TABLE RONDE :
LA RÉGULATION INTERNATIONALE :
UNE NOUVELLE FRONTIÈRE
POUR LES PARLEMENTS ?
Cette table ronde a été co-présidée par :
MM. Yves TAVERNIER, député, et Philippe MARINI, sénateur.
Les débats ont été modérés par M. Yvan LEVAÏ, président de LCP-AN.
Y ont participé :
M. Jean-Claude LEFORT, député
Mme Béatrice MARRE,députée
M. Jacques LEGENDRE, sénateur
M. Guy PENNE, sénateur
Mme Danielle BIDART-REYDET, sénatrice
M. Yvan LEVAÏ, président de LCP-AN
En préambule à notre table ronde, je voudrais remercier les organisateurs du colloque qui ont eu la bonne idée de faire appel à des représentants de la société civile pour jouer le rôle de modérateurs. Depuis ce matin, nous avons entendu beaucoup de propos passionnants. J'ai relevé d'ailleurs, à propos de notre table ronde, une idée du président Poncelet. Il a dit qu'il fallait réfléchir à la légitimité de la régulation internationale, c'est-à-dire le rôle des parlements dans le nouvel ordre mondial. Il a ajouté avec malice que ce serait la dernière table ronde du colloque qui se chargerait de définir quelles utopies pourraient être promues.
J'aimerais pour ma part dire quelques mots de la presse. Il nous arrive d'accompagner le président de la République ou le président de l'Assemblée nationale lors de leurs voyages. Il y a quelques jours, je suis allé au Kosovo avec le président Forni. Il est indéniable que, sans lui, je n'aurais pas pu approcher les gens que j'ai rencontrés.
Il y a trente ans, j'ai également accompagné Jacques Chaban-Delmas, alors président de l'Assemblée nationale, en Russie post-brejnévienne. A l'époque, notre président de la République était Valéry Giscard d'Estaing et l'URSS comptait un dissident célèbre, Sakharov. Lorsque le président de l'Assemblée nationale est arrivé à Moscou, les Russes ont envoyé Sakharov en résidence forcée, à des kilomètres de son appartement moscovite. Ce geste visait à faire comprendre à la France qu'elle n'avait pas à s'occuper des droits de l'homme et des dissidents à Moscou. Jacques Chaban-Delmas a alors envoyé un message à l'Élysée pour informer le Président de la situation, mais sa décision était d'ores et déjà prise. Puisqu'on expulsait Sakharov au moment où il arrivait à Moscou, le président de l'Assemblée nationale, le représentant du peuple français, avait décidé de tourner les talons.
C'était une forme d'affirmation parlementaire, le choix d'un symbole (celui de partir) contre un autre (celui de placer un dissident en résidence forcée). Ainsi, il arrive à la démocratie parlementaire de dire non. J'ai entendu dire aujourd'hui que c'était bien de l'entendre dire oui et peut-être, mais je voulais introduire cette table ronde en évoquant cette diplomatie parlementaire rebelle. J'espère que, puisque nous sommes en fin de colloque, nos intervenants seront rebelles.
Je vais céder la parole à Yves Tavernier qui a rappelé, tout à l'heure,, qu'il était arrivé à certains parlementaires de réparer certaines des erreurs du Quai d'Orsay.
· Intervention de M. Yves TAVERNIER, député
Je ne voudrais pas que l'on réduise l'appréciation que je peux avoir de notre diplomatie à un mot qui d'ailleurs ne s'adressait pas au Quai d'Orsay. Je voulais dire qu'il serait dommage de limiter l'approche des parlementaires sur la scène internationale à la réparation d'un certain nombre d'erreurs que l'administration du Quai d'Orsay fait comme toute administration et le parlement lui-même. Il serait abusif de sortir le mot de son contexte et d'en faire une qualification qui n'était pas dans mon propos. Nous savons que les journalistes vont parfois à ce qu'ils croient être l'essentiel sans prendre en considération le plus important !
Vous me demandez, M. Levaï, de nous faire rêver. J'aurais beaucoup de difficultés à le faire encore que, en écoutant le ministre Hubert Védrine dire tout le bien qu'il pensait de l'action des parlementaires sur la scène internationale, il m'ait été donné l'envie de rêver. Je l'ai écouté avec beaucoup de plaisir, en m'interrogeant parfois sur le petit décalage qu'il peut y avoir entre les intentions et la réalité. En l'écoutant, je repensais aussi à l'article paru dans Le Monde cet après-midi et qui s'intitule : « Matignon recherche un conseiller en anti-mondialisation ». Si j'ai bien compris, les services du Premier ministre s'interrogent sur la sensibilité de l'opinion publique à la nature et aux effets de la mondialisation, ce qui les conduit à se tourner vers les ONG car ils voient en elles l'expression des peurs, des attentes et des préoccupations des Français.
1. - L'ouverture progressive, mais insuffisante, du champ des relations internationales au parlement
Ainsi, alors que pendant longtemps, il a été admis que les relations internationales relevaient du domaine réservé et que ce sujet était trop sérieux pour que d'autres que les chefs d'État et de gouvernement s'en occupent, aujourd'hui, sous l'effet de l'évolution de la société, on voit poindre la prise de conscience qu'il faut une ouverture vers d'autres que les gouvernants. Et l'on n'imagine cette ouverture qu'en direction de ce qu'on appelle la société civile - terme qui m'a toujours étonné -, en oubliant totalement que l'expression démocratique et légitime de la société civile, c'est d'abord le parlement. L'article du Monde ne faisant pas du tout référence au rôle du parlement, j'aimerais dire que les élus du suffrage universel ont autant de légitimité - sinon davantage - que les ONG dont je respecte pourtant l'action, la pensée, l'apport vis-à-vis des problèmes de notre société.
Je suis frappé par le nombre extrêmement important de rapports parlementaires de qualité réalisés au cours de ces dernières années sur la mondialisation, les grandes institutions internationales et la politique de développement. De plus, le travail de réflexion mené sur ce que doit être la coopération internationale au XXIe siècle pourrait constituer un corpus intellectuel extrêmement utile aux administrations et aux responsables exécutifs qui sont chargés de définir, de concevoir et de conduire la politique de la nation. Quelle conception le Quai d'Orsay, Matignon, les grandes administrations, Bercy ont-ils de ce que doivent être les relations avec ce que l'on appelle le tiers-monde, les pays ACP ? Y a-t-il une évolution dans leur perception, entre les années 60, lendemains de la décolonisation, et aujourd'hui, époque caractérisée par la mondialisation et la dislocation du bloc soviétique ?
Nous sommes à la recherche de ces grandes utopies qui sous-tendraient l'action et définiraient les objectifs. Nos interlocuteurs de la haute administration, comme les responsables politiques au niveau national, sont les premiers à avoir besoin de ces projets et de ces grandes perspectives. J'ose dire que le parlement, à son niveau, y contribue et qu'il y a une somme de travaux qui, malheureusement, ne sont pas utilisés. C'est un trait caractéristique de la France, que l'on retrouve aussi au niveau des travaux universitaires et de recherche. A la différence des pays anglo-saxons, en France, ces travaux n'alimentent pas suffisamment la réflexion politique et n'éclairent pas suffisamment l'action des gouvernants. J'ai été chercheur par le passé et j'ai pu constater que notre culture provoquait des cloisonnements forts entre ceux qui définissent la politique et ceux qui peuvent apporter (les intellectuels, les parlementaires, etc.) à la réflexion et, par suite, à la conduite des affaires de la France. Raymond Forni disait que des passerelles étaient nécessaires ; j'en vois effectivement quelques-unes d'une grande utilité.
2. - Le cas des institutions financières internationales
Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu'un seul exemple : les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le fonds monétaire international, dont la France est le quatrième bailleur de fonds (avec une quote-part de plus de 100 milliards de francs). Parallèlement, notre pays est le deuxième contributeur mondial à l'aide publique au développement. Or jusqu'à une date très récente, le parlement français était tenu et se tenait totalement à l'écart de sa mission de suivi et de contrôle de l'action de ces institutions et du rôle qu'y joue la France.
Il a fallu attendre le printemps 2000 pour que, pour la première fois, un débat soit organisé à l'Assemblée nationale sur notre coopération internationale et notre politique d'aide au développement. Ce n'est donc que depuis l'année dernière qu'il y a - de manière modeste et timide - un débat annuel sur un pan essentiel de notre politique internationale de développement, et notamment à l'égard du tiers-monde.
De même, il a fallu attendre un projet de loi de finances rectificatif pour qu'en 1998 nous nous intéressions aux institutions financières internationales. En janvier 1998, à la suite de la politique - que je ne qualifierai pas - du FMI en Extrême-Orient et en Russie, on a demandé aux Etats actionnaires d'augmenter leur quote-part. Pour la France, ce complément s'élevait à la bagatelle de 27 milliards de francs. Cette décision n'a pas été abordée lors de la discussion sur la loi de finances 1999. C'est seulement dans le cadre d'une loi de finances rectificative, proposée à la sauvette et nuitamment, que cette question a été soulevée ! Évidemment, les parlementaires n'ont pas eu d'autre choix que de voter cette loi, mais, suite à cela, ils ont imposé au gouvernement de faire chaque année, devant le parlement, un rapport sur le fonctionnement des institutions financières internationales. Cela se fait depuis l'année dernière. De plus, la commission des finances de l'Assemblée nationale établit un rapport sur le rapport du gouvernement. Pour l'année qui vient, j'ai commencé à travailler avec la direction du Trésor car je veux que soient rendues publiques et débattues toutes les directives données par le ministère des Finances au FMI et à la Banque mondiale. Nous devons savoir ce qu'est la politique de la France, ce que fait notre pays en Argentine, en Indonésie, en Corée ou en Turquie. Toutes ces actions doivent être connues et contrôlées par le parlement, qui a la responsabilité d'en rendre compte devant l'opinion publique.
Avant de conclure, je signale que le président Forni m'a donné son accord pour que soit créée une délégation permanente de l'Assemblée nationale aux institutions financières et économiques internationales, de façon à ce que nous puissions enfin remplir notre mandat qui est d'être informé, de suivre l'ensemble des décisions prises par l'exécutif ou ceux qu'il mandate dans ces institutions, et de pouvoir contrôler l'utilisation qui est faite de l'argent public. C'est tout simplement le fondement de la démocratie.
M. Ivan LEVAÏ
M. Marini, avez-vous vous aussi l'impression que les gouvernements ont tendance à ne pas vouloir que vous vous occupiez de l'affectation des fonds, de la Banque Mondiale par exemple ? Avez-vous trouvé une voie pour le faire quand même ?
· Intervention de M. Philippe MARINI, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat
Il faut faire preuve, il est vrai, de beaucoup d'assiduité et de professionnalisme. J'ai apprécié les propos du ministre lorsqu'il évoquait nos relations avec les parlementaires des principales puissances du monde, et en premier lieu des États-Unis. J'abonde tout à fait dans son sens : si nous voulons comprendre les problématiques qui nous sont soumises dans notre vie parlementaire, il faut dans bien des cas remonter à la source et appréhender les questions qui agitent le Congrès à Washington ou les institutions européennes.
Lorsqu'un parlementaire est convié, au sein de sa commission, à traiter d'une question relative par exemple à la supervision bancaire, à la régulation des marchés financiers, au rôle et à la composition de la commission des opérations de bourse ou du conseil des marchés financiers, lorsqu'il est invité à donner son avis sur la taxe Tobin , à examiner des questions liées à la politique de la concurrence, à l'application de directives européennes dans le domaine du droit de la concurrence, il ne peut pas se former une opinion suffisante d'après des éléments d'information simplement hexagonaux. Lorsque nous sortons de nos frontières et que nous allons confronter nos avis et nos analyses avec ceux des parlementaires britanniques, allemands, belges, néerlandais, américains ou sud-américains, nous observons que, dans bien des cas, nos sujets de préoccupations sont identiques, même s'ils s'inscrivent dans des contextes différents.
Autre exemple : le financement des retraites. C'est un sujet auquel tous les pays développés sont confrontés en même temps et qui, pour être traité, nécessite de manier une problématique qui leur est très largement commune, et ce même si les législations, les histoires ou les comportements syndicaux sont différents. Si un parlementaire français d'une commission des finances rencontre un parlementaire autrichien ou italien, voire un parlementaire d'une nouvelle démocratie d'Europe centrale ou orientale, ils peuvent parler ensemble du financement des retraites sans être vraiment « dépaysés ». Ainsi, dans la vie économique et financière telle que nous la connaissons aujourd'hui, rien d'important n'est hexagonal. Si nous voulons maîtriser les sujets que nous traitons, nous devons nourrir notre réflexion non seulement des rapports de nos administrateurs mais également des expériences d'autres parlementaires étrangers.
M. Ivan LEVAÏ
Vous dites que vous considérez les expériences menées à l'étranger comme de bonnes sources d'informations. Mais, comme M. Tavernier, regrettez-vous que les gouvernements vous cachent certaines informations, par exemple la destination de l'argent versé par la France au FMI - je pense au complément de 27 milliards dont il parlait tout à l'heure ?
M. Philippe MARINI
Cette somme de 27 milliards ne correspond pas à un crédit budgétaire mais à une opération financière - en quelque sorte une opération de trésorerie -, très difficile à comprendre dans nos documents budgétaires. Soulever cette question revient à poser le problème de nos instruments de connaissance de notre réalité budgétaire. Si nous n'y comprenons pas grand-chose, nous pouvons nous demander si les autres, placés dans leurs cadres nationaux, y comprennent davantage et nous pouvons examiner leurs méthodes.
Nous allons traiter au Sénat, comme vous l'avez fait à l'Assemblée nationale, de la réforme de l'ordonnance organique. Celle-ci va nous permettre de créer une comptabilité patrimoniale et d'examiner des données de bilan en plus des données de comptes de résultats. Nous irons donc plus loin que l'approche de caisse et pourrons voir si, d'année en année, l'Etat s'enrichit ou s'appauvrit. Dans un certain nombre d'autres Etats, les parlementaires élus au suffrage démocratique disposent de ces outils depuis un certain temps déjà.
M. Ivan LEVAÏ
Cela signifie-t-il que vous êtes satisfait de voir que l'on prend des décisions pour revenir sur l'ordonnance de 1959 ?
M. Philippe MARINI
Bien entendu. Je ne faisais qu'illustrer mes propos. Mais fondamentalement je crois que si nous voulons comprendre comment sont calculées les contributions de la France aux institutions financières multilatérales et ce que l'on en fait, nous devons aussi nous demander si nous sommes capables de comprendre comment évoluent l'endettement de l'État et l'ensemble de ses opérations de trésorerie. Est-ce compréhensible dans un bon format ? Pourrait-on en parler à l'opinion et lui expliquer ce que nous sommes censés savoir ? En découvrant cette évidence, je suis simplement en train de dire qu'un tel sujet ne peut plus se traiter à l'échelon hexagonal.
Je voudrais vous donner quatre illustrations de ma réflexion sous forme d'un bref voyage. A Berlin, en septembre ou octobre derniers, je suis allé m'enquérir auprès de la présidente verte de la commission du budget du Bundestag de la réforme fiscale allemande. J'y ai passé une journée. L'ambassade à Berlin a joué un rôle extrêmement utile pour trouver des contacts et susciter des débats. En rentrant, j'en savais beaucoup plus sur la réforme fiscale allemande que les conseillers du ministre des Finances, ce qui, évidemment, alimente ma capacité d'analyse et de répartie s'agissant d'apprécier la réforme fiscale française.
A Washington, en 1999, avec d'autres sénateurs, j'ai eu pour mission d'établir un rapport sur les principes de la régulation financière internationale, sur l'évolution de l'architecture des institutions financières multilatérales et sur la manière d'y faire revenir le politique et d'y crédibiliser les Européens. Les diplomates en poste, les fonctionnaires internationaux de nationalité française au FMI et à la Banque Mondiale, nous ont demandé alors, à nous sénateurs de droite, d'aller convaincre les représentants et les sénateurs républicains que le FMI n'étaient pas un horrible outil interventionniste à la française comme ils le croyaient... Cela me semble un véritable appel à la diplomatie parlementaire, puisque les attitudes que l'on voit s'exprimer au sein de ces institutions multilatérales sont fortement influencées par la réalité politique et parlementaire interne des États-Unis et que tous les contacts que l'on peut avoir avec eux sont évidemment très utiles pour se comprendre et faire évoluer les concepts.
A Bâle, il existe une institution assez ignorée du grand public, créée lors des accords sur les réparations de l'entre-deux-guerres. Elle joue un peu le rôle de banque centrale des banques centrales ; il s'agit de la banque des règlements internationaux. C'est en son sein qu'un consensus des banques centrales du monde élabore les nouvelles réglementations prudentielles bancaires, basées sur l'évaluation des risques bancaires. Je me suis rendu à Bâle pour tenter de comprendre ce qu'on allait nous soumettre d'ici quelque temps. J'ai rencontré un président, des directeurs, des fonctionnaires internationaux français, des fonctionnaires de la Banque de France détachés qui m'ont dit n'avoir quasiment jamais vu un parlementaire dans l'exercice de ses fonctions. Je crois qu'assurer une présence, tenter de bâtir une crédibilité de nos positions, se prêter au dialogue, essayer de comprendre et d'anticiper, cela fait partie de la diplomatie parlementaire.
A Abidjan, dans le cadre du volet « aide au développement » de la même mission sur la régulation financière internationale, nous souhaitions examiner l'exercice des responsabilités de la banque régionale. Reçu avec un excellent collègue, notre rapporteur spécial du budget de la coopération, dont chacun connaît la truculence et l'efficacité, par l'ambassadeur, je me suis aperçu que celui-ci faisait de la politique intérieure tandis que nous faisions, vis-à-vis des interlocuteurs que nous rencontrions, de la diplomatie étatique. En conclusion, je dirai donc que ces expériences sont très formatrices.
M. Ivan LEVAÏ
Tout au long de la journée, Hubert Védrine, Raymond Forni et le président Poncelet ont insisté sur la répartition des rôles. Puisque Philippe Marini a conclu en parlant de cet ambassadeur qui s'occupait de politique intérieure, j'aimerais demander à Guy Penne s'il a souvent rencontré des ambassadeurs de ce genre.
· Intervention de M. Guy PENNE, sénateur
La société des ambassadeurs est très diversifiée : certains sont très bons, d'autres moins ; certains font de l'hôtellerie et d'autres de la politique. Cela étant, je crois que le métier des ambassadeurs a beaucoup évolué en vingt ans. La dimension économique compte beaucoup plus qu'avant tandis que la multilatéralité a imposé un certain nombre de coopérations entre les ambassadeurs. Cela s'est encore accentué depuis la chute du mur de Berlin.
M. Ivan LEVAÏ
Quel est votre sentiment sur la diplomatie parlementaire dans le nouvel ordre mondial ?
M. Guy PENNE
Pour bien définir mon idée, je reprendrai une citation de M. Boutros-Ghali qui disait, en 1998, « charnière entre les citoyens des États et la communauté des États et par définition voués au dialogue, au débat et à la recherche des ententes, les parlementaires sont les agents mêmes de la démocratisation au niveau international ». Cette définition qui vient d'un homme qui a été ministre et secrétaire général de l'ONU, qui s'occupe aujourd'hui de francophonie et qui a une longue expérience, me semble tout à fait juste.
J'aimerais vous donner des exemples de la capacité de la démocratie parlementaire à débloquer certaines situations difficiles. Avec certains parlementaires, dont le président de l'Assemblée nationale de la République Centrafricaine, nous avions mené, sous l'égide de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, une mission au Burundi. A l'époque, le Burundi faisait l'objet d'un embargo décidé par les pays voisins, ce qui est assez atypique. Nous avons pu faire évoluer la situation. Nous avons également mené, toujours sous l'égide de la francophonie, une mission auprès du président de la Guinée, toujours persuadé du bien-fondé de ses idées. Il avait repoussé Madeleine Allbright, le président Chirac et, encore plus grossièrement, notre ministre Charles Josselin, lorsque ils lui avaient demandé de se montrer plus respectueux de la démocratie vis-à-vis du parlementaire emprisonné Alpha Condé. Nous avons remué ciel et terre au cours de cette mission et n'avons pas cessé de faire des conférences de presse et d'insister auprès du président de la Guinée pour la libération d'Alpha Condé. Nous avons appris il y a quelques jours que celui-ci était désormais libre. Dans cette affaire, les parlementaires étaient beaucoup plus libres que Charles Josselin pour émettre leur opinion.
M. Ivan LEVAÏ
Ainsi, la démocratie parlementaire réussit là où tout échoue. Je cède maintenant la parole à Béatrice Marre. Madame, avez-vous lu l'article du Monde indiquant que Matignon recherchait un conseiller en anti-mondialisation ? Est-ce une information exacte ?
· Intervention de Mme Béatrice MARRE, députée
Je n'ai pas les mêmes sources que le Monde et je ne peux donc pas confirmer cette information. Pour ma part, j'aimerais revenir sur l'intitulé de notre table ronde : « la régulation internationale : une nouvelle frontière pour les parlementaires ? » Si l'on parle de nouvelle frontière, c'est qu'il y a un territoire à explorer. Quel est ce territoire ? De même, s'il est défini, comment les parlementaires peuvent-ils y pénétrer et quelle peut y être leur efficacité ?
Pour ce qui est du territoire à conquérir, plusieurs intervenants ont souligné que la diplomatie traditionnelle était légitimement fondée sur des relations intergouvernementales et cantonnée à ce qu'on appelle les affaires internationales. De fait, la dimension économique n'y apparaissait pas. Mais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'évolution a fait qu'à côté des États, se sont constitués des entités d'une autre nature, économique. Au fil du temps, ces entités se sont concentrées.
Comment, dans ces conditions, faire coexister la diplomatie traditionnelle qui reposait sur des États souverains et les organisations internationales qui se fondaient sur l'intergouvernementalité ? On a vu la situation se dégrader, avec les crises successives du FMI, de la Banque Mondiale, et plus récemment à Seattle, du GATT. Ces événements nous ont fait prendre conscience du déficit démocratique qui a fait que la mondialisation a pris une certaine pente. Par exemple, des experts, sans responsabilité devant les peuples, ont conduit à des évolutions selon des règles économiques que l'on nous disait intangibles. Les parlements savent aujourd'hui qu'ils doivent réinvestir cet espace, le territoire économique et financier, dont on sait qu'il est interdépendant avec les autres territoires mais qu'il peut transformer notre petite planète en un désert, sans tenir compte des populations, des aspirations démocratiques ou de l'environnement.
Comment pénétrer dans ce territoire ? La réponse est simple : avec nos trois missions traditionnelles de parlementaires. La première mission d'un parlementaire est d'être un médiateur entre le peuple et les gouvernants. Il doit transmettre les aspirations des peuples aux gouvernants.
M. Ivan LEVAÏ
Cette mission n'est pas envisageable si le parlementaire est soumis au gouvernant ou, tout au moins, s'il en donne l'impression au peuple. Voulez-vous investir le même territoire que ATTAC, José Bové ou les militants anti-mondialisation ?
Mme Béatrice MARRE
Il n'est pas nécessaire d'être membre d'ATTAC pour porter un regard critique et constructif sur les phénomènes de mondialisation. Comme il a été dit tout à l'heure, les ONG ont un rôle à jouer mais elles ne peuvent pas prétendre à la même légitimité que les parlementaires qui ont été élus démocratiquement. Par ailleurs, lorsque je parle de médiation, je ne veux pas dire que le parlementaire doit mettre tout le monde d'accord mais, plus simplement, faire en sorte que l'information circule dans les deux sens. La deuxième mission du parlementaire est celle de légiférer ; cette mission nous confère une vision globale et cohérente des choses, que n'ont pas les organisations nationales ou internationales, spécialisées dans leur domaine. La troisième mission du législateur est le contrôle de l'exécutif, qui est variable selon le degré d'avancement démocratique des États. Je ne reviendrai pas, sur ce point, sur certains des exemples qui ont été donnés, comme la révision de l'ordonnance de 1959 ou le souhait des parlementaires d'en savoir plus sur la destination des fonds qu'ils sont amenés à voter.
Si un territoire existe et si les parlementaires ont les missions pour investir ce territoire, comment y parvenir ? Au plan national et communautaire, les rapports, les attributions de la diplomatie parlementaire, nous permettent de mieux connaître les questions. Cela est particulièrement important sur le plan communautaire car il me semble important de construire une Union européenne qui soit capable de peser sur la mondialisation actuelle, qui est très largement économique et libérale et dominée par un grand Etat. Il nous faut aussi mieux nous organiser dans nos propres parlements. Nous avons été plusieurs à l'Assemblée nationale et au Sénat à faire des rapports sur des aspects différents de la mondialisation et à dire qu'il manquait, au sein de nos instances, une structure dans laquelle on puisse se retrouver pour étudier les questions économiques, financières et commerciales internationales. Le président Fabius, puis le président Forni, ont entendu cette demande. Une instance devrait bientôt être créée et nous aurons alors un autre rôle que celui d'entériner, en séance publique, un accord international, sous peine de faire tomber le gouvernement.
Pour ce qui est du niveau international, certains disent qu'il est totalement utopique de rêver d'un parlement mondial. Ils ont raison si on l'imagine pour demain matin. Mais qui aurait dit, en 1947, que, à peine trente ans plus tard, il y aurait un parlement européen élu au suffrage universel ? Il y a des bases pour ce parlement mondial. Je pense par exemple aux nombreuses instances parlementaires qui voient le jour. Notez cependant que ces instances n'existent pas dans les milieux économiques et financiers. Il n'y a par exemple pas d'assemblée parlementaire des pays membres du FMI ou de la Banque Mondiale. Il y a eu une première tentative à Seattle pour créer une assemblée parlementaire des pays membres de l'OMC. Aujourd'hui, à la réflexion, il ne me semble pas que cela soit une bonne idée. En effet, les pays moins développés pourraient considérer cette structure comme un club de pays riches. En revanche, l'union interparlementaire, qui a l'avantage d'être la plus ancienne, puisqu'elle a été créée en 1889, et d'être la plus globale, puisque tous les pays qui comptent un parlement s'y retrouvent, peut se saisir de la question de la régulation mondiale, ce qu'elle est justement en train de faire. D'ailleurs, les 8 et 9 juin prochains, le premier colloque entre l'union interparlementaire et l'OMC aura lieu. J'avais été mandatée par l'Assemblée nationale pour préparer cette réunion.
L'Union interparlementaire a beaucoup été critiquée et parfois cela était assez justifié. Mais, pour peu qu'elle crée des commissions chacune chargée de suivre une institution internationale, elle fera émerger la notion du pouvoir parlementaire, au sens démocratique du terme. Ainsi, de même qu'il existe un embryon - au sens de structure partielle - d'instances décisionnelles avec le Conseil de Sécurité des Nations Unies, d'instances juridictionnelles avec la Cour internationale de Justice, la Cour pénale internationale, ou même l'organe de règlement des différends de l'OMC, il existe des embryons d'un parlement mondial. Cette utopie-là me plaît et c'est la raison pour laquelle je m'y investis beaucoup.
· Intervention de M. Jean-Claude LEFORT, député, président du groupe d'amitié France-Mexique
La régulation internationale comme nouvelle frontière pour les parlements ne constitue pas pour moi une interrogation, mais plutôt une réponse, une exigence. Sur ce sujet, notre pays, notre parlement, souffre d'une crise de modernité, qui entraîne en cascade une crise de légitimité accentuant le discrédit qui frappe trop souvent la politique.
Observons, dans un premier temps, la manière dont est régi le système actuel d'insertion du parlement dans cette régulation internationale. L'article 53 de la Constitution accorde au parlement le pouvoir de ratifier en bloc les traités, y compris commerciaux, ou de les rejeter en bloc. En 1958, date de la Constitution, l'Europe n'en était qu'à ses débuts et la mondialisation n'avait pas connu cet essor irréversible. Notre Constitution s'est amendée, s'agissant des questions européennes, en ajoutant un article 88-4, qui permet que notre parlement examine ou donne son avis sur les actes en provenance de Bruxelles qui ont des conséquences législatives. Mais il s'agit d'un avis, qui plus est a posteriori. D'ailleurs, vous avez constaté comme moi que le sommet de Nice, qui a accouché du traité de Nice mais également de divers autres documents, indique que l'une des quatre grandes questions mises en débat pour le prochain traité concerne la place des parlements nationaux dans la construction européenne.
S'agissant de la mondialisation, alors que le nombre d'organes s'en occupant de manière directe et parfois contestée a proliféré à travers la planète, notamment depuis 1995 avec la création de l'OMC, on observe que le parlement n'a aucun pouvoir d'interférence, pour peser pendant les négociations. Je ne prendrai qu'un exemple célèbre pour illustrer mon propos : l'accord multilatéral pour l'investissement (l'AMI) discuté au château de la Muette - qui porte si bien son nom ! -. Depuis 1995, dans le dos des parlementaires, des gens se réunissaient et discutaient d'un accord extrêmement important, qui consistait en vérité à accorder aux multinationales tous les droits et aux États tous les devoirs. Il a fallu que la société civile nous alerte sur l'existence de telles négociations pour qu'en 1998 et donc trois ans plus tard, l'Assemblée s'en saisisse et, notamment en France, fasse échouer ce projet.
Cet exemple montre que l'on assiste à un triple phénomène. Premièrement, la diplomatie classique, qui est très importante et possède ses propres règles, trouve, dans les conditions d'aujourd'hui, rapidement ses limites en ce qu'elle est submergée par une multiplicité de sujets, qui concernent aussi bien le Quai d'Orsay que Bercy. Deuxièmement, la technocratie, qui a aussi sa légitimité, remplit l'espace dégagé par l'exécutif. Troisièmement, du fait de l'absence des parlementaires, on observe que d'autres acteurs, qui mènent bien des combats positifs, remplacent tout l'espace laissé vacant par le politique et se retournent contre lui. Au final, le politique, qui est censé représenter l'intérêt général, est rongé par l'économique, la technocratie et des mouvements qui ont toujours leur utilité mais qui ne représentent pas l'intérêt général. C'est pourquoi je milite pour modifier cette situation. Il nous faut créer des lieux, à l'Assemblée nationale et au Sénat, où les parlementaires peuvent suivre ces questions et peser en amont des décisions. Vous savez sans doute que le mandat du commissaire européen aux négociations de Seattle résultait d'une discussion au Conseil entre les pays membres. La France a fait figure d'exception à ce niveau puisque deux débats à l'Assemblée nationale et un au Sénat ont eu lieu pour définir le mandat du commissaire. Mais c'est un cas exceptionnel. Il faut absolument, pour pallier cette crise de modernité qui affecte la légitimité du politique et qui atteint dans son fondement la politique elle-même à travers la société, redonner toute sa place au parlement dans les négociations qui concernent la vie des gens et des peuples.
· Intervention de Mme Danielle BIDARD-REYDET, sénateur
Intervenant en fin de colloque, je me contenterai de faire quelques observations et de donner quelques exemples.
Je crois qu'il faut vraiment insister sur la position des parlementaires, qui se trouvent à la croisée des chemins entre les institutions et la société civile et au carrefour entre le choix de leur gouvernement et leur espace de liberté, de créativité et d'autonomie. En France, mais ailleurs également, on évoque une crise politique et la difficulté des citoyens de percevoir les enjeux.
Longtemps - et je ne suis pas sûre que cette époque soit terminée -, les relations internationales ont été dominées par ce que j'appellerai le droit des plus forts. Les plus forts, plus ou moins intelligemment, procèdent par faits accomplis et élaborent, qui plus est dans un certain secret et sans la participation des citoyens, des propositions qui correspondent à leurs intérêts économiques, voire à leurs intérêts stratégiques. Il est impératif de réinvestir le secteur des grandes puissances, ce secteur économique et financier. Notre discussion d'aujourd'hui montre qu'il existe un champ intéressant et dans lequel nous pouvons intervenir.
M. Ivan LEVAÏ
Vous tenez compte, Madame, des deux faits nouveaux : le monde n'est plus bipolaire et la construction européenne a considérablement avancé.
Mme Danielle BIDARD-REYDET
Bien sûr. Je suis persuadée que les parlementaires ont un rôle différent à jouer dans ce nouvel ordre mondial, à construire sur une base inédite faite de valeurs démocratiques. Nous devons vraiment nous atteler à développer cette sphère, sinon les relations internationales continueront d'être régies par les intérêts économiques et la voix des peuples ne sera jamais entendue.
Tout à l'heure, nous avons parlé du Proche-Orient. Pour ma part, j'ai créé une association qui s'appelle « Pour Jérusalem ». Au Sénat, nous avons organisé beaucoup de réunions sur ce sujet, qui ont été perçues de manière positive par les personnes qui y assistaient. J'ai également conduit des délégations au Proche-Orient en tant que parlementaire mais également en tant que membre de l'association, et organisé des rencontres-débats dans les villes françaises qui le souhaitaient, avec une réelle volonté d'informer, de débattre et de trouver des solutions qui s'inscrivent dans une optique de recherche de la justice et ne soient pas imposées par le dominant ou le plus fort.
En conclusion, je dirai qu'il y a un travail en continu à fournir par les parlementaires, pour contribuer à construire des réponses qui ne sont certes pas évidentes mais en tous les cas indispensables. Pour répondre à la question posée par l'intitulé de la table ronde, je dirai que les nouvelles frontières dans les relations internationales et les missions des parlementaires, ce sont celles que les parlementaires se donneront eux-mêmes, d'une part en tenant compte de leur liberté d'action et, d'autre part, de la responsabilité qu'ils pensent absolument indispensable.
M. Ivan LEVAÏ
A propos de l'article du Monde évoquant la recherche par Matignon d'un conseiller anti-mondialisation, je préciserai que ce serait M. Schrameck qui aurait annoncé cela à M. Aguitton, représentant d'ATTAC et auteur d'un livre intitulé Le monde nous appartient. M. Legendre, le monde appartient-il aussi aux parlements ?
· Intervention de M. Jacques LEGENDRE, sénateur, secrétaire général parlementaire de l'APF
Évidemment, et j'aimerais introduire mes propos par plusieurs de mes convictions profondes à propos du travail du parlementaire. Le parlementaire doit, d'une part, être celui qui vit la proximité de ses électeurs et qui la traduit au parlement et dans la loi. Il doit, d'autre part, dans son travail, porter un certain regard sur le monde qui est en train de se modifier, avec des effets rapides sur la proximité. Il doit le dire à ses électeurs de manière à ce qu'il n'existe aucune ambiguïté. Ainsi, quand nous nous intéressons à ce qui se passe au-delà du canton, de la circonscription et du pays, nous faisons aussi notre travail.
Par ailleurs, je crois que la nouvelle frontière dont nous parlons est à la fois pour les parlements et pour les parlementaires. En conséquence, les parlements doivent de plus en plus s'organiser, envoyer des délégations qui constituent elles-mêmes des assemblées chargées de suivre ces nouvelles structures qui vont peser sur nos vies et qui se mettent en place. Je suis moi-même représentant du Sénat au Conseil de l'Europe et à l'Union de l'Europe occidentale et je peux témoigner que des discussions et des décisions importantes ont lieu en ce moment en matière de défense. L'existence ou non d'une défense européenne, c'est un point important pour chacun d'entre nous. Il y avait jusqu'ici une assemblée parlementaire à l'Union de l'Europe occidentale ; elle est peut-être en train de disparaître. On risque de voir ces questions de défense être essentiellement traitées par des spécialistes, des techniciens et des diplomates, parce qu'elles ne sont pas encore de la compétence du parlement européen et parce qu'il n'y aura plus d'assemblée parlementaire spécialisée pour les suivre. Il faut absolument s'en informer et éventuellement dénoncer cet état de fait.
Je suis également secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Il faut savoir que la francophonie s'est d'abord construite autour de nos chefs d'État et de gouvernement. C'est tellement vrai que, tous les deux ans, il y a un sommet des chefs d'État et de gouvernement de la francophonie ; cette année, il aura lieu en octobre à Beyrouth. Certains s'interrogent parfois sur les objectifs de ces sommets, notamment sur le volet de la démocratie. On voit d'ailleurs des ONG interpeller de plus en plus vigoureusement nos sommets de la francophonie. Je n'en suis pas choqué mais je me souviens d'une discussion récente avec M. Boutros-Ghali, le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui se demandait quelles ONG allaient être légitimement reconnues comme interlocutrices de la francophonie. S'il me semble normal que les ONG aient un rôle à jouer, je considère également que les parlementaires qui constituent l'assemblée parlementaire de la francophonie et qui sont élus par le suffrage universel sont des interlocuteurs légitimes.
Encore faut-il que ces parlements soient de « vrais » parlements. Il y a en effet des parlements nommés par le chef d'Etat, élus selon des méthodes qui ne laissent guère de place au hasard, et des parlements soumis très clairement à la loi du suffrage universel. Si l'on veut organiser une régulation qui soit celle de la démocratie internationale, il faut que les parlementaires qui auront à y participer, soit dans une assemblée spécialisée, soit chacun d'entre eux et au sein de leur parlement, en utilisant éventuellement les moyens de contrôle de chaque parlement, soient des parlementaires incontestables. Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie, nous excluons sans tapage tout parlement qui n'est pas né d'une procédure constitutionnelle, reconnue, validée, et acceptée. Nous avons par exemple été amenés à suspendre le parlement du Rwanda, malgré le drame qui a frappé ce pays, ainsi que, plus récemment, le parlement constitué par M. Sassou N'Guesso à Brazzaville, parce que ce parlement de transition résultait d'une nomination du chef de l'État. Évidemment, de telles décisions embarrassent parfois nos ambassadeurs. Nous avons également suspendu le parlement de Côte-d'Ivoire car toutes les parties prenantes dans ce pays n'avaient pas été autorisées à participer au scrutin. Ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre mais nous pensons que nous rendons ainsi un service supérieur au pays, en maintenant cette ligne ferme.
Cela étant dit et à condition que nous soyons nous-mêmes des interlocuteurs peu contestables, je crois qu'il est de notre devoir de mettre en place des assemblées parlementaires qui, soit dans un secteur géographique, soit sur un thème donné, suivent de près les choses dans nos parlements afin que nous puissions ainsi assurer le suivi des nouveaux centres de pouvoir ou de régulation du monde.
En conclusion, je reprendrai une formule de La Bruyère : « tout est dit et l'on vient trop tard ». Je viens trop tard et je m'excuse pour ma brièveté !
Mme Béatrice MARRE
Pour me faire bien comprendre, j'aimerais préciser que je ne m'interroge aucunement sur l'existence du territoire à conquérir par les parlementaires ! J'ai d'ailleurs eu la surprise d'enfoncer une des frontières de ce territoire puisque, avec ma collègue Nicole Bricq, en 1998, nous avons été les premières femmes à entrer à la commission des finances de l'Assemblée nationale. J'ai donc à la fois conscience de ce territoire et de la possibilité d'en ouvrir les frontières.
M. Ivan LEVAÏ
Je vous remercie d'avoir été aussi positifs, pratiques, concrets et un peu rebelles. Vous avez bien montré que les parlements, les représentations nationales, procèdent très directement du peuple et, d'une certaine façon, jouissent s'ils le veulent de la même liberté que lui. Merci M. Legendre d'avoir rappelé en conclusion que les parlementaires pouvaient prendre des décisions courageuses, par exemple exclure un certain nombre de parlements qui n'en étaient pas vraiment.
S. Exc. M. Nestor KOMBOT-NAGUEMON, ambassadeur de la République centrafricaine
Dans mon pays, j'ai été député, ministre d'État et ministre des affaires étrangères. J'ai été convié à cette discussion sur la diplomatie parlementaire à titre d'ambassadeur et j'en remercie les organisateurs. J'aimerais intervenir pour évoquer le point de vue des PMA : nous attendons beaucoup des parlementaires français car la France est la terre des droits de l'homme et de la démocratie. Le 14 mai dernier, il y avait un colloque à l'OCDE sur le thème de la nouvelle économie, de la démocratie et de la mondialisation. Il y a été dit que 144 défis mondiaux avaient été inventoriés, dont la maladie, le sida, la pauvreté. Que faire pour les relever ? Le parlement français a déjà donné de bons exemples, par exemple en condamnant l'esclavage et en le considérant comme un crime contre l'humanité. Vous devez reprendre ce flambeau et, en ce début de millénaire, trouver comment relever ces 144 défis et impliquer les Nations Unies. Vous seriez alors admirés dans le monde entier. Nous vous faisons confiance et espérons que vous saurez sensibiliser vos électeurs au thème de la coopération décentralisée, qui peut être un atout fondamental dans la lutte contre le sous-développement.
M. Ivan LEVAÏ
Merci, M. l'ambassadeur, d'avoir conclu ce colloque par ces mots et le rappel de ces 144 défis.