Table des matières


Mercredi 13 juin 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Traité de Nice et avenir de l'Union européenne - Audition de M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international, sur le Traité de Nice et l'avenir de l'Union européenne.

M. Laurent Cohen-Tanugi,
évoquant tout d'abord le récent rejet du Traité de Nice par le peuple irlandais, a fait valoir que cet épisode pouvait être l'occasion d'une approche alternative qui, en levant le préalable constitué par le Traité et sa ratification, au caractère largement formel, pourrait conduire à la poursuite d'une réforme institutionnelle, parallèlement aux négociations d'adhésion, le tout dans la perspective du rendez-vous de 2004.

M. Laurent Cohen-Tanugi a alors rappelé que les trois « reliquats » du Traité d'Amsterdam (la composition de la Commission, la pondération des voix au Conseil et l'extension du champ des décisions prises à la majorité qualifiée) avaient conduit la France, lors de sa ratification, à adopter une déclaration faisant de la réforme institutionnelle un préalable à l'élargissement, démarche que le Traité de Nice avait eu pour objectif de mettre en oeuvre.

La négociation de Nice, particulièrement laborieuse, marquée par l'affrontement des égoïsmes nationaux et par une tension sans précédent entre la France et l'Allemagne, a abouti à des résultats a minima, voire négatifs. Ces résultats sont moins imputables à la présidence française elle-même qu'aux conséquences d'une décennie de stagnation de la construction européenne depuis Maastricht. Plusieurs facteurs pouvaient expliquer cette évolution : le mouvement de « fuite en avant » vers l'élargissement, après le « non » danois, l'incapacité à réformer les institutions communautaires et leur affaiblissement croissant ; la détérioration de la relation franco-allemande, l'absence de vision d'avenir de l'Europe parmi la nouvelle génération de dirigeants européens, ainsi que d'avancées concrètes vers davantage d'intégration, exception faite de la création de l'Euro, décidée cependant antérieurement, et de la défense, réalisée, pour une large part, « hors traités ». Nice est, en quelque sorte, le produit de ces divers éléments avec, en « toile de fond », une absence de projet à quinze et de vision commune de l'Europe élargie.

Dans un second temps, M. Laurent Cohen-Tanugi a analysé le contenu du traité de Nice, qu'il a considéré comme un compromis entre États, réalisé au détriment des intérêts de l'Union.

Alors que l'objectif était d'éviter l'augmentation de l'effectif des commissaires et la mise en cause de son caractère collégial, le Traité de Nice a abouti au maintien d'un commissaire par Etat jusqu'à ce que l'Union compte 27 membres, le Conseil pouvant alors, à l'unanimité, décider de réduire ce nombre. La « nationalisation » de la Commission ainsi induite est contraire à l'esprit du Traité de Rome et conduit à un organisme pléthorique et hétérogène, plus faible et moins représentatif. En effet, si aujourd'hui les commissaires issus des États représentant 80 % de la population détiennent plus de la moitié des sièges, dans une Europe à 27, les commissaires issus des États représentant 74 % de la population n'occuperont plus que 20 % des sièges. Ce résultat est le produit de l'opposition des petits Etats qui ont refusé de perdre leur commissaire, mais aussi de l'ambivalence des grands Etats à l'égard d'un renforcement de la Commission. Cette évolution négative, a toutefois relevé M. Laurent Cohen-Tanugi, sera partiellement compensée par l'accroissement des pouvoirs du président et sa nomination à la majorité qualifiée.

Abordant la question de la pondération des voix au Conseil, M. Laurent Cohen-Tanugi a rappelé que l'écart maximum en voix pondérées passera de 2-10 actuellement à 3-29. Cependant, les règles régissant la prise de décision à la majorité qualifiée sont rendues plus complexes. Tout d'abord, son seuil a été élevé à 258 voix, soit 73,91 % au lieu d'un peu plus de 71,26 % aujourd'hui. Pour être adoptée, une décision devra en outre recueillir la majorité simple en nombre d'États lorsqu'il s'agira de se prononcer sur une proposition de la Commission, la majorité des deux tiers dans les autres cas. La décision devra également -si un Etat le demande- représenter au moins 62 % de la population de l'Union. M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que ce système, particulièrement complexe, instaurait un mode de décision multipliant les possibilités de blocage.

M. Laurent Cohen-Tanugi a alors indiqué que le champ d'application du vote à la majorité qualifiée avait été étendu à 29 nouveaux domaines, dont la libre circulation et la coopération judiciaire, mais que les exceptions restaient très importantes : la fiscalité, la politique sociale, la politique de cohésion et les fonds structurels, la politique d'asile et d'immigration, la santé et la politique culturelle.

M. Laurent Cohen-Tanugi a donc estimé que le traité de Nice n'avait pas véritablement levé le préalable institutionnel à l'élargissement souhaité, notamment par la France, après Amsterdam. Cet aspect l'emportait sur les avancées toutefois obtenues en matière d'assouplissement des coopérations renforcées, de rationalisation du fonctionnement de la Cour de justice, d'institutionnalisation de la politique européenne de sécurité et de défense, ou de dispositif d'alerte en cas d'atteinte aux droits fondamentaux. La nouvelle répartition des sièges au Parlement européen lui a semblé plutôt négative en permettant à l'Allemagne de conserver 99 députés quand les autres grands pays verront leur représentation réduite à 72 députés.

Abordant enfin l'avenir de l'Union européenne après Nice, M. Laurent Cohen-Tanugi a évoqué la déclaration relative à l'avenir de l'Union, annexée au Traité, qui ouvre un chantier institutionnel fondé sur une méthode d'élaboration renouvelée par rapport aux conférences intergouvernementales et qui portera sur quatre questions : la délimitation des compétences entre l'Union et les Etats membres, la simplification des traités, le statut de la charte des droits fondamentaux et le rôle des parlements nationaux. Deux débats essentiels sont en jeu dans ce processus : les finalités de l'Union et l'opportunité d'une Constitution, destinée à clarifier l'architecture institutionnelle de l'Europe élargie. Il reste, a regretté M. Laurent Cohen-Tanugi, qu'en seraient exclues les questions traitées à Nice et d'autres relatives à la « gouvernance » de l'Union : fonctionnement de la présidence, représentation internationale, PESC et mode de révision des traités. Il s'est également inquiété de ce que l'organisation d'un débat autonome dans chaque Etat compliquera l'expression de conclusions communes. La réflexion initiale pourrait être plus utilement confiée au niveau européen à un comité de personnalités reconnues, chargé de définir une ligne générale, soumise ensuite à débat dans l'ensemble de l'Union, et dont les conclusions serviraient de base à la phase diplomatique finale.

En conclusion, M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que les procédures organisées pour « l'après-Nice » n'étaient pas susceptibles de remédier aux insuffisances de ce Traité et qu'il serait extrêmement difficile de revenir, à court terme, sur les trois points essentiels qu'il avait réglés dans un climat d'affrontement entre Etats. Il a souhaité que, lors du vote sur l'autorisation de ratification au Sénat, soit intégrée une déclaration recommandant d'inclure les problèmes de gouvernance de l'Union européenne dans « l'Agenda 2004 ».

A la suite de l'exposé de M. Laurent Cohen-Tanugi, un débat s'est engagé entre les commissaires.

M. Guy Penne s'est interrogé sur les conséquences du refus irlandais de ratifier le Traité de Nice, et sur la forme que pourrait prendre la simplification des traités européens.

M. Laurent Cohen-Tanugi a indiqué que le rejet irlandais résultait en partie de l'absence de tout vrai débat public sur les enjeux de l'élargissement, absence commune d'ailleurs à toute l'Europe occidentale. Il a estimé que, de ce fait, d'autres pays pourraient avoir des réactions similaires. Contrairement au Traité de Maastricht lors du refus danois, le Traité de Nice serait difficilement modifiable avant un nouveau vote -constitutionnellement discutable- du peuple irlandais. La simplification des traités européens, a-t-il par ailleurs poursuivi, est aujourd'hui nécessaire en raison de leur « empilement successif », mais il a rappelé qu'un projet avait déjà été rédigé par l'Institut européen de Florence à la demande de la Commission. Il serait possible d'aboutir, dans ce domaine, à la rédaction d'un texte synthétique, en employant une méthode proche de celle retenue pour la rédaction de la charte des droits fondamentaux.

M. Robert Del Picchia ayant relevé que la question de la neutralité avait été importante lors du référendum irlandais, s'est interrogé sur l'évolution de la position de l'Allemagne sur sa contribution nette au budget européen et sur les risques d'un nouveau blocage des institutions. Il s'est en outre demandé si la méthode retenue pour rédiger la charte des droits fondamentaux pourrait s'appliquer à des thèmes plus sensibles, comme la rénovation de l'architecture institutionnelle de l'Union européenne.

M. Laurent Cohen-Tanugi a précisé que le Traité de Nice avait effectivement prévu le maintien de l'unanimité en matière de fonds structurels jusqu'à la négociation du prochain « paquet » financier et que, si les questions relatives à la gouvernance et aux finalités de l'Union pouvaient être incluses dans l'Agenda 2004 et traitées par une convention, ce ne serait évidemment pas le cas des thèmes budgétaires.

Répondant à Mme Monique Cerisier-Ben Guiga, quis'inquiétait du hiatus croissant entre l'opinion publique, en France comme en Irlande, et le projet européen, M. Laurent Cohen-Tanugi a indiqué que la désaffection portait moins sur le besoin d'Europe lui-même que sur la manière, jugée souvent incohérente et opaque, dont se construisait l'Europe. Il a estimé que la population européenne, pour adhérer à nouveau au projet européen, avait besoin d'une véritable clarification politique et institutionnelle.

M. Serge Vinçon a évoqué trois contradictions qui, selon lui, caractérisent la construction européenne aujourd'hui : le besoin d'un concept global opposé à des visions nationales, l'exigence, morale et politique, de l'élargissement, confrontée aux problèmes techniques ou économiques qu'il implique, enfin, l'intégration croissante des États dans un ensemble difficilement identifié, qui s'oppose à la résistance des peuples. Il s'est interrogé sur la possibilité de relancer l'adhésion des peuples par la rédaction d'une Constitution.

M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que la réserve de l'opinion à l'égard du projet européen était plus faible aujourd'hui que lors de la ratification du Traité de Maastricht. On constate plutôt actuellement une insatisfaction sur la façon dont l'Europe se construit et une inquiétude sur l'élargissement. Il a souligné que le problème de fond était, face à l'absence de projet commun, de concilier approfondissement et élargissement en déclinant le fédéralisme, dans le cadre politique européen, dans le respect de la spécificité européenne, à travers la notion de fédération d'Etats nations. Cette perspective pourrait par ailleurs favoriser une réelle relance du dialogue franco-allemand.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur la possibilité d'étendre la réflexion institutionnelle prévue par la déclaration relative à l'avenir de l'Union au-delà des quatre sujets qu'elle énumère. Il a souhaité obtenir des précisions juridiques sur la notion de « fédération d'Etats-nations », notamment au regard du modèle allemand. Il a enfin souligné le caractère indispensable d'une coopération forte et dense entre la France et l'Allemagne d'ici 2004, dans la mesure où, a-t-il rappelé, les avancées européennes ont toujours reposé sur une entente étroite entre ces deux nations.

M. Laurent Cohen-Tanugi a indiqué qu'une déclaration parlementaire française pourrait constater que le Traité de Nice ne fournit pas le préalable institutionnel attendu en vue de l'élargissement de l'Europe. Au demeurant, a-t-il précisé, le Traité de Nice ne devant pas s'appliquer avant 2005, il serait possible de conduire une réflexion institutionnelle en parallèle à la poursuite des négociations d'adhésion.

La notion de fédération d'Etats-nations a permis de clarifier les perspectives spécifiques de l'Europe par rapport à une tradition fédéraliste européenne qui renvoyait à des modèles institutionnels existants. La fédération d'Etats-nations vise, sans traduction institutionnelle trop précise, à prendre en compte dans le fédéralisme européen, le rôle historique des Etats et des nations et donc la réalité politique du continent.

MM. Robert Del Picchia, Guy Penne et Mme Monique Cerisier-Ben Guiga se sont interrogés sur les modalités d'un second vote en Irlande, alors même qu'en Autriche le parti de M. Jorg Haider pourrait être tenté de demander l'organisation d'un référendum pour la ratification du Traité.

M. Laurent Cohen-Tanugi a indiqué que si un Etat ne ratifiait pas le Traité, celui-ci ne pourrait pas entrer en vigueur et que, contrairement au Traité de Maastricht, il y avait peu matière à « opting out ». Cette situation pose d'ailleurs la question de l'évolution des modes de révision et de ratification des traités qui, aujourd'hui, s'effectuent, dans chacun des pays de l'Union, selon un calendrier et des procédures différentes, et exigent l'unanimité.

Traité de Nice et avenir de l'Union européenne - Audition de M. Jean-Louis Quermonne, professeur de droit

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Louis Quermonne, professeur de droit, sur le Traité de Nice et l'avenir de l'Union européenne.

M. Jean-Louis Quermonne a tout d'abord retracé les résultats, largement positifs selon lui, obtenus lors de la présidence française de l'Union durant le second semestre de l'année 2000. Cette présidence a eu le mérite de faire évoluer positivement des dossiers difficiles, comme ceux touchant à l'agenda social, au statut de la société anonyme européenne, à la création d'une agence européenne de sécurité alimentaire, aux conditions du trafic maritime, et au « rapatriement », au sein des compétences de l'Union, de la gestion des crises.

Pour M. Jean-Louis Quermonne, le Traité de Nice a permis de lever les obstacles institutionnels à l'élargissement de l'Union et il a d'ailleurs recueilli, à ce titre, un écho très positif parmi les pays candidats. Deux dispositions lui apparaissaient particulièrement intéressantes : la réforme des instances juridictionnelles et l'allégement du mécanisme des coopérations renforcées -réduction à huit du nombre minimal d'États pour leur déclenchement et suppression du droit de veto dans les domaines couverts par les premier et troisième piliers-. M. Jean-Louis Quermonne a cependant regretté que ces coopérations renforcées ne puissent porter sur les questions de défense et ne concernent donc qu'a minima le deuxième pilier (PESC).

Sur les trois « reliquats » du Traité d'Amsterdam, M. Jean-Louis Quermonne a fait part d'une appréciation beaucoup plus nuancée. Ces sujets avaient été, selon lui, traités dans un climat difficile de confrontation des intérêts nationaux.

Sur le format et la structure de la Commission, M. Jean-Louis Quermonne a regretté la réduction du caractère collégial qu'entraînera le report du plafonnement du nombre de ses membres au moment où l'Union comptera vingt-sept membres.

Concernant la repondération des voix, qui a permis un rééquilibrage positif, M. Jean-Louis Quermonne a estimé négative l'augmentation du seuil de la majorité qualifiée. Deux clauses avaient par ailleurs été rajoutées pour qu'une décision soit adoptée : la majorité en nombre d'États et la vérification -facultative- que le vote rassemble au moins 62 % de la population de l'Union.

M. Jean-Louis Quermonne a cependant relevé que des simulations statistiques récemment réalisées par des experts français avaient démontré que ces deux nouvelles clauses portant sur le nombre d'États et sur la clause démographique ne majoreraient pas les contraintes aujourd'hui en vigueur. Si ces mesures relèvent donc plus du symbole, elles n'en n'augmentent pas moins l'impression de complexité et de défaut de transparence.

L'extension du champ d'application de la majorité qualifiée, portant notamment sur la désignation du président de la Commission, constituait par ailleurs une innovation positive.

Évoquant ensuite la déclaration relative à l'avenir de l'Union, M. Jean-Louis Quermonne a fait valoir que celle-ci reconnaissait solennellement la levée des obstacles institutionnels, mais constatait également, implicitement, « le rendement décroissant » des Conférences intergouvernementales (CIG) successives. La raison en était sans doute, selon lui, que ces conférences continuaient à être organisées selon des procédures diplomatiques classiques, alors que la nécessité d'une association des parlements nationaux et du Parlement européen, en amont de ces négociations, s'imposait avec une force sans cesse accrue. Les modalités d'élaboration de la Charte des Droits fondamentaux, impliquant des parlementaires nationaux, constituaient, à cet égard, un précédent positif.

M. Jean-Louis Quermonne a souligné que la refonte envisagée des traités européens ne sera possible qu'avec la participation active des délégués des Parlements nationaux et du Parlement européen, qui constituaient l'expression de la légitimité démocratique. L'ordre du jour de la CIG de 2004 se prêterait, selon lui, particulièrement bien à cette participation, et le résultat négatif du récent référendum organisé en Irlande pour ratifier le Traité de Nice renforçait encore cette nécessité.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

Mme Monique Cerisier-Ben Guiga s'est interrogée sur les procédures à adopter pour rapprocher les opinions publiques européennes des objectifs poursuivis par l'Union, notamment en cas d'adoption d'une future Constitution.

M. Robert Del Picchia a souligné combien l'établissement d'une éventuelle Constitution pourrait mobiliser les opposants traditionnels à l'Union européenne, et s'est dit convaincu qu'une fédération entre les Etats membres de l'Union pourrait être établie par voie de traité ; encore fallait-il en trouver les acteurs et la matière. Il s'est alors interrogé sur la possibilité de coopérations renforcées dans le domaine institutionnel.

M. Michel Caldaguès a estimé qu'une éventuelle Constitution européenne posait, en effet, la question de sa légitimité, et a rappelé que les constitutions françaises ont, pour la plupart, été rédigées en réponse à une aspiration populaire.

Le Président Xavier de Villepin a souhaité recueillir le sentiment de M. Jean-Louis Quermonne sur les voies à suivre pour résoudre les antagonismes croissants, au sein de l'Union européenne, entre les grands et les petits pays, ainsi que sur l'opportunité de la création d'une seconde Chambre européenne, et sur le bilan de l'action du Haut-représentant de l'Union pour la politique étrangère et de sécurité commune.

En réponse, M. Jean-Louis Quermonne a apporté les précisions suivantes :

- la rigueur juridique exige l'association du terme de Constitution à celui d'Etat ; cependant, ce terme a une résonance symbolique pour les citoyens des États membres, dont l'Union ne saurait se priver ; il serait peut-être possible de surmonter cette contradiction en recourant à la notion de « pacte constitutionnel ». La notion de « fédération d'Etats-nations » permet d'ouvrir une voie spécifique entre la Confédération d'États -qui n'a plus de traduction aujourd'hui-, et l'Etat fédéral et de surmonter les divergences d'approche entre les conceptions française et allemande en la matière ;

- l'élaboration d'une Constitution nécessitera la tenue d'une Conférence intergouvernementale et la signature de tous les États membres. Le grand mérite de la déclaration relative à l'avenir de l'Union est d'ouvrir la possibilité d'un processus qui ne se limitera pas seulement à l'organisation d'une Conférence intergouvernementale. Celle-ci devra se réunir au terme d'un débat large et approfondi. La future présidence aura pour rôle de déterminer la meilleure méthode, l'idée d'une Convention semblant recueillir un consensus ;

- une des difficultés posées par la rédaction d'une future Constitution européenne tient à l'absence de socle historique ou de traditions sur lesquelles s'appuyer. Pour surmonter cette difficulté, il faudrait, soit qu'un mandat précis soit accordé sur ce point à la Commission, soit réunir un « Comité des sages » de haut niveau, qui aboutirait à la rédaction d'un avant-projet que la Convention pourrait ensuite s'approprier ;

- la décision française d'ouvrir un débat préalable avec la société civile sur l'avenir de l'Union européenne, sous l'égide des préfets, prend en compte la nécessité d'associer à cette évolution les opinions publiques. D'ores et déjà, les Conseils économiques et sociaux, tant européen que français, ont été consultés sur ce point ;

- la revendication des petits Etats d'avoir chacun un commissaire est paradoxale, car l'Union a jusqu'à présent recherché l'intérêt général de l'ensemble de ses membres ; peut-être cette revendication est-elle fondée sur la crainte de l'émergence durable d'un « directoire », à l'image du groupe de contact lors de la crise des Balkans ;

- la participation accrue des Parlements nationaux est liée à la recherche d'une plus grande légitimité européenne. Deux pistes seraient possibles, alternatives à la création d'une « seconde chambre » proprement dite : l'association, suggérée par M. Alain Lamassoure, de parlementaires nationaux aux délégations de leur pays lorsque le Conseil statue sur des dispositions législatives ; l'institutionnalisation de conventions sur des questions majeures ou sensibles ;

- le bilan de M. Javier Solana, Haut-Représentant pour la PESC, est très positif, comme le montre l'exemple de l'apaisement de la crise ouverte en Macédoine. Cependant, la question se pose d'une meilleure efficacité de son action s'il appartenait au collège des commissaires ;

- à la différence des raisons du refus danois en 1992, celles du récent refus irlandais sont difficiles à analyser, car fondées sur des motifs très divers, comme la crainte d'une perte de la neutralité traditionnelle de l'Irlande, ou celle de ne plus bénéficier des fonds structurels. Ce refus sera donc difficile à surmonter, surtout s'il induit des réactions en chaîne.

Traité de Nice et avenir de l'Union européenne - Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le Traité de Nice et l'avenir de l'Union européenne ainsi que sur l'actualité internationale.

M. Hubert Védrine
a d'abord estimé que le Traité de Nice permettait de clore la période d'incertitude que l'Europe connaissait depuis 1996 en adaptant les institutions à la perspective de l'élargissement. Le Traité, a-t-il estimé, constituait un compromis raisonnable compte tenu des contraintes propres à chaque pays ; il ouvrait la voie à un élargissement réussi et avait permis d'accélérer le débat sur l'avenir de l'Union européenne.

Le ministre des affaires étrangères a observé que le rejet du Traité par le peuple irlandais traduisait sans doute l'inquiétude de ce pays vis-à-vis de l'Europe de la défense et de l'harmonisation fiscale. Il manifestait également les craintes liées à une remise en cause éventuelle des aides procurées par les fonds structurels, ainsi que la réticence d'une partie au moins du corps électoral à l'égard de certaines des dispositions de la charte des droits fondamentaux. Les dirigeants irlandais disposaient toutefois du temps nécessaire pour reprendre l'initiative, dans la mesure où l'Union européenne avait prévu que les procédures de ratification, dans chacun des États membres, seraient conduites à leur terme à la fin de l'année 2002. Le ministre a ajouté que la situation irlandaise n'avait pas affecté la détermination des autres États membres à poursuivre le processus de ratification. En tout état de cause, la réouverture de discussions relatives aux dispositions du Traité étant exclue, certaines des préoccupations de l'opinion irlandaise pourraient être prises en compte, par exemple dans le cadre d'une déclaration des Quinze.

Les négociations d'adhésion, a souligné M. Hubert Védrine, se poursuivaient sérieusement, même s'il restait encore des difficultés à surmonter. Les préoccupations qu'avait manifestées l'Allemagne à propos de la libre circulation des personnes avaient pu faire l'objet d'un accord. Le débat sur l'avenir de l'Union européenne prenait de l'ampleur. L'année en cours permettait d'exprimer les positions respectives dans les différents États membres et il reviendrait au Conseil européen de Laeken, sous présidence belge, au mois de décembre prochain, de déterminer les conditions dans lesquelles ce débat se prolongerait. La France et l'Allemagne avaient engagé, pour leur part, depuis février, un effort systématique pour harmoniser leurs points de vue sur les questions européennes et internationales.

A la suite de l'exposé de M. Hubert Védrine, M. Robert Del Picchia a souhaité savoir si les contacts franco-allemands avaient d'ores et déjà permis d'aborder la réforme de la politique agricole commune (PAC) et la question de la contribution allemande au budget communautaire.

Le ministre des affaires étrangères a d'abord observé que les perspectives financières pour l'Union européenne avaient été fixées, dans le cadre de l'Agenda 2000, par le Conseil européen de Berlin, jusqu'en 2006. Il était prévu qu'un bilan d'évaluation puisse intervenir à mi-parcours sans toutefois remettre en cause l'accord conclu. Ce n'était donc pas encore une question d'actualité.

M. Christian de La Malène a remarqué que, depuis une décennie, les traités européens qui s'étaient succédé avaient régulièrement reporté la réforme des institutions à des échéances ultérieures. Le Traité de Nice n'avait pas dérogé à cette règle et ses dispositions n'étaient pas à la mesure des changements indispensables. Il s'est, pour sa part, déclaré incertain sur la position qu'il adopterait au moment de se prononcer sur le Traité.

M. Hubert Védrine a rappelé la validité de la méthode employée au début de la construction européenne, fondée sur des avancées progressives. La tentation de bouleverser l'architecture européenne, qui avait pu parfois se manifester, dans la période récente, a pu susciter des attentes excessives lors des négociations du Traité de Nice. Aujourd'hui, de nombreuses divergences demeuraient entre les États membres sur les objectifs de l'Union. La France, quant à elle, s'était efforcée de défendre, à Nice, une vision conforme à l'intérêt communautaire, par exemple dans le cadre des propositions formulées par notre pays sur la Commission. Le Traité apparaissait sans doute comme le résultat le plus avancé des concessions que chaque pays était prêt à faire, compte tenu de ses propres contraintes intérieures. La France s'était ainsi opposée à l'extension du vote à la majorité qualifiée aux accords commerciaux concernant notamment le secteur culturel. Il n'existait pas d'alternative à la négociation diplomatique pour parvenir à des compromis qui tiennent compte des exigences démocratiques de chaque Etat membre. Le Traité de Nice, a souligné par ailleurs le ministre, apportait des progrès significatifs, qu'il s'agisse de la désignation du président de la Commission à la majorité qualifiée, du rééquilibrage des voix au sein du Conseil, ou encore de l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées.

M. Charles-Henri de Cossé Brissac s'est demandé si le résultat négatif du référendum irlandais n'inspirerait pas une réaction comparable dans d'autres États membres. Le ministre a alors précisé que le gouvernement irlandais apparaissait déterminé à répondre à l'inquiétude manifestée au sein de son opinion publique. Il a rappelé par ailleurs la part très importante de l'abstention lors du référendum. Enfin, il a indiqué que les autres États membres estimaient que le résultat du référendum n'aurait pas de répercussion sur la poursuite du processus de ratification.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est inquiétée du décalage croissant entre les opinions publiques et le processus de construction européenne. Elle s'est demandé à cet égard s'il ne serait pas opportun de procéder à des consultations populaires plus fréquentes.

M. Hubert Védrine a d'abord observé que le résultat du référendum irlandais avait constitué une surprise, y compris pour les dirigeants irlandais, compte tenu de l'opinion favorable dont bénéficiait l'Europe auprès de la population de ce pays. Il a rappelé, en outre, que la procédure de ratification par voie parlementaire constituait également une démarche démocratique.

M. Philippe de Gaulle s'est demandé si le processus de construction européenne qui avait été conduit d'une manière réaliste, sur la base du noyau franco-allemand, ne tendait pas aujourd'hui à donner une part excessive à l'utopie. Le ministre des affaires étrangères a observé que la construction européenne, depuis son origine, avait conjugué un certain idéalisme avec la mise en oeuvre progressive de réalisations concrètes. Il a ajouté que l'Europe devrait aborder, dans les prochaines années, des échéances majeures : la réalisation de l'élargissement, la négociation sur les grands thèmes relatifs à l'avenir de l'Union, la réouverture des discussions sur les perspectives budgétaires.

M. Michel Caldaguès s'est interrogé sur le réalisme qui paraissait désormais marquer l'approche des États membres vis-à-vis de l'Union européenne. Le ministre a alors observé que le traité, dans le cadre de la déclaration sur l'avenir de l'Union européenne, fixait à la conférence intergouvernementale, qui devrait se réunir en 2004, des objectifs très ambitieux, s'agissant notamment de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres. Il a ajouté que, sur aucun point, la situation ne serait meilleure sans le Traité de Nice, qui compte des avancées réelles.

M. Paul Masson s'est demandé si la présidence française, lors de la négociation, n'avait pas été contrainte d'accepter un accord qui présentait de nombreuses insuffisances. M. Hubert Védrine a estimé que la présidence française ne pouvait pas prendre le risque de bloquer un accord accepté par tous et de menacer la réussite du processus d'élargissement. Par ailleurs, notre pays n'était pas en mesure d'imposer à ses partenaires un accord qui n'aurait pas tenu compte des exigences propres à chacun d'eux.

M. Guy Penne a estimé que le résultat du référendum irlandais paraissait prévisible. Il a regretté que le ministre des affaires étrangères ne se soit pas rendu dans ce pays afin d'expliquer les résultats du Conseil européen de Nice. Le ministre des affaires étrangères a indiqué au sénateur que les autorités françaises n'avaient pas souhaité interférer dans la campagne référendaire en Irlande.

Abordant ensuite la situation prévalant au Moyen-Orient, le ministre a estimé qu'une grande prudence restait de mise, et que les logiques internes à chacune des deux parties en présence agissaient contre la paix. Néanmoins, il a fait valoir que l'ensemble de la communauté internationale se liguait pour appuyer le fragile accord récemment obtenu par le directeur de la CIA et qui permettrait de mettre en oeuvre le processus prévu par la commission Mitchell.

Puis M. Hubert Védrine a évoqué les enjeux du déplacement en cours du président G. W. Bush en Europe. Il a estimé qu'en dépit de déclarations récentes, l'administration américaine restait mue par un comportement unilatéraliste la conduisant à récuser tout engagement international contraignant. Sur le projet de défense antimissiles, le ministre a estimé que le récent passage de la majorité du Sénat américain au profit des démocrates pourrait conduire à différer sensiblement les décisions en ce domaine. Le ministre n'a toutefois pas exclu qu'un accord puisse être trouvé entre les États-Unis et la Russie sur une modification concertée du traité ABM de 1973 (anti-balistic missiles), sur lequel repose l'actuel équilibre des forces.