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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 10 juillet 2002

- Présidence de M. Jean-Guy Branger, secrétaire.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Audition de Mme Christine Fournier, ingénieur de recherche au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), rapporteur du groupe de travail sur la formation continue des hommes et des femmes salariés, constitué à la demande du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle



La délégation, poursuivant son programme d'auditions sur l'égalité salariale, a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Christine Fournier, ingénieur de recherche au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), rapporteur du groupe de travail sur la formation continue des hommes et des femmes salariés, constitué à la demande du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle.

Mme Christine Fournier a centré son exposé sur la formation professionnelle au regard de la problématique de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Elle a tout d'abord indiqué que, d'après les données de l'enquête « Formation continue 2000 », le taux d'accès à la formation continue des femmes salariées était semblable à celui des hommes, et même très légèrement supérieur : 36 % contre 35,6 % (alors qu'il enregistrait un retard de trois points au début des années quatre-vingt-dix). Cette similitude masque cependant des disparités qui tiennent à une bipolarisation plus marquée de l'emploi féminin. On observe, a-t-elle expliqué, dans la formation continue des salariés, un clivage entre, d'une part, les employés et les ouvriers, et, d'autre part, les cadres et les salariés exerçant une profession intermédiaire. Dans ces deux dernières catégories, le taux d'accès à la formation dépasse 50 % et il est supérieur chez les femmes, car elles travaillent plus souvent dans le secteur public, nettement plus généreux en formation, puisque 45 % des salariés y accèdent, contre 31 % dans le privé. En revanche, parmi les employés et les ouvriers, le taux d'accès à la formation continue, globalement inférieur à 30 %, est plus bas chez les femmes que chez les hommes. Mme Christine Fournier a conclu sur ce point en indiquant que l'avancée massive des femmes parmi les cadres et les professions intermédiaires bien servies en formation continue ne devait pas faire oublier la moindre accessibilité de la formation pour les femmes occupant des emplois moins qualifiés.

Mme Christine Fournier a ensuite évoqué l'accès à la formation dans le cadre du temps partiel. Elle a indiqué que le taux d'accès à la formation continue des salariés à temps partiel (28 %) était globalement inférieur à celui des salariés à temps complet (38 %). Toutefois, cet écart varie, là encore, sensiblement selon les catégories socioprofessionnelles. Pour les cadres ou les salariés exerçant une profession intermédiaire, le temps partiel n'implique pas un moindre accès à la formation continue. Mme Christine Fournier a précisé que dans ces catégories socioprofessionnelles, les femmes travaillant à temps partiel ont un taux d'accès à la formation sensiblement supérieur à celui des très rares hommes également à temps partiel ; ces derniers exercent pour la plupart une profession dans les domaines de l'information, des arts ou du spectacle, domaines notoirement moins généreux en formation. En revanche, a-t-elle indiqué, pour les employés et les ouvriers, le travail à temps partiel s'accompagne d'un accès moins fréquent à la formation continue. Variable selon l'activité exercée, l'écart peut aller jusqu'à dix points. Mme Christine Fournier, notant que le temps partiel reste une affaire de femmes (5 % des hommes salariés exercent leur emploi à temps partiel, contre 31 % des femmes salariées), a indiqué que ce sont donc très majoritairement les femmes qui pâtissent du désavantageux cocktail « faible qualification, temps partiel, faible accès à la formation ».

Abordant, en deuxième axe de son exposé, l'impact des contraintes familiales sur la formation continue, Mme Christine Fournier a montré que de telles contraintes accentuaient les disparités entre hommes et femmes. La réduction du temps de travail, a-t-elle dit, pouvait laisser envisager de nouvelles organisations des temps, avec un élargissement des possibilités de formation, mais, pour la plupart des femmes, le « temps libre » recouvre largement un temps contraint par l'entretien du ménage et 80 % des tâches domestiques demeurent assumées par elles, en dépit des discours sur l'investissement familial des « nouveaux pères ». Elle a précisé que lorsque des enfants en bas âge étaient présents au sein du foyer familial, les femmes se formaient moins que les hommes, quelle que soit la catégorie professionnelle ; l'écart est de neuf points avec deux enfants de moins de six ans et il se creuse pour les emplois peu qualifiés. Mme Christine Fournier a noté, pour les femmes qualifiées de plus de quarante ans, un effet de rattrapage du temps de formation non accompli antérieurement, mais l'essentiel de la carrière se joue entre vingt-cinq et quarante ans. Aucun rattrapage n'apparaît pour les femmes moins qualifiées, notamment parce que les contraintes économiques limitent les possibilités de formation, laquelle a des répercussions en termes d'organisation de la vie professionnelle et personnelle. Mme Christine Fournier a donc vu dans le niveau de qualification un élément majeur d'accès à la formation continue.

S'agissant des effets de la formation continue sur les carrières, troisième point de son exposé, Mme Christine Fournier a indiqué qu'ils n'étaient pas toujours faciles à évaluer, mais qu'ils paraissaient, en tout état de cause, ténus en matière salariale car, dans la plupart des cas, la formation accompagne et suit la promotion professionnelle, elle ne la précède pas. En outre, 80 % des formations ont un but d'adaptation à l'emploi et n'entraînent aucun gain salarial. Elle a indiqué que les hommes étaient plus nombreux (6 %) que les femmes (4,5 %) à obtenir une augmentation de salaire à l'issue de leur formation.

Envisageant enfin les pistes de progrès, Mme Christine Fournier a indiqué que quatre pistes avaient été évoquées par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle : remédier au défaut d'information des salariés sur la diversification de la formation professionnelle continue, réserver 10 % du temps de formation au travail personnel pour favoriser l'appropriation des contenus, prendre en charge, sous conditions de ressources, les frais de transport et de garde d'enfants, développer de nouvelles modalités de formation permettant de rapprocher les lieux de travail et de formation.

M. Jean-Guy Branger, président, après avoir relevé les écarts significatifs qui venaient d'être exposés entre salariées qualifiées et non qualifiées, a insisté sur la nécessité d'avoir une politique effective de structures d'accueil et d'aides financières pour permettre aux femmes les plus défavorisées d'avoir davantage accès à la formation.

Mme Gisèle Printz s'est demandé si l'absence d'augmentations de salaires consécutives à la formation continue ne remettait pas en cause une partie de l'intérêt de cette dernière et a évoqué les possibilités offertes par la validation des acquis professionnels.

Mme Christine Fournier a estimé que plus on aiderait les femmes en termes de garde d'enfants, laquelle leur incombe largement, plus elles auraient de facilité à accéder à la formation. Elle a noté que les femmes, dont le temps est compté, avaient plus besoin que les hommes d'apercevoir clairement le but de la formation. Elle a décrit une expérience de formation continue incluant le remboursement des frais de transport et de garde d'enfants qui avait été très concluante pour des opératrices des Biscuiteries Belin dans les années quatre-vingt-dix.

Elle a indiqué que les formations longues étaient contraignantes pour les femmes, les plus défavorisées d'entre elles devant y renoncer -Mme Gisèle Printz relevant l'intérêt des formations sur le temps et le lieu de travail- et précisé que les femmes travaillant à temps partiel utilisaient leur temps libre pour se former.

M. Jean-Guy Branger, président, évoquant le concept de salaire féminin « d'appoint », a déploré le manque de motivation et d'ambition sur lequel il débouchait en appelant de ses voeux un changement de discours ; Mme Gisèle Printz a souligné qu'on ne tenait pas le même discours lorsque la femme est chef de famille.

M. Claude Domeizel, sur la base de son expérience d'employeur et de formateur, a constaté de la part des femmes une plus grande motivation pour se former, qu'il s'agisse de formations d'adaptation ou diplômantes. L'explication, a-t-il souligné, vient peut-être du fait que la formation implique une remise en cause de soi, apparemment plus fréquente chez les femmes. Il a ensuite évoqué les difficultés rencontrées par les femmes pour suivre une formation éloignée de leur lieu de travail et demandé si les effets de « ce facteur déplacement » avaient été quantifiés. Il a aussi insisté sur les inégalités hommes/femmes à l'aboutissement de la formation, les femmes étant souvent pénalisées, en raison d'une maternité par exemple, et demandé comment on pouvait rectifier cette injustice. Il a préconisé des formations spécifiques et adaptées pour les salariées reprenant leur travail après une interruption, suggestion appuyée par Mme Gisèle Printz.

Mme Christine Fournier a regretté la pratique des « mises au placard » au retour du congé de maternité ou à l'annonce de celle-ci, et indiqué que le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle avait proposé qu'une formation soit systématiquement offerte aux femmes qui reviennent sur le marché du travail.

S'agissant du « salaire d'appoint », elle a estimé qu'on en parlait de moins en moins, ne serait-ce que parce que de plus en plus de femmes sont chargées de famille, mais qu'on retrouvait la notion pour ce qui concerne la mobilité géographique (c'est la femme qui généralement suit son conjoint, son salaire n'étant que l' « appoint », et non l'inverse), mobilité dont elle a rappelé qu'elle conditionnait souvent la promotion.

M. Claude Domeizel a fait observer à ce propos que beaucoup de femmes restaient dans la catégorie B de la Fonction publique, une promotion dans la catégorie supérieure impliquant la mobilité.

Audition de Mme Chantal Foulon, directeur adjoint des relations du travail du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)



Puis la délégation a entendu Mme Chantal Foulon, directeur adjoint des relations du travail du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

Mme Chantal Foulon
a déclaré que le problème de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes était complexe, qu'il était partagé par tous les pays (même s'il est moindre là où l'éventail des salaires est plus resserré, comme en Suède ou aux Etats-Unis), qu'il était commun aux secteurs public et privé et qu'il devait être abordé par d'autres leviers que la réglementation à laquelle il est réfractaire.

Si l'on note quelques améliorations, a-t-elle précisé, elles sont lentes et force est de reconnaître que les différences de salaires entre hommes et femmes constituent un problème général. Elles trouvent notamment leur origine dans la segmentation du marché du travail, l'emploi féminin étant concentré sur quelques secteurs ; joue aussi un effet de taille des entreprises, les femmes étant proportionnellement plus nombreuses dans les petites entreprises où les rémunérations sont plus faibles. Les écarts de rémunération s'expliquent également par la formation initiale : les femmes sont certes aussi, voire plus diplômées que les hommes, mais leurs diplômes sont moins valorisés sur le marché du travail (diplômes de lettres ou sciences humaines contre diplômes scientifiques pour les hommes). Enfin, il existe un effet « engagement personnel » des femmes : elles vont vers les professions dont elles savent qu'elles ne comporteront pas trop de contraintes, elles s'engagent vers le « fonctionnel » plus que vers l' « opérationnel », et ce à tous les niveaux.

Mais, a fait observer Mme Chantal Foulon, le problème est moins celui de l'inégalité des salaires -les recrutements des hommes et des femmes se font sur des bases de salaire identiques- que celui des inégalités de perspectives de carrière, de la moindre valorisation de la formation chez les femmes.

Le MEDEF, a-t-elle poursuivi, juge important de faire porter l'effort sur la mixité des emplois afin de parvenir à une répartition plus harmonieuse entre hommes et femmes. Il faut agir sur l'orientation professionnelle des jeunes filles dans le cadre de l'éducation nationale. Les entreprises peuvent relayer ces efforts au travers des formations en alternance. Des branches professionnelles se sont ainsi engagées en faveur de la mixité des emplois, comme la Fédération française du bâtiment qui a passé une convention en la matière avec l'Etat en 2002, même s'il s'agissait aussi pour elle de répondre à un problème de recrutement et d'image.

A M. Jean-Guy Branger, président, qui soulignait que ce secteur devait aussi faire un effort sur les rémunérations, Mme Chantal Foulon a répondu qu'une telle question relevait de la négociation professionnelle, en reconnaissant que cette dernière ne prenait pas suffisamment en considération la problématique de l'égalité salariale entre hommes et femmes. L'intérêt manifesté pour le sujet dans les superstructures n'est pas toujours relayé sur le terrain, a-t-elle déploré.

M. Jean-Guy Branger, président, s'interrogeant sur l'existence de réelles discriminations entre les deux sexes en matière salariale, et Mme Gisèle Printz évoquant un écart de 28 %, Mme Chantal Foulon a indiqué que l'on pourrait parler de discriminations si la différence des salaires s'observait à situations égales ; or, a-t-elle relevé, les situations ne sont pas les mêmes et il est très important de préciser que l'écart de 28 % est obtenu en comparant les rémunérations moyennes. Sur un même poste, il est d'environ 9 %.

Mme Gisèle Printz ayant cité des cas concrets de discriminations, Mme Chantal Foulon a estimé que de telles situations, si elles étaient avérées, devraient être dénoncées sans aucune ambiguïté. Elle a toutefois relevé l'inexistence d'un réel contentieux en la matière. Revenant sur le fait que le contenu du travail n'était généralement pas le même, elle s'est demandé si les femmes n'acceptaient pas les emplois qu'on leur proposait afin d'être sur le marché du travail, même si le salaire n'est pas toujours à la hauteur. Elle a par ailleurs fait valoir que le concept de l'égalité salariale était de toutes façons difficile à manier.

Elle a souligné que la loi du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle devait permettre aux organisations professionnelles d'avoir une meilleure connaissance des éventuelles discriminations, avant d'insister sur deux questions essentielles : la mixité des emplois et la conciliation du travail avec la vie familiale, problème central pour les femmes. Elle a souhaité que les mesures proposées en la matière -comme les aménagements horaires ou certains temps partiels- ne profitent pas seulement aux femmes, sinon elles ont un « effet boomerang » en enfermant les intéressées dans un ghetto.

Mme Gisèle Printz a estimé que les entreprises pourraient en revanche se pencher davantage sur le problème de la garde des enfants, qui intéresse autant les hommes que les femmes.

Mme Chantal Foulon a rappelé que les entreprises considéraient traditionnellement que cette question relevait de la vie privée, mais elle a reconnu qu'agir sur l'offre de garde d'enfants était sûrement un facteur d'égalisation des carrières, surtout pour les formules les plus souples (autres que la crèche). Elle a souhaité que l'on développe tous les différents claviers de l'offre en la matière.

Mme Gisèle Printz a suggéré la mise en place de tickets halte-garderie par les entreprises, à la manière des tickets-restaurant.

Mme Chantal Foulon a reconnu que l'idée était intéressante, mais que le problème était celui du financement : doit-il incomber majoritairement aux entreprises ou doit-il être assuré dans le cadre de la politique familiale -ou en partenariat, a souligné M. Jean-Guy Branger, président, Mme Chantal Foulon a fait observer que les comités d'entreprise avaient eux-mêmes un budget qui leur permettait d'intervenir, tout en faisant remarquer que la solution de la halte-garderie ne pouvait, en tout état de cause, que satisfaire des besoins inopinés et qu'elle n'était pas une structure de garde permanente.

Elle a ensuite indiqué qu'une réflexion était en cours au sein du MEDEF sur l'ensemble de la problématique de l'égalité professionnelle, et que si l'organisation patronale n'avait pas de compétences spécifiques dans le domaine de l'égalité salariale -qu'il appartient aux branches professionnelles de mettre en oeuvre- elle suivait avec attention ce qui pouvait se faire en la matière.

M. Jean-Guy Branger, président, souhaitant savoir si des phénomènes échappaient aux statistiques dans l'approche des différences salariales entre hommes et femmes, Mme Chantal Foulon a évoqué, comme entrant dans une telle catégorie, tout ce qui tient aux mentalités (comme les pressions familiales en faveur ou à l'encontre de certains métiers pour les jeunes filles).

Interrogée par Mme Gisèle Printz sur le harcèlement au travail, elle a indiqué que l'on pouvait s'attendre à une explosion des litiges après le récent aménagement de la charge de la preuve.

M. Jean-Guy Branger, président, demandant quelles mesures de rééquilibrage entre hommes et femmes étaient envisageables, Mme Chantal Foulon a déclaré que le rôle des pouvoirs publics était de créer un environnement favorable (comme par exemple pour ce qui concerne l'orientation professionnelle des jeunes filles) et que l'amélioration des conditions de travail relevait des entreprises et des partenaires sociaux. Elle a estimé qu'un environnement législatif en faveur de l'égalité existait aujourd'hui et que les problèmes qui demeurent tiennent à l'environnement concret et aux mentalités.