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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Jeudi 3 juillet 2003

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Réforme des retraites - Examen du rapport d'information

La délégation a examiné le rapport d'information de M. Marcel-Pierre Cléach sur le projet de loi n° 378 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites.

Après avoir souligné la technicité du projet de loi et rappelé que, dans son principe, le texte est fondé sur l'impératif de sauvetage des régimes de retraite par répartition, M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a présenté les grandes lignes de son rapport. Mettant en évidence un certain nombre de constatations sur les inégalités de retraite entre hommes et femmes et les évolutions prévisibles à long terme, il a fait observer que la question de l'égalité entre hommes et femmes se posait en des termes extrêmement différents selon les catégories sociales et également selon les générations.

Evoquant tout d'abord la complexité du cadre juridique des retraites, qualifié d'« incompréhensible » par les spécialistes, il a cité le rapport annuel de l'Inspection générale des affaires sociales pour 2001, qui précise que la seule base documentaire de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) inclut 30.000 textes et 2.500 pages d'instructions et que le vocabulaire utilisé (validation, taux « plein », plafonds « revalorisés ») est ambigu à la fois pour les néophytes et les techniciens chevronnés, qui ont bien du mal à maîtriser la réglementation.

Se déclarant favorable à une amélioration de la lisibilité de ce cadre juridique, le rapporteur a indiqué qu'il avait voulu dresser, à travers la multitude des travaux consacrés à la question des retraites, un panorama des dispositifs en vigueur -en se référant à des documents utilisés comme base de travail par le Conseil d'orientation des retraites- qui permet, en particulier, de comparer les régimes de retraite « à un étage » du secteur public au régime général « à deux étages » (régime de base - régimes complémentaires) sous plusieurs aspects : le calcul de la pension, les avantages familiaux et le calcul des cotisations.

Il a ensuite évoqué les différences de modalités de réversion des pensions entre les différents régimes et rappelé que les réversions étaient un des aspects essentiels de l'approche des retraites sous l'angle de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes : elles concernent en effet quatre millions de veuves et de veufs (l'INSEE recense 3,3 millions de veuves -84 % du total- et 650.000 veufs, soit 16 %). La délégation, a-t-il rappelé, a auditionné les représentants de la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC) et le veuvage est un risque trop souvent méconnu et peu médiatisé.

Les principales différences de traitement entre hommes et femmes, a-t-il rappelé, se concentrent aujourd'hui dans le code des pensions qui s'applique aux retraites des fonctionnaires titulaires, les agents non-titulaires relevant du régime général et non pas du code des pensions.

Le rapporteur a noté que le régime complémentaire des artisans comportait également une différence de traitement entre les sexes, puisque l'allocation complémentaire de réversion est versée à partir de 55 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes.

Sur ce point, il a rappelé que, lors de son audition par la délégation, M. Robert Buguet, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA), avait indiqué que l'Assemblée générale des caisses de retraite des artisans avait soumis aux autorités de tutelle une proposition d'harmonisation.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a estimé que la complexité du droit alimentait les polémiques sur les inégalités de retraite. Il a rappelé que, dans son rapport de 1999 intitulé « L'avenir de nos retraites », M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, avait pu discerner globalement une accentuation des écarts entre les régimes de retraite, notant cependant que « l'extrême diversité réglementaire » ... « rend extrêmement délicat tout exercice de comparaison ».

Rappelant que le Conseil d'orientation des retraites souhaitait étudier les possibilités d'harmoniser, à terme, les dispositifs de réversion selon les régimes en réfléchissant à un dispositif cible, vers lequel pourrait converger l'ensemble des régimes, il a proposé de soutenir cette institution dans cette démarche, qui est susceptible de remettre en cause certains particularismes.

Le rapporteur a ensuite analysé l'incidence sur les retraites des différences d'espérance de vie entre les hommes et les femmes en se limitant à quelques constatations.

Tout d'abord, l'écart d'espérance de vie entre les sexes à la naissance est de 7,5 ans ; à 60 ans, l'écart est de 5,4 ans ; ensuite, et contrairement à l'idée reçue, l'écart moyen d'espérance de retraite se limite à 4,4 ans. Ces diverses statistiques l'ont amené à souligner que, contrairement à certains préjugés : d'une part, les femmes restent aujourd'hui en activité deux années de plus, en moyenne, que les hommes ; d'autre part, la durée de sept à huit ans d'écart d'espérance de vie à la naissance doit être réduite quasiment de moitié pour apprécier la réalité de l'écart d'espérance de retraite entre les hommes et les femmes.

S'agissant des inégalités dans le montant des pensions, il a cité quatre données de base. Tout d'abord, la pension de retraite moyenne des femmes représente environ la moitié de celle des hommes : plus précisément, pour les retraités de 60 ans et plus, la pension moyenne de droit direct (résultant de la carrière professionnelle) des femmes ne représente que 47 % de celle des hommes. En y ajoutant les droits dérivés (en particulier la pension de réversion dont bénéficient 34 % des femmes et 3 % des hommes), l'écart se réduit et la retraite moyenne des femmes s'établit à 57 % de celle des hommes. Autour de ces moyennes, la dispersion des retraites féminines est beaucoup plus forte que celle des hommes. Ensuite, les générations les plus anciennes, âgées de 85 ans et plus, sont les plus mal loties en matière de retraite avec les pensions inférieures à la moyenne. Par ailleurs, 60 % des retraites des femmes sont portées au minimum contributif.

Le rapporteur a rappelé que cette garantie de prestation avait été créée en 1983 dans l'esprit de garantir aux retraités un revenu proche du SMIC (au moins 95 %), mais que la revalorisation du SMIC faisant l'objet de « coups de pouce » alors que le minimum contributif n'est revalorisé que selon l'inflation, ce dernier ne représentait plus qu'environ 60 % du SMIC, prestations des régimes complémentaires comprises. C'est ce niveau de pension dont bénéficient près de trois millions de retraités aujourd'hui.

Il a cependant précisé que la perception d'une faible retraite n'était pas nécessairement synonyme de pauvreté : certaines personnes, en particulier d'anciens indépendants, perçoivent, en effet, des revenus du patrimoine et la faible pension de beaucoup de femmes qui n'ont pas ou peu travaillé est souvent compensée par la retraite de leur mari. Si bien qu'au total, seul un cinquième de ceux qui perçoivent une faible retraite remplissent les conditions d'éligibilité au minimum vieillesse.

Il a également analysé les inégalités de retraite selon les générations et les professions en apportant trois précisions :

- outre les écarts de salaires qui peuvent se chiffrer à 25 % en moyenne, les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes s'expliquent par des carrières, et donc des durées d'assurance, très différentes : 85 % des hommes ont pu faire valider une carrière complète, contre 39 % seulement des femmes ;

- globalement, ce sont les personnes de plus de 85 ans -et principalement des femmes- qui disposent des retraites les plus faibles ;

- les inégalités sont enfin marquées selon les statuts : les plus faibles retraites sont perçues par les anciens artisans (678 € en moyenne), les commerçants (483 €) et les exploitants agricoles (528 €), tandis que les anciens membres de professions libérales (2.085 €) et les anciens salariés (1.617 €) -à l'exception des salariés agricoles (666 €)- ont des retraites, en moyenne, nettement plus élevées.

Il a enfin évoqué les projections qui annoncent un rééquilibrage à long terme.

Sous l'effet de la participation croissante des femmes au marché du travail et de l'augmentation de leurs qualifications, l'écart de niveau de retraite entre hommes et femmes, qui a déjà commencé à se réduire, devrait diminuer fortement à l'horizon 2020 avec l'arrivée à la retraite des générations du « baby-boom ». A l'horizon 2020, selon les simulations, l'écart des pensions entre les sexes se réduirait notablement et la retraite moyenne des femmes s'établirait à 78 % de celle des hommes. En outre, les pensions féminines seraient de moins en moins souvent portées au minimum contributif.

Le rapporteur a ensuite analysé la contrainte juridique communautaire qui s'impose au législateur. Il a souligné que l'égalité entre femmes et hommes n'est pas conçue de la même manière dans le régime général et dans le régime applicable à la fonction publique.

C'est en fonction de cette contrainte que le projet de loi aligne le régime applicable aux hommes et aux femmes fonctionnaires, à l'exception du dispositif réservé aux mères de famille de trois enfants. En revanche, s'agissant du régime général, le texte maintient les avantages familiaux spécifiques aux femmes.

S'agissant de la réforme des retraites dans la fonction publique, il a fait deux remarques préalables :

- l'écart moyen de pension entre les sexes dans la fonction publique représente, d'après les chiffres publiés par la Cour des Comptes, 18 %. Cet écart diminue rapidement puisqu'il s'établit à 11 % pour les agents partis en retraite en 2001 ;

- les inégalités hommes/femmes sont moins marquées chez les fonctionnaires que dans le secteur privé (53 % tous régimes confondus contre 18 % dans la fonction publique). Ainsi, a-t-il indiqué, pour l'ensemble des femmes salariées du secteur privé, y compris celles qui ont eu des carrières courtes, qui ont interrompu leur activité professionnelle pour élever leurs enfants, et ont donc peu cotisé, l'écart moyen des pensions de droit direct entre hommes et femmes est de 63 %.

Le rapporteur a ensuite analysé en détail la divergence entre le droit en vigueur et la jurisprudence européenne et administrative.

Il a rappelé que le code des pensions civiles et militaires de retraite prévoyait deux principaux avantages accordés aux fonctionnaires ayant élevé des enfants avec, d'une part, une majoration de pension de 10 % pour les trois premiers enfants et de 5 % au-delà du troisième « accordée pour avoir élevé au moins trois enfants », et, d'autre part, une bonification d'ancienneté pour chacun des enfants. Ce code accorde, sans distinction des sexes, la majoration du montant de la pension à tous les fonctionnaires, mais réserve aux seules femmes fonctionnaires une bonification d'une annuité pour chacun de leurs enfants légitimes, de leurs enfants naturels dont la filiation est établie, ou de leurs enfants adoptifs.

Il a rappelé qu'un requérant, M. Griesmar, magistrat et père de trois enfants, avait contesté cette exclusion des hommes et obtenu gain de cause : la Cour de justice des Communautés européennes, saisie par le Conseil d'Etat de la question de la validité de cette disposition, a en effet indiqué que « le principe de l'égalité des rémunérations est méconnu par ce dispositif qui exclut du bénéfice de la bonification les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l'éducation de leurs enfants ». Dans sa décision du 29 juillet 2002, le Conseil d'Etat a suivi ce raisonnement et une analyse similaire a conduit à remettre en cause les inégalités de réversion entre les sexes (décision du Conseil d'Etat du 5 juin 2002, M. Gilles C.).

Puis, M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a précisé les modalités de mise en conformité au droit européen du régime de retraite de la fonction publique par le projet de loi.

S'agissant des majorations de durée d'assurance pour les parents, il a indiqué que dans le projet de loi initial :

- pour le passé, c'est-à-dire pour les enfants nés ou adoptés avant le 1er janvier 2004, et élevés pendant neuf ans avant leur vingt-et-unième anniversaire, la bonification était maintenue par l'article 31 du texte et étendue aux hommes sous la condition, identique pour les deux sexes, d'une interruption de leur activité professionnelle dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il a rappelé qu'il s'agissait là d'une « compensation » dont ont bénéficié, en 2001, 87 % des femmes fonctionnaires parties en retraite ;

- pour l'avenir, c'est-à-dire pour les enfants nés ou adoptés après le 1er janvier 2004, l'article 27 du projet de loi initial remplace la bonification d'un an par enfant par une validation, gratuite, de périodes d'interruption ou de réduction d'activité effectivement consacrée à l'éducation d'un enfant ou aux soins donnés à un enfant gravement malade ou atteint d'un handicap, pour une durée maximale de trois ans par enfant.

Il a ensuite analysé les mesures introduites par l'Assemblée nationale :

- d'une part, une modification de l'article 31 permettant d'accorder une bonification d'un an pour les femmes fonctionnaires ayant accouché au cours de leurs années d'études, à la double condition de réussite du concours dans les deux ans suivant le diplôme et que l'enfant soit né avant le 1er janvier 2004 ;

- et, d'autre part, une majoration de durée d'assurance de six mois, destinée à compenser les désavantages de carrière qu'induisent, pour les femmes fonctionnaires, les interruptions liées à l'accouchement.

Il a souligné l'intérêt de ces deux avancées.

Il a proposé, en outre, à la délégation de recommander d'accorder, sous forme de majoration de la durée d'assurance, une compensation spécifique pour les parents d'enfants handicapés, tout en rappelant que le projet de loi maintenait la possibilité de départ anticipé des femmes fonctionnaires ayant un enfant invalide.

Il a ensuite abordé la mise en conformité au droit européen des réversions dans la fonction publique avec l'alignement du régime de réversion applicable aux veufs et aux veuves de fonctionnaires.

Il a noté que la nouvelle rédaction du code des pensions civiles et militaires substituait, pour l'essentiel, la notion de « conjoint » à celle de « veuve » et qu'en revanche, le fond même du dispositif n'était pas modifié : ainsi le conjoint a droit à 50 %, sans plafonnement, de la pension du fonctionnaire décédé.

Il a proposé à la délégation d'approuver sans réserve l'adoption par l'Assemblée nationale, à l'article 32 du projet de loi, d'un amendement qui prévoit la non-application de la décote aux pensions de réversion lorsque le décès du fonctionnaire intervient avant la liquidation de sa pension.

Le rapporteur a également proposé à la délégation de reconnaître la nécessité d'approfondir la réflexion sur les incidences en matière de retraite et de réversion de la montée du concubinage et du PACS (73.000 contrats de ce type ont été conclus entre 1999 et 2002). Il a cependant estimé que l'alignement du régime de réversion constituait une avancée importante en termes d'égalité des chances et que la viabilité financière de ce progrès passe aujourd'hui par la limitation de son champ d'application aux couples mariés.

Il a fait observer que l'article 34 du projet de loi préservait la possibilité, pour certaines femmes fonctionnaires, de partir de façon anticipée sans condition d'âge, et avec la jouissance immédiate de leurs droits, dès lors qu'elles ont quinze ans de service et trois enfants vivants, ou un enfant vivant invalide au moins à 80 %.

Sans préjuger, au plan strictement juridique, de sa compatibilité avec le droit communautaire, il a estimé la sauvegarde de ce dispositif de compensation des charges de famille spécifiques aux mères de trois enfants ou un enfant invalide parfaitement justifiée au regard des nécessités de notre politique familiale.

Le rapporteur s'est néanmoins inquiété de ses nouvelles modalités financières, et en particulier de l'application de la décote qui pourrait occasionner une baisse sensible des pensions. Il a, au demeurant, rappelé que la décote s'appliquerait très progressivement d'ici 2019 et qu'en outre le Gouvernement avait annoncé une réflexion globale sur les avantages familiaux, dans une perspective d'équité entre les régimes, en vue d'apporter une solution équitable sur ce point précis.

Le rapporteur a ensuite évoqué le régime de réversion du régime général.

S'agissant de l'amélioration de la situation des conjoints survivants, il a rappelé que le droit en vigueur présentait une excessive complexité et comportait des conditions d'attribution restrictives.

Il a noté que l'article 22 du projet de loi visait à simplifier et améliorer l'ensemble de ce dispositif en supprimant les conditions d'âge, d'absence de remariage et de durée de mariage pour son attribution : le conjoint survivant devra seulement satisfaire à des conditions de ressources, qui seront les siennes s'il vit seul ou celles du couple si telle est sa situation. En outre, le projet supprime le régime de l'assurance veuvage qui devient obsolète du fait de cette réforme. La pension de réversion devient ainsi une allocation différentielle révisable qui supprime la question du cumul de la pension de réversion avec des avantages de vieillesse ou d'invalidité.

Le rapporteur a rappelé les deux améliorations introduites par l'Assemblée nationale :

- d'une part, l'augmentation du plafond de revenus et l'amélioration de l'accès à la réversion, en particulier lorsque le conjoint survivant vit en ménage ;

- et, d'autre part, la prise en compte, pour les veuves et les veufs ayant eu au moins trois enfants, de la majoration de pension dont ils étaient bénéficiaires, pour apprécier les possibilités de cumul des pensions.

Le rapporteur a fait observer que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale n'avait pas identifié un seul cas de figure où la situation créée par l'application du texte nouveau ne serait pas plus favorable au conjoint survivant.

Prenant acte de ce constat, le rapporteur a recommandé d'établir un bilan précis permettant de répondre aux inquiétudes qui peuvent se manifester chez les conjoints survivants et de remédier aux éventuelles situations particulières dans lesquelles la pension de réversion se révèlerait inférieure à l'assurance veuvage.

Puis, M. Marcel Pierre Cléach, rapporteur, a noté le maintien des compensations familiales en faveur des mères de famille relevant du régime général (majoration de la durée d'assurance retraite de deux ans par enfant). Les femmes ayant en moyenne deux enfants, a-t-il indiqué, ce sont quatre ans supplémentaires qui peuvent être ainsi validés au régime général. Cependant, cette validation ne donne droit à aucun avantage au titre des régimes complémentaires.

Puis, il a fait observer que l'Assemblée nationale avait adopté un certain nombre de mesures nouvelles avec une majoration de la durée d'assurance pour les mères ayant perdu un enfant en bas âge, ainsi que pour les parents d'enfants handicapés, et l'extension du champ de l'assurance vieillesse des parents au foyer pour les parents d'enfants handicapés.

Le rapporteur a proposé d'approuver l'ensemble du dispositif. Il a cependant fait observer que certaines professions comme les auxiliaires médicaux, et en particulier les infirmières libérales, ne bénéficiaient pas de bonifications pour enfants et préconisé la recherche de solutions de compromis sur ce point.

Après avoir rappelé la dégradation du minimum contributif, aujourd'hui inférieur au minimum vieillesse, il a commenté l'objectif d'assurer un montant minimal de retraite égal à 85 % du salaire minimum de croissance net de prélèvements sociaux pour une carrière complète. Il a précisé que l'article 4 du projet ne fixait qu'un « objectif » parce qu'une partie de la pension est constituée par la retraite complémentaire, qui relève de la compétence des partenaires sociaux.

Il a proposé de rappeler l'intérêt porté par la délégation à la situation des femmes qui travaillent à temps partiel de manière subie plutôt que volontaire, de souligner que, conformément aux indications du Gouvernement, les salariés qui n'auront pu valider 160 trimestres, se verront appliquer une proratisation de ce mécanisme de garantie et d'insister sur l'importance du maintien des bonifications d'ancienneté de deux années par enfant.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a ensuite détaillé les outils de rééquilibrage des retraites adaptés aux caractéristiques de l'emploi féminin.

Il a rappelé que la main-d'oeuvre féminine présentait deux caractéristiques spécifiques : les femmes sont aujourd'hui plus diplômées que les hommes et elles travaillent à temps partiel selon une proportion six fois supérieure à celle des hommes.

Il a tout d'abord évoqué les possibilités de rachat des années d'études dans le régime général prévues par l'article 20 du projet de loi, destiné aux assurés entrés tardivement sur le marché du travail, et apporté à ce sujet deux précisions :

- au cours de la discussion du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, il a été indiqué qu'une année de rachat de cotisation au régime général représentait de 7.000 à 15.000 € ;

- en outre, le Gouvernement a fait observer que si l'on ouvrait trop largement le droit à rachat, notamment à coût préférentiel ou sur des périodes trop longues, les ouvriers paieraient inévitablement pour les cadres. Il a cependant indiqué, au titre des incitations fiscales, que les sommes consacrées au rachat d'annuités seraient déductibles de l'impôt sur le revenu et qu'un décret préciserait les modalités d'étalement dans le temps de ce rachat.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a proposé à la délégation d'approuver l'extension des dispositions de l'article 20 aux commerçants, aux industriels et aux artisans, votée par l'Assemblée nationale, qui tient compte de la réalité économique et sociale de l'exercice des professions artisanales et commerciales.

Il a indiqué que l'article 28 du projet de loi ouvrait aux fonctionnaires la possibilité de racheter, dans la limite de trois ans, les années d'études accomplies dans les établissements d'enseignement supérieur, les écoles techniques supérieures et les grandes écoles et classes du second degré préparatoires à ces grandes écoles.

Il a noté que la rédaction du projet initial pénalisait les fonctionnaires surdiplômés recrutés en catégorie C ainsi que les fonctionnaires poursuivant des études après leur recrutement et que, pour tenir compte de ces objections, l'Assemblée nationale avait adopté un amendement du Gouvernement qui supprime le lien entre les années rachetées et le concours d'entrée, et porté à quatre ans le délai séparant l'obtention du diplôme de l'affiliation au régime.

Il a proposé à la délégation d'approuver ce très net élargissement des conditions juridiques d'accès au dispositif de rachat des années d'études.

S'agissant du coût relativement élevé de ce rachat, le rapporteur a noté que la prise en compte intégrale du principe de « vérité des prix » et d'équilibre financier des régimes de retraite (que traduit la notion de neutralité actuarielle) aurait abouti à des montants prohibitifs et que les modalités retenues s'accompagnent de possibilités d'étalement du paiement dans le temps et de déductibilité fiscale de l'assiette de l'impôt sur le revenu dans des conditions prévues à l'article 81 du projet de loi.

Rappelant que les emplois à temps partiel représentent 30 % des emplois féminins, contre 5 % seulement des emplois masculins, il a ensuite présenté les dispositions du projet de loi permettant aux salariés travaillant à temps partiel ainsi qu'aux fonctionnaires de compléter leurs droits à pension.

L'article 23 permettra, dès le 1er janvier 2004, à des salariés déjà employés ou embauchés à temps partiel de pouvoir compléter leurs droits à pension de retraite et la prise en charge par l'employeur de la part salariale complémentaire sera possible dans tous les cas de figure.

Le rapporteur a indiqué qu'une faculté analogue était ouverte aux fonctionnaires à l'article 30 du projet : ceux qui travaillent à temps partiel pourront demander à verser une retenue pour pension majorée correspondant à un service à temps plein, cette surcotisation pouvant permettre d'augmenter la durée des services pris en compte d'au plus quatre trimestres au total.

Il a rappelé qu'à côté de cette possibilité de « surcotisation » qui relève du choix volontaire du fonctionnaire de travailler à temps partiel, l'article 27 du projet de loi prévoyait la validation gratuite du temps partiel pour motif familial.

Avant de soumettre à la délégation un certain nombre de recommandations, le rapporteur a récapitulé les principaux atouts du projet de loi portant réforme des retraites au regard de l'égalité des chances entre femmes et hommes.

Ce texte maintient, en premier lieu, un certain nombre d'avantages :

- la majoration de la pension de 10 % pour tout assuré ayant élevé trois enfants ;

- la bonification de deux ans par enfant, dans le régime général, pour les mères ayant élevé un enfant ;

- pour les enfants nés avant 2004, la bonification d'un an par enfant dans la fonction publique, étendue aux hommes sous réserve d'avoir réellement interrompu leur carrière ;

- le départ anticipé à la retraite dans la fonction publique après 15 ans pour les mères de trois enfants ou d'un enfant invalide.

Il a ensuite cité les améliorations apportées par le projet de loi :

1. la suppression des conditions de mariage depuis deux ans et de non-remariage pour les veuves et les veufs du régime général pour pouvoir toucher la réversion ;

2. la suppression des conditions d'âge pour les mêmes conjoints survivants ;

3. la suppression des conditions d'âge et des conditions de ressources pour les veufs de femmes fonctionnaires ;

4. une garantie de pension égale à 85 % du SMIC pour les retraites du régime de base : cette disposition touche particulièrement les femmes employées dans certaines industries de production ou certains services ;

5. une meilleure prise en compte du temps partiel, mesure très importante pour les femmes ;

6. le report à 65 ans de la possibilité de mise à la retraite d'office à l'initiative de l'employeur ;

7. pour les pensionnés relevant de plusieurs régimes, les meilleures années seront prises en compte au prorata de la durée d'assurance dans chaque régime : cette mesure mettra fin à une inégalité de traitement devenue aujourd'hui insupportable ;

8. un véritable régime complémentaire obligatoire est créé par le projet de loi pour les commerçants ;

9. le régime de base des professions libérales fait l'objet d'une réforme importante dans le sens d'une plus grande équité ;

10. le projet de loi prévoit une retraite par référence à la durée applicable dans les autres régimes (40 ans en 2008) ainsi qu'un versement mensuel des pensions de base des non-salariés agricoles ;

11. une ouverture du droit à la retraite à partir de 56 ans aux salariés et non salariés ayant commencé à travailler avant 17 ans sous la double condition de durée d'assurance et de pénibilité ;

12. plus de souplesse et de choix pour les futurs retraités ;

13. la possibilité de racheter jusqu'à douze trimestres correspondant à des années d'études ;

14. une meilleure information des cotisants (GIP), ce qui est particulièrement utile pour les femmes devenues seules après divorce ou décès ;

15. la création d'un dispositif individuel d'épargne retraite.

Le rapporteur a enfin sélectionné quelques mesures parmi les avancées votées par l'Assemblée nationale :

1. l'élévation du plafond de ressources lorsque la personne bénéficiaire de la réversion vit en ménage ;

2. une majoration de la durée d'assurance d'un trimestre, pour toute année durant laquelle les femmes assurées sociales ont élevé un enfant dans la limite de huit trimestres par enfant même si celui-ci décède avant l'âge de 9 ans ;

3. une majoration de la durée d'assurance d'un trimestre par période de 30 mois dans la limite de huit trimestres par enfant handicapé élevé, dans le régime général ;

4. l'affiliation d'office à l'AVPF (Assurance vieillesse des parents au foyer) des personnes ayant à charge, outre un enfant handicapé, toute personne handicapée, dès lors que celle-ci est son conjoint, ascendant, descendant ou collatéral, ou l'ascendant, descendant ou collatéral d'un des membres du couple ;

5. l'élargissement des possibilités de rachat d'années d'études par la suppression de la condition de délai entre l'obtention du diplôme et la réussite au concours ;

6. une bonification d'un an pour les femmes fonctionnaires ayant accouché au cours de leurs années d'études, avant leur recrutement dans la fonction publique, à la double condition de réussite du concours dans les deux ans suivant le diplôme et que l'enfant soit né avant le 1er janvier 2004 ;

7. une majoration de six mois de la durée d'assurance pour les femmes fonctionnaires ayant accouché d'un enfant après le 1er janvier 2004 et après leur recrutement ; la majoration s'articule avec le dispositif de validation de l'article 27 ;

8. la non-application de la décote aux pensions de réversion lorsque le décès du fonctionnaire intervient avant la liquidation de sa pension ;

9. le droit à liquidation immédiate de la pension pour les militaires ayant accompli quinze ans de services, dont le conjoint est atteint d'une infirmité ou d'une maladie incurable l'empêchant de travailler ; les femmes, officiers ou assimilés, mères de trois enfants ou d'un enfant invalide à plus de 80 % ;

10. l'amélioration des pensions de réversion des ayants cause de fonctionnaires décédés dans des circonstances particulières (attentats, décès en opération à l'étranger, ...) ;

11. l'adaptation des dispositions relatives au temps partiel à certains corps soumis à des obligations spécifiques, comme les enseignants ;

12. la revalorisation des petites retraites agricoles pour certains conjoints collaborateurs, afin qu'ils ne soient pas pénalisés par l'élévation à 40 annuités de la durée d'assurance requise ;

13. l'instauration de pensions de réversion pour les conjoints collaborateurs d'exploitants agricoles dans le cadre du régime complémentaire obligatoire.

Après avoir ainsi cité 32 avancées introduites par le projet de loi transmis au Sénat, le rapporteur a soumis à l'approbation de la délégation plusieurs recommandations tendant à :

- approuver, tout d'abord, dans son principe, le projet de loi, fondé sur l'impératif de sauvetage des régimes par répartition ainsi que la progressivité de sa mise en oeuvre ;

- constater que, dans ses modalités juridiques, le projet de loi transmis au Sénat améliore l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ;

- soutenir, dans le régime général, le maintien des compensations familiales en faveur des mères de famille et rechercher des solutions de compromis pour la mise en place d'un dispositif de bonifications en faveur de certaines catégories d'assuré(e)s, comme les auxiliaires médicaux qui, relevant de régimes non alignés sur le régime général, n'en bénéficient pas ;

- souligner que le maintien de certains avantages réservés aux femmes dans la fonction publique est, dans une certaine mesure, compatible avec le droit communautaire et approuver, à ce titre, le maintien, décidé par l'Assemblée nationale, d'un mécanisme de compensation familiale sous la forme de six mois de majoration de la durée d'assurance qui bénéficiera aux mères ;

- approuver la mise en place d'une validation gratuite des périodes d'interruption ou de réduction d'activité liées à l'éducation d'un enfant, dans la limite de trois ans par enfant ;

- recommander, en outre, dans la fonction publique, d'accorder aux parents d'enfants handicapés une majoration de durée d'assurance ;

- rappeler que la pension moyenne des femmes représente la moitié de celle des hommes et que 60 % des retraites des femmes sont portées au minimum contributif  et insister, au titre du rééquilibrage des inégalités entre les sexes, sur l'importance de l'élévation du minimum contributif à un niveau de 85% du salaire minimum de croissance ;

- accorder une priorité aux mesures en faveur des générations et des catégories de retraités les plus défavorisées qui sont notamment les anciens artisans, commerçants et exploitants agricoles ;

- favoriser la constitution de droits propres pour les conjoints des professions artisanales, commerciales et libérales en rendant plus lisible et surtout plus attractif le statut qui leur est proposé ;

- souligner la nécessité de veiller tout particulièrement au maintien des revenus des générations de femmes les plus âgées qui sont confrontées, après de longues années exclusivement consacrées à leur famille, à une insuffisance de ressources personnelles et ont besoin d'être défendues ;

- maintenir les améliorations, introduites en première lecture par l'Assemblée nationale, en faveur des réversions du régime général ;

- confier au Conseil d'orientation des retraites le soin d'élaborer des propositions tendant à une réduction des différences des modalités de réversion entre les régimes ; dans le prolongement de ces travaux, réfléchir à une harmonisation à long terme des différents régimes de retraite pour réduire les inégalités existantes ;

- veiller à la déductibilité fiscale des sommes consacrées au rachat des années d'études pour les diplômés de l'enseignement supérieur, y compris les Français de l'étranger, et permettre un large étalement dans le temps de ce rachat ;

- approuver l'amélioration de la prise en compte du temps partiel pour les droits à la retraite, qui concerne potentiellement 30 % des emplois féminins ;

- souligner l'importance d'une information précoce et individualisée sur les retraites et les modalités de réversion : il s'agit de contrebalancer la complexité croissante des calculs de pensions, accrue par la mobilité des carrières et la prise en compte des périodes de travail à temps partiel qui caractérisent principalement le parcours professionnel des femmes ;

- réfléchir aux conséquences, en matière de retraite, de l'accroissement du nombre de divorces et de familles recomposées notamment pour améliorer les ressources des parents isolés ;

- favoriser une mobilisation du monde du travail pour faciliter la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

Un débat s'est ensuite instauré.

S'agissant des bonifications accordées aux fonctionnaires pour les enfants nés avant 2004, M. Claude Domeizel a certes reconnu le progrès partiel que constitue l'extension aux hommes du dispositif mais a souligné l'importante régression que représente le texte pour les femmes qui n'interrompent pas leur carrière.

Mme Odette Terrade a estimé que le projet de réforme comportait de multiples progrès de façade qui se traduisent en réalité par des reculs, étant donné leurs conditions de mise en oeuvre.

M. Claude Domeizel, s'agissant du dispositif de rachat des années d'études a indiqué que ses modalités ne favoriseraient pas les femmes, en raison du délai requis entre la fin des études et l'affiliation à un régime de retraite et des difficultés plus grandes qu'elles éprouvent pour trouver un emploi. Il a vivement contesté le terme « d'avancées » pour qualifier les dispositions du projet de loi analysées par le rapporteur et fait observer que la plupart des femmes qu'il rencontrait subiraient une diminution de leur pension du fait de la pénalisation des carrières courtes.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a souligné que, fondée sur l'allongement de la durée de cotisation, la réforme des retraites était défavorable aux femmes, qui ont des carrières courtes. Elle a cité le cas de femmes de Français partant à l'étranger qui, soit doivent interrompre leur vie professionnelle, soit y exercent une activité n'ouvrant pas droit à l'assurance vieillesse, alors même qu'elles oeuvrent pour la francophonie : celles-ci subiront de plein fouet la décote.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé que les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, à l'origine des inégalités de retraite, se réduisent et que l'on constate un allongement progressif des carrières des femmes.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a indiqué que, selon un large consensus, la réforme des retraites s'imposait pour des raisons démographiques et financières.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a regretté que le groupe socialiste s'oppose en bloc à l'ensemble des recommandations présentées par le rapporteur.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a rappelé que la délégation de l'Assemblée nationale avait recommandé le maintien d'une année de bonification pour les enfants de fonctionnaires nés après 2004 pour que les femmes continuent à en bénéficier.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, a souligné que l'Assemblée nationale avait réintroduit une majoration de durée d'assurance de six mois, qui vient en sus de la validation gratuite des périodes d'interruption de carrière pour élever un enfant.

M. Claude Domeizel a contesté en bloc l'ensemble des recommandations présentées par le rapporteur en estimant qu'elles se limitaient à des « voeux pieux ».

Mme Danièle Pourtaud a également manifesté son opposition au principe et aux modalités de la réforme des retraites.

Mme Odette Terrade, sans méconnaître l'intérêt d'un petit nombre de mesures spécifiques, comme la mensualisation des retraites agricoles, a déploré l'allongement de la durée de cotisation sur lequel repose le projet de loi.

Mme Brigitte Bout, en accord avec les recommandations du rapporteur, a rappelé la nécessité d'une généralisation du statut des conjoints collaborateurs.

Soumis au vote, et ayant recueilli 7 voix pour et 7 voix contre -celles des représentants des groupes socialiste et communiste républicain et citoyen-, le rapport d'information et les recommandations du rapporteur n'ont pas été adoptés.