suis en désaccord avec vous. Vous défendez une vision politique, qui est contestable. Je ne souscris pas à des mots que vous avez employés, notamment quand vous comparez l'augmentation du prix de l'électricité au coût d'un paquet de cigarettes. Pour beaucoup de nos concitoyens, dix euros par mois sont considérables. Vous le savez, 12 millions de Français sont en précarité énergétique. Un certain nombre de nos concitoyens arrête le chauffage car ils n'ont plus les moyens de payer leur facture.

Depuis vingt ans, nous entendons que l'ouverture à la concurrence, la libéralisation, puis les privatisations d'entreprises publiques feront baisser les prix du marché. En réalité, dans le secteur de l'énergie comme dans d'autres, la facture augmente. Le prix du gaz a augmenté de 70 % ces dix dernières années ! Dans le même temps, Engie, une ex-entreprise publique, verse 27 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires.

Nous avions une entreprise publique, aux missions de service public, dont les profits bénéficiaient à la société. Ces bénéfices servent désormais des intérêts privés. Or, l'énergie est un bien commun de l'humanité, tout le monde devrait y avoir accès.

M. Jean-François Carenco. - Certains de nos concitoyens sont en précarité énergétique, et il existe une question de pouvoir d'achat. Je souhaite faire trois remarques : une grande part de vos inquiétudes relève du pouvoir politique, pas de la CRE. Mon analyse est que cela ne profite pas aux entreprises privées. Sur le secteur énergétique, ces entreprises ne gagnent pas d'argent. Ce sont plutôt l'État et les entreprises publiques qui sont gagnants. Enfin, lorsqu'une problématique se pose, la réponse est toujours de proposer une baisse des taxes. Je n'y souscris pas, mais cela ne relève pas de la CRE.

M. Martial Bourquin. - Plus le prix augmente, plus les taxes augmentent !

M. Jean-François Carenco. - Sur le même principe que la TVA !

Mme Angèle Préville. - J'ai travaillé sur le stockage électricité dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : vous avez dit que la concurrence nous permet d'être plus agiles. Je comprends que faire entrer la production d'énergies renouvelables dans notre mix énergétique est en réalité facilité par l'interconnexion que nous avons au sein du système européen. C `est donc l'ouverture au marché qui a permis cette flexibilité ?

M. Christophe Leininger. - Vous avez fait un bon diagnostic de la situation. Ce sont les opérateurs plus récents sur le marché - ils sont 70 aujourd'hui - qui apportent de nouveaux moyens de flexibilité. Dans un contexte concurrentiel, dès lors qu'ils ne peuvent pas se démarquer sur le prix, ils tentent de se démarquer sur le service.

M. Jean-Pierre Vial. - Nous allons visiter Trimet avec Mme la rapporteure la semaine prochaine, au cours d'un déplacement qui sera consacré aux questions d'efficacité et de flexibilité.

Vous avez pris vos fonctions à la CRE quand celle-ci allait commencer à déterminer les règles des appels d'offres. La définition de ces règles a ensuite été transférée au niveau du ministère.

La redevance capacitaire rapporte plus d'un milliard d'euros : les industriels électro-intensifs payent la redevance capacitaire !

M. Christophe Leininger. - Mais ils ont l'interruptibilité.

M. Jean-Pierre Vial. - L'interruptibilité ne concerne qu'une petite dizaine d'entre eux ! Les électro-intensifs dont je parle ne bénéficient pas de l'interruptibilité, alors qu'ils souhaitent participer à la flexibilité.

À la sortie de l'hiver 2016-2017, le ministre de l'Industrie est venu remercier les industriels qui se sont effacés durant l'hiver. Mme Brune Poirson était en Savoie au début de l'année 2017 : elle se trouve devant les industriels qui ont « effacé » leur consommation la veille. Ce même jour, la France active les centrales au charbon et les industriels qui ne demanderaient qu'à pouvoir effacer leur consommation n'y sont pas autorisés !

Nous n'avons cessé de régresser depuis 5 ans sur ce sujet, nous réduisons les volumes d'effacement alors que les industriels ne demandent qu'à pouvoir faire de l'effacement.

M. Jean-François Carenco. - Je crois beaucoup à l'effacement. RTE vient de relancer l'appel d'offres, il faut que les industriels s'en servent davantage car cela fait partie globalement des moyens d'équilibre du système et des flexibilités.

M. Jean-Pierre Vial. - Mais il faut rémunérer les industriels !

M. Christophe Leininger. - Le Gouvernement a aussi à l'esprit qu'une partie de ces effacements n'en sont pas vraiment : les diésel démarrent à l'automne ...

M. Jean-Pierre Vial. - C'est un discours pour tuer l'effacement des industriels !

M. Christophe Leininger. - Ce n'est pas un discours, c'est un fait. Mais pourquoi pas ... Auparavant, les entreprises n'arrêtaient pas leur process, mais démarraient un groupe électrogène. C'était une autre source d'alimentation qu'ils avaient payée eux-mêmes.

La puissance publique considère qu'aujourd'hui, le développement des effacements ne saurait consister à remplacer un effacement par l'énergie d'un moteur diésel. C'est la raison pour laquelle l'effacement ne prospère pas.

M. Franck Menonville, président. - Nous devons conclure.

Mme Valérie Létard. - Nous vous remercions pour la qualité de vos explications. Quelles préconisations feriez-vous pour accompagner et consolider l'avenir des acteurs sidérurgiques et les inciter à rester en France et en Europe ?

M. Jean-François Carenco. - Il est « minuit moins le quart » pour sauver notre industrie. D'abord un pays qui ne crée pas de valeur est un pays mort. Je pense qu'il pourrait être utile d'avoir une TVA spécifique sur les électro- intensifs : cela relève d'une décision européenne, mais peut partir d'une initiative parlementaire.

Deuxièmement, je pense qu'il faut engager une discussion avec EDF sur les contrats à long terme. EDF doit être un acteur majeur du contrat à long terme pour un certain nombre d'industriels qui créent de la valeur.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Table ronde sur la filière aval en présence de la Fédération Française du Bâtiment, de la Fédération des Industries Ferroviaires et de Siemens Gamesa

M. Franck Menonville, président. - Mes chers collègues, cet après-midi se tient la première table ronde de notre mission d'information, dédiée aux filières situées en aval de la sidérurgie. À cette occasion, nous accueillons M. Franck Perraud, président de l'Union des métalliers de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), accompagné de M. Benoît Vanstavel, Directeur des relations institutionnelles ; M. Frédéric Petit, Directeur Business Development Wind Power de Siemens Gamesa Renewable Energy SAS ; M. Jérôme Duchange, Conseiller Industriel de la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF).

L'objectif de cette table ronde est de donner la parole aux principaux consommateurs d'acier. En effet, la sidérurgie se trouve à la base de toute une industrie aval, qui rassemble aussi bien la construction, les transports, les machines, l'automobile, que de nouveaux usages particulièrement utiles à la transition écologique comme l'éolien.

Je laisse maintenant la parole à la Rapporteure de la mission, Mme Valérie Létard, qui va vous poser quelques questions.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Se pencher sur l'avenir de la sidérurgie, c'est aussi se pencher sur l'évolution des usages de l'acier. En France, l'acier est au fondement de nombreuses chaînes de valeur, de nombreuses industries de poids dans notre économie.

Selon les chiffres de Worldsteel, ce sont près de 25 millions de tonnes d'acier qui seraient consommées chaque année en France. Toutefois, sur ces 25 millions de tonnes consommées, plus de 15 millions de tonnes d'acier ont été importées depuis l'étranger en 2017 : la France importe donc presque autant d'acier qu'elle en produit sur son territoire.

Ma première question vise donc à faire le point sur les besoins en acier de l'industrie française : vos secteurs respectifs réussissent-ils à trouver en France l'approvisionnement en acier dont ils ont besoin ? Sinon, comment les sidérurgistes français pourraient-ils selon vous mieux y répondre ?

Ensuite, nous avons entendu lors de nos nombreuses auditions que les besoins et les usages de l'acier évoluent très rapidement. 40 % des nuances d'acier produites aujourd'hui n'existaient pas il y a 40 ans. Comment anticipez-vous l'évolution de vos besoins en acier dans les prochaines décennies ? Quelles innovations seront nécessaires et comment adapter les produits sidérurgiques en conséquence ?

Nous souhaitions également vous interroger sur l'impact des tensions commerciales actuelles sur votre approvisionnement. Les mesures de sauvegarde provisoires instaurées par l'Union européenne en réponse aux droits de douanes américains ont-elles rendu plus difficile votre accès à l'acier ? Quelle est votre position vis-à-vis de la politique de défense commerciale européenne ?

Enfin, existe-t-il des instances de dialogue entre vos secteurs respectifs et la filière sidérurgique, afin d'échanger autour de ces questions d'approvisionnement en acier ? Travaillez-vous ensemble sur ces perspectives d'avenir ?

Messieurs, je vous cède sans plus tarder la parole pour un propos liminaire d'une dizaine à une quinzaine de minutes chacun, puis mes collègues vous poseront une série de questions.

M. Jérôme Duchange, Conseiller Industriel de la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF). - Actuellement conseiller industriel à la Fédération des industries ferroviaires, j'ai pendant 7 ans dirigé la société Valdunes, qui fabrique des roues et essieux ferroviaires. Elle est donc un consommateur d'acier important. Elle faisait partie du groupe Ascométal, il y a de nombreuses années.

Permettez-moi de vous présenter la Fédération des industries ferroviaires. Elle est présidée par M. Louis Nègre, l'un de vos anciens collègues. Le délégué général est M. Jean-Pierre Audoux qui n'a pas pu être présent aujourd'hui. La Fédération des industries ferroviaires regroupe environ 300 entreprises en France. Le ferroviaire représente 4 milliards d'euros de chiffres d'affaires en France. C'est un secteur qui est à la fois important et stratégique, mais en même temps qui n'est pas un poids lourd économique par rapport à d'autres secteurs comme l'aéronautique, l'automobile. Il faut en être conscient. Le nombre d'emplois est cependant conséquent.

Les opérateurs - SNCF, RATP,... - ne font pas partie de la Fédération, qui a un caractère industriel. Les membres sont les constructeurs - Alstom, Bombardier, Siemens - les équipementiers, tous les fournisseurs et sous-traitants de la filière. Il y a également des clusters régionaux qui regroupent un certain nombre d'adhérents - environ le même nombre - dans les Hauts-de-France l'AIF, Mécateam, Neopolia et autres. Le ferroviaire est très largement concentré dans les Hauts-de-France. Les chiffres varient, mais on estime entre 40 et 50 % la part de l'activité ferroviaire réalisée dans cette région. Ce n'est pas un hasard. Le ferroviaire s'est installé dans les zones sidérurgiques.

Beaucoup d'entreprises dans le domaine ferroviaire sont de très petites entreprises et plutôt des TPE et des PME. Nous manquons d'ETI. C'est un constat général en France, par rapport à l'Allemagne notamment. Au final, il y a quelques grands groupes et un faisceau de très petites entreprises.

L'acier joue un rôle assez crucial dans le ferroviaire. Les principales applications sont les suivantes : le rail est probablement le premier consommateur d'acier. La roue et les essieux sont d'autres consommateurs importants pour les aciers spéciaux, et les aciers dits « longs ». Enfin, les caisses des voitures et des wagons utilisent l'acier, tout comme un nombre important de composants : moteurs, roulement à billes, boîte de roulement, ... De très nombreuses pièces en acier sont présentes dans le ferroviaire.

Notre particularité est le haut degré de besoins techniques de qualité et de sécurité. Cela amène à dire qu'aujourd'hui en France, nous avons un vrai problème de source pour les aciers spéciaux. L'actualité fait que l'on parle de British Steel et d'Ascoval : pour le rail, British Steel coule son acier en Angleterre, puis l'envoie à Hayange où il est laminé pour produire les rails. British Steel vient se déclarer en cessation de paiements en Angleterre. Ascoval était l'une des parties d'Ascométal capable de fabriquer ces aciers spéciaux. Au-delà de l'aspect médiatique et de ressources humaines pour les 280 personnes qui y travaillent, il y a une dimension stratégique : être capable de produire ces aciers spéciaux. Aujourd'hui, environ 350 000 tonnes de rails sont fabriqués en Angleterre, soit 1 400 tonnes par jour, qui transitent par le tunnel sous la Manche pour être laminées à Hayange. British Steel essaye de maintenir ses engagements et de reprendre la partie française en dépit de ses difficultés anglaises. C'est un sujet complexe, qui illustre les difficultés de la filière en France.

Mon deuxième focus concerne Valdunes. Pour les roues et les essieux, Valdunes fournissait Ascométal. Valdunes était à l'origine Creusot Loire puis Usinor, à l'époque où la sidérurgie allait jusqu'à la partie aval et produisait les produits finaux : roues, essieux, rails. Valdunes a été séparée de l'entité-mère, mais est restée très proche d'Ascométal : l'un de ses deux sites industriels est à Dunkerque dans l'usine des Dunes d'Ascométal, l'autre à Valenciennes - Trith-Saint-Léger. La déconfiture d'Ascométal a été un choc important pour la société. Il y a une dépendance réelle. Le repreneur d'Ascométal - le groupe Schmolz + Bickenbach - qui a repris les autres sites d'Ascométal hors Ascoval, ne souhaite pas continuer à produire de l'acier pour le ferroviaire, sauf pour une partie essieux. Aujourd'hui, une société comme Valdunes consomme 50 000 tonnes par an d'aciers très spéciaux et est obligée de s'approvisionner dans d'autres pays européens et en Chine. C'est dommageable économiquement pour la vision européenne. D'autre part, nous avons perdu l'avantage concurrentiel d'une sidérurgie française autrefois puissante avec un très haut niveau de qualité et un retour d'expérience.

Il n'y a pas aujourd'hui de problème de source, même pour les aciers spéciaux. En revanche, il n'existe que seulement une dizaine ou quinzaine d'aciéristes au monde capables de produire les aciers ayant les qualités nécessaires. Certains sont localisés dans des pays asiatiques ou en Russie : ce ne sont pas forcément des marchés ouverts et qui échangent régulièrement avec nos industries. Ce sont également des pays qui ont tendance à ne pas exporter lorsque leur marché intérieur se porte bien, et au contraire exportent à n'importe quel prix lorsque leur marché intérieur ralentit. C'est une difficulté de sourcing. Enfin, dans le secteur ferroviaire, peut-être plus que dans d'autres, on rencontre des qualifications et des normes très rigoureuses. Pour qualifier une nouvelle source d'acier, pour vendre des roues ou des rails, il faut un délai entre un et deux ans. Cela n'est pas neutre sur un certain nombre de produits stratégiques, lorsqu'il faut changer de source.

M. Franck Perraud, président de l'Union des métalliers de la Fédération Française du Bâtiment (FFB). - Je représente la Fédération française du bâtiment, soit 50 000 entreprises, dont 35 000 de taille artisanale, totalisant environ les deux tiers des 126 milliards d'euros de chiffres d'affaires du bâtiment et les deux tiers de l'effectif - celui-ci est en baisse et atteint désormais 1,1 million de personnes.

Les besoins des entreprises sont liés de très près au nombre de logements et de bâtiments en construction. Dans notre dernière étude de prospective, nous constatons une amorce de baisse du nombre de logements commencée en 2019 et qui va se poursuivre. Pour le « hors logement », c'est-à-dire les bâtiments industriels, nous sommes encore sur une bonne tendance, notamment grâce aux entrepôts. Toutefois, on anticipe une baisse en 2020. Enfin, il y a une partie dédiée à la rénovation et entretien, qui pèse très lourd dans notre secteur avec 55 % de celui-ci. Compte-tenu des allers-retours en matière d'incitations fiscales pour le développement durable, il y a beaucoup d'hésitations aujourd'hui. Ce relais traditionnel de croissance de 1,2 % environ est limité aujourd'hui à 0,3 ou 0,4 %. La consommation d'acier est en grande partie facteur du volume de bâtiments que l'on peut réaliser.

Selon A3M (l'Alliance des minerais, minéraux et métaux), la construction représente 43 % de la consommation des métaux en France, contre 51 % dans le monde. Je reviendrai sur cet écart. Sur ces 43 %, le plus fort contingent, et de loin, est constitué de 2 millions de tonnes de produits à béton - les fers à béton notamment. 600 000 tonnes d'acier sont consommées pour les poutrelles et par la filière charpente métallique et acier, 400 000 tonnes par les produis laminés et les profilés à froid, 600 000 tonnes par l'enveloppe métallique - couverture, bardage - 400 000 tonnes par les produits plats, et 300 000 tonnes par les tubes. Ainsi, la vision habituelle de l'acier dans le bâtiment ne correspond pas à la réalité : 60 % de la consommation de l'acier est liée au béton.

L'écart de consommation de l'acier en France par rapport au reste du monde s'explique par le fait que la construction métallique, en tant que telle, n'est pas intégrée à la culture française qui demeure très liée au béton et au bois. Énormément d'ouvrages pour lequel l'acier serait le matériau le plus approprié par ses vertus de portée, de légèreté sont construits avec d'autres matériaux, comme les gares et aéroports où le béton est encore utilisé. Cela contraste avec ce qui peut se faire dans le monde. Cela peut aussi être dû à une image, à une filière, que nous n'avons pas su défendre, notamment en lien avec le développement durable, la mixité d'usage. On parle beaucoup de l'évolution des bâtiments comme les immeubles de bureaux qui deviennent des logements par exemple. Souvent, nos politiques, nos maires, ou présidents de communautés de communes ne connaissent pas toutes les qualités de l'acier. Des actions sont actuellement menées pour faire connaître toutes les possibilités offertes par l'acier. Le marché est ainsi très lié au nombre de logements. On pourrait gagner quelques parts de marché en mettant mieux en avant la filière.

Nous ne travaillons pas directement avec les aciéristes, mais avec des distributeurs lesquels sont désormais des filiales de sidérurgistes : ArcelorMittal Distribution, Duferco pour les Italiens. Ce sont souvent de petites PME locales qui distribuent l'acier.

Nous ne rencontrons pas de problèmes majeurs d'approvisionnement et même s'il arrive que certaines années, l'on puisse manquer de certains produits, ce n'est pas un sujet majeur.

En revanche, la volatilité des prix nous pose des problèmes importants. Nous en souffrons énormément à tous les niveaux. Dans le bâtiment, nous nous engageons sur des appels d'offres publics ou privés sur une durée de dix-huit mois. Or, contrairement à l'industrie, nous n'avons que très rarement la possibilité de révision des prix des contrats. C'est un frein que nous pouvons avoir sur certains projets notamment ceux envisagés trois ans auparavant. Nous assistons à des aberrations, lorsque l'acier représente une part importante dans le prix de vente.

La presse d'hier faisait référence à des pénuries au Brésil et en Australie. Le prix de la ferraille est actuellement très élevé. Personne n'est capable de nous dire combien nous allons payer l'acier dans un mois ou un mois et demi. Nous sommes très liés à un marché mondial. C'est un vrai problème de rentabilité pour nos entreprises. Nous sommes incapables de savoir combien nous allons acheter notre acier sept ou huit mois plus tard. Or, nous n'avons pas la possibilité de le stocker. Il faut avoir fait l'étude de construction, avant de commander tel ou tel type de poutrelle ou d'acier.

Pour le moment, l'acier consommé dans la construction utilise des nuances de très bas de gamme. Les aciéristes essayent de nous pousser vers des aciers aux performances plus élevées, ce qui est une bonne chose. Mais, le marché n'est pas mûr. Il faut revoir toute la filière, afin qu'elle travaille et se forme pour l'utilisation d'acier à plus haute performance et moins consommateur. On sait que l'on va y arriver, mais pour le moment, ce n'est pas un sujet à court terme, mais à cinq ou dix ans, et, d'ici là, la filière continue à acheter des produits courants.

Une deuxième évolution est le renforcement du besoin de traçabilité exacte de notre acier. Si sur les poutrelles, il existe des marquages CE et des obligations de traçabilité de l'acier, qui permettent d'identifier la provenance - d'ailleurs, les sidérurgistes facturent cette information-, sur les produits courants - des plats, des tôles -, en revanche, nous avons encore du mal à identifier la provenance du bain dans lequel l'acier a été fabriqué. Il y a encore un effort à faire.

Nous n'avons pas beaucoup de relations avec les fournisseurs. Nous avons mis en place l'association « ConstruirAcier », avec les sidérurgistes, les producteurs, les distributeurs, afin de faire la promotion de l'acier. Toutefois, les moyens ne sont pas conséquents. Enfin, la FFB a mis en place une cellule de veille avec la Fédération Française de l'Acier, les distributeurs de matériaux, où l'on essaye de prévoir une tendance à un, deux, trois et six mois des évolutions du marché. Cela fonctionne bien à l'horizon de un mois, mais au-delà, c'est beaucoup plus difficile.

M. Frédéric Petit, Directeur Business Development Wind Power de Siemens Gamesa Renewable Energy SAS. - J'interviens aujourd'hui au nom de la société Siemens Gamesa. Toutefois, dans mon propos, j'essayerai de vous apporter des éclairages sur l'ensemble de la filière éolienne. Siemens Gamesa résulte de la fusion en avril 2017 de la division Wind Power de Siemens avec Gamesa, afin de créer le leader de la conception, de la fabrication et de la maintenance d'éoliennes terrestres et maritimes. Le groupe emploie 23 000 personnes dans le monde, dans 43 pays. Le siège est en Espagne. Le chiffre d'affaires est de 9 milliards d'euros. La base installée d'éoliennes est supérieure à 90 000 mégawatts.

Pour la France, nous avons installé 1 600 mégawatts sur tout le territoire où le vent peut être utilisé comme source d'énergie, avec une vingtaine de bases de maintenance. Pour l'éolien maritime, nous sommes sélectionnés sur cinq projets : Saint-Brieuc avec la société Ailes marines, les projets de Dieppe, le Tréport et de Noirmoutier dont l'un des actionnaires est ENGIE. Depuis peu, nous sommes retenus pour deux projets par Éolien maritime France et WPD.

Par ailleurs, pour l'éolien maritime flottant, nous avons un projet innovant avec EDF Renouvelables, au large de Fos-sur-mer, dans le cadre des démonstrateurs flottants mis en place par l'ADEME. Nous sommes en train de développer un projet industriel ambitieux au Havre, pour améliorer les cinq projets maritimes que nous avons dans notre portefeuille, qui va générer 750 emplois.

Nous sommes membres de deux associations en France : France Énergie Éolienne, et le Syndicat des énergies renouvelables.

Le marché de l'éolien est plus récent que le ferroviaire, mais il est dynamique avec une croissance annuelle de 5 % dans le monde, tandis que celle de l'éolien maritime est supérieure à 10 %, même si ce marché est plus petit. Le marché mondial de l'énergie éolienne  représente environ 50 gigawatts dont 4 gigawatts proviennent de l'éolien maritime.

Ce qui nous intéresse en tant que turbinier, c'est l'acier plat. Le groupe achète 800 000 tonnes d'acier plat au niveau mondial, dont un quart pour les parcs européens. Nous avons conclu un accord-cadre avec ArcelorMittal qui nous fournit 60 % des aciers dont nous avons besoin en Europe, depuis son usine espagnole à Gijón. Pour les 40 % restants, l'acier peut provenir de Russie ou d'autres pays. Globalement, nous ne nous fournissons pas ou très peu en France.

L'acier, et principalement l'acier plat, représente entre 50 et 90 % de la matière d'une éolienne. On retrouve de l'acier sous des formes diverses dans la génératrice, le transformateur, le roulement comme pour le ferroviaire. Le gros du volume reste de l'acier plat pour les tours, que l'on appelle aussi les mâts.

Une tour d'une éolienne terrestre typique en France, produisant de l'ordre de 2,5 mégawatts, pèse 180 tonnes pour une hauteur de 90 mètres. Pour une éolienne off-shore, dont la production électrique est de l'ordre de 8 mégawatts, le poids avoisine 800 tonnes. Sur l'éolien terrestre, les besoins complémentaires sont surtout du béton pour les fondations, tandis que pour l'éolien maritime, ils concernent l'acier. Il existe deux types de fondation pour les éoliennes maritimes : le monopieu ou la « jacket ». Cette dernière ressemble à un treillis, un peu comme la Tour Eiffel. Un monopieu pèse environ 900 tonnes et utilise principalement de l'acier plat, roulé et soudé. Au niveau européen, 400 éoliennes maritimes sont installées, pour une production de 3 000 mégawatts. 66% des éoliennes en mer ont été installées sur base de monopieu, et 33% avec de la « jacket ». Les pieds sont en acier plat et le treillis est un tube en acier sans soudure. Une jacket pèse environ 1 200 tonnes. Sur ces fondations, on trouve des acteurs comme Naventia, Dillinger, Smeulders, EEW. Vous trouverez tous ces noms dans le rapport de WindEurope.

Il faut ajouter, dans l'éolien maritime, une petite pièce jaune, appelée pièce de transition, entre la fondation et l'éolienne, qui pèse environ une centaine de tonnes. Pour finir, nous avons une plateforme de raccordement en mer. Les chantiers de l'Atlantique ont fourni au moins trois parcs. L'acier plat de type quarto est utilisé pour le raidissement de la structure. Des tubes sont présents pour la reprise des charges et des épaisseurs fines pour les cloisons. De manière générale, les turbiniers font appel à de grands groupes pour nous fournir de l'acier. La transformation de celui-ci est réalisée par des ETI pour finir de le rouler, le souder, installer les monte-charges dans les éoliennes, ...

En termes de qualité d'acier, l'évolution est faible. Elle est liée à une croissance des besoins en termes de volume et de tonnage. L'éolien en exige des épaisseurs toujours plus grandes, de l'acier toujours plus résistant.

Enfin, en tant que turbinier, il est important de proposer une énergie éolienne toujours plus compétitive, en termes de prix de l'énergie. L'éolien terrestre a démontré sa compétitivité. Le dernier appel d'offres pour l'éolien terrestre a été attribué à un niveau de prix avoisinant les 65 euros du mégawattheure. L'éolien maritime est une source d'énergie qui a démontré sa compétitivité partout en Europe. J'en veux pour preuve le dernier appel d'offres attribué au Pays-Bas sans aucun soutien public, pour un parc de 700 mégawatts. Nous sommes convaincus que l'appel d'offres de Dunkerque, en cours d'instruction par la Commission de régulation de l'électricité (CRE), et qui devrait être attribué par le ministre, démontrera la compétitivité de cette énergie.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Le calendrier est-il connu ?

M. Frédéric Petit. - Nous espérons qu'en juin le ministre sera en mesure d'attribuer le parc. Nous sommes convaincus que cet appel d'offres va démontrer la compétitivité de l'éolien en mer. Nous allons pouvoir allier compétitivité et création d'un nouvel outil industriel en France. Pour nous, la France métropolitaine, qui bénéficie du deuxième gisement européen, dispose de tous les atours pour bénéficier d'une énergie compétitive, créatrice d'emploi en France avec des coûts de démantèlements maîtrisés et maîtrisables. Enfin, la compétitivité bénéficie également au consommateur. L'éolien permet un mix énergétique dans lequel l'électricité est peu onéreux pour le consommateur.

M. Marc Laménie. - Nous sommes au coeur de l'activité économique, de l'emploi et des entreprises. M. Duchange a rappelé que les 50 000 entreprises de la filière dont une majorité des petites entreprises. Nous sommes tous concernés dans nos départements.

Je m'intéresse beaucoup au ferroviaire. Lorsque l'on construit une ligne TGV, ou que l'on refait des rails sur une ligne de moindre importance, l'interlocuteur est SNCF Réseau. Cela demande une grande organisation. Vous avez cité la présence de 300 entreprises dans le secteur ferroviaire.

M. Jérôme Duchange. - Je me suis mal exprimé : nous avons 300 adhérents à la fédération. Il y a 1300 entreprises qui travaillent dans le ferroviaire. Certaines entreprises sont multi-activités.

M. Marc Laménie. - Ma question concerne le nombre d'emplois que cela représente et la pérennité de ceux-ci. Je me doute que la concurrence hors France est importante. Les constructeurs de voitures et locomotives ont des partenariats avec les régions, l'État et les collectivités de manière générale. Quel devenir pour ces emplois ? La sous-traitance, importante dans ce secteur, ne doit pas être oubliée. Ainsi, dans les Ardennes, certaines petites entreprises font de la sous-traitance pour de grands groupes ferroviaires. Enfin, nous sommes tributaires des financements et des donneurs d'ordre que sont SNCF Réseau, le groupe SNCF et d'autres futurs acteurs, avec l'ouverture de la concurrence.

Mme Angèle Préville. - Vous nous savez signalé qu'il n'y avait pas ou très peu d'acier acheté en France. Je sais que la production d'énergie est dédiée au privé. N'y a-t-il pas quelque chose de paradoxal d'installer des éoliennes en France pour la fabrication desquelles pas ou très peu d'acier est acheté dans notre pays ?

M. Jean-Claude Tissot. - En matière de traçabilité des aciers, vous avez indiqué, avoir de la peine à trouver un acier « tracé » dans le secteur du bâtiment. Est-ce dû à l'absence d'offre, ou parce que ce marché ne garantit pas la traçabilité dans sa fourniture de matériau ?

Je me pose la même question pour l'éolien. Lorsque l'on voit ces grands mâts, on n'imagine pas la partie enfouie qui est nécessaire. Le tonnage des fers à béton enfoui doit représenter un poids considérable. Disposez-vous d'une traçabilité vous permettant d'être sûr que l'acier est solide et que l'éolienne ne risque pas de tomber ?

Par ailleurs, êtes-vous capable de nous dire que l'acier acheté est français, que l'éolienne est fabriquée en circuit court ? Nous essayons, en tant que parlementaires français, d'imaginer la sidérurgie pour les années à venir. Nous nous bagarrons pour vous permettre d'installer des éoliennes. Mais si vous faites venir l'acier du bout du monde, cela va être moins intéressant pour l'économie française.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - M. Petit, vous avez expliqué qu'Arcelor fournit 60 % de l'acier dont vous avez besoin depuis son usine espagnole pour des marchés qui sont réalisés en France. Pourquoi ne pas choisir des aciers français ? Est-ce par ce que l'on ne trouve pas sur les marchés français des aciers d'une qualité équivalente ? Qu'est-ce qui motive ce choix ? Cela nous intéresse de comprendre la logique.

Vous avez évoqué la question des assemblages réalisées par des ETI. Quelles sont ces ETI ? Où sont-elles situées ? Ce point est important en matière d'impact sur l'emploi que peut avoir le lancement de marchés publics visant l'installation de parcs éoliens.

Vous avez indiqué qu'il y a un manque de visibilité des prix de l'acier. En revanche, vous n'avez pas évoqué la question des tensions commerciales et leur éventuel impact sur les prix de vente. Ces tensions vous impactent-elles ?

On pourrait imaginer que l'ensemble des secteurs ayant recours à l'acier réunis et organisés au sein d'une même association ou groupe pèse d'un poids particulier, et dispose du poids nécessaire pour négocier, d'où ma question sur l'une organisation particulière de la filière.

Enfin, vous avez évoqué l'augmentation du prix de la ferraille et le fait que les aciéristes produisaient vers des aciers plus performants. Cette montée en gamme n'induit-elle pas de réorganiser la filière ? Des certifications pourraient-elles être un rempart à ce manque de visibilité sur la traçabilité d'un certain nombre d'aciers ? Ce rempart pourrait être vertueux, car il permet de renforcer la qualité et prend en compte les enjeux environnementaux.

M. Frédéric Petit. - L'association France Énergie Éolienne compte plus de 300 adhérents. L'éolien représente plus de 17 000 emplois. Le nombre augmente année après année. Ce marché est créateur d'emplois en France depuis plusieurs années et va le rester.

Pourquoi n'achetons-nous pas nos aciers en France ? Le marché français éolien français est de 1 700 mégawatts sur un marché mondial de 50 gigawatts. Il représente donc un peu plus de 3 %. Nous sommes sur un marché mondial. Nous cherchons à avoir l'acier avec le niveau de qualité requis, compétitif auprès d'un fournisseur qui dispose des capacités industrielles pour continuer à accompagner la croissance de ce marché. Nous serions tout à fait d'accord pour nous fournir en France, si l'on y trouvait un aciériste répondant à ces trois critères. ArcelorMittal s'est posé la même question. Aujourd'hui, force est de constater que nous achetons peu sur le marché français. Nous négocions au niveau européen pour les 200 000 tonnes dont nous avons besoin sur le continent mais non marché par marché.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les qualités d'acier ? Nous avons en France des unités de production qui pourrait s'adapter utilement.

M. Frédéric Petit. - Les appels d'offres en France sont attribués sur le critère du prix de l'énergie. Aujourd'hui, les turbiniers, dont 5 des 10 turbiniers mondiaux sont européens, sont en concurrence. Nous veillons toujours à proposer à nos clients un coût de l'énergie qui représente l'investissement et le coût de fonctionnement de l'éolien. Si le prix de l'acier augmente, cela va automatiquement provoquer une hausse du prix de l'éolien terrestre, car l'acier représente entre 50 et 90 % du coût d'une éolienne. Or l'éolien terrestre - et maritime - a besoin d'être compétitif. Nous sommes tous convaincus autour de la table de la nécessité d'aller vers des ressources renouvelables et décarbonées pour la production de l'énergie.

Je vous transmettrai le rapport de l'ADEME qui évoque notamment le sujet des fondations des éoliennes. Si ma mémoire est bonne, il n'y a pas de loi physique corrélant la taille de l'éolienne, les mégawatts produits et les fondations. Ce rapport aborde également la question du recyclage.

Nous achetons sur le marché français pour un peu plus de 70 millions d'euros d'acier provenant majoritairement d'ETI ou de petites sociétés, compétitives et innovantes. Par exemple, en matière d'éolien en mer, nous avions il y a quelques années référencé la société EMYN en Vendée pour nos nouvelles éoliennes de 6 mégawatts. Nous n'avons pas un seul fournisseur, mais toujours plusieurs, pour assurer un approvisionnement diversifié de nos usines.

Mme Valérie Létard. - Vous avez évoqué 70 millions d'euros d'achats d'acier. Qu'est-ce que cela représente comme pourcentage ? Avez-vous recours à d'autres ETI hors de France lorsque vous ne trouvez pas d'opérateurs en France ? La filière éolienne en France a-t-elle encore besoin de se renforcer ?

M. Frédéric Petit. - Je n'ai pas le chiffre en tête concernant ce pourcentage, mais on vous transmettra la décomposition. Nous sommes toujours à l'écoute des entreprises et nous organisons plusieurs fois par an des rencontres d'affaires. Nous allons dans les territoires pour rencontrer les sociétés, afin de leur faire part de nos besoins, avec la même démarche de référencement. Nous ne pouvons pas faire de compromis sur la qualité. Nous avons besoin de trouver des sociétés compétitives, et avec une capacité industrielle capable d'accompagner la croissance du secteur. Avec notre site industriel au Havre, nous sommes encore plus impliqués dans cette démarche. En matière d'éolien flottant, nous avons participé à une rencontre à Montpellier. Nous prospectons pour identifier les entreprises les plus performantes.

M. Jérôme Duchange. - Nous n'avons pas de statistiques exactes sur la consommation d'acier pour le ferroviaire. Une estimation rapide serait de 400 000 tonnes, ce qui fait à peu près 2 % du marché sidérurgique en France. Cela reste marginal par rapport aux grands volumes nécessaires pour d'autres secteurs d'activité.

En revanche, nous avons besoin d'aciers très spéciaux. Si une roue d'un train produite il y a vingt ans casse aujourd'hui, on doit pouvoir indiquer la manière dont elle a été produite, sur quelle machine, avec quelle température, de quelle coulée vient l'acier ou avec quelle ferraille elle a été faite. Il y a un besoin de traçabilité complète et totale dans tous les produits pour des motifs liés à la sécurité.

Le ferroviaire en France représente environ 30 000 emplois. C'est un secteur de taille intermédiaire. Au fur et à mesure des années, les emplois ont tendance à s'éroder et leur pérennité va dépendre de plusieurs facteurs. Une menace évidente est liée à la concurrence des entreprises chinoises dont la taille n'est pas comparable avec celle des entreprises européennes. La plus grande entreprise - CRRC (China Railway Rolling Stock Corporation) - représente la taille combinée de la SNCF, de Siemens, la RATP et la Deutsche Bahn et emploie 6 millions de personnes en Chine.

Le France reste la troisième puissance mondiale du secteur avec des champions français : Alstom, Bombardier, même Siemens peut être considérée comme partiellement français. Mais notre avancée technologique a tendance à se réduire compte-tenu des transferts de technologie vers la Chine, et des coûts de production très nettement inférieurs aux nôtres. Nous avons encore des cartes à jouer, grâce à l'avance technique et technologique, mais il faut continuer à se battre. La tendance est à développer l'ingénierie en France et à produire de plus en plus localement. La plupart des acteurs publics réclament des parts de production locale de plus en plus importantes. Aux États-Unis, le mégacontrat entre Alstom et Amtrack pour des trains à grande vitesse dont les roues seront produites avec de l'acier américain, impose que 40 % de l'acier soit américain. Les roues et les essieux vont être forgés en France avant d'être renvoyés aux Etats-Unis. Pour le contrat d'Alstom en Inde, une vingtaine de rames pilotes va être produite en France puis les 800 autres seront fabriquées en Inde.

Les modèles économiques sont en train de changer. Certaines actions de l'Europe commencent à prendre forme, mais elles sont assez timides par rapport à ce que l'on voit dans d'autres pays. Les appels d'offres ne sont pas harmonisées entre les différents pays européens.

Enfin, je pense que les industriels français sont très respectueux des normes et réglementations sociales, environnementales, de qualité. Pour avoir vu des industries équivalentes dans d'autres pays européens, la France est plus exigeante, y compris par rapport à l'Allemagne, qui a une réputation de rigueur absolue. De manière imagée, lorsque l'inspection du travail vous impose un chariot élévateur au-delà de deux marches d'échelle et que vous voyiez un salarié italien en train de repeindre la façade de son usine à 10 mètres de haut sur une simple échelle, vous vous dites que la concurrence ne peut être équitable.

Afin d'être pérenne, ce secteur, resté très traditionnel, doit se réinventer. La concurrence de la SNCF va remettre les cartes sur la table. Le marché fondamental du ferroviaire doit rester porteur, à cause de l'environnement, de l'augmentation de la population, avec une prévision de croissance mondiale de l'ordre de 2,7 % et de 2 % en Europe. En France, nous avons un relais de croissance important avec le Grand Paris et la rénovation du réseau ferroviaire. Le rail représente 50 % de la consommation d'acier du ferroviaire. Ces besoins devraient profiter à la sidérurgie française, ce qui n'est pas assuré.

Aujourd'hui, dans le monde, lorsque quelqu'un achète un train, il demande à ce qu'on lui prouve que la part de production locale atteint bien un certain pourcentage. Quand des trains sont livrés en France, on suppose qu'un train Alstom a été produit en France. Or, si on le démonte, on se rend compte que la réalité est différente. Il ne s'agit pas de critiquer Alstom mais de prendre en compte les faits tels qu'ils sont.

Il y a de vrais défis. L'échec de la fusion entre Siemens et Alstom a conduit à un affaiblissement de notre industrie. Il y a de vrais besoins de consolidation en Europe. Être capable de créer un vrai réseau d'ETI en France renforcerait le secteur. Les aciers spéciaux français constituent un atout et un avantage concurrentiel. Aujourd'hui, il y a moins de sources et moins de ressources pour investir.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Si le dossier Ascoval trouve une issue positive, aurez-vous besoin des produits de cette entreprise ?

M. Jérôme Duchange. - Tout à fait. Ce sont des aciers qui rentrent dans nos besoins, avec un bémol toutefois : le diamètre produit limite la taille et la forme des produits finis. En France, nous ne sommes pas capables de produire des produits de plus de 325 mm de diamètre. Pour le rail, ce n'est pas un problème. En revanche, c'en est un pour les roues et les essieux, à l'exception de la filière « lingots » de Fos-sur-mer, mais qui est d'une qualité moindre. Il existe en revanche des groupes comme BU, Moravia Steel, ou des groupes chinois capables de réaliser des ronds de diamètre 500 mm. Ascoval ne dépasse pas les 325 mm. Le problème est que pour chaque type de produit, chaque forme, des investissements de dizaines de millions d'euros seraient nécessaires.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Pour conforter ce que vous dites, le projet d'Ascoval prévoit une diversification des débouchés, des formes et des diamètres. L'étude de marché a souligné que l'investissement serait faible car les travaux se situeraient directement à la sortie de la coulée, afin d'obtenir une offre beaucoup plus diversifiée. On espère que les derniers rebondissements concernant l'avenir de cette entreprise connaîtront une issue positive.

M. Jérôme Duchange. - Si Ascoval disparaît, il n'y aura virtuellement plus de fabricants d'aciers spéciaux en France.

M. Franck Perraud. - Je souhaite vous rassurer sur la traçabilité, que les sidérurgistes ont la capacité d'assurer. Cette préoccupation est nouvelle dans la filière du bâtiment. La traçabilité était exigée pour des grandes poutrelles, mais non pour des éléments plus petits. Les réseaux de distributeurs devront s'organiser pour la garantir. Ils reçoivent actuellement des wagons en provenance de différentes aciéries, stockent les produits chez eux, sans vraiment faire de colisage.

Pour tout ce qui est l'acier structurel, la traçabilité est possible. Son extension sur l'ensemble de la filière est une bonne chose mais nous conduit à nous transformer en utilisant, par exemple, des imprimantes permettant d'apposer des codes-barres à l'entrée. Il faut laisser le temps à la filière de s'organiser.

Cette traçabilité découle d'une réglementation européenne. En revanche, la France l'a surtransposée, sans même regarder si la filière était apte ou pas à le faire. Les ministres ne sont pas forcément au courant. Ces surtranspositions émanent parfois des Directions de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages.

À notre niveau, nous n'avons pas besoin d'acier de haute qualité ni de nombreux fournisseurs. Nos aciers viennent d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre. Il y a eu une répartition des produits de l'acier, à l'échelle européenne. Beaucoup de bardages viennent de France. Les poutrelles viennent de l'Europe de l'Est. Le fait d'avoir peu d'aciéries a conduit la filière à s'organiser. S'agissant de la production d'acier pour le bâtiment, la France n'est pas perdante, car elle a été choisie pour fabriquer des aciers à haute qualité. En termes d'emplois, la filière de la construction représente 75 000 emplois. Le poids de la filière est davantage dans la partie amont liée à la transformation que dans la consommation brute. On sait combien de personnes il faut pour produire une tonne d'acier. Le coefficient multiplicateur est de 10 ou 15 dans la transformation, pour fabriquer un escalier, un garde-corps.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Vous évoquiez la transition vers des aciers plus performants. L'idée d'une certification sur des aciers de haute qualité peut-elle aider ?

M. Franck Perraud. - Ces aciers sont déjà certifiés et il n'est pas nécessaire d'imposer des aciers surqualifiés. En revanche, on peut jouer sur le développement durable et le carbone. L'acier est l'un des seuls produits qui peut être recyclé à l'infini. Aujourd'hui, si disposait de suffisamment de ferraille, on n'aurait presque plus besoin de minerai. Si l'on veut mettre en avant l'aciérie française, il faut développer l'économie circulaire, qui a un bilan carbone satisfaisant.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Ascoval recycle de la ferraille, contrairement aux hauts-fourneaux. Toutefois, une énorme partie de la ferraille produite en France n'est pas transformée dans notre pays. La filière acier française n'est-elle pas capable de recycler davantage les déchets d'acier et de la ferraille ? Le prix de la ferraille évolue fortement. Comment travailler avec les filières qui recyclent ?

M. Franck Perraud. - La filière du bâtiment est prête à récolter localement la ferraille pour produire l'acier, de manière à baisser l'empreinte carbone. Nous avons déjà des matériaux avec des bilans carbones très faibles. Il faut le mettre en avant dans les clauses de choix, plutôt que le prix. L'incertitude des variations de prix est grande. Nous saluons les mesures antidumping mises en place par l'Union européenne face à la Chine. Aujourd'hui, des quotas sont également en place. Pour le moment, ces mesures n'ont pas changé notre approvisionnement ni créé de pénurie. Le système de quotas permet d'avoir une certaine stabilité des prix, mais de court terme. Les mesures européennes prises en février et mars 2018 ont permis de freiner le déversement des stocks chinois en Europe. Elles ont commencé à produire leurs effets à partir d'octobre 2018.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Avez-vous en conclusion une préconisation à faire par rapport aux objectifs d'accompagnement de la filière en France et en Europe ?

M. Jérôme Duchange. - Pour le ferroviaire, il faut partir de la spécificité de la sidérurgie. C'est un domaine avec des investissements majeurs qui en France n'ont pas été toujours suffisants. Certains groupes ont acquis des entreprises par l'endettement. Or, la filière exige de très gros investissements et est très cyclique. Si vous achetez en bas de cycle et que vous empruntez en haut de cycle pour rembourser la dette ou faire une opération financière, cela porte préjudice à la viabilité de l'aciérie. C'est ce qui s'est passé pour Ascoval. La présence de l'État, à travers notamment Bpifrance, pour avoir une garantie sur les montages financiers, est importante.

Des gains compétitifs pour la filière sont possibles sur l'aspect réglementaire et normatif. En ce qui concerne les appels d'offres, la préférence locale, voire européenne est très faible, en comparaison avec la pratique dans d'autres pays. On est très loin du principe de réciprocité.

Enfin, en ce qui concerne les taxes appliquées aux aciers européens, seuls certains types d'acier sont concernés et les aciers spéciaux sont exemptés, y compris ceux provenant de Chine.

M. Frédéric Petit. - Je souhaite réaffirmer la compétitivité de la filière éolienne, non seulement française mais européenne. Il y a cinq constructeurs européens. Le sens de l'histoire au niveau mondial est la baisse du coût de l'énergie terrestre et maritime. Si on veut conserver des acteurs européens forts, il faut tout faire pour accompagner ce mouvement. En conséquence, il faut être très vigilant sur tout mécanisme qui pourrait faire augmenter le prix de l'énergie. Une augmentation du prix de l'acier se fera au détriment de l'ensemble de l'industrie européenne. Ériger des barrières à l'entrée peut fonctionner à court terme, mais avoir des conséquences négatives sur la durée. Aujourd'hui, des exigences environnementales fortes s'imposent à la sidérurgie européenne. Une piste pourrait être de mettre en place des exceptions pour ne pas pénaliser les technologies décarbonées de production d'énergie comme le solaire et l'éolien.

M. Franck Perraud. - La stabilité des prix est primordiale pour gagner des parts de marché. Je pense que les aciéristes peuvent le faire pour des marchés cadres dans d'autres secteurs d'activités. Nous devons également travailler ensemble pour donner une meilleure image à l'acier. Souvent, on ne se rend pas compte à quel point l'acier fait marcher l'économie circulaire, peut être vertueux. Les architectes sont favorables à l'utilisation de l'acier, mais doivent incorporer du bois dans leurs projets pour gagner les concours.

M. Jean-Claude Tissot. - L'acier recyclé suffirait-il à la construction ?

M. Franck Perraud. - Aujourd'hui, si on avait assez d'acier à recycler, on n'aurait pas besoin de produire de l'acier primaire.

Mme Valérie Létard, rapporteur. - Lors d'une audition précédente, on nous a expliqué que la moitié de la ferraille est recyclée en France. L'autre moitié part à l'étranger pour être recyclée, transformée, puis revient sur le marché intérieur. Il existe donc un double valoriser la ferraille en France. Même si son volume est suffisant pour alimenter les besoins nationaux et européens, il y a cependant besoin de garder un minimum de production d'acier nouveau : à force de recyclage, l'acier n'est pas de même qualité. Pour certains types de produits, il faut un acier pur ou avec des propriétés qui ne peuvent être obtenues que par les hauts fourneaux. Il est donc indispensable de garder une production d'acier direct.

M. Jérôme Duchange. - Sur la volatilité des prix, certains clients acceptent des clauses de variation du prix de l'acier. Mais les instruments de couverture ne fonctionnent pas. Cette volatilité a un impact sur l'ensemble de la filière. La situation est pire pour les sidérurgistes. Cet aspect cyclique fait que si la demande est faible, les usines sont sous-utilisées et les prix baissent. Quand il y a davantage d'activité, il y a un double effet positif. Il n'y a pas d'amortisseur.

M. Franck Perraud. - Pour l'aluminium, les progressions sont lissées. Avec l`acier, les variations atteignent plus ou moins 20 %.

M. Frédéric Petit. - L'éolien est une industrie plus jeune. Il y a donc moins de démantèlement pour l'instant, mais plus de 90 % de l'acier sera recyclable.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je vous remercie pour vos réponses. Il manquait pour cette table-ronde des grands utilisateurs de l'acier les représentants de la filière automobile, qui n'ont pas pu venir aujourd'hui mais auxquels nous ne manquerons pas de demander une contribution écrite.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 heures.