TABLE RONDE :
LA DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE :
UN CONCEPT ÉMERGENT

I. - L'affirmation du parlement sur la scène internationale

Cette table ronde a été co-présidée par M. François LONCLE, président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, et M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Y ont participé :

MM. Jean-Bernard RAIMOND et Michel VAUZELLE, députés

M. Jacques VALADE, sénateur

· Intervention de M. François LONCLE, président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, mes chers amis, « diplomatie parlementaire », il paraît que cette expression agace quelque peu certains diplomates. Je suis certain que ce colloque et les deux exposés remarquables que nous venons d'entendre sont un signe et lèveront ce que je crois être un malentendu.

Notre Assemblée nationale est par maints aspects, une assemblée internationale. D'abord parce qu'elle s'occupe activement des questions de politique étrangère sur le plan législatif. Savez-vous par exemple qu'une loi sur deux présentées au parlement concerne l'autorisation de ratification d'une convention internationale ? Ensuite parce qu'elle revendique un rôle accru en matière diplomatique, sans pour autant contester nullement la prééminence du pouvoir exécutif dans la définition et la mise en oeuvre de la politique extérieure de la France. Depuis la fin de la guerre froide et encore plus depuis 1997, l'Assemblée nationale a multiplié les initiatives en matière internationale, dans un souci d'ouverture au monde, de transparence démocratique, de participation des représentants du peuple aux affaires qui, pour être étrangères n'en intéressent pas moins tous les Français. D'autant que le parlement est le lieu privilégié où s'élaborent les principaux choix politiques. C'est ainsi que, pour reprendre le titre de cette séance, le parlement s'est affirmé sur la scène internationale.

1. - Le rôle de la commission des affaires étrangères

Pour ma part je soulignerai ici surtout le rôle spécifique de la commission des affaires étrangères avant de formuler quelques propositions destinées à contribuer à renforcer l'action diplomatique de la France.

La commission des affaires étrangères exerce une triple mission institutionnelle : s'informer sur la diplomatie mise en oeuvre par un Gouvernement responsable devant le parlement, contrôler l'exécution de cette politique, examiner et voter les textes internationaux qui lui sont soumis par l'exécutif.

L'information s'opère de différentes manières : par des questions écrites et orales, par des auditions des ministres compétents, mais aussi par celles d'ambassadeurs, d'experts, de responsables d'organisations internationales, de personnalités politiques étrangères : autrement dit, l'éventail est particulièrement large et diversifié. Mentionnons, depuis un an, des personnalités aussi éminentes que les Présidents Wade, Clerides, Mesic, Estrada, les ministres Fischer, Cook, Bartoszewski, la plupart des Commissaires européens, Jacques Delors, Michel Rocard, etc. Par ailleurs, le président de la commission reçoit quotidiennement une copieuse sélection de télégrammes diplomatiques : environ 400-500 par jour ! En outre, la commission publie chaque année des rapports d'information sur divers sujets internationaux et ses membres entreprennent des déplacements à l'étranger. Elle a également la possibilité de désigner des commissions d'enquête ou des missions d'information. Il faut bien reconnaître que les premières sont relativement rares. Les missions d'information se sont en revanche multipliées depuis quelques années, au point de devenir une pratique privilégiée. Je me contenterai de mentionner, en 1998, la mission d'information sur le génocide rwandais et celle qui est en cours sur les événements tragiques de Srebrenica.

2. - Le parlement et la PESC

Le parlement dispose également, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, d'un pouvoir particulier de résolution dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il s'agit d'une nouveauté qui n'a pas encore été utilisée, mais qui s'avère importante, dans la mesure où c'est le seul cadre dans lequel le parlement peut voter une résolution sur un problème international. Elle est d'autant plus importante qu'il n'y a jamais eu à ma connaissance de lois autorisant la ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord qui soit issue d'une « proposition » de loi déposée par un parlementaire. Toutes les lois de ratification émanent en effet de l'exécutif, même si une proposition de loi autorisant la ratification du traité créant la Cour pénale internationale a été jugée recevable par le président de l'Assemblée nationale.

3. - Le vote des projets de textes internationaux

Lors de l'examen et du vote de projets de textes internationaux, le parlement a une compétence législative somme toute réduite, puisqu'il lui est interdit d'amender un traité (ce qui est naturel). Il peut soit l'adopter, soit le rejeter, soit l'ajourner, étant entendu que le report plus ou moins long peut être interprété comme une manifestation politique, comme c'est le cas de l'Accord d'association entre l'Union européenne et Israël ou plus récemment la convention d'extradition avec les États-Unis. Néanmoins, les délais sont parfois, voire trop souvent, occasionnés par les lourdeurs des procédures gouvernementales et parlementaires, au point que la France fait figure de l'un des pays qui ratifient le plus lentement. Cependant cette compétence législative n'est pas négligeable, puisque les parlementaires peuvent suggérer au Gouvernement d'ajouter un ou des amendements à certains projets de loi. Je pense notamment à l'article additionnel au Traité d'Amsterdam, certes officiellement déposé par le Gouvernement, mais en réalité initié par la commission des affaires étrangères, à l'initiative de Jack Lang, du Président Giscard d'Estaing et de moi-même. Toutefois, au-delà des compétences constitutionnelles, les parlementaires français, soit individuellement soit collectivement, tendent à exercer une action diplomatique qui ne vise pas évidemment à concurrencer celle de l'exécutif, mais plutôt à la soutenir, à l'orienter, à l'aiguillonner. Ce développement est particulièrement perceptible dans les affaires européennes. Alain Barrau y reviendra certainement.

A mon sens, il est nécessaire d'associer de plus en plus parlementaires et diplomates. Au demeurant, parlementer n'est ce pas le fondement de la diplomatie ?

4. - Des ambiguïtés à lever

Dans cette optique, il convient de lever certaines ambiguïtés législatives. Mon collègue Paul Quilès, président de la commission de la défense, a proposé que le parlement soit informé, consulté sur l'engagement des forces françaises et, éventuellement, de l'autoriser. Certes, l'article 35 de la Constitution stipule que « la déclaration de guerre est autorisée par le parlement », mais c'est une disposition obsolète puisque les opérations militaires ne sont plus précédées de déclarations de guerre. Il faut donc remédier à cette incohérence. Pour ma part, je considère comme normal et légitime que la représentation nationale soit au moins tenue informée de l'emploi de nos soldats en dehors du territoire français et qu'elle ait l'occasion de se prononcer sur ce sujet important. C'est d'ailleurs ce qu'avait estimé le Président François Mitterrand au moment de la guerre du Golfe. En revanche, le parlement n'a pas été formellement consulté sur l'engagement militaire français au Kosovo, même s'il a été au préalable largement informé du déroulement et de l'échec des négociations de Rambouillet.

Je pense comme Paul Quilès qu'il est nécessaire de prévoir un mécanisme nouveau permettant d'associer le parlement aux décisions en matière de défense. De même, il faudrait dorénavant que les accords de coopération militaire, les traités de défense et les accords de sécurité conclu par la France avec d'autres pays, dont la Constitution n'impose pas qu'ils soient présentés au parlement pour ratification, soient désormais systématiquement soumis au contrôle démocratique des assemblées.

La situation est plus satisfaisante au niveau européen, puisqu'il existe un dispositif qui associe le parlement à l'élaboration des décisions européennes. Les échanges entre les parlements des Quinze sont nombreux. Par exemple, les présidents des commissions des affaires étrangères des pays membres de l'Union se réunissent deux fois par an. D'autres rencontres bilatérales ou multilatérales ont lieu ici et là. C'est bien, mais plus pourrait être fait encore. Personnellement, je crois qu'il serait utile que les présidents de commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat participent, en tout ou partie, aux sommets institutionnalisés que la France tient avec ses principaux partenaires, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne. De la même manière, ils devraient avoir la possibilité d'assister aux réunions du Conseil européen, tout au moins quand celles-ci se déroulent dans leur propre pays. Il conviendrait enfin de s'inspirer de l'exemple de la convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui a été un éclatant succès parce qu'elle a rassemblé des représentants des gouvernements, de la Commission européenne et des parlements nationaux et du parlement européen. Cette expérience prometteuse doit servir de modèle pour de futures discussions. S'agissant du parlement européen, comment ne pas souligner le rôle particulier qu'il joue en matière diplomatique et dont ce colloque pourrait utilement examiner l'évolution.

Ces quelques propositions ne me semblent pas excessives. En tout cas, elles n'empiètent pas du tout sur les prérogatives de l'exécutif. Elles ont au contraire pour objectif de renforcer les liens entre d'une part, le Gouvernement, et d'autre part, les élus et les citoyens. En somme, de faire vivre notre démocratie. En paraphrasant Paul Valéry, je dirais que la diplomatie doit cesser de donner l'impression d'être « l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ».

· Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, comment affirmer le rôle du parlement sur la scène internationale ?

J'aborderai le sujet sur la base de trois observations :

· l'application de la fonction législative du parlement au domaine diplomatique et ses limites ;

· les initiatives que notre parlement a su prendre pour aller au-delà de cette seule fonction législative et jeter les bases d'une diplomatie parlementaire innovante ;

· les forces concurrentes qui apparaissent aujourd'hui sur la scène internationale et qui mettent le parlement au défi de préserver et de renforcer son rôle.

1. - L'application de la fonction législative du parlement au domaine diplomatique et ses limites

Notre Constitution comme notre pratique institutionnelle font de l'action diplomatique un domaine privilégié de l'Exécutif. En amont des initiatives de politique étrangère où des négociations de traités et de conventions, le parlement n'intervient pas réellement. Il constitue cependant l'étape indispensable et solennelle par laquelle notre action diplomatique peut se traduire dans les faits. L'article 53 de la Constitution lui confère cette fonction essentielle qui est d'adopter ou non les projets de lois qui tendent à autoriser la ratification ou l'approbation de traités internationaux. Soyons réalistes, les quelque 50 projets de loi annuels qui nous sont soumis sont loin de revêtir la même importance, mais au-delà de ce recensement trompeur, le parlement se trouve invité à intervenir sur les points essentiels de choix réellement politiques. La Cour pénale internationale, le protocole de Kyoto, les traités européens, pour ne citer que ces sujets-là, ont été ou seront l'occasion de véritables débats parlementaires avec à la clé la décision grave d'accepter et d'engager notre pays. Cette fonction législative incontournable apparaît cependant quelque peu formelle. L'observateur attentif relèvera tout d'abord que les rejets de tels projets de loi sont quasi inexistants, semblant ainsi confirmer l'esprit consensuel qui prévaut en la matière. Il relèvera surtout que si légiférer consiste à modifier un projet de loi pour l'enrichir et le compléter, le parlement se trouve en l'occurrence confronté à une limite constitutionnelle stricte qui lui interdit d'amender non seulement les traités, ce qui va de soi, mais aussi les projets eux-mêmes. Le projet autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam est un cas particulier et non un précédent qui serait une entorse à cette règle d'airain.

2. - Les initiatives que notre parlement a su prendre pour aller au-delà de cette seule fonction législative et jeter les bases d'une diplomatie parlementaire innovante

Le parlement met donc à profit, pour dépasser l'aspect plutôt formel de sa fonction législative, d'autres méthodes d'expertise et d'action. Un premier mode d'action relève de l'information et du contrôle. En effet, l'affirmation du parlement sur la scène internationale suppose, en préalable, son information complète et sincère sur les événements qui s'y déroulent. Les auditions régulières du Ministre des affaires étrangères par les deux commissions permanentes sont au coeur de ce processus d'information, comme les nombreuses questions orales ou écrites. Dans un autre contexte, l'association des parlementaires par le ministère des affaires étrangères à la délégation française à l'Assemblée générale de l'ONU participe du même souci d'information. Si ces instruments fonctionnent dans de bonnes conditions, je voudrais formuler une observation complémentaire. Il me semble qu'un progrès significatif reste à accomplir pour mieux associer le parlement aux décisions d'engagement de nos forces dans les principales opérations extérieures. Je rejoins tout à fait François Loncle sur ce qu'il a dit. Le Gouvernement dispose de la faculté de provoquer un vote des deux assemblées après débat sur une décision d'engagement militaire hors du territoire national. Il en a d'ailleurs fait usage en janvier 1991 lors de la guerre du Golfe. Depuis cependant, aussi bien pour la Bosnie que pour le Kosovo, cette procédure n'a pas été utilisée et je le regrette. Il y aurait, à mon sens, une réelle logique institutionnelle et politique à adapter la pratique en rééquilibrant d'une manière ou d'une autre les rôles respectifs du Gouvernement et du parlement en la matière. Cela étant, cet exercice d'information et de contrôle pour essentiel qu'il soit en ce qu'il traduit la nécessaire transparence de l'Exécutif à l'égard du parlement reste limité au cadre franco-français. Il laisse la question d'une capacité d'expression internationale propre au parlement. Nous disposons d'une palette d'instruments. Tout d'abord, les déplacements à l'étranger des présidents de chacune de nos assemblées, ceux de délégations parlementaires, ceux de nos groupes parlementaires d'amitié ont comme mérite commun d'assurer, auprès des responsables du pays visité, la continuité du message diplomatique. Elle y associe cette légitimité supplémentaire que suppose l'implication d'élus du suffrage universel. Il en résulte en quelque sorte un multiplicateur d'influence. Le parlement a également développé ces dernières années, notamment le Sénat, de nouveaux moyens d'action : un service des relations internationales a été créé en charge d'un ambitieux programme de coopération interparlementaire. Encore un mot sur la capacité d'initiative du parlement : l'insertion de l'article 88-4 dans notre Constitution, en permettant au parlement de se prononcer par des résolutions sur des questions de politique extérieure et de sécurité commune, constitue une opportunité réelle que nos deux assemblées devront mettre à profit à mesure que cette PESC s'affirmera sur la scène internationale. En dehors de ce cadre européen, nous ne disposons pas de la faculté de voter des résolutions ou des motions et je le regrette car à mon sens il faut conduire une réflexion sur les moyens donnés au parlement d'une réelle capacité autonome d'expression dans le domaine international.

3. - Les forces concurrentes qui apparaissent aujourd'hui sur la scène internationale et qui mettent le parlement au défi de préserver et de renforcer son rôle

Je ne saurais conclure ce propos sans évoquer brièvement, car le thème est vaste, le défi que constitue la mondialisation. Chacun sait en premier lieu la part prééminente que prennent aujourd'hui les normes internationales dans la vie quotidienne du citoyen du monde. Normes dont l'élaboration relève de moins en moins des institutions nationales. Le risque se profile d'un dépérissement progressif du rôle des États, et donc des parlements, alors même que c'est prioritairement en leur sein que doivent continuer de s'élaborer les choix politiques fondamentaux. En second lieu, nous constatons le rôle de plus en plus actif de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile internationale ou les ONG. Ces nouveaux acteurs jouent un rôle considérable, souvent supérieur à ceux des parlements dans l'élaboration de ces normes. Je pense par exemple à la négociation de la convention instituant la Cour pénale internationale ou à celle du protocole de Kyoto. Sans dénier aux ONG la respectabilité que leur expérience et leur efficacité peuvent justifier, certaines questions doivent être posées. Qu'en est-il, par exemple, lorsqu'elles interviennent dans l'élaboration des normes, de leur légitimité représentative et du contrôle démocratique auquel elles sont soumises ?

L'affirmation de nos assemblées sur la scène internationale dépend avant tout, me semble-t-il, de nous-mêmes, de notre propre volonté de concevoir et de délivrer en coopération réciproque avec l'Exécutif, un message parlementaire sur les événements internationaux particulièrement importants que nous vivons. Je pense au Moyen-Orient. Cette démarche me semble d'autant plus pertinente à un moment où, dans notre monde globalisé, la nécessité se fait de plus en plus sentir d'une architecture internationale de régulation qui, en procédant des États ou des groupes d'États, devra donner une place prééminente aux parlements.

· Intervention de M. Jean-Bernard RAIMOND, député, ancien ministre des affaires étrangères

Messieurs les Présidents, Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, j'ai remarqué avec plaisir que de nombreux Ambassadeurs à Paris étaient présents. Je suis le premier des témoins à prendre la parole. Je devrais être un bon témoin, puisque j'ai passé 35 ans au Quai d'Orsay et que je suis député depuis plus de huit ans. Étant donné que les orateurs précédents ont très bien traité les questions de fond et les grands sujets, je risque de présenter des remarques un peu trop concrètes.

1. - Le concept de diplomatie parlementaire

La première remarque à propos de la diplomatie parlementaire c'est que j'apprécie beaucoup le sous-titre qui a été donné à cette table ronde « concept émergent ». Je voudrais traiter les deux termes, à la fois le concept et pourquoi il est émergent.

Qu'est ce que la diplomatie ? C'est un mot que j'ai rarement employé car j'ai remarqué que lorsque l'on dit « il faut être diplomate », cette formule a des connotations positives mais également négatives. Comme l'ont dit nos deux Présidents, l'action diplomatique est par définition une action régalienne : elle dépend fondamentalement de l'État. Plus couramment, lorsque l'on parle de diplomatie, on pense « négociation ». Le mot « diplomatie » et l'idée de négociation ne me suffit pas car tout le monde négocie. Je préfère deux termes : « affaires étrangères » ou « relations extérieures », car au fond qu'est ce qu'un diplomate ? C'est un agent de l'État qui a comme caractéristique de travailler avec l'étranger sur l'étranger. Il a, à mon avis, deux grandes missions fondamentales. Premièrement, le diplomate en administration centrale ou en poste a pour mission d'informer et d'analyser la situation des pays étrangers, notamment du pays où il est accrédité. Cette analyse porte d'ailleurs à la fois sur le politique, l'économique, le social. Il suffit de penser à notre Ambassade à Moscou en ce moment : sa fonction fondamentale est d'interpréter tout ce que fait et tout ce que veut faire M. Poutine. Il se trouve finalement que la source d'information principale du Gouvernement ou du Président de la République, ce sont les Ambassades, la fameuse collection des télégrammes, les rapports quotidiens de toutes les Ambassades qui arrivent sur les bureaux des décideurs en France. Je voudrais parler d'une autre profession qui n'a pas été citée jusqu'à présent, celle des journalistes. On dit souvent : « à quoi bon les Ambassades puisque les journalistes informent plus vite ». Je crois que les journalistes ne sont pas des concurrents. Ils sont pour les ambassadeurs, des partenaires. Il faut donc souligner ce partenariat que nous retrouverons tout à l'heure de manière différente pour les parlementaires. Deuxièmement, le diplomate a pour mission de représenter la France et le Gouvernement à l'étranger. Enfin, sa troisième mission, que j'ai écartée tout à l'heure, est la négociation. En effet, dans la vie quotidienne du diplomate, la négociation est une mission ponctuelle qu'il fait en général sous l'étroite instruction du Gouvernement.

En ce qui concerne la première mission « diplomatique », il me semble que les parlementaires peuvent jouer un grand rôle et ils le font de plus en plus, par leurs déplacements, les missions, les commissions d'enquête, tout cela a été cité par les orateurs précédents. De ce point de vue, ils complètent le travail et enrichissent celui des ambassades. En outre par ces missions et ces déplacements, ces parlementaires représentent aussi la France vis-à-vis de l'étranger. A titre de mission de diplomatie parlementaire, je citerai un souvenir personnel. Au début de l'année 1996, le président de la commission des affaires étrangères, M. Giscard d'Estaing, avait décidé d'envoyer auprès de Saddam Hussein trois députés dont j'étais. Il l'a décidé avec l'accord écrit du Gouvernement. Nous sommes donc allés voir Saddam Hussein et en sortant de l'audience, nous avons pu confirmer ou infirmer qu'il accepterait la résolution « Pétrole contre nourriture ». Nous avions pris position, à l'époque, pour la levée des sanctions et l'arrêt des survols. C'était une diplomatie parlementaire bien ajustée car nous avons pu faire un télégramme avec le chargé d'affaires. J'ai retrouvé, à ce moment, un plaisir d'ancien diplomate, en tant que parlementaire. Je citerai également la mission que M. Forni a envoyée en Palestine et en Israël au moment où éclatait la violence. Nous avions alors pu rapporter des avis de nos homologues à la Knesset et du Conseil législatif palestinien expliquant que malgré cette violence, les deux parties souhaitaient la reprise des négociations.

2. - L'émergence de la diplomatie parlementaire

Alors en quoi ce concept est-il émergent ? Pendant longtemps, le rôle des parlementaires à l'international a été marginal, mais il y avait une raison fondamentale. Si l'on excepte l'Europe occidentale, très peu de parlements étaient issus d'élections libres. Lorsque j'étais Ambassadeur au Maroc (fin 1973 - fin 1977), ce n'est qu'à la fin de l'année 1977 qu'il y a eu pour la première fois un parlement élu démocratiquement au Maroc. Ce fut un tel événement que l'inauguration se fit sous la présidence d'honneur du Président Edgar Faure. Ensuite, lorsque j'étais à Varsovie, sous la présidence de Jaruzelski, il y avait une Diète, mais les contacts avec ses membres étaient impossibles. D'ailleurs, pendant cette période, seulement deux parlementaires sont venus en Pologne : Pierre Joxe (à l'époque président du groupe socialiste à l'Assemblée) et Alain Peyrefitte. En 1985-1987 lorsque j'étais à Moscou, Gorbatchev arrivait au pouvoir et le parlement était le Soviet Suprême : il n'y avait donc pas de contact non plus. Une délégation parlementaire est cependant venue à une période non dénuée d'intérêt sur le plan intérieur, lors de la lutte anti-alcoolique de Gorbatchev. Les parlementaires de la délégation sont allés en Géorgie où ils ont eux-mêmes acheté leur vin. Lorsqu'ils revinrent et qu'ils furent reçus par le Soviet des nationalités, ils virent arriver des coupes remplies d'un liquide rouge : c'était du jus de raisin. Bref, tout cela pour dire qu'il n'y avait pas de parlement.

C'est l'effondrement du système soviétique en 1989 qui a entraîné et accentué le rôle des parlements. Il a provoqué la libération de toute l'Europe centrale et orientale et l'émergence de parlements issus d'élections libres. La Grande Commission franco-soviétique, du temps de la guerre froide, était une commission de coopération présidée par le ministre du Commerce extérieur, avec essentiellement des techniciens. Aujourd'hui, cette commission est la réunion annuelle des présidents de la Douma et de l'Assemblée nationale. Tout cela montre bien qu'il y a eu un renversement de la situation. Autre exemple cher aux parlementaires membres de la commission des affaires étrangères, le Triangle de Weimar où, indépendamment des rencontres de l'Exécutif, les commissions des affaires étrangères de la France, de l'Allemagne et de la Pologne se réunissent régulièrement.

L'élargissement de l'Union européenne a lui aussi transformé la diplomatie parlementaire. Nous avons un contact entre l'Assemblée nationale et les assemblées de ces pays. M. Forni évoquait tout à l'heure ses visites dans les trois pays susceptibles de rentrer le plus rapidement dans l'Union européenne. Des rapports quasi-familiaux entre parlementaires se développent et se développeront comme ceux entre les ministres des affaires étrangères des 6, des 9, des 12, puis des 15. Les parlementaires français seront amenés à rencontrer souvent leurs homologues européens pour s'informer sur les opinions publiques des pays et pour informer sur l'opinion publique française par rapport à l'élargissement. J'ajouterais même que pour la première fois, dans ce cadre européen, les parlementaires interviennent dans la négociation, au coeur de la diplomatie.

Je voudrais terminer sur les droits et devoirs des parlementaires. Pour ce qui est de l'information, une mission parlementaire doit avoir, à son arrivée dans un pays étranger, une réunion de travail avec l'Ambassadeur. Cela permet de compléter oralement le dossier écrit du Quai d'Orsay, d'ajouter des indications très précieuses pour permettre aux parlementaires de nourrir leur conversation avec leurs interlocuteurs parlementaires. Cela assure une cohérence aux conversations. Pour ce qui est de la représentation de la France, le parlementaire doit respecter un devoir de réserve.

En conclusion, la diplomatie parlementaire doit reposer sur la confiance réciproque des diplomates, des députés et des sénateurs. Sur ce point, les députés et les sénateurs doivent mettre de côté leur mission de contrôle lorsqu'ils sont à l'étranger. Le contrôle intervient lors de la discussion du budget. S'il doit y avoir contrôle des Ambassadeurs, l'Inspection des postes diplomatiques et le Ministre y veillent. Il appartient donc aux parlementaires de créer la confiance et aux diplomates d'être très disponibles et d'assurer les contacts.

M. Christian PONCELET

Merci M. le ministre pour votre prestation que nous avons tous appréciée. Vous avez cité Weimar, vous me permettrez d'y faire référence pour défendre le bicamérisme. Weimar était une République où le parlement n'avait qu'une seule assemblée, vous connaissez la suite, je n'insiste pas. En ce qui concerne le contrôle, je n'émettrais qu'une seule réserve : le parlement peut exercer sa fonction de contrôle même auprès de la représentation française à l'étranger.

· Intervention de M. Jacques VALADE, vice-président du Sénat

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, mes chers amis, Jean-Bernard Raimond disait tout à l'heure qu'il était le premier à témoigner. Je suis le deuxième à le faire. Il déplorait que déjà des exposés fondamentaux aient été développés. C'est la même situation dans laquelle je me trouve. Je plains mes successeurs qui auront à faire preuve d'originalité. Le souci de témoignage qui a été celui des Présidents Forni et Poncelet me fait m'exprimer devant vous essentiellement en tant que participant et animateur d'un certain nombre de groupes d'amitié sénatoriaux. Les interventions passionnées de nos deux présidents ont donné le ton : attitude volontariste, voire offensive avec une diplomatie parlementaire qui pourrait être un « concept émergent ». Je crois, sans faire preuve d'un optimisme excessif, que ce concept est largement émergé. En effet, l'affirmation de la présence du parlement français sur la scène internationale, cette ouverture à l'international, se développe largement à l'initiative de nos deux présidents d'assemblée. Elle a également été souhaitée par l'Exécutif au niveau de la Présidence de la République puisque, comme l'a évoqué le Président Poncelet, il n'y a pas de voyage du Président de la République et du Premier ministre où il n'y ait pas une bonne association de parlementaires.

La mondialisation se traduit par une volonté exprimée par le parlement français d'être présent sur la scène internationale. Cela doit se faire en parfaite complémentarité avec la politique nationale. En période de cohabitation, le problème se pose, mais actuellement, il est entièrement résolu. Il est bien clair qu'il ne nous appartient pas à nous parlementaires de venir troubler le jeu. Nous devons parler d'une seule voix et il y a une difficulté lors des missions à l'extérieur compte tenu de la pluralité des représentations politiques, au sens français du terme, des différents membres de ces missions : chacun des parlementaires doit veiller à ne pas déroger à cette règle d'unanimité nationale. En ce qui me concerne, l'expérience m'a montré qu'il n'y avait pas de dérogation à cet égard.

Comment au Sénat les choses sont-elles mises en oeuvre ? Je voudrais revenir sur quatre points.

1. - Le Président du Sénat

Premièrement, le Président du Sénat, ses collaborateurs et ses services organisent les relations internationales à leur niveau, que ce soit en ce qui concerne l'accueil et la représentativité. Il y a peu de personnalités extérieures à la France qui passent sur le territoire national qui ne soient pas reçues par le Président. Par ailleurs, à l'image du Président de l'Assemblée nationale, depuis le début de son mandat, le Président Poncelet s'est efforcé de rendre cette ouverture internationale la plus efficace et la plus concrète possible. Il a entrepris de nombreux voyages avec une association des parlementaires concernés par le pays visité. Son souci a également été de prendre contact sur place avec les nationaux et les représentants de la communauté française sur le développement économique auquel nous sommes attachés. Les messages que les Présidents d'assemblée peuvent délivrer sont soit des messages cohérents avec la politique nationale, soit des messages spécifiques dont ils sont chargés à l'occasion de tel ou tel déplacement. L'organisation du Forum des Sénats du monde avec ses conséquences a un peu étonné les sénateurs dans leur ensemble et pour nous tous qui avons participé à cette séance, nous avons été surpris, intéressés et enthousiasmés par la présence de nos collègues des Sénats du monde qui ont répondus à l'invitation du Président Poncelet. Cette séance a permis une rencontre et des échanges qui sont actuellement prolongés dans les différentes organisations que le Président Poncelet a évoquées.

2. - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Deuxièmement, la commission des affaires étrangères et de la défense, présidée par M. Xavier de Villepin, a un rôle institutionnel, mais également un pouvoir de proposition et d'initiative. J'ai trouvé dans le propos de François Loncle des dispositions identiques à celles dans lesquelles le président de Villepin se trouve. Les travaux de la commission sont fondamentaux, mais la personnalité des Présidents est également stratégique. Xavier de Villepin n'a de cesse de sillonner le monde pour essayer de porter le message qui est celui du Sénat et celui de la France.

Troisièmement, les délégations parlementaires ont été évoquées, tout particulièrement les délégations à l'Union européenne.

3. - Les groupes sénatoriaux d'amitié

Enfin, en ce qui concerne les groupes d'amitié parlementaires, la presse a longtemps considéré ce type d'activité comme la possibilité pour tel ou tel parlementaire d'aller effectuer un voyage annuel ou bisannuel. Depuis quelques années il n'en est rien. Les groupes parlementaires d'amitié au Sénat fonctionnent avec rigueur : le vice-président Jean Faure en parlera cet après-midi. Ils sont des vecteurs de relations tout à fait essentielles qui complètent les voyages que le Président Poncelet peut faire à l'extérieur. Ils concourent à l'établissement d'une ambiance favorable aux bonnes relations entre le Sénat et les parlements étrangers et à une meilleure connaissance du mode de fonctionnement des démocraties que nous avons l'occasion de rencontrer lors de ces voyages. La culture parlementaire partagée passe certainement par des organisations du type Forum des sénats du monde, mais également par un échange au niveau des parlementaires en ce qui concerne les structures. Le Sénat français est souvent sollicité pour fournir des informations et pour permettre à chaque parlementaire d'échanger des expériences réciproques. Elles sont l'occasion de rencontres avec les communautés françaises à l'étranger, les communautés diplomatiques, gouvernementales (rares sont les missions qui ne sont pas reçues au niveau du Gouvernement), économiques, culturelles et au niveau de l'éducation.

Je ne citerai qu'un seul exemple. A Taïwan, au cours d'une mission économique et scientifique, nous avions été reçus par les trois quarts du Gouvernement taïwanais à une époque où les relations étaient un peu difficiles pour des raisons qui sont présentes à l'esprit de beaucoup de personnes ici, mais également parce que les relations entre les entreprises françaises et le communauté taïwanaise n'étaient pas des meilleures. J'ai le sentiment que les conversations que nous avons eues ont permis d'améliorer l'ambiance par rapport à celle qui pouvait préexister. Il s'agit donc d'une multiplication d'influences et d'initiatives. Ceci trouve un écho au titre de la coopération décentralisée. Raymond Forni a évoqué les relations avec des régions, des départements, des grandes villes, et il est clair que les parlementaires (députés ou sénateurs) sont « territoriaux ». Par conséquent, chez eux, à partir de leur région, circonscription ou département, les parlementaires ont des actions de coopération décentralisée parce que la loi nous le permet et parce que les Gouvernements successifs y sont favorables. Au travers de ces groupes d'amitié, nous avons la possibilité de conforter ces actions de coopération et de recueillir les résultats, les observations et les critiques qui peuvent être formulées. Je crois qu'il y a là une nécessité de complémentarité bien réalisée sur le terrain. Les messages de solidarité et de partage au niveau des démocraties que nous pouvons rencontrer sont pour nous parlementaires, des messages de convivialité et de fraternité. Je pense que, dans le cadre de cette diplomatie parlementaire, cet aspect humain de relations de base n'est pas négligeable.

Encore une fois, au moment où les concepts de mondialisation et d'internationalisation sont banalisés, il serait paradoxal que les parlements et les parlementaires en soient absents et n'y apportent pas leur contribution.

M. Christian PONCELET

Merci Jacques Valade, nous avons été sensibles à votre encouragement. Vous avez parlé d'une mission de notre groupe d'amitié conduite en Thaïlande et qui était ciblée sur des intérêts technique et scientifique. J'avais oublié de mentionner que vous aviez été Ministre de la recherche et donc particulièrement qualifié pour conduire cette mission. Je passe la parole à M. Michel Vauzelle.

· Intervention de M. Michel VAUZELLE, député, ancien garde des Sceaux

Je voudrais dire combien il est difficile de parler en troisième position, puisque tout a déjà été dit auparavant et de parfaite manière.

1. - Les parlementaires, la démocratie et les affaires internationales

En tant que parlementaires, nous sommes des militants et des soldats de la démocratie puisque nous sommes les élus de la nation. Nous le voyons bien dans les instances internationales et notamment à l'UIP où j'ai l'honneur de présider la délégation française composée de sénateurs et de députés.

Dans nos institutions, il faut renforcer la démocratie parlementaire et il y a beaucoup à faire pour renforcer le rôle du parlement dans la V ème République. Il faut également insérer le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne en démontrant aux parlementaires européens que nous ne sommes pas un danger pour eux, mais au contraire nous apporterons un renforcement de la démocratie européenne. Dans ce cadre, il faut beaucoup encourager les parlementaires nationaux parce que rien n'est plus mal vu par un électeur français moyen que les missions parlementaires à l'étranger. Lorsque moi-même je me rends à l'étranger, je supplie la presse pour qu'elle n'en dise rien. Ce courage face à nos électeurs peut être soutenu par la volonté de nos présidents. A ce titre, le Président Forni s'engage de manière très importante sur la scène internationale : l'exemple donné par la présidence de nos assemblées est autant d'encouragement. De même, les fonctionnaires de l'Assemblé nationale apportent une compétence et un soutien formidables : sans eux, nous ne pourrions pas jouer convenablement notre rôle.

Il faut que nous fassions entendre la voix des nations non seulement par nos Gouvernements à l'ONU, mais également par les élus de la nation, les élus du peuple qui représentent la majorité politique dans leur pays et les oppositions. C'est là qu'il y a une nuance avec les Gouvernements. Dans nos délégations, nous représentons la majorité mais également les minorités et en ce moment, avec les ethnicismes en évolution, la représentation des minorités est un élément important à mettre au crédit du rôle international que doivent jouer les parlementaires.

Nous portons également au quotidien une sensibilité aux problèmes vécus à la base, ce qui n'est pas toujours le cas des Gouvernements, notamment lorsqu'ils sont en place depuis longtemps. Les problèmes que l'on ressent au niveau mondial (air, eau, sécurité, justice, droits de l'homme, droits sociaux...), qui, mieux que les parlementaires, peuvent les défendre au quotidien, eux qui traitent ces questions dans leurs circonscriptions de manière immédiate. Les parlementaires sont également les défenseurs des droits de l'homme dans les organisations internationales : petit à petit, une éthique internationale s'établit au nom de laquelle il y aura de moins en moins de soldats nommés dans les parlements et de plus en plus de parlementaires élus au suffrage universel et dans des conditions démocratiques.

En ce qui concerne l'UIP, il est clair qu'à côté de l'ONU, il est bon qu'un rassemblement mondial des parlementaires améliore le climat international. De ce point de vue, l'impact de la politique menée par nos pays sur le plan international a souvent un lien avec la politique intérieure. La composition et les origines ethniques de l'État français font que la France et notamment la région que je préside est extrêmement sensible aux problèmes du Proche-Orient et aux relations que nous avons avec le monde arabe et le monde maghrébin. Sur ce thème, la politique internationale ne concerne pas seulement le Quai d'Orsay, mais également nos concitoyens. Aussi quand il y a détente en Méditerranée, il y a également détente en région PACA.

Pour ce qui est des enceintes politiques et parlementaires internationales, on se demande ce qui se passe en séance. Souvent, un ennui profond règne car c'est la langue de bois qui s'exprime : les délégations présentes somnolent tandis que les autres font du tourisme. De même à l'Assemblée nationale, nos concitoyens se posent des questions à propos des bancs vides. Il faut savoir que beaucoup de choses se passent dans les commissions et dans les couloirs de l'Assemblée. C'est là que notre pays retrouve son équilibre démocratique : après les invectives entendues dans l'hémicycle, les discussions réconciliatrices ont lieu dans les couloirs. Les mêmes contacts et discussions ont lieu dans les couloirs des enceintes internationales visant à réduire les tensions et à rechercher des solutions.

Dans sa démarche, l'UIP met en exergue le rôle des parlements nationaux et au moment où nous voyons les dangers de la mondialisation, il est clair que les identités culturelles nationales doivent trouver une expression dans les parlements nationaux, sinon ces identités culturelles s'exprimeront à travers l'extrême droite ou dans des ethnicismes ou nationalismes xénophobes et racistes. Le rôle des parlements nationaux à ce niveau-là est donc très important pour défendre de manière démocratique et républicaine les identités culturelles nationales. Il en est de même pour la construction européenne où il faudra bien trouver une place pour les parlements nationaux défendant les identités culturelles nationales.

En ce qui concerne les régions du monde, je préside, en ce moment, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée. Je l'ai réunie à Marseille l'an dernier dans l'enceinte du Conseil régional. Des parlementaires israéliens y côtoyaient des parlementaires palestiniens, des Syriens et des Libanais, toute la Méditerranée était représentée. Je ne pense pas que cela ait pu aggraver une situation déjà tendue au Proche-Orient. Les parlementaires doivent donc jouer leur rôle dans ces processus régionaux qui traitent de problèmes divers et réels tels que la dette, la coopération avec les PMA, etc.

2. - Le rôle de la commission des affaires étrangères

Je voudrais terminer par quelques mots de mon expérience en tant que président de la commission des affaires étrangères à la suite du départ du Président Giscard d'Estaing pour le parlement européen. Peu de temps après, la guerre du Golfe éclata et j'ai pu appliquer la diplomatie parlementaire active à cette période de l'histoire de l'Europe et du monde. J'ai pu constater que le parlementaire en tant que représentant de la nation a une légitimité reconnue et qu'il représente la France à l'étranger. Ensuite, il est en principe responsable. Il peut y avoir une diplomatie exploratoire qui soutienne et aide le Quai d'Orsay et le Ministre. Là aussi le facteur humain chez les ministres joue beaucoup : M. Dumas était très jaloux de ses prérogatives et ne favorisait pas toujours mon activité. Beaucoup de choses se passaient à l'est, je suis allé voir Saddam Hussein car il était préférable d'envoyer en premier lieu un député plutôt que de reprendre les contacts au niveau ministériel. Pendant la guerre du Golfe, il fallait expliquer à l'opinion publique maghrébine pourquoi la France avait pris cette position, ce qui aurait été impossible pour un membre du Gouvernement. Je me suis donc trouvé en Libye en face du Président Kadhafi qui me conduisit devant les chefs d'État des pays arabes qui regardaient les informations télévisées et notamment les bombardements de l'Iraq par des Alliés. Un ministre aurait été très gêné à ma place. De même, lorsque je suis allé à Moscou lors du coup d'état contre Gorbatchev, je me suis trouvé poussé sur le balcon du parlement russe devant une foule à qui je n'ai pu dire que « Vive Gorbatchev, vive Moscou et vive Eltsine ». Il était positif qu'un Français soit présent à ce moment-là et s'adresse à tout le monde.

3. - La coopération décentralisée

Je terminerai en disant qu'il est très important que nous ayons mentionné la diplomatie régionale, c'est-à-dire le rôle que peut jouer la coopération décentralisée. Je rends hommage à M. Védrine et au Gouvernement actuel qui favorisent la diplomatie parlementaire et qui n'y voient aucun inconvénient. Je pense notamment à la Méditerranée et à la coopération décentralisée où le Gouvernement nous soutient après une période d'interdit.

Je crois très important qu'au moment où émerge une conscience internationale et une opinion publique internationale qui peuvent être déviées vers toute sorte d'errances xénophobes, racistes ou autres, il faut que les parlementaires puissent jouer entièrement leur rôle. Ils sont mieux placés que d'autres pour le faire.

M. Christian PONCELET

Merci cher ministre pour votre intervention. En écho à ce que vous avez dit je voudrais souligner que lorsqu'une mission parlementaire se rend à l'étranger, on surprend toujours nos interlocuteurs par le fait que cette mission est composée de sénateurs ou de députés de toute tendance, ce qui est une excellente expression de la démocratie et de la tolérance chez nous. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec M. Vauzelle quand il dit qu'il manque une structure au niveau européen. Nous militons depuis longtemps pour qu'il y ait un Sénat européen pour permettre un équilibre entre les institutions européennes.

· Débat avec la salle

Mme Sylvie FLEURY

Je suis maître de conférences à Sciences Po sur l'Union européenne. Je voudrais poser une question très précise à M. Vauzelle. Je rentre d'Algérie où je me suis rendue pour une mission de conseil et j'aimerais avoir des compléments d'information sur les liens entre votre région et les wilayas puisque j'ai eu l'impression d'une demande extrêmement forte de coopération avec la France et de l'importance de la francophonie compte tenu du contexte actuel.

M. Michel VAUZELLE

On s'aperçoit que l'Algérie est un grand pays francophone et de plus en plus francophone. Je me suis rendu à Alger à maintes reprises pour rencontrer, en tant que Président de région, le Président Bouteflika et le Wali du Grand Alger pour établir sur des dossiers très concrets une réelle coopération décentralisée. En matière d'eau, d'assainissement, d'urbanisme, nous devons avoir des échanges techniques et nous avons signé, dans le cadre d'un accord, une série de coopérations techniques qui nourriront ensuite des échanges plus ouverts sur le domaine politique. Par exemple, au Printemps des lycées qui est la grande fête lycéenne de notre région, nous recevrons systématiquement des délégations de lycéens palestiniens, israéliens et algériens.

M. Angus LAPSLEY, ambassade de Grande-Bretagne

Dans son discours sur l'avenir de l'Europe à Varsovie l'année dernière, mon Premier ministre a proposé l'éventuelle création d'une deuxième chambre du parlement européen qui serait composée des représentants des parlements nationaux. Il s'agirait, sans porter atteinte au parlement européen ou au Conseil des ministres, de donner l'opportunité aux parlementaires nationaux de s'exprimer ensemble sur les questions (PESC, défense, immigration) qui relèvent de leur compétence et qui sont de plus en plus abordées au niveau européen. Ma question est de savoir si cette idée intéresse les parlementaires français. Êtes-vous d'accord sur le principe selon lequel il faut faire plus pour associer les parlements nationaux dans le travail européen.

M. Christian PONCELET

Je vous remercie de cette question et vous rappelle que mon prédécesseur, Alain Poher, avait émis l'idée de la création d'un Sénat européen, considérant qu'il était nécessaire qu'une institution puisse exprimer la volonté des parlements, à côté du parlement européen qui est lui issu du suffrage universel. Le Sénat français continue dans cette démarche et nous espérons que les pays qui adhéreront à cette idée seront nombreux. J'ai entendu une proposition identique faite par M. Gerhard Schröder, le Chancelier allemand qui partage cette idée. Nous espérons qu'il y aura bientôt un Sénat européen. Il s'agira alors d'en définir entre nous les modalités.

M. Raymond FORNI

Je voudrais m'exprimer sur les relations entre les parlements nationaux et le parlement européen. Dans nos parlements nationaux, nous avons des délégations aux affaires européennes : 60 % de la législation est d'origine européenne et il est tout à fait légitime que cette structure existe sur le plan interne, mais je déplore que les relations ne soient pas suffisamment assidues entre le parlement européen et les parlements nationaux. Ce qui est vrai en France est sans doute vrai ailleurs, de sorte qu'il existe un risque d'isolement du parlement européen par rapport à nos pays et d'une coupure entre l'opinion publique et la représentation européenne. Lorsqu'un parlement n'est pas suffisamment connu de l'opinion, le risque est qu'il dérive sur des chemins qui ne sont plus empruntés par l'opinion publique. Si l'on n'y prend pas garde, cela peut conduire à une forme de rejet de la construction européenne pour laquelle nous sommes tous mobilisés. La question est donc de savoir comment nous pouvons assurer ce lien fort entre le parlement européen et nous. Il est vrai qu'aujourd'hui Madame Nicole Fontaine est très active en tant que Présidente du parlement européen, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Aujourd'hui ce dynamisme est fort compte tenu de la personnalité de sa Présidente, mais je crois savoir que la Présidence tournante du parlement européen devrait conduire à une modification à la tête de cette institution à l'automne prochain. Je souhaiterais que la même résolution soit assurée par le successeur de Madame Fontaine. Il ne s'agit pas seulement de parler de diplomatie lointaine, il faut également évoquer notre diplomatie européenne. La construction européenne s'appuie sur cela.

M. Mihaly FÜLÖP, professeur des universités

Je suis professeur à l'Université de sciences économiques de Budapest, invité par l'IEP Paris. La fiche technique distribuée par les Présidents des deux assemblées souligne la lenteur du processus de ratification de la part de la France. Vous dites : « il arrive que les États de l'Union européenne se mettent d'accord pour tout ratifier le même jour ». S'agissant de l'élargissement de l'UE, comment allez-vous procéder ?

M. Raymond FORNI

C'est vrai que la France dans ce domaine n'est pas un bon élève et nous avons tendance à ratifier les traités avec un certain retard. Cela est dû essentiellement au fonctionnement de nos institutions, au fait que l'ordre du jour est déterminé par le Gouvernement. Nous n'avons pas de prise sur l'ordre du jour puisque le Gouvernement dispose de la priorité d'inscription. Ce dernier a bien évidemment ses exigences par rapport à la politique nationale. A partir du moment où le traité est accepté par notre pays et par les pays concernés, l'exigence de l'aval du parlement ne paraît pas urgente à accomplir. Sans doute a-t-on pris la mauvaise habitude de considérer qu'une fois que le traité est négocié avec d'autres pays, le fait est accompli et le parlement ne vient que de manière très secondaire dans le processus d'adoption des conventions ou traités internationaux. Cette procédure n'est pas acceptable, et c'est pourquoi je vous ai dit que je souhaitais que nous soyons associés le plus possible au processus d'élaboration des traités. Par exemple, j'entends toujours avec beaucoup d'intérêt dire que tel ou tel pays adhérera à l'UE à telle ou telle date. Un calendrier est ainsi fixé alors qu'il ne correspond pas toujours à la réalité. Lorsque nous sommes contraints de nous expliquer avec nos partenaires présents ou futurs, cela pose aux parlementaires de nombreux problèmes. Je souhaite plus de concertation entre le parlement et le Gouvernement, de telle sorte que nous avancions d'un même pas. Il ne faut pas décevoir les pays auxquels on s'adresse, les échéances doivent être clairement définies. En modifiant les dates, nous courons le risque de détacher l'opinion publique par rapport à l'idée européenne, car il arrive un moment où l'on finit par se désespérer de ne pas pouvoir mettre un pied à l'intérieur et de rester à la porte. Je pense donc qu'il faut être réalistes et pragmatiques.

M. Christian PONCELET

Je partage l'observation faite par mon collègue. Si la diplomatie parlementaire était davantage associée à l'élaboration de certains traités, plutôt que d'être placés devant le fait accompli, la ratification serait plus rapide. Je crois que fin juin seulement, nous allons ratifier les accords de Nice auxquels nous n'avons pas été suffisamment associés et nous avons des questions à poser. Le débat sera donc sûrement plus long qu'on ne l'imagine. Il faut associer les parlementaires plus en amont pour que les traités soient le reflet de l'expression de la représentation populaire, plus que celle de techniciens aussi qualifiés soient-ils.

M. Jean-Pierre MOUSSY

Je suis membre du Conseil économique et social (CES) et j'appartiens au sein de cette instance au groupe de la CFDT. Je prends beaucoup d'intérêt à l'organisation de cette journée et je remercie vivement les deux présidents d'avoir pensé à nous inviter. Le Président du CES attache beaucoup d'importance à l'activité internationale de cette institution, car il existe une association des conseils économiques et sociaux qu'il anime depuis le Palais d'Iéna. J'ajoute qu'à côté de la section des relations extérieures, nous venons de créer une délégation pour l'UE. Je souhaite que dans ce cadre, les contacts qui ont démarré avec les délégations des deux assemblées puissent se dérouler fréquemment et continûment sur des thèmes à l'ordre du jour au niveau de l'UE : élargissement et gouvernance, agenda social, etc.

M. Christian PONCELET

Il est pris note de la volonté de votre institution de coopérer davantage avec les deux assemblées parlementaires. Cette coopération existe déjà puisqu'un ministre peut éventuellement demander à être accompagné d'un membre du CES pour exprimer la volonté de ce dernier sur tel ou tel texte au sein des assemblées.

M. Jean-Marie DAILLET

J'ai été député de la Manche de 1973 à 1993 et ambassadeur de France en Bulgarie de 1993 à 1995. Je voulais vous féliciter de votre initiative car dans l'expression « diplomatie parlementaire », il y a une double géostratégie : consolider la démocratie parlementaire européenne en vue de l'élargissement, mais aussi illustrer à travers le monde l'innovation du siècle dernier que fut la création de la communauté européenne. Sur ce dernier point, je donnerais un exemple très simple. Lorsque l'on parle d'opposition et de majorité, je dirais que les Européens ont également intérêt à se prononcer d'une seule voix. J'ajouterais que les progrès de la démocratie dans certains pays et notamment en Amérique centrale ont été le fruit d'une politique bipartisane européenne puisque les grands courant démocratiques de nos pays pouvaient trouver leurs homologues dans des pays en grave difficulté et en proie à des régimes totalitaires ou militaires. Nous avons réussi, en Amérique centrale et au Chili, à forger des majorités établissant ou rétablissant la démocratie.

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