ARTICLE 11 QUATER : MODULATION DE LA TAXE SUR LA PUBLICITÉ DES CHAÎNES DE TÉLÉVISION

I. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE DU 22 OCTOBRE 2010

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, n os 67 rectifié, 68 et 151 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrice Martin-Lalande, pour soutenir les amendements n os 67 rectifié et 68.

M. Patrice Martin-Lalande. Il s'agit de rester dans la cohérence de la démarche qui nous avait conduits à instaurer, dans la loi de 2009, une taxe sur le chiffre d'affaires publicitaire des télévisions privées. Cette taxe, bien qu'alimentant le budget général, avait cependant pour objectif indirect de permettre de compenser la perte de recettes publicitaires pour France Télévisions. Il était prévu qu'elle serait acquittée par les chaînes privées en contrepartie des surplus de recettes publicitaires qu'elles étaient censées engranger du fait de la suppression de la publicité, après vingt heures, sur les chaînes de France Télévisions.

La réalité a été tout autre. Certains - dont je fais partie, pardonnez-moi de le rappeler - l'avaient prédit, Gilles Carrez s'en souvient certainement. Du fait d'une série de facteurs : la crise économique, l'évolution structurelle vers d'autres supports - internet, la presse numérique, les chaînes de télévision numériques thématiques -, le surplus attendu de recettes publicitaires n'a pas été au rendez-vous, loin de là. Il n'y a pas eu d'effet report. Les chaînes privées ont même vu leur chiffre d'affaires publicitaire baisser par rapport à 2007 et 2008.

Il convient également de tenir compte d'une autre évolution : je veux parler du moratoire destiné à maintenir la publicité entre six heures et vingt heures, sur France Télévisions, pendant les années qui viennent. Cette décision coupe court à tout espoir d'un nouveau report de recettes publicitaires.

Il faut tenir compte de tout cela, mais également respecter, l'intention du législateur et permettre que la télévision privée puisse continuer de jouer son rôle. À côté du pôle public, il y a un pôle privé, qui lui aussi a besoin d'un financement solide, comme celui que nous avons réussi à instaurer pour le pôle public.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, par l'amendement n° 67 rectifié, de réduire le taux de la taxe à 0,5 % pendant la durée du moratoire. L'amendement n° 68 vise quant à lui à tenir compte de la situation spécifique des télévisions nouvelles de la TNT, qui sont tout juste en train d'émerger. Aucune d'entre elles n'est en équilibre. Ces chaînes sont certes en croissance, mais elles connaissent encore de lourdes pertes. Elles représentent un atout important pour la diversité que nous devons offrir à travers la TNT. Je propose, pour ces chaînes, dont la problématique publicitaire est différente de celle des chaînes historiques, d'abaisser le taux à 0,25 % pendant la durée du moratoire.

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir l'amendement n° 151 rectifié, ainsi rédigé :

I. - Le IV de l'article 302 bis KG du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Les deux derniers alinéas du 1 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, jusqu'à la mise en oeuvre de la disposition mentionnée à la deuxième phrase du premier alinéa du VI de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, ce taux est fixé à 0,5 %.

« Pour les services de télévision autres que ceux diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique, le taux est fixé à 0,25 % en 2010 et en 2011. »

2° Le 2 est supprimé.

II. - La perte de recettes pour l'État est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. Michel Herbillon. Cet amendement est conforme aux préconisations du groupe de travail sur la publicité et les activités commerciales de France Télévisions, que nous avons mis en place au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Il s'inscrit dans le droit fil des propos que vient de tenir notre collègue Martin-Lalande. La présidente Michèle Tabarot, Christian Kert, Franck Riester et moi-même vous proposons de fixer à 0,5 % le taux de la taxe sur le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes de télévision historiques, et ce tant que n'aura pas été décidée la suppression de la publicité avant vingt heures.

Je propose également, dans une deuxième rectification, d'appliquer un taux de 0,25 % pour les chaînes de la TNT. Ce qui correspond à ce que souhaite Patrice Martin-Lalande, à ceci près que ce 0,25 % s'appliquerait seulement jusqu'à l'extinction de l'analogique, c'est-à-dire jusqu'à la fin de 2011. Cela est conforme à l'intention exprimée par le législateur dans la loi de mars 2009, qui avait prévu une montée en charge progressive du taux de la taxe sur les nouveaux entrants de la TNT, dont le taux ne devait converger avec celui des chaînes historiques qu'en 2012, c'est-à-dire après le passage de l'ensemble du territoire au tout numérique.

M. le président. Votre amendement n° 151 rectifié devient ainsi l'amendement n° 151 deuxième rectification.

Quel est l'avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général, rapporteur . La commission partage tout à fait l'analyse de Patrice Martin-Lalande et de Michel Herbillon.

Elle avait donné un avis favorable à l'amendement présenté par Patrice Martin-Lalande ; qui permet une visibilité, qui est indispensable, sur la durée du contrat d'objectifs et de moyens. La réduction du taux s'impose, du fait que l'effet report a été beaucoup moins important que prévu, et compte tenu, surtout, de l'excellente décision de maintenir la publicité dans la journée sur les chaînes de télévision publique, comme l'avaient proposé Michel Herbillon et la commission des affaires culturelles.

Cela dit, j'ai une petite préférence pour l'amendement rectifié de M. Herbillon, s'agissant du taux applicable aux chaînes de la TNT. Certes leurs recettes publicitaires sont encore faibles, mais elles évoluent de manière assez favorable. La solution proposée par Michel Herbillon me paraît tout à fait raisonnable. Elle part de l'idée qu'une fois le déploiement de la TNT achevé, c'est-à-dire à la fin de l'année prochaine, il n'y aura pas lieu de maintenir un taux différencié. Je soutenais donc vos amendements, monsieur Martin-Lalande, mais la petite nuance qu'a apportée Michel Herbillon me conduit à préférer le sien.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Même avis que le rapporteur général.

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.

M. Patrice Martin-Lalande. Je suis d'accord avec la solution proposée par Michel Herbillon, qui consiste à appliquer seulement en 2010 et 2011 le taux de 0,25 % pour les nouvelles entrantes de la TNT, c'est-à-dire jusqu'au basculement. Nous verrons alors, avec un peu plus de recul, s'il convient d'aller plus loin, mais commençons ainsi pour leur permettre dès maintenant de continuer leur développement. Encore une fois, il y va de la diversité de la TNT, qui passe par le succès de ces chaînes.

M. le président. Vous retirez donc les amendements n os 67 rectifié et 68, monsieur Martin-Lalande ?

M. Patrice Martin-Lalande. J'aurais préféré les rectifier dans le même sens que l'a été l'amendement de M. Herbillon.

M. le président. J'allais vous proposer de vous rallier à l'amendement n° 151 deuxième rectification, dont vous serez cosignataire. Cela reviendra au même.

M. Patrice Martin-Lalande. L'essentiel est que nous adoptions un bon amendement, monsieur le président.

(Les amendements n os 67 rectifié et 68 sont retirés.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Çà, évidemment, quand il s'agit de faire des cadeaux aux chaînes privées, il n'y a pas de désaccord entre le Gouvernement et sa majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. De grâce, ne nous refaites pas le débat de mars 2009 !

M. Patrick Bloche. Chers collègues de la majorité, je ne vais pas vous rappeler la liste de ces cadeaux. Noël, c'est dans deux mois ! L'octroi d'une chaîne bonus aux chaînes historiques privées, la seconde coupure de publicité, le swap entre heure glissante et heure d'horloge, tout cela, c'est à vous qu'on le doit ! Autant de décisions dont les chaînes privées sont les uniques bénéficiaires.

Mais au-delà de ce que vous proposez, je rappelle qu'il s'agit d'une recette pour France Télévisions. Vous êtes en train de tricoter sur le maintien de la publicité en journée. On verra. Pour l'instant, la loi, dans sa rédaction actuelle, prévoit qu'elle cessera l'année prochaine.

Parallèlement, je reviens à ce que j'évoquais tout à l'heure : la taxe sur les FAI, dite taxe télécom - dont le produit est de 360 millions d'euros, excusez du peu - a donné lieu à une procédure d'infraction engagée par la Commission européenne contre la France. La Commission européenne a dit que cette taxe devait être supprimée. Le Gouvernement a décidé de passer en force - en fait, de gagner du temps en attendant la décision de la Cour de justice des communautés européennes.

Plus que jamais, le big bang provoqué par le Président de la République en 2008 produit tous ses effets. Plus que jamais, le financement de France Télévisions est fragilisé dans la durée.

Ce n'est pas parce que les recettes publicitaires en journée rapportent plus que ce qui avait été prévu qu'il doit aussitôt y avoir, dans cet hémicycle, un écho aussi favorable aux pleurs des chaînes privées. En l'occurrence, quand nous avons travaillé ensemble, Patrice Martin-Lalande, Gilles Carrez et moi-même, au sein de l'atelier « financement » de la commission dite Copé, nous étions d'accord pour fixer à 3 % le taux de cette taxe sur le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes privées. Regardez où nous en sommes deux ans plus tard !

Nous avons eu ce débat l'année dernière. Le rapporteur général et le ministre du budget de l'époque avaient accepté, à cause de la conjoncture et de la chute de leur chiffre d'affaires publicitaire, de baisser temporairement le taux de la taxe. Notre collègue Christian Kert...

M. le président. Il faut conclure, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. ...avait même demandé à ce que cette baisse s'applique en 2010 et en 2011. Le rapporteur général avait refusé en disant : « Non. Seulement pour une année. »

Par cet amendement, vous proposez d'inscrire cette baisse dans la durée au moment même où le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes privées repart à la hausse, et va sans doute retrouver le niveau de 2007 et de 2008. Bravo pour les cadeaux !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Je suis quand même très étonné qu'au détour d'un amendement,...

M. Yves Censi. Au détour d'un amendement ?

M. Patrice Martin-Lalande. Il n'y a pas de détour !

M. François de Rugy. ...on fasse un tel cadeau fiscal, et ce en contradiction avec vos propres engagements ! C'est bien là le problème, comme l'a dit Patrick Bloche au nom du groupe socialiste. Vous aviez pris un engagement au moment où vous avez décidé de supprimer - décision à mon sens totalement irresponsable - la publicité sur les chaînes publiques. « Ne vous inquiétez pas, il n'y aura pas de baisse de recettes pour France Télévisions », disiez-vous. C'est ce que vous avez voulu faire croire aux Français. Il ne devait pas non plus y avoir d'augmentation de la redevance - ce qui ne vous a pas empêché d'essayer de l'augmenter pour les personnes âgées : il a fallu que le Parlement s'élève contre cette mesure pour que vous y renonciez. Et maintenant, voilà que vous nous annoncez que l'État n'aura pas la recette attendue en provenance de la taxe sur le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes privées ! Pourtant, il y avait dans tout cela une certaine logique : on supprimait partiellement la publicité sur les chaînes publiques, il y en aurait donc un peu plus sur les chaînes privées, qui allaient être mises à contribution : le tout devait se traduire, au bout du compte, par une opération blanche...

Comme vient de le dire Patrick Bloche, on commence à sortir de la crise, du moins en ce qui concerne la publicité : les investissements publicitaires repartent à la hausse. Et c'est précisément le moment que vous choisissez pour baisser, contrairement aux engagements pris, la taxe sur le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes privées ! C'est particulièrement absurde. Et je pense qu'il y a une idée derrière cela : il s'agit, dans la durée, d'affaiblir le service public de la radio et de la télévision en France.

M. Michel Herbillon. C'est tout le contraire !

M. François de Rugy. Il n'y a pas d'autre objectif. Cela ne peut pas s'expliquer autrement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général, rapporteur . Parler de cadeau fiscal, monsieur Bloche, monsieur de Rugy, est une contrevérité que la réalité des chiffres dément totalement. Si les recettes publicitaires ont été sensiblement supérieures - et il faut s'en réjouir - chez les chaînes publiques, elles ont été très inférieures pour les chaînes privées.

S'agissant des chaînes publiques, j'ai toujours plaidé, M. Bloche s'en souvient, au sein de la commission Copé, pour le maintien de recettes publicitaires.

M. Patrick Bloche. D'où mon étonnement !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Pourquoi ? Parce que, ne connaissant que trop la situation budgétaire de l'État, je pensais qu'il fallait conserver des recettes importantes au bénéfice des chaînes publiques.

Nous sommes parvenus à un équilibre, avec, d'une part, le maintien de la publicité en journée, et d'autre part, les parrainages en soirée. Cet équilibre me paraît très satisfaisant. Nous souhaitons maintenant le pérenniser. Ce dernier ajustement n'a d'autre objet que de tenir compte du fait que les reports de recettes publicitaires ont finalement été très partiels : c'est tout à fait légitime, et il n'y a aucun cadeau là-dedans.

Cela dit, monsieur le ministre, je profite de l'occasion pour dire que si les recettes publicitaires ou de parrainage de la télévision publique excèdent les prévisions figurant dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, il faudra en tirer les conséquences.

M. François de Rugy. Soyez plus précis !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Cette année, le bonus est resté au sein de France Télévisions ; mais l'élément qui compte est le contrat d'objectifs et de moyens. S'agissant des recettes globales - dotation par la redevance et recettes publicitaires -, il faudra rester dans le cadre global, et s'il doit y avoir une évolution, elle devra passer par une modification de ce contrat d'objectifs et de moyens.

Je compte sur le soutien de Patrice Martin-Lalande et de Michel Herbillon sur ce point...

M. Patrice Martin-Lalande. Comme nous espérons avoir le vôtre sur les amendements que nous avons déposés en ce sens !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . La gauche ne peut pas instruire un nouveau procès en sorcellerie à la majorité pour soutien à telle ou telle chaîne de télévision, ni soutenir sérieusement l'idée d'un cadeau fiscal. Nous nous souvenons tous du grand débat de la réforme de France Télévisions, sur laquelle nous pouvions avoir des désaccords, et il m'est d'ailleurs arrivé de les exprimer...

M. François de Rugy. Tout à fait, nous nous en souvenons.

M. François Baroin, ministre du budget . L'instauration de la taxe partait évidemment du principe que la totalité de la publicité était supprimée, et que cela susciterait un effet d'aubaine en conséquence, qui justifiait pleinement que les chaînes du privé participent à l'effort de solidarité du financement, et n'en soient pas les seules bénéficiaires.

Cela n'a pas été le cas. L'histoire a démontré que l'organisation du marché a été transformée par ce nouveau statut des chaînes publiques, c'est un premier enseignement dont nous devons tirer les conséquences. Qui plus est, in fine, la décision a été prise de ne pas supprimer la publicité pendant la journée. Il me semble être de bonne politique, raisonnable, responsable, de rééquilibrer l'ensemble au niveau auquel nous étions parvenus à l'époque, avant même d'aborder la question de la taxe pour les chaînes privées. C'est un retour au point d'équilibre, et aucunement un cadeau à telle ou telle chaîne de télévision.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Ce n'est en rien un retour au point d'équilibre : c'est un cadeau fiscal et qui, en l'occurrence, ne se justifie pas. Toute l'argumentation développée par le Gouvernement et le rapporteur général l'année dernière était de prendre en compte la conjoncture, qui, compte tenu de la crise économique et financière, avait effectivement fait baisser le chiffre d'affaires des chaînes privées.

Un an plus tard, il n'en est rien : ce chiffre d'affaire publicitaire repart à la hausse. Et il s'agit de voter un pourcentage, nous en sommes donc à la troisième décote : 3 % initialement, 1,5 % au moment où l'on a voté la loi, et maintenant un ridicule 0,5 %. C'est un cadeau qui ne se justifie d'aucune manière.

M. Patrice Martin-Lalande. Ce chiffre d'affaires est inférieur à celui de 2007, il n'y a pas eu d'effet d'aubaine !

M. Patrick Bloche. Appelons un chat un chat : c'est un nouveau cadeau aux chaînes privées pendant que le financement de France télévisions est plus que jamais fragilisé.

M. François Baroin, ministre du budget . Vous vous aveuglez, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. En l'occurrence, nous aurions aimé que le Gouvernement justifie sa position sur la taxe télécom et nous explique comment il compensera le manque à gagner auquel il sera confronté un jour ou l'autre, sachant que cette taxe de 360 millions d'euros ne pourra être prélevée durablement.

M. le président. Je donne lecture de l'alinéa ajouté à l'amendement 151, deuxième rectification : « Pour les services de télévision autres que ceux diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique, le taux est fixé à 0,25 % en 2010 et en 2011. »

(L'amendement n° 151 deuxième rectification est adopté.)

Voir l'ensemble des débats sur les amendements après l'article 11.