M. François MARC, rapporteur spécial

III. UN BUDGET 2015 DE L'UNION EUROPÉENNE EN HAUSSE MODÉRÉE

A. LES RÈGLES DE LA PROCÉDURE BUDGÉTAIRE

La procédure de négociation pour le budget communautaire 2015 correspond à la cinquième année de mise en oeuvre du traité de Lisbonne et à la deuxième année des perspectives financières 2014-2020 .

Conformément à la procédure prévue par le traité de Lisbonne, le budget est examiné au cours d'une seule lecture par le Conseil et le Parlement européen suivie d'une phase de conciliation en raison de désaccord entre les deux institutions. Bien que le traité de Lisbonne ait mis un terme à la distinction entre dépenses obligatoires et dépenses non obligatoires 20 ( * ) , plaçant sous cet angle Parlement et Conseil sur un pied d'égalité, il a introduit des dispositions pouvant permettre au Parlement européen d'imposer, in fine , son point de vue.

La procédure budgétaire annuelle est précisée par les articles 313 et 314 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). En matière budgétaire comme dans les autres domaines, la Commission continue de disposer du monopole de l'initiative, qu'elle exerce par la présentation au Conseil et au Parlement d'un avant-projet de budget.

Au terme d'une seule lecture du projet de budget par le Conseil puis par le Parlement, plusieurs options sont possibles :

- si le Parlement approuve la position du Conseil, le budget est adopté ;

- s'il ne statue pas, le budget est réputé adopté ;

- si le Parlement adopte des amendements que le Conseil approuve, le budget est adopté ;

- si le Parlement adopte des amendements que le Conseil n'approuve pas, le projet est transmis au Conseil et à la Commission dans le cadre du comité de conciliation .

Cet organe a pour objectif d'aboutir, dans un délai de vingt-et-un jours à partir de sa convocation, comme le précise le TFUE, à un accord sur un projet commun à la majorité qualifiée des membres du Conseil ou de leurs représentants et à la majorité des membres représentant le Parlement. Durant cette procédure, la Commission cherche à rapprocher les positions des parties.

Compte tenu des nouvelles règles, dont en particulier la suppression de la seconde lecture, le moment décisif de la procédure budgétaire est désormais, en pratique, ce comité de conciliation , qui de fait est systématiquement convoqué dans le cadre de la procédure budgétaire.

En cas d'accord du comité de conciliation, le Parlement et le Conseil disposent de quatorze jours pour approuver le projet afin qu'il soit définitivement adopté. Si le Conseil et le Parlement approuvent ce projet commun, le budget est adopté sur cette base.

Si le Conseil rejette le projet commun mais que le Parlement l'approuve, le Parlement peut décider de confirmer ses amendements - par un vote à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le budget est alors adopté sur la base du projet commun et des amendements du Parlement : Conseil et Parlement n'apparaissent donc pas sur un pied d'égalité, le Parlement étant en mesure d'imposer son point de vue au Conseil si ce dernier ne suit pas l'accord obtenu par ses représentants au sein du comité de conciliation, ce qui n'est pas le cas si c'est le Parlement qui rejette le projet commun. En effet, si le Conseil approuve le projet commun mais que le Parlement le rejette, une nouvelle procédure doit être entamée sur la base d'un nouveau projet de la Commission. Une nouvelle procédure s'engage également dans l'hypothèse où Conseil et Parlement rejettent le projet ou si l'un des deux rejette le projet commun tandis que l'autre ne statue pas. En bref, l'échec de la conciliation conduit la Commission à établir un nouveau projet de budget . Une telle procédure a ainsi été nécessaire lors de la préparation des budgets pour 2011 et 2013 puisque le comité de conciliation n'était pas parvenu, dans ces deux cas, à obtenir un accord .

En outre, le projet commun est réputé adopté si les deux institutions ne parviennent pas à statuer, ou si l'une des deux ne parvient pas à statuer tandis que l'autre approuve le projet commun.

Et en cas de conflit persistant conduisant à l'absence de budget voté en début d'exercice, les premiers mois de l'exercice budgétaire sont assurés par le système des douzièmes provisoires 21 ( * ) .

Le tableau de la page suivante résume les subtilités de cette procédure.

La procédure budgétaire issue du traité de Lisbonne

Source : annexe « Relations financières avec l'Union européenne » au projet de loi de finances pour 2015

B. LA NÉGOCIATION ENTRE LES INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

1. L'avant-projet de budget de la Commission

Il convient de distinguer les évolutions propres à chaque catégorie de crédits (engagement et paiement).

En crédits d'engagement , 145,60 milliards d'euros sont proposés par l'avant-projet de budget (APB) 2015 de la Commission, rendu public au printemps 2014, soit une augmentation de 2,1 % par rapport au budget 2014. Il s'agit pour l'essentiel de renforcer la rubrique 1a « Compétitivité » (+ 5,8 %), la rubrique 1b, consacrée à la politique de cohésion (+ 3,7 %), les dépenses administratives (+ 2,5 % pour la rubrique 5, alors qu'une baisse de 5 % entre 2014 et 2017 a été décidée en décembre 2013) et, enfin, les instruments spéciaux (+ 9,1 %). Les autres rubriques restent relativement stables ou varient légèrement.

Les crédits de paiement (CP) inscrits à l'APB 2015 affichent pour leur part une hausse de 4,9 % par rapport au budget 2014 et s'élèvent à 142,14 milliards d'euros . Ils visent à couvrir en paiement les engagements au titre de toutes les rubriques, en particulier de la rubrique 1a « Compétitivité » (+ 36 %), suite à la montée en charge de la nouvelle programmation 2014-2020. Les autres rubriques sont toutes en hausse et il peut être relevé que les dépenses administratives ne font pas exception (+ 2,5 % pour la rubrique 5).

2. Les « coupes » opérées par le Conseil

Adopté par le Conseil à la majorité qualifiée le 2 septembre 2014, le projet de budget proposé par la présidence italienne se veut plus « réaliste » .

Les discussions sur le projet de budget pour 2015 ont une fois de plus été marquées par une difficulté à concilier les positions divergentes au sein du Conseil , tous les États ne souhaitant pas respecter les contraintes imposées par la discipline budgétaire et la bonne gestion financière. Au terme du compromis adopté, le projet de budget 2015 révisé par le Conseil procède à des coupes sensibles, réalisées en crédits d'engagement comme en CP.

La hausse des crédits d'engagement est ainsi limitée à 145,08 milliards d'euros , soit un niveau de crédits inférieur de 522 millions d'euros à l'avant-projet de budget de la Commission et une hausse de 1,7 % par rapport à 2014 . Ces réductions se répartissent de manière inégale entre les différentes rubriques, avec un effort particulier exigé sur la rubrique 1a, consacrée aux dépenses de compétitivité (- 324 millions d'euros).

En CP, les coupes atteignent 2,14 milliards d'euros et concernent pour plus de la moitié la rubrique 1a, ce qui réduit le montant du projet de budget à 139,99 milliards d'euros , soit une augmentation de 3,3 % par rapport à 2014 .

Au total, le projet du Conseil exprime, surtout, le choix d'une moindre budgétisation des CP , dont l'impact sur le montant des contributions nationales est direct. En pratique, le recours à des budgets rectificatifs en cours d'année vise souvent à ajuster les ouvertures de CP. Ce sont donc les crédits d'engagement , tels qu'ils sont prévus par le projet de budget adopté par le Conseil, qui apparaissent les plus significatifs des priorités affichées par le budget communautaire , la répartition des CP étant toujours appelée à subir rapidement des modifications.

Votre rapporteur spécial s'interroge sur ces coupes dans la mesure où le Conseil contredit les priorités adoptées par l'Union européenne en matière de soutien à la croissance et à l'emploi dans la mesure où la rubrique consacrée aux dépenses de compétitivité est la plus durement affectée.

Répartition des crédits d'engagement entre rubriques
en 2015 selon le projet de budget du Conseil

Source : annexe « Relations financières avec l'Union européenne » au projet de loi de finances pour 2015

3. Les propositions ambitieuses du Parlement européen

Lors de son examen du projet de budget 2015, le Parlement européen a voté en séance plénière, le 22 octobre 2014, la plupart des recommandations de sa commission des budgets (COBU). Celle-ci a, en effet, estimé insuffisant le projet du Conseil et a donc souhaité proposé un projet encore plus ambitieux que l'APB de la Commission , en particulier au regard des ouvertures de CP.

Il résulte donc de ce vote que les crédits d'engagement seraient portés à 146,35 milliards d'euros , soit une augmentation de 2,6 % par rapport à 2014.

Les CP , quant à eux, s'élèvent désormais à 146,42 milliards d'euros, ce qui représente une hausse de 8,1 % si l'on se rapporte au budget pour 2014 .

Le tableau suivant permet de récapituler ces évolutions.

Tableau comparatif de l'avant-projet de budget pour 2015, du projet adopté par le Conseil et du projet adopté par le Parlement européen

(en millions d'euros)

Source : Parlement européen.

* Il s'agit des chiffres votés lors de la session plénière du Parlement européen en date du 22 octobre 2014 suite aux propositions de sa commission des budgets. Ce tableau ne permet pas de préjuger de l'issue finale des négociations entre le Conseil et le Parlement européen dans la mesure où le comité de conciliation pourrait échouer à définir en novembre 2013 un projet de compromis. Suite à cette absence d'accord, le projet de budget ne serait pas soumis au vote du Parlement européen lors de sa session plénière de novembre et la Commission devrait proposer un nouveau projet.

Les hausses demandées par le Parlement européen correspondent, comme l'année dernière, à une stratégie de quasi-retour à l'APB de la Commission et l'éloignent donc de sa tentative habituelle de saturation des plafonds pluriannuels .

Le comité de conciliation qui se réunira en novembre 2014 aura pour objectif de définir un projet consensuel .

En amont des réunions formelles du comité, des réunions techniques devraient permettre de parvenir progressivement à un accord politique. En 2012 et en 2010, lors des procédures pour 2011 et pour 2013, il convient d'observer que le comité de conciliation n'était pas parvenu à un accord , ce qui avait conduit la Commission à préparer et à proposer un nouveau projet de budget . Les questions qui feront l'objet d'arbitrages cette année sont sensiblement identiques à celles des années passées.

Comme l'ont montré les difficultés du Conseil à adopter sa position, la façon dont il sera tenu compte du contexte des finances publiques nationales est, à nouveau, le point le plus délicat de la procédure budgétaire . L'augmentation limitée des crédits dans le projet de budget du Conseil répond en effet principalement à un objectif de mise en cohérence du budget communautaire avec les efforts supportés par les budgets nationaux .

Le Parlement européen souhaite, à l'inverse, une approche plus ambitieuse , en particulier pour le financement de la stratégie UE 2020, de la politique de cohésion et de l'action extérieure. Plus le Parlement européen sera tenté de renvoyer l'effort nécessaire de discipline budgétaire sur les États membres, plus ces derniers pourraient en retour s'opposer à l'adoption du budget 2014. Le compromis qui résultera de la négociation sera d'autant plus fragile qu'il reposera sur une base étroite d'États membres.


* 20 Trois innovations majeures peuvent être relevées dans le traité de Lisbonne : la suppression de la distinction entre dépenses obligatoires, sur lesquelles le Conseil avait le dernier mot, et non obligatoires, sur lesquelles le Parlement européen avait le dernier mot ; la suppression du principe de deux lectures du projet de budget par le Parlement et le Conseil au profit d'une seule lecture par chacune des institutions ; et, enfin, la création d'un comité de conciliation, chargé en cas de désaccord entre le Conseil et le Parlement d'élaborer un projet commun.

* 21 Chaque mois, sont ouverts des crédits correspondant à un douzième des montants prévus par le budget précédent. Cette situation s'est produite en 1985, 1986 et 1988.