M. François MARC, rapporteur spécial

II. LES RECETTES DU BUDGET DE L'UNION EUROPÉENNE

A. LA COMPLEXITÉ DES « RESSOURCES PROPRES »

1. Les principes généraux

Le financement du budget communautaire, originellement fondé sur des contributions acquittées par chaque État membre, repose en principe sur des ressources propres depuis la décision du Conseil du 21 avril 1970, qui affecte à l'UE des recettes de nature fiscale exigibles de plein droit . Régies par la décision 7 juin 2007 relative au système des ressources propres (DRP), qui encadre aussi les différents systèmes de corrections, ces ressources se composent essentiellement 13 ( * ) :

- des trois ressources propres traditionnelles (RPT, 12 % du budget) : droits de douane, prélèvements agricoles et cotisations sucre et isoglucose. 25 % de ces ressources sont retenus par les États membres au titre des frais de perception ;

- de la ressource TVA (13 % du budget), perçue par application d'un taux d'appel uniforme à une assiette harmonisée et écrêtée à 50 % du revenu national brut (RNB) de chaque État membre 14 ( * ) ;

- de la ressource RNB 15 ( * ) (74 % du budget), créée pour équilibrer le budget européen face à l'insuffisance des produits tirés des ressources propres traditionnelles et de la TVA, et obtenue par application au revenu national brut de chaque État membre d'un taux fixé dans le cadre de la procédure budgétaire (0,75 % environ).

2. Les rabais suite à la décision du 7 juin 2007 toujours en vigueur

Suite aux conclusions du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005, une décision relative au système des ressources propres (DRP) de l'Union européenne a été prise le 7 juin 2007 .

Ratifiée par la France en juin 2008 16 ( * ) , cette DRP comporte les modifications suivantes :

1) les modalités de calcul de la correction britannique sont revues. Depuis 2009, les dépenses effectuées dans les États membres qui ont adhéré à l'Union européenne après le 30 avril 2004, sauf dépenses agricoles de marché, sont exclues du total des dépenses réparties aux fins de calcul de la correction ;

2) le taux d'appel de TVA passe de 0,50 % à 0,30 % pour l'ensemble des États membres. Cette modification correspond à la différence constatée entre le taux maximal de 0,50 % et la valeur moyenne du taux gelé appliquée dans le passé, de 0,20 % ;

3) de nouvelles dispositions dérogatoires sont prévues en faveur d'États membres contributeurs nets au budget communautaire . Bénéficient ainsi de taux d'appel TVA allégés, l'Autriche (0,225 %), l'Allemagne (0,15 %), les Pays-Bas et la Suède (0,10 %). Par ailleurs, une réduction forfaitaire des contributions RNB est instaurée au profit des Pays-Bas (605 millions d'euros par an) et de la Suède (150 millions d'euros). Ces taux allégés et réductions forfaitaires ont servi, peu ou prou, de « monnaie d'échange » pour obtenir le ralliement de ces pays à la réforme de la « correction » britannique.

La DRP du 7 juin 2007 est entrée en vigueur le 1 er mars 2009 , suite à sa ratification par l'ensemble des États membres. Elle a notamment conduit à procéder , pour les exercices 2007 et 2008, aux ajustements de contribution des États membres , qui résultent des nouvelles modalités de calcul introduites par cette décision. En 2010, la DRP a conduit à une structure de recettes caractérisée par une hausse de la ressource RNB , qui a alors représenté 75 % des ressources de l'UE contre 66 % en 2009. Cette tendance s'est confirmée depuis 2011. Pour 2015, la ressource RNB représente près de 74 % des recettes de l'UE , la part de la ressource TVA atteint 13 % et les droits de douane 11,9 %.

Les recettes de l'Union européenne en 2015
selon le projet de budget du Conseil

Source : annexe « Relations financières avec l'Union européenne » au projet de loi de finances pour 2015

B. LA PERSISTANCE D'UN SYSTÈME INJUSTE SUITE À LA DÉCISION DU 26 MAI 2014

1. Des défauts non corrigés, voire renforcés

Le mode de financement de l'UE est rapidement passé au second plan des négociations sur les perspectives financières 2014-2020. La structure des recettes du budget communautaire fait pourtant l'objet de nombreuses critiques. Loin de l'esprit des traités fondateurs qui prévoyaient d'abonder le budget européen par le biais d'un système de ressources propres et non par des contributions prélevées sur les budgets nationaux des États membres, le système actuel des ressources propres est dénaturé par la multiplication de différents rabais et corrections . En effet, la France, l'Italie et le Danemark sont les seuls contributeurs nets qui ne bénéficient pas d'un rabais spécifique. L'abandon des différentes corrections faciliterait la mise à plat du système des recettes mais aussi de la structure des dépenses du budget communautaire, dans la mesure où les deux aspects sont interdépendants dans les questions de solde net.

Dans son « paquet ressources propres » de 2011 17 ( * ) , la Commission européenne avait proposé de supprimer les rabais, mais la suppression des rabais n'est plus d'actualité depuis le Conseil européen des 7 et 8 février 2013, qui a décidé de maintenir l'essentiel du système existant. En effet, suite à ce Conseil européen, une nouvelle DRP a été adoptée par le Conseil le 26 mai 2014 et prévoit de conserver le rabais britannique, les rabais sur ce rabais, les corrections sur la ressource propre TVA et, enfin, les chèques forfaitaires annuels .

Les défauts du système actuel des ressources propres, complexe, opaque et injuste, sont même renforcés puisque, d'après la nouvelle DRP :

- le Danemark bénéficiera d'un nouveau rabais sur sa contribution RNB ;

- les rabais forfaitaires sur la contribution RNB accordés à la Suède et aux Pays-Bas sont augmentés ;

- l'Autriche a obtenu un nouveau rabais forfaitaire pour sa ressource TVA ;

- les taux réduits de TVA dont bénéficiaient les Pays-Bas et la Suède sont alignés sur celui de l'Allemagne, soit une augmentation de 0,10 % à 0,15 %, les rapprochant du taux d'appel normal, fixé à 0,3 % ;

- en échange de ce moindre taux réduit, les Pays-Bas et la Suède ont obtenu une hausse de leurs rabais forfaitaires sur la ressource TVA ;

- enfin, le « chèque déguisé » en faveur des Pays-Bas, qui concerne les droits de douane essentiellement, est maintenu, bien que réduit. En effet les frais de perception sur les ressources propres de l'UE que sont les droits de douane s'élevaient à 25 %, alors que ces frais réels sont de l'ordre de 2 % du produit fiscal. Il s'agissait en réalité d'un geste réalisé au profit des Pays-Bas. Ces frais de perception élevés vont diminuer, mais seulement passer de 25 à 20 %.

Votre rapporteur spécial ne manquera pas de faire entendre ses arguments contre ce système injuste lors de la ratification de cette DRP en 2015 . Il souligne qu'après l'entrée en vigueur de la DRP, probablement courant 2016, la France et l'Italie seront les seuls contributeurs nets à ne pas bénéficier d'un rabais spécifique 18 ( * ) . Auteur en 2011 d'un rapport sur le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne 19 ( * ) , il avait invité à affranchir la négociation sur les dépenses du raisonnement des États membres en termes de « juste retour » et de soldes nets, en créant une nouvelle ressource propre au profit du budget de l'Union européenne.

Cette question sera reposée dans le cadre du débat sur la réforme du système des ressources propres après 2020.

Pour l'heure, votre rapporteur spécial se félicite que la lutte contre la fraude en matière de TVA figure en bonne place sur l'ordre du jour de l'Union européenne.

2. Un groupe à haut niveau chargé de la réforme à l'horizon 2020

Le Conseil européen des 7 et 8 février 2013 a appelé le Conseil à poursuivre ses travaux autour de la proposition de la Commission sur une nouvelle ressource propre basée sur la TVA, ainsi qu'à réfléchir à la possibilité de faire de la taxe sur les transactions financières (TTF) la base d'une nouvelle ressource du budget européen.

À cette fin, un groupe à haut niveau , composé de trois représentants de chaque institution communautaire, a été constitué le 25 février 2014.

Présidé par Mario Monti, il est chargé de procéder à un réexamen général du système des ressources propres en vue de rendre ce dernier plus simple, plus transparent et plus responsable . Sa mise en place était une des conditions posées par le Parlement européen pour adopter le CFP 2014-2020. La première réunion du groupe a eu lieu le 3 avril 2014 et ses premières évaluations sont attendues pour la fin de l'année 2014. Ses propositions seront examinées dans le cadre de la révision du CFP qui doit, en théorie, avoir lieu en 2016.

À l'été 2014, la France a transmis un document informel à l'attention du groupe à haut niveau, dans lequel elle demande de considérer aussi bien la création de nouvelles ressources propres que la simplification des ressources existantes et appelle à la suppression des mécanismes de correction . Elle insiste également sur la nécessité de tenir compte des politiques économiques et budgétaires des États membres .


* 13 Ces ressources sont plafonnées à 1,23 % du revenu national brut (RNB) de l'Union en crédits de paiement, et à 1,3 % en crédits d'engagement. D'autres recettes les complètent, tirées des impôts et autres prélèvements opérés sur les rémunérations du personnel communautaire, des intérêts bancaires, des contributions d'États tiers à l'Union au titre de leur participation à certaines politiques, des amendes infligées aux entreprises qui enfreignent les règles de concurrence ou d'autres règles, du remboursement d'aides communautaires non consommées, d'intérêts de retard, et du report du solde de l'exercice précédent.

* 14 Cet écrêtement vise à éviter de faire peser une charge trop lourde sur les États membres les moins prospères, l'hypothèse étant faite que la part relative de la consommation - et donc de la TVA - dans le revenu national est d'autant plus élevée que l'État est moins riche.

* 15 Le revenu national brut (RNB) est la somme des revenus perçus en un an par les agents économiques résidants sur le territoire. Son calcul repose sur la somme du PIB et du solde des flux de revenus primaires avec le reste du monde.

* 16 La France a ratifié cette décision par le vote de la loi n° 2008-570 du 19 juin 2008 autorisant l'approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l'Union européenne ; cf. le rapport n° 203 (2007-2008) de notre ancien collègue Denis Badré, alors rapporteur spécial, fait au nom de la commission des finances, relatif au projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l'Union européenne.

* 17 Le paquet comprenait un projet de décision du Conseil relatif au système de ressources propres de l'UE destinée à se substituer à l'actuelle décision ressources propres (DRP) ; une proposition de règlement du Conseil portant mesure d'exécution de cette DRP ;et, enfin, une proposition de règlement du Conseil relatif aux modalités et à la procédure de mise à disposition des différentes ressources à l'UE.

* 18 Le cas de la Finlande est mis de côté en raison du faible niveau de son solde net.

* 19 Rapport d'information n° 738 (2010-2011) fait au nom de la commission des affaires européennes.