III. RAPPORT SÉNAT N° 107 (2011-2012) TOME III ANNEXE 3

Commentaire : le présent article vise à définir un nouveau régime d'exonérations pour les charges sociales patronales dues par les employeurs relevant du régime de protection sociale agricole, dans la limite de vingt salariés en CDI par entreprise.

I. LE RÉGIME D'EXONÉRATION EN VIGUEUR CONCERNE SURTOUT LES TRAVAILLEURS OCCASIONNELS AGRICOLES

L'article 26 de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole article a inséré dans le code rural un nouvel article L. 741-15-1, qui avait pour objet de créer une exonération, pour une durée d'un an, de charges sociales patronales au profit des seuls groupements d'employeurs agricoles, pour les embauches sous contrat de travail à durée indéterminée (CDI) ayant lieu entre le 1 er janvier 2006 et le 31 décembre 2008. L'article 22 de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 a rendu ces dispositions applicables pour les rémunérations versées à partir du 1 er janvier 2008.

Avant cela, après un premier dispositif en faveur de l'emploi des travailleurs occasionnels, fixé par arrêté en 1985 1 ( * ) et qui consistait à réduire l'assiette des cotisations sociales, un dispositif d'allègement des cotisations « travailleurs occasionnels - demandeurs d'emploi » (TO-DE) 2 ( * ) a été créé par l'article 62 de la loi n° 95-95 du 1 er février 1995 de modernisation de l'agriculture, puis modifié par l'article 8 de la loi n° 2001-1246 de financement de la sécurité sociale pour 2002 et l'article 27 de la loi n° 2006-11 d'orientation agricole du 5 janvier 2006.

Dans son discours prononcé à Poligny, le 27 octobre 2009, suite à la crise généralisée du monde agricole , le Président de la République a annoncé un plan exceptionnel en faveur de l'agriculture . Ce plan ambitieux prévoyait notamment une exonération de la totalité des charges patronales dues par les employeurs à la MSA pour l'emploi les travailleurs saisonniers . Cette mesure a été traduite dans l'article 13 de la loi n° 2010-237 de finances rectificative pour 2010 du 9 mars 2010 3 ( * ) , qui a consisté principalement à transformer le régime d'application de taux réduits de cotisations d'assurances sociales en une exonération de charges patronales dues au titre de l'embauche de TO-DE 4 ( * ) . A cette fin, l'article 13 précité avait procédé à une réécriture des articles L. 741-5 et L. 741-16 du code rural et introduit, en outre, au sein de celui-ci, un nouvel article L. 741-16-1. Cette réforme ambitieuse conduite en 2010 représente un coût annuel de l'ordre de 492 millions d'euros.

II LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE RÉPOND A UN ENGAGEMENT DU GOUVERNEMENT

Suite à un engagement pris par le Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable de ce dernier, trois amendements identiques dont un de sa commission des finances et un de sa commission des affaires économiques. Leur adoption a conduit au présent article. Le troisième amendement, qui est d'ailleurs à l'origine des deux premiers 5 ( * ) , était dû à l'initiative conjointe de Bernard Reynès, Charles de Courson et Jean Dionis du Séjour.

Notre collègue député Bernard Reynès avait en effet remis, en juin 2011, un rapport au Premier intitulé « étude et propositions concernant les enjeux du coût de main d'oeuvre dans le secteur de la production agricole », dans lequel il préconisait l'adoption en 2012 d'une mesure d'allègement des cotisations sur le travail agricole permanent . Il y préconisait de mettre en place une « exonération jusqu'à 1,6 SMIC des cotisations conventionnelles et éventuellement des cotisations légales, financée par une augmentation de 5,5 % à 19.6 % du taux de TVA sur les boissons gazeuses à sucre ajouté ou édulcorées ».

Une telle mesure aurait eu pour but de « réduire l'effet des distorsions de concurrence sur les produits provenant de pays à bas coût de main d'oeuvre et [aurait permis], lorsqu'elle [aurait été] étendue à l'ensemble de l'activité économique, de sauvegarder notre niveau de protection sociale en lui assurant une assiette plus large que la cotisation de seuls actifs ».

Le présent article traduit cet objectif 6 ( * ) , mais de manière plus restrictive que ne le proposait ce rapport en faveur de la réduction du coût de la main-d'oeuvre agricole.

En effet, le dispositif est, tout d'abord, réservé aux employeurs relevant du régime de protection sociale des professions agricoles , dans la limite de vingt salariés agricoles employés en CDI par entreprise. Le présent article précise que pour les employeurs appartenant à un groupe tenu de constituer un comité de groupe, la limite de vingt salariés s'apprécie au niveau du groupe.

De plus, l'exonération concerne la part patronale de onze cotisations et contributions sociales, à l'exception habituelle de la branche accident du travail et maladie professionnelle 7 ( * ) .

Cette exonération sera déterminée selon un barème dégressif fixé par décret en fonction du salaire, de telle sorte que l' exonération soit totale jusqu'à 1,1 SMIC et devienne nulle pour une rémunération égale ou supérieure à 1,4 SMIC .

Son montant est égal au produit de la rémunération annuelle par un coefficient , fonction du rapport entre la rémunération du salarié et le salaire minimum de croissance .

Le calcul résultera de l'application d'une formule fixée par décret , selon le modèle type décrit à la page suivante.

La formule de calcul de la dégressivité de l'exonération

NB : T est égal à la somme des taux de cotisations et contributions légales et conventionnelles

Source : ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire

Au total, le champ des exonérations retenues doit conduire à réduire d'un euro le coût horaire de travail des salariés agricoles permanents au niveau du SMIC.

Le coût de la mesure qui bénéficiera à l'ensemble des employeurs agricoles concernés est évalué à 210 millions d'euros . D'après les informations transmises par le ministère de l'agriculture, le chiffrage de la mesure s'appuie sur le fichier des contrats salariés agricoles de la mutualité sociale agricole de l'année 2010 8 ( * ) . Le Gouvernement a donc majoré, dans le présent PLF, les crédits du programme 154 « Economie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » à due concurrence 9 ( * ) .

Ces cotisations patronales seront prises en charge par l'Etat 10 ( * ) , assurant ainsi la neutralité financière de la mesure pour les organismes concernés. Et le dispositif sera géré, pour le compte de l'État, par les caisses de la mutualité sociale agricole.

En outre, le dispositif d'exonération des cotisations sera soumis à une clause d'examen suspensive de la Commission européenne . Il n'entrera en effet en vigueur avec la publication de son décret d'application qu' après avoir été reconnu conforme au droit communautaire , et tout particulièrement compatible avec l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Vos rapporteurs spéciaux déplorent le défaut d'étude d'impact du présent article ainsi que le niveau clairement insuffisant des évaluations disponibles . Ils se montrent donc dubitatifs face aux effets escomptés du dispositif proposé par le présent article .

Il est vrai que les salariés permanents occupent seulement 15 % des emplois du secteur de la production agricole tandis que ce taux est de 78 % pour l'ensemble des secteurs de l'économie . Surtout, cette disproportion tendrait à s'aggraver depuis 2004, puisque l'emploi permanent agricole baisserait de 2,4 % en moyenne annuelle. Ainsi, alors que la part des CDI dans les nouvelles embauches n'est que de 4 % dans le secteur de la production agricole depuis 2008, elle est d'environ 20 % dans les autres secteurs.

Cette exonération aurait donc aussi pour but d' enrayer la précarisation des emplois agricoles et de favoriser l' embauche de salariés permanents en réduisant d'un euro le coût horaire de travail des salariés permanents au niveau du SMIC, qui doit être ainsi ramené de 12,83 euros pour l'employeur à 11,83 euros.

Le rapport de notre collègue député Bernard Reynès avait, pour sa part, surtout avancer des arguments en matière d' amélioration de notre compétitivité , en soulignant que la réduction du coût du travail permettrait de réduire l'effet des distorsions de concurrence. Mais il est difficile d'estimer l'impact de cette baisse horaire modérée d'un euro par salarié sur la compétitivité globale d'un secteur économique multidimensionnel tel que l'agriculture. En la matière, vos rapporteurs spéciaux refusent que des présupposés idéologiques relatifs au coût du travail remplacent des analyses rigoureuses effectuées à partir de situations précises.

L' efficacité du dispositif proposé reste donc incertaine et montre qu'il demeure nécessaire d' avancer sur la voie de la convergence fiscale et sociale en Europe . Ce sera une condition pour éviter les phénomènes de « trappes à bas salaires » , dont les mesures d'exonération de charges sociales au niveau du SMIC sont souvent un facteur aggravant.

Par ailleurs, vos rapporteurs spéciaux redoutent les effets d'aubaine qui pourraient accompagner la mise en oeuvre du présent article. De même, sans méconnaître les enjeux de conformité au droit communautaire, ils se demandent si l' absence de ciblage de ce dispositif ne réduira pas son efficacité. Sans doute aurait-il été préférable de n'exonérer que les filières pour lesquelles la réduction du coût du travail emportait des conséquences significatives. Malheureusement, un tel mode opératoire aurait fortement risqué de relever des aides sectorielles d'Etat prohibées par l'Union européenne. Cette dernière n'aurait d'ailleurs donné son feu vert au présent dispositif qu'à la condition de recourir au principe de la condition d'affiliation des entreprises bénéficiaires au régime de protection sociale des professions agricoles.

Sur la base des données de l'emploi agricole de 2010, 116 700 entreprises bénéficieraient de la mesure, soit 78 % du total des entreprises agricoles concernées . Le présent article impacterait près de 222 000 contrats , représentant une masse salariale de 3 milliards d'euros .

Dans l'hypothèse où la mesure proposée par le présent article rencontrerait un certain succès, vos rapporteurs spéciaux émettent des réserves quant à l'impact budgétaire du dispositif, estimé à 210 millions d'euros par an par le Gouvernement. Le coût de cette nouvelle exonération pourrait rapidement atteindre des niveaux plus importants et se révéler peu soutenable pour nos finances publiques .

Toutefois, et en dépit de ces nombreuses réserves , vos rapporteurs spéciaux ne peuvent ignorer les attentes fortes émanant de la profession agricole . Ils se résignent donc à soutenir le dispositif proposé mais appellent dans le même temps l'attention sur ses limites et ses risques intrinsèques .

Décision de la commission : sous le bénéfice de ses observations, votre commission des finances vous propose néanmoins d'adopter cet article sans modification.


* 1 Arrêté interministériel du 9 mai 1985, modifié le 24 juillet 1987 et le 21 juin 1994.

* 2 L'article D. 741-58 du code rural donne une définition des demandeurs d'emploi ainsi que des travailleurs occasionnels. Ces derniers sont ainsi des salariés recrutés pour un ou plusieurs contrats de travail à durée déterminée pour la réalisation d'activités agricoles dont la liste figure dans deux autres articles du code rural (L. 722-1 et L. 722-2). Lorsqu'il est conclu par un groupement d'employeurs ou s'il s'agit d'un contrat de travail intermittent, le contrat de travail de ces travailleurs occasionnels peut également être à durée indéterminée. S'agissant des demandeurs d'emploi, l'article D. 741-58 précité pose la condition selon laquelle ils doivent être inscrits depuis au moins quatre mois à Pôle emploi. Si le chômage est la conséquence d'un licenciement, la condition de durée est réduite à un mois.

* 3 Voir le commentaire de l'article 8 « Exonération des cotisations patronales dues pour l'emploi des travailleurs occasionnels agricoles », au sein du rapport n° 278 (2009-2010).

* 4 Puisqu'il supprimait les réductions de cotisations sociales selon des taux différenciés par type de production agricole, ce dispositif présentait également l'intérêt de simplifier le calcul des cotisations dues par les employeurs, de faciliter les contrôles administratifs et, enfin, de réduire le travail de traitement des dossiers de demandes d'exonérations par la MSA.

* 5 Il a en effet été adopté par chacune des deux commissions en amont de la séance publique.

* 6 De même, les articles 5 ter , 5 octies et 5 nonies se veulent la contrepartie en recettes de la mesure. Vos rapporteurs spéciaux renvoient aux commentaires de ces articles dans le tome II du rapport général consacré au présent projet de loi de finances pour 2012.

* 7 Il s'agit de la contribution affectée à la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ; de la cotisation due au titre du fonctionnement du service de santé et de sécurité au travail ; de la cotisation de retraite complémentaire obligatoire des salariés versée aux institutions de retraite complémentaire ; de la cotisation due au titre du fonds national d'aide au logement ; de la cotisation versée à l'association pour la gestion du fonds de financement, rendue obligatoire par l'arrêté du 14 mars 2011 portant extension et élargissement de l'accord national interprofessionnel du 25 novembre 2010 portant prorogation de l'accord du 23 mars 2009 sur les régimes complémentaires de retraite AGIRC et ARRCO ; de la cotisation due au titre de l'assurance contre le risque de non paiement des salaires ; de la contribution due au titre de l'assurance chômage ; de la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle ; de la cotisation versée à l'Association nationale pour l'emploi et la formation en agriculture ; de la cotisation versée au conseil des études, recherches et prospectives pour la gestion prévisionnelle des emplois en agriculture et son développement, dénommé PROVEA ; et, enfin, de la cotisation versée à l'association pour le financement de la négociation collective en agriculture.

* 8 Ce fichier est alimenté par les informations concernant les salariés assujettis au régime de protection sociale agricole. Cette base de données offre des informations sur les contrats, les entreprises, les rémunérations, les heures de travail et les cotisations légales de sécurité sociale dues.

* 9 Cf. infra la rubrique consacrée dans le présent rapport aux modifications apportées par l'Assemblée nationale.

* 10 Par l'intermédiaire du programme 154 « Economie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ».