IV. DÉBATS SÉNAT PREMIÈRE LECTURE DU 23 NOVEMBRE 2010

Article 13 bis

M. le président. L'amendement n° I-169, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. L'article 13 bis porte sur la contribution au service public de l'électricité, plus connue sous le sigle de CSPE, qui a été créée en 2000. Il a été introduit à l'Assemblée nationale sur l'initiative du député Michel Diefenbacher et avec l'appui du Gouvernement.

Cet article a trois défauts.

Premièrement, - et ce point est très important - il modifie la procédure de fixation du tarif de la CSPE. Désormais, en l'absence d'intervention du ministre concerné - par carence, comme on dit en termes administratifs -, c'est la CRE, la Commission de régulation de l'énergie, qui sera amenée à fixer les tarifs. Il suffira que le ministre ne fasse part d'aucune demande de relèvement des prix de l'électricité pour que cette instance prenne une décision.

Pourtant, comme M. Philippe Marini l'écrit lui-même dans son rapport, « la responsabilité de l'évolution de la CSPE demeura essentiellement politique ». Cette disposition est donc un faux-semblant, mais le Gouvernement pourra jouer sur cette responsabilité.

Deuxièmement, - et il s'agit là d'un très gros défaut - cet article entraînera évidemment une montée des prix de l'électricité pour le consommateur. En effet, il fait passer la CSPE applicable par mégawattheure de 4,5 euros à 7,5 euros, soit une augmentation de 3 euros.

Or, cette hausse de la CSPE de trois centimes d'euros par kilowattheure représente tout de même, si l'on fait le calcul, une augmentation de 66 % du tarif applicable pour les ménages, ce qui n'est pas négligeable.

Quand on examine la part des dépenses énergétiques dans le budget des Français, on s'aperçoit que celle-ci est significativement plus élevée chez les 20 % des ménages les plus pauvres que chez les 20 % les plus riches. C'est peut-être une évidence, mais il fallait la rappeler, me semble-t-il.

Nous connaissons aussi, parce que nous venons d'en débattre longuement, les causes de cette augmentation des prix, qui est destinée à se poursuivre dans les prochaines années : il s'agit notamment, comme vous le soulignez vous-même dans votre rapport, monsieur Marini, et à juste titre, des « tarifs de rachat préférentiels dont bénéficie la filière de production d'électricité photovoltaïque. »

En réalité, on fait en quelque sorte payer aux ménages les choix relatifs aux investissements dans certaines énergies renouvelables, dont nous avons vu qu'ils n'étaient pas toujours pertinents. Mais je n'y reviendrai pas, car nous en avons déjà débattu longuement.

Troisièmement, ce système crée une inégalité entre les ménages et les entreprises. En effet, si nous y regardons de plus près, les augmentations de la contribution épargneront les 250 plus gros consommateurs, ceux que l'on appelle en termes techniques les électrointensifs, me semble-t-il, c'est-à-dire les plus grandes entreprises. Ces dernières sont protégées par un plafond fixé à 500 000 euros, à la différence des consommateurs, pour lesquels toute limite supérieure est supprimée.

M. le rapporteur général nous présentera tout à l'heure un amendement - sauf si, évidemment, celui-ci était adopté -...

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Nicole Bricq. ... visant à élever et à indexer ce plafond, mais sans remettre en cause son existence.

Je le rappelle, il est arrivé dans le passé que la CSPE dégage un excédent, qui a servi non pas à alléger la facture des ménages, mais à financer le TARTAM, c'est-à-dire le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, afin de permettre aux industriels qui avaient choisi de se fournir aux prix du marché de revenir à un tarif réglementé inférieur. Il y a donc une inégalité entre les ménages et les entreprises.

Mes chers collègues, ces trois défauts justifient la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission est favorable à cet article que, dans quelques instants, nous proposerons d'amender afin de faire mieux prévaloir le principe d'équité...

Mme Nicole Bricq. Tu parles !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. ... entre les consommateurs domestiques, c'est-à-dire les ménages, et les consommateurs industriels ou économiques, c'est-à-dire les entreprises.

En effet, ce dispositif est de nature à obliger les pouvoirs publics à mieux tenir compte des coûts qu'il faudra faire réellement supporter aux Français. Il devrait en principe conduire les gouvernements à se poser plus régulièrement la question de la pertinence des tarifs de rachat imposés dont bénéficient certaines filières de production d'électricité comme l'éolien ou le photovoltaïque - une question qui nous a retenus pendant un moment ce soir avec nos amis ultramarins.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement de suppression.

J'avoue d'ailleurs ne pas avoir bien compris la logique de l'argumentation de notre collègue Nicole Bricq : dans le dispositif de l'article 13 bis , la décision revient au ministre, certes, mais si celui-ci était tenté de ne rien faire, parce que, s'agissant de décisions tarifaires, le sujet serait trop sensible vis-à-vis de l'opinion publique, la Commission de régulation de l'électricité, qui est une autorité indépendante, exercerait ses responsabilités.

À mon avis, ce dispositif apporte donc des garanties supplémentaires par rapport à une situation où le Gouvernement serait libre de rester inerte et de ne rien décider afin de ne pas franchir une passe difficile. Il me semble que, dans sa logique, l'article 13 bis est préférable au statu quo . Je voudrais vous en convaincre, madame Bricq, et je ne désespère pas de le faire, même à cette heure tardive. (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Nous soutenons l'amendement n° I-169 présenté par notre collègue Nicole Bricq.

En effet, l'article 13 bis du projet de loi de finances tend à faire supporter au consommateur la politique énergétique du Gouvernement, qui est fondée à la fois sur un système très onéreux de rachat de l'électricité issue des énergies renouvelables et sur un désengagement financier récurrent en ce qui concerne la compensation de l'intégralité des charges de service public.

En effet, le nouvel article 13 bis du projet de budget pour 2011 prévoit que la CSPE pourra être augmentée, dans la limite de 3 euros par an, dès le 1 er janvier prochain. C'est désormais la Commission de régulation de l'énergie qui élèvera le montant de cette taxe, sauf si le Gouvernement s'y oppose.

Ainsi, la facture d'électricité des ménages grimpera de nouveau de 3 % en janvier prochain, ce qui portera, mes chers collègues, à plus de 6 % la hausse des prix sur six mois, soit l'une des plus fortes augmentations enregistrées depuis près de trente ans.

Les prix réglementés de l'électricité pour les particuliers - les tarifs bleus - sont actuellement fixés à 93,1 euros par mégawattheure, hors taxes. Une hausse de la CSPE de 3 euros par mégawattheure correspondrait donc à une augmentation de plus de 3 % de la facture des ménages.

Si une nouvelle hausse intervient en janvier prochain, les prix auront grimpé au total de plus de 6 % en six mois, une situation inédite depuis le début des années quatre-vingt.

Pis, cette flambée des tarifs ne devrait pas être la dernière. De source syndicale, la Commission de régulation de l'énergie aurait proposé en effet de porter la CSPE à près de 13 euros par mégawattheure en 2011, soit un quasi-triplement par rapport à son niveau actuel, qui est, je le rappelle, de 4,5 euros par mégawattheure.

Comme le soulignait Nicole Bricq, les consommateurs payeront les conséquences de l'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, qui s'est accélérée avec le projet de loi NOME, c'est-à-dire nouvelle organisation du marché de l'électricité, obligeant EDF à céder une partie de sa production d'énergie nucléaire pour favoriser les opérateurs privés.

Nos concitoyens et nos entreprises éprouvent de plus en plus de difficultés à faire face à leur facture énergétique, alors que, dans le même temps, EDF distribue chaque année plus de 2 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires, dont le principal est l'État. Le Gouvernement s'est complètement désengagé, au profit de la CRE, de la conduite de la politique énergétique, et il se comporte en actionnaire seulement intéressé par l'argent qui entre dans ses caisses.

Cet article constitue une nouvelle illustration des effets pervers des mesures d'incitation fiscales et financières dans le secteur énergétique qui, selon nous, vous le savez, mes chers collègues, devrait au contraire être placé sous la maîtrise de l'autorité publique.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-169.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° I-13, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 1

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...° Le onzième alinéa est ainsi modifié :

a) À la fin de la première phrase, le montant : « 500 000 euros » est remplacé par le montant : « 600 000 euros ».

b) Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« À compter de l'année 2011, ce plafond est actualisé chaque année dans une proportion égale au taux prévisionnel de croissance de l'indice des prix à la consommation hors tabac associé au projet de loi de finances de l'année. » ;

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement a pour objet de répartir équitablement,...

Mme Nicole Bricq. C'est beaucoup dire !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. ... du moins de notre point de vue, chère collègue,...

Mme Marie-France Beaufils. C'est sûr !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. ... les probables augmentations à venir de la contribution au service public de l'électricité. (M. Thierry Foucaud s'exclame.)

Chers collègues, la CSPE existe. On nous propose un régime et nous essayons de l'aménager au mieux. En tout cas, au travers de cet amendement, nous nous efforçons de faire en sorte que les arbitrages futurs soient non pas implicites, mais explicites. Veuillez donc m'écouter jusqu'au bout, même s'il est un peu tard.

Instaurée par l'article 5 de la loi du 10 février 2000, la CSPE a pour objet de couvrir « intégralement » les charges de service public de l'électricité qui incombent aux opérateurs historiques, notamment les tarifs sociaux et les obligations de rachat, à des prix fixés par la réglementation, de l'électricité issue de certaines filières.

Or l'augmentation de ces charges de service public de l'électricité n'a pas été compensée, ces dernières années, par l'évolution de la CSPE. Mes chers collègues, le déficit cumulé s'élève actuellement à 1,6 milliard d'euro, et il incombe exclusivement à l'opérateur historique, c'est-à-dire à EDF. Si rien n'est fait, il devrait encore augmenter fortement dans les années à venir, sous l'effet, en particulier, des obligations de rachat à tarifs très favorables par EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque.

Les mesures que nous avons adoptées à l'article précédent étaient peut-être douloureuses, mais elles se voulaient, en particulier, une réponse à ces préoccupations. En effet, ces dossiers à l'évolution galopante constituaient pour EDF des charges et auraient contribué à poser de réels problèmes économiques.

Le présent article vise donc, à juste titre, à donner à la Commission de régulation de l'énergie le pouvoir d'agir à la place du ministre chargé de l'énergie en cas de carence de celui-ci - après tout, cela peut arriver, quel que soit le gouvernement en cause -, tout en limitant sa capacité à augmenter la CSPE à 0,003 euros par kilowattheure.

Il est donc probable que la CSPE s'accroîtra pour l'ensemble des abonnés dans les prochaines années.

Dans ces conditions, il ne serait pas logique que les 250 plus gros sites industriels soient exonérés de tout effort du fait de l'existence d'un plafond de CSPE de 500 000 euros par site. Je rappelle que ce dernier n'a pas été révisé depuis 2003.

Sans remettre en cause le principe de ce plafond pour d'évidentes raisons de compétitivité industrielle, le présent amendement prévoit, d'une part, de le faire évoluer chaque année en fonction de l'inflation et, d'autre part, d'opérer un rattrapage, c'est-à-dire de fixer ce plafond à 600 000 euros dès 2011 ; si vous faites le calcul, vous constaterez que ce rattrapage est modeste.

Cette mesure d'équité pourrait éventuellement permettre de limiter la part de la contribution reposant sur les autres consommateurs, c'est-à-dire les ménages.

En d'autres termes, si nous n'actualisons pas le plafond, les ménages seront victimes de l'arbitrage.

Mme Nicole Bricq. D'accord !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C'est ce que nous avons souhaité expliciter par le présent amendement.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre. Je suis défavorable au relèvement du plafond de 500 000 euros à 600 000 euros qui entraînerait une augmentation de 20 % des charges supportées par les industries intensives en électricité au titre de la CSPE.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Depuis 2003 !

M. François Baroin, ministre. L'ampleur de cette évolution risquerait de dégrader la compétitivité de ces sites industriels.

En revanche, s'agissant de l'indexation du plafond sur le taux d'inflation prévisionnelle, qui permettrait de faire participer les sites industriels les plus importants aux efforts nécessaires pour rétablir l'équilibre du dispositif de financement, j'y suis favorable.

M. le président. Monsieur le ministre, si je comprends bien, vous êtes défavorable au a) de l'amendement mais favorable au b) ?

M. François Baroin, ministre. Oui, monsieur le président.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission maintient l'amendement dans son intégralité !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-13.

(L'amendement est adopté.)

M. Jean Desessard. À l'unanimité !

M. le président. Je constate que cet amendement a en effet été adopté à l'unanimité des présents.

Je mets aux voix l'article 13 bis , modifié.

(L'article 13 bis est adopté.)