V. RAPPORT SÉNAT N° 107 (2011-2012) TOME II

Commentaire : Le présent article a pour objet de permettre à Pôle emploi d'assurer de façon autonome la gestion du recouvrement des indus relatifs aux allocations de solidarité.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA GESTION DES ALLOCATIONS PAR PÔLE EMPLOI POUR LE COMPTE DE TIERS

La gestion des dossiers des demandeurs d'emploi ne se limite pas au seul examen des conditions d'attribution de l'ARE. En effet, Pôle emploi gère près d'une cinquantaine de dispositifs différents d'allocation ou d'aide pour le compte de tiers 1 ( * ) . Qu'il s'agisse de mesures financées par l'Unedic, le fonds de solidarité, le ministère du travail, de l'emploi et de la santé, ou par plusieurs financeurs. Les dépenses ainsi traitées représentent un volume de 32,8 milliards d'euros en 2010 . Or chacun de ces droits est subordonné à des conditions et à des modalités d'attribution particulières et complexes.

Au total, il est estimé que les fraudes affectant les revenus de remplacement et les diverses allocations porteraient annuellement sur environ 1 milliard d'euros (y compris le travail dissimulé), dont 800 millions d'euros pour la fraude aux allocations .

Sur les seules allocations de solidarité, Pôle emploi estime à 76 millions d'euros en 2010 le montant des indus, dont 44,5 millions d'euros ont été recouvrés en procédure amiable par le service public de l'emploi.

Inventaire des allocations et aides gérées par Pôle emploi en 2010

(en millions d'euros)

Dispositifs financés par l'assurance chômage

28 262

ARE (allocation d'aide au retour à l'emploi)

(dont 25,9 milliards d'euros pour l'ARE)

ACA (allocation « chômeurs âgés »)

CRP (convention de reclassement personnalisé)

Allocation décès

ARCE (aide aux repreneurs ou créateurs d'entreprise)

ADR (aide différentielle de reclassement)

ASCRE (aide spécifique complémentaire au retour à l'emploi)

Aides fin de droits et pour congés non payés

Dispositifs financés par le fonds de solidarité

2 647

ASS (allocation de solidarité spécifique)

(dont 1,9 milliard d'euros pour l'ASS)

ACCREASS (aide au chômeur créateur d'entreprise)

AER (allocation équivalent retraite)

AT (allocation transitoire)

APS (allocation de professionnalisation et de solidarité)

AFD (allocation de fin de droits)

AFF (allocation de fin de formation)

Prime de retour à l'emploi

Prime forfaitaire

Dispositifs financés par le ministère du travail, de l'emploi et de la santé

1 012

AS-FNE (allocation spéciale du Fonds national pour l'emploi)

PRP (préretraite progressive)

SEJE (soutien à l'emploi des jeunes en entreprise)

ACO (allocation complémentaire)

RSP (rémunération des stagiaires du régime public)

HCR (aide hôtels, cafés, restaurants)

ATA groupe 2 (allocation temporaire d'attente)

Zéro charges TPE

Zéro charges apprentis

Aide à l'embauche des jeunes en contrat de professionnalisation

Aide à l'embauche d'un apprenti supplémentaire

Contrat accompagnement formation (CAF)

Dispositifs financés par les autres ministères

115

Emplois jeunes de l'éducation nationale

ATA groupe 1 (allocation temporaire d'attente)

Dispositifs financés par le Plan de relance

198

Prime 500 euros

AER (allocation équivalent retraite)

Dispositifs multi financeurs

397

CTP (contrat de transition professionnelle)

AFDEF (allocation en faveur des demandeurs d'emploi en formation)

AEPE (aide exceptionnelle pour le retour à l'emploi)

Dispositifs Pôle Emploi

470

Aide forfaitaire à l'employeur dans le cadre du contrat de professionnalisation

Aide dégressive à l'employeur

Aides à la recherche d'emploi

Aides à la reprise d'emploi

Aides à la garde d'enfants pour les parents isolés

Aides aux développements des compétences

Source : d'après la note « Prévisions économiques et financières » du 5 avril 2011 - Pôle emploi, direction études, statistiques et prévisions

La question du recouvrement des indus met en oeuvre des procédures de contrôle et de sanction au même titre que pour la fraude mais s'en distingue dans la mesure où les bénéficiaires ne sont pas toujours à l'origine des « trop-perçus » dont il est alors nécessaire pour Pôle emploi d'obtenir le remboursement pour son propre compte ou pour le compte de tiers.

B. LES DIFFICULTÉS OBSERVÉES DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET LE RECOUVREMENT DES INDUS

La Cour des comptes a mis en évidence, dans son rapport public annuel 2010, la « nécessité impérieuse de simplifier et d'harmoniser les outils de contrôle ». Pour remédier à ces situations, la Cour recommande « d'unifier la situation et les prérogatives des différents personnels chargés de la lutte contre la fraude en matière sociale » en transférant à Pôle emploi la responsabilité de réduire ou de supprimer le montant de l'allocation de retour à l'emploi ou des autres aides en cas de manquement du bénéficiaire.

Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a appelé à une « toute particulière vigilance » 2 ( * ) Pôle emploi sur la gestion des risques et la lutte contre la fraude dans un contexte ou l'institution doit mener de front la fusion des ex-ANPE et Assédic avec le transfert du recouvrement des cotisations d'assurance chômage aux Urssaf 3 ( * ) .

Or, en l'état actuel du droit, les mécanismes de recouvrement sont hétérogènes et dépendent, selon l'origine de l'allocation concernée, soit de Pôle emploi uniquement, soit avec plusieurs administrations de l'Etat.

Ainsi, les indus relatifs à l'allocation de solidarité spécifique (ASS) font l'objet d'un premier recouvrement amiable par Pôle emploi pendant une durée de 6 mois au terme de laquelle, en l'absence d'accord, la responsabilité d'instruire le dossier contentieux de recouvrement est transmise à la direction Régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) aux fins d'émission des titre de perception et de transmission au comptable public.

Plusieurs difficultés ont été mises en évidence par une mission d'audit de modernisation conduite par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales :

- Pôle emploi n'a pas été doté à sa création des moyens juridiques autonome de recouvrement des allocations qu'il est amené à verser même pour son propre compte et ne dispose d'aucune procédure de contrainte, l'ensemble des contentieux « remontant » in fine au comptable public ;

- le recouvrement sur des prestations ultérieures peut être pratiqué seulement sur la ou les prestations sur lesquelles l'indu a été constaté, et non sur les autres versements effectués par Pôle emploi ;

- à la différence des organismes de sécurité sociale, Pôle emploi ne peut accorder de remise gracieuse au renoncer au recouvrement des allocations versées pour le compte de l'Etat ou du fonds de solidarité lorsque les débiteurs sont insolvables et doit systématiquement saisir le comptable public.

Ces procédures sont complexes et mobilisent de nombreux services, dont la coordination n'est pas jugée optimale, alors même qu'une partie des montants indus ne sont pas recouvrable du fait de l'insolvabilité des débiteurs.

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article a pour objet de permettre à Pôle emploi d'assurer de façon autonome la gestion des indus et, d'autre part, de renforcer les règles permettant d'en limiter le nombre.

Ces mesures de simplification des procédures seraient codifiées au sein de trois nouveaux articles insérés dans le code du travail :

- l'article L. 5426-8-1 (nouveau) permet à Pôle emploi d'obtenir le remboursement de toute somme indûment versée par retenues sur les échéances à venir pour les dispositifs gérés pour le compte de l'État, du Fonds de solidarité ou pour son propre compte ;

- l'article L. 5426-8-2 (nouveau) du code du travail habilite Pôle emploi à recourir à la contrainte pour le recouvrement des sommes qu'il a indûment versées ;

- l'article L. 5426-8-3 (nouveau) complète le dispositif en autorisant Pôle emploi à accorder des remises de dettes et à différer, ou abandonner le recouvrement d'allocations indues, cette compétence étant actuellement réservée aux services de l'État s'agissant des allocations de solidarité.

Ce dispositif s'inspire de ceux instaurés par la loi de financement de sécurité sociale pour 2009 au profit des organismes de sécurité sociale (articles L. 161-1-5 et L. 553-2 du code de la sécurité sociale). Il fait également suite à une recommandation émise par les inspections générales dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Ce transfert de gestion de l'Etat vers Pôle emploi de la gestion du recouvrement des indus aura pour effet de réduire les recettes de l'Etat pour un montant estimé à un million d'euros . En revanche, la mesure devrait libérer la direction générale des finances publiques de cette charge, la rationalisation de la procédure de recouvrement contribuant à une économie d'emplois publics évaluée à 40 ETPT pour 2012 et 2013.

B. LES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Trois amendements présentés par notre collègue député Gilles Carrez, rapporteur général, ont été adoptés par l'Assemblée nationale, le premier ayant pour objet de fixer un plafond, par voie réglementaire, au montant des retenues pratiquées par Pôle emploi au titre des sanctions applicables en cas de constatation d'indus non remboursés (ce plafond ne s'appliquerait pas en cas de remboursement intégral de la dette en un seul versement), les deux autres étant rédactionnels.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Pôle emploi a déjà supporté plusieurs transferts de charges ou de missions pour lesquelles l'Etat n'a pas apporté de compensation financière , notamment :

- le transfert des personnels d'orientation de l'AFPA (900 psychologues) vers Pôle emploi ;

- la gestion de l'allocation de solidarité spécifique.

Par ailleurs, bien que sa dotation budgétaire ait été maintenue au niveau de l'année précédente, à hauteur de 1,36 milliard d'euros, le service public de l'emploi a eu à subir la suppression de 1 800 ETP en loi de finances pour 2011.

Si cette suppression de postes doit être rapprochée du transfert aux URSSAF de la fonction de recouvrement des cotisations chômage des entreprises, ce qui a libéré de cette tâche du personnel, elle a compliqué l'organisation de la fusion des anciennes ANPE et Assédic.

S'agissant des conséquences du transfert de la gestion des recouvrements des indus à Pôle emploi, il apparaît, selon les propos de la direction générale de l'opérateur, que les mesures proposées dans cet article sont jugées comme « de nature à simplifier, en les unifiant, les procédures de recouvrement mises en oeuvre pour les allocations de solidarité financées par l'Etat et pour les allocations d'assurance chômage versées pour le compte de l'Unédic ». Elle considère par ailleurs « que la charge de travail pouvant découler de la gestion des indus pour le compte de l'Etat sera largement compensée par les gains de productivité découlant de cette unification des procédures de recouvrement ».

Il semble donc que ce dispositif soit le fruit d'une concertation entre les services de l'Etat et ceux de Pôle emploi, ce dernier ayant indiqué à votre rapporteure générale que le surcoût inhérent à la mise à niveau des systèmes d'information est par ailleurs intégré dans son budget de développement pour 2012.

Le Gouvernement présente cette mesure comme une opération technique de simplification de cette procédure de recouvrement dont la gestion des dossiers fait intervenir, dans un premier temps, Pôle emploi pour la récupération amiable des trop perçus puis le comptable public en cas de procédure contentieuse. Sur le principe, une rationalisation de ce circuit inutilement complexe ne serait pas inutile.

Mais ce nouveau transfert de gestion soulève plusieurs interrogations.

Il intervient à la suite de plusieurs transferts de charges déjà effectués par l'Etat sur Pôle emploi (le transfert de 900 psychologues de l'AFPA, le transfert de la gestion de l'allocation spécifique de solidarité et plus récemment le transfert de l'indemnisation des anciens contractuels de l'Etat) sans compensation financière. En l'occurrence, quelles contraintes d'organisation et de personnel impliquera ce nouveau transfert de gestion ?

Si Pôle emploi est appelé à mettre en oeuvre les procédures contentieuses de recouvrement des allocations de solidarité, sera-t-il appelé à appliquer des dispositifs juridiques contraignants alors même que le niveau de ces allocations est inférieur au seuil de la quotité saisissable ?

La suppression, à titre conservatoire, du présent article pour objet de demander les éclaircissements nécessaires sur cette nouvelle procédure de recouvrement et sur les intentions du Gouvernement quant à la compensation financière des charges induites par le transfert de gestion.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.


* 1 Source : « Prévisions économiques et financière » (Pôle emploi, direction études, statistiques et prévisions - 5 avril 2011).

* 2 Avis du CESE « Pôle emploi et la réforme du service public de l'emploi : quelle efficacité pour les travailleurs et les employeurs ? (juin 2011).

* 3 Pôle emploi était chargé depuis fin 2008 de recouvrer les contributions d'assurance chômage et les cotisations AGS. Au 1 er janvier 2011, cette mission a été confiée au réseau des Urssaf, hormis certaines catégories d'inscrits comme les intermittents du spectacle ou les expatriés.