ARTICLE  3 BIS G (NOUVEAU) : SUPPRESSION DE L'ENSEMBLE DES ABAISSEMENTS DE DROITS DE MUTATION À TITRE GRATUIT (SUCCESSIONS ET DONATIONS) DE LA LOI TEPA, À L'EXCEPTION DE L'EXONÉRATION DE DROITS DE SUCCESSION DU CONJOINT SURVIVANT

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° I-2, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° L'article 775 ter est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 775 ter. - Il est effectué un abattement de 50 000 euros sur l'actif net successoral recueilli soit par les enfants vivants ou représentés ou les ascendants du défunt. »

2° L'article 779 est ainsi rédigé :

« Art. 779 . - I. - Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 50 000 euros sur la part de chacun des ascendants et sur la part de chacun des enfants vivants ou représentés.

« Entre les représentants des enfants prédécédés, cet abattement se divise d'après les règles de la dévolution légale.

« En cas de donation, les enfants décédés du donateur sont, pour l'application de l'abattement, représentés par leurs descendants donataires dans les conditions prévues par le code civil en matière de représentation successorale.

«  II. - Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 50 000 euros sur la part de tout héritier, légataire ou donataire, incapable de travailler dans des conditions normales de rentabilité, en raison d'une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise.

« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du premier alinéa.

«  III. - Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué en cas de donation ou, lorsque les dispositions de l'article 796-0 ter ne sont pas applicables, en cas de succession, un abattement de 5 000 euros sur la part de chacun des frères et soeurs. »

3° Le I de l'article 788 est rétabli dans la rédaction suivante :

« I. - L'abattement mentionné à l'article 775 ter se répartit entre les bénéficiaires cités à cet article au prorata de leurs droits légaux dans la succession. Il s'impute sur la part de chaque héritier déterminée après application des abattements mentionnés au I et au II de l'article 779. La fraction de l'abattement non utilisée par un ou plusieurs bénéficiaires est répartie entre les autres bénéficiaires au prorata de leurs droits dans la succession. »

4° L'article 790 C est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 790 C . - Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit entre vifs, il est effectué un abattement de 5 000 euros sur la part de chacun des neveux et nièces du donateur. »

5° L'article 790 G est abrogé.

II. - Le I entre en vigueur à compter du 1 er janvier 2012.

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement vise à revenir au statu quo ante s'agissant d'un dispositif coûteux et injuste de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA : celui qui est relatif aux droits de mutation à titre gratuit.

Ainsi, la proportion de successions imposées passerait de 5 % environ aujourd'hui à quelque 25 %. Comme avant 2007, le quart des successions seraient imposées, à des taux n'ayant rien de confiscatoire.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Nous tenons à cette défiscalisation des successions. Ceux de nos concitoyens qui ont passé leur vie à constituer un capital et veulent le léguer à leurs enfants doivent pouvoir le faire sans acquitter de droits, pour autant qu'ils ne fassent pas partie des 5 % de Français disposant de patrimoines très importants.

Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, pour explication de vote.

M. Albéric de Montgolfier. Cet amendement va exactement à l'encontre de l'objectif de justice fiscale qui a été invoqué par Mme la rapporteure générale.

À cet égard, je rappelle que le taux de taxation des successions de plus de 1,8 million d'euros a été augmenté de 5 % dans le collectif du mois de juillet.

En revanche, la mesure présentée par Mme la rapporteure générale toucherait clairement la majorité des Français, d'autant qu'elle ne tient pas compte de la forte augmentation des prix de l'immobilier. Aujourd'hui, 50 000 euros ne représentent plus grand-chose sur le marché immobilier, que ce soit en province ou, a fortiori , en région parisienne. Avec un tel apport, il est impossible de financer une première acquisition. En revenant sur l'une des dispositions les plus populaires de la loi TEPA, on taxerait le patrimoine de la plupart des Français, ce qui serait extrêmement injuste.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je voudrais abonder dans le sens de M. de Montgolfier.

La mesure que l'on nous propose cible vraiment les classes moyennes urbaines.

Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet, 50 000 euros par part successorale, cela ne représente vraiment pas beaucoup de mètres carrés, même près des Buttes-Chaumont ! Abaisser ainsi le seuil d'imposition au titre des droits de succession serait une mesure assez violente ! Elle rapporterait chaque année de l'ordre de 2 milliards d'euros, prélevés sur les successions dont le montant est compris entre 50 000 et 153 000 euros par part... Mes chers collègues, que chacun prenne ses responsabilités !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Une telle disposition s'attaque aux familles, aux enfants qui perdent leurs parents ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

Avec 50 000 euros, on peut à peine acheter trente mètres carrés en région parisienne, et encore à condition de ne pas viser les beaux quartiers, où le prix du mètre carré est plutôt de l'ordre de 7 000 ou de 8 000 euros ! Et on nous dit qu'on veut aider les jeunes à s'installer !

M. Albéric de Montgolfier. Et on nous parle d'équité fiscale !

Mme Catherine Procaccia. Que vous vouliez revoir le seuil d'imposition des successions, soit, mais l'abaisser au chiffre dérisoire de 50 000 euros ne fera qu'encourager la fraude, qui sera le seul moyen de transmettre quelque chose à ses enfants !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous exagérez !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Je voudrais préciser certains ordres de grandeur...

En Seine-Saint-Denis, département où les prix ne sont pourtant pas parmi les plus élevés, il faut compter au moins 150 000 euros pour un appartement neuf de quarante mètres carrés. Dans l'ancien, les prix ne sont pas beaucoup plus bas, et les logements sont souvent dans un état très dégradé ! Avec 50 000 euros, on ne va donc pas loin...

Abaisser le seuil d'exonération à 50 000 euros par part successorale toucherait presque tout le monde. Il serait regrettable de prendre une telle décision. D'autres mesures de la loi TEPA ont pu paraître contestables et ont été contestées, mais celle-là doit absolument être maintenue !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. J'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi on veut absolument transformer ces 50 000 euros en mètres carrés ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia. Mais c'est d'abord de l'immobilier qu'on transmet à ses enfants !

Mme Marie-France Beaufils. On ne peut pas raisonner comme cela, ce n'est pas sérieux !

Mme Catherine Procaccia. Mais si !

Mme Marie-France Beaufils. Ce qui est proposé, c'est d'abaisser le seuil à 50 000 euros par part successorale, or il est rare qu'une succession ne concerne qu'une seule personne ! Dans l'objet de l'amendement, il est rappelé que le patrimoine médian des Français s'établit à 117 000 euros. Dès lors qu'il y a au moins deux enfants, un tel patrimoine restera exonéré. Alors cessez de nous faire pleurer !

M. Philippe Dallier. On ne veut pas vous faire pleurer !

Mme Marie-France Beaufils. Votre objectif est surtout de défendre des patrimoines beaucoup plus importants, mais vous n'avez pas le courage de le faire ouvertement !

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il est normal que ce débat enflamme le Sénat,...

M. Philippe Dallier. N'exagérons rien !

Mme Catherine Procaccia. Ce n'est pas un grand incendie !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. ... car il met en évidence ce qui nous sépare et porte sur nos conceptions respectives de la société.

Mme Beaufils a rappelé à juste titre qu'il s'agissait de 50 000 euros par part successorale et que le patrimoine médian des Français s'élève à 117 000 euros. Dans la grande majorité des cas, un tel patrimoine restera exonéré si notre amendement est adopté. Avec deux enfants, un patrimoine d'un montant de 234 000 euros, aujourd'hui exonéré, sera taxé à 5,6 % au titre des droits de mutation à titre gratuit. Dans le même cas de figure, un patrimoine de 1 million d'euros sera taxé à hauteur de 16,6 %, contre 13,3 % aujourd'hui.

Par ailleurs, si vous avez le souci de défendre les familles, madame Procaccia, pour ma part j'ai aussi celui de protéger les conjoints survivants, qui sont le plus souvent des veuves : ils ne sont pas concernés par la mesure proposée par la commission.

Quant aux références immobilières que vous avez prises, je ferai observer que tout le monde n'habite pas le VI e ou le VII e arrondissement de Paris !

M. Philippe Dallier. J'ai parlé de la Seine-Saint-Denis !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Chacun sait que ces arrondissements sont hors marché, même pour les Parisiens fortunés, car les prix sont poussés vers le haut par la demande internationale : on peut observer ce phénomène dans toutes les grandes capitales. Ainsi, la vente sur plans d'appartements situés rue de Sèvres a été close au bout de quarante-huit heures !

Mme Catherine Procaccia. Je ne vous parle pas de la rue de Sèvres ! Je n'habite pas Paris !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non, mais vous vous référez à des prix qui sont ceux de ces quartiers de Paris.

Sur le fond, hériter d'un appartement dont le prix est supérieur au seuil d'exonération n'est tout de même pas inintéressant : on peut percevoir un loyer si on le loue ou en économiser un si on l'occupe, on peut aussi vendre à bon prix. Bref, que vous le vouliez ou non, un tel héritage procure une capacité contributive, et il n'est pas indécent de vouloir le taxer selon un barème progressif.

Nous tenons à cet amendement, qui relève sans doute d'une certaine conception de la société.

Mme Catherine Procaccia. C'est clair !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pour ma part, madame Procaccia, je crois à la responsabilité individuelle : doit-on forcément attendre d'être doté par ses parents ? Il me semble que l'on peut faire fructifier, par son travail, le capital public reçu, par exemple, de l'éducation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Albéric de Montgolfier. Vous devriez abaisser le seuil à zéro !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-2.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 3.

Mme Catherine Procaccia. Cela fait partie des mesures sur lesquelles nous pourrons communiquer... Les Français apprécieront !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ceux qui n'ont rien, oui !