L'année Victor Hugo au Sénat



Palais du Luxembourg, 15 et 16 novembre 2002

L'EXIL AU XIXE SIECLE OU L'ESPOIR DU LENDEMAIN

Vendredi 15 novembre 2002

Participent à cette table ronde :

Karine RANCE, Agrégée d'histoire en service détaché à l'Université Paris I

Sylvie APRILE, Maître de conférences à l'Université de Tours, membre du Groupe Hugo

Virginie BUISSON, Chercheuse en sciences sociales

Robert TOMBS, Professeur à l'Université de Cambridge

Franck LAURENT, Maître de conférences à l'Université du Mans

La table ronde est animée par Michel WINOCK, Professeur émérite à l'Institut d'Études Politiques de Paris, conseiller littéraire aux éditions du Seuil et conseiller de la direction de la revue l'Histoire .

Michel WINOCK

Cette matinée sera divisée en deux temps. La première table ronde sera consacrée à l'exil au XIX e siècle. Elle sera suivie par une autre table ronde, sur l'exil au XX e et XXI e siècles.

Il y a deux sortes d'exil, celui qu'on a souhaité et celui qu'on s'est vu infliger. Il y a le départ pour un autre pays de celui qui a rompu avec le sien, trop ingrat ou trop hostile : on arrache alors ses racines pour les replanter dans une terre plus accueillante. Il y a, à l'opposé, la proscription, la punition, l'ostracisme : il faut partir pour échapper à la prison ou à la potence. Cet exil-là est chargé d'un autre espoir que le premier : revenir.

« L'exil n'est pas une chose matérielle, écrit Hugo, c'est une chose morale. » Tout de même, être exilé c'est d'abord, chronologiquement, et parfois durablement, affronter le besoin, la pauvreté, voire la misère. Les caisses de secours ne sont que des palliatifs, il faut survivre : être manutentionnaire ou répétiteur, faire de la copie ou faire la manche. L'inégalité règne dans l'exil comme ailleurs. Certains disposent de rentes, la plupart n'ont que leurs yeux pour pleurer et leurs mains à enchaîner.

Il est d'autres souffrances que matérielles, l'espérance étant la plus violente d'entre elles. Car la proscription, sine die en général, précipite dans l'espoir du retour, toujours à vif, toujours déçu. C'est la douleur du vaincu. Injurié et spolié dans son pays natal, surveillé sans relâche dans le pays d'accueil, où l'espion prend tous les masques possibles, l'exilé de surcroît est accablé par l'éloignement et la solitude. Sont-ils perdus à jamais ses paysages familiers, la rue et la maison où il a grandi, les lieux de promenade mille fois parcourus, les chers visages restés là-bas ? L'exil est une mort à petit feu.

Cependant Hugo, qui parle en connaissance de cause des malheurs de l'exilé, a su montrer aussi la grandeur de l'exil. « En vous retirant de tout, écrit-il, on vous a tout donné ; tout est permis à qui tout est défendu ; vous n'êtes plus contraint d'être académique et parlementaire ; vous avez la redoutable aisance du vrai, sauvagement superbe. »

Vécu comme une catharsis, l'exil transforme et libère. La mondanité, sur laquelle les moralistes ont tant ironisé, et qui contraint à des politesses inhibitrices, la mondanité n'a plus court ; la liberté de pensée n'est plus aliénée par l'ambition ou la vanité ; le recul permet de se concentrer, comme dirait le cardinal de Retz, sur la substance au mépris du frivole.

Certes, les pièges abondent. Lucide, Hugo peur ainsi écrire en 1875 : « Le proscrit est un homme chimérique. Soit. C'est un voyant aveugle ; voyant du côté de l'absolu, aveugle du côté du relatif. Il fait de bonne philosophie et de mauvaise politique.» Mais l'auteur des Châtiments défend néanmoins la voix de « l'homme chimérique » : le seul relativisme mène à l'abîme.

Car l'exilé républicain rappelle le droit, la vérité, la justice. En ce sens, il est un danger permanent pour le prescripteur ; il fait peur à l'usurpateur ; il est l'oeil qui ne perd jamais de vue Caïn.

Au demeurant, tous les exilés ne partagent pas l'idéalisme de Victor Hugo. Leurs motivations ne sont pas nécessairement celles du droit et de la justice. Les émigrés de Coblence avaient quitté une France qui ne reconnaissait plus leurs privilèges. Les proscrits qui, avec Blanqui, avaient voulu imposer par le coup de force la raison révolutionnaire aux représentants du peuple souverain. La figure d'Hugo, son symbole, ne sauraient épuiser le modèle de l'exil. Le proscrit n'est pas obligatoirement une sainte victime, un soldat de la vérité, un prophète désintéressé, et c'est pourquoi l'exilé ne doit pas être seulement un objet d'admiration et de compassion -- mais un objet d'histoire.

*

* *

Le XIX e siècle, si l'on veut bien y inclure la période de la Révolution, aura été en France le siècle même de l'exil. Un grand précédent datait du XVII e siècle, lorsque l'abolition de l'Édit de Nantes, en 1685, déclencha une diaspora huguenote aux effets durables et désastreux pour la France. Un peu plus de cent ans plus tard, les épisodes successifs de la Révolution jettent environ 150 000 Français hors des frontières. « 100 000 Français chassés à la fin du XVII e siècle, écrit Michelet, 120 000 Français chassés à la fin du XVIII e siècle, voilà comment la démocratie intolérante achève l'oeuvre de la monarchie intolérante. »

L'Émigration des temps révolutionnaires n'a pas bonne réputation dans la tradition républicaine, qui a l'assimilée à cette « armée de Coblence », armée des princes retournant leur épée contre la nation française. De fait, la première émigration, volontaire, fut bien celle des aristocrates suivant, dès les lendemains du 14 juillet 1789, le comte d'Artois puis le comte de Provence, les frères du roi, dans l'espoir contre-révolutionnaire de restaurer l'absolutisme royal avec l'appui des régiments étrangers. Mais ce premier exil a été suivi de plusieurs vagues successives, provenant de toutes les classes sociales et de tous les partis vaincus, jusqu'à la chute de Robespierre. L'émigration n'a donc pas été homogène. Si la première phase est le fait de personnes hostiles à la Révolution, la deuxième phase, notamment au moment de la Terreur, est dominée par des partisans de cette Révolution en butte au jacobinisme montagnard. En 1793, le « crime d'émigration en temps de guerre » est défini par la loi. Les biens des exilés sont confisqués. Eux-mêmes, dont les noms sont inscrits sur une liste, sont condamnés à mort. La politique de réconciliation nationale, décidée par Bonaparte et le Consulat, prononcera le 26 avril 1802 l'amnistie générale des émigrés. Beaucoup alors rentreront en France. Certains attendront la chute de celui qui pour eux reste un usurpateur, en 1814.

Si désireux du consensus, le pouvoir napoléonien renforcé par l'instauration de l'Empire n'en provoque pas moins les départs de France, de la part des esprits les plus libéraux. Émigration qualitative plus que quantitative, illustrée au premier chef par les exils de Mme de Staël et de Benjamin Constant, pourtant ralliés au coup d'État de Brumaire par lequel Bonaparte avait accédé au pouvoir. Par son opportunisme, Benjamin, lui, sera condamné à un double exil : rallié de nouveau à Napoléon au moment des Cent Jours, il doit quitter la France après Waterloo. Il restera en Angleterre jusqu'en décembre 1816, date à laquelle, gracié par Louis XVIII, il peut revenir à Paris.

C'est de cette première grande vague d'exil que va nous parler Karine Rance, chercheuse associée à l'Institut d'histoire de la Révolution française (université Paris I).

Les émigrés de la Révolution : de l'émigration politique à l'exil politique

Karine RANCE

Évoquer l'émigration des nobles contre-révolutionnaires dans le cadre d'une manifestation consacrée à Victor Hugo peut surprendre car tout semble opposer l'émigré de l'époque révolutionnaire et l'écrivain défenseur de la République. Face à Victor Hugo se trouve un groupe d'environ 17 000 individus 1 ( * ) , une population extrêmement mobile, dispersée dans toute l'Europe et aux États-Unis, et favorable au rétablissement de la monarchie. Pourtant, comme Victor Hugo, les émigrés nobles contre-révolutionnaires pourraient être regardés comme des exilés politiques.

Émigration, exil, refuge, autant de termes dont la signification a évolué. À l'époque révolutionnaire, quand on évoquait les réfugiés, on pensait aux huguenots. Le terme d'émigré, légalement, désignait toute personne ayant quitté la France (en étaient exclus les négociants et les étudiants). Cependant, dans les débats publics, dans la presse et pour les acteurs eux-mêmes, l'émigré était défini plus précisément, à savoir par sa noblesse et par ses opinions contre-révolutionnaires. Le terme d'exilé, en revanche, renvoyait à une catégorie très floue.

Ces termes n'ont plus le même sens de nos jours. Le réfugié est aujourd'hui défini par un statut juridique ; l'émigré est celui qui se trouve à l'étranger : la définition est désormais très générale ; l'exilé, en revanche, est défini d'une manière plus précise qu'autrefois, à savoir par son engagement politique : selon Yossi Shain, les exilés sont ceux qui sont engagés « dans une activité politique dirigée contre la politique du régime du pays d'origine, [...] de manière à créer des circonstances favorables à leur retour. » 2 ( * )

Faut-il distinguer l'émigration politique de l'exil politique ? Cette distinction permettrait de caractériser deux époques très différentes de l'émigration contre- révolutionnaire qui, dans son ensemble, a duré une dizaine d'années. La première période va jusqu'à la défaite militaire de 1792, la seconde jusqu'au retour en France vers 1800-1802. Une troisième période s'ouvre avec le retour en France, qui ne signe pas toujours la fin de l'exil. 3 ( * )

Coblence : une émigration politique ?

L'émigration nobiliaire n'était pas politique à l'origine. Les nobles émigrés, dans leurs mémoires, écrivirent souvent que le départ du comte d'Artois (frère de Louis XVI et futur Charles X) et du prince de Condé, au lendemain de la prise de la Bastille, avait sonné le « signal de l'émigration ». En réalité, les premiers départs eurent lieu avant la prise de la Bastille : en Franche-Comté par exemple, les premiers nobles passèrent la frontière dès mars-avril 1789. 4 ( * ) Ces individus partirent pour se mettre à l'abri des troubles. Ils se rendirent à Bruxelles ou à Londres, allèrent prendre les bains à Spa, à Bath ou à Wilhelmsbad. Ils s'y enivrèrent d'une vie de société trépidante. Les émigrés étaient alors de simples de voyageurs.

Les départs se multiplièrent après chaque événement marquant, comme l'abolition de la noblesse héréditaire en juin 1790 5 ( * ) . Mais le groupe des nobles émigrés n'était ni structuré, ni véritablement politisé. Le comte d'Artois et le prince de Condé, qui s'étaient établis à Turin, avaient appelé les gentilshommes à les rejoindre pour former une armée. Cependant, rares étaient ceux qui avaient répondu à l'appel.

Au printemps 1791, les choses changèrent. Le prince de Condé et le comte d'Artois furent chassés de Turin. Le prince de Condé s'établit à Worms en mars, et le comte d'Artois à Coblence en juin. Il y fut rapidement rejoint par le comte de Provence, futur Louis XVIII. Ces trois princes renouvelèrent leur appel à la noblesse de France. Or la situation générale avait beaucoup changé : la tentative de fuite de Louis XVI fut considérée comme la confirmation de sa captivité, et l'obligation imposée aux officiers de prêter serment à la constitution en juin 1791 provoqua de nombreuses démissions 6 ( * ) . Les nobles déjà émigrés et d'autres qui se trouvaient en France se précipitèrent à Coblence et à Worms, car ils aspiraient, désormais, à lutter contre la Révolution. L'objectif était de restaurer la monarchie par une intervention militaire soutenue par les puissances étrangères.

C'est donc à partir de juin 1791 que l'émigration nobiliaire devint une émigration politique, au sens où les acteurs menaient une activité dont le but était de renverser le régime mis en place dans leur pays d'origine. En attendant un conflit militaire, les émigrés de Coblence se livrèrent à une intense activité de propagande et dotèrent le groupe d'institutions. Les princes et leurs « ministres » se réunissaient quotidiennement en un « conseil des princes », dont le premier ministre était Calonne. Ce conseil des princes tenait lieu de Gouvernement en exil et prétendait détenir la légitimité du pouvoir monarchique. Il disposait d'envoyés auprès des cours étrangères. Les princes établirent un cérémonial curial et reconstituèrent chacun leur maison. Une police, dont les membres étaient des émigrés, fut créée pour surveiller les Français résidant dans la ville. En cas de délit, la justice était rendue par des gentilshommes émigrés 7 ( * ) . Ceci soulevait des conflits de compétence avec les autorités locales. En effet, il ne s'agissait pas seulement d'un groupe d'immigrants faisant leur propre police afin d'éviter les conflits avec la population d'accueil : les émigrés s'arrogeaient le droit de juger tous les Français de passage à Coblence, et contrôlaient leurs opinions politiques. Deux sociétés se superposaient de ce fait : celle des habitants autochtones de Coblence et celle des émigrés, qui fonctionnait comme si elle se trouvait en extra-territorialité par rapport à la société urbaine dans laquelle elle était implantée. Ceci était inscrit dans la topographie de la ville puisque les émigrés, en arrivant à Coblence, devaient passer le seuil du bureau des émigrés où ils étaient inscrits sur une liste, après avoir été contrôlés. Les émigrés acceptés étaient, en outre, reconnaissables à des marqueurs identitaires : la cocarde blanche, la fleur de lys et le plumeau blanc, qui furent rendus obligatoires par le règlement militaire d'août 1791.

Cet espace était aussi délimité par des rites visant à exclure deux catégories indésirables : le tiers état parce qu'il était jugé indigne du combat, et les individus nobles jugés avoir été souillés par la Révolution, à savoir les partisans d'une monarchie constitutionnelle (les monarchiens) et tous ceux qui ont été en contact avec la Révolution. Ces personnes jugées impures étaient chassées de Coblence, parfois avec violence.

Pourquoi un tel exclusivisme ? Chaque adhésion et chaque rejet étaient l'occasion de réaffirmer l'identité du groupe et de le rendre visible. Il s'agissait de rompre le continuum politique qui liait le révolutionnaire au contre-révolutionnaire en distinguant clairement l'ami de l'ennemi 8 ( * ) . L'objectif était de faire valoir une vision du monde et d'exprimer le refus des valeurs et des institutions que la société française révolutionnaire semblait imposer. La neutralité n'était pas de mise : les puissances étrangères se virent sommées de prendre position. L'exclusivisme français fut ainsi exporté et, joint aux enjeux politiques intérieurs, déboucha sur un conflit européen.

Cette première phase de l'émigration nobiliaire peut être décrite comme une émigration politique : politique, puisque les acteurs partirent à l'étranger pour lutter contre le nouveau régime ; émigration, car les acteurs étaient libres d'entrer et de sortir de leurs pays. Pourquoi avaient-ils quitté la France alors qu'ils y courraient peu de danger et que la lutte eût sans doute été plus efficace de l'intérieur, comme ils le reconnurent volontiers, a posteriori, dans leurs mémoires ? Pourquoi répondirent-ils à cet appel des frères du roi et du prince de Condé en 1791 ? En partie parce que Coblence était alors le seul pôle d'opposition visible à la Révolution, en partie parce que la situation de cette ville, à l'étranger, permettait de rassembler les forces contre- révolutionnaires et de les structurer, mais aussi parce le Rhin traçait symboliquement une frontière nette entre la Révolution et la Contre-Révolution, une frontière qu'il était d'autant plus nécessaire de marquer qu'elle était beaucoup plus floue dans le domaine politique.

Après 1792, un exil politique ?

La campagne de 1792 représenta un triple échec pour les émigrés nobles et un véritable traumatisme : c'était d'abord une défaite militaire, c'était ensuite une défaite politique puisqu'ils n'avaient pas pu sauver le roi, c'était enfin l'effondrement de tous les rêves élaborés à Coblence concernant une régénération monarchique et nobiliaire.

La conséquence immédiate de la défaite fut la dissolution du rassemblement de Coblence et la dispersion des émigrés, jusqu'en Russie ou aux États-Unis. Menacés de la peine de mort s'ils tentaient de rentrer en France et appauvris par la confiscation de leurs biens, les émigrés subirent désormais un exil involontaire. La politique anti-émigrés mise en place par les gouvernements du Saint-Empire aggrava leur situation : les héros destinés à une croisade contre-révolutionnaire se trouvaient réduits à errer en terre étrangère, contraints à quémander un asile et voués à l'instabilité. Ils reconstituèrent de multiples colonies là où ils étaient tolérés et où ils pouvaient trouver un emploi. Les noblesses étrangères, en effet, soutinrent quelques familles, mais, dans l'ensemble, les nobles français furent abandonnés à leur sort et contraints de subvenir à leurs besoins.

L'armée des princes ayant été licenciée à l'issue de la campagne de 1792, et Condé n'étant pas en mesure d'augmenter les effectifs de son corps, des militaires cherchèrent à entrer dans les armées étrangères. D'autres émigrés nobles passèrent au service d'un souverain étranger. Mais la plupart durent innover. Certains se livrèrent à des activités manuelles (jardiniers, restaurateurs, fabrication et commercialisation d'objets à partir de fleurs artificielles...), d'autres se lancèrent dans le commerce (vin, articles de mode, etc.). D'autres encore enseignèrent le français, la musique, la danse ou le dessin. Les femmes et les enfants étaient associés à ces activités. Pourtant, l'engagement professionnel, qu'il soit militaire ou civil, fut toujours conçu comme étant temporaire. Les émigrés n'envisageaient de réaliser leurs projets à long terme qu'en France. Guidés par l'espoir du retour, ils refusaient de s'intégrer dans les sociétés d'accueil. Rares furent ceux qui apprirent la langue locale ou qui entretinrent des relations étroites avec les populations autochtones 9 ( * ) . Les nobles émigrés continuaient à se définir sous le regard français, et non sous le regard étranger. Le but restait de rentrer en France : cette attitude définit une migration de maintien 1 ( * )0 .

Que devint l'engagement politique des émigrés dans ce naufrage ? Ils prétendaient être fidèles à leur projet d'origine et s'identifiaient toujours à l'idéal coblençais. Mais la réalité était tout autre. Hormis les volontaires qui s'engagèrent dans l'expédition malheureuse de Quiberon, et malgré l'admiration des émigrés à l'égard des Vendéens, peu nombreux furent ceux qui rejoignirent la Contre-Révolution intérieure pour poursuivre le combat. À l'étranger, les émigrés avaient, pour la plupart, abandonné leur cause. Les frères du roi, « chefs légitimes » de la Contre- Révolution 1 ( * )1 , se révélèrent, en effet, incapables de remobiliser les troupes après 1792 et de restructurer le groupe des émigrés après l'expérience de Coblence. L'abandon de la cause se manifesta par deux attitudes qui se généralisèrent à partir de 1796 : certains émigrés commencèrent à rentrer en France, tandis que d'autres envisageaient de s'établir définitivement dans le pays d'accueil. Ainsi, au moment où certains parlaient de revenir en France, en 1796, un émigré pensait au contraire à s'implanter à Hambourg : « J'aime mieux gagner ma vie dans un pays étranger riche et plein de ressources ». Pour faciliter ce revirement, il renonçait à ses titres de noblesse : « Ayez donc la bonté de m'écrire sous mon seul nom [...]. Ce que nous avons été n'est plus qu'un rêve, il n'en doit rester que les principes et les sentiments honorables ». Son objectif était de se « créer une petite existence indépendante des événements ». Fatigué d'être ballotté par la contingence révolutionnaire et internationale, il prit donc sa destinée en main 1 ( * )2 . Comme l'écrit Gérard Noiriel, « le paradoxe de l'immigré n'est-il pas que plus il l'est, moins il l'est ? » 1 ( * )3 .

Quel sens donner alors aux protestations de fidélité à la cause monarchique qui fleurirent après 1796? Celles-ci relevaient de la magie incantatoire. Les émigrés protestaient de leur loyauté, tout en sachant que l'émigration était un échec. De plus, la figure de l'émigré était concurrencée en France par les Vendéens, et à l'étranger par la présence d'autres Français de toutes origines (révolutionnaires ayant fui après un revirement politique intérieur, jeunes fuyant la conscription...). L'émigré noble contre-révolutionnaire, appauvri et dépourvu de tout signe susceptible de l'identifier comme tel, n'avait plus que ses protestations de fidélité pour se distinguer. Or la distinction, par l'affirmation d'une fidélité à la cause monarchique, était essentielle pour justifier sa présence à l'étranger.

Il semble possible, à partir de 1793, de regarder l'émigration nobiliaire comme un véritable exil politique ou plutôt comme une exopolitie comme la définit Stéphane Dufoix : un espace de « fluidité politique » transfrontalier caractérisé par son opposition au régime du pays d'origine 1 ( * )4 . L'émigration contre-révolutionnaire ne constitue plus un champ politique clairement délimité comme à Coblence. Elle ne se définit plus, après 1792, que par les relations entre les acteurs et par leur opposition commune à d'autres Français, en particulier à ceux qui avaient également fui la France, mais dont les opinions politiques différaient.

Le retour

L'abandon général de la cause explique le retour massif des émigrés vers 1800-1802, au moment où Napoléon autorisa les Français à revenir dans leur pays. En rentrant, ils étaient doublement parjures : d'une part, parce qu'au début de leur émigration, ils avaient prêté serment de ne rentrer qu'avec les Bourbons ; d'autre part, parce qu'ils devaient, pour rentrer dans la France napoléonienne, jurer de n'avoir pas porté les armes contre leur patrie au cours de leur séjour à l'étranger. Ce nouveau serment signait leur soumission à Napoléon : ils rentraient en vaincus.

La réintégration dans la société française napoléonienne se fit sans heurt. La population semblait éprouver un réel désir de réconciliation et accueillit bien les anciens seigneurs. Les émigrés, pour leur part, se soucièrent d'abord de récupérer leurs biens et de marier les jeunes gens. Après 4 ou 5 ans, ils cherchèrent à se faire une place dans la nouvelle France. Le service militaire était la solution qui s'offrait d'évidence. Les anciens émigrés se retrouvaient ainsi dans les rangs de l'armée napoléonienne, luttant contre leurs anciens alliés. D'autres intégrèrent l'administration impériale. Le comte de Contades, par exemple, fut nommé, après son retour, membre du conseil général de Maine-et-Loire en 1804, et chambellan de l'Empereur en 1809. Il reçut le titre de comte d'Empire la même année et obtint la conversion de sa terre de Montjeoffroy en majorat. Ses trois fils furent placés dans l'armée ou dans l'administration napoléoniennes 1 ( * )5 . Quelques nobles retournèrent dans les pays où ils avaient émigré avec un mandant impérial. Le comte de Serre étudia ainsi le droit pendant six ans en France après son émigration, devint avocat général à Metz avant d'être nommé premier président de la cour impériale établie à Hambourg en 1811 1 ( * )6 . Les émigrés issus des grandes familles, enfin, n'hésitèrent pas longtemps à accepter les faveurs de Napoléon et se laissent attirer à sa cour. La noblesse émigrée semblait, dans son ensemble, prête à se dissoudre dans la nouvelle France et dans la noblesse d'Empire.

En 1814, la Restauration suscita un véritable désenchantement. Puisque la monarchie était restaurée, les émigrés nobles espéraient recouvrer leur ancien statut, leurs biens et les honneurs qui leur semblaient dus pour les « sacrifices » faits à la cause. De fait, certains réussirent une réadaptation exemplaire : Serre, décoré sous la première Restauration de la légion d'honneur et de la croix de Saint-Louis, est nommé premier président de la cour de Colmar en 1815, puis président du collège électoral du Haut- Rhin avant d'être élu député du même département en 1816. Président de la chambre des députés en 1816 et 1817, il fut appelé aux fonctions de garde des sceaux puis à l'ambassade de Naples, avant de s'éteindre en 1824. La situation des émigrés nobles sans fortune ni appui, cependant, fut plus rude, à cause de la réduction drastique des effectifs militaires 1 ( * )7 . Mais, avant tout, ce fut l'attitude des Bourbons qui déçut profondément leurs anciens compagnons d'émigration. Le mot d'ordre de Louis XVIII, « union et oubli », était une injonction que seul Napoléon, homme nouveau doté d'une poigne de fer, avait pu implicitement imposer. L'amnistie prononcée par Louis XVIII 1 ( * )8 et la garantie, accordée aux acquéreurs, de conserver les biens achetés pendant la Révolution eurent l'effet opposé à celui escompté : quand l'article 11 de la Charte proclamait que «toutes les recherches des opinions et des votes émis jusqu'à la restauration [étaient] interdites [et que ] le même oubli [était] commandé aux tribunaux et aux citoyens », les émigrés s'indignaient de voir un roi vieillissant refuser de condamner la Révolution, et l'accusaient d'ingratitude à leur égard.

Les anciens exilés se restructurèrent, créant une association pour la défense des intérêts des émigrés en 1821. L'objectif était d'obtenir une indemnité et une condamnation de la Révolution 1 ( * )9 . Le débat qui les opposa aux adversaires de l'émigration traduisait l'impossibilité d'oublier le traumatisme de l'émigration et de la Révolution. Chaque camp stylisa de nouveau l'émigré : dans les caricatures, il était présenté sous les traits de Monsieur Argentcourt ou de Monsieur de la Jobardière 2 ( * )0 . Pour les partisans de l'émigration, il redevint le preux se sacrifiant à la cause, tel qu'il avait été imaginé à Coblence. La monarchie restaurée, qui avait essayé d'éviter, par une amnistie, la revanche des vainqueurs, se trouvait impuissante à réduire chaque parti au silence. Elle avait même réveillé le conflit que l'octroi d'une indemnité, le fameux « Milliard des émigrés », ne parvint pas à étouffer.

Le drame des émigrés, fondamentalement, tenait à leur incapacité à réintégrer la société post-révolutionnaire. Ceci apparaît clairement dans les mémoires rédigés après le retour en France et publiés de manière posthume. Dans ces ouvrages, les mémorialistes évoquaient un exil définitif, celui de la terre de leur enfance. La Restauration ne signa pas le rétablissement du monde de leur enfance ou de leur jeunesse, elle n'en fut qu'une imitation de mauvais goût, « cet écueil des âmes faibles » 2 ( * )1 : « Maintenant, un traînard dans ce monde a non-seulement vu mourir les hommes, mais il a vu mourir les idées : principes, moeurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu'il a connu. Il est d'une race différente de l'espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours. Et pourtant, France du dix-neuvième siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait. » 2 ( * )2

Chateaubriand est l'un de ceux qui manièrent avec le plus de talent la thématique de l'exil, déployée du berceau à la tombe : « En sortant du sein de ma mère, je subis mon premier exil ; on me relégua à Plancouët » 2 ( * )3 . Lorsque la famille quitta sa ville natale pour rejoindre le père au château de Combourg, il effectua les « premiers pas d'un Juif errant qui ne se devait plus arrêter.» 2 ( * )4 En 1812, il reçut l'ordre de s'éloigner de Paris et se rendit à Dieppe : « c'était me réfugier auprès de ma jeunesse [...] ; de la table où j'étais assis, je contemplais cette mer qui m'a vu naître, et qui baigne les côtes de la Grande-Bretagne, où j'ai subi un si long exil : mes regards parcouraient les vagues qui me portèrent en Amérique, me rejetèrent en Europe et me reportèrent aux rivages de l'Afrique et de l'Asie. Salut, ô mer, mon berceau et mon image ! » 2 ( * )5 . Exil, donc, le voyage en Amérique, l'émigration en Allemagne et en Angleterre, les ambassades de Londres, de Rome et de Berlin, dans un « redoublement de l'histoire individuelle et de l'histoire collective » 2 ( * )6 , mais aussi dans un redoublement de l'écriture de l'exil et de l'écriture en exil. Le souvenir des exils antérieurs se voyait revivifié par l'exil intérieur, constitutif de l'acte scriptural.

L'émigration noble contre-révolutionnaire illustre ainsi un double phénomène : celui d'une émigration politique dans un premier temps, qui correspond à un départ volontaire dont le but est de lutter contre le régime mis en place dans le pays d'origine; celui d'un exil politique après 1792, lorsque les émigrés se trouvent bannis de leur pays et naviguent entre l'affirmation d'une fidélité au projet d'origine et l'abandon de leur cause. Enfin, l'exemple de l'émigration montre que le retour dans le pays d'origine ne signifie pas toujours réintégration dans la société d'origine.

Cette expérience, qui est probablement la première manifestation collective d'un exil politique, révèle que l'émigration est un processus, un phénomène qui ne se stabilise jamais, fait de conflits, d'adaptation à la contingence, de réévaluation des catégories et de redéfinition de soi-même.

Michel WINOCK

Le deuxième grand moment de l'exil se déroule au coeur du XIX e siècle, à partir de la Révolution de février 1848.

La monarchie constitutionnelle, restaurée en 1814-1815, acquise plus ou moins au régime des libertés, n'a pas été une grande période d'exil. Le principal exilé fut le roi Charles X, chassé de France par la révolution de 1830. Ses partisans eurent la ressource de l'exil intérieur, préférant souvent quitter Paris pour n'avoir pas de complicité avec la monarchie de Juillet. Comme le dit un personnage de Balzac, dans Le Cabinet des Antiques : « Les Gaulois triomphent ! » Les Gaulois, c'est-à-dire le peuple, la démocratie.

C'est la révolution de février 1848, suivie, comme la Grande révolution, d'une série de conflits opposant socialistes et républicains modérés, républicains et monarchistes, finalement républicains et bonapartistes, qui entame un nouveau cycle dans l'histoire de l'exil. La journée du 15 mai 1848, l'insurrection ouvrière de Juin, l'émeute du 13 juin 1849, voient le déchirement de la révolution en elle-même, suivi de répression. La République naissante ne serait pas socialiste, certains comme Auguste Blanqui ou Armand Barbes durent le payer de la prison, des centaines d'autres, comme Louis Blanc ou Ledru-Rollin, de l'exil, avec des centaines de leurs partisans, ceux qui avaient échappé aux tribunaux.

Plus de trois ans plus tard, le coup d'État réussi par le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte entraînait à son tour une nouvelle vague de réfractaires hors de France. Victor Hugo en a été le symbole mémorable, refusant l'amnistie de 1859, et ne rentrant en France qu'à la nouvelle de la chute de Napoléon III, au début de septembre 1870. Comme l'émigration des contre-révolutionnaires, l'exil d'Hugo et des républicains devient un combat. Par ses discours, ses poèmes et ses livres, Hugo portera jusqu'au bout le drapeau du refus. Il n'était pas le seul proscrit, 70 députés républicains l'étaient en même temps que lui, dont Schoelcher, Raspail, Martin Nadaud, Agricol Perdiguier, Pierre Leroux, Edgar Quinet, dont les noms s'ajoutaient aux exilés de 1848.

1848 avait été pour les réfugiés politiques de tous les pays une grande espérance : n'allaient-ils pas pouvoir rentrer dans leur pays ? C'est ce dont va nous parler Mme Sylvie Aprile, maître de conférences en histoire à l'Université de Tours.

Exil et Printemps des peuples

Sylvie APRILE

Les mouvements révolutionnaires qui embrasent l'Europe entre 1848-1849 ont été un échec, mais cet ébranlement avant de conduire en exil Hongrois, Allemands, Italiens et Polonais a nourri un immense espoir qui s'est traduit pour le retour de nombreux exilés vers leur patrie.

Pour ces bannis, il faut revenir en arrière car cet exil s'inscrit dans une période longue, des années 1830 aux années 1860 : la dernière insurrection polonaise qui a lieu en 1863-64 fait arriver en Suisse de façon plus ou moins durable plus de 2000 fugitifs polonais.

Ces exilés sont alors des étudiants, des intellectuels, des militaires poursuivis pour leurs idées, appartenant aussi pour l'Europe centrale et l'Allemagne à une moyenne bourgeoisie intellectuelle sans perspectives d'avenir, de plus dans un climat de crise économique à la fin des années 40. Paris est alors la capitale des exilés et comme le dit le journaliste révolutionnaire russe Alexandre Herzen, « l'émigration est le premier indice d'une révolution qui se prépare » .

Les grands intellectuels français ont tous à coeur de défendre les « soeurs de la France » qui n'ont pas encore d'existence : l'Italie morcelée, la Pologne démantelée. Le premier grand discours de Victor Hugo à la Chambre des pairs, le 19 mars 1846 est en l'honneur du 23 e anniversaire de la révolution polonaise.

Parmi les grandes figures de l'exil d'alors, il faut citer le poète Adam Mickiewicz qui passe la plus grande partie de sa vie en dehors de la Pologne. À l'âge de vingt-cinq ans, il est d'abord mis en prison par les autorités tsaristes et ensuite mis en résidence surveillée en Russie Centrale pour cinq ans. IL fait la connaissance et se lie d'amitié avec des écrivains russes, Pouchkine en tête. En 1829 il suit les cours de Hegel à Berlin, rend visite à Goethe à Weimar, enfin en 1832 s'établit à Paris où il occupe de 1840 à 1844 la chaire de littératures slaves. Il y enseigne aux côtés de Quinet et Michelet. Ce nomadisme forcé nourrit un cosmopolitisme qui enrichit la réflexion des intellectuels tant sur l'idée de nation que sur celle de l'Europe. Lors du printemps des Peuples, il organise une légion polonaise et rentre dans son pays. Les espoirs nationalistes et libéraux sont de courte durée. Mickiewicz, le polonais, Kossuth le Hongrois, Mazzini l'italien et tant d'autres célèbres et anonymes prennent le chemin de l'exil. Leur nombre est difficile à établir : pour l'Allemagne, on compte sur les 728 300 émigrants de l'après 48, près de 15 000 intellectuels exilés dont 5 000 se réfugient aux États-Unis.

Paris n'est plus alors la capitale de l'exil, la France impériale n'est guère accueillante, elle a elle-même banni les anciens représentants du peuple, et contraint à l'exil volontaire tous ceux qui ne veulent pas prêter serment à l'Empereur. Les exilés choisissent surtout Londres, l'Angleterre a une politique très libérale à l'égard des étrangers, qu'elle ne surveille guère et n'expulse pas... Sa seule pression est de les inviter à bénéficier d'un passeport gratuit pour l'Amérique. Ailleurs la situation reste souvent précaire, les exilés n'ont aucun statut juridique, ils bénéficient de l'hospitalité plus ou moins grande des États qui les reçoivent.

Le sort de tous ces proscrits est fort divers et il est difficile d'esquisser une typologie d'autant que l'exil a des durées contrastées. Si l'exil de Victor Hugo couvre une longue période de sa vie, Kossuth meurt en exil à Turin en 1894, après 45 années d'exil. On peut cependant esquisser une palette des engagements marquée par une grande diversité et une intensité variable. Au degré inférieur, il faut faire la part du désengagement. Bon nombre de militants se confondent avec les migrants économiques, pour d'autres le désengagement est synonyme de désenchantement. Le nombre de suicides, déguisés ou non, traduit le traumatisme de l'échec et l'absence d'espoir. Le carré des proscrits au cimetière de Jersey en est un poignant témoignage. Beaucoup refont leur vie : c'est le cas notamment des quarante-huitards allemands qui deviennent fermiers ou qui exercent des professions libérales ou commerçantes aux États-Unis. Ils participent à la construction de l'esprit civique américain et militent dans les rangs anti-esclavagistes. Ils jouent notamment un rôle important dans la guerre de Sécession au plan politique et militaire.. On trouve aussi parmi eux des femmes qui après l'échec des combats en Europe poursuivent leur action dans le féminisme naissant.

Ceux qui restent en Europe méditent l'échec de 1848 de diverses manières. Les infatigables conspirateurs et comploteurs ne renoncent pas à l'action clandestine plus ou moins violente. C'est d'Angleterre qu'est organisé l'attentat contre Napoléon III, dont le principal ordonnateur Orsini est un militant de la cause de l'unité italienne. Mazzini et Garibaldi préparent de nombreuses séditions dont l'expédition des Mille en 1860. Si Victor Hugo condamne tous les projets de tyrannicide, il soutient de sa plume les soulèvements italiens, polonais et irlandais. Il a participé à cette fraternité de la proscription à Jersey, où se sont trouvés réunis des exilés de tous les pays d'Europe, publiant leurs ouvrages à l'imprimerie universelle, méditant sur leur passé et prophétisant leur avenir dans les colonnes du journal L'homme, dont le sous titre était journal de la démocratie universelle. Les anniversaires de la révolution de février 1848 en France et celui de la révolution polonaise sont chaque année dans toutes les villes qui accueillent des proscrits, l'occasion de banquets et de déclarations fraternelles.

D'autres quarante-huitards ne croient plus à la révolution du moins à la façon dont elle a pu être pensée et menée jusqu'à l'échec du Printemps des peuples et s'exaspèrent des divisions politiques qu'il a engendré. Karl Marx s'enferme à la British Library pour écrire le Capital, et ne sort de son isolement que pour prôner une nouvelle forme d'action sociale et politique, non plus nationale mais internationale concrétisée en 1864 à Saint Martin's hall par la création de l'Association Internationale des Travailleurs. Alexandre Herzen lui aussi déçu par la révolution européenne de 1848, prône dans son journal L'étoile polaire, une nouvelle organisation de la société basée sur la communauté villageoise et qui prend ses racines dans la tradition russe. Reste la question essentielle mais complexe : celle de l'impact de ces exilés dans la construction nationale et démocratique, qui constitue une marche souvent lente et heurtée vers la mise en oeuvre d'un idéal. Leur souvenir parle déjà en leur faveur.

Michel WINOCK

La troisième grande vague de l'exil, après celle de la Révolution et celle du coup d'État, fut lancée par la défaite de la Commune de Paris en 1871. Outre les 20 000 morts au combat, le plus souvent fusillés par l'armée versaillaise, outre les milliers de déportés ou transportés en Nouvelle-Calédonie (environ 4 700), ce furent plus de 3 000 communards, échappant à leurs vainqueurs, qui purent trouver un abri en Suisse, en Angleterre, principalement. Là, jusqu'à l'amnistie de 1880, ils ont survécu de leur mieux, ils se sont combattus, n'ayant pas les mêmes idées sur la République ou le socialisme, jusqu'au moment où ils ont pu redevenir les citoyens actifs de la III e République.

Je laisse Mme Virginie Buisson, écrivain, le soin d'évoquer pour nous l'exil des déportés de la Commune.

La Commune ou l'expérience de la déportation

Virginie BUISSON

Pendant la Semaine sanglante, il y a eu à Paris 400 000 lettres de dénonciation. Cette attitude présage de ce qu'il allait arriver au moment de la Seconde guerre mondiale. Cette dénonciation est considérable car un tiers des habitants de Paris étaient en train de dénoncer leurs compatriotes. L'exil commence par la dénonciation. Cette dénonciation signifie que les Communards n'appartiennent plus au corps social. Ils sont proscrits.

46 000 personnes ont été raflées. Or, en étant raflé, l'individu perd son identité et devient sans feu ni lieu. « Sommés de s'agenouiller devant les église, piqués par les soldats, ils ont parfois été attachés à la queue d'un cheval. Parfois fusillés sur place. » Les prisons de Versailles deviennent un véritable cloaque. La population des environs ne supporte pas cette situation et demande l'élargissement des prisonniers. On décide alors d'évacuer les prisonniers sur les forts et les pontons de la rade atlantique, de la Gironde jusqu'à Brest. Ces prisonniers seront évacués en wagons cellulaires. Lors de ces transports de masse, il y eut des morts et comme l'écrit Lissagaray " la folie s'empara de plusieurs d'entre nous ".

L'histoire commence le 31 mai 1871. Les premiers wagons cellulaires arrivent en gare de Brest par wagon de 1 200 personnes. Jour après jour, les prisonniers sont acheminés sur les forts et sur les pontons. Les pontons sont des bateaux que l'on désarmait et mouillait en rade. Les personnes incarcérées vont attendre de revenir à Paris, de nouveau reconduites en wagon cellulaire, pour être jugées.

25 000 personnes sont raflées. Parmi elles, on ne compte pas uniquement des Communards car, dans les rafles, on ne fait pas de distinctions. On prend souvent ceux qui ont les cheveux gris parce que l'on pense que ces derniers ont participé à la révolution de 1848. On rafle aussi les femmes. On rafle également les petits Savoyards qui, pleins de suie, sont accusés d'avoir participé à l'incendie de l'Hôtel de Ville. Lors de ces rafles, les identités des individus arrêtés ne sont pas vérifiées.

À l'issue des jugements, 5 600 personnes seront condamnées à la déportation en Nouvelle-Calédonie. La France souhaite créer une colonie de peuplement, le climat guyanais n'est pas très sain, les prisonniers sont donc envoyés en Nouvelle- Calédonie. De plus, la France pense que le sous-sol calédonien recèle des richesses minières. Cette colonie apparaît donc comme une terre propice au peuplement. Une émigration de droit commun de 40 000 bagnards vient s'ajouter à ce mouvement, ces derniers étant transportés en Nouvelle-Calédonie jusqu'en 1897. Des bateaux vont être aménagés pour assurer le transport de ces condamnés. Des cages vont être construites dans lesquelles seront entassées 80 personnes. Les bateaux transporteront ainsi entre 400 et 600 prisonniers par voyage. La route maritime suivie par ces bateaux ira de Brest à Saint-Martin-de-Ré, de Saint-Martin-de-Ré à Gorée, de Gorée à Sainte-Catherine au Brésil, du Brésil à l'Afrique du Sud en passant par la Tasmanie, le détroit de Basse et à Nouméa.

Tous les prisonniers ne sont pas condamnés aux mêmes peines. Il y a des déportés simples, des déportés en enceinte fortifiée et ceux qui seront internés au bagne avec les prisonniers de droit commun. Les déportés simples sont les plus nombreux. Ils sont au nombre de 3 000, ils seront déportés sur l'Île des Pins. Les Japonais qui se rendent aujourd'hui à l'Île des Pins pour célébrer leur voyage de noces disent que c'est l'île la plus proche du paradis. Il est vrai que cette île est de toute beauté. Cependant, pour les déportés qui arrivent, c'est surtout l'île de l'exil infini. C'est « l'île de la mort lente. C'est l'île de l'assassinat en détail ». Rien n'est préparé pour l'arrivée des déportés. Ils doivent construire eux-mêmes leurs cases ou leurs paillotes. Ils n'ont pas d'outils.

Peu à peu ils vont réussir à s'organiser. La privation la plus violente qu'ils vont subir est celle de la confiscation de leur correspondance. Cette privation va être ressentie des deux côtés du monde. C'est le cas en Nouvelle-Calédonie, où les prisonniers sont relégués en attente d'un retour et d'une amnistie. C'est le cas pour les familles en métropole qui restent sans nouvelles des leurs.

Aux archives d'Outre-mer, j'ai trouvé quelques lettres disant ceci "S'il y a une personne à qui il faut demander, c'est à Victor Hugo". D'autres ne savent pas à qui s'adresser. Sur les 3 000 personnes déportées, 300 vont mourir sur l'île des Pins, mourir de désespoir, mourir du sentiment d'abandon. Il y aura de nombreux suicides. Ils écrivent "La maladie de se pendre se répand sur l'île des Pins ".

Les prisonniers condamnés en enceinte fortifiée sont envoyés au nord de Nouméa, à Ducos. Il ne faut pas imaginer que l'enceinte fortifiée est un château féodal avec des douves. Les fortifications, ce sont le lagon et les requins. Ce sont eux qui empêchent les évasions. Évidemment, il y a des sentinelles mais les surveillants ne sont pas choisis parmi les personnes les plus honorables. L'alcool est largement consommé et les surveillants tirent sans discernement ni raison.

Parallèlement, une émigration économique a lieu. Le ministère de la Marine et des Colonies engage des Bretons, en particulier, à émigrer en Nouvelle-Calédonie. Les femmes et les orphelines sont particulièrement encouragées à suivre ce mouvement. On sort les femmes des maisons centrales pour leur proposer de se rendre en Nouvelle-Calédonie et d'épouser des bagnards libérés.

La condition des proscrits de droit commun est un déni du droit, les traitements y sont impitoyables. Ceux qui ont été condamnés à la relégation en Nouvelle- Calédonie ne sont pas tous de grands criminels. On y envoyait des vagabonds, des libres-penseurs, des personnes en rupture de ban.

Le premier bateau des proscrits de la Commune, s'appelle la Danaé, il rejoint Nouméa en septembre 1872. Les déportés ignorent la durée de leur peine. Ils attendent et ils espèrent. Les premiers retours se feront en 1876. Leur amnistie sera due à Victor Hugo grâce à la loi de juillet 1880.

L'exil a été durement ressenti, en particulier lorsque les familles restées en France n'ont aucune nouvelle. On peut retrouver de nombreuses lettres disant en substance ceci "Pouvez-vous me dire, Monsieur le Gouverneur, si mon fils est mort ou existant ?". Nous pouvons trouver des centaines de lettres de ce type. De Nouvelle- Calédonie, partent aussi des lettres qui n'arrivent pas forcément à destination. "Dites-moi si ma femme est toujours domestique là-bas", "Dites-moi si mon fils est encore existant, peut-il venir ?". Toujours dans cette volonté de peuplement, l'État va autoriser les familles à rejoindre les proscrits. Ces familles seront au nombre de 284. Ce sont des femmes et des enfants à qui l'on donne un trousseau et à qui l'on promet 6 hectares de terre comme on va le promettre aux immigrants libres.

Or ce ne sont pas des terres qui les attendent à l'issue d'un si long voyage. Ce sera quelque chose de l'ordre de l'abattement et de la désespérance. Certains vont accepter de travailler dans les mines. Ces derniers vont se rendre de mine en mine à l'instar de la ruée vers l'or du Far West. Cependant, ce ne sont pas ici des mines d'or mais des mines de nickel et de cobalt. 300 Communards vont alors rejoindre la Grande-Terre de Nouvelle-Calédonie pour travailler dans les mines. Certains d'entre eux vont avoir droit à des concessions. Ils vont épouser des émigrantes et vont faire souche. Sur les 3 800, seuls 24Communards vont rester.

22 convois maritimes ont transporté les Communards en Nouvelle-Calédonie. Autant de bateaux les rapatrieront. Les retours se feront lentement. Avant que ne soit prononcée l'amnistie, il y aura des commutations de peines. Cependant, certains ne veulent pas des commutations car la commutation signifie la prison. Or, être en prison en métropole, c'est ne plus être libre de circuler. Dans l'île des Pins, les prisonniers pouvaient éditer des journaux, travailler dans les familles. Parmi les Communards déportés, il y avait des imprimeurs, des ouvriers du bois, des tapissiers, des écrivains. Certains sont devenus alors des « garçons de famille ». Ils sont devenus écrivains publics dans les familles ou dans les administrations. Cependant, l'arbitraire demeurait au gré du changement des gouverneurs. Par ailleurs, ces jugements arbitraires se sont multipliés au moment de l'évasion de Rochefort. À ce moment-là, la répression est devenue plus féroce. Le retour n'a pas signifié la fin de l'exil. L'exil avait commencé au moment de la l'exclusion de son lieu de vie, au moment de la séparation.

Les lettres des familles mettaient entre trois et six mois avant d'arriver. Les voyages duraient 155 jours. On ne sait en définitive jamais si les lettres vont réellement arriver. Au moment du retour, si le déporté a eu la chance que l'amour ait résisté à 1' éloignement, les proches attendent dans les gares. Pour les plus nombreux, ce qui les attend, c'est la soupe populaire et l'entraide dans le meilleur des cas. Pour certains, le retour n'est qu'un autre exil dans son pays : un exil intérieur. Pour d'autres, c'est le suicide. Cette histoire sera transmise à la génération suivante. Il sera dit et raconté dans les familles que ce retour au pays est dû à Victor Hugo. Ce dernier deviendra alors une figure tutélaire sacrée.

Michel WINOCK

Victor Hugo a appris la défaite de Sedan, la défaite de Napoléon III, à Bruxelles, et il s'est alors empressé de regagner Paris. Il rentre donc en France dans les premiers jours de septembre et il restera dans la capitale pendant toute la durée du Siège, à la fin du mois de janvier 1871. Ce n'est que quelques semaines plus tard, le 18 mars 1871, qu'éclate l'insurrection de la Commune de Paris. Robert Tombs, professeur à Cambridge, va nous parler de Victor Hugo au cours de ces semaines dramatiques.

Les déchirures de la société française à la fin du XIX e siècle

Robert TOMBS

Le XIX e siècle, le siècle de Victor Hugo, était profondément marqué par l'exil politique. Politique dans le sens classique, et non pas exil religieux, comme au XVIII e siècle, ou exil ethnique, comme au XX e . En commençant par les émigrés qui fuyaient la Révolution française, en passant par les nationalistes polonais, hongrois, allemands et italiens de la période romantique, les démocrates russes, les socialistes prussiens et français, pour terminer avec les anarchistes français, italiens et espagnols, et aussi (à l'autre extrémité de l'échiquier politique) les religieux français de l'époque de Combes, le XIX e siècle est peuplé par des dizaines de milliers de femmes et d'hommes qui refusaient, ou qui ne pouvaient, pour des raisons politiques, vivre librement dans leur pays d'origine. L'héritage - ou les héritages - de la Révolution française, c'est-à-dire la démocratie et le nationalisme, engendraient un siècle de luttes politiques qui n'étaient plus l'occupation exclusive des élites frondeuses, mais des masses. Par conséquent, les exilés n'étaient plus seulement des princes et des philosophes, mais aussi des institutrices, des employés de commerce, des journalistes, des cordonniers, des médecins et des blanchisseuses.

La France de Victor Hugo occupait une position unique au milieu de ce tourbillon d'exilés : elle était à la fois créatrice et protectrice d'exilés ; une terre que certains fuyaient et où d'autres cherchaient asile. Ce n'est pas une contradiction ; ou si l'on préfère, c'est une contradiction facile à élucider. Car la France après la Révolution essayait de créer une nouvelle société, soit démocratique, soit monarchique, mais de toute façon unie. Pour le faire, il fallait, si nécessaire, se débarrasser de ceux qui rechignaient, qu'on les appelle émigrés, exilés, déportés, relégués, ou même fusillés. Mais en même temps, cette vision révolutionnaire d'une société nouvelle attirait les assoiffés de progrès, qui voyaient la France comme phare, laboratoire, protecteur et champion des faibles ; et la France, qui allait demeurer pour une grande part du siècle, parmi les quelques pays libéraux de l'Europe, les accueillait, et même les honorait.

Victor Hugo était non seulement l'un des porte-parole les plus éloquents de cette vision révolutionnaire et patriotique de la société nouvelle, mais aussi l'un des plus célèbres parmi le petit nombre de ceux qui, comme Mickiewicz, Marx ou Mazzini, incarnaient, dans leur propre vie, le geste de l'exil politique qui n'était pas seulement une fuite, mais aussi une protestation politique et morale : « Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là ! »

Hugo croyait, d'une façon mi-mystique et mi-scientifique, que l'univers entier cheminait vers un avenir meilleur: l'obscurité céderait finalement la place à la lumière, l'ignorance, à la science, l'oppression à la démocratie, la haine à l'amour. Et la France, et surtout Paris (sans oublier ses poètes, ces guides du peuple) montraient ce chemin à l'humanité entière. Même les déchirements politiques, même les égarements, ne pouvaient qu'aider ce qui étaient inévitable : « Tout travaille à tout » 2 ( * )7 . Même les plus « abjects » pouvaient servir au progrès : « Les révolutions ont le bras terrible et la main heureuse. » 2 ( * )8

Cela ne veut pas dire qu'Hugo approuvait tout acte de révolte. Il craignait, et il était même dégoûté, par la violence populaire de juin 1848, liée pour lui à l'ignorance et à l'immoralité, et qui représentait la nuit contre la lumière, la barbarie contre la civilisation, à laquelle il fallait résister même en employant des moyens aussi barbares. Mais en même temps, l'ignorance servait d'excuse pour cet égarement populaire. La férocité du pouvoir, au contraire, ne pouvait bénéficier de cette circonstance atténuante. Comme dans le cas de Jean Valjean, ce symbole de l'homme du peuple brutalisé et puis sauvé, un acte de clémence pouvait guérir ce que la répression perpétuelle ne ferait que gangrener. Il fallait tendre la main au vaincu.

Donc Hugo, exilé lui-même après le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, et plus tard protecteur des exilés, tendait la main à ceux dont il condamnait les actes. Car à l'époque de la Commune de 1871, aussi bien qu'en juin 1848, il désapprouvait la révolte et les actes des insurgés. Les Communards, à l'instar des insurgés de juin (et il s'agissait parfois des mêmes individus) menaçaient la France, la République, la démocratie et la civilisation - toutes les valeurs les plus chères à Hugo. Il croyait même qu'il fallait les vaincre. Mais du jour au lendemain, il est devenu leur défenseur le plus illustre, et, peut-être, le plus intrépide.

Une raison certainement fut la férocité de la répression. Pour la plupart des conservateurs et même des centristes en France, l'attitude qu'il fallait adopter vis-à-vis des Jean Valjean, était celle de Javert : il fallait traquer et détruire les ennemis de la société. Dans plusieurs grands pays, le XIX e siècle a été un siècle d'élimination, par l'exil, par l'émigration, par la déportation, et même par les massacres. C'était l'aspect sinistre des sociétés qui cherchaient l'harmonie et l'équilibre ; et dont l'aspect positif, si l'on veut, a été l'éducation de masse et l'inclusion démocratique. Ceux qu'on ne pouvait pas inclure, il fallait, par un moyen ou un autre, les exclure.

Pour beaucoup de Français - même, pour une courte période, peut-être la majorité - la Commune de 1871 a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ; le moment où il fallait en finir avec l'esprit de révolte. La Commune pour eux a été un crime contre la patrie, contre la volonté nationale, et contre la civilisation dont Paris était le centre. Les coupables - qui avaient enclenché la guerre civile en présence de l'ennemi, brûlé Paris et fusillé des otages - méritaient les châtiments les plus sévères : la mort, la déportation, au moins l'exil. Ainsi, la France retrouverait l'équilibre, et, comme l'avait espéré Jules de Goncourt, la prochaine révolution serait retardée au moins d'une génération.

Tous les Français d'aujourd'hui connaissent grosso modo les terribles conséquences de cette attitude. Des milliers de Parisiens ont été tués dans les combats ou fusillés dans les quelques jours de la Semaine sanglante. Des dizaines de milliers ont été faits prisonniers sur le coup ou arrêtés par la police pendant une répression légale qui a duré pendant des années. Plusieurs milliers ont été condamnés à la déportation en Nouvelle Calédonie, et des milliers encore ont dû se réfugier en Angleterre, en Suisse et ailleurs, pour vivre comme ils pouvaient. Des dizaines de milliers de familles ont été ainsi détruites, une foule d'enfants abandonnés. Tout cela n'a pas été fait au hasard. L'armée et la police ciblaient ceux qu'elles considéraient les plus coupables : les hommes politiques, les chefs militaires, les journalistes, les étrangers, les combattants, les criminels, les buveurs, les prostituées. Tous ceux que les conservateurs de l'époque considéraient comme les éléments les plus actifs de la classe dangereuse qui faisaient les révolutions, qu'ils considéraient comme des orgies de pillage, d'ivresse et de sexualité déchaînée.

Hugo aussi - comme la plupart des Français - a trouvé la Commune déplorable. IL était dans cette attitude assez typique des républicains modérés (mais non modérément républicains) qui allaient bientôt créer la Troisième République. Et il l'a dit sans ménagement dans cette série de poèmes écrits sur le vif, L 'Année Terrible, où il parle, par exemple, de la « torche misérable, abjecte, aveugle, ingrate ! » qui a incendié Paris. Cependant, du jour au lendemain il a demandé la clémence pour les Communards, et il proposait presque immédiatement l'amnistie. Pour ce fait, il s'est fait expulser de Belgique (après que la maison qu'il occupait fut lapidée par une foule). Pourquoi cette action en faveur de ceux dont il déplorait les actes ? Il y a plusieurs raisons. Il connaissait certains Communards prisonniers (parmi eux Louise 2 ( * )9 Michel, avec qui il semble avoir eu une brève aventure, et le célèbre journaliste Henri Rochefort), et il est intervenu en leur faveur auprès du gouvernement. Cependant, il faisait des efforts non seulement pour quelques Communards, mais pour tous les Communards. Comme dans le passé, il croyait que le peuple, même quand il était coupable d'actes atroces, était moins condamnable à cause de ses souffrances et son ignorance, et parce qu'il portait le poids d'une longue oppression :

« La bête fauve sort de la bête de somme »

« J'accuse la Misère ; et je traîne à la barre

Cet aveugle, ce sourd, ce bandit, ce barbare

Le Passé [...]

Dans les lois, dans les moeurs, dans les haines, dans

tout. » 3 ( * )0

Il s'expliquait l'affreuse guerre civile non pas par la sauvagerie innée de la classe dangereuse, mais par la corruption, l'égoïsme et la lâcheté des gouvernements et des généraux de l'Empire, qui avait perdu ou même vendu la France ; ainsi, la révolte de la Commune, même illicite, était compréhensible comme une explosion de colère. Et finalement, il a été horrifié par les excès de la réaction versaillaise. Il l'a considérée à la fois comme injuste, car les insurgés n'étaient pas les plus coupables des Français (« C'est Monsieur Bazaine qui a livré Metz et on va fusiller Rossel » 3 ( * )1 ), et aussi comme un débordement de la violence pire que les crimes des Communards - « Férocité des deux côtés ». 3 ( * )2

Cette férocité réciproque est devenue pour lui un seul crime partagé, qu'il dénonce dans les vers puissants du poème Talion :

« Quoi ! parce que Ferré, parce que Galliffet

Versent le sang, je dois, moi, commettre un forfait !

On brûle un pont, je brûle une bibliothèque.

On tue un colonel, je tue un archevêque ;

On tue un archevêque, eh bien, moi, je tuerai

N'importe qui, le plus de gens que je pourrai. » 3 ( * )3

La seule façon de terminer cette violence pour Hugo, c'était le pardon et l'oubli, et Hugo a été probablement le premier qui l'ait dit à haute voix, quand les ruines de Paris fumaient encore. IL le répétait sans cesse de son propre exil temporaire et volontaire en Belgique, au Luxembourg et en Angleterre, et pendant toute la décennie de la campagne pour l'amnistie, dont il était un des plus grands inspirateurs. Il a écrit: « Je défends les vaincus. J'ai défendu la Commune vaincue contre l'Assemblée Nationale. Si la chance avait été pour l'Hôtel de Ville de Paris...J'eusse défendu l'Assemblée contre la Commune. » Pour Hugo, aucun être humain n'était tout à fait perdu. Le pardon et la rédemption n'étaient jamais exclus.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer en lisant Hugo sur l'exil ? D'abord, la constatation qu'il sortait d'une culture plus innocente que la nôtre. Il pouvait croire que l'univers marchait inévitablement vers la lumière ; que les révoltes étaient toujours l'acte des peuples contre les princes ; que les révolutions étaient toujours, en fin de compte, globalement positives ; que tous les crimes pouvaient être pardonnés ; qu'on pouvait trouver la réconciliation des luttes intestines en déclarant une sorte d'équivalence morale entre les deux cités.

Nous pouvons lui envier ces certitudes ; il est impossible, après l'expérience du siècle européen qui a suivi sa mort, de les partager. Pour nous, il y a des crimes impardonnables, légalement et moralement. Quelle voix humanitaire de nos jours, en faisant écho à Hugo en 1871, dirait avec la même certitude tranquille : « J'ai défendu la Gauche contre Pinochet ; maintenant je défends Pinochet contre la Gauche » ? Est- ce que cela signifie que la générosité d'esprit d'Hugo n'est qu'illusion, et même fatuité ? Pas tout à fait, il me semble. Hugo nous offre au moins deux défis. D'abord, qu'il ne faut pas simplement défendre les droits de ceux que l'on aime, mais aussi de ceux que l'on déteste : les droits de l'Homme n'ont pas de côté politique. Après, que l'on ne doit pas choisir entre les maux : si les deux côtés d'une lutte politique sont coupables de crimes, il faut dénoncer les deux. Au coeur de l'attitude d'Hugo est un sentiment humain qui transcende les principes et les idées : je termine en le citant : 3 ( * )4

Quoi ! cet homme n'est pas aux vengeances fougueux !

Il n'a point de colère et de haine, ce gueux !

Oui, l'accusation, je le confesse, est vraie.

Je voudrais dans le blé ne sarcler que l'ivraie ;

Je préfère à la foudre un rayon dans le ciel ;

Pour moi la plaie est mal guérie avec du fiel ; [...]

Pour moi la charité vaut toutes les vertus ;

Ceux que puissants on blesse, on les panse abattus ; [...]

Je tâche de comprendre afin de pardonner ;

Je veux qu'on examine avant d'exterminer.

Michel WINOCK

Nous allons achever ce tour d'horizon par une dernière intervention. On sait que Victor Hugo a été un des grands champions de l'idée européenne, ce qu'il appelait les États-Unis d'Europe. Dès lors, on peut se poser la question des rapports entre l'exil et l'élaboration d'une conscience européenne. Je donne la parole à Frank Laurent, maître de conférences à l'Université du Mans.

L'exil comme épreuve fondatrice d'une conscience européenne

Franck LAURENT

Qu'a fait cet homme pendant ces longues années ? Il a essayé de ne pas être inutile. La seule belle chose de cette absence, c'est que lui, misérable, les misères sont venues le trouver ; les naufrages ont demandé secours à ce naufragé. Non seulement les individus, mais les peuples...

(Victor Hugo, « Ce que c'est que l'exil »,
préface d'Actes et paroles - II ; pendant l'exil)

L' « européanisme » de Victor Hugo ne date pas de l'exil. Pour s'en tenir à quelques repères, on peut rappeler qu'en 1842 il avait dans la conclusion d'un récit de voyage au Rhin exposé un programme géopolitique qui en appelait à l'union libérale de l'Europe, autour d'une France et d'une Allemagne alliées, enfin réconciliées après les déchirements hérités des guerres napoléoniennes et des traités de 1815 3 ( * )5 . En 1843, il pouvait présenter ses oeuvres complètes sous la forme d'un tableau à deux entrées : d'un côté la série des siècles du XIII e au XIX e , de l'autre la série des pays européens, France, Italie, Angleterre, etc., - tant sa production romanesque et surtout dramatique avait montré l'intérêt au moins littéraire qu'il portait à l'histoire des différentes nations de l'Europe 3 ( * )6 . Pendant la Seconde République, il avait suivi comme tout le monde certains développements du mouvement révolutionnaire en Europe, notamment les avatars de la révolution hongroise et des diverses révolutions italiennes, surtout à Rome 3 ( * )7 . En 1849, il avait présidé à Paris le Congrès de la paix, qui rassemblait des personnalités venues du monde entier pour inciter les gouvernements au rapprochement et au désarmement général 3 ( * )8 . Enfin, lors de son dernier discours à l'Assemblée législative, le 17 juillet 1851, de toutes ses interventions parlementaires la plus violemment disputée et interrompue, il ne lança pas seulement, pour la première fois, la fameuse formule « Napoléon-le Petit » 3 ( * )9 , mais aussi celle, non moins fameuse, des « États-Unis d'Europe » 4 ( * )0 .

Pourtant c'est avec l'exil que Hugo se constitue en « conscience universelle », en référence active pour tout ce mouvement d'internationalisme démocratique et républicain, hérité du Printemps des Peuples de 1848, et qui s'enflamme pour les luttes des nationalités opprimées, travaille à la constitution d'une opinion publique internationale, rêve d'élargir à l'Europe et au monde le combat pour la justice et pour la liberté. Certes, depuis 1830 au moins, la notoriété européenne de Hugo ne fait pas de doute, - mais elle est littéraire et non pas politique. Même sous la Seconde République, il n'est encore que peu sollicité par les démocrates étrangers. Avant son engagement dans la résistance armée au coup d'État de Louis Bonaparte, avant la proscription qui résulte de cet engagement, avant les magistrales oeuvres de combat qui marquent au début de cet exil à la fois la renaissance de l'écrivain et la ténacité radicale de l'opposant (Napoléon-le-petit en 1852, Châtiments en 1853), on n'imagine guère, par exemple, Mazzini écrivant à Hugo ces lettres de 1856 dans lesquelles l'exilé italien demande à l'exilé français d'intervenir pour la République italienne : « Une page dans laquelle vous diriez à l'Italie aujourd'hui très agitée mais égarée, tiraillée par des intrigants, que l'étoile de ses destinées luit en elle-même, en son coeur, en son peuple, en ses traditions, en ses souvenirs de 1848 et 49, non au dehors, aux cours et aux conférences, nous rendrait un grand service » 4 ( * )1 . Si l'on s'en tient aux interventions publiques reprises dans Actes et paroles, et sans parler des proclamations aux hôtes successifs de l'exilé (Bruxellois, Jersiais ou Guernesiais) on relève entre 1852 et 1870 trois textes adressés ou consacrés à la Pologne (et à la Russie), cinq à l'Italie, quatre à la Grèce, deux à la Belgique, un à la Suisse, trois à l'Irlande ou à l'Angleterre, un au Portugal, deux à l'Espagne. 4 ( * )2 Dans la plupart des cas, ces interventions de Hugo sont sollicitées par des correspondants étrangers, et sont liées à un événement dramatique, insurrection nationale et/ou condamnation à mort, principalement. Que l'efficacité immédiate d'actes politiques de ce genre soit par nature douteuse, Hugo le sait, et il appelle d'ailleurs à une meilleure organisation de cette solidarité internationale, à une meilleure articulation des luttes et, dirions- nous aujourd'hui, de leur accompagnement médiatique:

« Quant à moi », déplore-t-il en 1866, « c'est la quatrième fois qu'un appel de ce genre m'arrive trop tard depuis deux ans. Les insurgés de Haïti, de Roumanie et de Sicile se sont adressés à moi, et toujours trop tard [alors que l'insurrection était déjà étouffée]. Dieu sait si je les eusse servis avec zèle ! Mais ne pourrait-on mieux s'entendre? Pourquoi les hommes de mouvement ne préviennent-ils pas les hommes de progrès? Pourquoi les combattants de l'épée ne se concertent-ils pas avec les combattants de l'idée? C'est avant et non après qu'il faudrait réclamer notre concours. Averti à temps, j'écrirais à propos, et tous s'entraideraient pour le succès général de la révolution, et pour la délivrance universelle. » 4 ( * )3

De fait, c'est sans doute en exil que Victor Hugo élabore l'essentiel sinon d'une doctrine constituée et détaillée, du moins des quelques principes qui président à sa conception de l'Europe à venir.

Penser l'avenir de l'Europe dans ces années 1850-1860 oblige d'abord à poser la question des « nationalités ». Loin d'être stabilisée par la Réaction, l'Europe d'après 1848 est toujours en travail. Ce qui fermente dans le continent semble alors se cristalliser autour de l'idée de Nation. Hugo, contre les vieux Empires (turc et russe, autrichien et britannique) défend les nationalités en lutte pour leur indépendance : Hongrie, Pologne, Irlande, Serbie... De même il soutient les aspirations à l'unité nationale qui lèvent en Allemagne et en Italie. Mais il redoute plus que jamais l'autonomisation de ces revendications nationales. Car à ses yeux, la Nation ne saurait constituer une fin en soi : elle n'a de valeur et de sens que si elle est le vecteur de la démocratie républicaine, et si elle s'intègre immédiatement à un ensemble plus vaste qu'elle, une fédération continentale de peuples libres. Or, après les échecs de 1848, il semble que, un peu partout, la Nation risque de passer avant la République.

C'est le cas notamment en Italie, où les républicains perdent du terrain au profit de ceux qui souhaitent réaliser l'unité de la péninsule derrière la monarchie piémontaise du roi Victor-Emmanuel et de son ministre Cavour, et espèrent le soutien Napoléon III. Pour Hugo et les républicains internationalistes, cette unité nationale monarchiste, analogue à celle qui se profilait en Allemagne autour de Guillaume I er et de Bismarck, n'avait guère de chance de faire avancer la cause de la République universelle. Elle éviterait peut-être les révolutions, mais préparerait sans doute les futures guerres européennes. Alerté par Mazzini, Hugo s'était élevé contre cette tendance, rappelant aux Italiens que l'union devait venir des peuples, non des rois et de leur diplomatie :

« Italiens, c'est un frère obscur, mais dévoué qui vous parle. Défiez-vous de ce que les congrès, les cabinets et les diplomaties semblent préparer pour vous en ce moment. L'Italie s'agite : elle donne des signes de réveil ; elle trouble et préoccupe les rois ; il leur paraît urgent de la rendormir. Prenez garde ; ce n'est pas votre apaisement qu'on veut ; l'apaisement n'est que dans la satisfaction du droit ; ce qu'on veut, c'est votre léthargie, c'est votre mort. De là un piège. Défiez-vous. Quelle que soit l'apparence, ne perdez pas de vue la réalité. Diplomatie, c'est nuit. Ce qui se fait pour vous, se fait contre vous.

Quoi ! des réformes, des améliorations administratives, des amnisties, le pardon à votre héroïsme, un peu de sécularisation, un peu de libéralisme [...] ! Voilà ce que vous offrent les princes ! et vous prêteriez l'oreille ! et vous vous diriez : contentons-nous de cela ! et vous accepteriez, et vous désarmeriez ! Et cette sombre et splendide Révolution latente qui couve dans vos coeurs, qui flamboie dans vos yeux, vous l'ajourneriez ! Est-ce que c'est possible ?

Mais vous n'auriez donc nulle foi dans l'avenir ! vous ne sentiriez donc pas que l'empire va tomber demain, que l'empire tombé, c'est la France debout, que la France debout, c'est l'Europe libre ! [...]

Oui, le premier des deux peuples qui se lèvera fera lever l'autre. Disons mieux : nous sommes le même peuple, nous sommes la même humanité. [...]

Il y a entre vous et nous cette profonde solidarité humaine d'où naîtra l'ensemble pendant la lutte et l'harmonie après la victoire. Italiens, la fédération des nations continentales soeurs et reines, et chacune couronnée de la liberté de toutes, la fraternité des patries dans la suprême unité républicaine, les Peuples-Unis d'Europe, voilà l'avenir. » 4 ( * )4

Plus tard, quand la guerre menacera à nouveau l'Europe, conséquence de la politique menée par Bismarck en Allemagne, c'est à nouveau cette division à la fois nationaliste et monarchiste du continent que dénoncera le poète. Ainsi, au congrès de la paix de 1869, réuni à Lausanne, et qu'il présidait, Victor Hugo prévient :

« Les rois s'entendent sur un seul point : éterniser la guerre. On croit qu'ils se querellent ; pas du tout, ils s'entraident. [...] Les rois épuisent leur malade, le peuple, par le sang versé. Il y a une farouche fraternité des glaives d'où résulte l'asservissement des hommes. » 4 ( * )5

Et plus tard encore, en 1876, alors qu'il prend à parti les gouvernements européens coupables de laisser l'armée turque massacrer la Serbie, il rappelle une fois encore que l'indépendance de cette jeune nation n'a véritablement de sens que si elle précipite la formation des États-Unis d'Europe :

« Ce qui se passe en Serbie démontre la nécessité des États-Unis d'Europe. Qu'aux gouvernements désunis succèdent les peuples unis. Finissons-en avec les empires meurtriers. Muselons les fanatismes et les despotismes. Brisons les glaives valets des superstitions et les dogmes qui ont le sabre au poing. Plus de guerres, plus de massacres, plus de carnage ; libre pensée, libre échange ; fraternité. Est-ce donc si difficile, la paix ? La République d'Europe, la Fédération continentale, il n'y a pas d'autre réalité politique que celle-là.» 4 ( * )6

Parmi d'autres, ces quelques textes permettent d'apercevoir les principales justifications de cet idéal des États-Unis d'Europe.

D'abord la paix, bien sûr. Établir enfin la paix sur ce continent qui, déjà au XIX e siècle, semblait fait par la guerre et pour la guerre, - guerres de plus en plus meurtrières, du fait du développement technique des armements.

La paix, donc, mais pas seulement. L'autre justification, c'est la République démocratique. Les États-Unis d'Europe ne peuvent être que République, et inversement, la République ne peut être pleinement assurée que si elle est européenne, - puis universelle.

La République, qu'est-ce à dire, selon Hugo ?

La Liberté, toutes les libertés, individuelles et publiques, - liberté de penser, d'écrire, de croire ; liberté d'association, de réunion, d'expression, de circulation ; liberté syndicale et liberté de la presse, etc.

La souveraineté du peuple, garantie par le suffrage universel libre (y compris féminin), à tous les niveaux, du plus bas (la commune) au plus haut (l'instance fédérale), et très largement appliqué à tous les domaines concernant la collectivité.

L'abolition de la misère 4 ( * )7 par le développement économique et par une authentique justice sociale, fondée sur une solidarité sans failles de tous, et sur la reconnaissance absolue de l'égale dignité de chacun.

Insistons sur ce point : l'Europe n'est pas une question particulière, plus ou moins marginale, de la pensée politique de Victor Hugo. À ses yeux, la Fédération continentale, préfiguration de la République universelle, constitue le seul cadre où pourront enfin s'articuler libéralisme, démocratie et socialisme, - articulation que le XIX e siècle a tant de mal à réaliser et qui est au fond et à la pointe du désir politique hugolien.

On peut le dire autrement : la République dans un seul pays a peu de chance de durer, ou, si elle dure, elle court tous les risques d'oublier bientôt l'idéal républicain et de dégénérer en simple forme de Gouvernement parmi d'autres. Telle est l'une des principales leçons que Hugo (avec d'autres) tire de l'échec de la Seconde République. Et c'est pourquoi, dès le début de l'exil, il imagine la « Révolution future », qu'il salue à maintes reprises, comme une révolution européenne et non pas seulement française. C'est pourquoi le Représentant du peuple, proscrit par le Président félon mais non pas déchu de son mandat, imagine que lorsqu'il retrouvera son banc de député, ce sera au sein d'une Assemblée non pas nationale, mais à la fois européenne et authentiquement républicaine. Espoir qu'il confie, peu après son arrivée à Jersey, au colonel Charras, républicain, député et proscrit, ancien compagnon de l'exil bruxellois :

« Ayons foi, cher ami. J'ai l'idée que nous siégerons vous et moi, coude à coude, au Parlement des États-Unis d'Europe. Nous nous retrouverons l'un à côté de l'autre, et nous n'aurons plus les Thiers, les Montalembert et les Dupin en face de nous. » 4 ( * )8

Espoir qu'il exprime encore à un républicain allemand qui lui demandait une préface, en précisant cette fois les différents aspects du travail politique à venir, leur solidarité intime et leur « calendrier » :

« Je le pense comme vous, Monsieur, l'inévitable avenir de l'homme, c'est la liberté ; l'inévitable avenir des peuples, c'est la République ; l'inévitable avenir de l'Europe, c'est la fédération. Suffrage universel, République universelle, voilà ce que fondera le dix-neuvième siècle, voilà ce que recueillera le vingtième.

Avant peu, la royauté sera abolie en Europe [...]

En attendant, comme tous les hommes sérieux et convaincus, vous méditez sur la révolution future. Dans des écrits et dans des discours antérieurs à décembre 1851, j'avais comme vous indiqué aux penseurs les deux premières phases nécessaires de cette révolution : premièrement, affranchissement de l'Europe, libération des nationalités, République continentale, unité ; deuxièmement, organisation de chaque état démocratique confédéré, selon son progrès relatif et selon le droit de sa souveraineté locale, souveraineté subordonnée à l'unité continentale pour toutes les questions de civilisation générale. Voilà l'avenir, entrevu par vous comme par moi. Ceci du reste n'est que la formule politique ; ensuite viendra la grande et épineuse élaboration de la formule sociale. [...] Le moment est arrivé où la révolution française doit perdre son nom et s'appeler la révolution européenne. » 4 ( * )9

Resterait à établir en quoi l'expérience de l'exil a pu précipiter ou approfondir cette conscience européenne, à en marquer les spécificités et les limites. IL faut d'abord se replacer dans le contexte des années 1852-1856, où tout n'est encore que provisoire, et, pour comprendre les aléas et les formes prises par l'exil hugolien, se garder de tout finalisme : parce qu'on ne peut aujourd'hui nommer Victor Hugo sans faire surgir immédiatement l'image d'un homme seul sur son rocher et l'océan autour, cet exil-là n'était pas pour autant prévu d'avance, et n'était pas le seul possible : il a résulté d'un bizarre mélange de hasards, d'opportunités et de choix, qu'il faut restituer autant que faire se peut si l'on veut apprécier à sa juste mesure la spécificité de l'exil hugolien.

Il ne fait pas de doute que l'exil a considérablement élargi l'espace de référence, la géographie personnelle de Hugo. D'abord, et essentiellement dans ses dimensions les plus concrètes : ce Parisien invétéré, dont les voyages n'avaient jamais duré plus de deux ou trois mois, se vit soudain lancé dans cette existence flottante où l'on ne sait trop de quoi le lendemain sera fait, ni quelle sera son adresse le mois suivant. À lire sa correspondance des premières années de l'exil, disons jusqu'à l'achat de Hauteville House à Guernesey en 1856, ce qui frappe d'abord c'est ce sentiment d'instabilité, et la diversité un peu arbitraire des lieux d'asile envisagés. Le premier, Bruxelles, où Hugo réside d'abord (jusqu'en août 1852) est un passage obligé, tout simplement parce que la frontière belge est la plus proche de Paris (vingt ans plus tard, pour la même raison, la Belgique verra affluer les réfugiés de la Semaine sanglante). Mais la Belgique, petit pays, n'est pas sûre : on craint alors une invasion française, en tout cas des pressions du nouveau Gouvernement sur les autorités belges pour obtenir l'extradition des exilés ou les réduire au silence (fin 1852, le vote de la loi Faider aura pour but d'obtenir ce silence). Aussi l'asile bruxellois est-il presque d'emblée considéré comme provisoire. Hugo songe alors à Londres, l'autre grand pôle de l'émigration politique. Mais d'autres destinations sont possibles, et plus ou moins sérieusement envisagées. On évoque la Suisse, elle aussi bien pourvue en exilés de toutes origines. Un correspondant sarde offre à plusieurs reprises l'hospitalité à Turin, ou dans une villa au bord du lac Majeur 5 ( * )0 . Napoléon-le-petit achevé, Hugo opte finalement pour Jersey. Mais là encore, rien de définitif. En 1854, Hugo apprend, d'abord par les journaux, que la Junte libérale qui vient de prendre le pouvoir en Espagne l'invite à s'installer dans la péninsule, et, au milieu de « l'été parjure » de l'archipel de la Manche, pluvieux et venteux, il caresse l'idée de retrouver le soleil de « [ses] Espagnes » 515 ( * )1 . Puis, brutalement, vient l'expulsion de Jersey. À Marine-Terrace, on parle alors d'Amérique. Guernesey est plus proche, et sera l'ultime refuge. Mais qui pourrait alors le jurer ? l'expérience récente de la famille Hugo ne l'a pas habituée à considérer l'avenir comme sûr. Si Hugo s'empresse d'acheter Hauteville House avec les droits des Contemplations, de devenir ainsi un landlord comme il l'écrit plaisamment à Noël Parfait 5 ( * )2 , lui qui jusqu'alors avait toujours été locataire, c'est bien pour conjurer cette instabilité de l'exil, sachant que la bourgeoise Angleterre y regarde à deux fois avant d'expulser un propriétaire. C'est là néanmoins un pari un peu risqué : sa femme Adèle s'en plaint, parce que la perspective de s'enterrer durablement sur cet îlot - et d'y condamner sa fille - ne la réjouit guère ; mais aussi parce que, non sans raison, elle s'inquiète du capital ainsi immobilisé alors que les vicissitudes de la politique peuvent du jour au lendemain contraindre les Hugo à s'en aller ailleurs, plus loin. L'exil, c'est donc d'abord cela : la conscience forcée que, pour être né à Besançon et avoir presque toujours vécu à Paris, on n'en pourrait pas moins être demain, ou après-demain, bruxellois, londonien, jersiais, madrilène, genevois, guernesiais, turinois, - ou new- yorkais... L'Europe, la terre est vaste, - plus ou moins accueillante, mais vaste.

À cette ouverture géographique des lieux où vivre s'ajoute celle des réseaux mobilisés pour exercer son activité d'écrivain. Le premier réflexe de l'exilé Hugo consiste à se remettre à écrire, et, parallèlement, à chercher les moyens de publier ses écrits. Les réseaux d'édition et de diffusion habituels étant désormais fermés, il faut trouver de nouveaux partenaires éditoriaux hors des frontières françaises : à Bruxelles, à Londres, en Suisse, voire en Hollande. Même ouverture, plus grande encore, des supports de médiatisation : les journaux français sont toujours sollicités mais, soumis comme ils le sont à la censure impériale, ils doivent être complétés par des organes belges, anglais, italiens, - voire grecs, espagnols, américains, etc., qui sont souvent les seuls susceptibles d'accueillir telle ou telle déclaration. L'audience européenne de l'écrivain Victor Hugo a précédé son exil, - mais dans l'ensemble, elle était subie (et parfois non sans déplaisir : quand par exemple tel éditeur belge imprimait et vendait sans négocier de contrat ni payer de droits d'auteurs tel livre paru en France). Désormais, cette audience, indispensable, est directement sollicitée et entretenue par l'exilé. Quand bien même le public privilégié resterait le public français (ce qui est souvent le cas), l'atteindre suppose de passer par l'Europe : de gré ou de force, l'univers culturel des exilés est européen.

Enfin, avec l'exil, le cercle des correspondants, et, dans une moindre mesure, des intimes, s'internationalise. Hugo n'oublie pas ses amis et ses relations restées en France, qui constitueront toujours l'essentiel de ses correspondants et de ses visiteurs (ces derniers assez peu nombreux). Mais s'y ajoutent désormais massivement les relations étrangères imposées par sa nouvelle situation éditoriale et politique, ainsi que des représentants des diverses communautés d'exilés. Car, conséquence de la dimension européenne du mouvement de 1848, l'exil est alors une réalité européenne, et Hugo entre en contact, au moins en correspondance, avec nombre d'exilés étrangers. Citons entre autres les Italiens Brofferio, Mazzini, Garibaldi, le Hongrois Teleki (un temps familier de Marine Terrace, à Jersey), ou le Russe Herzen, à qui il s'adresse toujours comme à un compatriote de cette nouvelle communauté supranationale qu'est l'exil (ainsi dans les premiers mots de sa réponse du 25 juillet 1855 : « Cher concitoyen - car il n'y a qu'une cité, et en attendant la République universelle, l'exil est une patrie commune. » 5 ( * )3 )

Néanmoins, la connaissance concrète et détaillée de la situation européenne, même accrue par l'expérience de l'exil, reste chez Hugo limitée. Le poète ne relève pas de cette catégorie d'exilés cosmopolites, véritables vagabonds européens, représentée par les Herzen, les Marx, les Mazzini... Signe de cette limite: la compétence linguistique. Malgré ses dix-neuf ans passés sur le territoire de Sa Majesté Britannique, Hugo n'apprit jamais vraiment l'anglais. L'espagnol, seule langue vivante qu'il pratiquât, intervient davantage dans sa création littéraire que dans sa pratique sociale ou politique. Hugo n'écrit donc qu'en français, et ce à une époque où le monopole international de cette langue est déjà bien écorné : il est donc tributaire des traductions. Même si certains éditeurs londoniens, comme Jeffs, publiaient alors des ouvrages de français en français, mieux valait cependant traiter avec des francophones, dont les débouchés éditoriaux étaient d'abord et principalement français. Le choix des lieux d'asile fut également en grande partie déterminé par la langue qu'on y parlait : après Bruxelles, l'archipel de la Manche, ces îles anglo-normandes où l'on parlait encore français à l'époque, - certes un français un peu étrange, mais qui ne déplaisait pas à l'auteur des Travailleurs de la mer.

L'exil de Hugo n'est donc pas un exil cosmopolite. Mais il n'est pas non plus celui, devenu vite étouffant et déprimant, des petites communautés politiques, chapelles essentiellement regroupées par origine nationale malgré plusieurs tentatives d'organisation plus vastes, et livrées bientôt au démon du ressassement et de la division. Communautés regroupées en Suisse, en Belgique et surtout à Londres et que Herzen, qui les connut de près, décrit d'une plume acerbe dans ses souvenirs :

« Il fut un temps où, dans un paroxysme d'irritation et d'ironie amère, je m'apprêtais à rédiger un pamphlet à la manière de Grandville : Les réfugiés peints par eux-mêmes. Je suis content de ne pas l'avoir fait. À présent je vois les choses avec plus de sérénité, je me moque moins souvent et ne m'indigne pas autant qu'autrefois. Au surplus, l'exil se prolonge trop longtemps et pèse trop lourd sur les uns et les autres...

Je n'en affirme pas moins, même maintenant, qu'un exil dont la décision a été prise non dans un but défini mais sous la pression du parti opposé freine toute évolution et, enlevant les hommes à leurs activité réelles, les pousse vers des occupations fantomatiques. Partis de leur patrie la rage au coeur, obsédés par la pensée d'y retourner demain, ils ne vont pas de l'avant et, au contraire, reviennent constamment au passé. L'espérance empêche qu'ils se fixent, qu'ils entreprennent un travail continu. L'irritation, les querelles vaines mais acharnées, ne leur permettent point de se dégager d'un certain nombre de questions, d'idées, de réminiscences, qui aboutissent à une tradition contraignante et accablante. Les hommes en général, et particulièrement ceux qui se trouvent dans une situation exceptionnelle, ont un tel penchant pour le formalisme, pour l'esprit corporatif, pour l'aspect professionnel, qu'ils assument immédiatement l'apparence typique de leur métier ou de leur doctrine.

Tous les immigrés, coupés du milieu vivant auquel ils appartenaient, ferment les yeux pour ne pas voir les amères vérités et se cantonnent de plus en plus dans un cercle clos et irréel, formé de souvenirs stagnants et d'espoirs irréalisables. Si nous y ajoutons leur éloignement de ceux qui ne sont pas des émigrés, et une tendance à la méchanceté, à la suspicion, à l'exclusivité et à la jalousie, le nouvel Israël au cou raide deviendra parfaitement compréhensible. » 5 ( * )4

On pourrait presque reprendre terme à terme les travers des exilés fustigés ici par Herzen et constater que Hugo a construit son exil de manière à éviter d'y sombrer. De ce point de vue, l'essentiel de son attitude relève de ce qu'on pourrait nommer une stratégie de la solitude, à tout le moins du retrait. À Bruxelles, il est nécessairement plongé dans la communauté des proscrits du Deux-Décembre. L'expérience lui vaut plusieurs amitiés solides, fruit du combat, des douleurs et des espoirs partagés. Il semble cependant que cette présence (pour ne pas dire cette pression) constante de ses compagnons d'exil lui ait vite pesé - d'abord et avant tout parce qu'elle empiétait sur son temps de travail ! Or, dès Bruxelles, l'exilé Hugo montre qu'il n'a pas l'intention de faire de l'exil un lieu qui l'enlèverait à ses « activités réelles », pour reprendre l'expression de Herzen. Tout au contraire, comme on le sait, l'exil sera pour lui l'occasion de se replonger dans la plus réelle de ses activités : l'écriture, - y compris et d'abord celle qui pouvait servir son idéal politique. L'insistance avec laquelle, Napoléon-le-petit achevé et sous presse, il soutient contre ses compagnons d'exil sa volonté de quitter Bruxelles, se pare de considérations tactiques certes non dénuées de pertinence et de sincérité. Le pamphlet antibonapartiste va déchaîner les foudres du pouvoir français, la loi Faider va être votée, l'expulsion est à peu près inévitable : autant prendre les devants, ne serait-ce que pour épargner aux autres proscrits une expulsion collective. Il n'en reste pas moins qu'elle révèle aussi chez Hugo le désir impérieux de prendre du champ, et de décliner poliment le rôle de chef de chapelle qu'on lui offrait. Les proscrits bruxellois le déléguèrent comme représentant de leur groupe auprès des chefs londoniens, du fameux Comité révolutionnaire européen, formé par Ledru-Rollin, Mazzini et Kossuth. Reconnaissant et flatté, il s'acquitte de sa mission, mais en quelque sorte a minima : n'ayant pas l'intention de s'attarder à Londres, il ne saurait compter remplir auprès des émigrés londoniens un rôle majeur 5 ( * )5 . Sur la petite île de Jersey, il y a certes des proscrits, et surtout des Français. Mais, à l'exception de Pierre Leroux, ce ne sont pas des « ténors », les chefs sont à Londres ou à Bruxelles. En outre, pour la plupart, il s'agit non pas d'exilés du Coup d'État, mais de Républicains au drapeau rouge, proscrits dès 1849 par la République conservatrice : Hugo choisit donc une communauté d'exilés qui n'est pas exactement la sienne, ni en terme de doctrine politique, ni quant à l'expérience concrète de la proscription. Les risques de friction sont réels, acceptés, mais bien moindres en revanche les tentations de part et d'autre d'instituer Victor Hugo en chef de groupe.

Qu'on ne s'y méprenne pas, cette tendance au retrait n'est pas dédain des compagnons de lutte, moins encore volonté d'abandonner le combat. À Bruxelles, à Londres, à Jersey, Hugo ne ménage ni son engagement ni sa solidarité. D'emblée, l'écrivain affirme qu'il doit reprendre le combat littéraire d'abord sur le mode politique : à ce moment de l'exil, toute oeuvre de « poésie pure » apparaîtrait comme un « désarmement ». Les Contemplations ne seront possibles qu'après Napoléon-le- petit et Châtiments. Il prête sa plume aux proclamations collectives, et assume pleinement les positions définies en commun, par exemple celle des exilés jersiais prônant l'abstention au plébiscite de 1852 5 ( * )6 . Même quand il désapprouve, ce qui n'est pas rare, le radicalisme hautain des socialistes de Jersey, il s'abstient de toute prise de distance publique, se contentant du silence. Enfin son nom apparaît toujours en bonne place dans les souscriptions destinées à venir en aide aux exilés démunis (de loin les plus nombreux), - à la mesure de ses revenus, restreints et peu assurés avant les grands succès éditoriaux qui viendront plus tard.

Pour autant, on est en droit de penser que l'isolement auxquels les événements vont bientôt le réduire n'est pas pour lui déplaire. L'expulsion collective de 1855 qui disperse les exilés de Jersey (lesquels ne prennent pas tous le chemin de Guernesey), puis surtout l'amnistie de 1859 (qui permet aux proscrits de rentrer en France sans avoir à solliciter leur grâce, et que la grande majorité d'entre eux accepte), font enfin à Hugo l'exil qu'il avait sans doute plus ou moins secrètement désiré depuis 1852 : celui d'un fantôme hantant un rocher, d'un homme libre et seul, attentif à la rumeur du monde, disponible pour tous les appels au secours, l'exil d'un absent dont la voix était sans arrêt portée par l'océan et amplifiée par ses échos.

Quel effet d'approfondissement un tel exil a-t-il pu avoir sur la conscience européenne de Victor Hugo ? Se tenant à l'écart des grands centres de la politique, exilée ou pas, progressivement détaché de toute fréquentation régulière des communautés de proscrits politiquement organisées, son information et son action tendent à se limiter aux voies médiatiques du livre, de la presse et de la lettre, ouverte ou non. Sa connaissance des diverses situations nationales reste donc limitée, il le sait et ne s'en cache pas. Quand des correspondants étrangers, de plus en plus souvent au fil des années, sollicitent de lui une intervention dans telle ou telle question nationale, il évite le plus souvent d'entrer dans les détails de la tactique ; ainsi dans sa lettre à l'allemand Gloss, citée plus haut : « Vous connaissez naturellement mieux que moi, Monsieur, l'état actuel de la question intérieure allemande ; je ne puis donc qu'approuver de confiance la formation du comité allemand tel que vous l'entendez. » 5 ( * )7 . En revanche, il met sans difficulté sa plume au service de l'enthousiasme et de l'indignation, du rappel exaltant des principes généraux et généreux, et il sait très bien formuler et répéter les grandes lignes de la stratégie d'ensemble qui lui semble légitime et nécessaire. Les détails et détours de la tactique, il ne les évoque et ne les emprunte guère que lorsqu'il s'agit de la France.

Au demeurant, il n'est pas certain qu'un exil davantage mêlé aux vicissitudes de la politique pratique et de la communauté internationale des proscrits aurait conféré une plus grande vigueur et une plus grande efficacité à son engagement européen. Les témoignages des exilés de l'après 48, les travaux qui portent sur leur existence et leur action, tendent à montrer combien, malgré l'internationalisme proclamé, les regroupements se faisaient d'abord sur des bases nationales, bien difficiles à articuler. Même à Londres, la plupart des proscrits fréquentaient essentiellement leurs compatriotes. Et ceux qui, parmi eux, peuvent vraiment être qualifiés de cosmopolites, tel Alexandre Herzen, montrent que leur expérience les conduisit plus souvent à accentuer leur perception des différences nationales, à grand renfort de généralisations hâtives et de clichés autorisés, plutôt qu'à dégager les formes et les mots de la solidarité européenne. Sur son rocher, le vieillard solitaire et tonitruant s'attacha sans cesse, lui, à mettre en avant et à glorifier ce qui réunissait l'Europe de ses voeux, les principes partagés, les souffrances communes, l'avenir rêvé par tous, - plutôt que les divisions héritées de l'histoire et d'une hypothétique psychologie des peuples. Et tandis que, servi et porté par les prestiges du Verbe, par une gloire littéraire renouvelée et décuplée, par sa ténacité exemplaire, Hugo forgeait les symboles de la communauté européenne qu'il croyait en gestation, tandis qu'il chantait ses martyrs et ses héros (Garibaldi, la Pologne, les anonymes des barricades écrasées...), lui-même devenait un drapeau, un symbole vivant et parlant de cette Fédération continentale à venir, de cette République universelle de l'idéal. Le nombre croissant des appels qui lui parvenaient des quatre coins du continent et du monde prouvait que, « chose publique » 5 ( * )8 , Hugo ne l'était pas seulement pour la France. Or qui n'admettra l'efficacité, ou pour mieux dire la nécessité de symboles communs, dans l'émergence d'une communauté nouvelle ? Et n'est-ce pas là, entre autres choses, ce qui fait cruellement défaut à l'Europe d'aujourd'hui ?

Mais revenons, pour conclure, à l'exil, et disons que Hugo a construit le sien en fidélité exacte à cette trinité qui fait le fond de sa conception et de sa pratique de la politique : indépendance, solidarité, conscience. Ces trois termes dessinent en quelque sorte la subjectivité politique hugolienne, la figure même du sujet humain en tant qu'il est sujet politique. Les deux premiers de ces termes se comprennent aisément ; le troisième est plus énigmatique, plus essentiel, et davantage susceptible de contresens. Conscience chez Hugo ne désigne pas une vague déontologie, une éthique de la politique comme on dirait aujourd'hui. Elle est le nom du moteur même, du désir inextinguible de politique, - sa source, alors que les deux autres termes de cette trinité définissent ses modes d'application. La conscience est ce qui dit à l'homme qu'il vaut mieux et plus que l'existence qu'il se fait et qu'on lui fait, qui dit au sujet politique que le genre humain est appelé à de plus hauts et plus heureux destins que ceux ménagés et aménagés par l'état présent de la collectivité. C'est en cela que la conscience est à la source de la seule politique qui vaille, celle qui tend à réduire le hiatus, celle qui pense, sent et agit en accord avec cette voix intérieure, celle qui oeuvre à ce que Hugo, parmi d'autres, appelle le Progrès. Et l'on comprend alors que le grand exilé ait si souvent parlé de la proscription en termes de conscience, qu'il l'ait comprise comme une expérience intimement et intensément adéquate à la conscience : c'est que tant que l'Histoire n'est pas achevée, tant que l'Homme n'est pas vraiment l'Homme, tant que la politique est nécessaire, la conscience parle toujours d'ailleurs, pour autre chose. La conscience est toujours en exil.

Michel WINOCK

Il est notable que cette histoire de l'exil ait pu être illustrée, en chacun de ses chapitres, par des écrivains de haute lignée : Chateaubriand, Germaine de Staël et Benjamin Constant, Victor Hugo, Jules Vallès. Chacun d'eux, à sa manière, a décrit les souffrances et les espoirs du proscrit, les yeux tournés vers son pays interdit, redoutant de mourir sans l'avoir revu. L'exil a été pour beaucoup, illustres ou non, une école de formation politique, où les grandes idées du siècle, le libéralisme, la République, le socialisme, ont mûri. C'est aussi cette fécondité de l'exil qu'il faudra vérifier.

Enfin, si la France a été, au XIX e siècle, une terre d'exil, il ne faudrait pas oublier -- même si ce n'est pas exactement notre sujet -- qu'elle fut aussi une terre d'asile : qu'il suffise de dire les noms de l'allemand Heine, du russe Herzen, du polonais Mickiewicz, derrière lesquels furent des milliers de compatriotes, pour signaler que le phénomène d'exil ne fut pas unilatéral et que, pour beaucoup d'Européens, la France, terre de la révolution, est restée -- au moins à certaines périodes de son histoire -- terre de liberté.

Je vous propose maintenant de poser vos questions.

Débat

De la salle

Dans la partie consacrée aux exilés de la révolution, Michel Winock a cité le chiffre de 150 000 exilés. Mme Rance, quant à elle, a parlé de 100 à 150 000 exilés dont 17 000 nobles. Au-delà de ces nobles, quels ont les autres exilés ? Qu'ont-ils fait ? Sont-ils revenus en France après l'amnistie ?

Karine RANCE

Je commencerai par répondre à votre dernière question. Quasiment toutes les personnes ayant quitté la France au moment de la Révolution sont rentrées. Les autres émigrés sont des membres du clergé réfractaire, c'est-à-dire ceux refusant de prêter serment à la constitution civile du Clergé. Ce sont aussi des membres du Tiers- état en particulier des paysans d'Alsace et des régions frontalières où avaient lieu les conflits militaires. Ces personnes se sont réfugiées de l'autre côté de la frontière de peur des représailles au moment où les armées françaises revenaient dans la région. Le profil du Français en exil à l'étranger se complexifie et se diversifie. En effet, à chaque changement de régime en France pendant la période révolutionnaire, une nouvelle vague d'émigration se produit. Nous trouvons alors dans une ville comme Hambourg à la fois des émigrés que nous pourrions qualifier d'ultraroyalistes avant l'heure, des partisans de la monarchie constitutionnelle mais aussi des gens comme Talleyrand qui passe à Hambourg en revenant des États-Unis.

Michel WINOCK

Nous pouvons aussi citer les Girondins qui ont également fait partie des exilés. En effet, une partie des révolutionnaires a fait partie de cette émigration. Au moment de la Terreur, quelques centaines de personnes quittent la France. Un historien américain, Donald Greer, donne les statistiques suivantes : " l'émigration est composée de 25,2 % de prêtres, 16,8 % de nobles, 11 % de grands bourgeois, un peu plus de 6 % de petits bourgeois mais aussi 14,5 % d'ouvriers et près de 20 % de paysans ". IL reste donc 7 % d'exilés non identifiés.

De la salle

Franck Laurent, à propos de l'Europe, dit que la pensée politique de Hugo s'articule autour du libéralisme, du socialisme et de la démocratie. Qu'entend-il par libéralisme à cette époque ?

Franck LAURENT

Le libéralisme fait référence aux principes de 89, c'est-à-dire liberté publique, égalité civile, etc. C'est aussi le refus d'un système représentatif. Néanmoins la dimension économique du libéralisme commence à immerger y compris en France. Le libéralisme est certes avant tout une invention anglaise. Hugo globalement est partisan d'une forme de libéralisme économique. Il n'y a aucun doute sur cette question. Même s'il entend le libéralisme économique avec des correctifs pour les peuples entre autres des correctifs de redistribution voire de planification incitative dans certains cas, l'État pouvant être en mesure de donner certaines impulsions à l'économie. C'est au cours des années 1868-1870 que cette idée est développée. Il défend aussi comme tous les républicains de son bord, c'est-à-dire les républicains radicaux, l'impôt sur le revenu contre l'impôt sur la consommation. L'impôt sur le revenu est une mesure d'un rouge écarlate pour l'époque. D'ailleurs, cet impôt ne sera voté qu'en 1911 ou 1912 c'est-à-dire qu'après bien des péripéties et des campagnes de presse très importantes.

Michel WINOCK

L'impôt sur le revenu est voté en 1914 et sera mis en oeuvre après la guerre. Hugo est un social libéral. Le mot libéralisme est aujourd'hui devenu plus ou moins un terme péjoratif mais le libéralisme représente le progrès. C'est la liberté politique, c'est la liberté de la presse. C'est la liberté individuelle. C'est la liberté de se déplacer. Le libéralisme politique s'accompagne d'un libéralisme économique plus ou moins encadré par l'intervention de l'État. C'est ici que les différentes écoles s'expriment.

De la salle

Pour quelles raisons précises Herzen est-il parti en exil ?

Sylvie APRILE

Herzen est un opposant au régime tsariste dans les années 1840. Il est donc contraint de quitter la Russie. Il bénéficie, de par ses origines, d'une fortune personnelle qui va lui permettre de vivre en exil. Bien qu'ayant vécu en France, il a à la fois une vision très cosmopolite et en même temps il se replie sur une conscience nationaliste. Il exprime donc un pessimisme par rapport aux événements ayant lieu en Europe à cette époque. Il faut lire les mémoires d'Herzen pour comprendre pleinement le milieu dans lequel il évolue et le foisonnement intellectuel. Je vous invite à faire cette lecture.

Franck LAURENT

Avant d'inviter les lecteurs à lire Herzen, il serait bon d'inviter les éditeurs à publier ses mémoires. Il est fort dommage que les magnifiques mémoires d'Herzen ne soient pas disponibles dans l'édition française.

Sylvie APRILE

Herzen était également publié largement dans les colonnes d'un journal que nous nous devons d'évoquer, L'Homme, journal de la proscription publié à Jersey. Ce journal avait pour sous-titre Journal de la démocratie universelle, journal qui ouvre ses colonnes très largement à toutes les tendances de la proscription. Herzen a été un collaborateur important de ce journal et y a publié des textes qu'il ne pouvait publier nulle part ailleurs.

Michel WINOCK

Je vous propose d'entendre quelques questions écrites posées par le public se trouvant dans la salle adjacente et qui suit nos débats par écran interposé. La première question écrite s'adresse à Franck Laurent. Combien de temps Victor Hugo est-il resté en exil ?

Franck LAURENT

L'exil principal dure 19 ans et 9 mois. Il part le 10 décembre et rentre un 5 septembre. Il existe cependant d'autres périodes d'exil de Hugo.

Michel WINOCK

La deuxième question vous est également adressée : à propos de la pensée de Victor Hugo sur l'Europe, je souhaite savoir s'il s'est posé la question d'une langue unique et celle de la défense des cultures nationales face à la mondialisation ou à l'européanisation.

Franck LAURENT

Victor Hugo s'est effectivement interrogé sur la perspective d'une langue unique. Dans les années 1840, c'est le français comme langue véhiculaire. Il s'aperçoit assez rapidement qu'une langue véhiculaire n'est pas suffisante et par ailleurs que le français n'est peut-être pas la langue la mieux placée. Victor Hugo reste particulièrement discret sur la question. Il imagine certainement une langue nouvelle qui serait certainement construite à partir du français mais qui deviendrait la langue de l'Europe future. Ce serait en quelque sorte un français métissé.

Jacques SEEBACHER

Quand Hugo parle d'une union continentale, je ne pense pas qu'il y inclut l'Angleterre. Sur la question de la langue, "il faut que nous nous trouvions avec les allemands en face de l'Allemagne pour que toute l'Europe parle français et non allemand", dit-il.

Michel WINOCK

Voici une autre question : « Comment peut-on faire un parallèle entre l'histoire des peuples et l'histoire individuelle? » C'est un grand sujet. Nos vies dépendent nécessairement des conditions historiques générales de l'époque où nous vivons. Que l'on songe seulement aux guerres, aux crises économiques, aux révolutions... Ou tout simplement au prix du pain. Cependant, les destinées de chacun ne dépendent pas étroitement des événements, parce qu'elles sont soumises à d'autres contingences, personnelles, familiales, locales. Quand on lit des mémoires ou des correspondances, on découvre parfois que la vie particulière de tel ou tel individu présente des périodes fastes et heureuses au moment même où la conjoncture est mauvaise. Le parallèle entre vie personnelle et vie publique devient beaucoup plus net dans le cas des personnes qui sont très engagées dans l'histoire de leur pays, dans l'histoire politique notamment. C'est bien le cas de Victor Hugo : on peut lire sa vie, sa carrière, suivre son évolution, comme un livre d'histoire, depuis ses premiers poèmes d'ultra-royaliste, sous la Restauration, jusqu'à son apothéose républicaine au début de la III e République.

Deuxième table ronde sur

* 1 Donald Greer, The Incidence of the Emigration during the French Revolution, Cambridge, 1951. Cette étude, contestée dans ses modes de calcul mais qui n'a pas encore été remplacée, évalue le nombre total des émigrés à 100 000 ou 150 000 individus. 16 à 25 % d'entre eux seraient nobles, 25 à 35 % seraient membres du clergé, le reste étant membres du tiers état. Pour une vision générale de l'émigration, voir : Jean Vidalenc, Les Émigrés français 1789-1825, Caen, 1969.

* 2 Y. Shain cité par Stéphane Dufoix, Politiques d'exil. Hongrois, Polonais et Tchécoslovaques en France après 1945, Paris, 2002, p. 24.

* 3 Karine Rance, Mémoires de nobles émigrés dans les pays germaniques pendant la Révolution française. Thèse de doctorat, Université Paris 1, 2001.

* 4 Claude-Isabelle Brelot, La noblesse de Franche-Comté de 1789 à 1808, Annales littéraires de l'université de Besançon, n° 134, Paris, 1972.

* 5 Henri Carré, La noblesse de France et l'opinion publique française au XVIII e siècle, Paris, 1920, p. 463-472.

* 6 Samuel F. Scott, « L'armée royale et la contre-révolution », dans Roger Dupuy, François Lebrun (éd.), Les résistances à la Révolution, Paris, 1987, p. 191-201, ici p. 196.

* 7 Christian Henke, Coblentz : Symbol für die Gegenrevolution, Stuttgart, 2000, p. 203-206.

* 8 Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen, Berlin, 1963, p. 28-30.

* 9 Sur la faiblesse des transferts culturels, voir : Thomas Höpel, Emigranten der Französischen Revolution in Preußen 1789-1806, Leipzig, 2000.

* 10 Paul-André Rosental, « Maintien/rupture: un nouveau couple pour l'analyse des migrations », Annales E. S. C, juillet-septembre 1990, p. 1403-1431.

* 11 Jean-Clément Martin (éd.), La Contre-Révolution en Europe. XVIII e - XIX e siècles. Réalités politiques et sociales, résonances culturelles et idéologiques, Rennes, 2001, p. 8.

* 12 Archives nationales : AB XIX 196, doss. 1, lettre de Faymoreau à son commandant, Hambourg, 14 octobre 1796

* 13 Gérard Noiriel, Le creuset français, Paris, 1988, p. 193.

* 14 Stéphane Dufoix, op. cit., p. 28 et suiv.

* 15 Coblenz et Quiberon. Souvenirs du comte de Contades, pair de France, publiés par le comte Gérard de Contades. Paris, E. Dentu, 1885.

* 16 Charles de Lacombe, Le comte de Serre, sa vie, son temps, Paris, 1881, 2 vol. Jean Vidalenc, « Les "départements hanséatiques" et l'administration napoléonienne », Francia, 1 (1973), p. 414-450, ici 421-422.

* 17 La paix imposa de réduire le nombre d'hommes de 500 000 à 223 000, voir Guillaume de Bertier de Sauvigny, La Restauration, Paris, 1955, p. 103.

* 18 Le roi prononça une amnistie qui n'excluait que les conventionnels régicides ayant rallié Napoléon pendant les Cent Jours qui furent bannis. Sur ces autres exilés, voir : Sergio Luzzatto, Mémoire de la Terreur. Vieux montagnards et jeunes républicains au XIX e siècle, Lyon, 1991.

* 19 Almut Franke-Postberg, Le milliard des émigrés. Die Entschädigung der Emigranten im Frankreich der Restauration (1814-1830), Bochum, 1999.

* 20 André Gain, La Restauration et les biens des émigrés. La législation concernant les biens- nationaux de seconde origine et son application dans l'est de la France, Nancy, 1929, 2 vol., ici vol. l, p. 108-109.

* 21 Souvenirs et fragments pour servir aux mémoires de ma vie et de mon temps, par le marquis de Bouillé, publiés pour la Société d'histoire contemporaine, par P.-L. de Kermaingant. Paris, Picard, 1906-1911,3 vol., ici vol. l,p. 66.

* 22 Mémoires d'Outre-Tombe, nouvelle édition critique, établie, présentée et annotée par Jean- Claude Berchet, Paris, Garnier, 1989-1998, 3 vol., ici vol. 1, p. 513.

* 23 Chateaubriand, op. cit. vol. 1, p. 136.

* 24 Chateaubriand, op. cit. vol. I, p. 166.

* 25 Chateaubriand, op. cit. vol. I, p. 161.

* 26 Claudette Delhez-Sarlet, « Chateaubriand : scissions et rassemblement du moi dans l'histoire », dans Maurizio Catani, Claudette Delhez-Sarlet, Individualisme et autobiographie en Occident, Bruxelles, 1983, p. 193-208, ici, p. 201.

* 27 Les Misérables, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, t. II, p. 415.

* 28 Les Misérables, t. II, p. 358.

* 29 Choses vues, souvenirs, journaux, cahiers, 1870-1885, Paris, Gallimard, 1972, p. 87.

* 30 L'Année Terrible, in Victor Hugo, OEuvres complètes, t. III, Poésie, p. 1 17-118, Paris, Robert Laffont, 1985.

* 31 Choses vues, p. 268.

* 32 Choses vues, p. 266.

* 33 L'Année terrible, p. 181.

* 34 L 'Année terrible, p. 124.

* 35 Le Rhin, Conclusion, OEuvres complètes de Victor Hugo, vol. Voyages, Robert Laffont, coll. « Bouquins », édition désormais désignée par « Laffont ».

* 36 Sur la couverture de l'édition originale des Burgraves. Voir Laffont, Théâtre II, p. 260.

* 37 Du fait de l'implication des troupes françaises dans l'écrasement de la République romaine. Voir notamment les discours à l'Assemblée législative, « Affaire de Rome - 19 octobre 1849 » et « La liberté d'enseignement - 15 janvier 1850 », Actes et paroles - I ; avant l'exil, Laffont, Politique.

* 38 Voir ses discours d'ouverture et de clôture, les 21 et 24 août 1849, Actes et paroles - I ; avant l'exil, Laffont, Politique et Philippe régnier, « Victor Hugo et le pacifisme d'inspiration saint- simonienne » in Hugo et la guerre, actes du colloque de l'université Paris VII, textes réunis et présentés par Claude Millet, Maisonneuve et Larose, 2002.

* 39 « Quoi ! parce que, après dix ans d'une gloire immense, d'une gloire presque fabuleuse à force de grandeur, [Napoléon] a, à son tour, laissé tombé d'épuisement ce sceptre et ce glaive qui avaient accompli tant de choses colossales, vous venez, vous, vous voulez, vous, les ramasser après lui, comme il les a ramassés, lui, Napoléon, après Charlemagne, et prendre dans vos petites mains ce long sceptre des Titans, cette épée des géants ! Pour quoi faire ? (Longs applaudissements.) Quoi ! après Auguste, Augustule ! Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit ! (La gauche applaudit, la droite crie. La séance est interrompue pendant plusieurs minutes. Tumulte inexprimable.) » (« Révision de la constitution », 17 juillet 1851, Actes et Paroles - I ; avant l'exil, Laffont, Politique, p. 289-290)

* 40 Par l'instauration de la République, le « peuple français a taillé dans un granit indestructible et posé au milieu même du vieux continent monarchique la première assise de cet immense édifice de l'avenir, qui s'appellera un jour les États-Unis d'Europe ! (Mouvement. Long éclat de rire à droite.) » (op. cit., p. 275).

* 41 Lettre du 23 avril 1856, édition des OEuvres complètes de Victor Hugo, Le Club français du livre (édition désormais désignée par « CFL »), tome X, p. 1242. Hugo s'exécutera le 26 mai, par une lettre « A l'Italie » qui sera reproduite dans les journaux anglais, belges et italiens (voir Actes et paroles II ; pendant l'exil, Laffont, Politique, p. 507-509).

* 42 Il faut ajouter : cinq aux États-Unis d'Amérique, un à la Chine, deux au Mexique, deux à Cuba...

* 43 Actes et paroles - II ; pendant l'exil, Laffont, Politique, p. 679.

* 44 « À l'Italie », Actes et paroles - II ; pendant l'exil, Laffont, Politique, p. 507-508.

* 45 « Congrès de la paix à Lausanne », Actes et paroles - II ; pendant l'exil, Laffont, Politique, p. 624.

* 46 « Pour la Serbie », Actes et paroles - IV ; depuis l'exil, Laffont, Politique, p. 951.

* 47 Au moins depuis son discours du 9 juillet 1849 à l'Assemblée législative (Actes et paroles - I ; avant l'exil, Laffont, Politique), Hugo ne cesse de le répéter : il s'agit non pas de soulager la misère, mais bien de l'abolir. On peut citer parmi de multiples exemples cette phrase de Gauvain, Républicain universaliste de l'avenir, à Cimourdain, Républicain jacobin du présent, dans Quatrevingt-Treize (phrase qui figura récemment sur les banderoles d'une association de défense des mal logés) : « Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée » (III, VII, 5, Laffont, Roman III, p. 1057).

* 48 Lettre du 29 août 1852, CFL, tome VIII, p. 1030.

* 49 Lettre à Gloss du 2 avril 1853, CFL, tome VIII, p. 1053.

* 50 Voir la lettre de Hugo du 2 février 1852, CFL, tome VIII, p. 976.

* 51 Voir notamment la lettre à Louise Colet du 1 er juin 1854 : « Où le vent va-t-il m'emporter ? Les journaux espagnols annoncent que le Gouvernement d'Espagne m'offre l'hospitalité. Je suis bien tenté de ce beau soleil, moi qui suis citoyen du ciel bleu. » (CFL, tome IX, p. 1078).

* 52 Lettre du 24 mai 1856, CFL, tome X, p. 1253.

* 53 CFL, tome IX, p. 1096. Herzen, alors à Londres, lançait sa revue L'Étoile polaire et sollicitait le soutien et la participation de Hugo ; cette lettre sera reproduite dans le premier numéro de la revue.

* 54 Passé et méditation, tome II, ch. XXXVII, p. 335-336, Lausanne, L'Âge d'homme, 1976. Sur l'expérience et l'idiosyncrasie des exilés de la génération de 1848, voir les travaux de Sylvie Aprile (notamment « « Qu'il est dur à monter et à descendre l'escalier d'autrui » - L'exil des proscrits français sous le Second Empire », dans Romantisme, n° 1 10, SEDES, 2000).

* 55 « Madier de Montjau et Charras m'ont prié, au nom de tous nos co-proscrits de Belgique, de voir ici Mazzini, Ledru-Rollin, Kossuth, pour régler avec eux les intérêts de la démocratie européenne. Ils m'ont dit : parlez comme notre chef. Ceci me retiendra à Londres jusqu'à mercredi » (lettre à Adèle du 2 août 1852 ; CFL, tome VIII, p. 1026).

* 56 Voir « Déclaration à propos de l'Empire - Jersey, 31 octobre [1852] », Actes et paroles - II ; pendant l'exil, Laffont, Politique.

* 57 CFL, tome VIII, p. 1052-1053.

* 58 Commentant sa décision de ne réclamer aucun droit d'auteur pour l'exploitation de ses oeuvres à des fins patriotiques durant toute la durée de la guerre, Hugo écrivait dans ses carnets le 27 novembre 1870: « Ce que j'écris n'est pas à moi. Je suis une chose publique » (Laffont, Voyages, p. 1068).

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