Forum des Sénats du monde



Palais du Luxembourg, 14 Mars 2000

INTERVENTIONS LIBRES

Mme AnnaElisabeth Haselbach, présidente du Conseil fédéral d'Autriche( ( * )*)

Monsieur le président, je souhaite tout d'abord vous remercier très chaleureusement de votre invitation et de la très grande hospitalité dont nous bénéficions.

La possibilité de procéder à des échanges d'expériences dans ce cadre constitue pour chacun d'entre nous un événement important. Tous les jours, en effet, nous sommes confrontés à la nécessité de nous adapter aux réalités sociales. Il nous faut donc réfléchir à la question de savoir si nos institutions démocratiques répondent bien aux attentes des uns et des autres.

Dans ce même contexte, permettez-moi d'aborder un sujet qui, me semble-t-il, n'a pas été effleuré jusqu'à présent. Je souhaiterais en effet que nous réfléchissions à la relation existant entre les Gouvernements et les institutions parlementaires, et ce en rapport non pas avec des affaires intérieures mais avec les questions internationales, c'est-à-dire, par exemple, les traités internationaux et la législation supranationale.

En effet, nous devons reconnaître que des traités, des conventions, des accords ayant un caractère juridique sont négociés et décidés au niveau gouvernemental. Il reste alors aux chambres parlementaires tout juste la possibilité de procéder à une ratification. Mais ratifier, c'est dire « oui » ou « non ». Et si un État refuse tel ou tel traité, celui-ci entre tout de même en vigueur, revêt tout de même un caractère juridique et, a priori, doit être appliqué.

Il y a là une lacune, à laquelle les assemblées parlementaires doivent réfléchir afin de pouvoir mettre leur grain de sel dans les négociations de ces accords et traités.

En effet, plus la mondialisation progresse, et plus les gens réclament un droit de participation aux processus de prise de décisions.

Précisément dans le domaine des relations internationales et des accords bilatéraux, les députés que nous sommes n'ont guère d'influence.

Dans le cadre de l'Union européenne, les Parlements nationaux ont bien évidemment la possibilité d'exposer leur manière d'aborder ce problème, et nous avons fait des suggestions en vue de la suppression du fossé existant dans ce système.

Le Bundesrat autrichien a mis en place une commission de l'Union européenne dont la particularité est de pouvoir vraiment travailler en toute autonomie, ce qui n'est pas toujours évident dans la vie parlementaire. En d'autres termes, ses décisions n'ont pas à être approuvées en assemblée plénière.

Pourquoi souligner ce fait ? Le Gouvernement fédéral autrichien est tenu, a priori, de soumettre aux deux chambres du Parlement les textes de l'Union européenne. Normalement, les deux chambres doivent très rapidement prendre position. Ce sont donc les commissions de l'Union européenne qui rendent un avis, lequel engage le Gouvernement fédéral dans les négociations et votes au sein de l'Union européenne. C'est pourquoi la mise en place de telles commissions de l'Union européenne était impérative.

Combien de fois un ministre a-t-il reçu un mandat qui l'engageait ? Pas particulièrement fréquemment ; mais, quoi qu'il en soit, grâce à un flux d'informations accru entre les deux chambres du Parlement et le Gouvernement, les choses ont pu être accélérées, et nous avons désormais la possibilité de réagir promptement, et donc d'avoir une influence accrue sur la vie politique.

J'espère que ce modeste exemple, qui concerne la situation de l'Autriche, vous aura été utile. J'espère également que mes propos quant aux traités et accords internationaux trouveront leur chemin dans vos esprits et que vous pourrez, dans l'intérêt général, exploiter ces exemples dans vos chambres et Parlements respectifs. (Applaudissements.)

M. Nicolas Mancino, président du Sénat d'Italie( ( * )*)

Je remercie M. le président du Sénat français d'avoir organisé cette intéressante réunion des Sénats du monde.

J'avais préparé une ébauche d'intervention dans laquelle j'envisageais le bicamérisme plus du point de vue du système que sous l'angle des expériences réalisées au sein de chacun des pays, en portant un jugement sur celles-ci. Je me tiendrai un peu à mi-chemin, en précisant que j'appartiens à un pays dont le système politique est le bicamérisme parfait : rien n'est confié à une chambre en excluant l'autre et, malgré les bouleversements qu'il a connus, ce système n'a jamais été modifié. Ainsi, depuis 1948, nos deux chambres coexistent et, grâce au recours à la navette, nous pouvons légiférer dans de bonnes conditions.

Dans notre pays, certaines mesures ont été prises. S'il s'agit de lois ordinaires, elles ont cependant une importance constitutionnelle : nous préparons l'adéquation de notre charte constitutionnelle avec ce que l'on définit habituellement sous le vocable de fédéralisme.

Nous avons ainsi retiré à l'administration centrale toute une série de compétences, de fonctions, de prérogatives, au profit des administrations locales et régionales, provinces, communes et régions. Tout cela a eu un certain nombre de conséquences.

Dès le début des années quatre-vingt-dix, en Italie, le maire, le président de la province et, depuis avril dernier, le président de la région ont été élus de manière directe par le corps électoral. Alors que, dans le système précédent, le système parlementaire donnait une sorte de privilège à l'assemblée, dorénavant, de nombreuses collectivités sont liées dans une sorte de fédéralisme - devant encore être codifié du point de vue constitutionnel - qui génère cependant une certaine duplicité : au niveau inférieur, le système est présidentiel mais, au niveau supérieur, il reste purement parlementaire.

Qu'en est-il du débat politique après ces réformes ? Si personne ne discute plus de la fonction et du rôle du Sénat, le débat porte plutôt sur la manière dont le Sénat pourrait réaliser un bicamérisme tenant compte non seulement des réformes au niveau local, mais aussi de l'affirmation d'un État fédéral.

Le Sénat ne doit pas forcément avoir des fonctions identiques selon les situations. Si certaines lois doivent nécessairement faire appel au bicamérisme - les réformes de la Constitution, les lois électorales, les lois concernant les droits subjectifs, les droits humains - il n'en est pas de même pour tous les sujets.

C'est une nouveauté au sein de la doctrine constitutionnelle italienne : alors que, pendant de nombreuses années, on a soutenu que le bicamérisme parfait était un privilège dans notre pays, notre système politique a aujourd'hui perdu cette caractéristique, ce qui pose un problème de représentation effective. En effet, les partis politiques ne sont pas seuls à représenter les intérêts généraux ; c'est aussi le rôle des administrations locales, communes ou provinces, et des instituts régionaux. Ainsi, en Italie, la société se situe un peu en dehors des partis et du système, et les Italiens ne s'expriment pas toujours directement au travers des urnes.

Ce phénomène touche toute l'Europe occidentale, et il est en train de s'élargir au fur et à mesure à toute l'Europe. Dans ces conditions, je crois que, dans les décennies à venir, les chambres hautes auront des tâches de plus en plus fortes d'intégration, afin de compléter et parfaire la démocratie. Il s'agit là d'un problème qui ne tient pas directement à la Constitution en vigueur. Il s'agit simplement de savoir qui répond et qui ne répond pas aux aspects différents de la représentation.

Certes, il peut sembler étrange que l'on puisse dire que la représentation peut se trouver aussi en dehors des partis politiques, mais ceux-ci, aujourd'hui, n'interprètent plus les intérêts généraux comme cela a pu être le cas au cours des cinquante dernières années.

Avant de conclure, je voudrais souligner un autre problème. Dans notre pays, nous pratiquons l'élection directe du maire, du président de la province et du président de la région, et nous sommes en train de réfléchir à une loi électorale qui s'appliquerait à ceux qui doivent assumer les responsabilités de Premier ministre, en leur demandant des indications sur leur programme. Or il y a un contraste évident entre la nature de l'institution parlementaire, notamment avec le pouvoir d'investiture du Premier ministre, et l'élection directe ou indirecte de ce même Premier ministre. C'est là un problème qui concerne directement Tune des prérogatives de la Chambre, qui accorde ou non sa confiance.

La confiance du Parlement n'a évidemment pas beaucoup de poids devant une investiture populaire mais, si l'on veut conserver le système parlementaire, il faudra bien en tenir compte.

Je voudrais remercier encore une fois M. le président Christian Poncelet de nous avoir donné cette occasion d'établir des comparaisons, et je pense que nous pourrons partir satisfaits d'avoir contribué, avec nos expériences propres, à l'approfondissement d'un sujet, le bicamérisme, qui tend à progresser et non à régresser, comme cela pouvait apparaître dans les prévisions effectuées au cours des années soixante et soixante-dix. (Applaudissements.)

M. Oralbaï Abdykarimov, président du Sénat du Kazakhstan( ( * )*)

Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de remercier les organisateurs de cette réunion de l'excellente préparation et de la tenue de cette importante manifestation.

Après l'effondrement de l'empire soviétique, pendant toute la période post-totalitaire de l'histoire du Kazakhstan, se sont formées et développées les institutions du pouvoir public.

À l'heure actuelle, la République du Kazakhstan est un État unitaire à régime présidentiel. L'organe législatif est le Parlement de la République du Kazakhstan, qui est en même temps l'organe représentatif supérieur.

En se fondant sur l'expérience de pays dotés d'un régime parlementaire développé - la France, par exemple - on a élu, en 1995, pour la première fois au Kazakhstan, un Parlement bicaméral dont les deux chambres sont, d'une part, le Sénat, et d'autre part, le Majilis. Les membres du Sénat sont élus dans les organes représentatifs locaux. Quant à ceux du Majilis, ils sont élus pour partie dans les circonscriptions territoriales, pour partie sur les listes de partis politiques.

L'expérience du bicamérisme au Kazakhstan a démontré que des conditions favorables à la démocratisation du processus législatif permettaient une amélioration de la qualité des lois, même si certains continuent à en contester l'utilité, surtout dans les États unitaires.

Conformément à la Constitution de la République du Kazakhstan, la spécificité fonctionnelle de ce Parlement bicaméral consiste dans la possibilité offerte aux deux chambres de siéger soit en commun, soit en sessions séparées.

Lors de la session plénière du Sénat et du Majilis, le Parlement de la République du Kazakhstan résout les problèmes les plus graves de la vie de la société et de l'État. Plus particulièrement, on y apporte des amendements et des modifications à la Constitution ; on y approuve les lois constitutionnelles ; on y adopte le budget républicain ; on y approuve la candidature du Premier ministre, proposée par le Président, et on y résout les questions de la guerre et de la paix ainsi que de l'utilisation des forces armées pour l'accomplissement des charges internationales de la République, dans le domaine du maintien de la paix, notamment.

La particularité des activités du Parlement bicaméral du Kazakhstan est liée à la procédure d'examen consécutif des projets de loi, d'abord par le Majilis, ensuite par le Sénat. Si des différends apparaissent entre les deux chambres sur le projet examiné, ils sont résolus par l'intermédiaire de procédures conciliatoires.

Il existe aussi, au Kazakhstan, un partage très clair des compétences entre les deux chambres, ce qui contribue à la stabilité et à la constance du travail effectué.

Dans les limites des compétences qui lui ont été attribuées par la Constitution, chaque chambre est une instance supérieure. Au total, les compétences de deux chambres sont équilibrées. En même temps, les particularités se maintiennent. Ainsi, les députés du Majilis sont élus pour un mandat de cinq ans et, à son expiration, le corps du Majilis est complètement renouvelable, alors que le Sénat est renouvelé tous les trois ans. Cette procédure assure la meilleure succession du Sénat par rapport au Majilis.

Le projet adopté par le Majilis ne porte pas encore le nom de loi, mais il le devient après avoir passé l'approbation au Sénat. Il est important, pour les pays en voie de transition, de pouvoir précisément s'appuyer sur ce type de régime. (Applaudissements,)

Mme Maria de Los Angeles Moreno Uriegas, présidente du Sénat des États-Unis du Mexique( ( * )*)

Chers collègues sénateurs et présidents des Sénats des différents pays du monde, je voudrais tout d'abord remercier très sincèrement M. le président Christian Poncelet de l'excellente initiative qu'il a prise, qui nous permet aujourd'hui d'échanger des idées sur l'importance du bicamérisme dans les différents pays du monde.

Au Mexique, le bicamérisme fait partie intégrante de notre histoire. L'expérience du Sénat, de cette deuxième chambre au Mexique, existait déjà avant l'époque hispanique : les peuples indigènes de notre pays connaissaient déjà des expériences Sénatoriales.

Depuis l'indépendance du Mexique, le Sénat, qui existe depuis 1824, a simplement été mis entre parenthèses pendant dix-huit ans, lorsque l'on a discuté pour savoir quelle forme allait prendre l'État dans notre pays : État unitaire ou État fédéral. Quand on a enfin décidé que, pour le Mexique, le système fédéral était certainement le plus adapté, la représentation territoriale a été confiée au Sénat.

La Chambre des sénateurs a ainsi été le symbole de l'unité nationale. C'est le Sénat qui a permis l'intégration territoriale, car il donne à chacune des entités de la fédération la même représentation : 31 entités territoriales y sont représentées à égalité, quel que soit leur population ou leur niveau de richesse.

Grâce à cela, le système politique mexicain s'est renforcé, le Sénat permettant une organisation politique beaucoup plus forte. Le Sénat de la République est le garant de ce que nous appelons le « pacte fédéral mexicain ».

Il exerce, par ailleurs, des compétences exclusives, comme la politique extérieure du pays, par exemple. Il surveille l'exercice de la souveraineté nationale et il collabore, de façon croissante, avec les autres pays du monde.

Il ratifie - c'est une autre de ses fonctions exclusives - les traités internationaux, les nominations de consuls et d'ambassadeurs ainsi que les nominations des hauts fonctionnaires des finances. Ce faisant, il exerce une fonction essentielle de contrôle sur le pouvoir exécutif du pays.

Tout récemment, il a également obtenu la faculté de ratifier la nomination du président du Conseil consultatif et de la Commission des droits de l'homme, ainsi que les responsables de la Cour suprême de l'État.

J'ai parlé tout à l'heure des relations avec les autres pays. Le Sénat approuve ou non la mobilisation des forces armées.

En ce qui concerne l'approbation des traités internationaux, j'aimerais mettre l'accent sur l'accord de libre commerce avec l'Union européenne, qui est très important pour nous. C'est dès la semaine prochaine que ce traité sera débattu au Sénat mexicain et, selon toute probabilité» il sera approuvé le 22 mars prochain. Notre pays fait ainsi un pas important dans la diversification de ses relations politiques, économiques et commerciales en renforçant ses relations avec l'Union européenne. Nous aurons non plus uniquement le traité de libre-échange avec l'Amérique du Nord mais également un traité de libre-échange avec l'Union européenne.

En dehors de tous ces aspects liés à la politique extérieure et au fédéralisme, le Sénat a, par ailleurs, à peu près les mêmes fonctions que la Chambre des députés.

Le Sénat a la possibilité de présenter des propositions de loi, qui sont ensuite révisées par la Chambre des députés, et vice versa. La compétence exclusive de la Chambre des députés porte uniquement sur le budget.

Il y a trois sénateurs par État et un pour le district fédéral. Sur ces trois sénateurs, deux sont élus au scrutin majoritaire, le troisième siège étant attribué à la première minorité. Tous sont élus pour un mandat de six ans.

Au Mexique, aujourd'hui, les progrès de la démocratie électorale permettent d'assurer un grand pluralisme de la représentation politique à la fois à la Chambre des députés et au Sénat.

À la Chambre des députés, contrairement à ce qui se passait voilà encore quelques années, et ce depuis longtemps, le parti révolutionnaire institutionnel, le PRI, n'a plus, aujourd'hui, la majorité absolue. En revanche, il a cette majorité absolue au Sénat, qui a une fonction de stabilité politique essentielle aujourd'hui.

Le Sénat tempère les décisions qui, parfois, en raison de l'absence de majorité absolue à la Chambre des députés, ne recueillent pas un consensus suffisant. Les projets de loi adoptés par la Chambre des députés qui arrivent devant le Sénat doivent encore être largement nuancés. Voilà pourquoi on dit que le Sénat tempère ce que la Chambre des députés adopte parfois de façon quelque peu impétueuse. Cela a été particulièrement vrai au cours des dernières années.

De la même façon, le Sénat concilie les intérêts du Gouvernement avec ceux des députés. Nous sommes en quelque sorte des intermédiaires, des conciliateurs. Nous avons un rôle de négociation non seulement entre les deux chambres mais également entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

Le système bicaméral a été, dans notre pays, l'un des facteurs qui ont le plus favorisé le perfectionnement de la législation. Nous sommes, par conséquent, convaincus que ce système doit se renforcer non seulement au Mexique mais dans le monde entier. À l'évidence, de nombreux pays vont dans ce sens. Comme on l'a déjà dit ce matin, le développement de la démocratie devra se traduire par le renforcement des Sénats dans le monde entier. (Applaudissements.)

M. Moustafa Kamal Helmy, président de l'Assemblée consultative d'Égypte( ( * )*)

Monsieur le président du Sénat français, Excellences, présidents de Sénat, membres de la présente conférence, j'ai le plaisir de vous transmettre, au nom de l'Assemblée consultative égyptienne, Al-Choura, les meilleures salutations, ainsi que la profonde estime pour vos vénérables personnes et vos peuples amis.

Nous sommes venus à cette rencontre afin d'échanger nos vues et de connaître les diverses expériences menées à travers les différents systèmes législatifs bicaméraux, la vie parlementaire dans les différents pays, les efforts déployés en vue du développement de l'oeuvre institutionnelle dans chacun de nos pays et également afin d'enrichir les expériences démocratiques dans le troisième millénaire.

En Égypte, nous sommes conscients de l'importance majeure de l'expérience démocratique et de l'enrichissement du travail parlementaire, d'autant que l'histoire du Parlement égyptien remonte au siècle dernier, à 1866, date à laquelle fut instauré le Conseil consultatif égyptien des députés, premier Parlement dans notre région.

Malgré l'invasion étrangère à laquelle l'Égypte fut exposée en 1882, la lutte de son peuple a continué et de nombreuses révolutions furent déclenchées visant à conquérir l'indépendance nationale et politique.

Conformément à la Constitution de 1923, l'Égypte a adopté le système bicaméral. Après la Révolution de 1952, elle adopta le système monocaméral pour revenir, à partir de 1980, après amendement de la Constitution, au système bicaméral : l'Assemblée du peuple et l'Assemblée consultative.

L'Assemblée consultative, en tant qu'assemblée parlementaire munie de compétences législatives, compte 264 membres, dont des représentants de six partis politiques, un nombre assez important de membres spécialisés, dont 57 docteurs dans diverses spécialisations scientifiques, ainsi que des représentants des différentes tranches sociales, y compris des femmes - elles sont au nombre de 15 - des intellectuels, des représentants des médias et de la culture, et ce conformément à la Constitution, qui garantit les droits et libertés dont jouissent tous les citoyens du peuple sans discrimination aucune quant au sexe, à la croyance ou à la religion.

Mesdames, messieurs, permettez-moi de vous énumérer un certain nombre de questions importantes examinées par l'Assemblée consultative en Égypte.

Premièrement : la paix au Proche-Orient.

L'Égypte, après avoir remporté la victoire de 1973 et récupéré son territoire national, a pris l'initiative de signer l'accord de paix.

Sous le commandement du président Mohamed Hosni Moubarak, elle oeuvre avec sincérité à la réalisation d'une paix globale et juste dans la région, sur la base de la légitimité internationale et des traités conclus à cet effet, sur les principes de la terre contre la paix et du droit des peuples à l'autodétermination.

À cet égard, nous condamnons les tentatives d'Israël visant à imposer son hégémonie sur la région et à occuper les territoires d'autrui, ainsi que ses agressions réitérées, dont la dernière a été perpétrée contre le Liban, où les centrales électriques et les infrastructures ont été bombardées et un grand nombre de civils blessés.

Cette situation dangereuse a encore été aggravée par les déclarations du ministre israélien des affaires étrangères, M. David Lévy, menaçant d'incendier le Liban. La réalisation d'une paix juste et globale dans la région exige nécessairement l'évacuation du Golan, du sud du Liban, la reconnaissance du droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à la création d'un État indépendant sur sa terre.

Deuxièmement : l'éradication des armes de destruction globale.

L'existence d'un arsenal d'armes nucléaires en Israël menace la sécurité et la paix de la région, ce qui a incité le président Mohammed Hosni Moubarak à lancer, dès 1990, son initiative appelant à exclure de la région du Proche-Orient les armes de destruction globale, tant nucléaires que chimiques et biologiques, et ce comme l'un des fondements nécessaires à l'instauration d'une paix équitable et globale dans la région.

Troisièmement : la lutte contre le terrorisme en tant que phénomène international.

Il est extrêmement important de faire face au terrorisme en tant que phénomène international menaçant la sécurité et la stabilité universelles, le terrorisme n'appartenant pas spécifiquement à une croyance, à un peuple ou à une nation. D'où l'initiative du président Moubarak de convoquer la tenue d'une conférence internationale sous l'égide des Nations unies pour faire face à ce phénomène qui menace la sécurité de la communauté internationale.

Quatrièmement : l'impact de la mondialisation et de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT.

L'examen des règlements du nouvel ordre international et du GATT nous invite à souligner l'importance qu'il y a à garantir l'équilibre entre les États industrialisés et ceux qui sont en développement, en respectant la souveraineté de ces derniers et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures quel qu'en soit le prétexte. Il est en effet dans l'intérêt de la communauté internationale tout entière de ne pas alourdir le fardeau porté par les pays en développement et de ne point élargir le fossé les séparant aujourd'hui des États industrialisés.

Cinquièmement : l'éthique et la discipline qui doivent régir les applications découlant du progrès scientifique et technologique.

Malgré notre profonde estime pour l'immense progrès scientifique et ses applications dans maints domaines, entre autres la révolution en matière de communication, de médias, de médecine, d'industrie, d'agriculture, notamment en ce qui concerne le génie génétique, l'implantation des organes et le clonage, nous estimons qu'il s'avère indispensable, en vue de faire face à cette nouvelle force prodigieuse, d'instituer les chartes et législations nécessaires à la garantie des éthiques et de la discipline régissant les recherches scientifiques et technologiques et leurs applications, car la communauté internationale a le droit de s'assurer des résultats des applications de ces recherches.

Sixièmement : interaction des civilisations et non pas conflit des civilisations.

Les civilisations ont existé et se sont épanouies au cours de l'histoire dans maintes sociétés et chez maints peuples. Toutefois, ces civilisations ont en commun un objectif fondamental, à savoir l'aspiration vers le bien.

L'Égypte, pour sa part, est la concrétisation de cette interaction entre les civilisations, à commencer par l'ancienne civilisation pharaonique pour aboutir à notre civilisation moderne en passant par les civilisations gréco-romaine, copte et islamique.

Avec la révolution des communications, l'intérêt public exige, à l'orée du troisième millénaire, que soient effectuées des études axées sur l'interaction des civilisations et non pas, comme d'aucuns essayent de le décrire, sur une lutte entre les civilisations.

Nous déplorons les luttes ethniques qui sévissent dans plusieurs contrées de notre planète à l'instar de ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Tchétchénie, où des luttes sanglantes ont fait des milliers de victimes civiles désarmées, et ce dans une tragédie humaine dont le monde entier a été témoin.

Le recours à l'entente soutenue par la charte des Nations unies peut contribuer à résoudre ces problèmes au lieu des guerres destructrices, des malheurs et des souffrances qui en découlent.

Mesdames et messieurs, membres de l'honorable conférence, nos peuples respectifs aspirent à la garantie de la paix, de la sécurité et du progrès aux niveaux tant local que régional et international dans le cadre d'une coopération sincère entre les différents peuples, coopération fondée sur le respect de la légitimité, de la justice et des droits de l'homme.

À cet égard, une grande responsabilité incombe indubitablement aux Parlements du monde entier et les Sénats, à leur tour, assumeront, comme ils l'ont toujours fait, leur grande part de responsabilité visant à réaliser ces nobles objectifs humains. (Applaudissements.)

M. Frederik Korthals Altes, président de la Première Chambre des États généraux des Pays-Bas

Monsieur le président, mes chers collègues, présidentes et présidents, chers collègues sénateurs et Sénatrices, permettez-moi d'abord de m'associer à tous ceux qui ont exprimé leurs remerciements au Sénat français, en particulier à son président, M. Christian Poncelet, pour cette remarquable initiative.

L'organisation de ce forum de tous les Sénats du monde souligne, pour nous tous, l'importance que nous attachons à l'existence d'une représentation parlementaire plurielle pour la qualité de la démocratie.

Vous comprenez déjà que j'aimerais centrer mon intervention sur l'importance que revêt la représentation parlementaire à deux chambres pour la qualité de la démocratie.

Le 18 janvier de cette année, le ministre néerlandais de l'intérieur a soumis aux deux chambres un certain nombre d'options en vue de modifier les compétences du Sénat et les a invitées à faire connaître leurs vues respectives sur la question. Voilà pourquoi ce forum revêt une grande importance pour moi et pour les deux Sénatrices qui forment avec moi la délégation Sénatoriale néerlandaise. Il nous permettra en effet d'approfondir nos connaissances sur le bicamérisme et de mieux connaître les modes de travail des Sénats du monde.

Mon pays, les Pays-Bas, doit l'existence de son Sénat à la brève période où, sur décision du Congrès de Vienne, les Pays-Bas du Nord et les Pays-Bas du Sud - la Belgique - furent réunis. Ce fut en effet la noblesse belge qui insista pour la création d'un Sénat dont le rôle était de limiter le pouvoir du roi. Après la séparation de la Belgique en 1830, cette institution ne fut pas abolie dans mon pays.

Depuis 1848, les sénateurs néerlandais sont élus par les États provinciaux. Les Pays-Bas sont un pays unitaire, c'est-à-dire non fédéral. Contrairement à ce qui se passe dans un État fédéral, le Sénat néerlandais ne représente pas les États fédérés, aux côtés d'une assemblée élue au suffrage universel. D'après la constitution néerlandaise, les deux chambres représentent conjointement l'ensemble du peuple néerlandais. La Chambre des députés est composée d'hommes et de femmes politiques exerçant leur mandat à temps plein. En revanche, le Sénat néerlandais est composé d'hommes et de femmes exerçant leur mandat Sénatorial en plus de leurs fonctions normales au sein de la société.

C'est le bicamérisme qui permet un second examen, disons « qualitatif », des projets de loi préalablement soumis et examinés par la Chambre des députés. Le Sénat se charge en effet de réexaminer les projets de loi en mettant l'accent sur leur constitutionnalité, leur cohérence avec les conventions et traités en vigueur, ainsi qu'avec la législation existante, leur acceptation dans la population et leur applicabilité.

Cet examen qualitatif est le travail d'hommes et de femmes participant et contribuant encore pleinement et activement à la vie de la collectivité. C'est ce qui donne d'ailleurs au Sénat sa plus-value en tant qu'assemblée représentative.

Les sénateurs proviennent de milieux scientifiques, universitaires, politiques, économiques, syndicaux, de l'administration publique, d'organisations sociales institutionnalisées ou d'autres organisations socioprofessionnelles qui ont une part active à jouer au sein de la société néerlandaise, elle-même marquée par la recherche constante du consensus, ce consensus même qui a assis la réputation du pays à l'étranger au point qu'on en est venu à parler du « modèle hollandais », du « modèle polder ».

Parmi les sénateurs néerlandais figurent neuf anciens ministres et d'éminents membres praticiens de la communauté scientifique, dont deux font partie de l'Académie royale des sciences, qui jouit d'un grand renom et a eu le privilège de recevoir la visite du Président de la République française il y a deux semaines.

Les compétences du Sénat néerlandais sont limitées. En revanche, elles revêtent une importance considérable. Le Sénat ne dispose pas du droit d'amendement ni du droit d'initiative des lois. Il ne peut qu'adopter ou rejeter les projets de lois. Il s'agit d'une sorte de droit de veto.

Il est rare qu'un veto soit prononcé. Souvent, les sénateurs obligent un ministre, au cours du débat à la tribune du Sénat, à prendre certains engagements formels en ce qui concerne l'application de la loi ou des arrêtés d'application qui en découleront. Parfois, le Sénat va plus loin et exige un texte complémentaire remédiant aux carences ou aux déficiences qu'il a relevées. Dans le cas extrême, il contraint le ministre à présenter une loi modificatrice avant de mettre aux voix le projet de loi en cause. Si le ministre redoute un rejet du projet de loi, il présentera d'abord Une loi modificatrice qu'il appartiendra à la Chambre des députés d'adopter avant l'adoption par le Sénat du projet de loi d'origine.

Il appartient donc au Sénat de faire preuve de retenue à l'égard de l'emploi de son arsenal de compétences. Le Sénat se doit, en effet, d'éviter tout conflit avec la Chambre des députés. La législation néerlandaise restant muette sur les conflits entre les deux chambres, une attitude d'autolimitation s'impose donc de la part du Sénat.

Mais cette limitation des compétences du Sénat présente un avantage certain, à savoir celui de l'obliger, par-delà les clivages politiques, à rechercher un consensus. En effet, le Sénat ne peut peser de tout son poids sur l'arbitrage gouvernemental que s'il est unanime dans ses décisions. Je me permets encore d'évoquer à cet égard les racines belges du Sénat néerlandais, lequel emprunte ici la devise belge « L'union fait la force ». Mais le consensus n'est pas l'unique atout du Sénat. Son apanage est de pouvoir disposer d'hommes et de femmes aux qualités éminentes. (Applaudissements.)

M. Armand de Decker, président du Sénat de Belgique

Monsieur le président, mesdames, messieurs les présidents, mes chers collègues, je me réjouis de prendre la parole à cette tribune après mon excellent collègue et ami, président de la première chambre des États généraux des Pays-Bas, qui vient de m'apprendre que ce sont les Belges qui ont imposé l'idée d'un Sénat aux Pays-Bas, ce qui démontre a posteriori l'utilité de ces quinze années de vie commune, de 1815 à 1830.

Monsieur le président, mes chers collègues, comme je l'ai annoncé tout à l'heure, je vais vous parler de l'évaluation des lois.

La fonction régulatrice dans nos sociétés avancées traverse indiscutablement depuis un certain temps déjà une crise dont les éléments ont été mis en lumière par de nombreux observateurs de la vie du droit et de la vie politique.

Cette crise présente un double aspect : elle est d'ordre à la fois quantitatif et qualitatif.

L'aspect quantitatif, c'est le phénomène de la prolifération normative : des domaines de plus en plus larges de la vie sociale sont réglementés. Cette situation est évidemment liée à la complexité croissante du monde dans lequel nous vivons.

L'aspect qualitatif c'est celui des lois souvent rédigées à la hâte. Leur qualité rédactionnelle en souffre. Elles se combinent parfois difficilement, quand elles ne se contredisent pas. Certaines lois sont constamment modifiées et la stabilité n'est plus garantie. D'autres, désuètes, sont en léthargie, sans qu'on songe à les supprimer. Et pourtant, nous continuons à fonder nos systèmes juridiques sur le principe selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi ».

En Belgique, comme dans de nombreux autres pays, une double lecture des projets de loi, réalisée dans un système bicaméral, a souvent été considérée comme l'un des moyens d'assurer une meilleure qualité de la loi. Toutefois, la double lecture systématique de l'ensemble des textes, des plus simples aux plus complexes, était de plus en plus ressentie comme une perte de temps et de moyens, temps et moyens qui pourraient être mis à profit pour faire face aux nouvelles exigences formulées à l'encontre du législateur.

C'est là une des considérations qui sont à la base de la réforme récente du système bicaméral belge. Dorénavant, seules les lois réglant un nombre limité de matières considérées comme essentielles - ce qui inclut bien évidemment l'organisation institutionnelle du pays, mais aussi, par exemple, l'organisation de la justice ou la ratification des traités internationaux - sont encore soumises obligatoirement à une double lecture. Les projets de loi réglant les autres matières - les lois ordinaires - s'ils ne sont pas engendrés au Sénat par une proposition de loi d'un sénateur, ne sont examinés par le Sénat que si un nombre déterminé de sénateurs le demande. C'est ce que nous appelons le droit d'évocation. Par ailleurs, le contrôle politique du Gouvernement au sens classique du terme - confiance, méfiance, vote des budgets - revient exclusivement à la Chambre des représentants.

Si la Chambre des représentants belge est devenue la chambre « politique » qui doit suivre la situation politique au jour le jour et se pencher sur l'ensemble de la législation proposée, le Sénat, en faisant un usage judicieux de son droit d'évocation, peut réserver une partie de son temps et de ses moyens à des tâches plus complexes ou nécessitant une réflexion plus poussée, par exemple l'élaboration d'une législation fondamentale pour répondre à des besoins nouveaux de la société ou l'actualisation d'une législation existante mais n'étant plus adéquate en raison de l'évolution de la société. C'est le rôle de chambre de réflexion du Sénat belge.

Compte tenu des constatations relatives à la qualité de la législation que j'ai faites en guise d'introduction, le Sénat de Belgique a estimé devoir accorder, dans son rôle de chambre de réflexion, une attention particulière à la qualité de la législation, tant de la législation existante que de la législation proposée.

Chers collègues, on ne définit plus une bonne législation au seul regard de sa qualité rédactionnelle, la logistique formelle - encore faut-il qu'elle existe ! - ou des exigences classiques de sécurité juridique et d'égalité. On attend du législateur qu'il définisse clairement les objectifs de son intervention et qu'il vérifie s'ils ne peuvent pas être atteints par d'autres voies, moins contraignantes que la loi.

L'intervention croissante des pouvoirs publics dans la vie sociale a aussi rendu nécessaire une analyse systématique des effets de l'application des lois. Celles-ci sont soumises à des critères nouveaux : l'applicabilité, l'efficacité, l'efficience.

Il est un fait que certaines commissions du Sénat belge, comme de la plupart des Sénats, pratiquent déjà l'une ou l'autre forme d'évaluation de la législation, que ce soit par rapport à une législation existante ou dans le cadre de l'examen de la législation proposée, par exemple en entendant des experts, des associations professionnelles, ou encore en étudiant des phénomènes de société ou des pratiques pour lesquels on se demande s'il y a lieu de légiférer et dans quel sens.

Par ailleurs, certaines lois instaurent dès à présent l'obligation de faire périodiquement rapport sur leur effet, tantôt au Parlement, tantôt au Gouvernement, tantôt à d'autres instances. Certains de ces rapports sont, bien entendu, déjà examinés par les commissions compétentes du Sénat.

Toutefois, dans la mesure où elle a déjà lieu, l'évaluation de la législation se déroule actuellement d'une façon plutôt désordonnée pour ce qui est du choix des sujets, de la fréquence, etc. C'est pourquoi, dans le cadre de son rôle de chambre de réflexion, le Sénat belge vient de décider de conférer désormais un caractère structuré à l'évaluation de la législation et d'en faire une mission importante et permanente.

Le Sénat belge a donc décidé de se doter d'un service d'évaluation de la législation dont le rôle consiste à effectuer une évaluation technique préparatoire de la législation projetée - évaluation ex ante ou prospective - et de la législation existante - évaluation ex post ou rétrospective - à la lumière des principes et exigences que j'ai mentionnés. L'évaluation elle-même, qui implique des choix d'opportunité et des choix politiques, est, bien entendu, la prérogative exclusive des sénateurs et du Sénat.

Le service d'évaluation de la législation exécutera ses tâches à la demande et sous l'instruction et l'autorité du bureau du Sénat.

Mes chers collègues, avant de se charger de l'évaluation des lois, le Sénat belge a pris la précaution de se concerter avec les autres acteurs de la vie publique concernés par la qualité de la législation, c'est-à-dire, évidemment, la Chambre des représentants et le Gouvernement, mais également la Cour d'arbitrage, le Conseil d'État, la Cour de cassation, la Cour des comptes, le Collège des procureurs généraux, qui sont les mieux placés pour déceler les défaillances de la législation existante et dont les arrêts ou décisions contiennent souvent des indications précieuses sur les possibilités qui s'offrent au législateur pour remédier aux défaillances constatées.

Voilà comment le Sénat de Belgique a décidé récemment, après avoir beaucoup légiféré depuis cent soixante-dix ans, d'entamer un travail d'évaluation des lois qui lui permettra de simplifier le paysage législatif de la Belgique et qui l'amènera probablement - évolution étonnante au premier abord, mais ô combien essentielle - à « délégiférer », si l'Académie française m'autorise ce nouveau mot plein d'avenir.

Mes chers collègues, à mes yeux, le bicamérisme est indispensable, bien entendu, dans les États fédéraux, pour assurer la représentation des entités fédérées, comme dans les États à système électoral majoritaire, pour contrebalancer les assemblées de députés trop homogènes. Il est, à mon sens, partout la condition de la qualité des législations et l'expression d'une volonté de plus grande démocratie, notamment face aux exigences impatientes des Gouvernements, que nous connaissons bien.

Je voudrais remercier le Sénat français et son président, M. Christian Poncelet, d'avoir pris l'initiative de ce forum, qui, indiscutablement, est d'une utilité pour nous tous évidente et qui, je l'espère, sera prolongé par d'autres rencontres. (Applaudissements.)

Lord Geoffrey Tordoff, président de la commission des Affaires européennes de la Chambre des Lords du Royaume-Uni( ( * )*)

Monsieur le président du Sénat, j'aimerais vous remercier d'avoir organisé cette réunion. Je pense que nous allons tous en tirer profit.

Je tiens à vous féliciter pour l'excellente organisation, qui va jusqu'au remplacement du verre d'eau chaque fois qu'un orateur monte à la tribune ! Personne jusqu'ici n'a, me semble-t-il, porté un verre d'eau à sa bouche, alors je ferai une petite exception. (Sourires.) Il est possible, pourtant, qu'il n'y ait que deux verres en circulation ! (Sourires.)

J'ajouterai que je n'ai pas été embrassé sur les deux joues comme la présidente du Sénat mexicain mais, évidemment, je suis moins sexy qu'elle ! (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, j'ai demandé la parole parce que, dans la documentation qui nous a été remise, j'ai constaté que la Chambre des Lords était présentée comme très différente des autres assemblées. En fait, la Chambre des Lords est tout à fait non démocratique, avouons-le. Et, dans une certaine mesure, elle n'en a pas du tout honte !

À une époque, pour devenir membre de la Chambre des Lords, il fallait graisser la patte du roi ou, si vous n'aviez pas beaucoup d'argent, prêter votre épouse ! (Sourires.) Mais ces temps sont révolus et la Chambre des Lords est en voie de réforme.

Lloyd George, Premier ministre libéral, a déclaré un jour que la réforme de la Chambre des Lords ne pouvait plus attendre. C'était en 1910 ! (Sourires.)

Le conseil que je donnerais à toute personne souhaitant créer une deuxième chambre est de ne pas s'inspirer de l'exemple de la Chambre des Lords ! Surtout, n'utilisez pas celle-ci comme référence !

La Chambre des Lords a une fonction très utile - et, à cet égard, j'ai été ravi que l'on fasse appel à une commission de la Chambre des Lords, celle que je préside, bien sûr (sourires) - je veux parler de la fonction de vérification.

C'est l'une des capacités dont s'acquitte avec brio la Chambre des Lords parce que nous avons su réunir de nombreux talents : soixante-dix membres de la Chambre des Lords participent en effet au processus d'examen de la législation européenne.

Il y a également une commission de sélection scientifique et technique, qui compte un nombre encore plus élevé de membres.

Nous avons aussi mis en place une commission chargée d'examiner les projets de loi et toutes les législations secondaires. Il s'agit là d'une fonction très importante pour l'ensemble du Parlement, et pas seulement pour la Chambre des Lords.

À l'heure actuelle, nous évoluons et envisageons de mettre en place une commission chargée des droits de l'homme pour contrôler tout nouveau texte législatif soumis au Parlement et vérifier si les droits de l'homme sont respectés, notamment la Convention européenne des droits de l'homme.

Nous avons mis en place, enfin, une commission de sélection ad hoc chargée d'examiner le fonctionnement de la commission monétaire de la Banque royale d'Angleterre pour vérifier la pertinence de la fixation de tel ou tel taux d'intérêt. C'est possible parce que, souvent, les membres de la Chambre des Lords sont d'anciens banquiers, d'anciens chanceliers de l'Échiquier, bref des femmes et des hommes - car aujourd'hui il y a également des femmes, mais il fut une période où il n'y en avait pas ! - qui ont une expérience en dehors du processus politique strict. Voilà ce qui notamment fait la force de la Chambre des Lords aujourd'hui.

Comme je l'indiquais, nous sommes engagés dans la voie des réformes. Nous nous sommes débarrassés des Pairs du royaume, et ce par étape : nous sommes ainsi passés de quelque sept cents à un peu moins de cent. C'est encore beaucoup !

N'oublions pas, par ailleurs, que le fait de siéger à la Chambre des Lords était une activité non rémunérée. À ce propos, si quelqu'un est capable de trouver une chambre d'hôtel à Londres à moins de cent cinquante livres, qu'il me le fasse savoir! Quoi qu'il en soit, ce dégraissage était tout à fait bienvenu !

Comme je le disais, nous avons, au sein de la Chambre des Lords, des gens particulièrement compétents. Lorsque la commission des Affaires européennes étudie, par exemple, la directive sur l'eau de l'Union européenne, elle peut conclure que ce texte se fonde sur des absurdités, notamment sur le plan scientifique. Si l'un des membres de la commission est un ancien chimiste, il peut en effet présenter des arguments valables.

Il ne faut pas, malgré tout, que nous prétendions, à la fin de la journée, avoir le dernier mot. La seule mission qui nous incombe, c'est de tendre un miroir à la Chambre de communes et au Gouvernement en leur disant : êtes-vous certains de votre coup ? S'ils disent « oui », tant pis pour eux !

Nous n'avons pas vocation à renverser le Gouvernement, quelle que soit sa couleur politique. Nous sommes simplement une plate-forme composée des représentants de tous les partis politiques. Nous représentons également la société civile, certains de nos membres ne sont pas engagés dans une ligne politique donnée.

Quand vous avez besoin de décider, vous devez savoir si vous avez ou non une majorité. En fait, ce n'est pas toujours certain. J'ai moi-même été chef d'un groupe parlementaire pendant dix ans, et je n'étais pas toujours certain de pouvoir « tenir » mes collègues et il ne m'était pas possible, par exemple, de requérir des sanctions contre tel ou tel.

Finalement, notre action se fonde sur la persuasion.

Lorsque vous prenez la parole à la Chambre des Lords, vous devez être bref : vous dites votre fait et vous reprenez votre place. C'est d'ailleurs ce que je vais faire dans un instant ! (Sourires.)

Mais, quand vous prenez la parole, on vous écoute et, le cas échéant, les avis des uns et des autres évoluent.

Ce système sans doute un peu curieux, je ne le recommanderai à personne. C'est notre système, il fonctionne, mais nous comptons l'améliorer dans les années à venir. (Applaudissements.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
Président du Sénat de la République française

M. Chuba Okadigbo, président du Sénat du Nigeria( ( * )*)

Monsieur le président du Sénat de la République française, mesdames, messieurs les présidents des Sénats ici représentés, mesdames, messieurs, je souhaite naturellement commencer par remercier M. Christian Poncelet de nous avoir donné cette extraordinaire occasion d'échanger entre nous. Je le remercie également, ainsi que tous ses collaborateurs, pour tout le travail qu'a dû représenter l'organisation d'une telle réunion.

Le Nigeria a connu une histoire assez difficile, marquée par l'alternance de Gouvernements militaires et civils, et les premiers d'ailleurs ont été au pouvoir plus longtemps que les seconds. Mais une chose est commune aux systèmes démocratiques civils de Gouvernement : le système parlementaire nigérian est fondamentalement bicaméral. Le bicamérisme est l'une des caractéristiques essentielles de notre Constitution et de notre vie politique.

Depuis que le Gouvernement de la Grande-Bretagne a accordé l'indépendance au Nigeria en i960, nous avons adopté, en 1979, une Constitution proche de celle des États-Unis d'Amérique, caractérisée par deux traits marquants : il s'agit d'une Constitution fédérale, prévoyant un régime présidentiel sur le modèle américain.

Cela implique que le Sénat du Nigeria détient en fait un pouvoir considérable. À l'heure actuelle, les trente-six États composant la Fédération élisent chacun trois sénateurs au suffrage universel direct, un cent-neuvième sénateur représentant le Territoire de la capital fédérale. Cela reflète notre conviction qu'il convient d'assurer la représentation de toutes les régions.

Il existe également une Chambre des représentants, qui compte 360 députés élus au prorata de l'importance de la population des différents États de la Fédération.

Dans les relations entre les deux chambres, il semblerait que le Sénat bénéficie davantage de pouvoirs, par exemple la ratification de la désignation d'ambassadeurs, de hauts fonctionnaires et de ministres ainsi que les présidences de certaines conférences conjointes entre le Sénat et la Chambre des représentants.

En tout cas, 67 points relèvent directement et exclusivement de la compétence du Sénat, contre 71 autres points qui relèvent de la compétence du Sénat et, éventuellement, de la Chambre des représentants.

Si, en outre, certaines incohérences apparaissent dans la législation des États, elles peuvent être annulées par le Sénat.

Par ailleurs, la Constitution prévoit qu'il doit permettre et assurer la paix et la stabilité du pays. Il a également des compétences en matière de budget de l'État, puisqu'un certain nombre d'États ne peuvent dépenser un seul « cent » provenant des revenus consolidés de la nation sans l'aval du Parlement.

Au Nigeria, l'organisation du Sénat est peut-être un peu particulière. En effet, il comporte cinquante-trois commissions qui se spécialisent sur différents sujets et qui ont également une certaine fonction de contrôle vis-à-vis des ministères.

Cela étant dit, avec la permission de M. le président, bien entendu, j'aimerais aborder une question qui est particulièrement intéressante pour l'ensemble du Nigeria car, en tant que nouvelle démocratie et dans le contexte des exactions et des pillages commis par les militaires au fil des ans, nous souhaitons stabiliser et renforcer notre démocratie.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs, plusieurs interprétations peuvent être faites. On peut parfois penser qu'une annulation de la dette est une sorte de charité, de miséricorde. La position de votre Gouvernement sur cette question de l'annulation de la dette, qui pourrait nous permettre de disposer de plus de revenus, est importante. Nous vous serions extrêmement reconnaissants de nous aider à persuader les membres du G 7 d'autoriser l'annulation de notre dette extérieure.

Bien souvent, la corruption a sévi dans certains pays africains, dans certains pays du tiers monde. Les fonds concernés sont donc sortis de façon illicite de notre pays et ont été déposés, de façon tout aussi illicite, dans des banques situées à l'extérieur de notre pays. En fait, nous avons été pillés. Il nous est difficile d'assumer le poids de la dette, car les banques européennes et américaines souhaitent nous obliger à rembourser de l'argent que nous n'avons pas obtenu, qui nous a été volé et qui, bien souvent, a été déposé dans ces mêmes banques.

Si l'on s'en tient à une stricte application des législations bancaires de ces pays, on pourrait envisager une annulation de cette dette, d'autant que ces fonds, je le répète, sont pratiquement déjà dans leurs coffres. Nous n'en disposons plus.

Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, de m'avoir permis d'aborder cette question, ô combien délicate ! et très importante pour nous, et je vous prie instamment de nous aider à persuader les Gouvernements de nous accorder cette annulation de notre dette. (Applaudissements.)

Mme Katica Ivanisevic, présidente de la Chambre des districts de la Croatie( ( * )*)

Monsieur le président, Excellences, mesdames, messieurs, tout d'abord, permettez-moi d'exprimer mes salutations les plus chaleureuses à votre intention. J'aimerais féliciter M. Christian Poncelet, président du Sénat français, pour l'excellente organisation de ce forum M. J'aimerais aussi exprimer ma satisfaction de nous voir très nombreux dans cette enceinte. C'est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant vous.

Mon pays, qui a près de 1 300 ans, a un Parlement depuis le XII e siècle ; c'est donc l'un des plus anciens en Europe. Mais la Chambre haute n'a été inscrite dans la Constitution qu'en 1993. J'aimerais très brièvement vous préciser la position sur le plan constitutionnel et l'autorité de la Chambre des régions qui correspond à la Chambre haute du Parlement national de Croatie. Personnellement, j'exerce mon deuxième mandat de présidente de cette chambre.

Les citoyens de chaque région peuvent élire au suffrage universel direct, par un vote à scrutin secret, trois représentants à la Chambre des régions. Le président de la République de Croatie peut élire jusqu'à cinq députés de cette chambre choisis parmi les éminents citoyens de la Croatie.

Je rappelle que la Croatie est divisée en vingt et une régions. À l'issue de son mandat, le président de la République devient un membre à vie de la Chambre des régions, à moins qu'il ne renonce à cette obligation. Les députés, au sein des deux chambres, sont élus pour quatre ans.

La Chambre des régions délibère sur l'ensemble des sujets qui sont inscrits à l'ordre du jour de ses sessions et peut exprimer un avis sur l'ensemble des questions. Son avis est obligatoire lorsque les textes concernent le système électoral, les droits nationaux, la structure et le fonctionnement des institutions de l'État et des Gouvernements locaux, les modifications constitutionnelles ainsi que les droits et les libertés des citoyens.

La Chambre des régions peut également exercer un droit de veto suspensif, ce qui signifie qu'elle peut, dans un délai de quinze jours, renvoyer une loi devant la Chambre des députés pour une nouvelle délibération.

La Chambre des régions propose des candidatures aux postes de juges du Conseil supérieur de la magistrature, qui les choisit, et propose également à la Chambre des représentants des candidatures de membre de la Cour constitutionnelle de la République de Croatie.

La Chambre des régions peut déposer des amendements et soumettre ses propres textes de loi.

La nouvelle coalition qui vient de remporter les élections en Croatie a fait connaître son intention de soumettre des propositions d'amendements à la Constitution qui auraient pour conséquences une réduction de l'autorité du régime présidentiel et un renforcement du système parlementaire. Elle devrait également redéfinir les compétences de la Chambre des régions.

Il a même été proposé de supprimer purement et simplement la Chambre haute, au motif qu'elle constitue un fardeau trop lourd pour le budget de l'État. Mais, fort heureusement, le bon sens l'a emporté et une telle idée a été écartée.

Je suis convaincue, pour ma part, que le système parlementaire bicaméral garantit la démocratie parlementaire. Quoi qu'il en soit, il restreint le principe majoritaire dans la mesure où il peut amener les majorités à rendre compte de leurs responsabilités devant les minorités et les groupes d'intérêts particuliers.

Le système bicaméral contribue à renforcer la démocratie, la stabilité sociale et à améliorer l'équilibre social.

Il convient de le souligner à nouveau : la fusion entre l'exécutif et le législatif débouche généralement sur une prééminence de l'autorité exécutive dans les systèmes parlementaires monocaméraux.

L'expérience internationale montre que le système bicaméral conduit à une certaine protection de l'indépendance du Parlement. C'est pourquoi la défense du principe du régime bicaméral et la réflexion sur le rôle des chambres hautes relèvent d'une approche tout à fait acceptable.

D'un pays à l'autre, on trouve différents modèles d'élections aux chambres hautes liés aux différentes distributions des compétences constitutionnelles.

Selon moi, il conviendrait de renforcer les pouvoirs des chambres hautes, et je suis convaincue que notre réunion d'aujourd'hui, les différentes interventions qui ont été prononcées et les échanges d'expériences auxquels nous avons procédé contribueront fortement au développement du rôle que jouent ces chambres hautes. (Applaudissements.)

M. Moussa Sanogo président de la Chambre des représentants du Burkina Faso

Monsieur le président, je vais innover par rapport à la tradition. J'ai en effet été mandaté par le chef de l'État du Burkina Faso pour vous porter un message qu'avec votre permission je vais lire.

« Ouagadougou, le 10 mars 2000.

« Monsieur le président,

« La tenue du forum des Sénats et deuxièmes chambres du monde à Paris le 14 mars 2000 me donne l'agréable occasion de vous féliciter pour votre heureuse initiative et d'adresser mes encouragements à l'ensemble des participants à ce grand rendez-vous de la culture démocratique.

« Si le système bicaméral est une ancienne tradition dans de nombreux pays du Nord, c'est à la faveur des vents de démocratie pluraliste des années quatre-vingt-dix qu'il a fait son émergence dans le paysage institutionnel de certains pays du Sud.

« Au Burkina Faso, la Constitution adoptée par référendum le 2 juin 1991 consacre le bicamérisme. La Chambre des représentants, qui est l'autre composante de notre Parlement, a certes un caractère consultatif, mais cela n'enlève rien à l'autorité morale des structures socioprofessionnelles, coutumières et religieuses qui la composent.

« Elle n'en est encore qu'à sa deuxième législature mais, au regard du travail déjà abattu au cours des précédents mandats, je reste persuadé de son ancrage définitif dans notre environnement démocratique.

« Monsieur le président, en ce début de millénaire marqué du sceau de la mondialisation, il est impérieux pour nous de nous ouvrir sur l'extérieur. C'est pourquoi je salue votre initiative de réunir tous les Sénats et deuxièmes chambres du monde. Ce forum sera non seulement une tribune de débats enrichissants sur le bicamérisme mais également une occasion d'échanges interparlementaires.

« Tout en souhaitant plein succès à vos travaux, je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de ma haute considération.

« Biaise Compaoré »

Monsieur le président du Sénat français, Excellences, mesdames et messieurs les présidents de Sénat et de seconde chambre, honorables délégués, vous me permettrez avant toute chose de saluer la clairvoyance des initiateurs du présent forum, tout particulièrement de M. le président Christian Poncelet. Les différentes interventions qu'il nous a été donné d'entendre depuis l'ouverture de cette rencontre ont souligné avec force sa pertinence.

Malgré leur rôle irremplaçable dans l'approfondissement de la démocratie, les Sénats et les secondes chambres sont restées jusque-là quelque peu en retrait des grandes rencontres internationales. Il y a peu ou pas de cadre de rencontres au niveau international pour nos institutions. Cette situation peut s'expliquer par la nature de nos institutions. En effet, les Sénats et les secondes chambres sont pour la plupart des organes de sagesse, et la sagesse, sous toutes les latitudes, rime avec la pondération.

Sans céder cependant à l'effet de mode, il est nécessaire à présent d'imaginer des formules qui nous permettent d'occuper la place qui est la nôtre dans ce monde qui se globalise et qui, vous vous en doutez, a besoin parfois - et même très souvent - de pincées de sagesse pour ne pas déraper de sa vocation originelle qui est l'épanouissement des hommes et des femmes de notre bonne vieille terre.

Cette heureuse initiative, qui va préfigurer, nous l'espérons, ces futures instances, est à saluer, et le mérite vous en revient incontestablement, monsieur le président du Sénat français.

Mesdames, messieurs les présidents, honorables délégués, le Burkina Faso est un modeste pays de l'Afrique de l'Ouest. Il n'est pas doté par la nature des atouts économiques - pétrole, diamant, forêt - si indispensables aujourd'hui pour attirer l'attention des médias internationaux. Il y a cependant un Français, un illustre fils de la patrie des droits de l'homme, qui ne s'est jamais mépris sur la vocation réelle de mon pays ; j'ai nommé le général de Gaulle. Le père de la V e République française, avec le flair politique et la connaissance des hommes qu'il avait, fut le premier à qualifier le Burkina Faso de « terre des hommes ». Cette appréciation du général de Gaulle se fonde sur deux raisons : la première, c'est qu'effectivement la ressource humaine est la principale richesse du pays ; la seconde, c'est la qualité de cette ressource humaine.

Le général de Gaulle avait eu l'opportunité d'apprécier sur le champ de bataille, pendant la Seconde Guerre mondiale, la combativité des soldats burkinabé. Les Burkinabé constituaient en effet le gros des contingents africains, appelés, de façon générique, « tirailleurs sénégalais », qui ont versé leur sang sur ce vieux continent pour que le nazisme ne triomphe pas de la démocratie.

Ce pays, le Burkina Faso, peu attractif sur le plan économique, a su développer une expérience politique tout à fait singulière et digne d'intérêt. Le parti unique, si omniprésent et si omnipotent sur le continent jusque dans les années quatre-vingt-dix, n'a jamais eu de prise dans le pays. Malgré la récurrence des pronunciamientos, le pluralisme politique est resté vivace et, en 1978, dans une élection présidentielle ouverte, le Président de la République en exercice est mis en ballottage au premier tour. Cet aspect iconoclaste de l'expérience politique burkinabé ne disparaît pas lorsqu'en 1991, après onze ans de régime d'exception, le pays renoue avec la démocratie.

Tirant les leçons des limites d'une vie parlementaire réduite à l'Assemblée nationale, le Constituant institue le Parlement bicaméral : c'est la naissance de la Chambre des représentants.

Le Parlement burkinabé, aux termes de la Constitution de 1991, comprend deux chambres : l'Assemblée nationale, dont les membres portent le titre de « députés », et la Chambre des représentants, dont les membres portent le titre de « représentants ».

Ces deux chambres du Parlement n'ont cependant pas les mêmes prérogatives. L'Assemblée nationale est délibérative et exerce les fonctions traditionnelles d'un parlement. Quant à la Chambre des représentants, elle est consultative. Elle est saisie ou s'autosaisit des projets ou propositions de loi et émet des avis qu'elle dépose sur le bureau des députés. Ces avis ne s'imposent pas à l'Assemblée nationale, mais l'expérience montre que les députés en tiennent compte. Le bicamérisme burkinabé peut donc être qualifié d'inégalitaire.

Qu'est-ce qui fait la pertinence de cette expérience ?

L'institution de la Chambre des représentants vise à pallier les limites du système représentatif monocaméral. Le Burkina a connu une vie de balancier entre État de droit et irruptions militaires dans la vie politique.

En 1960, au moment de l'indépendance du pays, un Gouvernement civil restera aux affaires pendant six ans. Cette première République, à cause de la mauvaise gestion, connaît un coup d'arrêt sous la pression populaire en 1966. Le chef de l'État est contraint à la démission.

En 1970, on assiste à un retour à une vie constitutionnelle. Un Parlement est mis en place. L'expérience dure quatre ans seulement.

En 1978, nouvelle Constitution, nouvelle Assemblée nationale. Cette fois, l'expérience n'excède pas deux ans. Les militaires reprennent le pouvoir le 25 novembre 1980.

Analysant ces expériences manquées, le Constituant de 1991 a décidé de revoir l'armature et le contenu de la Constitution afin que la représentation nationale corresponde véritablement à la volonté des populations, mais aussi qu'elle soit en mesure de remplir la fonction législative dans un État moderne. La Chambre des députés a donc été conservée et demeure le lieu des compétitions politiques entre les partis. La Chambre des représentants lui a été adjointe pour permettre aux leaders d'opinion et aux représentants authentiques des communautés de base, qui sont d'office écartées par le mode de scrutin à l'Assemblée nationale d'être associés au processus législatif.

L'organisation sociale et le taux d'analphabétisme de nos populations amoindrissent la pertinence de la représentation nationale à travers les partis politiques. Un député a, en effet, moins d'emprise sur sa communauté qu'un chef coutumier ou un chef religieux. Toutefois, le système de représentation actuel permet à chacune des composantes sociales de se sentir concernée par les décisions qui sont prises au sommet de l'État.

Le deuxième niveau de pertinence réside dans la force de médiation de la société civile dans notre pays. Le Burkina reste le seul pays africain où la société civile a contraint un chef d'État à la démission. Ce fait inédit montre le rôle social important de ces structures dans la vie de la nation. Comme nous le disions tout à l'heure, au Burkina, le parti unique n'a jamais réussi à s'instaurer. Il en fut de même pour les organisations de travailleurs. Malgré la marche heurtée de la vie politique, la pluralité syndicale n'a jamais disparu. À ces organisations de travailleurs très actifs, il faut ajouter une chefferie coutumière, héritière d'une riche histoire politique, qui s'est fait remarquer à chaque moment historique du pays. Instruit de cette expérience, le Constituant de 1991 a érigé la Chambre des représentants comme une instance législative à côté de l'Assemblée nationale et fonctionnant sous le modèle de l'arbre à palabre africain, d'où notre symbole : le baobab.

J'en viens aux prérogatives de la Chambre des représentants.

La Chambre des représentants n'est pas un Sénat, dans la conception classique du terme. C'est une Chambre consultative de la société civile. Cette décision du Constituant se justifie par la jeunesse de notre expérience démocratique.

Les mécanismes de fonctionnement de la séparation des pouvoirs n'étant pas tout à fait éprouvés et la cohésion sociale étant très fragile, il était sage de travailler à éviter les causes de blocage du fonctionnement des institutions. La Chambre des représentants devait acquérir progressivement certaines prérogatives. De toute façon, au regard du poids moral des représentants, les députés pouvaient difficilement ignorer leur avis, au risque de voter des lois inapplicables.

En installant les représentants de la première législative, S.E. M. Biaise Compaoré, le président de la République, qui a pesé de tout son poids pour que naisse cette institution, ne s'y était pas trompé quand il affirmait : « Le caractère consultatif de la Chambre des représentants n'enlève en rien à l'autorité morale des structures socioprofessionnelles qui la composent. Au demeurant, je suis persuadé que ce poids moral va aller croissant et imposer sa marque à l'univers institutionnel du Burkina si, par la rigueur de son argumentation et l'exemplarité de ses membres, elle parvient à convaincre les populations d'être un porte-parole crédible à leurs aspirations. »

Mais le Constituant, qui n'a pas d'emblée doté la Chambre de prérogatives législatives assez larges, lui a donné d'autres prérogatives assez importantes dans la vie politique nationale. Ainsi, le chef de l'État, qui est la clé de voûte de nos institutions, conformément au modèle de la V e République française dont nous nous sommes inspirés, est parfois amené à partager ses domaines réservés avec la Chambre.

C'est ainsi que, avant de dissoudre l'Assemblée nationale, le président du Faso est tenu de consulter le président de la Chambre des représentants.

De même, avant de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur toute question d'intérêt national, le Président du Faso est tenu de requérir l'avis du président de la Chambre des représentants.

Enfin, lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements sont menacés d'une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics institutionnels est interrompu, le Président de la République prend, après consultation des présidents de l'Assemblée nationale et de la Chambre des représentants, les mesures exigées par les circonstances.

Le président de la Chambre des représentants partage avec le Président de la République, le Premier ministre et le président de l'Assemblée nationale la faculté de saisir la Chambre constitutionnelle.

En outre, la Chambre des représentants dispose du pouvoir d'auto-saisine. Elle peut, si nécessaire, se saisir d'office de projets ou propositions de loi ou de toute question d'importance et émettre des avis.

Les représentants, qui sont au nombre de 162, sont élus au sein de leur structure selon des modalités qui leur sont propres. Le Président du Faso en désigne quatre. Le mandat des représentants est de trois ans, et il est gratuit. Dans l'année, les représentants se réunissent deux fois en session ordinaire de quarante-cinq jours. Au besoin, les représentants peuvent se réunir en session extraordinaire, celle-ci ne saurait excéder dix jours.

C'est le souci de prendre en compte la réalité nationale qui a amené le constituant de 1991 à instituer la Chambre des représentants à côté de l'Assemblée nationale. Cette institution nouvelle devait donc s'aguerrir avec le temps et conquérir progressivement des prérogatives.

Nous en sommes actuellement à la deuxième législature de la Chambre des représentants. L'expérience de la première ayant été concluante, les acteurs de la vie politique burkinabé sont aujourd'hui unanimement favorables à l'élargissement des prérogatives de la Chambre en matière législative.

Désormais, pour certaines lois, l'Assemblée ne peut les adopter qu'après avis favorable de la Chambre. Ce sont les lois relatives à la citoyenneté, aux droits civiques et à l'exercice des libertés publiques, à la nationalité, à l'état et à la capacité des personnes, aux régimes matrimoniaux, aux successions et aux libéralités.

Cela concerne également la procédure selon laquelle les coutumes seront constatées et mises en harmonie avec les principes fondamentaux de la Constitution, la protection de la liberté de la presse et d'accès à l'information, l'intégration des valeurs culturelles nationales.

Pour conclure, je dirai que notre expérience de seconde chambre parlementaire est récente. Notre objectif, comme vous avez pu vous en rendre compte, est de construire un bicamérisme qui permette la participation du plus grand nombre au jeu démocratique.

Un forum comme celui-ci nous offre une opportunité inespérée de nous enrichir des expériences des autres, parce que, en politique non plus, il n'est pas nécessaire de réinventer la roue. À l'heure de la globalisation, tout en restant farouchement jaloux de nos exceptions, il nous faut nous enrichir de l'expérience des autres. (Applaudissements.)

M. Georges Rawiri, président du Sénat du Gabon

Mesdames, messieurs les présidents, chers collègues, je voudrais tout d'abord joindre la voix du Gabon à celle des autres délégations pour féliciter M. Christian Poncelet, président du Sénat français, de l'heureuse initiative qu'il a prise en invitant ici, à Paris, l'ensemble des pays dotés d'un système bicaméral. C'est une grande première !

Je voudrais aussi vous remercier, monsieur le président, de l'accueil chaleureux qui a été réservé à ma délégation ainsi que de l'organisation parfaite de ce forum.

Pour évoquer brièvement le Sénat gabonais, je préciserai en premier lieu que c'est la réforme constitutionnelle de 1994 qui a permis la création d'une seconde chambre du Parlement. La chambre haute du Parlement a ainsi été installée le 10 mars 1997. Cette réforme visait à approfondir le processus démocratique initié par le chef de l'État, S.E. El Hadj Omar Bongo, après les assises de la conférence nationale de 1990.Le Sénat gabonais compte quatre-vingt-onze membres élus au suffrage universel indirect, dont douze femmes. Ce n'est pas encore la parité ! (Sourires.)

Les sénateurs sont élus par les grands électeurs : députés, conseillers départementaux et conseillers communaux.

La mission du Sénat est triple : le vote de la loi, le contrôle de l'action gouvernementale, le consentement à l'impôt.

À ces trois missions s'ajoute la représentation des collectivités locales. En effet, le Gouvernement gabonais a mis en place une politique de décentralisation qui s'appuie sur le développement des communes et des départements. Ces structures administratives et territoriales vont désormais servir de base pour promouvoir le développement local et, en même temps, créer une dynamique de la solidarité dont toutes les couches de la population pourront profiter.

Le Sénat gabonais tient deux sessions ordinaires par an, d'une durée de quatre mois chacune. Par ailleurs, il peut se réunir en session extraordinaire, conformément à notre Constitution.

Le président du Sénat assure l'intérim de la présidence de la République en cas de vacance définitive du chef de l'État et il organise les élections présidentielles.

Les sénateurs ont un mandat d'une durée de six ans, alors que celui des membres de l'Assemblée nationale est de cinq ans. Cela assure la continuité du Parlement.

Ce matin, avec votre autorisation, monsieur le président, notre collègue de la Mauritanie a lancé l'idée d'une réunion qui se tiendrait en octobre prochain et qui regrouperait tous les Sénats d'Afrique. Le Gabon soutient cette idée et il demande à notre collègue de nous tenir informés des préparatifs de cette rencontre. (Applaudissements.)

M. Abdelaziz Abdelghani, président du Conseil consultatif du Yémen( ( * )*)

Mesdames, messieurs les présidents, permettez-moi, au début de mon intervention, de saluer M. Christian Poncelet et de lui exprimer nos remerciements et toute notre gratitude. Permettez-moi également de remercier tous ceux qui ont contribué à préparer et organiser ce forum des Sénats du monde.

Nous sommes d'autant plus sensibles d'avoir été invités à y participer dans cette belle ville de Paris que cette réunion vient à point nommé pour traiter des crises qu'ont traversées les systèmes politiques de divers pays au cours des dix dernières années.

Monsieur le président du Sénat français, le forum d'aujourd'hui est extrêmement important. Nous espérons que les objectifs qui y sont affichés pourront être atteints et que seront ainsi raffermis les liens d'amitié et de coopération entre les Sénats du monde, qui jouent en fait des rôles assez similaires. Nous pourrons, de cette manière, échanger nos idées et nos expériences, contribuant par là même à améliorer le climat politique dans le monde et à renforcer la coopération.

Le Sénat yéménite a toujours joué un rôle important, et le peuple yéménite a eu l'occasion de le mesurer récemment lorsqu'il a pu réaliser sa réunification.

Le peuple yéménite a grandement contribué à l'épanouissement de la civilisation. Il a toujours fait la preuve de sa volonté de reprendre sa place au sein de la famille des nations et d'accompagner les progrès de la civilisation et de la culture. Notre civilisation est l'une des plus anciennes du monde : elle remonte à l'aube des civilisations, à une époque où l'homme a commencé à s'efforcer de comprendre le sens de son existence.

Le peuple yéménite n'a jamais cessé de manifester sa volonté d'exister et de se développer, ayant toujours eu foi en l'avenir et en la vie.

Ainsi, le peuple yéménite s'est toujours caractérisé par ses capacités créatrices. Le Yémen et ses différentes cités ont toujours été un phare de la civilisation. Ce n'est pas sans raison que le Yémen, jadis terre de la reine de Saba, fut appelé l'« Arabie heureuse ».

En mai 1990, le Yémen a pu se réunifier et adopter un système politique fondé sur la démocratie. Appuyé sur une Constitution, son système politique garantit la pluralité des partis politiques, l'organisation d'élections libres, la liberté de la presse, la liberté d'expression des opinions et des idées. Notre Constitution garantit également la dignité de l'être humain et les droits humains.

Ainsi, nous avons déjà organisé des élections qui se sont caractérisées par leur transparence et qui ont confirmé au monde la volonté du Yémen de vivre dans un cadre démocratique. Ces élections se sont déroulées en avril 1993 et en avril 1997.

En septembre 1999, le peuple yéménite a élu un Président de la République. C'étaient les premières élections du Président de la République au suffrage direct et elles ont porté le président Ali Abdallah Saleh à la tête de l'État.

Le mois dernier, nous avons adopté et promulgué les lois sur les institutions locales pour garantir la participation du peuple au Gouvernement des provinces et des régions.

L'année dernière, la capitale de mon pays, Sanaa, a accueilli le forum des pays en développement, qui a été le premier du genre. De nombreuses délégations ont participé à ce forum, qui visait à renforcer les relations entre les pays en développement, à échanger les expériences fondées sur les pratiques démocratiques, à mettre en relief l'importance de la démocratie dans la vie politique de ces pays et à explorer les voies par lesquelles la démocratie peut contribuer à leur développement. Il s'agissait également d'étudier les moyens de renforcer la coopération au bénéfice des pays en développement.

En 1997, a eu lieu l'élection du Sénat. Rassemblant des personnalités reconnues pour leur intégrité et pour leurs compétences, il assure la représentation des différentes régions du Yémen et de toutes les couches sociales et socioprofessionnelles du pays. Ainsi, il est compétent pour examiner les projets de loi qui lui sont soumis. Un projet à l'étude vise à élargir ses attributions.

Monsieur le président, ce forum, qui rassemble les présidents des Sénats nous permet de prendre conscience de l'importance de ces chambres hautes dans les Parlements du monde entier. Nous espérons qu'à l'avenir cette réunion se tiendra régulièrement.

L'année prochaine, nous allons célébrer le dixième anniversaire de la réunification du Yémen, qui est notre fête nationale. Je veux profiter de ma présence à cette tribune pour vous adresser, au nom du peuple yéménite et du Gouvernement du Yémen, mes salutations et l'expression de notre amitié et de notre volonté de paix pour tous les pays et tous les peuples participants. Encore une fois, je tiens à souhaiter à ce forum le plein succès dans ses travaux. (Applaudissements.)

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (* ) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* (*) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

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